Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 11 octobre 2017 à 9h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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– Premier échange de vues, à huis clos, sur les avis budgétaires (suite des travaux du mercredi 4 octobre 2017).

Audition, à huis clos, de M. Staffan de Mistura, Envoyé spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour la Syrie.

La séance est ouverte à neuf heures.

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Je suis très heureuse d'accueillir M. Staffan de Mistura, envoyé spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour la Syrie, afin d'échanger sur les voies de sortie d'un conflit qui aurait fait plus de 400 000 morts, environ 7 millions de déplacés et plus de 5 millions de réfugiés. Ces chiffres donnent la mesure du drame en cours.

Nous pourrons revenir sur la situation militaire, notamment dans ce que l'on appelle les zones de « désescalade », mises en place dans le cadre du processus d'Astana, ainsi que sur la situation diplomatique et humanitaire. Des discussions se poursuivent à Genève, auxquelles vous participez et que la France soutient totalement. Vous savez combien il est important pour nous qu'il y ait une solution politique globale, faisant place aux différentes composantes de la nation syrienne. Il faudra aussi élaborer une transition politique, sujet sur lequel nous aimerions connaître les perspectives. Nous serons également attentifs, car c'est un sujet très important pour notre commission, à ce que vous pourrez nous dire de la situation humanitaire et de l'accès aux zones de conflit.

Merci encore d'avoir répondu à notre invitation. Je sais que vous êtes un homme très occupé, du fait de vos nombreux déplacements auprès de l'ensemble des acteurs du conflit, de l'Iran à l'Arabie Saoudite en passant par la Turquie.

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Staffan de Mistura, envoyé spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour la Syrie

Merci de cette occasion d'essayer de vous expliquer où nous en sommes sur la question syrienne.

Cela fera bientôt quatre ans que l'on m'a confié mon mandat actuel. Comme vous le savez, j'ai succédé à Lakhdar Brahimi, pour qui j'ai beaucoup d'admiration, lui-même précédé par Kofi Annan, ancien secrétaire général des Nations Unies, que je respecte aussi beaucoup. Si vous le permettez, j'aimerais commencer par revenir sur le contexte, la situation actuelle ayant un certain nombre d'origines.

Cela fait quarante-sept ans que je travaille pour les Nations Unies et c'est mon vingtième conflit – j'ai notamment été en poste en Afghanistan, trois fois, en Irak, deux fois, et dans les Balkans. Or le conflit syrien est le plus compliqué que j'ai vu : au moins douze pays y sont mêlés, d'une manière ou d'une autre, et l'on compte quatre-vingt-dix-huit factions militaires, même si une sorte de simplification est en cours. La complexité de ce conflit, l'implication des pays régionaux et l'incidence sur le continent européen sont uniques.

On m'a confié ce dossier à un moment de grand désarroi, où l'on avait l'impression que rien ne pouvait être fait. Deux conférences de paix avaient été organisées à Genève, d'abord par Kofi Annan, puis par Lakhdar Brahimi, et l'on avait espéré aboutir à une solution politique. À l'époque de Kofi Annan, il y a même eu la possibilité d'envoyer des observateurs militaires sur le terrain pendant un certain temps. Mais tout cela est tombé à l'eau, les parties au conflit étant convaincues de pouvoir l'emporter militairement. Cette idée a longtemps prévalu – et c'est peut-être encore le cas dans les arrière-pensées.

Dans une première phase de ma mission, je me suis appuyé sur deux idées fondamentales : d'abord, un envoyé spécial de l'ONU peut être controversé, voire critiqué, mais pas hors sujet ; ensuite, une telle crise ne doit pas « sortir du radar » et se transformer en un problème non résolu, à l'image de la Somalie, où j'ai aussi été en poste, en 1992. On avait fini par se dire que la crise était trop compliquée, et il a fallu huit ans pour que l'on s'y intéresse de nouveau, cette fois à cause des pirates.

C'est Alep qui a fait réapparaître la Syrie sur le radar : cette ville emblématique et assiégée était sur le point de tomber entre les mains du gouvernement, il y a trois ans, au prix d'un massacre. On avait le sentiment que cela pouvait conduire à une véritable tragédie. J'ai alors proposé un freeze, un arrêt des hostilités – ce n'était pas encore un cessez-le-feu. Assad était alors intéressé, paradoxalement, parce qu'il voulait montrer qu'il faisait un geste et qu'il constatait sa difficulté à se battre partout. Il se trouvait dans un moment difficile. Tout aussi paradoxalement, c'est l'opposition qui n'a pas voulu : elle pensait, et on le lui faisait croire, qu'il lui suffirait d'attendre un peu pour gagner la guerre.

Même si Alep a ensuite connu les développements tragiques que vous savez, la Syrie est restée sur le radar un certain temps. Pendant au moins deux ans, Assad n'a pas pu ou pas voulu attaquer la ville, car elle était dans une sorte de lumière spéciale. Puis, il a fini par décider d'avancer sur Alep, avec la bénédiction des Russes.

Dans une seconde phase de ma mission, je me suis efforcé d'inclure les Syriens. On parlait avec les Occidentaux, les Iraniens, les Russes, les Chinois, les Turcs et les voisins de la Syrie, mais écoutait-on les Syriens eux-mêmes et savait-on ce qu'ils pensaient ? Pendant près de quatre mois, on a rencontré des représentants de tous les Syriens – des membres de la société civile, hommes et femmes, des chefs religieux, des combattants et des représentants du gouvernement – pour connaître leur point de vue sur la situation du pays et son avenir. Certains ont eu l'impression que cela ne menait nulle part, en l'absence d'accord, mais c'était quand même très utile : on a compris tout ce qu'il y avait en commun, à savoir le maintien d'un certain nombre de principes tels que l'unité, la souveraineté et la dignité de la Syrie, dont tous sont fiers. Néanmoins, même si c'était une bonne préparation, il est resté nécessaire d'attendre le bon moment pour avancer.

Plusieurs changements sont intervenus presque en même temps, en particulier l'intervention militaire des Russes. On peut dire ce que l'on veut de cet engagement, très lourd, mais il a changé l'équation. Il y a également eu ce que l'on appelle la « crise des réfugiés », qui sont arrivés massivement en Europe et l'ont « réveillée ». À partir de là, il ne s'agissait plus seulement pour elle d'aider des pays tiers, en mobilisant les ministres du développement : l'Europe s'est trouvée directement affectée. Sa stabilité et celle de ses États membres étant en jeu, la question est passée tout en haut de l'agenda politique, notamment en Allemagne. L'Europe s'est tournée vers l'Amérique, qui n'était pas très engagée en Syrie à cette époque. Après l'Irak et l'Afghanistan, M. Obama n'était pas intéressé : il voulait terminer son mandat sans s'engager dans un nouveau conflit. Il était prêt à faire quelque chose, mais pas grand-chose. Les Européens ont insisté sur le fait qu'ils couraient eux-mêmes le danger d'être déstabilisés, et pas seulement les pays voisins de la Syrie. C'est aussi l'époque où l'accord sur le nucléaire iranien a été conclu : John Kerry a alors été plus libre de discuter et de s'engager sur d'autres sujets, en particulier avec l'Iran, qui est une partie importante dans la crise syrienne. Le président Obama a donné carte blanche à John Kerry sur le plan politique, mais pas militaire. Le dernier élément est ce que j'appelle Daech – je préfère utiliser ce terme que les intéressés n'aiment pas du tout, parce qu'il peut avoir un rapport, en arabe, avec la notion de « poubelles » : pourquoi leur faire l'honneur de les appeler « État islamique » ? Daech a frappé plusieurs pays, dont la France, ce qui a réveillé tout le monde. Ce fut l'occasion de faire bouger les Russes et les Américains et de créer une nouvelle dynamique.

Nous avons alors connu une sorte de moment « magique » : John Kerry et Sergueï Lavrov se sont retrouvés à Vienne, en ma présence, et un Groupe international de soutien à la Syrie, comptant vingt-sept pays, a été lancé. De premiers cessez-le-feu ont vu le jour dans le cadre du processus de Vienne et des avancées sur l'aide humanitaire ont suivi. Un point de contact a été établi à Genève, au sein de mon bureau, entre militaires russes et américains afin de gérer ensemble les « accidents » susceptibles de se produire et d'éviter les défaillances dans le cessez-le-feu. Deux comités continuent à se réunir chaque jeudi sur les aspects humanitaires et le cessez-le-feu.

Nous n'étions pas loin d'aboutir, mais une fois encore cela n'a pas fonctionné. J'y vois deux raisons. D'abord, je pense qu'Assad n'avait aucune intention de voir la crise se terminer sans avoir repris l'intégralité du territoire. Ce n'est pas un mystère, car il l'a déclaré publiquement. Il était aussi gêné que les Russes soient prêts à discuter avec les Américains pour trouver une formule. Ensuite, du côté des Américains, il y avait l'impossibilité de contrôler al-Nosra, qui est l'un des deux groupes terroristes officiellement reconnus en Syrie par les Nations Unies, avec Daech. Al-Nosra est formellement liée à al-Qaida, alors que Daech est une organisation en soi, même si ses principes sont les mêmes, voire plus horrifiants – jusqu'à présent, al-Nosra n'a pas commis d'attentats en Europe, peut-être parce que ce groupe est trop petit, alors que Daech l'a fait à plusieurs reprises. Ni Assad ni al-Nosra n'étaient intéressés par un cessez-le-feu : ils ont causé des accidents, eux-mêmes à l'origine de malentendus, volontaires ou non, entre Russes et Américains. Il y a eu un accident quand les Américains ont commis l'erreur d'attaquer des soldats syriens à côté de Deir ez-Zor, et il s'en est suivi une « réponse » avec l'attaque d'un convoi humanitaire sous l'égide de l'ONU, faisant plusieurs morts.

Le jeu s'est cassé tout d'un coup. J'imagine que M. Assad a dit aux Russes que rien ne marchait et que l'on ne pouvait pas faire confiance aux Américains, notamment parce que M. Obama était sur le point d'achever son mandat et ne pouvait donc pas tenir promesse. La bataille d'Alep s'est alors engagée, avec des bombardements acharnés et un véritable massacre. J'ai proposé de faire sortir al-Nosra de la ville et d'accompagner en personne les combattants jusqu'à la région d'Idlib, pour qu'une attaque officiellement menée contre 4 000 personnes ne conduise pas à la destruction d'une ville où il restait 250 000 civils. Al-Nosra a refusé cette proposition, mais a quand même fini par quitter Alep en premier : ces terroristes sont très courageux en paroles et quand c'est la peau des autres qui est en jeu – ils se sentaient bien tranquilles au milieu de 250 000 civils encerclés.

