Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française
Mercredi 13 octobre 2021
La séance est ouverte à dix heures.
(Présidence de M. Jacques Krabal, vice-président de la commission)
La commission d'enquête a été créée à la demande du groupe Les Républicains, dont fait partie M. Benassaya, qui la préside, en vue d'identifier ce qu'il a appelé « les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française », constatés de longue date, mais que les pouvoirs publics peinent à corriger. Nous nous sommes fixé un vaste cadre d'investigation, qui vous a été communiqué. Nous poursuivons avec vous une longue séquence de sept auditions et tables rondes consacrées à la réinsertion par le travail en prison, la formation professionnelle et l'employabilité des détenus. Après avoir entendu l'ATIGIP – Agence du travail d'intérêt général et de l'insertion professionnelle des personnes placées sous main de justice –, plusieurs chercheurs universitaires spécialistes du sujet, un président de région et l'AFPA – Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes –, votre audition est cruciale pour comprendre concrètement comment les entreprises partenaires de l'administration pénitentiaire organisent leurs activités.
Les membres de la commission d'enquête suivent les questions carcérales de longue date et sont donc sensibilisés ces thématiques particulières du travail en prison. Voilà deux semaines, aux Baumettes, plusieurs d'entre nous ont constaté comment les détenus, hommes et femmes, travaillent et suivent une formation professionnelle dans des ateliers de couture et de dessin assisté par ordinateur. Il a été possible d'échanger librement avec certains d'entre eux. Par ailleurs, je suis avec beaucoup d'attention les activités professionnelles du centre pénitentiaire de Château-Thierry, ainsi que les activités mises à disposition par plusieurs petites entreprises.
Il vous sera donc demandé cet après-midi de commencer par un exposé de quelques minutes chacun afin d'apporter de premiers éclaircissements aux membres de la commission d'enquête sur une série de questions qui vous ont été préalablement adressées. Ensuite, nous procéderons à un tour de table. À l'issue de l'audition, nous vous invitons en outre à communiquer au secrétariat de la commission d'enquête les éventuels documents écrits qui vous sembleraient de nature à éclairer nos travaux, si c'est possible avec fin novembre.
Cette commission d'enquête est motivée notamment par l'étude de la surpopulation carcérale, qui intéresse tous les législateurs depuis de nombreuses années. Elle a en effet des impacts sur la vie en détention et sur les chances de réinsertion données aux détenus. L'accompagnement n'est pas toujours redimensionné par rapport à leur population. Comment gérez-vous ces aspects au quotidien ?
Par ailleurs, de grandes évolutions législatives sont intervenues avant 2017 : elles ont peu à peu ouvert la prison au monde extérieur et à l'entreprise. Nous devons voir ce que nous pouvons proposer pour que l'emploi en prison soit toujours plus attractif. En 2009 a été votée la mise en place d'un salaire horaire minimum. Nous avons travaillé sur le statut du détenu travailleur ainsi que sur l'ATIGIP. Probablement aurez-vous des idées supplémentaires à nous soumettre.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Yvan Franchet, M. Olivier Froger, M. Pierre Guillet, M. Lionel Henry, M. Vincent Heuchel, M. Yann Malisse, Mme Nelly Nicoli, M. Stéphane Soutra et Mme Isabelle Verrecchia prêtent successivement serment.)
Concessionnaire privé, j'interviens au travers de Cinq à Saint-Brieuc et au travers de deux autres structures au centre de détention de Nantes. Je suis également trésorier de l'ACPF, l'Association des concessionnaires et prestataires de France, qui regroupe des concessionnaires privés et des concessionnaires usines, c'est-à-dire des entreprises privées installées en détention.
Un domaine aussi complexe rencontre nécessairement des dysfonctionnements et des manquements. Néanmoins, beaucoup d'aspects fonctionnent. Notre association, créée voilà dix ans, représentait en 2019 un réseau de 58 concessions, offrant du travail à 2 450 personnes détenues sous la responsabilité de 118 encadrants. Nous comptons plus de 1 400 clients. En 2017, 28 % de la population incarcérée a eu une activité rémunérée, 43 % dans les services généraux, 52 % en concession et 5 % en régie. Une des raisons d'être de cette association est de recueillir les bonnes pratiques de nos confrères pour développer l'activité en milieu carcéral, en adéquation avec les attentes de nos clients. La réinsertion constitue le but ultime de nos activités. Différentes expériences ont été menées : nous sommes les premiers à soutenir que, pour améliorer la réinsertion des personnes détenues, il faut créer des nouvelles activités en prison, plus valorisantes, mais aussi développer celles qui existent.
