La séance est ouverte à 14 heures 40.
Présidence de M. Éric Ciotti, président.
Nous allons procéder à l'audition de M. David Clavière, préfet, directeur de cabinet du préfet de police. Nous avons déjà entendu le préfet de police et deux de ses prédécesseurs et nous vous avons adressé, monsieur le préfet, un questionnaire écrit qui reprend les principales interrogations qui animent les membres de notre commission. On m'indique que vous ne tiendrez pas de propos liminaire, aussi nous passerons directement aux questions.
Au préalable, l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, monsieur le préfet, à lever la main droite et à dire je le jure.
(M. David Clavière prête serment)
Je souhaiterais que vous puissiez nous indiquer, d'abord, quelle est la chaîne hiérarchique qui sépare l'auteur de l'attentat de la préfecture de police du préfet de police ? Quels sont les différents niveaux hiérarchiques ? Et comment, selon vous, les alertes, en tout cas les signalements, ne sont pas remontés jusqu'au préfet de police ? Ils ont été rappelés par Mme Françoise Bilancini, directrice du renseignement à la préfecture de police, dans la note qu'elle a adressée au ministre de l'Intérieur pour décrire le profil de Mickaël Harpon et évoquer les échanges que certains de ses collègues avaient eus à son sujet, notamment après les propos qu'il a tenus au lendemain des attentats qui ont frappé Charlie Hebdo. Quelle est votre appréciation de cette situation et quelles mesures ont été prises pour que de tels dysfonctionnements ne se reproduisent plus ?
La chaîne hiérarchique est assez simple. Le directeur de cabinet du préfet de police est le numéro deux de la préfecture de police. S'agissant d'un adjoint de catégorie C, agent administratif au sein d'une direction de la préfecture de police, il y a de nombreux échelons entre le directeur de cabinet du préfet de police et cet agent. Cela me permet de préciser que je ne connaissais pas Mickaël Harpon, ni n'avais eu de connaissance d'un signalement, qu'il soit écrit ou oral, le concernant. Ce n'est évidemment qu'au moment où l'attentat a été commis dans un premier temps, puis, de manière plus détaillée, lorsque la directrice du renseignement, Mme Bilancini, a adressé au ministre de l'Intérieur, sous couvert du préfet de police, un rapport que j'ai naturellement eu en main, que j'ai eu connaissance, à la fois de l'existence de Mickaël Harpon et des propos qu'il avait tenus qui, selon les termes de Mme Bilancini, auraient provoqué une querelle – une vive querelle, dit-elle –, au sein du service où il était affecté.
S'agissant des alertes, ou du manque d'alerte, et de l'appréciation que j'en ai, on peut dire en effet qu'il y a une faille. Je fais mien ce terme… Pourquoi ce signalement n'est-il pas remonté ? L'enquête nous le dira. Je n'ai pas d'autres éléments que ceux que Mme Bilancini a couchés sur le papier, et je n'ai pas de raison de croire qu'il en fut autrement.
Je peux ajouter un élément. Si vous avez regardé mon curriculum vitae, vous savez sans doute, que j'ai été directeur des ressources humaines à la préfecture de police, avant d'être nommé d'abord préfet délégué à la sécurité dans le Rhône, puis directeur de cabinet du préfet de police. Cette question de la radicalisation à la fois en externe et en interne était prise en compte. On ne peut pas dire que ça n'était pas le cas avant le 3 octobre. J'en veux pour preuve que j'ai eu à connaître, lorsque j'étais directeur des ressources humaines, des cas de radicalisation. Et que j'ai moi-même présidé – je tenais à le faire –, les conseils de discipline qui concernaient des agents pour lesquels avait été fait un signalement relatif à des comportements de radicalisation. Sur les cinq révocations qui ont été prononcées, j'ai présidé au moins trois conseils de discipline, et au moins un conseil de discipline qui a conduit à la fin de contrat d'un adjoint de sécurité. Et tout cela, bien avant le 3 octobre…
Je confirme ce qu'a dit devant vous notamment M. Michel Delpuech, préfet de police de 2017 au 20 mars 2019 : c'est que non seulement les signalements existaient en matière de radicalisation, mais aussi qu'ils étaient traités. Et ils l'étaient selon les procédures en vigueur, c'est-à-dire que lorsqu'il y avait des éléments suffisants, il était procédé à une enquête administrative, puis un conseil de discipline était réuni. Je veux souligner que, selon moi, il n'y a pas spécialement d'inhibition de la part des policiers ni de leur hiérarchie sur ces sujets. Quand j'étais directeur des ressources humaines, je m'employais à avoir avec mes collègues directeurs et sous-directeurs, notamment ceux qui étaient chargés des ressources humaines ou des moyens dans les directions, des moments informels. Bien sûr, à la préfecture de police, tout est très hiérarchisé – et il le faut dans un ensemble aussi divers –, mais en tant que directeur des ressources humaines, je m'employais à avoir des réunions où tout pouvait être évoqué. Et quand je mets en parallèle la création de ces conditions d'un dialogue ouvert avec le fait qu'il ne pouvait pas être ignoré, au moins de l'encadrement supérieur, que des signalements existaient et qu'ils étaient traités, je ne crois pas qu'il y avait d'inhibition. Évidemment, je parle de signalement par écrit, par définition, puisque pour le transformer en enquête, puis en procédure disciplinaire, il faut que le signalement soit écrit. Je veux bien croire que l'inhibition puisse exister en certains endroits – je ne peux pas généraliser –, mais pas au sein de l'encadrement supérieur.
Dès lors, je lis ce que dit Mme Bilancini, et tout porte à croire qu'effectivement il n'y a pas eu de signalement ; l'information est restée au niveau de la cellule informatique dans laquelle était affecté Mickaël Harpon. L'enquête judiciaire en dira plus.
Vous l'avez souligné, vous étiez directeur des ressources humaines de la préfecture de police à l'époque où, selon les informations communiquées par la directrice du renseignement, il semblerait qu'un signalement informel ait été fait au mois de juillet 2015 à propos de l'auteur de l'attaque. Confirmez-vous qu'en tant que directeur des ressources humaines, cette discussion – dont la directrice actuelle nous dit qu'elle avait suscité un émoi assez fort – n'a pas été évoquée à votre niveau ?
