La séance est ouverte à 14 heures 30.
Présidence de M. Jean-Louis Thiériot, vice-président.
La Commission d'enquête entend M. Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale, accompagné de M. Bertrand Chamoulaud, chef du pôle doctrine-défense-planification-renseignement.
Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'auditionner le directeur général de la police nationale, M. Frédéric Veaux.
L'objet de cette commission d'enquête est de recueillir le maximum d'informations pour avoir la vision la plus précise possible de la déontologie, des pratiques et des doctrines de maintien de l'ordre, une des vocations de l'État, avec le monopole de la violence légitime qui y est associé.
Puisque nous sommes ici dans le cœur battant de la République, monsieur le directeur, trois principes peuvent être partagés autour de cette table : d'abord, protéger vos personnels, à qui je vous demande de transmettre tous nos remerciements ; ensuite, protéger les personnes et les biens qui se trouvent à la marge des manifestations ; enfin, garantir dans de bonnes conditions le droit constitutionnel de manifester.
Je vous prie d'accepter les excuses du président Jean-Michel Fauvergue, retenu dans sa circonscription pour la visite de trois ministres.
Cette audition est ouverte à la presse et retransmise sur le site de l'Assemblée nationale. Un compte rendu sera publié. L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « je le jure »
(M. Frédéric Veaux prête serment)
Monsieur Veaux, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Si notre groupe a demandé et obtenu la création de cette commission d'enquête, ce n'est pas pour refaire le travail effectué par Jean-Michel Fauvergue lorsqu'il présidait la commission d'enquête sur les moyens des forces de sécurité. Il s'agit de tenter de comprendre l'altération du lien entre les forces de l'ordre et la population, notamment dans certains quartiers, perceptible lors des manifestations de l'année dernière, alors qu'après l'attentat de Charlie hebdo, les manifestants soutenaient et remerciaient les policiers. Nous souhaitons, en recevant toutes les parties concernées, comprendre pourquoi ce divorce est intervenu, si des pratiques dans la police du quotidien ou dans le maintien de l'ordre ont contribué à cette rupture. Nous sommes convaincus que les forces de l'ordre sont essentielles à la démocratie et qu'il est important de rétablir ce lien.
Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, je suis accompagné du contrôleur général Bertrand Chamoulaud, conseiller à mon cabinet sur les questions d'ordre public.
Je me présente devant votre commission d'enquête avec la responsabilité des 146 000 hommes et femmes de la police nationale, qui assurent à tout moment la sécurité des personnes et des biens, quelles que soient les circonstances, dans le domaine de la lutte contre la délinquance, de la criminalité organisée et du terrorisme.
L'autre mission importante des policiers, vous l'avez rappelé, monsieur le président, est la préservation de l'ordre public. C'est à la fois une mission ancienne et sensible pour la police nationale : ancienne, car les compagnies républicaines de sécurité (CRS) ont été créées par une ordonnance du 7 mars 1945, prise par le général de Gaulle ; sensible, car les formes d'expression peuvent être violentes, accompagnées d'une exposition médiatique croissante.
Les modalités de la contestation ont en effet profondément changé au cours des dernières années. Un palier supplémentaire a été franchi depuis une dizaine d'années, notamment à l'occasion de sommets internationaux comme celui de l'OTAN, en 2009 à Strasbourg, ou encore celui de Hambourg, en Allemagne à l'occasion du G20.
Des groupes très violents, venus à dessein pour en découdre avec les forces de l'ordre, infiltrent les cortèges et déploient des stratégies très élaborées afin de commettre le maximum de dégâts. Ceux qui sont animés par la défense d'une cause côtoient des groupes de délinquants qui profitent de ces mêmes manifestations pour détruire des commerces et y dérober des valeurs, ou plus simplement pour se défouler et commettre le maximum d'exactions.
La recherche de l'affrontement systématique avec les policiers ou les gendarmes est le point commun de toutes ces personnes, que l'on peut classer en trois catégories.
D'abord, les groupes de la mouvance ultra – de gauche ou de droite – qui s'en prennent aux symboles de l'État et à ce qu'ils considèrent comme des symboles du capitalisme ou du libéralisme ; parmi eux figurent les black blocs, qui reçoivent fréquemment des renforts de l'étranger.
Ensuite, des mouvements moins structurés, comme celui des Gilets jaunes, qui ont vu émerger parmi eux des militants violents et décomplexés, s'en prenant non seulement aux forces de l'ordre mais aussi aux élus, aux journalistes, aux commerçants et parfois même à de simples passants.
Enfin, des groupes de délinquants, souvent issus des périphéries des grandes villes où se déroulent les manifestations, qui voient dans ces événements une opportunité pour piller, casser, voler.
Le maintien de l'ordre n'a jamais été une mission facile et les policiers ont dû s'adapter en permanence pour concilier le respect des libertés individuelles et collectives et le respect de l'ordre public. C'est cet équilibre qu'il nous faut rechercher en permanence, entre la sécurité que nous devons à chaque citoyen et la liberté de manifester et de s'exprimer que nous devons garantir.
L'exercice est devenu d'autant plus complexe que les débordements ont parfois un caractère imprévisible et que certains organisateurs refusent de plus en plus souvent de déclarer leurs manifestations. Cela empêche tout dialogue en amont du rassemblement, comme cela se fait, par exemple, avec les grandes centrales syndicales, qui disposent la plupart du temps de leur propre service d'ordre pour encadrer l'événement.
L'une de nos préoccupations principales, vous le comprendrez, est d'éviter qu'il y ait des blessés, aussi bien parmi les manifestants que parmi les forces de l'ordre, ou en marge de la manifestation.
L'objectif est toujours de prévenir les troubles, afin de ne pas avoir à les réprimer. La première étape concerne la conception, l'anticipation et le choix de la tactique opérationnelle du service d'ordre. Elle incombe aux responsables territoriaux de la sécurité publique, sous l'autorité de leur préfet, qui adaptent la tactique à la nature de la manifestation – statique ou en cortège. Vient ensuite la réalisation concrète, ou l'exécution du service d'ordre, qui peut évoluer en maintien de l'ordre selon la configuration et le déroulement de l'événement.
Les chefs de police disposent d'une formation technique et des compétences pour accomplir cette mission sur un terrain qu'ils connaissent, au contact d'une population qu'ils côtoient et au bénéfice de laquelle ils agissent au quotidien.