Pour répondre au mieux à la préoccupation de l'État de fournir une activité rémunérée aux personnes détenues, et pour augmenter le nombre de ceux qui s'y investissent, il faut fournir un minimum de travail à 10 000 personnes. Cet objectif doit pouvoir être dépassé si nous avançons tous dans la même direction, plutôt que de lutter les uns contre les autres comme c'est le cas aujourd'hui. En 2017, 90 % de ces personnes étaient incluses dans nos structures ou celles des groupements privés : notre savoir-faire doit donc être reconnu et entendu.
Nous restons convaincus que, si l'administration pénitentiaire acceptait de nous associer utilement à ses travaux, nous pourrions ensemble aboutir à un consensus. Celui-ci nécessite de la communication et du partage. Or la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire, votée récemment en première lecture, n'a fait lieu d'aucune consultation avec nos structures. Au-delà du consensus sur les droits sociaux des personnes détenues – chômage, retraite, harcèlement –, nous ne voyons ni les avantages ni les intérêts des propositions émises pour nos structures ou pour les personnes qui travaillent avec nous ni pour nos clients. Cette approche nous semble purement politicienne et centralisatrice.
Nos structures ont signé un contrat de concession avec l'administration pénitentiaire, qui met des locaux à notre disposition et nous donne l'accès à la main-d'œuvre carcérale. L'administration pénitentiaire assure la sûreté et la sécurité des locaux et veille au bon comportement des opérateurs. Nos entreprises interviennent sous deux formes : les concessions usines, entreprises industrielles qui localisent leur moyen de production dans un atelier en milieu carcéral ; les concessions privées de droit commun, mettant en jeu plusieurs donneurs d'ordre locaux qui nous confient des missions afin de répondre aux différentes demandes dont ils font l'objet.
Les ateliers mènent tous types de travaux, du plus simple au plus complexe. Nous sommes responsables de la qualité. Nous nous engageons auprès de nos clients sur les délais de mise à disposition. Nous assurons notre propre développement commercial. L'encadrement est réalisé par nos salariés ou nous-mêmes. Nous nous assurons de la conformité des travaux réalisés, du respect des règles et des conditions de sécurité. Cette réalisation s'inscrit dans une chaîne économique du maintien de l'activité locale, évitant les délocalisations de production. À notre grand regret, cet aspect économique est totalement occulté dans les débats sur la réindustrialisation du pays.
L'entreprise Seifel, basée à Saint-Malo, fabrique des enveloppes techniques pour la distribution d'énergie, pour les réseaux France et à l'international. Fin 2014, cette entreprise a signé un contrat pénitentiaire avec la direction interrégionale de l'administration pénitentiaire de Rennes. Nous avons débuté notre activité, en tant que concessionnaire usine, au sein du centre de détention de Nantes en 2005.
Nous travaillons également avec des concessionnaires privés dans les établissements de Caen, Saint-Malo et le Nantes. Les seules raisons qui nous ont conduits à développer une concession usine à Nantes sont des raisons économiques. Il s'agit d'un atelier à bas coût, nous permettant de rester sur le marché et de maintenir nos marges. Ce faisant, nous avons évité une délocalisation à bas coût et nous maintenons l'emploi local. Nous pensons que cette raison est la clé pour préserver de l'activité industrielle en France. Pour autant, nous sentons que nous contribuons à la réinsertion des opérateurs employés dans les ateliers : nous leur confions des travaux d'assemblage, identiques à ceux que nous demandons dans nos propres ateliers.
Travailler en centre de détention est toujours difficile pour un industriel. Les plages horaires sont extrêmement courtes, les accès logistiques complexes. Nous rencontrons beaucoup de freins imputables au contexte des établissements pénitentiaires. Nous sommes grandement préoccupés par le contrat d'emploi pénitentiaire, censé remplacer l'acte d'engagement signé entre le détenu et l'administration pénitentiaire. Demain, ce contrat serait signé entre le détenu et le concessionnaire, ce que nous n'accepterons jamais : nous ne signerons pas de contrat d'emploi avec un détenu, car celui-ci créerait un lien de subordination, alors que nous ne pouvons choisir les opérateurs qui se rendent au poste de travail. Les discussions internes à l'ACPF montrent que les autres entreprises feront le même choix que nous.
