Mission d'information DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉVISION DE LA LOI RELATIVE À LA BIOÉTHIQUE
Mercredi 24 octobre 2018
Présidence de M. Xavier Breton, président de la Mission
La Mission d'information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique procède à l'audition du Conseil Supérieur du Notariat : Me Florence Pouzenc et Me Gilles Bonet, notaires à Paris.
L'audition débute à douze heures quinze.
Nous achevons notre séquence d'auditions de cette matinée en accueillant des représentants du Conseil supérieur du notariat : Me Florence Pouzenc et Me Gilles Bonnet, tous deux notaires à Paris. Madame, monsieur, nous vous remercions d'avoir accepté de vous exprimer devant nous.
La révision de la loi de bioéthique amène notre mission d'information à être régulièrement confrontée aux questions de droit et de filiation. Nous souhaiterions bénéficier de votre expertise dans ce domaine afin de faire mûrir notre réflexion.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, nous vous remercions de bien vouloir nous accueillir et entendre la voie du notariat. Je vous remercie aussi de nous avoir permis d'écouter les auditions précédentes, particulièrement intéressantes.
Nous allons descendre d'un cran et apporter notre point de vue de juristes et de praticiens. Il nous semble que trois points rejaillissent dans notre pratique. La première est l'assistance médicale à la procréation (AMP) et l'établissement du lien de filiation. Ce point est essentiel. Établir un lien de filiation signifie pérenniser, créer un lien durable. Dès lors, quelques réflexions sont nécessaires sur le plan juridique.
Un second point nous fait réagir. Les notaires sont les artisans de la sécurité juridique. Ce que l'on attend d'un notaire, c'est une sécurité qui s'inscrit dans la durée. C'est pourquoi la question de la filiation posthume nous semble essentielle. L'enjeu est de faire apparaître une filiation après le décès. Le décès implique une succession, et donc l'intervention du notaire. Des questions pratiques doivent donc être abordées.
Le troisième point est la reconnaissance du droit aux origines. Savoir d'où l'on vient est une appétence naturelle, profonde, qui doit être inscrite dans un système de droit. Comment encadrer et permettre cette reconnaissance, cet accès aux origines, sans entraîner des effets collatéraux ? Reconnaître une origine implique de reconnaître une filiation et peut-être, en même temps, des droits et des devoirs. Est-ce là le but, ou ne voit-on dans le droit aux origines qu'un simple élément d'information ?
Me Pouzenc et moi-même sont à votre disposition pour développer ces différents points.
Concernant le lien de filiation et la filiation posthume, avez-vous des préférences ou des réticences ? Votre éclairage sera très intéressant, de même que sur le droit aux origines.
Une filiation peut être établie de deux manières : par une reconnaissance ou par une adoption. Dans le cas d'un couple de deux femmes, la reconnaissance permet de reconnaître un lien de filiation alors que l'autre membre du couple n'a pas participé génétiquement à la conception de l'enfant. Cette reconnaissance peut donc engendrer un problème, notamment au regard de l'article 332 du code civil, car cet article prévoit qu'une reconnaissance peut être contestée si elle n'est pas conforme à la vérité, en l'espère biologique. Il faut prendre garde à ce détail.
S'orienter vers une adoption serait peut-être plus opportun. L'adoption est une fiction de la loi. C'est la loi qui crée un lien de filiation. L'adoption semble donc beaucoup plus sécurisante. Ce point est important, car faire une reconnaissance semble marqué du signe du risque et du provisoire, or nous ne cherchons pas un lien provisoire, mais un lien durable. Si nous souhaitons respecter la volonté du couple, il n'est guère concevable que ce lien soit fragile. Cette question de filiation est essentielle pour les notaires.
L'adoption nous semble en effet plus adaptée et moins contraignante pour une adaptation ultérieure de la législation. Cependant, elle présente un inconvénient majeur, à savoir qu'elle est liée au mariage. Sans mariage, les couples de femmes ne peuvent pas adopter.