Cela introduit la question suivante déjà posée au préfet Didier Lallement : comment expliquez-vous qu'au sein d'une structure aussi réduite – c'est même sa marque de fabrique, sa spécificité – que la DRPP, la direction du renseignement de la préfecture de police, alors même qu'unsignalement informel a manifestement provoqué un émoi au sein des agents concernés, il n'ait à aucun moment franchi la barrière du chef de section, selon les informations qui nous ont été communiquées ? C'est ma première question. Vous y avez en partie répondu mais nous essayons de juger de la crédibilité de cette affirmation. Non pas auprès de la directrice actuelle, vous le comprenez bien, mais dans le contexte de 2015. Deuxième question : Mme Bilancini a souligné que la lettre de mission que le préfet Michel Cadot lui a communiquée lorsqu'elle a pris ses fonctions évoque de façon très claire la nécessité de professionnaliser la direction du renseignement. En votre qualité de directeur des ressources humaines, à l'époque, pensez-vous que ce constat était largement partagé ? Évoquait-on régulièrement des réformes à venir, en particulier sur les process à la fois de détection de la radicalisation et de ses conséquences sur les procédures d'habilitation ?
Vous me demandez de revenir sur la crédibilité du fait que ce signalement verbal n'aurait pas fait l'objet d'une remontée. Encore une fois, cela va être le cœur de l'enquête judiciaire en cours. Il y a deux questions : quelles sont les motivations de l'auteur et, est-ce qu'il y a eu des alertes ou pas, et selon quel process ? Je pense avoir répondu : je n'ai pas de raisons de douter de ce qu'écrit Mme Bilancini. Certes, je ne connais pas l'ambiance qui régnait au sein de cette cellule. J'ai entendu qu'on parlait d'ambiance familiale… Moi, quand j'ai affaire à la DRPP, effectivement à un niveau plus élevé, ou quand j'ai eu affaire en tant que DRH, je n'ai pas un sentiment d'amateurisme ou de caractère familial. J'ai plutôt tendance à penser que le travail est sérieux. Je ne sais donc pas pourquoi ce signalement verbal n'est pas remonté : est-ce lié au handicap de Mickaël Harpon ? Est-ce lié au fait qu'il était là depuis longtemps, qu'il y a eu peut-être un réflexe de protection ? Je ne saurais pas le dire. Je n'ai pas d'éléments qui me permettent d'aller au-delà de ce qu'écrit Mme Bilancini.
Sur le point plus général de la lettre de mission que le préfet Cadot a remise à Mme Bilancini – en réalité, très vite, c'est le préfet Delpuech qui a pris la suite –. j'étais directeur des ressources humaines, donc par définition je n'avais pas le rôle opérationnel que j'ai aujourd'hui comme directeur de cabinet. Les relations que j'entretenais avec la DRPP concernaient la partie ressources humaines. C'est-à-dire : est-ce que la DRPP a suffisamment d'effectifs ? Sont-ils de qualité suffisante, notamment à cette époque, je m'en souviens, où il y a eu le « plan attentats » et où la DRPP s'est renforcée ? Je m'occupais de cela. Encore une fois, j'avais une réunion assez informelle avec les sous-directeurs. Alors même que les conditions étaient réunies pour pouvoir parler de choses sans être dans une démarche purement hiérarchique, je n'ai eu connaissance à aucun moment du signalement d'un agent – en l'occurrence, Mickaël Harpon – qui aurait posé problème en termes de processus de radicalisation.
Je n'ai pas d'appréciation particulière, puisque la seule que je puisse porter remonte à l'époque où j'étais DRH et porte sur la gestion des ressources humaines de la DRPP au moment où celle-ci grossissait. En revanche, je n'ai pas d'appréciation sur l'aspect détection ou habilitation : je ne m'en occupais pas. Sur la professionnalisation, Mme Bilancini est arrivée d'un autre service de renseignement où elle s'occupait précisément des ressources humaines. Elle avait donc une idée très arrêtée de ce qu'il fallait faire en termes de recrutement, de la rigueur qui s'y attachait, de la diversification des recrutements, en particulier pour recruter des analystes et pas seulement des policiers. Mme Bilancini est arrivée avec son bagage, avec ce qu'elle a fait dans un autre service de renseignement et, sur la base de la lettre de mission du préfet de police, en effet, elle réforme sa direction.
Je voudrais juste savoir deux choses. Depuis les événements, quelles sont les mesures nouvelles de sécurité qui ont été prises, particulièrement en matière de rétrocriblage ? Avez-vous déclenché ce type de criblage pour les fonctionnaires, administratifs ou des services actifs, qui travaillent à l'intérieur de la préfecture de police ? Et, puisque nous avons vu qu'il y a eu un problème de transmission de l'information à la hiérarchie, quelles sont les mesures qui ont été prises depuis le drame pour favoriser les remontées et les descentes d'information, sa circulation du haut vers le bas et du bas vers le haut ?
Le préfet de police m'a demandé d'animer un groupe ad hoc sur le sujet de la radicalisation, en particulier sur le traitement des signalements qui ont été opérés, notamment depuis les événements. Le préfet de police Didier Lallement, vous en a parlé, il a rédigé une note qui, je crois, est très claire. Il est toujours difficile de définir a priori la radicalisation parce que c'est un processus. En ce qui me concerne, j'emploie plutôt la notion de faisceaux d'indices, c'est-à-dire que ce n'est pas seulement un élément qui permet de caractériser la radicalisation mais plusieurs. Le préfet de police a indiqué dans cette note que les signalements devaient être quasi automatiques. L'objectif est qu'il n'y ait pas de tabou autour de ça, qu'il n'y ait pas le sentiment que peut-être ça va poser problème. Il faut le traiter comme un risque : là où il y a un risque, il faut faire un signalement. Signalement ne veut pas dire radicalisation : une partie des signalements se fait sur la base d'éléments dont, pour certains, je peux dire dès maintenant que ce groupe a décidé qu'ils n'étaient pas caractéristiques d'une radicalisation – après des vérifications, bien évidemment.