C'est là que nous avons pu obtenir le début de ce qui est en cours aujourd'hui. Dans le contexte de la crise russo-turque que vous connaissez, MM. Erdoğan et Poutine se sont tout d'un coup parlé. Nous avons pu organiser des rencontres secrètes, à Ankara, entre les Russes et les assiégés. Une évacuation assez pacifique a eu lieu, vers Noël, et la destruction finale d'Alep ne s'est pas produite : 150 000 personnes ont pu partir et la ville a été libérée pour les uns, perdue pour les autres.

M. Obama était alors parti sans que M. Trump soit encore arrivé, ce qui a créé un vide, et c'était aussi un moment où les Turcs et les Russes avaient développé un intérêt pour des discussions. Le processus d'Astana, qui est intéressant, a commencé. Nous y avons participé, car nous ne sommes pas égotistes au sens où nous penserions que tout devrait se faire avec l'ONU, à Genève. Ce sont les résultats qu'il faut regarder. Astana permet des discussions entre Russes, Turcs et Iraniens, c'est-à-dire entre des acteurs qui ont tous de l'influence : les Turcs sur l'opposition, les Iraniens et les Russes sur le gouvernement, les Russes étant par ailleurs engagés directement dans la guerre. Des zones de non-fighting, ou désescalade, ont vu le jour. Elles sont maintenant au nombre de cinq, dont une au sud. Chacune fait l'objet d'un arrangement spécifique, avec une réduction réelle et substantielle de la violence.

Dans le même temps, nous avons lancé à Genève des pourparlers entre le gouvernement et l'opposition. Honnêtement, nous n'avons pas obtenu de résultats, les deux parties n'étant pas prêtes à négocier. À quoi cela sert-il donc, me demanderez-vous ? Il y a ce qu'on appelle la pré-négociation : on peut discuter de beaucoup de sujets, comme la forme de la Constitution et la manière de préparer les élections, d'engager la société civile, voire d'organiser une conférence nationale entre les différentes composantes du pays. Mais il reste une question à laquelle nous n'avons pas touché, sans quoi il n'y aurait même pas eu de pré-négociation : Assad peut-il rester ou bien doit-il partir et, le cas échant, quand ? C'est bien sûr le point principal.

Nous nous trouvons aujourd'hui dans un moment vraiment très délicat et peut-être historique, pour différentes raisons.

Il y a encore des combats dans trois zones principales. À Idlib, c'est la Turquie qui a reçu du groupe d'Astana, dans le cadre d'un accord assez intéressant, la mission de « nettoyer » la zone, d'une façon ou d'une autre, de la présence d'al-Nosra. C'est possible, car les Turcs savent qui sont les combattants et où ils se trouvent. La Turquie, toute proche, a intérêt à ce qu'un million de réfugiés ne traversent pas sa frontière. L'autre priorité des Turcs est d'éviter l'unité des Kurdes. Deir ez-Zor, dans le désert, est presque complètement libéré, par le gouvernement et par les Russes, du siège imposé par Daech. Enfin, je pense que la ville de Raqqa, dernière vraie capitale du groupe, devrait être libérée par les forces kurdes et arabes, soutenues par les Américains, au plus tard au mois de novembre de cette année.

Les Russes et les Américains se livrent une petite compétition qui rappelle un peu ce qui s'est passé à Berlin à la fin de la seconde guerre mondiale. Il y a des accords, de temps en temps défaillants, mais qui vont malgré tout dans une même direction : les uns s'occupent de Raqqa, les autres de Deir ez-Zor. Leurs forces ne sont pas vraiment en contact, mais quand même... Il y a aussi de petits « malentendus » sur les frontières et le pétrole.

L'ONU sera ensuite reine, si je puis dire. Une fois Deir ez-Zor et Raqqa libérés, et Idlib « neutralisé », que se passera-t-il ? Tous ces acteurs disent être là pour combattre Daech, pas pour s'affronter entre eux. Quelle sera demain la raison d'être de leur présence ? Les Russes, et j'insiste sur ce point auprès d'eux, n'ont pas intérêt à rester engagés trop longtemps en Syrie s'ils ont appris une leçon de l'Afghanistan et de ce qui s'est passé à Mossoul. J'étais en Irak à l'époque où al-Qaida s'y trouvait sous la forme d'un groupe dirigé par le Jordanien al-Zarkaoui, qui a joué sur le mécontentement des tribus sunnites d'al-Anbar à l'égard du gouvernement chiite. Il était tout à fait normal que les chiites aient la majorité à l'issue des élections, car ils sont les plus nombreux dans le pays, mais ils ont fini par marginaliser les sunnites. Ces derniers sont tombés dans les bras d'un fou, al-Zarkaoui, que même Ben Laden trouvait excessif...

On l'a emporté sur al-Qaida en Irak en arrivant à convaincre les tribus sunnites qu'elles pourraient être incluses dans le futur gouvernement et que c'était une très mauvaise idée de se tenir aux côtés d'al-Zarkaoui. Résultat : il a fini par être isolé et tué. Mais la leçon n'a pas été retenue : le gouvernement de M. Maliki a ignoré la nécessité de continuer à engager les sunnites, qui avaient finalement combattu al-Zarkaoui. À la place, on a eu al-Baghdadi et Daech, qui a pris Mossoul, causant un véritable choc international.

Cette ville vient d'être libérée, mais avec quels efforts et à quel prix ? Avons-nous retenu la leçon en ce qui concerne la Syrie ? Quand l'heure de vérité arrivera à Deir ez-Zor et à Raqqa, aurons-nous réussi à convaincre les Russes de dire au gouvernement que le moment est venu d'inclure les autres composantes de la Syrie ? La majorité est sunnite et non chiite dans ce pays, à la différence de l'Irak. Il faudrait notamment annoncer des élections ouvertes et organisées avec l'ONU, ainsi qu'une nouvelle Constitution, préparée dans le cadre des discussions à Genève. Sinon, j'ai le regret de vous assurer qu'il y aura très prochainement un nouveau Daech, sous un nouveau nom et avec un nouvel al-Baghdadi à sa tête. La révolte sera encore plus forte. C'est donc le moment de pousser à un engagement politique.

Pour y arriver, il faut qu'Assad soit convaincu par les Russes, qui ont actuellement le plus d'influence, et par les Iraniens. Les Russes sont plus pressés : ils ont des élections l'année prochaine, et pas la moindre envie de rester engagés en Syrie. Surtout, il n'y aura pas d'argent pour la reconstruction : je comprends qu'on ne pourra pas convaincre des pays tels que la France de payer pour la reconstruction sans au minimum la garantie d'une stabilité politique. Il y a aussi la question des 5,5 millions de réfugiés présents dans la région : ils sont fiers de leur pays, ils l'aiment et ils ont envie d'y retourner, mais ils ne le feront pas tant qu'ils n'auront pas le sentiment d'avoir des garanties contre une éventuelle punition et tant qu'il n'y aura pas des élections organisées avec l'ONU, ce qui peut signifier un vrai changement, ni une reconstruction du pays et une situation économique qui s'améliore. Nous sommes donc à un moment particulièrement important.

Dans ce contexte, je dois dire que j'ai beaucoup apprécié l'intérêt direct du Président Macron pour la crise syrienne. Il est très difficile de combiner la Realpolitik et les idéaux, c'est-à-dire non seulement les aspects humanitaires, la justice et la nécessité de punir ceux qui ont tué tant de gens, mais aussi le besoin de trouver une formule permettant d'éviter que d'autres soient tués et que la situation se transforme en crise chronique. Du courage intellectuel est nécessaire pour accepter l'existence des faits et en même temps les influencer. A un moment où il y a tant d'intérêts communs, notamment celui d'éviter l'émergence d'un nouveau Daech, le Conseil de sécurité doit être uni au lieu de se diviser comme il le fait aujourd'hui. Par ailleurs, il serait peut-être judicieux de créer un groupe plus restreint de pays, directement engagés, afin de trouver une formule qui n'est pas impossible du tout à ce stade – nous en sommes même très proches – pour « aider » M. Assad à faire ce dont il n'a aucune envie, mais qui est dans son intérêt, et pour « aider » aussi l'opposition à ne pas penser qu'elle peut remporter une guerre qu'elle n'a pas gagnée jusqu'à présent. Après tant de morts, c'est le moment d'aboutir.

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Merci pour cette remise en perspective et pour votre conclusion : vous nous placez devant le rendez-vous crucial de la stabilisation de la Syrie. C'est crucial non seulement pour ce pays, sa reconstruction et le retour des réfugiés, mais aussi pour éradiquer le terrorisme et faire en sorte qu'il n'y ait pas de résurgence de Daech. Tout est global. Il y a une prise de conscience nécessaire en France, dans l'Union européenne et dans tous les pays qui participent au processus.

Nous en venons aux questions, en commençant par celles des porte-parole des groupes qui souhaiteront s'exprimer.

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Merci pour cet exposé clair et précis sur un conflit complexe dans un « Orient compliqué », comme le disait le général de Gaulle. Il y a en effet les forces étatiques, du régime de Bachar al-Assad, les forces de ses alliés russe et iranien, celles de la coalition internationale menée par les États-Unis, qui combattent les premières en évitant soigneusement les secondes, les forces des différents groupes armés, plus ou moins liés à des groupes terroristes islamistes, dont évidemment Daech, les forces rebelles, qui peinent parfois à se distinguer des précédentes, et enfin les Forces démocratiques syriennes (FDS), principalement constituées d'éléments kurdes.

Les FDS sont le principal interlocuteur de la coalition internationale, qui les soutient activement et de manière opérationnelle. Nous le faisons car ces forces ne se confondent pas avec les milices islamistes et affichent un objectif clair : la libération du territoire syrien de toute occupation par des combattants de Daech, mais aussi par les forces du régime de Bachar al-Assad. Les FDS s'inscrivent néanmoins dans une démarche politique d'affirmation du peuple et du territoire kurdes, revendication indépendantiste qui dépasse largement les frontières.