Je prendrai un exemple. Une femme, Jeanne, s'est fait inséminer en Belgique ; elle a une petite fille, Juliette. Sa conjointe, Brigitte, se fait également inséminer ; elle a un petit garçon, Baptiste. N'étant pas mariées, aucune ne peut adopter l'enfant de sa conjointe. Cette cellule familiale, cette fratrie, ne permet pas d'adopter l'enfant du conjoint. Une délégation d'autorité parentale est possible, mais elle est généralement refusée. Ainsi, il n'est pas possible d'assurer la contribution d'une cellule familiale pérenne. Voilà la difficulté que pose l'adoption. Certes, elles peuvent se marier ; mais, hors mariage, elles ne peuvent adopter. Dans la loi Taubira, le législateur a volontairement exclu de toucher au titre 7 du code civil lié à la filiation, ce qui, en soi, n'est pas un problème. Cependant, nous sommes obligés aujourd'hui d'être mariés pour adopter.
La reconnaissance et la présomption existent, mais toutes deux reposent sur un principe de vérité. On ne peut, à moins de changer les termes de l'article 332 du code civil, garantir une filiation pérenne en cas de reconnaissance ou de présomption.
La présomption anténatale peut être envisagée. Elle pourrait se faire devant notaire ou devant le tribunal de grande instance (TGI). Toutefois, cette reconnaissance anténatale est-elle une solution ? Nous avons à disposition des outils juridiques, mais tous ces outils présentent des freins.
Pour nous, notaires, la filiation adoptive serait la plus simple et la plus adaptée.
La filiation posthume intervient quand une personne se fait inséminer et que l'enfant naît après le décès. Pour un notaire, régler une succession signifie concrètement transmettre un patrimoine, donc déterminer les héritiers. La transmission est immédiate en droit français : le mort saisit le vif. Il n'existe pas de vacuité, le lien est continu. Qui est habilité à saisir le patrimoine et à prendre les décisions de gestion, à vendre, etc. ? Les héritiers, et certainement pas le notaire ni le juge. Déterminer les héritiers est donc primordial. Qu'un héritier se révèle après, et se posera la question de la période intermédiaire, dont nous ne saurons que faire.
Nous avons lu avec ma collègue la proposition du Conseil d'État, qui suggérait un gel du partage, le temps que le sort de la filiation soit décidé. Il s'agit là d'une vision un peu théorique. Tant que l'on n'a pas plongé les mains dans un dossier de succession, il n'est pas possible de se rendre compte de quoi il retourne. Une succession n'est pas un partage : elle s'ouvre d'abord par une période d'indivision. Il faudra gérer les biens, et éventuellement payer les droits. Pour payer les droits de succession, il faut parfois vendre, et donc trouver un acquéreur, qui a le droit à une propriété incommutable. On ne pourra pas dire à l'acquéreur que sa vente est annulée car il manquait un héritier. Il ne sera pas très content !
Quant aux héritiers, faudra-t-il leur dire que la succession ne pourra être réglée avant deux ans ? Les seuls trois mois de délai pour les ventes immobilières représentent déjà une difficulté pour certains ! Deux ans pour régler une succession, voilà qui va devenir très compliqué, d'autant plus que le patrimoine sera gelé ! Vers qui pourra-t-on se tourner ? Un administrateur judiciaire, à l'heure où nous souhaiterions moins de judiciaire dans les dossiers des particuliers ? Comment gérer cette période intermédiaire ? Sans compter que les actes sont importants. Par exemple, un bail à long terme doit être consenti, et nécessite donc l'accord de tous les héritiers. Comment faire s'il manque un héritier ? Le notaire ne peut pas non plus gérer les biens.
Les règles de l'indivision ne nous serviront guère. Nous risquons un gel du patrimoine. Quant à la fiscalité, je ne suis pas tout à fait sûr que le ministère des finances soit d'accord pour repousser le paiement des droits de deux ans, voire deux ans et demi, alors que dans le même temps le régime du paiement fractionné a été resserré.
Reste aussi la question de la détermination des héritiers. Qui nous dira s'il est possible qu'un héritier supplémentaire se révèle ? Si un fait est caché, les peines du recel seraient-elles applicables ? Le conjoint n'ayant pas dit qu'une insémination avait eu lieu, y aurait-il donc recel, avec un héritier volontairement caché ? Un cadre juridique existe mais il faudra l'adapter. S'il y a des enfants mineurs, comment va-t-on gérer les biens, d'autant plus s'ils doivent avoir des revenus et s'il n'est pas possible de relouer les biens, ou si le conjoint survivant doit avoir l'usufruit des biens, pour pourvoir continuer la vie avec ses enfants mineurs ? Nous risquons la paralysie. Voilà un vrai problème ! Sans compter qu'il faudra, à terme, se poser la question de l'influence rétroactive de cet héritier : comment lui verser sa part, en supposant que des dispositions de gestion auront été prises ? Comment va-t-on lui rendre des comptes ? Nous ne pouvons l'exclure de la succession, en raison du principe de l'égalité entre les enfants. Il serait heurté de front. Il doit naturellement faire partie de la succession. Mais comment fait-on ?