L'objectif du préfet de police, il l'a dit très clairement, c'est qu'il y ait des signalements et qu'ensuite ils soient traités. Pour répondre plus précisément à votre question, ce groupe ad hoc, que je préside, rassemblant l'ensemble des directions de la préfecture, dont évidemment la DRPP, prend des décisions. Il a notamment pris la décision que, sur les signalements qui ont été faits, a minima, des vérifications ou, pour le dire autrement, des rétrocriblages devaient être menés.
S'agissant de la remontée d'information, cette note dit très clairement que les signalements doivent parvenir par la voie hiérarchique au cabinet du préfet de police, c'est-à-dire à moi, pour qu'il n'y ait aucun doute. Et c'est dans le cadre de ce groupe que je préside que sont traités ces signalements. Cette note a été diffusée à tous les agents. Et le préfet de police a évidemment réuni l'ensemble des directeurs de la préfecture de police, pour leur dire d'expliquer à leurs agents quel était le sens de cette note. Le préfet de police en a d'ailleurs parlé lors d'un comité d'hygiène et de sécurité dans les jours qui ont suivi l'attaque. Il a indiqué quel était l'objectif et les organisations syndicales sont par ailleurs parfaitement informées de la nécessité d'appliquer cette note de manière rigoureuse. Le nombre de signalements depuis cette note montre que ce message a bien été entendu. Le préfet de police a eu l'occasion de le dire, je le rappelle : il vaut mieux un signalement qui ne débouche sur rien, que pas de signalement à cause d'un « trou dans la raquette ».
Je complète la question de Jean-Michel Fauvergue. Le préfet de police Didier Lallement, le 30 octobre dernier, a fait état de trente-trois signalements, dont certains donnaient lieu à des procédures. depuis le 3 octobre. Nous sommes le 19 novembre : ce chiffre a-t-il évolué depuis ? D'autres signalements ont-ils été effectués ? Comment les trente-trois signalements évoqués ont-ils été gérés ?
Ce chiffre a légèrement évolué puisque nous en sommes à trente-six. Je vous ai indiqué quel était le process des suites : l'ensemble est évoqué à mon niveau, avec l'ensemble des directeurs. Il y a eu sept désarmements, quatre demandes de suspension, dont trois ont d'ores et déjà été validées puisqu'un arrêté a été pris par le directeur général de la police nationale. Vous savez que ce n'est pas le préfet de police qui suspend, mais le DGPN. Une quatrième suspension est en cours. Nous avons également saisi le DGPN, pour que lui-même, puisque c'est dans ses attributions, saisisse la commission prévue par l'article L. 114-1 du code de sécurité intérieure, c'est-à-dire pour des cas pour lesquels nous pensons que nous n'avons pas suffisamment d'éléments pour nourrir une procédure disciplinaire. Je vous rappelle qu'avant la modification de l'article L. 114-1, c'était la seule possibilité d'écarter définitivement les individus radicalisés, ce qui pouvait poser un certain nombre de difficultés. Il y a eu deux saisines et une troisième est en cours.
Par ailleurs globalement, pour les cas où nous avions trop peu d'éléments pour saisir la commission, ou nourrir une procédure disciplinaire, les services de renseignements font des vérifications sur lesquelles je ne m'étendrai pas, mais dont vous comprenez le sens. J'ajoute que désormais – c'était déjà le cas, mais c'est affirmé avec encore plus de rigueur – l'IGPN, l'Inspection générale de la police nationale, est saisie de l'ensemble des cas qui sont discutés dans le groupe ad hoc. L'IGPN a une vue globale des situations et elle-même peut émettre un certain nombre d'avis sur ce qu'il faudrait faire, sur la manière dont on peut envisager la suite, etc. Une circulaire du DGPN est en cours de rédaction pour préciser tout cela, qui existe déjà.
Je reviens sur ces chiffres pour qu'on comprenne bien. C'est un point important et qui traduit sans doute une attitude différente de ce qui se passait précédemment, puisqu'on a observé un accroissement notable des chiffres après l'attentat du 3 octobre. Vous parlez de trente-six signalements, de sept désarmements, de quatre demandes de suspension. Cela signifie que vingt-neuf personnes ne font pas l'objet d'une procédure administrative particulière, alors qu'elles ont été signalées. Elles peuvent faire l'objet des procédures que vous avez évoquées, sur lesquelles on ne s'étendra pas, vous avez raison de le souligner. C'est bien cela ?
Sur les sept fonctionnaires ou adjoints de la préfecture de police, sept sont désarmés mais seulement quatre font l'objet d'une demande de suspension : pourquoi cette différence ? Le fait de désarmer un fonctionnaire de police paraît constituer une décision déjà grave, sans doute sur un signalement étayé, alors pourquoi trois d'entre eux ne font pas l'objet d'une demande en vue d'une suspension ?
Pour répondre très clairement à votre question, il y a quand même une gradation. Vous avez raison, le fait de désarmer un policier constitue en soi une mesure importante. Mais pour au moins trois d'entre eux, nous avons considéré qu'il n'y avait pas suffisamment de matière pour demander une suspension. Vous le savez, un arrêté de suspension peut être attaqué. On ne le prend donc que quand il y a suffisamment d'éléments. Pour le reste, ces agents sont désarmés et font l'objet des vérifications dont j'ai parlé, de manière prioritaire.