Le 25 septembre dernier, une consultation sous forme de référendum a eu lieu au Kurdistan irakien sur la mise en oeuvre de l'indépendance, aboutissant à un résultat sans appel, avec 92,73 % d'avis favorables. Bien que non reconnu, le résultat du scrutin doit nous interroger. Surtout, les réactions des pays voisins, en particulier la Turquie, ne peuvent que nous inquiéter : après la proclamation du résultat, les liaisons aériennes avec le Kurdistan irakien ont été fermées, des exercices militaires ont eu lieu à proximité de la frontière, et des menaces de coupure des approvisionnements en pétrole et d'intervention militaire conjointe avec l'Iran et l'Irak ont été proférées – elles restent aujourd'hui en suspens.

Dans le cas où la région autonome du Kurdistan irakien proclamerait son indépendance de manière unilatérale, il est très probable que le gouvernement turc passe à l'offensive afin de contrer des velléités qui le menacent sur son propre territoire. Pensez-vous qu'une intervention turque pourrait avoir lieu sur toute la zone kurde bordant la frontière sud, y compris en Syrie ? Estimez-vous qu'une déstabilisation du nord de ce pays pourrait résulter d'une intervention militaire turque ? Et que peut-on faire pour s'en prémunir ?

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Merci pour votre intervention. On a beaucoup critiqué en Occident l'intervention russe en Syrie, mais on sait aujourd'hui qu'elle a été déterminante pour obtenir quelques résultats, même si d'autres pays ont également été parties prenantes. J'aimerais connaître l'avis du diplomate onusien que vous êtes sur cette intervention, déclenchée sans mandat de l'ONU.

Ma seconde question concerne le processus démocratique en Syrie. On sait que la démocratie ne s'impose pas : elle est le fruit d'une période de discussions, d'un travail, d'échanges entre différents mouvements et, finalement, de l'Histoire. Lorsque l'on a imposé la démocratie dans des pays que nous avons tous en tête, en particulier en Afrique du Nord, cela ne s'est pas bien passé. C'est terrible à dire, mais Assad est d'une certaine façon un rempart contre l'anarchie et le chaos, malgré tout ce qu'il peut faire – et nous en avons tous vu les images. Quel est votre avis sur un processus démocratique qui pourrait conduire à une situation pire encore que celle d'aujourd'hui ?

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Merci pour votre exposé, qui nous fait toucher du doigt la complexité de la situation. Vous avez bien fait d'en rappeler l'historique.

Comme vous l'avez dit, le Président français a essayé de reprendre l'initiative sur le dossier syrien depuis son élection au printemps dernier, en énonçant des priorités claires et en faisant des propositions concrètes. La création d'un groupe de contact sur la Syrie, qui se veut un forum de discussion plus restreint, réunissant l'ensemble des membres du Conseil de sécurité, est-elle susceptible de faire avancer les négociations et la transition politique ?

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Staffan de Mistura, envoyé spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour la Syrie

Permettez-moi d'attirer votre attention sur la carte de la Syrie : la partie grise contrôlée par Daech s'est heureusement beaucoup réduite, mais il y a plusieurs autres couleurs. Le vrai danger en Syrie, s'il n'y a pas de solution politique dans les prochains mois, est de voir l'actuelle fragmentation de facto se transformer en une partition soft, en zones d'influence – une zone turque dans le nord ; une zone gouvernementale, avec les Russes, jusqu'à Deir ez-Zor ; une zone kurde-arabe, soutenue par les Américains, vers la frontière iranienne, du nord au centre et peut-être au sud ; une zone d'influence jordanienne, avec l'approbation américaine et russe, à la frontière israélienne.

Il faut une transition politique rapide, avant que cette situation ne devienne chronique ; sinon, on assistera à une balkanisation du pays pour des années, chaque acteur ayant sa zone d'influence et essayant d'en déplacer la frontière, surtout le gouvernement syrien, qui va essayer de grignoter du terrain. Chacun essaiera d'apporter de l'aide à sa propre zone. Quant aux réfugiés, certains reviendront, mais la majorité attendra de voir comment la situation évolue.

J'aime beaucoup les Kurdes. J'ai longtemps travaillé avec eux lorsque j'étais en Irak et que Saddam Hussein essayait de les tuer. Ils ont d'immenses qualités : leur détermination, leur résilience, leur volonté d'avoir leur identité. Mais ils ont aussi beaucoup de divisions, malheureusement pour eux. La question du référendum concernait surtout les Kurdes irakiens. Ceux de Syrie ont également proposé un vote, mais sur leur autonomie, ce qui est différent de l'indépendance. Ils ont pour tradition de s'arranger tôt ou tard avec le gouvernement, ce qui n'est pas nécessairement le cas des Kurdes irakiens.

J'en viens à votre question sur les dangers d'une possible intervention militaire turque. En Syrie, l'hypothèse est en train de se concrétiser : hier et avant-hier, les forces turques ont commencé à pénétrer dans la zone d'Idlib où elles tentent de s'arranger avec al-Nosra pour éviter une bataille. Leur présence est « légitimée » par l'accord d'Astana entre la Russie, la Turquie et l'Iran. Le gouvernement n'a vraiment pas réagi de manière positive à la présence turque, mais il n'a pas non plus manifesté son opposition, en raison de la pression exercée par les Russes qui lui ont demandé de se calmer. Nous voyons ainsi que, quand les Russes veulent imposer quelque chose au Gouvernement, ils y parviennent.

Résultat : les Turcs vont probablement éviter pendant quelque temps d'engager une vraie bataille avec le Gouvernement et avec le groupe al-Nosra. Leur intention est d'empêcher l'unité des territoires qui s'étendent sur 990 kilomètres au sud de la frontière syro-turque où la communauté kurde essaie de créer un petit « État ». Les Turcs vont tout faire pour l'en empêcher et ils ont déjà réagi en étant présents là et en d'autres lieux.

Une fois que les Turcs seront rassurés sur le fait qu'il n'y aura pas un État complètement uni à cet endroit, on pourra imaginer la conclusion d'un arrangement entre le gouvernement syrien – surtout si un gouvernement plus ouvert arrivait au pouvoir – et les Kurdes sur une forme d'autonomie administrative. Une indépendance est difficilement envisageable. Dès qu'il est question d'indépendance, l'Irak, l'Iran, la Syrie et la Turquie se retrouvent contre les Kurdes. S'ils ne veulent pas que tous les autres s'unissent contre eux, les Kurdes sont condamnés à essayer d'obtenir le maximum sans déclarer ce qu'ils veulent par le biais d'un référendum comme ils l'ont fait.

En espérant ne pas me tromper, je pense que la Turquie ne va pas intervenir contre les Kurdes qui ont organisé un référendum en Irak. J'avais contribué à éviter le premier référendum de Kirkouk en expliquant aux Turcs et aux Kurdes que la présence des Américains et de l'ONU ne durerait pas éternellement, que seuls leurs voisins et les montagnes seraient toujours là, qu'il fallait trouver un accord, une manière de cohabiter. À la fin, les Turcs ont investi 2 milliards de dollars à Erbil. Il y a quand même un engagement et beaucoup de pourparlers. En Irak, l'intervention sera plutôt politique et économique que militaire. En Syrie, elle sera militaire mais avec la « bénédiction » de l'accord d'Astana.

Venons-en à la Russie…

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Staffan de Mistura, envoyé spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour la Syrie

Il y a beaucoup à dire sur le sujet et j'essaie de me limiter.

Selon le droit international, l'intervention des Russes n'est pas illégale puisqu'elle était réclamée par le gouvernement. Quand une intervention s'effectue à la demande d'un gouvernement en place, on ne peut pas dire qu'elle est tout à fait illégale. L'Europe, la France, l'Allemagne et les États-Unis ont d'ailleurs appliqué ce principe en Irak quand leur présence militaire était demandée pour combattre Daech. Vous aurez constaté qu'il n'y a jamais eu un vrai débat à l'ONU sur l'illégalité de la présence russe en Syrie. Le débat a plutôt porté sur la façon avec laquelle ils ont utilisé leur force militaire pour, par exemple, aider le gouvernement dans le bombardement d'Alep ou des hôpitaux.

Les Russes n'ont aucun intérêt à rester longtemps en Syrie, ne serait-ce que parce que des élections présidentielles auront lieu l'année prochaine en Russie. En outre, ils n'ont pas oublié leur expérience en Afghanistan. J'étais là, le matin où le dernier général russe a quitté Kaboul. Je les ai vus. C'est un traumatisme qu'ils ont bien surmonté. Poutine était un jeune officier à l'époque mais il s'en souvient. Enfin, leur présence n'est pas très soutenable sur les plans politique et économique. Avec 22 millions de sunnites sur son territoire, la Russie essaie d'entretenir de bons rapports avec l'Arabie saoudite. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas une bonne idée de rester trop longtemps. Les Russes ont un intérêt que nous partageons : trouver en Syrie une porte de sortie qui n'ouvre pas sur les mêmes paysages qu'en Libye ou ailleurs, où la chute des gouvernements a fait place au chaos. Dans ces cas-là, tout à coup émerge un nouveau Daech.

Dans certains pays du monde, la démocratie peut sans doute être appliquée d'une manière différente de chez nous, mais la tenue d'élections est importante. Les gens expriment un besoin d'élections à condition que celles-ci soient gérées par l'ONU. Le résultat du futur scrutin sera probablement marqué par le manque d'entraînement des Syriens qui ont vécu cinquante ans sans démocratie. Je constate ce manque lors des négociations : quand les Syriens ne sont pas d'accord, ils ne discutent pas, ils sortent de la pièce. Ils n'ont pas un gène de la négociation et Assad père leur demandait de choisir entre l'acceptation et la mort. Pour montrer leur désaccord, ils s'en vont. Les élections ne vont donc pas être faciles. Si je me réfère à celles que j'ai organisées en Irak et en Afghanistan, qui étaient loin d'être parfaites, je peux néanmoins dire que les habitants ont trouvé que c'était beaucoup mieux que le chaos qui les avait précédées. Nous-mêmes, en Europe, avons appliqué la démocratie à partir d'une certaine période.

Conclusion : il faut des élections. Vont-elles produire un autre homme – ou une autre femme ? Les femmes ne sont pas du tout représentées dans les délégations syriennes que je rencontre et je me bats pour empêcher qu'elles ne soient éliminées des pourparlers. Il peut émerger une forte personnalité – femme ou homme – à la tête de la Syrie avec une constitution qui lui donne des superpouvoirs comme celle d'aujourd'hui. La Syrie ne va pas devenir la Suisse prochainement ; nous savons que cela va prendre du temps.