Nous ne sommes pas employeurs en milieu pénitentiaire : la Fondation du groupe M6, créée en 2010, s'est donné pour objectif de soutenir et de porter des projets à destination de l'univers carcéral. Nos actions visent à soutenir sur le terrain des actions ou à mettre en œuvre nous-mêmes des actions favorisant la réinsertion des personnes qui ont un lien avec la justice, autour de deux axes : le retour à l'emploi et les alternatives à l'incarcération.
Nous avons décidé d'endosser un rôle de plaidoyer et de chef de file auprès du monde socio-économique à l'égard des personnes placées sous main de justice. Nous souhaitons mettre à disposition des entreprises différents outils que nous avons développés dans nos expérimentations. En 2018, nous avons produit, avec l'Institut Montaigne, le rapport « Travailler en prison : préparer vraiment l'après ». Nous avons accompagné sur le terrain une dizaine de projets sur les questions du retour à l'emploi. Sans être employeurs en détention, nous sommes employeurs en sortie, proposant des postes en CDI et en CDD, ainsi que des contrats d'alternance. Le sujet du travail en prison ne peut être pensé sans celui du travail à la sortie.
Vous nous avez interrogés sur les modalités actuelles d'organisation du travail en prison. Le rapport que nous avons produit laisse penser que le travail en prison et la formation professionnelle constituent un levier important de réinsertion. Ces outils restent malheureusement sous-estimés et sous-utilisés. Des changements s'opèrent néanmoins. L'offre de travail et de formation en prison reste insuffisante en quantité et sur la nature des tâches confiées.
Le salaire horaire, mis en place par la loi de 2009, se heurte à des difficultés de mise en œuvre. Cette rémunération n'est pas généralisée. En effet, une entreprise est parfois confrontée, sur un poste, à des personnes qui ne sont pas aptes à travailler, trop éloignées de l'emploi ou souffrant de problèmes psychologiques ou psychiatriques. Nous avions proposé que ces ateliers de travail soient réservés aux personnes les plus proches des compétences attendues à l'extérieur : les autres personnes devaient être orientées vers des structures de réinsertion par l'activité économique. Celles-ci sont en train de se développer.
La réforme du statut du détenu travailleur est essentielle, notamment pour faciliter la mobilisation des entreprises et redonner de la dignité au travail carcéral. En effet, le travail en prison pâtit d'une mauvaise image. La nature des tâches confiée constitue un premier obstacle : tous les détenus ne peuvent réaliser des tâches à valeur ajoutée. De plus, en détention, il faut confier des tâches qui existent sur le marché du travail à l'extérieur.
Les bouleversements actuels des modes du travail, sous l'influence des technologies numériques, risquent de tarir encore davantage l'offre de postes en détention. Ce sujet de l'accès au numérique constitue donc un sujet essentiel pour les entreprises : elles doivent pouvoir accéder à Internet en détention, ou y développer des activités tertiaires. De plus, il faut réduire la fracture numérique avec les personnes incarcérées, pour les rendre autonomes dans leur recherche d'emploi à leur sortie.
Nous avions recommandé la création d'une agence dédiée à la question du travail, pour proposer un guichet d'entrée unique aux entreprises souhaitant développer une action en détention. Pour l'heure, elles ont affaire à différentes portes d'entrée au niveau régional. Nous développons également, à la prison de Melun, une formation et une entreprise sur le métier de développeur web.
Sodexo se tient aux côtés de l'administration pénitentiaire depuis près de trente ans sur les marchés de la gestion déléguée. Nous intervenons dans les établissements pour couvrir les prestations relatives à la maintenance des installations et des équipements, ainsi que les prestations concernant les personnes détenues. Il s'agit de la restauration, de la blanchisserie, de l'accueil des familles au parloir, et du travail en détention : le service général et le travail en atelier.