Vous nous avez dit la même chose que le préfet Lallement mais j'avoue toujours ne pas comprendre la raison pour laquelle nous devrions être suspendus à l'enquête judiciaire pour déterminer les failles, puisque vous les appelez ainsi, qui ont empêché l'information de remonter jusqu'à vous. Il me semble que le rôle des juges d'instruction est de déterminer l'étendue de la responsabilité de Mickaël Harpon ; si éventuellement il a eu des complices ; comment il a organisé son attentat. Mais, s'agissant de la manière dont l'administration a été dans l'incapacité de prévenir cet acte à cause d'une défaillance du système de communication interne, je ne vois pas bien quel est le rôle du juge d'instruction. Je pense qu'il est en revanche de votre rôle de vous poser la question de savoir comment ces failles ont pu intervenir : le meilleur moyen d'y mettre fin, c'est de le comprendre. C'est la raison pour laquelle j'avais demandé à M. Lallement s'il y avait une enquête administrative engagée pour comprendre ce qui n'a pas fonctionné. Il m'a fait la même réponse que vous et que je considère hors sujet, à savoir qu'il appartient au juge d'instruction de le déterminer. Si c'est au juge d'instruction de déterminer comment doivent fonctionner nos administrations, je pense qu'on risque d'attendre encore un certain temps avant que ces failles soient comblées…
Vous nous avez dit : maintenant, tous les signalements vont arriver sur mon bureau. Alors je voudrais prendre un cas de figure avec vous. Mickaël Harpon s'est converti à l'islam : la conversion à l'islam est-elle un élément qui peut déclencher, non pas une enquête administrative bien sûr, non pas une enquête disciplinaire, mais une évaluation de l'entourage de l'intéressé. Et si tel était le cas, qui s'en chargerait ? D'ailleurs, cette procédure existe-t-elle, au-delà ou en dehors du cadre d'une enquête administrative ou d'une procédure disciplinaire ? Le simple signalement d'un fait, qui peut apparaître d'ailleurs en lui-même anodin, entraîne-t-il une évaluation de l'entourage possiblement radicalisé de la personne ? En l'occurrence, si on avait mené une enquête, on se serait rendu compte qu'il fréquentait manifestement une mosquée qui était dirigée par un fiché S : cela aurait peut-être entraîné l'ouverture d'une enquête administrative ou d'une procédure disciplinaire.
Donc, première question : cette évaluation est-elle mise en œuvre ? Deuxièmement, qui s'en charge ? Je pense que ce sont des éléments essentiels puisque nous avons tous conscience – et nous sommes sûrement beaucoup moins compétents que vous – que les terroristes peuvent avoir comme ambition d'entrer au cœur des structures de sécurité de notre pays. L'idée qu'un terroriste puisse se faire embaucher ou puisse être converti afin de servir la cause terroriste au sein des services de renseignement de la préfecture de police nous paraît, à nous autres députés, une évidence.
L'autre question que je voudrais vous poser : vous qui étiez DRH, pouvez-vous nous dire si le personnel a été formé à l'éventualité d'un attentat au sein de la préfecture de police ? Est-ce que cette hypothèse d'un attentat a été un jour envisagée ? Est-ce qu'une procédure a été prévue ?
Tout d'abord, je n'ai pas parlé des failles, au pluriel, mais d'une faille, d'une défaillance. Je ne crois pas qu'il y ait de défaillances systémiques au sein de la préfecture de police, et je vous ai dit pourquoi. Évidemment, cela n'enlève rien à cette défaillance-là, ni à la réflexion que l'on doit avoir pour adopter les dispositifs qui permettent de ne pas en avoir à nouveau. Je vous fais la même réponse : l'enquête judiciaire déterminera ce point. Deuxième réponse : vous le savez, le Premier ministre a commandé une enquête et une inspection de l'Inspection du renseignement. Ceux qui doivent en connaître le résultat le connaîtront, étant entendu que ses conclusions sont assez naturellement soumises au secret défense.
La conversion doit-elle entraîner un signalement automatique ? Je dirais que si cette conversion s'accompagne d'éléments symptomatiques, d'un repli sur soi, de symptômes de radicalisation, rien n'empêche aujourd'hui de faire un contrôle, un criblage. Dans le cadre de la préfecture de police, cela incombe à la direction du renseignement. Je crois que cela vous a été expliqué par le préfet de police, et sans doute par Mme Bilancini.
A-t-on élaboré une procédure pour les personnels de la préfecture de police en cas d'attentat en son sein ? Il existe une procédure sur la manière de réagir en cas d'événements graves et les policiers y sont formés. En revanche, pendant que j'étais directeur des ressources humaines, je n'ai pas eu connaissance d'une procédure particulière, interne à la préfecture de police, concernant le risque attentat. Peut-être y en avait-il une ; mais je n'en ai pas le souvenir. Néanmoins, les policiers, notamment après les attentats de Charlie Hebdo et plus encore du Bataclan, ont été formés et sont toujours formés à la survenue d'événements graves, type attentat. Cette formation concerne l'ensemble des policiers de la préfecture de police, tout comme les policiers en province sous l'autorité du DGPN.
Vous nous avez indiqué que dorénavant il y avait une instruction permettant de faire remonter sur votre bureau les signalements en matière de radicalisation. Vous nous avez indiqué plus tôt que pour qu'il y ait une suite, il fallait un signalement écrit. Aujourd'hui, ne donne-t-on toujours suite qu'aux signalements écrits ou prenez-vous en compte les signalements d'autres natures vous permettant de penser qu'il y a radicalisation ? Par ailleurs, vous avez, dans ces services exposés, des agents qui peuvent avoir toutes sortes de difficultés personnelles. En l'occurrence, nous voyons que Mickaël Harpon en faisait partie. Est-il prévu, non pas seulement en cas de radicalisation, mais pour les soutenir en général, un accompagnement particulier pour des agents dont on pense qu'ils souffrent d'une fragilité psychologique ou traversent un moment difficile dans leur vie ?
Un signalement écrit a ce double avantage de laisser une trace et de conduire la hiérarchie à s'engager. Maintenant, rien ne doit être exclu, donc je suis d'accord avec vous. Il existe le numéro vert du CNAPR, le Centre national d'assistance et de prévention de la radicalisation. Normalement, il est dédié à l'externe, mais rien n'empêche un fonctionnaire de la préfecture de police, s'il le souhaite, de parler à un collègue. Cette possibilité existe. Ma préférence personnelle va vers une trace écrite. Non seulement la hiérarchie s'engage, mais aussi, si on veut ensuite traduire cela en élément disciplinaire par exemple, ou devant la commission, il faut bien qu'à un moment donné quelqu'un écrive. Mais, encore une fois, le groupe que j'anime peut très bien se saisir d'un signalement oral. Ce n'est pas une difficulté, il sera traité en tant que tel, avec les suites que j'ai indiquées.