Sans vouloir me mêler de la politique intérieure française, je pense que les lignes rouges tracées par le président Macron sont tout à fait légitimes, importantes et valables. Il y a eu des attaques chimiques, des horreurs. La paix humanitaire actuelle ne se passe pas bien, mais on n'est plus dans l'horreur vécue il y a un an ou un an et demi, quand des enfants crevaient de faim. Que l'initiative vienne du président Macron ou d'un autre, il est valable et fort de tracer une ligne rouge quand la situation humanitaire se dégrade à l'excès et quand une attaque chimique a été lancée.

À ce moment particulier – la fin d'une période sinon de la guerre –, il faut aussi insister pour que les cinq membres permanents du Conseil de sécurité se réunissent pour essayer d'éviter une partition, une dégradation, une guérilla de basse intensité, une absence de reconstruction, un non-retour des réfugiés. Nous le souhaitons. Est-ce que c'est possible ? Oui. Est-ce que c'est difficile ? Oui, parce que subsistent encore des intérêts différents.

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Merci, monsieur l'envoyé spécial, pour votre exposé qui nous a éclairés sur la situation en Syrie. La priorité est la fin des conflits plus que du conflit, si j'en juge par la situation que vous nous avez bien décrite. Il faut aussi régler le problème des réfugiés et éviter la balkanisation de la Syrie. Certains pensent et disent très fort que le départ d'Assad n'est pas une priorité. Qu'en pensez-vous ?

Le rapprochement entre Erdoğan et Poutine s'est concrétisé par l'installation de batteries antimissiles russes sur le sol de la Turquie. Ce n'était pourtant pas l'amour fou entre ces deux hommes. Ce rapprochement soudain est-il un moyen pour Erdoğan de punir l'Europe des positions qu'elle a prises concernant la politique intérieure de la Turquie ? Vers qui sont dirigées les batteries antimissiles russes ?

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Merci, monsieur l'envoyé spécial, pour les précisions que vous nous avez apportées. Vous avez répondu à la plupart des questions que je voulais vous poser au départ, mais vos interventions ont suscité chez moi d'autres interrogations. Je m'interroge notamment sur la situation des Kurdes et sur leur place autour de la table des négociations. Quel que soit le pays où ils vivent, les Kurdes doivent rester pour nous une préoccupation humanitaire et politique. Tout en étant une difficulté, cette question peut être la solution aux problèmes de cet espace.

Nous avons tous ici d'autres questions en tête : comment Daech a-t-il pu monter une armée aussi puissante ? Avec quels moyens ? Qui a payé ?

Votre intervention m'a aussi conduit à m'interroger au sujet des élections. Pour suivre un peu la question du Sahara occidental et le problème de l'identification des votants, je me demande comment il sera possible de valider une élection avec autant de millions de réfugiés et de déplacés. Qui va contrôler l'établissement des listes ? Qui va voter ? Où ? Comment le résultat va-t-il être accepté par toutes les parties ? C'est un véritable enjeu.

Vous avez aussi prononcé deux phrases qui me touchent. L'une concernait la constitution syrienne qui prévoit des pouvoirs exorbitants pour le chef de l'État. Je vais vous donner la Constitution de la Ve République française pour que vous mesuriez aussi les pouvoirs exorbitants du Président de la République de notre pays. Nous ne sommes certes pas dans la même situation, mais la comparaison peut être intéressante.

Dans une autre phrase, vous avez évoqué l'idée de punir ceux qui ont tué tellement de gens. Alors que j'étais un jeune adulte, j'avais été marqué par un journal télévisé diffusé en France. Tarek Aziz, ministre irakien des affaires étrangères, expliquait avec des mots sincères et touchants qu'il n'y avait pas d'armes de destruction massive dans son pays. J'ai encore les images en tête. Il proposait d'ouvrir les portes.

Malgré tout, on est allé faire la guerre là-bas. Cette intervention a, en quelque sorte, déclenché la déstabilisation et les événements dont nous discutons aujourd'hui. Ceux qui ont pris la décision d'intervenir militairement en Irak n'ont jamais été jugés. Ils ne se sont même jamais excusés d'avoir pris cette décision. Comme vous le dites, il faut punir ceux qui ont tué, ceux qui portent des responsabilités. L'ONU devrait peut-être se saisir de ce sujet, de manière à faire avancer les choses, car plus de justice peut aussi conduire à plus de paix.

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Staffan de Mistura, envoyé spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour la Syrie

Le départ de Bachar al-Assad est-il ou non une priorité ? Pendant six ans, tout semblait tourner autour de la nécessité de son départ, vu comme une manière de résoudre tous les problèmes. Première observation : rien n'a prouvé que les départs de Saddam Hussein et de Mouammar Kadhafi ont résolu tous les problèmes de leurs pays respectifs. Deuxième observation : Bachar al-Assad n'est pas parti ; il est là et assez sûr de lui-même. Au lieu de répondre, je vais demander aux Syriens de le faire, en leur donnant la garantie qu'ils ne seront pas arrêtés, battus et tués s'ils ne sont pas d'accord avec M. al-Assad. Cela signifie que les élections doivent être gérées par l'ONU. Si Assad acceptait les élections, nous pourrions anticiper et travailler dans le but d'obtenir un partage du pouvoir dans ce pays.

Les réfugiés doivent naturellement participer aux élections. Ce n'est pas difficile. Évidemment, c'est une perspective qui mécontente Bachar al-Assad. Quand je lui en ai parlé, il a dit que les votants devaient être dans le pays et avoir une carte d'identité. Il n'en est pas question. Les réfugiés sont des citoyens syriens qui sont partis et qui ont beaucoup souffert. Nous les connaissons puisqu'ils sont enregistrés par l'ONU en tant que réfugiés. Ils doivent participer et nous devons leur donner l'occasion de le faire. Qui doit diriger la Syrie ? Les élections devraient permettre de répondre à cette question mais il ne faut pas qu'il y ait une période de vide. Comme on a pu le constater en Libye et ailleurs, tout vide est aussitôt rempli par Daech ou par les drapeaux noirs d'al-Nosra.

Les Russes ont déployé des batteries de missiles S-400 – qu'ils sont d'ailleurs en train de vendre partout avec un certain succès – pour deux raisons principales. Tout d'abord, ils veulent éviter que les Turcs ne changent encore une fois d'avis. Ensuite, ils veulent rappeler aux Occidentaux qu'il y aurait un prix à payer si ceux-ci avaient la tentation d'être trop actifs en Syrie. Au temps où il évoquait sa fameuse ligne rouge, Obama aurait pu intervenir parce que les capacités de réponse étaient minimales. Actuellement, ce n'est plus le cas. J'imagine que ces batteries de dernière génération, assez efficaces, sont installées là-bas pour équilibrer les rapports de force.

Les Kurdes doivent faire partie du présent et du futur de la Syrie car ils représentent une partie importante de la population – je ne vais pas citer de chiffres parce qu'il en circule plusieurs. Leur participation sera essentielle lorsqu'il y aura des discussions sur la nouvelle constitution. Après ce qu'ils ont fait pour nous libérer de Daech, on ne peut pas imaginer qu'ils soient ignorés au moment où il sera question d'élections et de constitution.

Comment Daech est-il devenu aussi puissant ? Il me faudrait au moins quarante-cinq minutes pour vous l'expliquer. Un jour, dans un livre écrit par quelqu'un d'autre que moi, on trouvera beaucoup d'explications sur la manière dont ce monstre a été créé et aidé pour de mauvaises raisons. Comme tous les monstres, il est devenu dangereux pour tout le monde, y compris pour ceux qui ont contribué à le créer.

Punir les responsables, disions-nous. En Irak, j'ai visité les palais présidentiels et j'ai fait un rapport au Conseil de sécurité. Kofi Annan a pu venir en Irak et se rendre compte qu'il n'y avait pas de bombes atomiques ou d'armes chimiques dans les huit palais que j'avais visités. Paranoïaque comme il l'était, Saddam Hussein n'aurait jamais mis de l'aflatoxine dans son palais. Souvenez-vous, il en avait entreposé dans le poulailler d'une ferme. À l'époque de ces contrôles, il avait déjà tout détruit mais il ne voulait pas l'admettre car il voulait continuer à faire peur à son peuple et aux Iraniens. C'est un paradoxe tragique. Tarek Aziz disait la vérité lors de cette interview et j'ai beaucoup regretté qu'il soit mort en prison parce que, finalement, ce n'est pas lui qui avait pris les décisions les plus terribles. C'était un homme comme il y en a d'autres : il a servi son tyran.

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Monsieur l'envoyé spécial, je souhaiterais interroger le diplomate chevronné que vous êtes sur le format des négociations.

Vous avez évoqué les multiples initiatives qui se sont succédé au cours des dernières années pour essayer de résoudre la crise syrienne. Les négociations de Genève, qui se déroulent sous la houlette de l'ONU, en sont déjà à leur huitième round. Le processus d'Astana implique les Russes, les Iraniens et les Turcs. Le groupe de contact, créé à l'initiative de notre Président, devrait réunir les États-Unis, la Russie, mais aussi la Jordanie, l'Arabie saoudite et peut-être l'Iran.

La multiplicité des initiatives montre que les acteurs – américains, russes ou régionaux – se sentent concernés et cherchent vraiment à trouver une solution. En même temps, ces initiatives courent le risque d'entrer en concurrence entre elles, de brouiller un peu le message ou d'introduire de la confusion.

Les Américains font un blocage sur la participation iranienne au groupe de contact, à un moment où Donald Trump menace de refuser de certifier l'accord sur le nucléaire iranien, ce qui accroît encore la tension entre les deux pays. Savez-vous si les Américains sont disposés à revenir sur ce blocage ?

D'après votre expérience, quel est le meilleur format de négociations ? Est-ce un groupe de contact à dix ou quinze ? Ne pensez-vous pas que les discussions bilatérales entre les États-Unis et la Russie ont été souvent plus efficaces que les négociations de Genève ? Faut-il opter pour un format un peu modulable ? Dans ce dernier cas, il pourrait y avoir cinq acteurs autour de la table et des conversations parallèles et privées avec les acteurs de la région quand les Américains refusent de parler aux Iraniens, les Turcs aux Saoudiens, et ainsi de suite.

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Avant d'en venir à mes questions qui risquent de vous embarrasser un peu car elles concernent la France, je voudrais faire une remarque.