Les personnels ont de plus en plus la volonté de contribuer avec nous à la réinsertion des personnes détenues par l'activité professionnelle. L'administration pénitentiaire et les établissements doivent s'adapter aux nouveaux métiers et modes de fonctionnement des entreprises à l'extérieur. Une grande partie de nos activités se concentrent sur des métiers peu qualifiants, ce qui n'est pas optimal pour réinsérer les personnes détenues. Il faut certes des activités de conditionnement, notamment pour remettre la personne détenue dans des conditions proches de celles du travail. Cependant, ces activités ne lui permettront pas d'acquérir une compétence qualifiante à sa sortie de détention. Les établissements doivent donc s'ouvrir aux nouveaux métiers : l'aspect sécuritaire ne doit pas constituer un frein à l'arrivée de nouvelles prestations. Le reconditionnement d'appareils électriques et électroniques peut offrir de réelles opportunités de développement, offrant une réelle qualification aux opérateurs, mais ils inquiètent l'administration. Les contraintes logistiques peuvent par ailleurs être rédhibitoires aux yeux de nos clients, qui attendent réactivité, souplesse et flexibilité.
Enfin, la rémunération de la personne détenue constitue un vrai sujet. Elle est normale, mais elle doit rester maîtrisée pour nous permettre de rester compétitifs par rapport aux solutions de sous-traitance en dehors du territoire national. Sinon, le travail partira ailleurs.
La société Hesion est installée dans les Yvelines. Avec une trentaine de personnes, nous développons des solutions numériques pour optimiser le fonctionnement des parkings. Nous travaillons également à la mise en sécurité des systèmes de chaufferie dans les bâtiments tertiaires. Pour cette dernière activité, nous avons confié la fabrication de systèmes à la maison centrale de Poissy.
Travailler de la sorte m'a permis de découvrir la prison et de la faire découvrir dans mon entreprise. Pas un seul de mes collaborateurs n'avait entendu parler de ce qu'était la prison. J'ai donc ouvert des consciences sur ce sujet. Par ailleurs, toutes nos solutions sont fabriquées à l'intérieur de la prison : quand elles sortent, elles sont vendues au client. Pour cette raison, nous avons reçu le label PEPs, « Produit en Prison ».
Nous avons intégré deux détenus dans l'entreprise, même s'ils ne sortent pas puisqu'ils font l'objet d'une très longue peine. Ce sentiment d'appartenance à l'entreprise joue également dans leur état d'esprit. Nous avons recruté ces personnes, qui n'avaient ni formation ni compétence en lien avec notre activité : nous nous en sommes occupés comme des apprentis, malgré leur âge, 59 ans et 60 ans. Le seul enjeu pour eux est de retrouver une forme de dignité. Au-delà de la dignité au travail, l'essentiel pour moi est la dignité de la personne : mener une activité complexe les conduit à rentrer dans un sujet avec difficulté et à prendre conscience de ce qu'est l'effort. Nous les soutenons dans leur apprentissage de ce véritable métier. Nous constatons leurs progrès, réguliers. Au départ, nous ne leur avons donné aucun objectif, ce qui aurait été contre-productif. L'essentiel était qu'ils montent en compétence jour après jour. Nous les avons augmentés une fois que ces progrès ont été réalisés.
Notre réalisation constitue un véritable succès. Même si ces détenus sortiront de prison dans longtemps, nous contribuons à les réinsérer dans leur univers actuel. Aux dires de la directrice de la prison, ils se sont largement stabilisés et se sentent faire partie d'une communauté : celle de l'entreprise. Nous leur confions une activité qui fait travailler les mains et l'esprit.
Il ne faut pas en rester à l'idée que ces personnes ne savent rien faire et n'ont pas de compétence : il faut tenter quelque chose. Ces personnes n'ont certes pas fait d'études, mais il est possible de faire entrer des compétences par la pratique, davantage que par les études.
Gepsa est un gestionnaire délégué de l'administration pénitentiaire, comme Sodexo. Nous sommes partenaires de l'administration depuis une trentaine d'années : nous fournissons du travail en détention, à hauteur de plus de 2 millions d'heures par an pour 1 900 détenus environ. Dans le cadre de ces prestations, nous faisons face à des objectifs de volume de travail à fournir aux détenus. Ces dernières années, les conditions étaient assez bonnes, permettant d'augmenter le volume de travail en détention de 15 % entre 2017 et 2019. Au-delà des prestations que nous fournissons dans le cadre de contrats de facility management, nous avons à cœur d'accompagner les détenus au quotidien vers le chemin de la réinsertion.