En ce qui concerne les difficultés personnelles, j'ai été DRH et je connais bien le sujet. La sous-direction de l'action sociale emploie des assistantes sociales, des psychologues… C'est connu de l'ensemble des agents. Vous avez pour les policiers, un médecin-chef avec tout un service, et notamment des psychiatres. Donc, l'accompagnement, le soutien dont peuvent bénéficier les policiers existent. La meilleure preuve en est – même si c'est dans le cadre d'un événement et non pas dans un cadre quotidien ou habituel – que les personnels de la préfecture de police qui ont eu besoin d'un accompagnement psychologique après ce qui s'est passé le 3 octobre, ont eu immédiatement à leur disposition, non seulement les psychologues de la préfecture de police, mais également le Samu et un certain nombre de psychiatres de l'Hôtel-Dieu. Oui, cet accompagnement existe, comme en attestent les statistiques établies par médecin-chef de la préfecture de police sur les personnes qui viennent consulter pour des motifs psychologiques. Cela est connu des agents et mis en œuvre. Et je ne parle pas du soutien financier : il y a la possibilité d'accorder des secours exceptionnels et des prêts qui permettent de soutenir les agents qui auraient des difficultés.
Quand Mme Le Pen a parlé de failles au pluriel, vous avez répondu faille, au singulier. Je crois pour ma part qu'il y a plusieurs failles. Mickaël Harpon fréquentait une mosquée salafiste dans le Val-d'Oise, sans que cela ne remonte à la DRPP. Il a dit, après les attentats contre Charlie Hebdo, « c'est bien fait ! », et il a continué à être en charge d'éléments sensibles à la préfecture de police dans la cellule anti radicalisation. Lorsqu'on a auditionné Mme Bilancini, elle-même a parlé de manque de professionnalisme et nous avons donc eu l'impression, je ne vous le cache pas et je ne suis pas le seul, d'un certain amateurisme. On n'accuse personne en particulier, mais c'est l'impression que l'on a. Quand le directeur parle de « professionnaliser », c'est que manifestement ce n'était pas le cas. Tous ces éléments les uns à côté des autres nous font penser qu'il n'y a pas une faille, comme vous l'avez dit, mais plusieurs failles ou même crevasses.
J'en viens à des questions plus précises : vous avez parlé d'éléments suffisants pour parler de radicalisation. Quels sont selon vous ces éléments suffisants ? Et ne pensez-vous pas que cela doit être, je ne dis pas « doctrinisé », mais établi de façon claire ? C'est vrai que c'est compliqué. Peut-être que des fonctionnaires de police d'origine musulmane se disent très inquiets, et peut-être parfois à juste titre, de la stigmatisation. Je crois qu'il est très important d'avoir des éléments précis. D'autre part, ne pensez-vous pas que les signalements doivent être précis, mais pourraient être anonymes ? Pour en avoir parlé avec des fonctionnaires de police, certains disent « on a peur de passer pour des balances ». Dernier point : vous avez dit « on a désarmé certains fonctionnaires de police ». Je n'ai pas besoin de rappeler qu'en l'occurrence, le fonctionnaire Harpon a tué avec un couteau : je ne suis donc pas persuadé que le fait de désarmer soit suffisant, et je vous pose la question.
La dernière question qui m'obsède et continue à m'obséder malgré les réponses que j'ai eues, c'est le temps entre le début et la fin de ce qui s'est passé à la préfecture de police. On a parlé de sept minutes, puis finalement le préfet m'a dit « c'est quatre minutes pas sept ». Qu'en pensez-vous ? Ne pensez-vous pas que si c'est sept minutes, c'est très long ? Et comment améliorer les procédures en cas d'attentats ?
Concernant les signalements, j'ai une nette préférence, je l'ai dit, pour les signalements écrits. En particulier depuis la note du préfet de police : si jamais des agents étaient inhibés, cette note est claire, elle est précise, sur l'obligation qui est faite à chaque fonctionnaire – dès lors qu'il a le sentiment qu'un collègue, un supérieur, quelqu'un dans son équipe, quelqu'un qu'il connaît, présente des signes de radicalisation – de procéder à un signalement. Alors, pourquoi pas l'anonymat ? Mais il faut que ce soit de l'anonymat documenté parce qu'on sait bien que les règlements de comptes existent dans n'importe quelle communauté humaine, je l'ai constaté lorsque j'étais DRH et que j'ai participé à beaucoup de conseils de discipline. Il faut y faire attention. Tout ce qui va dans le sens d'une meilleure appréhension du risque doit être fait, mais pas n'importe comment.
Sur les critères de la radicalisation, la note du préfet de police est très claire. Je cite : « Plusieurs signes et indices peuvent justifier de déclencher une procédure de signalement, comme des changements physiques, vestimentaires et alimentaires, le refus de serrer la main du personnel féminin, un rejet brutal des habitudes quotidiennes, un repli sur soi, le rejet de l'autorité, de la vie en collectivité. » Il me semble intéressant de procéder par faisceaux d'indices. La radicalisation, c'est un processus. Donc l'appréhender une fois pour toutes en quelques mots, je n'y crois pas. En revanche, je crois à une grille de lecture. D'ailleurs, l'UCLAT, l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste, a élaboré une telle grille. Il existe des référentiels ; on ne part pas de rien mais de ce faisceau d'indices.
Lorsque j'étais DRH, j'ai développé des formations, j'ai fait venir un certain nombre de spécialistes de la radicalisation, tel Gilles Kepel, qui n'est pas connu pour avoir une appréhension « complaisante» du sujet. J'ai fait venir dans ce que j'appelais les Matinales, sorte de séminaires destinés aux cadres de la préfecture de police, Gilles Clavreul, ancien délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme, ou Laurent Bouvet, qui ne sont pas non plus connus pour avoir une conception « molle » de la laïcité. Ils sont intervenus pendant trois ou quatre heures, devant des cadres de la préfecture de police, sur ce qu'était la radicalisation, ses symptômes, et d'ailleurs pas seulement dans des organismes publics, mais aussi dans le privé. Il y a eu aussi Denis Maillard, qui a écrit sur le sujet. L'IGPN a assuré des formations sur la base de cette grille de lecture sur la radicalisation. Désormais l'ensemble des nouveaux arrivants à la préfecture de police suivent un module dit de laïcité et de formation sur la radicalisation… Tous ces éléments vont dans le sens d'une meilleure connaissance du sujet.