Quand on vous écoute, on a l'impression que la diplomatie internationale essaie d'en revenir aux accords Sykes-Picot, avec des protagonistes différents puisque les Américains et les Russes ont pris la place des Anglais et des Français. Les Américains se concentrent sur l'Irak et les Russes sur la Syrie. Pourtant, étant un peu historien, j'ai l'impression que l'Irak, la Syrie et le Liban n'ont pas une tradition unitaire très forte. Je ne suis pas sûr que tous les Syriens se sentent très syriens et tous les Irakiens très irakiens. Les accords de Sykes-Picot n'ont duré que dans la mesure où les grandes puissances de l'époque pouvaient intervenir. L'attitude postcoloniale consiste à vouloir maintenir les États à tout prix. Défendue par la diplomatie française, par Laurent Fabius en particulier, cette position me paraît assez aléatoire dans une région comme le Moyen-Orient.

En ce qui concerne la Syrie, j'aimerais avoir votre sentiment sur la diplomatie française. Pour ma part, j'ai été très frappé, comme beaucoup de mes collègues, par ses errements. Nous avons eu un président tout feu tout flamme qui voulait attaquer Assad, puis qui s'est aligné progressivement sur la position américaine. Le Président de la République actuel a fait deux ou trois déclarations, d'ailleurs un peu contradictoires, mais la ligne n'est pas encore bien fixée. Au départ, il semblait plus ouvert que son prédécesseur à une discussion avec le président syrien mais il semble revenu à une attitude un peu plus dure depuis quelques semaines. En réalité, on ne sait pas trop ce que veut la diplomatie française et on se demande même ce qu'elle vient faire dans cette galère.

Nous avons aussi eu des échos extrêmement difficiles à accepter – mais non démentis – sur la présence de Français aux côtés d'al-Nosra, au début de la campagne contre le régime de Bachar al-Assad. Le ministère de la défense n'a pas vraiment nié avec force que des forces spéciales et des soldats français aient formé des éléments d'al-Nosra. Je suppose que vous en avez entendu parler même s'il vous sera sans doute difficile de le reconnaître. Des témoins locaux savent que de l'armement français a été retrouvé. Que pensez-vous de l'attitude de la diplomatie française ? Quel peut être le rôle de la France dans cette affaire où on a l'impression que nous sommes très marginalisés historiquement devant les deux grandes puissances que sont la Russie et les États-Unis ?

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Avant de donner la parole à M. Joachim Son-Forget, je tenais à dire publiquement que je le remercie de nous avoir aidés à entrer en contact avec vous, monsieur l'envoyé spécial.

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Monsieur l'envoyé spécial, je voudrais saluer votre travail et votre persévérance. Vous avez su persévérer là où d'autres ont peut-être jeté l'éponge et votre rôle devient encore plus important à un moment où le conflit armé, à proprement parler, touche à sa fin.

Nous assistons à la consolidation de la présence des restes de Daech dans la moyenne vallée de l'Euphrate, autour de Deir ez-Zor. C'est même parfois un peu cynique puisque les derniers combattants de Daech dans la Bekaa, au nord du Liban, ont été envoyés par bus jusqu'à Deir ez-Zor. Nous en arrivons à un stade où les forces soutenues par le régime et les Russes, d'un côté, et les forces occidentales, de l'autre, vont s'intéresser au contrôle de champs pétrolifères et gaziers. Une fois Daech éliminé, ils n'auront plus de prétexte pour se disputer. L'ONU devra alors prendre toute sa place pour éviter que ce conflit ne se transforme en un partage de ressources. Qu'allez-vous faire, quel processus d'intégration va-t-on enclencher pour tous les civils qui accompagnaient Daech ?

Ma deuxième question porte sur un sujet qui me tient à coeur : les couloirs humanitaires et l'accès des soignants, la protection des soignants partout sur le territoire syrien. Au cours des dernières semaines, nous avons assisté à un regain de frappes aériennes sur plusieurs hôpitaux autour d'Idlib, de Hamah, du malheureusement célèbre Khan Cheikhoun. Que peut-on faire pour assurer la protection des soignants partout où ils se trouvent ? Alors qu'une partition se profile à l'horizon, nous avons un souci : certaines organisations non gouvernementales (ONG) interviennent via la Turquie et elles ne pourront pas forcément retourner du côté kurde. Comment les Nations Unies pourraient-elles assurer au mieux la sécurité des soignants où qu'ils se trouvent ? Tout civil et tout soignant doit être respecté dans un conflit.

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Ma première question concerne les chrétiens d'Orient. En ce moment, l'Institut du monde arabe à Paris organise une magnifique exposition sur leur sort. L'indice mondial des persécutions des chrétiens, qui est élaboré chaque année par un réseau d'ONG présentes sur le terrain, a permis d'établir un classement des cinquante pays où les chrétiens sont les plus opprimés en raison de leur foi. Ce classement confirme que la montée de l'influence du fondamentalisme islamique et de l'organisation terroriste Daech a provoqué une très forte aggravation de la persécution des chrétiens dans certains pays du Proche-Orient et du Moyen-Orient – je veux parler de l'Afghanistan, du Pakistan, de l'Irak, de l'Iran et, bien sûr, de la Syrie qui nous occupe aujourd'hui.

Dans tous ces pays, les chrétiens sont non seulement privés du droit d'exercer librement leur religion mais ils sont en outre exposés à des persécutions, à des menaces sur leur vie et font l'objet de multiples discriminations. Qui les défend ? Qui s'en occupe ? En vérité, personne. Je voudrais rappeler deux chiffres : les chrétiens de Syrie étaient au nombre de 160 000 avant la guerre ; ils ne sont plus qu'une poignée, entre 30 000 et 40 000 personnes. Ceux qui restent doivent réapprendre à vivre après le départ des groupes armés. Est-ce que l'ONU envisage de reconnaître le génocide des chrétiens d'Orient ? On peut saluer ici le travail de nos collègues eurodéputés qui ont adopté, en février 2016, une résolution sur le massacre systématique des minorités religieuses par le soi-disant État islamique en Irak et en Syrie.

Ma deuxième question porte sur les « revenants » ou returnees, peu importe le nom qu'on leur donne. Monsieur l'envoyé spécial, nous sommes ici au lendemain d'un nouvel attentat qui a tué deux jeunes filles à Marseille, dans des conditions absolument abominables. Cet attentat nous conduit à nous interroger sur notre propre organisation et sur ce que nous devons faire. Selon l'Élysée, 700 adultes français se trouvent dans des zones djihadistes en Irak et en Syrie, dont un tiers de femmes et 500 mineurs dont la moitié est née sur place et a moins de cinq ans. Environ 2 000 Français ou résidents en France sont partis dans ces deux pays, l'Irak et la Syrie, et 200 ou 300 y auraient été tués. Le ministre de l'intérieur avait annoncé début août que 217 majeurs et 54 mineurs venant de zones de combats en Irak et en Syrie étaient rentrés en France. Que fait l'ONU face à ce flux de terroristes, en tout cas de bombes à retardement qui vont arriver en France ou qui y sont déjà ? Certains mineurs sont peut-être scolarisés sans aucun suivi. En fait, on ne sait rien.

Ma troisième question est relative aux conditions de détention des prisonniers en Syrie. Il semblerait que les prisons syriennes soient devenues le théâtre d'atrocités : on torture, on viole, on assassine chaque jour avec toujours plus de cruauté. Amnesty International estime que plus de 17 000 personnes y ont été tuées depuis le début du conflit, il y a cinq ans. Ces pratiques inhumaines vont bien sûr à l'encontre du droit international et des dispositions prévues par la résolution 2139 du Conseil de sécurité des Nations Unies. Il s'agit, pour beaucoup, de crimes de guerre. Dans ces circonstances, je voudrais savoir si des observateurs indépendants des structures de détention sont autorisés à enquêter sur les conditions de détention et à s'entretenir librement avec des personnes ayant été emprisonnées. Est-ce que l'ONU envisage des actions ? Si oui, lesquelles ?

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Staffan de Mistura, envoyé spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour la Syrie

Il est vrai que nous en sommes au huitième cycle de négociations, après quatre séries de pourparlers à Astana. Les initiatives ne se font pas concurrence et jouent chacune un rôle à la fois utile et limité.

Nous sommes dans un contexte de désescalade. Quand les Russes, les Iraniens et les Turcs se mettent d'accord, ils ont de l'influence sur ceux qui ont une possibilité d'arrêter la guerre : la guérilla, le gouvernement et d'autres. La mission des pourparlers d'Astana est de parvenir à ce genre d'accords. Les négociateurs s'y sont employé, avec notre soutien, et ils poursuivent un travail de stabilisation.

Cependant, pour vraiment stabiliser la zone, il faut en passer par un processus politique élaboré à Genève. Si vous posez la question aux Russes, vous entendrez la même histoire. Ils font semblant de mettre Genève et Astana en concurrence mais, en définitive, ils savent que trois pays et quatre observateurs ne peuvent pas remplacer l'ONU qui apporte la sécurité accompagnant la légitimité internationale.

Astana ne doit pas aller au-delà de son mandat. Il peut être tentant de chercher un shortcut, un raccourci, une petite ruelle pour aller plus vite vers ce qui semble la paix. En réalité, il faut faire la paix à Genève, au terme d'un processus politique qui prenne en compte tous les aspects et pas seulement l'arrêt de la guerre. Sinon, la guerre repartirait dans quelques mois. Aucun cessez-le-feu ne tient le coup longtemps s'il n'y a pas au moins un horizon politique, comme on l'a vu en Irak.

Qu'en est-il des groupes de contact ? Du point de vue américain, le problème est l'Iran, sans aucun doute. En diplomatie, il faut aussi faire preuve de créativité. On peut avoir des cercles conjoints, différentes salles de réunion, des groupes à géométrie variable. Il existe nombre de formules pour contourner le problème. À Genève, nous avons tous les jeudis une réunion de l'équipe de surveillance de la cessation des hostilités (Cessation of Hostilities – CTF) ou du groupe de travail sur l'accès humanitaire (Humanitarian Task Force – HTF) avec vingt-sept pays. Les Iraniens et les Américains sont assis à la même table et ils y restent. Lors de l'Assemblée générale, ils restent. Quand l'Iran intervient dans une réunion du Conseil de sécurité, les Américains ne sortent pas. Il faut trouver des formules pour mieux présenter tout cela.