La gestion de cette période intermédiaire constitue à nos yeux une zone de danger. Sans compter que la vocation du conjoint peut changer en présence d'enfant : usufruit, quart en pleine propriété, etc. Une incertitude va peser. Rien n'est impossible, sans doute, mais la vigilance est de mise. Nous allons nous heurter à des règles d'indivision, des règles de gestion, de disposition, de sécurité des tiers. Il ne nous revient pas de dire quel est l'impératif le plus important – désir d'enfant, sécurité des tiers, etc. – mais je pense qu'il faut prendre en compte cette question, car la sécurité des tiers est aussi un impératif économique. Sans sécurité, pas d'économie qui fonctionne.
Je ferai une dernière réflexion. En faculté de droit, on nous apprenait toujours que les clauses de mainmorte avaient été interdites par le droit révolutionnaire, pour s'opposer au fait que les biens ne circulaient pas librement. En 2018, nous admettrions l'idée d'une vacance de deux ans, et donc d'une paralysie ? Voilà qui serait curieux. Je ne porte pas de jugement de valeur, mais ce rapprochement avec l'Histoire me semblait amusant.
La question est de savoir si ce droit aux origines est une simple information ou s'il s'agit d'aller plus loin. Ce droit aux origines crée-t-il des droits ? Deux droits sont essentiels concernant l'enfant : l'obligation alimentaire et la réserve héréditaire. Tout individu qui a un enfant doit consacrer une partie de ses biens à son enfant, pour les lui transmettre. Un enfant a droit à une quote-part dans la succession. Voilà ce qu'est la réserve héréditaire. Créer une filiation n'est pas anodin ! Un héritier est ainsi créé ; quoiqu'il arrive, quel que soit son engagement religieux, son orientation sexuelle, nous savons qu'il a droit à une partie du patrimoine de ses parents. Pagnol disait que le père, ou le parent, est celui qui aime. Si l'on va plus loin que la simple information, et si l'on crée une filiation, les choses deviennent beaucoup plus profondes et complexes.
Si ce droit aux origines est reconnu – je dis cela sans aucun jugement de valeur –, cela permettra à l'enfant de créer un nouveau lien juridique avec la personne qui lui a permis d'accéder à la vie. Comment traiter cette nouvelle reconnaissance au niveau de l'état civil, voilà la question. Nous permettrions à une personne d'avoir plusieurs filiations, puisque l'enfant ne va pas nier sa filiation volontaire. Je m'excuse si je n'emploie pas les bons termes : nous sommes des techniciens du droit pur, et non de la bioéthique ! Nous établirions en sus une filiation biologique avec la personne qui lui a permis d'être en vie. Je trouve tout à fait normal qu'un enfant souhaite connaître ses parents biologiques, mais, en tant que juriste, ma question est de savoir comment nous pourrons créer un nouveau lien dans le cadre de ce droit aux origines, et comment il sera matérialisé dans l'état civil.
Revenons à l'AMP, en cas de reconnaissance et de présomption. La reconnaissance est indiquée sur l'acte de naissance. Mais comment faire pour la présomption ? Ce point est essentiel pour l'établissement de l'acte notarié, par exemple en cas de décès d'une personne. En tant que juriste, nous souhaitons avant tout nous assurer de la sécurité juridique liée à ces nouvelles dispositions.
Je souhaiterais revenir sur la filiation posthume. Si une femme est enceinte, comment se passe la succession aujourd'hui ? Le foetus ne crée pas de droit. Gèle-t-on la succession ? Ne pourrait-on pas s'inspirer de ce cas pour celui du transfert des embryons post mortem ?
L'article 725 du code civil nous indique que, pour succéder, il faut exister à l'instant de l'ouverture de la succession, ou, ayant déjà été conçu, naître viable. Tant que l'enfant n'est pas né viable, il n'est pas héritier. Au cours de la grossesse, l'enfant à naître est donc potentiellement héritier. Pour nous, notaires, la succession est d'une certaine manière « gelée » jusqu'à la naissance de l'enfant. Comme le processus de gestation est en cours, le délai d'attente se situe entre un et neuf mois environ.