Les services de renseignement sont également très impliqués. Leur rôle consiste à prévoir le déroulement possible des événements, en appréciant l'état d'esprit des manifestants et en anticipant d'éventuels débordements. Ils s'efforcent bien sûr de détecter la présence de casseurs ou de groupes particulièrement violents. Il s'agit aussi d'éclairer la réflexion des autorités qui doivent prendre les décisions stratégiques à propos de la conception du service et de la nature des moyens à engager.
Il convient de rappeler que de très nombreuses manifestations ou rassemblements se déroulent, fort heureusement, de façon paisible, tous les jours, sur le territoire national. Deux chiffres illustreront mon propos : en 2019, plus de 31 750 manifestations ont été suivies par le service central du renseignement territorial (SCRT) ; de septembre 2019 à août 2020, plus de 9 000 mobilisations revendicatives ont eu lieu, uniquement en matière sociale, sur le territoire, hors du périmètre de la préfecture de police de Paris.
La plupart d'entre elles ne requièrent pas la mise en œuvre de dispositifs lourds de sécurité par les forces de l'ordre ; seules des mesures de circulation ou de protection destinées à en faciliter le bon déroulement sont prises, en étant attentifs aux mesures qui concernent la prévention du terrorisme.
Dans les villes d'une certaine importance, la direction centrale de la sécurité publique (DCST) dispose d'unités généralistes, mais aussi d'unités spécialisés et formées au maintien de l'ordre : les unités départementales d'intervention, appelées compagnies, sections ou groupes, en fonction du volume d'agents qui les composent.
La police s'appuie également sur des unités hautement spécialisées et adaptées à la mission, les CRS. Les 60 compagnies constituent la réserve et peuvent être mises à la disposition des préfets, aussi bien à Paris que sur l'ensemble du territoire national. Les escadrons de gendarmerie mobile participent bien sûr aux opérations sous le commandement de l'autorité civile, et souvent dans le cadre de dispositifs qui associent les deux forces du ministère de l'Intérieur. Leur répartition est assurée par un service placé auprès du DGPN – l'unité de coordination des forces mobiles –, qui reçoit les demandes de renfort des préfets de zone et soumet les arbitrages au cabinet du ministre de l'Intérieur en cas de demandes supérieures aux moyens disponibles.
La tactique mise en œuvre par ces professionnels expérimentés du maintien de l'ordre a évolué au fil du temps pour s'adapter aux menaces et aux circonstances. Des matériels spécifiques permettent de compléter les dispositifs susceptibles d'être déployés par les CRS, comme des engins lanceurs d'eau ou encore des véhicules spécialement équipés pour bloquer les rues.
Les unités de CRS, sous la direction d'un commandant de compagnie, emploient des personnels formés spécifiquement et équipés. Une partie de chaque compagnie est entraînée pour intervenir avec réactivité et mobilité, afin de procéder à l'interpellation de casseurs violents ; il s'agit des groupes appelés SPI-4G.
Pour l'exercice de leur mission, les policiers sont protégés physiquement, notamment par des casques à visière, des boucliers et des jambières, et équipés de moyens de défense.
Une opération de maintien de l'ordre peut nécessiter la mise en œuvre d'armes de différentes natures. Les armes de force intermédiaire sont conçues pour soutenir l'action des forces de l'ordre, en limitant les risques de blessures graves. Ces armes de force intermédiaire sont utilisées dans des conditions strictes, imposées par la loi, notamment en situation de légitime défense, ou lorsqu'un attroupement a été caractérisé et qu'il ne peut être dispersé autrement. Il peut s'agir de grenades, de gaz lacrymogènes ou de bâtons de défense. Leur emploi est gradué en fonction des circonstances.
Par ailleurs, la loi distingue, d'une part, l'autorité habilitée à décider de l'emploi de la force – il s'agit en général de commissaires de police responsables des services locaux de sécurité publique – et, d'autre part, les échelons de commandement opérationnels, appelés « commandants de la force publique ».
L'usage de la force est ainsi contrôlé et ne sera mis en œuvre que le temps strictement nécessaire pour ramener le calme ou pour procéder à l'interpellation des auteurs d'infractions, qu'il s'agisse de violences sur des personnes physiques ou de dégradations de biens.
Par ailleurs, un travail de police judiciaire est également mené par les services d'investigation de la police technique et scientifique (PTS) sur les scènes de violences collectives, afin d'identifier et d'interpeller, même a posteriori, les auteurs des infractions constatées.
Dans le respect des lois et du code de déontologie de la police nationale, différents textes internes sont venus préciser les règles applicables en matière de maintien de l'ordre. Une doctrine du maintien de l'ordre de la police nationale, datée du 21 avril 2017, énonce les principes et les responsabilités dans ce domaine.
Une instruction commune à la DGPN, à la préfecture de police et à la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) a précisé, le 7 août 2017, les modalités d'emploi des différentes armes de force intermédiaire.
Ces principes et ces textes sont enseignés dans le cadre de la formation initiale des trois corps actifs de la police, mais aussi tout au long de la carrière des policiers, dans le cadre de la formation continue. Cette formation s'adapte et évolue, tant sur le fond que sur la forme, puisque, dorénavant une formation dispensée en e-learning est proposée par la direction centrale du recrutement et de la formation de la police nationale (DCRFPN). D'une durée de six heures, elle permet à chaque policier de maintenir ses connaissances à jour et de développer ses compétences théoriques sur ce sujet. Des entraînements sont régulièrement réalisés, tant dans les CRS qu'en sécurité publique.
Le ministre de l'Intérieur a présenté, le 16 septembre 2020, le schéma national du maintien de l'ordre (SNMO), destiné à être partagé très largement. Il réaffirme les principes précédemment évoqués : préserver la possibilité pour chacun de s'exprimer librement dans les formes prévues par la loi ; empêcher tout acte violent contre les personnes et les biens à l'occasion des manifestations.
La police nationale réalisera des efforts encore plus importants dans le domaine tactique de la formation et des équipements. Les policiers doivent en effet pouvoir disposer de moyens modernes et adaptés pour remplir leurs missions, en toute sécurité physique et juridique. Cela doit être accompagné d'une nouvelle approche dans la communication et la pédagogie sur notre action, tant auprès des élus, des citoyens que de la presse.
Il est explicitement rappelé dans le SNMO qu'il est nécessaire d'assurer une prise en compte optimale des journalistes et de protéger le droit d'informer. Par ailleurs, la nécessité de préserver l'intégrité physique des journalistes sur le terrain est réaffirmée. Nous mettrons en œuvre, pour les journalistes qui le désirent, des phases d'immersion durant des entraînements. Une séquence aura lieu les 7 et 8 octobre. Des dispositifs d'accompagnement des journalistes, le jour des manifestations, sont également prévus, grâce à l'implication de policiers référents en communication dans les services territoriaux.