Une chose est sûre : les Américains et les Russes ne peuvent pas résoudre la crise à eux seuls. D'une part, la région compte beaucoup. D'autre part, depuis l'élection de M Trump, les Américains ne sont plus intéressés que par trois ou quatre points du dossier syrien. Pour le reste, ils ont tendance à considérer que c'est la Russie qui doit trouver la solution. Selon la formule de Colin Powell, « You break it, you own it ». Autrement dit : vous vous êtes engagés, à vous de trouver une issue car, pour nous, la Syrie est assez marginale. Cette façon de négocier peut avoir son efficacité parce que, tout à coup, les Russes sont assez pressés de résoudre le conflit, pour ne pas rester avec le problème sur les bras l'année prochaine.

En évoquant les accords Sykes-Picot, monsieur le député Goasguen, vous touchez un point qui mérite une longue réponse. Je peux vous dire que j'étais en Irak et en Afghanistan et je me souviens qu'un brillant académicien s'était demandé pourquoi on ne réglait pas cette affaire. En Afghanistan, Mazar-e-Charif, Kaboul et Kandahar ont des identités complètement différentes. En Irak, il y a le Kurdistan irakien et la province d'al-Basra où les femmes sont complètement voilées et les chiites majoritaires, mais il y a aussi la province d'al-Anbar où les sunnites refusent la cohabitation avec les chiites. Pourquoi ne pas opter pour une partition ? Si cela ne s'est pas produit, c'est que le prix à payer était trop élevé : si on ouvre la boîte de Pandore, on se retrouve tout à coup dans une situation qui peut devenir ingérable. En plus, honnêtement, même quand vous parlez avec des Kurdes irakiens, ils se définissent aussi comme Irakiens. Cet élément les aide. Toujours est-il que la boîte de Pandore est restée fermée pour le moment, mais le danger est toujours présent.

Il est vrai qu'un accord entre les Américains et les Russes permet de clarifier de nombreux problèmes. Cela étant, l'actuelle administration américaine a abordé la résolution de la crise syrienne avec trois priorités explicites. La première consiste à faire ce que M. Obama n'a pas fait : libérer Raqqa et pouvoir ainsi dire que Raqqa est libérée et Daech battu. La deuxième consiste à empêcher l'influence iranienne de s'exprimer à la frontière syro-irakienne – le « croissant chiite ». Troisième priorité : aider Israël à ne pas se sentir menacé. Si, en plus de tout cela, il est possible de stabiliser la Syrie, de permettre le retour des réfugiés et de trouver une solution politique, alors soit, mais ce n'est pas à cette fin que les États-Unis concentreront leur énergie. Qui donc le fera à leur place ? Les Russes, qui veulent partir et, de ce fait, orienter les vents de sorte qu'ils soufflent dans le sens d'une paix durable en Syrie. De ce point de vue, la France, en tant que membre du Conseil de sécurité des Nations Unies, peut jouer son rôle.

Que se passera-t-il à Raqqa et à Deir ez-Zor ? Je pense comme vous, monsieur Son-Forget, que la reine ou le roi seront nus. On prétendra avoir gagné contre Daech, mais ne s'agira-t-il pas simplement d'avoir battu ce groupe dans les deux villes susmentionnées ? La victoire ne sera acquise que par une solution politique. Autrement, c'est qu'aucun enseignement n'aura été tiré de Mossoul. Répéter l'histoire trois fois reviendrait à commettre une véritable bêtise et je me sentirais moi-même en difficulté, ayant vécu cette histoire.

Les bombardements qu'effectuent le gouvernement syrien et l'aviation russe sont très regrettables et il faut insister sur le fait que les hôpitaux doivent être épargnés. Hélas, tous les camps les ont ciblés, pour la raison suivante : dans cette guerre, qui est l'une des pires que j'ai connues dans ma vie professionnelle, les hôpitaux – sur le toit desquels, pour les protéger, nous avions un temps envisagé de planter le drapeau de l'ONU, ce qui n'aurait eu pour seul effet que de donner une raison supplémentaire de les bombarder, et que nous avions envisagé de transformer en hôpitaux souterrains secrets, ce qui aurait incité les belligérants à les cibler au motif que des armes pourraient y être cachées, ce qui, d'ailleurs, s'est peut-être produit dans certains cas – ont été frappés pour pousser la population civile, en particulier les familles comprenant de nombreux enfants, à quitter la ville de Raqqa, la laissant livrée aux seuls terroristes et autres combattants, à l'abri des regards. La seule manière de contrecarrer cette terrible stratégie consiste à constamment frapper du poing en public. Les derniers rapports montrent d'ailleurs que ces bombardements sur les hôpitaux ont cessé après que l'ONU et d'autres, Amnesty International par exemple, ont protesté.

S'agissant de la situation des chrétiens d'Orient, j'ai rencontré le pape, qui en est très préoccupé, ainsi que de nombreux représentants de cette communauté et d'autres parties prenantes. Ceux d'entre vous, nombreux j'en suis sûr, qui se sont rendus dans la région sont certainement touchés par le fait qu'il s'y trouve toutes les confessions chrétiennes du monde, y compris les plus authentiques, en quelque sorte, puisque la langue de Jésus y est toujours parlée. Elles sont un trésor qui va bien au-delà de la religion chrétienne – à laquelle j'appartiens, ma foi étant l'une des raisons pour lesquelles je travaille pour l'ONU, car il faut bien donner un but à sa vie – et se trouvent dans une situation terrible. Le paradoxe des chrétiens d'Orient tient au fait qu'ils sont minoritaires mais souvent liés aux gouvernements, en particulier des gouvernements qui ont semblé les utiliser en faisant mine de les protéger à condition qu'ils se tiennent tranquilles. Ce fut le cas sous Saddam Hussein – Tarek Aziz était d'ailleurs chrétien ; c'est aussi le cas en Syrie. J'ai eu avec M. Assad des discussions difficiles, et pour cause : on ne peut pas bombarder une ville entière sous prétexte que l'un de ses bâtiments abrite une poignée de gangsters. Quoi qu'il en soit, les chrétiens se sentent protégés par le gouvernement syrien face au drapeau noir, dont ils connaissent les pratiques.

J'ai récemment rencontré deux des archevêques de Syrie, madame Boyer. Au moins le fait que Daech ne remporte pas la victoire semble-t-il se confirmer, mais le retour de Daech dépendra de nous : apprendrons-nous la leçon de Mossoul ? Le temps de l'avancée de Daech, néanmoins, est derrière nous, mais cette organisation resurgira si nous ignorons la leçon. En tout état de cause, certains chrétiens sont en train de retourner chez eux, d'autres ne sont jamais partis.

Vous parlez de génocide : Mme Amal Clooney a pris des initiatives concernant les yézidis. Vous connaissez sans doute l'histoire de cette communauté incroyable qui ne porte jamais de vêtements bleus et qui croit descendre de l'archange Gabriel venu sur terre pour y combattre le diable. Cette minorité attachante, pacifique et pourtant menacée par tout le monde pour apostasie, symbolise à elle seule le devoir de protéger toutes les minorités. J'espère que l'ONU décidera de déclarer que les minorités chrétiennes et autres, comme les yézidis, ont subi un génocide ou une tentative de génocide.

S'agissant de la question des 700 ressortissants français de retour de Syrie après avoir rejoint Daech, l'ONU n'a pas le pouvoir d'agir – il faut parfois savoir reconnaître ses limites. C'est une question nationale qui relève du ministère de l'intérieur français et des autorités compétentes en matière d'intégration, et aussi de la coordination européenne à travers Europol, mais l'ONU n'aurait pas sa place tant il faut en l'espèce étudier chaque cas selon les pays. Sur ce point, la coordination de l'information est essentielle pour harmoniser la méthode employée. Ces personnes posent en effet problème, mais ce sera un problème mineur une fois Daech battu : certes, sept cents personnes représentent déjà un nombre notable, mais faible en comparaison des 40 000 personnes qui auraient pu constituer le nouvel État islamique de Daech.

À cet égard, permettez-moi une parenthèse pour rendre hommage aux femmes kurdes. Si je dois un jour retenir une contribution que j'aurais pu apporter à cette mission, ce sera celle-ci : Kobané. C'est un petit village kurde dans lequel les femmes, en particulier, ont résolu d'interrompre l'attaque de Daech. Nombreux étaient les pays qui se désintéressaient totalement de cette localité : les Américains ne lui accordaient aucune valeur stratégique, les Turcs étaient mécontents, certains pays européens s'interrogeaient. Or, Kobané fut la première barrière face à Daech. Je me suis battu, cartes à l'appui, dans la presse, pour faire comprendre que Kobané était le symbole de la lutte contre Daech. De nombreux jeunes venus de France ou de Belgique pensaient alors que Daech avait des airs de Che Guevara : la victoire, les voitures blanches et les drapeaux noirs que nul ne saurait arrêter parce que l'histoire est avec eux. Pourtant, 247 femmes kurdes ont arrêté l'histoire du drapeau noir.

La question de la torture dans les prisons est fondamentale. Son usage est avéré mais le gouvernement syrien refuse de le reconnaître. Sur les quelque 100 000 détenus, peut-être 150 000, le gouvernement n'a pas libéré un seul des véritables prisonniers politiques ; il en a libéré d'autres sous la pression, mais nous ignorons qui ils sont et même s'ils sont vivants.

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Ma question, monsieur l'envoyé spécial, ne portait pas seulement sur les prisons gouvernementales, mais sur toutes les prisons syriennes.

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Staffan de Mistura, envoyé spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour la Syrie

Vous avez raison, mais les prisons gouvernementales abritent 100 000 détenus contre quelque 400 seulement pour les prisons de l'opposition. S'agissant des personnes détenues, enlevées ou disparues, il est vrai que l'opposition a pris de nombreuses personnes, mais c'est sans comparaison avec le gouvernement. En outre, certains détenus ont été libérés dans les zones reprises à Daech. Le vrai problème concerne les 100 000 personnes détenues par le gouvernement, dont l'entourage – environ 400 000 personnes – exige d'avoir des nouvelles. Nous ne cessons de solliciter le gouvernement en ce sens en tâchant de le persuader que s'il veut faire un geste afin d'être pris au sérieux pour l'avenir de la Syrie, il doit au moins donner les noms des détenus encore vivants.

La Croix-Rouge s'est saisie de cette question et effectue des visites, mais elle ne peut se rendre dans toutes les prisons, qu'elles soient du gouvernement ou de l'opposition. En clair, il faut maintenir la pression morale.