En revanche, si vous suivez les recommandations du CCNE et du Conseil d'État, vous devrez modifier l'article 725. D'après le CCNE, il faudrait attendre environ six mois après le deuil. Entre-temps, nous aurions sans doute déjà réglé la succession. La personne aurait ensuite dix-huit mois pour utiliser l'embryon et se faire féconder. Le temps de la grossesse conduit à un délai de vingt-sept mois, auxquels il faut encore ajouter les six premiers mois. Le traitement de la succession devient très long, créant une insécurité juridique.
Tant que nous n'avons pas réglé la succession, délivré l'acte de notoriété, permis aux actifs financiers d'être liquidés, le conjoint ne peut rien faire, et risque donc de rencontrer de grandes difficultés financières. Le problème est pire encore dans le cas d'une entreprise, entraînant des dommages collatéraux, dont celui des salaires versés aux employés. Dans ces cas, six mois sont déjà très longs ! Par ailleurs, malheureusement, de plus en plus de gens décèdent jeunes et en pleine activité.
Concernant l'implantation des embryons et des gamètes précédemment congelés, on ne pourra la refuser si l'AMP est étendue. J'attends que des modifications du droit s'imposent, mais, s'il vous plaît, proposez-nous des modifications juridiques afin d'adapter nos textes.
Le droit à l'accès aux origines n'implique pas l'accès à un droit supplémentaire. Il ne demande pas de modification majeure de la législation. Ce droit n'implique l'accès à aucun intérêt matériel ou successoral. Il ne s'agit que d'une connaissance des origines.
Par ailleurs, vous avez cité un article que je ne connaissais pas sur la filiation. Je ne les connais pas tous !
Vous dites que la filiation est contestée si elle n'est pas conforme à la filiation biologique. Je m'en étonne. Pour un enfant adultérin, le père est bien le mari de la femme, systématiquement, et non l'amant transitoire, qui ne peut revendiquer sa paternité. Comme vous l'avez dit, et comme l'a dit Pagnol, le vrai père est celui qui aime, qui éduque et qui élève l'enfant.
À vos yeux, l'adoption est la solution la moins contraignante et la plus simple ; mais à nos yeux, ce n'est pas la meilleure ! Comment concilier nos deux points de vue ? Quand deux femmes sont mariées, il faudrait que la filiation soit automatique. Le parcours de l'adoption est long, laborieux et inégalitaire. De plus, les cas cités montrent la complexité de la démarche, par exemple si l'une des femmes décède ou s'éloigne du couple entre-temps. Le vide juridique créé vient pénaliser l'enfant. Nous parlons toujours du droit des enfants. L'adoption fait peser un droit moindre que la filiation automatique.
Je vous poserai enfin une question de la part de Mme Vanceunebrock-Mialon, obligée de s'absenter. Elle demande : « La formation actuelle des notaires est-elle suffisante en matière de droit de la famille ? En cas de modification des textes en matière de filiation après l'ouverture de la PMA à toutes les femmes, une évolution des unités d'enseignement est-elle nécessaire ? » Sa question fait référence à l'article 311-20 du code civil.
La formation des notaires comporte des unités d'enseignement en droit de la famille, dispensées par des professeurs d'université, qui se tiennent au courant des évolutions juridiques, et par des notaires, qui sont astreints par leur activité professionnelle et leur déontologie à se former également. Chaque modification législative est enseignée, qu'il s'agisse de la réforme du droit successoral de juin 2006 ou des réformes de la filiation. Je tiens à vous rassurer, car moi-même je le suis sur ce point ! L'inverse serait inquiétant, puisque j'enseigne moi-même.
Nous pouvons effectivement vous proposer des solutions pour la filiation post mortem. Cependant, la notion de temps est prégnante. En matière de succession, des décisions doivent être prises rapidement. L'acte de notoriété est la base. Sans lui, nous ne pouvons rien faire et les héritiers ne peuvent prendre aucune décision. Tant qu'un individu n'a pas acquis sa reconnaissance comme héritier, nous ne pouvons rien faire, d'où la loi du 23 juin 2006, qui a fait entrer l'acte de notoriété dans les moeurs. La preuve d'héritier est libre et un acte de notoriété établi par un notaire peut constituer cette preuve. Cette pratique notariale est donc entrée dans la loi. Sans cet acte de notoriété, en pratique, les héritiers sont paralysés. L'urgence est donc d'établir cet acte. Il s'agit d'une question pratique, puisqu'il faut que les héritiers puissent exercer leurs droits et que, conformément aux principes de la loi française, il n'y ait ni vacuité ni césure, mais continuité entre la personne du défunt et celle de ses héritiers.