Sur le désarmement, je crois avoir répondu : on pratique une réaction graduée, mais n'ayez pas de doute quant au fait que, quand on a un vrai doute sur quelqu'un, on le désarme si c'est un policier. Mais il y avait aussi des signalements pour lesquels des vérifications devaient être faites, parce que les éléments que nous avions ne permettaient pas d'aller jusque-là. Enlever une arme à un policier, c'est une décision importante. Mais ce n'est pas ce qui nous arrête, c'est très clair : s'il y a un risque, on désarme.
Vous avez posé la question des sept minutes aux préfets de police successifs. Je ferais plutôt miens les propos de Michel Delpuech sur le sujet. À l'endroit où cela s'est passé, il n'y a pas un grand nombre de policiers. Cela peut paraître long, mais Mickaël Harpon a été neutralisé par quelqu'un qui assurait la défense périmétrique de la préfecture de police et qui a joué pleinement son rôle. Bien sûr qu'il y a des policiers armés dans les couloirs. Mais chacun travaille dans son bureau : il n'y a pas tout de suite quelqu'un qui est là et qui peut neutraliser l'assaillant. Mais je ne suis pas un spécialiste du sujet.
Pourrez-vous nous communiquer cette note sur les critères de radicalisation dont nous n'avons pas eu connaissance jusqu'alors ?
Je me joins à votre demande, monsieur le président. Je pense qu'il serait opportun que nous ayons communication de l'intégralité de cette note. Vous l'avez citée à plusieurs reprises à juste titre, comme le préfet Lallement. Elle démontre qu'il y a eu, d'une certaine façon, une forme de reprise en main des procédures de détection des phénomènes de radicalisation. Mais est-ce à dire qu'auparavant, il n'y avait nulle part à la préfecture de police une procédure écrite de détection ? Cette note est-elle la première du genre concernant cette problématique ?
Il existait, et il existe toujours, une note du DGPN datant d'octobre 2015, qui était plutôt axée sur le respect de la laïcité, mais qui indiquait de manière très concrète les cas qui pouvaient se présenter et la manière dont il fallait y répondre. Cette note avait été diffusée dans les services. Par ailleurs j'ai indiqué qu'au cours des formations, en particulier faites par l'IGPN au sein de la préfecture de police, des documents ont été distribués, notamment cette grille, ce référentiel sur la radicalisation. Des conseils étaient donnés par les intervenants, tous d'un niveau très élevé dans la hiérarchie de l'IGPN, et je sais que ces formations étaient appréciées pour leur côté concret.
Merci pour les précisions et indications que vous nous donnez aujourd'hui, même si je dois dire que je suis, comme Mme Le Pen, assez déçue de vos réponses s'agissant des dysfonctionnements. Vous évoquez vous-même le terme de faille dans l'organisation des services et il ne s'agit pas ici d'apprécier la responsabilité pénale de l'un ou de l'autre – ce qui relève évidemment de l'autorité judiciaire – mais de repérer ce qui a pu être à l'origine de ce drame. Et d'essayer de chercher ensemble des remèdes qui permettent sinon d'obtenir des résultats à 100 %, au moins de limiter le plus possible les risques. Je reste un peu sur ma faim, s'agissant des réponses que vous faites à cet égard.
Je voulais en revanche vous remercier pour les précisions que vous nous avez données s'agissant des suites réservées aux signalements. Peut-être pourriez-vous nous indiquer si sur ces trente-six signalements, il y a eu ou non transmission au parquet ? Vous nous avez parlé de procédures administratives mais peut-être y a-t-il des comportements qui ont mérité un signalement au parquet.
Seconde question : y a-t-il eu à la suite de l'attentat d'octobre une réévaluation de l'ensemble des habilitations secret défense au sein de la préfecture de police, ou au moins dans les services de renseignement ?
Je crois avoir tout de même apporté une réponse : si le Premier ministre a commandé plusieurs inspections des renseignements, c'est bien pour prendre en compte la dimension dont vous parlez. Moi, je dis ce que je sais, et ce que je sais c'est ce qu'a écrit Françoise Bilancini dans son rapport. Pour le reste, l'ISR aura peut-être d'autres éléments, mais c'est à elle de dire ce qu'il en est.
Parmi les nouveaux signalements intervenus depuis le 3 octobre il n'y a effectivement pas de transmission au parquet. Dans d'autres signalements antérieurs, j'en ai le souvenir, il y a eu effectivement des procédures pénales, mais qui n'avaient pas forcément un lien avec la radicalisation en tant que telle. Il y a eu des cas, et c'est d'ailleurs parfois en prenant appui sur ces enquêtes – dès lors que, pour certaines, elles étaient versées au dossier administratif – que nous avons pu écarter définitivement un certain nombre de personnes. Je vous l'ai dit, plusieurs dossiers ne comportaient pas, du point de vue de la radicalisation, d'éléments qui pouvaient conduire jusqu'à la révocation. Ce sont les limites des mesures disciplinaires. La commission de l'article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure, que le préfet de police a saisie, pourra compléter utilement le dispositif, mais pour l'instant, nous n'avons pas de jurisprudence. Nous verrons quelle est la doctrine de cette commission qui doit se prononcer sur l'incompatibilité ou pas du comportement d'un fonctionnaire par rapport aux missions qu'il exerce et qui peut décider de la mutation, voire de la révocation pour les cas les plus graves.
En ce qui concerne, les réévaluations, je l'ai dit, il y a des rétrocriblages. Si vous avez posé la question à Mme Bilancini, elle a dû vous répondre et je ne sais pas si je peux être plus précis.