La transparence, dans l'action de la police, passe également par la création d'une nouvelle mission. Il s'agit de développer l'information des organisateurs et des manifestants, en amont et pendant les manifestations, afin d'en faciliter le bon déroulement. Des policiers spécialisés formeront les équipes de liaison et d'information (ELI) pour informer et maintenir un contact permanent entre les manifestants et le responsable du dispositif. Une doctrine organisera cette mission qui donnera lieu à une formation obligatoire spécifique de deux jours et demi.
Le SNMO prévoit d'autres évolutions, dont la déclinaison a déjà débuté :
– la modernisation du processus des sommations avant usage de la force, afin de les rendre compréhensibles par celles et ceux à qui elles sont destinées ;
– la clarification des responsabilités de chacun ;
– la formation des unités spécialisées ou non, avec l'organisation d'entraînements communs ;
– le remplacement des anciens modèles de grenades à main de désencerclement (GMD) par des modèles moins vulnérants ;
– la mise en place d'un superviseur associé aux tireurs de lanceurs de balles de défense (LBD) ;
– le port d'un uniforme, avec un marquage au dos d'identification des unités ;
– la non-généralisation du port de la cagoule, qui ne remet pas en cause le port des équipements de protection anti-feu.
Avant de conclure mon propos introductif, je rappellerai que l'action de la police nationale dans les missions de rétablissement de l'ordre républicain est conduite dans le respect strict des cadres juridique et déontologique. Cette action fait l'objet de contrôles à la fois hiérarchiques, administratifs, judiciaires et médiatiques.
Tout citoyen a la possibilité de contester les conditions dans lesquelles la force légitime a été employée par la police nationale, en s'adressant à la plateforme de signalements de l'inspection générale de la police nationale (IGPN) ou en déposant une plainte, dont le parquet du tribunal judiciaire compétent assurera le traitement.
Il n'existe pas en France d'institution plus contrôlée et autant sanctionnée que la police. C'est une réalité que personne ne peut contester. Il n'est donc pas inutile de rappeler que l'engagement permanent des policiers pour maintenir l'ordre public a été exceptionnel et remarquable au cours de ces dernières années, dans des conditions souvent particulièrement violentes.
Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, comme vous le savez, les policiers font preuve d'un très grand dévouement et de beaucoup de courage, dans un contexte qui me semble beaucoup plus difficile aujourd'hui qu'hier. Je tiens à leur témoigner une nouvelle fois, devant votre commission, toute mon estime, ma confiance et ma reconnaissance pour leur contribution déterminante à la défense de nos institutions et de nos libertés.
Les CRS, spécialistes du maintien et du rétablissement de l'ordre, sont spécifiquement formés à ces missions. Lors des manifestations des Gilets jaunes et de différents mouvements violents, des unités telles que les brigades anti-criminalités (BAC) ou les unités de sécurité publique, qui ne sont pas formées pour cette mission, se sont retrouvées à faire du maintien de l'ordre. Quel type de formation leur est délivrée, et dans quelle école ? N'y aurait-il pas lieu de réfléchir à une mutualisation avec la gendarmerie, au centre de Saint-Astier ?
Les gendarmes ne restent que quelques années dans la gendarmerie mobile – mis à part ceux appelés à y devenir cadres – avant de rejoindre la gendarmerie départementale. En va-t-il de même pour les CRS ? Il me semble que ce n'est pas le cas, que certains policiers effectuent toute leur carrière dans une compagnie. Si cela a le mérite de faire valoir l'expérience, l'inconvénient en est sans doute la fatigue, l'usure des personnels – il est difficile de se faire insulter durant trente ans de vie professionnelle. Qu'en pensez-vous ?
Par ailleurs, nous savons que lorsque des manifestations dégénèrent ou que des attroupements se forment, des dégâts sont généralement commis et qu'une judiciarisation des infractions est nécessaire pour déclencher des poursuites. Pensez-vous que les moyens juridiques et matériels permettant de mener à bien cette judiciarisation sont suffisants ?
Parfois, lorsque des casseurs opèrent, nous voyons les forces de l'ordre statiques, l'arme au pied – c'est en tout cas l'impression que l'on peut en avoir en regardant la télévision. Nous savons que la raison principale de cette stratégie est ne pas dégarnir les lignes de front, mais comment faire pour éviter ces images ravageuses ?
Enfin, la communication est aujourd'hui une arme de guerre. Nous avons tous vu les images tronquées qui circulent sur Twitter de tel ou tel événement qui se serait déroulé dans le cadre du maintien de l'ordre. Une réflexion est-elle menée au sein de la police pour y répondre, avec les moyens adaptés, et améliorer la communication ?
Ces dernières années, le niveau d'engagement des forces de l'ordre a impliqué de mettre à contribution des unités de sécurité publique qui n'ont pas reçu la même formation, initiale et continue, que les CRS.
Je l'ai évoqué, les grandes villes de province disposent d'unités spécialisées, à savoir des compagnies d'intervention qui effectuent le même travail que les CRS, avec l'avantage de mieux connaître le terrain. Quant aux BAC, leur mission n'est pas de rétablir l'ordre, mais d'interpeller les fauteurs de troubles ou les personnes qui ont cassé ou saccagé des biens privés et publics.
Ces unités ont des missions différentes, mais sur le terrain, elles se comprennent parfaitement, se coordonnent pour ne pas se trouver isolées dans des situations complexes. Il est donc nécessaire de développer des séquences de formation continue qui permettent d'approfondir la maîtrise des techniques et la compréhension mutuelle des actions de chacun. C'est un objectif partagé par tous, personnels, organisations syndicales, chefs de police et ministres successifs.
Toutefois, l'engagement des forces de l'ordre a été tel ces derniers mois que les policiers n'ont pas pu assister aux séances de formation continue. Nous comptons bien reprendre le rythme de ces formations, afin de maintenir un haut niveau de performance.
S'agissant de la formation initiale, les élèves reçoivent un enseignement spécifique, selon la spécialité choisie. Un élève policier souhaitant devenir CRS se verra dispenser une formation approfondie en matière de maintien de l'ordre.
Vous avez évoqué l'hypothèse de formations communes avec la gendarmerie nationale. Je travaille avec le directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN) en ce sens, pour développer une réflexion commune sur la mutualisation des matériels, des tactiques, des gestes techniques et des formations.