Quant à la filiation, nous préférons l'adoption, car elle nous semble plus sûre, sauf à modifier l'article 332 du code civil. Voilà le caillou dans la chaussure ! Une modification est nécessaire, sinon nous courons un risque. Vous le savez, les notaires sont allergiques à l'insécurité !
Parmi les solutions juridiques que nous pourrions vous proposer, une reconnaissance peut être envisagée. Ce n'est pas un problème. Elle pourrait avoir lieu devant le juge ou par acte notarié, comme cela est préconisé en cas de déclaration pour les PMA, conformément à l'article 311-20, puisqu'un notaire a la capacité de recevoir le consentement des époux pour une PMA.
Simplement, pour les notaires, l'établissement d'une filiation par l'adoption est déjà en place ; la question est déjà réglée. C'est la solution la plus facile à mettre en oeuvre, sans toucher impérativement à l'ensemble du titre du code civil consacré à la filiation. Si la reconnaissance ou la présomption sont privilégiées, ayons bien conscience que de nombreux points devront être modifiés dans le code civil. Nous n'exprimons pas de réticence, mais nous vous alertons. La succession étant liée à la filiation, il faudra également rectifier tout le titre sur la succession : dans notre code civil de 1804, malgré les évolutions, nous parlons encore de branche maternelle ou paternelle.
Enfin, faut-il étendre l'adoption en dehors du mariage ? Peut-être pourrions-nous envisager cette solution.
Nous rencontrons des freins et des failles dans l'ensemble de nos débats. Vous les révélez, et je vous en remercie car c'est en les révélant que nous pouvons avancer. Le mariage pour tous est un élément essentiel pour la filiation, grâce à l'adoption. Une des failles est d'établir la filiation avant la naissance. Ce point concerne des cas très particuliers, mais l'expérience du terrain révèle une exigence de sécurité.
Les décès en couches existent toujours. Comment reconnaître la seconde mère si la première décède en couches ? Le mariage ne permet pas cette reconnaissance, et il n'est pas possible d'adopter avant la naissance. Il s'agit d'un cas concret, très parlant, que je vais vous raconter. Un projet parental naît, une PMA a lieu. La mère qui porte l'enfant manque de décéder lors de la naissance. Elle se demande donc, si elle venait à décéder, ce que serait sa conjointe par rapport à l'enfant. La réponse est « rien ». Elles se sont mariées avant la naissance pour procéder rapidement à l'adoption. Pendant un laps de temps, la conjointe ne représente rien, du point du vue juridique, pour l'enfant.
Qu'en est-il de la reconnaissance d'autorité parentale sans mariage ? Des retours du terrain montrent que, pour des couples de femmes, la mort de la mère biologique entraîne le retrait des enfants à sa conjointe, qui n'a aucune autorité parentale.
Enfin, des projets parentaux à trois ou quatre personnes existent. Nous ne pouvons l'ignorer. Des couples d'hommes s'associent à des couples de femmes pour un projet parental. Que pensez-vous, en tant que notaire, de ces situations ? Comment les faire évoluer ?
Je réponds d'abord sur le cas concret du décès avant la naissance. Les conjointes ne sont pas mariées et la mère biologique décède avant l'adoption. Si elle a anticipé la situation, elle a rédigé un testament holographe ou un testament devant notaire, désignant la personne qui serait tuteur de son enfant. Seul le dernier parent en vie – dans ce cas, il n'y a qu'un parent – peut désigner le tuteur de l'enfant. Cette personne serait certes tuteur, mais ne pourrait créer de filiation avec l'enfant. Ce dernier, après le décès de sa mère biologique, n'a plus de parent et devient donc pupille de l'État. Cependant, le tuteur testamentaire jouirait d'une preuve supplémentaire pour adopter cet enfant pupille de l'État.