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Permettez-moi avant toute chose, monsieur l'envoyé spécial, de vous exprimer tout mon respect pour votre engagement, au péril même de votre sécurité : vous êtes un homme de paix.

Je commencerai par me faire l'écho de mon collègue Jacques Maire en vous interrogeant sur les réfugiés : quel est l'état d'esprit des différentes parties – gouvernement syrien, Russie, Turquie, Iran, Kurdes, États-Unis, France – concernant le retour des réfugiés syriens dans le cadre d'un processus de sortie de crise ?

Ma deuxième question a trait à l'utilisation d'armes explosives, notamment à large rayon d'impact, dans les zones peuplées – un sujet auquel vous vous êtes dit sensible. Ces bombardements massifs entraînent des déplacements forcés et empêchent le retour des réfugiés dans les zones frappées puisque les explosions peuvent être différées. Avez-vous eu connaissance de la campagne lancée par l'organisation non gouvernementale française Handicap International, qui entend interdire le recours aux bombardements intensifs sur les zones peuplées ? Quelle est la position de l'ONU sur ce sujet, en Syrie et ailleurs ?

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À la lumière de tous les propos qui viennent d'être tenus par nos collègues et par l'envoyé spécial, que je remercie pour la précision de ses réponses, nous assistons semble-t-il à un renversement d'alliances dans cette partie du monde et, en particulier, à une baisse de l'influence américaine dans la grande région du Moyen-Orient. Un pays majeur pour l'OTAN en est l'illustration : la Turquie. Elle qui fut depuis 1952 l'avant-garde, le pion le plus avancé de l'OTAN, se trouve aujourd'hui en proie à un incroyable tourment. Nous sommes en effet face à une situation stupéfiante, que vous n'avez pas relevée et qui est à front renversé : la Turquie, membre de l'OTAN, combat les Kurdes qui sont eux-mêmes soutenus par les Américains. Autrement dit, voici un allié des États-Unis qui combat les gens que les États-Unis défendent. Or, il s'est produit un coup de force diplomatique et politique : les Russes sont parvenus à vendre des missiles S-400 de dernière génération – des missiles antiaériens de longue portée – à la Turquie. Sur ce point, vous avez apporté une réponse soft, estimant que les Turcs, en se dotant d'armes russes, laissaient entendre qu'ils pourraient changer d'alliance. Je n'en crois rien : les Turcs ont acheté ces missiles pour frapper et terroriser les Kurdes, voilà la vérité !

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Staffan de Mistura, envoyé spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour la Syrie

Les Kurdes n'ont pas d'avions.

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C'est exact. Dans ce cas, ce serait pire encore s'il s'agissait de faire comprendre aux Américains que les Turcs sont capables de les toucher éventuellement.

Quoi qu'il en soit, face à la forte perte d'influence des États-Unis dans la région, comment pensez-vous que les Américains puissent encore conduire ces pays occupés, en situation de guerre, sur le chemin de la paix ?

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Si Bachar al-Assad reste au pouvoir et que les structures de l'État et de l'économie restent inchangées en Syrie, un accord politique est-il envisageable ? Outre les questions territoriales, une réforme profonde de l'État est-elle un sujet abordé dans les discussions en cours ?

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Je vous remercie, monsieur l'envoyé spécial, de nous faire partager votre profonde connaissance de cette région si compliquée. Ma question porte sur les yézidis, que vous avez évoqués. Leur culture et leur religion plurimillénaires sont uniques au monde. Les yézidis ont besoin de justice ; les enquêteurs de l'ONU et le Parlement européen ont reconnu leur génocide et l'Assemblée nationale et le Sénat ont adopté des résolutions invitant de même à le reconnaître officiellement. Daech, les considérant comme des adorateurs du diable précisément parce qu'ils s'opposent au diable, a détruit la plupart des villes et des lieux où ils vivaient. Les femmes et les filles ont été vendues et asservies sexuellement par les combattants de Daech ; les garçons ont été endoctrinés, entraînés et utilisés dans les combats. Il se produit donc une perte d'identité certaine. Les villages non déminés, les maisons détruites, les blessures subies par cette culture, la quasi inexistence de sa représentation officielle sont autant de facteurs qui portent à croire que nous assistons à la mort annoncée d'une culture.

Après ces destructions massives et maintenant que Daech recule à grands pas et que certaines zones sont libérées, peut-on envisager que le peuple yézidi se reconstruise sur les ruines de son habitat et de son identité ? En effet, il n'est pas possible de transposer cette culture dans d'autres régions, comme en atteste le fait que toutes les diasporas yézidies s'achèvent par la déculturation et l'assimilation aux pays où elles se trouvent.

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Ma première question concerne plutôt notre commission : pensez-vous, monsieur l'envoyé spécial, que la nation française puisse être amie avec un peuple sans forcément être amie avec son dirigeant ? Je vous pose la question parce que le groupe d'amitié France-Syrie de l'Assemblée nationale est gelé.

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Ce groupe d'amitié va devenir un groupe d'études à vocation internationale.

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D'où ma question : je regrette qu'il ne s'agisse plus d'un groupe d'amitié.

J'en viens à ma deuxième question. Je souscris à l'avis de Claude Goasguen sur nos errements non pas seulement depuis cinq ans mais depuis dix ans – rappelons en effet que c'est la diplomatie de Nicolas Sarkozy qui a fermé l'ambassade de France et le lycée français à Damas, suite à quoi la diplomatie de François Hollande a adopté une position très ferme qui nous a clos toutes les portes. Je me suis rendu en Syrie il y a deux ans lors d'un voyage que l'on pourrait qualifier de « corsaire », et je m'y trouvais le jour où ont eu lieu les premières frappes françaises.

Qu'en est-il de la réconciliation entre Syriens ? Il y a certes des communautés, mais aussi des gens qui ont un fort sentiment patriotique d'appartenance à un pays qui s'appelle la Syrie. Deux camps s'opposent, les fidèles du régime et les rebelles, mais un élément me fait penser qu'une réconciliation est possible. Il relève de la symbolique et la France y participe beaucoup, puisque sa présence culturelle en Syrie demeure importante, une grande partie des cadres culturels syriens ayant été formés à Paris en particulier dans le domaine de l'archéologie – le directeur du musée de Damas par exemple, que j'ai eu l'occasion de rencontrer, a été formé à Paris. Or, en pleine guerre, il s'est produit une collaboration exceptionnelle entre les rebelles et les fidèles du régime pour sauver les trésors archéologiques. Cela témoigne déjà du fait qu'une réconciliation est possible au-delà de la situation et des différences actuelles. Ce petit symbole culturel me semble porteur d'espoir. Quel est votre sentiment sur une potentielle réconciliation dans les années qui viennent ?

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Je précise que le bureau de notre commission se saisira de la question des groupes d'amitié lors de sa réunion de la semaine prochaine.

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Je me suis rendue en Syrie au tout début des révolutions arabes, en 2011, et, comme des milliers de jeunes, j'ai aspiré à la démocratie, à la liberté, à l'ouverture, à la possibilité de m'exprimer. Je me suis également rendue en Tunisie et en Égypte. À l'époque, nous, jeunes Arabes, fûmes profondément déçus par le revirement égyptien de 2013 et par l'entêtement du régime syrien à ne pas partir. Comme ces milliers de jeunes, j'étais initialement en faveur du départ d'Assad, pensant que la vie était soit toute blanche, soit toute noire. Je me suis aperçue plus tard que la réalité est bien plus complexe ; le monde ne se réduit pas aux bons d'un côté et aux méchants de l'autre. Ittafaka al-Arab an la yattafik, écrivait Ibn Khaldoun : les Arabes se sont mis d'accord pour ne pas être d'accord – c'est hélas la réalité. Que pensez-vous du fait que les pays arabes ne parviennent plus à s'entendre sur la Syrie, et de l'escalade entre le Qatar et d'autres pays voisins ? Que peuvent faire les diplomaties française et européenne pour débloquer rapidement la situation ? On sait bien qu'au-delà d'un premier pilier constitué des États-Unis et de la Russie, la solution repose sur un deuxième pilier : un accord entre les pays arabes.

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Il y a quelques années, la Syrie entretenait déjà des relations tendues avec son voisin libanais. Puis Daech est apparu ; aujourd'hui, ce groupe recule au point qu'il n'en reste plus qu'un tout petit bloc en Syrie. Comment envisagez-vous l'évolution des relations entre la Syrie et le Liban ?

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Je vous remercie pour votre exposé et pour votre engagement, monsieur l'envoyé spécial. Ma question porte sur le respect du droit international humanitaire dans cette zone de conflit. Dans ce domaine, les besoins de la Syrie sont considérables, compte tenu des conséquences désastreuses du conflit. Des attaques encore commises contre des structures médicales empêchent d'accéder aux soins de santé primaires. Récemment, l'organisation Médecins du Monde a appelé les parties prenantes à faire respecter le droit humanitaire, à permettre l'accès aux zones de conflit, à faciliter l'accès aux soins des populations et à modifier les zones de désescalade pour garantir la sécurité des civils. Ces mesures sont-elles respectées ? Dans le cas contraire, quelles sanctions pourraient être envisagées ?

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Staffan de Mistura, envoyé spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour la Syrie

On peut selon moi penser que le retour des réfugiés syriens fera l'unanimité des pays voisins. Songeons-y : la Turquie veut que les deux millions de réfugiés qu'elle abrite retournent chez eux. Quant au Liban, il en fait une priorité fondamentale, comme l'a rappelé le président Aoun. J'aime le Liban, où j'ai vécu cinq ans, et je comprends le problème auquel il est confronté : il a subi une guerre civile liée à une manipulation d'un groupe de réfugiés, les Palestiniens, et accueille aujourd'hui un nombre de réfugiés qui, transposé à l'échelle de la population des États-Unis, atteindrait 100 millions – imaginez ce qu'une telle situation entraînerait ! Le Liban a tenu le coup, mais il subit une très forte pression.