Nous avons beaucoup travaillé sur le lien entre dedans et dehors, essentiel pour favoriser l'insertion d'un détenu à l'extérieur, sous la forme d'une expérimentation depuis deux ans. Il s'agit d'une expérimentation fragile, du fait du cadre de la SIAE – structure d'insertion par l'activité économique. Nous espérons, grâce au projet de réforme, que les dispositifs seront dupliqués dans différents endroits : les SIAE dans les aspects annexes, hébergement, formation, stabilité sociale et psychologique, et les gestionnaires délégués ou concessionnaires, travail à proprement parler, notamment l'encadrement.
Beaucoup d'aspects donnent satisfaction. En particulier, les relations avec l'administration pénitentiaire sur le terrain évoluent dans le bon sens. Tous les acteurs s'adaptent aux évolutions. Néanmoins, l'organisation d'une journée d'un détenu ou l'absentéisme peuvent impacter le travail. Les heures de début et de fin ne sont pas toujours respectées, ce qui nous met en difficulté vis-à-vis de nos clients extérieurs. Il est essentiel que ce client extérieur y trouve son compte. Nous rencontrons également différentes problématiques structurelles concernant les espaces mis à disposition, au flux logistique. Nous continuons d'y travailler pragmatiquement au quotidien.
Nous estimons que la réforme va dans le bon sens : ouvrir des droits sociaux pour les détenus est un élément constitutif d'une meilleure dignité humaine. La réforme place au cœur le travail, car c'est un levier de réinsertion très fort. Je signale néanmoins deux points d'attention. Le coût du travail risque de s'accroître et il faudra garantir la compétitivité de cette modalité vis-à-vis de l'extérieur. Passer un contrat pénitentiaire avec le donneur d'ordre nous semble également déplacé, car le donneur d'ordre n'a pas, en détention, les leviers d'un employeur classique. La direction de l'établissement doit, comme sur le terrain, jouer un rôle de premier plan.
L'ATIGIP permet d'accélérer l'ensemble des démarches et initiatives, améliorant le dialogue entre tous les acteurs. C'est un levier pour accélérer les innovations que nous attendons tous, notamment sur le terrain numérique.
Notre périmètre d'action auprès de la population pénale comprend également un centre de formation : Gepsa Institut, dédié à la formation des détenus en milieu carcéral. En 2019, nous avons touché près de 3 400 stagiaires de la formation professionnelle en détention, pour 480 000 heures de formation. Une centaine de formateurs interviennent sur l'ensemble du territoire.
Ces présentations montrent la diversité des intervenants. Je souligne que l'intitulé de cette commission d'enquête n'est pas le nôtre : dans l'action politique, nous préférons voir le verre à moitié plein. L'action politique doit viser à trouver des éléments d'optimisme, ce qui n'empêche pas de regarder ce qui peut être améliorable. Cette commission d'enquête vise justement à améliorer la dynamique qui s'est engagée, dont vous êtes porteurs. Il n'est pas suffisant de pointer gratuitement les dysfonctionnements.
Avec cette commission d'enquête, c'est la première fois que nous interrogeons les collectivités territoriales, les acteurs de la formation et les donneurs d'ordre. Notre orientation est ainsi claire : nous montrons notre volonté d'agir tous ensemble, dans une vérité de coopération.
Vous avez relevé trois points, que j'ai bien entendus.
En premier lieu, le coût du travail : il est nécessaire que le détenu soit valorisé, le montant horaire qu'il touche devant avoir un sens. Nous n'ignorons pas pour autant les problématiques de compétitivité. La dignité au travail se prolonge par la rétribution qui est donnée.
Par ailleurs, peut-être avez-vous conduit votre réflexion plus loin, pour trouver une sortie au refus de signer le contrat d'emploi pénitentiaire.
Enfin, je vous remercie d'avoir mis en avant les éléments positifs au travail de l'ATIGIP et l'accélération qu'elle a entraînée au travail de coopération.
Je laisse la parole au rapporteur, qui a beaucoup travaillé sur la question.
Notre collègue Stéphane Mazars a organisé naguère une table ronde avec vous et a pu vous auditionner : le législateur est très impliqué, depuis le début de cette mandature. Nous nous impliquons de plus en plus pour entrer dans les prisons.