Non, mais les preuves en faveur de l'adoption sont renforcées. Il existe aujourd'hui un outil juridique qui permet d'établir un faisceau de preuves indiquant que la mère toujours vivante est bien la mère d'intention. Cependant, s'ajoutent ensuite le conseil de famille, qui est composé des membres de la famille biologique, et le juge des tutelles. Ainsi, nous complexifions la procédure. La paix de la famille ne sera probablement pas parfaite. Dans ce genre de famille – même s'il s'agit de gens très bien – les grands-parents viennent de perdre leur fille et leur petit-fils ou petite-fille sera élevé par la conjointe, la maman d'intention, qui n'aura pas eu le temps de se faire désigner comme mère officielle, adoptive. Créer un nouvel échelon sera sûrement pertinent : une reconnaissance anténatale pour créer un lien de filiation dès que l'enfant naîtrait viable. Comme pour la PMA actuelle, l'autorité du juge ou du notaire pourrait faire une désignation. Cette reconnaissance anténatale pallierait toute difficulté.
Le cas du divorce est aussi important. Si les conjointes se séparent, le lien juridique entre la maman biologique et celle qui était en train d'adopter est rompu. Décès comme divorce, toutes les séparations sont concernées. Ne plus conditionner l'adoption au mariage n'est pas une solution parfaite, car il existe un temps de latence qui ne permet pas d'assurer une sécurité juridique à l'instant T, au moment où la mère biologique et sa conjointe décident toutes deux d'être mères de l'enfant.
La délégation d'autorité parentale est aussi une solution imparfaite. Elle permet toutefois aux nouvelles familles de s'insérer dans un processus juridique avec le maximum de sécurité ; mais cette sécurité est imparfaite, d'où l'intérêt de faire évoluer la loi. Nous devons avoir conscience des freins existants. Devons-nous ouvrir les vannes, et remettre tout à plat ? Dans tous les cas, si la PMA est étendue à toutes les femmes, il faudra – pardonnez-moi l'expression – « assurer le service après-vente ».
Ces projets parentaux doivent surmonter une grande complexité juridique. Un couple hétérosexuel ne passe pas devant le notaire pour reconnaître ses enfants. Il faudrait trouver le bon modèle de filiation, pour simplifier les procédures, pouvoir avoir des enfants et les reconnaître sans passer devant un notaire ou un juge.
L'officier d'état civil pourrait très bien le faire, comme pour le pacte civil de solidarité (PACS). À titre personnel, je pense cependant qu'il faut encadrer juridiquement cette filiation. Créer une filiation n'est pas anodin, ni pour les parents, ni pour les enfants et la famille, ascendante, descendante ou directe. Par exemple, j'ai des amis qui ont adopté un enfant en plus de leur fratrie existante. Les gens doivent avoir conscience de toutes les conséquences juridiques de la filiation, notamment pour la paix de la famille.
J'étais surprise que votre collègue nous ait demandé si nous n'avions pas besoin de plus d'enseignements en droit de la famille. Nous sommes, je pense, reconnus comme le juriste au coeur de la famille. Nous sommes tous les jours confrontés au droit de la famille. Nous sommes ses artisans. Nous sommes au coeur des secrets – que nous allons parfois révéler au sein des familles, par exemple pour des filiations – et nous sommes leur gardien. Nous sommes tout à fait légitimes en ce domaine, et l'officier d'état civil pourrait aussi tout à fait être une réponse à ces questions.
Nous passons d'une filiation « reconnaissance biologique » à une filiation « acte de volonté ». Tout acte de volonté, surtout ce type d'acte aux conséquences très lourdes, doit être expliqué par un professionnel. Le consentement est important, il doit être expliqué par un professionnel. Voyez la façon dont nous soignons le consentement de l'acquéreur et du vendeur pour les actes immobiliers. A fortiori, cela est d'autant plus important pour des actes qui engagent toute une vie.
Je vous remercie pour toutes vos réponses. Nous avons du pain sur la planche ! Nous reprendrons la suite de nos auditions à dix-sept heures.
L'audition s'achève à treize heures dix.
Membres présents ou excusés
Mission d'information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique
Réunion du mercredi 24 octobre 2018 à 12h15
Présents. – M. Xavier Breton, Mme Blandine Brocard, M. Guillaume Chiche, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, M. Patrick Hetzel, Mme Caroline Janvier, M. Alain Ramadier, M. Jean-Louis Touraine, Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon, Mme Annie Vidal
Excusée. – Mme Bérengère Poletti
Assistaient également à la réunion. – M. Thibault Bazin, Mme Aurore Bergé, M. Marc Le Fur, M. Maxime Minot, M. Laurent Saint-Martin