Cela n'enlève rien au fait que les réfugiés doivent pouvoir retourner dans leur pays lorsqu'ils ont le sentiment que c'est possible. Mon père, qui était italien, s'est réfugié en Suède pendant la deuxième guerre mondiale. Je sais ce que signifie le fait pour un enfant – j'avais alors un passeport italien et un autre suédois – de passer la douane quand son propre père y est interrogé et retenu. Les réfugiés ont le droit de décider eux-mêmes du moment où ils sont sûrs de pouvoir retourner chez eux, plutôt que d'y être poussés. Cela étant, tous les pays s'accordent sur le fait que les réfugiés doivent pouvoir rentrer en Syrie, y compris les pays européens. Je ne vois donc pas de problème majeur, à l'exception peut-être d'un seul : le gouvernement voudra obtenir de solides garanties avant d'accepter le retour de réfugiés qui ne lui sont pas toujours favorables. Par ailleurs, il aura besoin de main d'oeuvre pour reconstruire le pays et, si les réfugiés ne rentrent pas, les autres pays n'investiront pas, faute de garanties suffisantes concernant leur retour.

Il est utile de s'arrêter longuement sur la question des réfugiés car non seulement ils le méritent, mais c'est un problème à la fois national et international. En clair, tous les pays s'accordent sur le fait qu'il faut aider les réfugiés à rentrer chez eux en sécurité.

J'en viens à l'utilisation des bombes explosives à Alep – les bunker busters, ces projectiles servant à détruire des bunkers – qui sont terribles. Une campagne de Handicap International est naturellement bienvenue.

Il est vrai que la situation de l'OTAN et de la Turquie est paradoxale. Cela étant, la situation politique évolue très rapidement dans cette région. Elle n'est pas toute blanche ou toute noire, mais parfois grise aussi : la Turquie est membre de l'OTAN mais achète les meilleurs missiles russes – ou parmi les meilleurs car, en réalité, il semble que les Russes produisent désormais des missiles S-500, tant il est vrai que vendre ses meilleurs missiles n'est pas une très bonne idée… Quoi qu'il en soit, elle vend des missiles antiaériens à un pays de l'OTAN : cette décision comporte un message de part et d'autre. Je m'arrête là car pour le reste, nous verrons ; disons que la situation se caractérise par une certaine fluidité.

J'ai malgré tout beaucoup d'espoir concernant le rôle des États-Unis. D'une part, le précédent Bush en Irak les incitera peut-être à ne pas déclarer la mission accomplie une fois Raqqa libérée. Ensuite, la stabilisation de la Syrie a des implications internationales. Enfin, les États-Unis ont intérêt à éviter que l'Iran ne soit trop influent en Syrie. Pour ces trois raisons, ils dépasseront peut-être les trois priorités que j'évoquais plus tôt et souhaiteront qu'une solution politique stable soit trouvée – ce que la France souhaite également. À défaut, on ne fera que reporter le règlement du problème.

La paix peut-elle avoir lieu si Assad reste au pouvoir ? Je ne peux pas répondre à cette question. Je peux simplement dire que de nombreux fils, femmes, parents syriens ont été tués par les bombes de M. al-Assad. Sur 400 000 morts, les trois quarts ont été tués par le régime, le dernier quart par les autres. Il y aura donc 300 000 familles pour lesquelles M. al-Assad n'apporte aucune assurance. Quoi qu'il en soit, il ne m'appartient pas de répondre. Si de vraies élections sont organisées par l'ONU et que les organisations de sécurité – les mukhabarat, à cause desquels les gens craignent de voter ou de retourner dans le pays – sont réformées, M. al-Assad s'étant engagé à accepter des élections en 2020 ou 2021 – qui pourraient éventuellement être avancées d'un an –, alors peut-être les Russes pourraient-ils le convaincre que le moment est venu de donner sa chance à un autre.

J'ai parlé des yézidis : c'est une communauté unique à laquelle j'ai plusieurs fois rendu visite. Ils sont 500 000 au total, dont beaucoup vivent à l'étranger. Il leur est cependant difficile d'être éloignés de leur région d'origine car il s'y trouve une montagne sacrée abritant une source d'eau qui est leur repère, leur Vatican. Il faut les aider à rentrer chez eux et à vivre en sécurité dans cette région – ils ont tant souffert. Il pourrait être envisagé de demander aux autorités kurdes d'Irak de leur donner des garanties en leur apportant en plus une protection internationale. J'avais moi-même dépêché des responsables de l'ONU à l'époque, car des représailles se produisaient déjà.

Il vous revient de débattre de la question du groupe d'amitié, même si je suis favorable à toute l'amitié du monde.

La réconciliation est un point intéressant. Auparavant, la « réconciliation » selon le gouvernement consistait de facto à bombarder et bombarder encore, à Deraa par exemple, jusqu'à ce que les populations acceptent ses conditions. La formule actuelle des zones de désescalade est beaucoup plus crédible : elle permet de maintenir les gens chez eux. Or, la vie quotidienne est faite de mille activités – acheter le pain, payer l'électricité, percevoir un salaire d'enseignant – qui exigent de transiger avec « l'autre côté », ce que j'appelle des arrangements locaux à défaut d'une véritable réconciliation. Il faut encourager ce mouvement, même s'il ne constitue pas la solution car il faut une véritable réconciliation internationale, qui est la condition de la reconstruction. Sans cela, la guérilla se poursuivra. En somme, il faut un cocktail que j'appelle « papillon » : pour voler, le papillon a besoin de ses deux ailes, sans quoi il tombe. La première aile correspond aux aspects locaux qu'il faut favoriser sans s'en contenter ; la seconde est celle de la réconciliation internationale reposant sur une solution politique officielle.

S'agissant des relations entre les pays de la région, je fais un rêve qui dépasse largement mon mandat et que seul le Secrétaire général ou d'autres pourront peut-être exaucer un jour : organiser un Helsinki entre l'Iran et l'Arabie Saoudite. Combien de fois me suis-je rendu à la conférence des ministres des affaires étrangères de la Ligue arabe pour leur rappeler que l'Europe, en son temps, a trouvé une formule ? Au fond, nous nous sommes tous mêlés de cette région parce que l'Iran chiite et l'Arabie Saoudite sunnite se livrent à un conflit par procuration dans lequel nous sommes contraints de nous engager. Même l'Union soviétique et l'Occident ont trouvé leur formule en 1945 : Yalta – formule imparfaite, certes, mais qui avait le mérite d'exister.

L'une des raisons pour lesquelles j'ai accepté le mandat qui m'a été confié tient à mon amour pour le Liban. Pendant les années que j'y ai passées, j'ai vu combien ce pays n'a cessé d'être la victime de ses voisins et des tensions qui les opposent. C'est un pays merveilleux qui survit malgré toutes les différences et qui conserve une formule incroyablement créative. Cependant, il est lié à la Syrie, et une guerre civile prolongée dans ce pays pourrait avoir de fortes répercussions sur sa propre stabilité. Il faut donc trouver une solution politique et le moment est venu de le faire en Syrie.

Enfin, les obstacles opposés à l'aide humanitaire sont inacceptables. Je sais que cette guerre sera sans doute caractérisée comme une horreur dans laquelle le droit international humanitaire aura été ignoré : hôpitaux et écoles, enfants et médecins, patrimoine historique, villes entières ont été pris pour cible des bombardements des uns et aussi des autres – même avec moins de moyens. Voilà ce que nous devons dire : cette horreur ne doit pas se répéter afin qu'elle ne constitue pas un précédent.

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Il me reste à vous remercier très chaleureusement, monsieur l'envoyé spécial. La limpidité de votre vision devrait s'imposer à nous tous – à la France, à l'Union européenne et à tous ceux qui doivent agir pour trouver une issue politique à la crise syrienne. Nous devons d'abord tous savoir où aller, et vous nous trouverez à vos côtés. Par ailleurs, je suis frappée par la connaissance que vous avez des dossiers et de l'histoire de la région, mais aussi par la connaissance très intime que vous avez de celles et ceux qui y vivent. Il y a beaucoup d'humanité dans votre manière de vous exprimer, et nous vous en remercions.

Premier échange de vues, à huis clos, sur les avis budgétaires (suite des travaux du mercredi 4 octobre 2017)

Puis, les membres de la commission ont poursuivi les échanges commencés le mercredi 4 octobre sur les avis budgétaires.

Ont été successivement examinés les avis budgétaires suivants sur :

– Prélèvement européen (M. Maurice Leroy rapporteur pour avis) ;

– Aide publique au développement (M. Hubert Julien-Laferriere, rapporteur pour avis) ;

– Ecologie, développement et mobilité durables (Mme Laurence Gayte rapporteure pour avis).

Chaque rapporteur a présenté les éléments sur lesquels il entendait insister dans son avis, et a recueilli les remarques de l'ensemble des commissaires formulées au cours de la discussion qui a suivi son exposé liminaire.

La séance est levée à midi quarante.

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Membres présents ou excusés

Réunion du mercredi 11 octobre 2017 à 9 heures

Présents. - Mme Clémentine Autain, M. Frédéric Barbier, M. Hervé Berville, M. Bruno Bonnell, M. Bertrand Bouyx, Mme Valérie Boyer, M. Moetai Brotherson, M. Pierre Cabaré, Mme Samantha Cazebonne, Mme Annie Chapelier, Mme Mireille Clapot, M. Pierre Cordier, M. Olivier Dassault, M. Alain David, M. Bernard Deflesselles, M. Christophe Di Pompeo, M. Benjamin Dirx, M. Michel Fanget, M. Bruno Fuchs, Mme Laurence Gayte, Mme Anne Genetet, M. Éric Girardin, Mme Olga Givernet, M. Claude Goasguen, M. Philippe Gomès, M. Bruno Joncour, M. Hubert Julien-Laferriere, M. Rodrigue Kokouendo, Mme Sonia Krimi, Mme Amal-Amélia Lakrafi, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Martine Leguille-Balloy, Mme Marion Lenne, M. Maurice Leroy, Mme Jacqueline Maquet, M. Denis Masséglia, M. Jean François Mbaye, M. Jean-Luc Mélenchon, M. Sébastien Nadot, M. Christophe Naegelen, Mme Delphine O, Mme Bérengère Poletti, M. Jean-François Portarrieu, M. Didier Quentin, Mme Isabelle Rauch, M. Jean-Luc Reitzer, M. Hugues Renson, M. Bernard Reynès, Mme Laetitia Saint-Paul, Mme Marielle de Sarnez, M. Joachim Son-Forget, Mme Michèle Tabarot, M. Buon Tan, Mme Liliana Tanguy, M. Guy Teissier, Mme Valérie Thomas, M. Sylvain Waserman

Excusés. - Mme Laurence Dumont, M. Pierre-Henri Dumont, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. Jérôme Lambert, Mme Nicole Le Peih, M. Frédéric Petit, Mme Sira Sylla