Comment expliquez-vous l'augmentation rapide du nombre des signalements depuis l'événement d'octobre ? D'après vous, est-ce lié à l'onde de choc de l'attaque, à un process plus connu au sein de la préfecture de police de Paris ou à autre chose ? Et comment s'assurer que, dans quelques mois, le niveau de vigilance reste élevé, que les process de signalements et de remontées soient connus de tous, fluides et les plus efficaces possible. Enfin, on a parlé de différents mécanismes, d'utiliser davantage le rétrocriblage, certains ont évoqué l'anonymat… Pensez-vous qu'on devrait réfléchir à un rendez-vous institutionnalisé, peut-être médical avec un psychologue, qui permettrait d'évaluer pour tout le monde, d'une certaine manière, le niveau de dangerosité ?
C'est évidemment la note du préfet de police du 7 octobre qui, en précisant les choses et avec l'explication qu'il en a donnée, a provoqué cette augmentation des signalements. Pour beaucoup, ce sont des signalements de signaux extrêmement faibles, mais je préfère ça à l'absence de signalement. Après les vérifications, il y aura vraisemblablement des clôtures. Clôturer un cas, ça ne signifie pas qu'on ne fait plus rien, mais il y a un moment où il faut décider. Il faudra donc décider des suites administratives ou judiciaires en saisissant le Parquet s'il y a matière à le faire, mais aussi clôturer les autres cas.
Je vous donne un exemple : quelqu'un a été signalé parce qu'on avait découvert qu'il avait sur son ordinateur des documents se rapportant à l'État islamique. Donc évidemment, il y a eu une enquête. Et on s'est aperçu qu'en fait, c'était dans le cadre de son travail, car il avait été précisément missionné sur ce sujet. Voilà le cas de figure où on a fait des vérifications, constaté qu'il n'y avait pas de problème et clôturé le cas.
S'agissant du niveau de vigilance, vous avez raison, rien ne serait pire qu'une retombée de la vigilance. Pour l'éviter, il y a plusieurs moyens : il y a d'abord la pérennité de ce que le préfet de police a mis en place, de ce groupe dont j'ai parlé, de ces signalements. Il faut faire des piqûres de rappel de manière régulière. Il y a la formation dont j'ai déjà parlé. Je pense que le groupe de travail peut aussi établir ce que j'appellerais des fiches réflexe. Mais vous avez raison sur le principe et sur l'esprit ; il faut absolument que l'on assure la pérennité de ces process.
En ce qui concerne des rendez-vous institutionnalisés de type entretien médical, je préfère la solution des contrôles aléatoires ou inopinés. On a parlé des signaux faibles qui pourraient amener à des criblages, y compris pendant la carrière du fonctionnaire et pas seulement à l'entrée. C'est l'article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure, qui a été modifié par la loi sécurité intérieure et lutte contre le terrorisme, qui le permet. Mais par ailleurs je ne vois pas ce qui s'opposerait à des contrôles inopinés, dès lors que la règle est bien expliquée pour que certains ne se demandent pas « comment ça se fait que ça tombe sur moi ? ». Il est tout à fait naturel, dans des services tels que les services de renseignement, qu'on puisse mener des contrôles inopinés.
Je n'arrive pas à comprendre que dans un service de renseignement, lorsqu'on apprend qu'un agent se convertit, il n'y ait pas automatiquement un contrôle pour voir comment et par l'intermédiaire de qui cet agent s'est converti – et je ne parle pas de radicalisation. Parce que des gens qui se convertissent et qui seraient éventuellement manipulés par des réseaux islamistes pour aller chercher des informations au cœur d'un service de renseignement, ne vont pas arriver avec des attitudes, des comportements, des attributs vestimentaires qui vont les faire remarquer. Ils vont être un peu plus intelligents que ça et arriver discrètement.
Je ne comprends pas que, ni avant ni depuis, dans un service comme celui-là, on ne soit pas attentifs au fait que nos adversaires puissent essayer d'être en train de retourner nos agents. C'est l'ambition de tout service de renseignement que d'essayer d'en infiltrer un autre. Si l'on avait mis en place ce simple contrôle, on aurait constaté que Mikaël Harpon fréquentait matin et soir un imam lui-même fiché S. Et là, peut-être qu'on se serait dit qu'il y avait un souci. Je ne comprends pas que la procédure ne soit pas mise en œuvre. Il ne s'agit pas de discriminer ni de stigmatiser nos concitoyens de confession musulmane, mais juste de vérifier s'ils ne sont pas l'objet d'une opération de retournement.
J'entends bien votre question. Mais quelle différence faites-vous entre quelqu'un qui se convertit, et le musulman de tradition familiale ?
Je vais préciser : si ce musulman, nouvellement musulman, fréquente une mosquée où il est entouré de gens fichés S, ce n'est plus pareil…
C'est ce que je vous ai indiqué d'emblée, et d'une certaine manière, vous abondez dans mon sens. Cette conversion amène éventuellement des signaux faibles…
Mais dans ce cas-là, il faut contrôler tout le monde ! Moi, j'ai du mal à faire le départ entre des gens qui sont convertis et des gens, encore une fois, de tradition ancienne. Pourquoi ne le ferait-on que pour une partie ? Je ne dis pas que je suis partisan de tout contrôler : je l'ai dit d'emblée, il faut qu'il y ait un certain nombre d'éléments, aussi faibles soient-ils, pour conduire à des vérifications. Là-dessus je suis d'accord avec vous.
Nous sommes ici pour essayer de comprendre et de réfléchir afin que cela ne se reproduise pas, suggérer des procédures, des modifications législatives. Vous dites que trente-six signalements ont été effectués. Cela signifie-t-il que trente-six enquêtes ont d'ores et déjà été faites ? Sur l'intégralité de ces signalements, est-ce à dire que la famille a été criblée, les amis, les fichés S éventuellement s'ils existent, la mosquée où s'exerce la religion, etc. Que les choses soient très claires : personne dans cette salle ne vient dire que le simple fait d'être musulman doit être un élément d'inquiétude. Mais évidemment une conversion est un acte volontaire qui doit conduire à s'interroger. Donc sur les 36 signalements toutes les enquêtes ont été faites ?