Il est vrai que les gendarmes exercent quelques années en gendarmerie mobile avant de rejoindre la gendarmerie départementale. L'esprit, dans la police nationale, est différent : un policier peut faire toute sa carrière en CRS, ce qui suppose des contraintes et de grands sacrifices sur le plan familial. Il s'agit d'un choix personnel, qui intègre les règles de mutation dans la fonction publique. Les capacités physiques, par ailleurs, doivent permettre de faire face aux missions qui nous sont confiées – mais j'ai la faiblesse de penser que l'usure ne vient pas nécessairement avec l'âge et que nous pouvons rester extrêmement motivés et engagés, même à l'approche de la retraite… Cependant, je suis partisan du renouvellement. Il est toujours bon qu'une mixité s'installe afin d'éviter que les structures ne se referment sur elles-mêmes et cessent de questionner leur mode opératoire ou leur organisation.
La judiciarisation des infractions commises lors des manifestations est très importante, non seulement pour les victimes – certaines voient leur commerce saccagé régulièrement – mais aussi pour l'image que ces débordements donnent de la police.
L'objectif assigné à l'ensemble de nos forces, sous la conduite des préfets en charge de l'ordre public, est de faire cesser immédiatement ces infractions, voire de les empêcher si elles en ont les moyens. C'est l'intérêt de disposer des brigades de recherche et d'intervention (BRI) anti-criminalité ou des brigades de répression de l'action violente motorisées (BRAV‑M), à Paris, qui peuvent se déplacer de manière très rapide.
Oui, nous disposons d'outils en matière de judiciarisation. L'enquête judiciaire n'est pas une science exacte, nous n'élucidons pas tous les faits, même en dehors des questions d'ordre public. Pour y parvenir, il est important de récolter des renseignements, de faire de l'observation pendant les manifestations, de recueillir le maximum d'éléments matériels. Si nous interpellons des individus munis d'armes par destination, et si par ailleurs ils sont connus et récidivistes, ces éléments aggravants sont très importants.
La police technique et scientifique intervient sur les scènes de pillage, par exemple, pour relever des indices. Le contexte est important, et nous devons toujours le rappeler quand des personnes sont interpelées et déférées devant la justice, même si elles ont été arrêtées pour un fait isolé. Ainsi, un individu interpelé pour avoir volé des vêtements de luxe dans une boutique vandalisée ne sera pas jugé pour vol à l'étalage. Son acte sera replacé dans le contexte de la manifestation, de la violence, des pillages et de la détermination des auteurs des faits. De surcroît, depuis la loi de 2019, un certain nombre d'infractions sont désormais caractérisées : la participation à un attroupement ou la dissimulation du visage peuvent faire l'objet de poursuites.
Madame la rapporteure, vous avez évoqué la distance qui s'est créée entre les forces de l'ordre et la population. Quand la police arrête ou sanctionne, personne ne la trouve sympathique. En revanche, quand elle lutte contre le terrorisme, un sentiment national fort se crée, et elle bénéficie du soutien de l'opinion publique.
Par ailleurs, des images filmées lors d'une manifestation peuvent être tronquées. Certains ont parfois intérêt à isoler des images du contexte, plutôt que de diffuser la scène dans son intégralité. Je citerai l'exemple récent de l'interpellation d'une aide-soignante sur l'esplanade des Invalides, jugée par certains observateurs comme un peu vigoureuse. Sans me prononcer sur la nature des faits, je soulignerai que le visionnage de l'intégralité de la scène a démontré que cette personne avait jeté des projectiles sur les forces de l'ordre.
Malgré tout ce que nous avons vécu, il me semble que les forces de l'ordre – et les sondages vont en ce sens – bénéficient encore d'une très bonne image et d'un fort soutien de la part de la population. Bien entendu, nous ne réussirons jamais à convaincre la partie de l'opinion publique qui est idéologiquement hostile à la police. Une autre partie oscille selon les circonstances, les événements et la manière dont ils sont relatés.
Nous avons créé cette commission en n'ignorant pas le dévouement des policiers et de tous ceux qui nous protègent. Nous savons aussi que ces dernières années, entre les attentats et les manifestations, les forces de l'ordre ont été mises à rude épreuve. Mais à partir du moment où elles disposent d'une exclusivité en matière de maintien de l'ordre et d'usage de la force, nous sommes amenés à étudier très attentivement la façon dont elles l'emploient. Pour cela, nous devons aussi entendre ceux qui dénoncent les problèmes.
Nous avons pris connaissance du nouveau SNMO. Les syndicats de policiers, que nous avons auditionnés il y a quinze jours, ont indiqué qu'ils n'avaient pas été suffisamment associés à l'élaboration de ce schéma. Pouvez-vous nous dire comment ce schéma a été élaboré ? Quelle concertation pourrait être menée pour répondre à cette préoccupation ? Par ailleurs, des journalistes estiment qu'ils ne seront pas traités correctement, puisque dans ce schéma, ils ne seraient pas considérés comme des observateurs extérieurs, mais assimilés aux manifestants.
Concernant la doctrine relative à l'emploi de la force, le ministre a annoncé l'interdiction de la technique de l'étranglement, dénoncée par les experts dans un rapport il y a plusieurs années, suite au décès de Lamine Dieng. Les policiers estiment qu'ils ne peuvent pas se priver de cette technique tant qu'aucune alternative ne leur est proposée. Un groupe de travail a-t-il été créé pour réfléchir à des alternatives ? Si oui, pouvons-nous espérer connaître ses conclusions assez rapidement ?
Nous avons également abordé, lors d'auditions, la question des caméras piétons. J'ai cru comprendre qu'une expérimentation était en cours, les caméras piétons étant conçues notamment comme une alternative à la délivrance de récépissés aux personnes soumises à un contrôle d'identité ; avez-vous des éléments à nous livrer sur cette expérimentation ?
Vous avez indiqué, monsieur le directeur, que l'on pouvait désespérer qu'une partie de la population soutienne un jour les forces de l'ordre. Ne soyons pas aussi défaitistes ! Les habitants, y compris dans les quartiers populaires, désirent être protégés par les forces de l'ordre.
Mais comment expliquez-vous que, dans les quartiers populaires, les habitants puissent avoir le sentiment de ne pas être traités équitablement par les forces de l'ordre ? Avez-vous des pistes pour y remédier ? Un dialogue existe-t-il entre les forces de l'ordre et les élus, notamment les maires, qui ont en charge la tranquillité publique ?
J'ai écouté les déclarations des syndicats devant votre commission et il m'a semblé qu'ils accueillaient le nouveau SNMO de manière globalement positive. Il en a été de même lorsque le ministre de l'Intérieur le leur a présenté, le jour de l'installation de la nouvelle directrice centrale des CRS (DCCRS).
Je ne puis vous renseigner sur la façon dont les travaux ont été conduits, puisque j'ai pris mes fonctions au mois de février 2020 et que la conception a démarré en janvier 2019. Après des manifestations ayant fortement marqué les esprits, le ministre Castaner a réuni les organisations syndicales place Beauvau pour évoquer ce qui devait être corrigé et modifié. Je crois savoir que beaucoup d'observations et de remarques formulées par les syndicats ce jour-là ont été intégrées dans le SNMO.
Le dialogue social dans la police est particulièrement riche et développé. S'il a pu être considéré comme insuffisant avant la publication du SNMO, je ne doute pas que, dans les semaines et les mois qui viennent, les occasions d'échanger seront nombreuses et permettront de faire évoluer les choses.
Nous avons également entendu les préoccupations des journalistes quant à la manière dont ils pourraient être traités au cours des manifestations. Il est bien évident qu'il n'est nullement question, dans un pays comme le nôtre, de porter atteinte à la liberté d'informer, quels que soient les circonstances et les lieux, encore moins durant les manifestations. Ce sont pourtant des moments particulièrement difficiles à gérer et les responsables du maintien de l'ordre craignent toujours, lorsqu'une situation dégénère, que des journalistes soient maltraités, faute d'avoir été identifiés comme tels.
L'objectif est de développer une relation, une connaissance mutuelle, d'ouvrir davantage nos portes aux journalistes pour qu'ils découvrent et comprennent nos méthodes et nos organisations et que, de notre côté, nous puissions mieux comprendre leurs attentes. Je n'ai pas noté d'ambiguïtés dans la rédaction du SNMO, mais j'espère que celles qui auraient pu naître de sa lecture seront rapidement corrigées, notamment à l'occasion d'une participation à des entraînements des forces mobiles : ceux-ci seront ouverts à la presse, tous les journalistes y seront conviés.
Suite aux événements survenus au printemps, M. Castaner a demandé la constitution d'un groupe de travail sur les techniques de substitution à la technique de l'étranglement, qui consiste, en exerçant une pression sur la trachée, à réduire l'oxygène et la circulation sanguine. Dirigé par le directeur départemental de la sécurité publique du Val-d'Oise, un professionnel reconnu, et rassemblant les organisations syndicales, deux médecins, des sportifs de haut niveau et des formateurs, il vient de rendre ses conclusions. Je les présenterai au ministre de l'Intérieur dans les jours qui viennent avant de les livrer à la représentation nationale.
Le Président de la République entend généraliser les caméras piétons d'ici à 2021. Nous voulons disposer de matériels performants, facilement manipulables dans des moments de tension et fiables – il est important de pouvoir exploiter immédiatement les images sans en altérer le support afin que personne ne puisse ensuite contester la manière dont les images ont été recueillies. Par ailleurs, l'autonomie des caméras s'avère pour le moment très limitée, et ne couvre pas le temps d'une vacation ou d'un service d'ordre. Nous avons comparé les différents matériels et déterminé les éléments d'un marché public pour équiper très prochainement nos forces.
Si les policiers se sont d'abord méfiés des caméras piétons, considérant qu'il s'agissait d'une forme de surveillance, ils expriment aujourd'hui clairement le besoin de pouvoir justifier de leurs actions. Ils estiment aussi que la présence d'une caméra permet, lorsqu'un individu est un peu agité, de faire redescendre la tension.
Madame la rapporteure, vous m'avez peut-être mal compris. Lorsque j'ai évoqué cette partie de la population irréductiblement hostile aux forces de l'ordre, je ne parlais pas des quartiers populaires. Je ne pense pas que ce soit lié à l'origine sociale, mais plutôt à une idéologie. Une autre partie de la population fluctue et s'interroge, en fonction des circonstances, de la connaissance qu'elle a de la police et des moyens qu'elle emploie.
Je ne nie pas les problèmes, mais je pense que la police est à l'image de la société et que nous devons mieux nous faire connaître auprès de la population afin que celle-ci comprenne nos missions. Pour cela, les élus locaux sont des partenaires essentiels. Je pense aux groupes de partenariat opérationnel (GPO), qui, sur la sécurité du quotidien, associent les élus, les associations, les bailleurs sociaux… Ils identifient les problèmes, se mettent autour de la table et s'efforcent de les régler.
Les techniques de maintien de l'ordre sont différentes dans d'autres pays et semblent donner lieu à moins de difficultés. Avez-vous des échanges avec vos homologues étrangers sur ces questions ? Que pensez-vous, par exemple, de la technique de la désescalade ?
Nous avons beaucoup d'échanges et nous nous nourrissons de ce qui se fait à l'étranger, en termes d'organisation, de formation ou d'équipements. Cependant, les cultures sont radicalement différentes et il serait difficile, par exemple, de transposer les méthodes des polices régionales allemandes.
La technique de la désescalade, que certains ont tendance à vanter de manière excessive dans notre pays, ne produit pas toujours les effets escomptés. Elle ne peut en tout cas pas être utilisée dans les situations que nous avons connues ces derniers mois.
Monsieur le directeur général, dans le nouveau SNMO, les GMD ont été remplacées par un nouveau type de grenade, réputée moins dangereuse, la grenade à éclats non létaux (GENL). Qu'en pensez-vous ?
Lors de leur audition, des syndicats des forces de police et de gendarmerie ont appelé à stopper la judiciarisation du maintien de l'ordre. Quel est votre point de vue ?
Concernant la formation – formation continue, e-learning, entraînements –, ne serait-il pas nécessaire de mettre en place un centre de formation dédié au maintien de l'ordre, afin d'assurer l'uniformisation des opérations ?
Vous avez également évoqué un stage d'immersion réservé aux journalistes. Pensez-vous que les députés puissent y être acceptés ?
Je ne peux que rendre hommage aux forces de l'ordre, alors qu'il y a encore quelques jours, un terroriste a été arrêté. L'année dernière, près de 20 000 fonctionnaires de police et de gendarmerie auraient été blessés. Ce chiffre est colossal et donne une idée de l'ampleur de la tâche. Le confirmez-vous ?
La préservation de l'ordre public est le fondement de notre République. Sans ordre, il n'y a pas de République. Cet ordre doit être fondé sur la confiance, mais aussi sur le respect et pourquoi pas, sur la crainte, la « peur du gendarme ».