Je reviens à la question que j'avais posée : qui fait ces enquêtes et quelle forme prennent-elles exactement ? Vous avez cité un exemple. L'enquête consiste-t-elle à aller dire à la personne « pourquoi as-tu des choses qui concernent l'État islamique dans ton dossier ? » et s'entendre répondre « bah, parce que le patron m'a demandé de travailler sur le dossier » « Ok, merci beaucoup, au revoir. » ? Si l'enquête se résume à cela, alors effectivement, il y a des raisons de nous inquiéter de la nature des enquêtes qui sont effectuées. Si vous me dites que toutes les enquêtes ont d'ores et déjà été menées sur les trente-six signalements qui ont été faits depuis l'attentat, nous serons très rassurés quant à la rapidité des services de renseignement chargés de ce criblage.
. En guise de conclusion, je voudrais vous poser une dernière question faisant appel à l'expertise, au regard qui est le vôtre. Vous avez parlé de faille avant le 3 octobre et d'une vigilance manifestement renforcée aujourd'hui, ce qui souligne qu'elle ne l'était pas suffisamment précédemment. Aujourd'hui, que pouvez-vous nous suggérer comme proposition ? Quelle structure, quelle organisation nouvelle serait-elle plus légitime ou plus opportune ? Quelles procédures, quels outils, notamment juridiques, vous font-ils défaut, pour resserrer les mailles du filet et améliorer cette vigilance renforcée ? Elle n'était sans doute pas complètement absente précédemment, mais en tout cas elle s'exerçait de façon insuffisante. En résumé, si vous aviez des propositions à faire qu'elles seraient-elles ? Nous avions évoqué, lors de l'audition avec le préfet Delpuech, les difficultés juridiques dans les procédures de suspension, le marathon juridique qu'il fallait effectuer, les obstacles qu'il fallait surmonter… Aujourd'hui concrètement, pratiquement, au quotidien, quand les signalements remontent jusqu'à vous, comment mettez-vous en œuvre les procédures et que faut-il améliorer ?
Pour répondre à madame Le Pen, j'ai dû mal me faire comprendre, mais je crois avoir dit qu'on parle bien d'enquêtes, et d'enquêtes approfondies, y compris dans le cas que je vous ai indiqué. Il ne suffit pas d'appuyer sur un bouton. Ce sont de véritables enquêtes. Certaines, un petit nombre, ont pu être clôturées. D'autres, non, parce que justement on approfondit, on va au fond des choses. Elles sont encore en cours. C'est le premier point et je veux que là-dessus il n'y ait pas d'ambiguïté.
Le deuxième point, monsieur le président, porte sur les moyens d'améliorer les choses. J'ai parlé de la formation, et je rejoins ce que disait madame la députée tout à l'heure : il faut que les process de détection soient déclinés au plus fin. Qu'on vérifie que chacun a bien en tête ce que j'appelle le faisceau d'indices. C'est la formation, et ce sont les piqûres de rappel dont la hiérarchie doit être garante. Deuxièmement, je crois que le préfet Lallement vous en a parlé, nous avons une difficulté à nourrir les enquêtes disciplinaires. Logiquement, s'applique le principe du contradictoire qui, devant les juges administratifs, amène la partie adverse à connaître l'ensemble du dossier. Or les services de renseignement, la plupart du temps, ne le souhaitent pas, parce que les surveillances peuvent éventuellement continuer au-delà de la décision du tribunal administratif. Il y a là un sujet de réflexion, très clairement. Je ne suis pas juriste. C'est sans doute difficile à régler sur le plan juridique mais cela peut se tenter, à mon avis. De la même manière que pour les interceptions de sécurité, il y a un contentieux particulier dit asymétrique, où le juge a les informations et pas la partie adverse, pourquoi ne pas essayer de réfléchir à cela ?
J'ai entendu le préfet Delpuech parler de la formalisation de l'adhésion aux valeurs de la République, ce qui pourrait venir renforcer, d'une certaine manière, la possibilité que l'on a « d'accrocher » quelqu'un sur ce sujet. Je vais vous faire part, là aussi, d'une expérience que j'ai vécue avec quelqu'un qui a été écarté définitivement. Au cours du conseil de discipline, les choses étaient difficiles parce qu'il était bien conseillé. Je lui ai posé cette question : « Entre vos valeurs religieuses et les valeurs de la République, si vous deviez choisir à un moment parce qu'un ordre éventuellement vous gênait ? » Il n'a pas répondu, ou plutôt il m'a dit « bon, il n'y a aucune raison que ça soit différent. » J'ai insisté et il a répondu « eh bien, si cela advient, je quitterai la police nationale. » Cela veut tout dire.
Autrement dit, pour revenir à votre question, je pense en effet que, de la même manière que les magistrats et que les inspecteurs de l'environnement, par exemple, prêtent serment, on pourrait prévoir une procédure et un texte particulier pour les policiers. Évidemment, après, c'est la jurisprudence qui définira ce que sont les valeurs de la République, et ce qui est incompatible, mais pourquoi pas ? Peut-être faut-il toutefois attendre de voir ce que vont donner les saisines de la commission de l'article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure, puisqu'elle ne s'est encore jamais prononcée. Il sera intéressant de voir comment, et selon quels critères, elle apprécie la compatibilité ou l'incompatibilité entre les missions exercées et le comportement des intéressés.
La séance est levée à 15 heures 55.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Florent Boudié, M. Éric Ciotti, M. Éric Diard, M. Jean-Michel Fauvergue, Mme Marie Guévenoux, M. Meyer Habib, Mme Marine Le Pen, Mme George Pau-Langevin, M. Éric Poulliat, M. François Pupponi, M. Stéphane Trompille, Mme Alexandra Valetta Ardisson, Mme Laurence Vichnievsky
Excusés. - Mme Isabelle Florennes, M. David Habib, M. Guillaume Larrivé, Mme Constance Le Grip, M. Jean-Michel Mis, M. Guy Teissier