Hélas, nous voyons tous les jours – tout est filmé, et sous plusieurs angles – des provocations incroyables, des policiers humiliés, insultés, bousculés, des agressions en meute contre les forces de l'ordre. Ces images circulent, et c'est dramatique. Les policiers, dont la mission est de faire régner l'ordre public, semblent parfois paralysés alors qu'ils doivent répondre en une fraction de seconde aux provocations.
Nous avons tous en mémoire les dérapages lors des manifestations des Gilets jaunes ou des matchs de foot. Ces vidéos ont fait le tour du monde et ont eu un effet dramatique pour l'image de la France. Je voudrais ici rendre hommage à votre prédécesseur, Éric Morvan, dont la tâche était ardue. Certains reprochent aux forces de police un usage disproportionné de la force, mais il y aura toujours des bavures, dans toutes les polices du monde. Le seul moyen de ne pas avoir de bavure, c'est de ne pas avoir de police. Il faut un maximum de confiance et de respect.
La liberté de manifester reste une liberté fondamentale, et personne ne songe à la limiter. Il me semble qu'actuellement, les policiers souffrent du « syndrome Malik Oussekine » – du nom de cet étudiant victime d'une bavure en marge d'une manifestation en décembre 1986. Les fonctionnaires ont peur de la bavure, cette crainte les paralyse et elle est amplifiée par le recours systématique aux vidéos. Il est nécessaire d'aider les policiers, de les protéger, de leur permettre d'apporter une vraie réponse républicaine. Rien n'y fera, la population reste attachée à la police, alors, de grâce, redonnons confiance, ouvrons le débat pour que la police soit davantage respectée !
Pour en avoir discuté avec de nombreux policiers – je suis moi-même protégé depuis des années –, la technique de l'étranglement semble indispensable, notamment lorsque l'individu à maîtriser est corpulent. Évidemment, elle doit être encadrée – nous ne sommes pas aux États-Unis ! –, mais l'interdire serait une erreur. Certes, elle est complexe et requiert une formation, mais elle est utilisée dans beaucoup de pays, comme le Danemark, le Royaume-Uni ou Israël.
Avec le directeur général de la gendarmerie nationale, nous avons proposé au ministre de l'Intérieur de changer de modèle de grenade. En effet, les enquêtes conduites par l'IGPN ont montré que, contrairement au cahier des charges adressé au fabricant, les éclats de GMD pouvaient monter à hauteur de visage et causer de graves lésions.
Nous avons donc choisi de nous tourner vers un autre modèle – déjà disponible dans certaines unités –, moins vulnérant, qui a les mêmes effets de bruit et d'émission de petits projectiles. L'ancien modèle ne sera plus utilisé que dans le cadre des formations des unités spécialisées.
Je n'ai pas bien saisi la question concernant la judiciarisation. Nous souhaitons la renforcer car la meilleure façon de neutraliser les auteurs de violences est de les identifier afin qu'ils soient poursuivis et condamnés. L'action judiciaire est nécessaire, avant, pendant et après la manifestation.
Certains syndicats ont indiqué que la judiciarisation posait problème quand elle se faisait dans le feu de l'action ; gérer à la fois le maintien de l'ordre et l'interpellation semble compliqué.
Quand bien même la tâche serait compliquée – les chances de succès sont plus ou moins grandes selon la manière dont cela se passe –, il ne faut pas se l'interdire ! Ensuite, et c'est l'une des garanties de notre système, le juge est là pour dire le droit et reconnaître la réalité des faits rapportés. Il me semble donc qu'il convient d'intensifier la judiciarisation et de recueillir un maximum d'éléments matériels pour établir les preuves.
S'agissant de la formation et de l'idée de créer un centre de formation national, nous avons fait le choix de créer des sites de proximité, dans chaque direction zonale, pour réunir les unités de force mobiles, les CRS, mais aussi les compagnies d'intervention. Par ailleurs, nos portes sont ouvertes à la représentation nationale, madame Bono-Vandorme.
Monsieur Habib, je suis également très soucieux et scandalisé de la manière dont certains policiers sont traités. Je suis policier de formation, j'ai exercé pendant quatre ans dans le corps préfectoral, avant de reprendre des fonctions dans la police. À mon retour, j'ai été frappé par l'intensité des violences. Les policiers sont victimes d'agressions physiques dans le cadre de leur activité professionnelle mais aussi de leur vie privée. Parfois, ce sont des membres de leur famille qui sont visés. Ainsi, un jeune homme de 16 ans a été menacé, dans des circonstances particulièrement graves, dans son lycée, au motif que son père était un « baceux ».
Vous dites que les policiers sont parfois paralysés quand ils sont agressés. Je ne le crois pas. Nos policiers sont motivés, courageux et engagés. Vous avez beau avoir été sélectionné, formés, le jour où vous faites face à un événement grave, vous êtes le seul à arbitrer, à décider de ce qu'il convient de faire. Les choses pourront basculer, dans un sens ou dans l'autre. C'est une sacrée responsabilité, mais c'est ce qui fait la richesse de ce métier.
Mon objectif est de trouver les moyens de protéger encore davantage les policiers face à cette réalité. J'ai proposé au ministre de l'Intérieur, qui l'a accepté, de créer une plateforme d'assistance aux policiers, « Policiers victimes », qui fonctionne sept jours sur sept, de cinq heures à vingt-trois heures. Les policiers injuriés, agressés, pris à partie peuvent s'adresser à un policier qui les prendra en charge, les pilotera, leur portera assistance.
Concernant la technique de l'étranglement, les conclusions du groupe de travail seront bientôt communiquées au ministre, qui prendra les décisions qui s'imposent. J'ai fait beaucoup de terrain et je peux vous affirmer que parfois, nous faisons ce que nous pouvons, avec les moyens dont nous disposons, selon la stature de la personne interpellée, selon notre propre corpulence. Les techniques qu'utilisent d'excellents professionnels, aguerris, spécialistes des sports de combat et appartenant à des unités telles que la BRI ou le RAID ne sont pas forcément généralisables. Les policiers du quotidien peuvent intervenir dans un contexte dégradé ou en état d'infériorité : ma responsabilité de directeur général est de leur donner les moyens matériels et juridiques qui leur permettent de mener à bien leur mission, sans s'exposer physiquement, ni risquer de faire subir à la personne des dégâts physiques irréparables. C'est l'objet du groupe de travail que de déterminer les techniques utilisables par tout policier.
Même avec tout le professionnalisme et le dévouement dont font preuve les forces de l'ordre dans l'exercice de leur mission, le comportement de certains policiers peut poser problème.
La police est un corps professionnel très contrôlé et sanctionné. Afin d'illustrer vos propos, pouvez-vous donner des statistiques sur le nombre de procédures engagées, les décisions judiciaires, les sanctions prises en interne ?
Je propose que le directeur général nous communique quelques chiffres et qu'il nous transmette ultérieurement des informations plus complètes, que nous joindrons au rapport.
J'ai eu l'occasion de le dire devant une autre commission parlementaire : plus de 50 % des sanctions prises dans la fonction publique concernent des policiers.
Depuis novembre 2018, l'IGPN a été saisie de 406 enquêtes judiciaires concernant des incidents lors de manifestations sur la voie publique. Par ailleurs, et je le fais sans aucun plaisir, j'ai signé à plusieurs reprises, depuis ma prise de fonction, des arrêtés de révocation.
Le citoyen dispose, heureusement, des moyens de signaler des comportements à l'IGPN. Je sais que la légitimité de l'IGPN est parfois contestée, mais elle effectue, outre des enquêtes administratives, des enquêtes judiciaires sous le contrôle du parquet. Et celui-ci décide de poursuivre ou non les policiers mis en cause.
Le documentaire « Un pays qui se tient sage » sort aujourd'hui même au cinéma. Il est décrit, dans Le Monde d'hier, comme une radiographie documentée des violences policières. Une série de vidéos prises pendant les manifestations des Gilets jaunes est diffusée durant une heure et demie, avec des commentaires d'experts, de policiers. Ce documentaire va faire mal à la police ; et s'il fait mal à la police, il fera mal à la République, malheureusement.
Face à ces images, l'argument principal de la police, et vous en avez usé tout à l'heure, est de dire que la scène n'est pas diffusée dans son intégralité. J'ai du mal avec cet argument, mais peut-être est-ce parce que je ne connais pas bien les règles d'engagement, notamment avec les LBD. Cela revient à dire que lorsqu'un policier se prend une chaise sur la figure, et qu'il fait usage de son LBD, comme la réglementation le lui permet, cinq ou dix minutes après, seule cette action est filmée et diffusée.
Pouvez-vous, par ailleurs, nous en dire davantage sur les superviseurs, en termes réglementaires, et nous expliquer comment les policiers devraient faire usage des LBD ? Cet usage se fait dans l'instantanéité et j'ai du mal à imaginer comment un superviseur pourrait donner à chaque fois l'autorisation de tirer.
L'objectif d'un superviseur est avant tout de protéger les policiers, qui se trouvent dans une situation de stress. Un policier focalisé sur son tir n'a pas forcément une vision panoramique de ce qui peut se passer au-delà de la cible. Il s'agit de s'assurer, avant de donner l'autorisation, que le tir est nécessaire, proportionné et ne risque pas de créer des dégâts collatéraux. Nous sommes toujours plus forts à deux que seul.
Le réalisateur David Dufresne est un militant de la lutte contre les violences policières. Je n'ai pas encore vu son documentaire mais je le regarderai si j'en trouve le temps. Je pense que, quelles que soient les circonstances, nous avons tous intérêt à recourir à la vidéo. Aujourd'hui, l'image est partout – certains la détournent et la manipulent. Il est important, dans une société de communication comme la nôtre, que la police ait aussi la capacité de filmer les événements. Je suis donc à 200 % favorable à l'usage de drones, de caméras, ou de caméras piétons.
Il convient de préserver l'anonymat des personnes filmées dans une foule, tout en permettant de les identifier si elles se rendent coupables d'exactions ou d'actes de délinquance. De la même manière, les policiers filmés parfois de très près par les citoyens sur leur smartphone doivent bénéficier de l'anonymat – et être identifiés si nécessaire.
Sans dévoiler les conclusions du groupe de travail, dont vous réservez la restitution au ministre de l'Intérieur, pouvez-vous confirmer devant notre commission que les travaux ont permis de déterminer des techniques alternatives ?
Je ne peux pas indiquer à l'avance quelles seront les décisions que prendra le ministre de l'Intérieur. Je me contenterai ici de rappeler que M. Castaner n'a pas pris seul l'initiative d'interdire la technique de l'étranglement. C'est moi qui le lui ai proposé, dans le souci de protéger les femmes et les hommes dont j'ai la responsabilité.
Il a été fait usage du LBD comme arme offensive dans un certain nombre de manifestations, alors que le LBD est censé être une arme de défense. En créant une fonction de superviseur, vous donnez l'autorisation aux policiers de tirer de façon offensive. Il est même indiqué, dans le SNMO, que le policier peut en faire usage, seul, en cas de légitime défense. Je trouve cela inquiétant.
Quant au remplacement de la grenade GLI-F4 par la grenade instantanée GM2L, le ministère de l'Intérieur indiquait en 2019, dans son mémoire de défense devant le Conseil d'État, que « [sa] puissance (et donc la dangerosité pour quiconque voudrait ramasser un tel projectile) est quasiment similaire à celle de la GLI-F4, malgré l'absence d'explosif […] ». On entend par explosif le TNT, puisque la grenade GM2L, comme toutes les autres grenades, est destinée à exploser.
Pouvez-vous nous indiquer comment le SNMO a été élaboré et qui y a participé ?
La condition de l'autorité de la police nationale, c'est son exemplarité, et pas uniquement dans le devoir de loyauté vis-à-vis de la hiérarchie – l'essentiel des sanctions disciplinaires concernent des policiers qui ont déplu à leur hiérarchie. La police doit aussi être loyale envers les citoyens.
Vous avez procédé à l'interpellation d'organisateurs, lorsque la manifestation n'avait pas été déclarée au préalable. Pourquoi cette doctrine n'est-elle pas appliquée aux regroupements de policiers – même si le récent syndicat « option nuit » a déclaré les dernières manifestations ?
Vous pourrez peut-être poser cette question au préfet de police, responsable de l'ordre public à Paris. J'ai la faiblesse de penser que le risque de trouble à l'ordre public lors d'une manifestation de policiers est moindre.
Concernant l'exemplarité des policiers, je fais mienne votre définition. Quelle que soit l'institution que nous servons, nous nous devons d'être exemplaires, dans notre vie professionnelle comme dans notre vie personnelle.
Nous vous communiquerons des éléments chiffrés et vous pourrez constater que l'IGPN ne sanctionne pas uniquement les policiers pour désobéissance ou manque d'exemplarité à l'égard de la hiérarchie.
S'agissant de l'utilisation des armes intermédiaires, vous dites que nous donnons un blanc-seing aux policiers pour faire usage de leur LBD. Les règles d'engagement sont très claires et tout le monde doit s'y soumettre. Aujourd'hui, nous avons la capacité de retracer les conditions de l'emploi des LBD grâce aux images prises pendant les manifestations, et des enquêtes sont conduites par l'IGPN. Personne n'aspire à blesser gravement des personnes, quoi qu'elles aient fait. Il ne faut pas tirer des conclusions générales sur le comportement de la police à partir de quelques cas isolés.
En France, la police est républicaine, démocratique et à l'image de notre pays. Comme l'a indiqué M. Habib, elle paie un lourd tribut pour son engagement au service de la République.
Effectivement, la police nationale est républicaine, et démocratique. Elle est à l'image du pays, mais pas toujours à l'image de la population de certains quartiers, ce qui peut entraîner certains comportements.
Lorsque des personnes sont blessées, ou pire, décèdent dans le cadre d'une opération de maintien de l'ordre, la police nationale commence par affirmer qu'elle n'a rien à se reprocher, et lorsque cela tangue un peu, elle annonce que l'IGPN est saisie. Ne faut-il pas réfléchir à une meilleure communication ?
En tant qu'élu, j'ai eu à vivre des événements douloureux, lorsque des jeunes ont été tués dans le cadre d'une opération de maintien de l'ordre. J'ai à chaque fois essayé d'expliquer au commissaire et au préfet que, quelles que soient les circonstances, il fallait au minimum qu'une autorité de l'État se rende auprès de la famille et présente ses condoléances. Un peu d'humanité et de respect à l'endroit des parents sont importants dans un tel moment ; je suis persuadé que cela pourrait faire baisser la tension entre la police et les citoyens et contribuerait à lever bien des incompréhensions.
Les gestes d'apaisement de ce type sont en effet nécessaires.
S'agissant des difficultés dans la communication à la suite d'un problème, elles tiennent au fait que les explications ne sont jamais disponibles immédiatement après les faits alors que la pression médiatique exige une prise de parole rapide des autorités. Des progrès sont à faire dans ce domaine. Il est clair que la première expression publique se doit d'être prudente.
Je voudrais d'abord exprimer, dans ce contexte difficile, ma reconnaissance envers les forces de l'ordre qui nous protègent au quotidien.
Je souhaite vous interroger sur la formation continue et sur les améliorations que l'on pourrait apporter au système, dans la mesure où les policiers n'ont pas toujours accès à ces séances.
Il est de ma responsabilité de donner les moyens aux services pour disposer de formateurs et dégager du temps pour que les policiers puissent suivre ces formations. Malheureusement, depuis un certain temps déjà, les missions succèdent aux missions et l'on a sacrifié aux divers engagements une partie du temps qui aurait dû être consacré à ces formations.
Le ministère a reçu hier des élus du département de l'Hérault ; à cette occasion, nous avons repris les chiffres : entre 2017 et 2019, le temps consacré au maintien de l'ordre à Montpellier a doublé. Or les forces de sécurité intérieure n'ont pas été multipliées par deux.
J'ai l'espoir que les choses se calment, que nous puissions améliorer les conditions d'organisation de nos services et que nous mettions l'accent sur cet investissement que constitue la formation continue.
Je veux aussi vous dire combien je suis reconnaissante envers les forces de l'ordre.
Je voudrais revenir sur la partie du SNMO consacrée à la communication et à l'information des manifestants. Il est indiqué dans ce document qu'il est envisagé de procéder à l'envoi « de sms groupés pour une meilleure communication. Ces sms seraient envoyés aux manifestants par les opérateurs téléphoniques qui les achemineraient à leurs abonnés. » Comment cela se passera-t-il concrètement ? Qu'en est-il du respect des libertés individuelles ? Le Gouvernement prévoit d'instaurer cette application au premier semestre 2022, des précisions seraient les bienvenues. Quelle sera la nature des messages ? Appelleront-ils à la dispersion ?
Enfin, qu'en est-il de l'information, en amont, des riverains qui ont garé leur véhicule, des commerçants qui devraient baisser le rideau ? Les manifestations, particulièrement à Paris, sont vécues comme un événement brusque, soudain, et parfois violent.
C'est le ministre de l'Intérieur qui défend ce projet d'envois groupés de sms, à la suite de l'incendie de Lubrizol et des retours d'expérience qui ont montré notre incapacité à informer rapidement et précisément la population en cas d'accident.
Le ministre de l'Intérieur souhaite étendre ce dispositif aux manifestations afin d'informer la population, dans un périmètre donné, de la survenue d'événements. Les messages seront envoyés dans une zone géographique précise, les opérateurs ne sachant pas si leurs abonnés participent à la manifestation ; les habitants et les commerçants en seront aussi destinataires. Le message pourrait simplement inviter les personnes à rester chez elles. Ce dispositif respectera, bien évidemment, les libertés individuelles et la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) sera consultée.
Nous nous efforçons dans la mesure du possible d'informer les citoyens en amont, afin d'éviter que des véhicules soient mal garés, que des commerçants ouvrent leur magasin sur le parcours ou que des objets traînent. Cela fait partie des mesures de bon sens que doivent mettre en œuvre les responsables de l'ordre et de la sécurité publique.
Je vous remercie, monsieur le directeur, de nous avoir consacré tout ce temps et d'avoir répondu aussi précisément à nos questions. Vous avez réaffirmé plusieurs principes, celui d'une police républicaine, celui de l'exemplarité. Vous avez aussi manifesté un intérêt pour la proposition de M. Pupponi de faire une démarche auprès des parents endeuillés, ce qui me semble conforme à l'humanité que nous attendons de nos fonctionnaires.
Je vous remercie, monsieur le directeur. J'insisterai pour ma part sur l'intérêt que présenterait, pour les députés, une visite dans un centre de formation de maintien de l'ordre, comme cela est proposé aux journalistes. Pour avoir été auditeur à l'institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ) et à l'institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), je sais que c'est un outil de connaissance utile et que cela évite de parler dans l'abstrait.
La séance est levée à 16 heures 10.
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Valérie Bazin-Malgras, M. Ugo Bernalicis, Mme Aude Bono-Vandorme, M. Fabien Gouttefarde, Mme Brigitte Kuster, M. Jérôme Lambert, M. Philippe Michel-Kleisbauer, Mme George Pau-Langevin, M. François Pupponi, M. Jean-Louis Thiériot
Excusés. - M. Florent Boudié, M. Jean-Michel Fauvergue, M. Thomas Gassilloud, M. Didier Le Gac, M. Ludovic Mendes, M. Christophe Naegelen, M. Charles de la Verpillière
Assistait également à la réunion. - M. Meyer Habib