Nous avons évoqué le lien que vous pouviez bâtir entre l'intérieur et l'extérieur, auprès de vos clients et de vos collaborateurs. Ce lien me semble très précieux : le rôle et le devoir de chaque citoyen est de savoir ce qui se passe dans les prisons. Nous avons trop tendance à installer la prison de plus en plus loin, parce qu'elle dérange les habitants et le voisinage. Pour autant, c'est elle qui traite en prend en charge les aspects où la société a échoué, dans tous les domaines.
Comment l'ouvrir davantage ? Vous avez évoqué le label PEPs. Comment faire en sorte que les entreprises aiment revendiquer qu'elles font travailler en détention ? Elles devraient être fières de cette action. Nous avons bien pris note du point que vous avez soulevé concernant les coûts, qui doivent rester mesurés, pour éviter de faire partir le travail à l'étranger.
Nos auditions ont évoqué les formations, qualifiantes ou occupationnelles. Certaines activités peuvent également paraître occupationnelles : cependant, il est toujours préférable pour un détenu de sortir de sa cellule plutôt que de ne rien faire. Peut-être est-il opportun de le faire passer d'un atelier à un autre, le long d'un parcours professionnel.
Certains d'entre vous recrutent-ils à la sortie ?
Par ailleurs, j'aurais souhaité des précisions sur les contraintes horaires dont vous avez fait état, notamment les obstacles que vous souhaitez lever. J'aimerais comprendre comment vous vous adaptez au fait que des personnes n'arrivent pas à l'heure et comment faire en sorte que ces écarts ne se reproduisent pas.
Enfin, le projet de loi en cours de première lecture au Sénat prévoit un contrat entre trois parties : l'administration pénitentiaire, le détenu et l'entreprise, celle-ci étant partie prenante de la démarche. Il prévoit également une période d'essai. Le but est de bâtir un contrat au plus près du droit commun.
. En fait, nous avons rencontré M. Mazars après l'écriture du projet de loi.
La contrainte que posent les flux d'entrées et de sortie des marchandises des établissements pénitentiaires est de plus en plus forte. Nos partenaires de transport refusent de devoir attendre pour entrer ou sortir d'un établissement pénitentiaire. Si, à leur arrivée à la prise, un camion est déjà présent dans la cour, ils peuvent devoir attendre jusqu'à deux heures, ce qu'ils n'acceptent pas. Certains refusent d'effectuer des prestations qui les conduisent dans un établissement pénitentiaire. D'autres augmentent les prix pour couvrir les risques induits par une éventuelle perte de temps. Il est fréquent que les camions voient leur accès refusé, du fait par exemple d'un encombrement à la porte : si le transporteur doit revenir, il nous facture les deux passages.
De plus, nous devons communiquer les cartes nationales d'identité des chauffeurs à l'administration pénitentiaire : cette simple demande est refusée par certains transporteurs, car ils ne savent pas quel chauffeur prendra le volant ce jour-là. Cette simple contrainte d'entrée des flux est devenue une problématique majeure sur le bon fonctionnement des ateliers. Les clients travaillent en flux tendus et n'acceptent plus d'attendre : les freins aux entrées et sorties rendent incompatibles le développement d'un atelier au regard d'un client extérieur qui ne comprend pas ces contraintes.
Si je puis me permettre, constatez-vous que les freins sont identiques entre les établissements pénitentiaires anciens et les plus récents ? Ces flux sont en principe mieux pris en compte dans les constructions modernes.
Je ne pense pas que cet état de fait soit lié à l'ancienneté de l'établissement ; c'est souvent lié au chef d'établissement. J'ai le sentiment que c'est plus difficile dans les établissements les plus récents, qui sont intransigeants sur la règle.
En effet, les derniers établissements disposent de deux entrées : une destinée aux livraisons des zones d'exploitation – restauration, cantine, ateliers – et une destinée à l'entrée et à la sortie des personnes détenues par les transports ou extractions judiciaires. Ces modalités devraient se révéler facilitantes. Il est vrai que, si l'établissement ne compte qu'une entrée, nous sommes soumis forcément à des contraintes.
Je ne connais que l'établissement de Poissy, très ancien, qui n'a pas été pensé pour que du travail soit réalisé dans les locaux de la maison centrale. Toute l'histoire pèse pour freiner la fluidité du travail.
Par ailleurs, je me suis intéressé à cette maison centrale, car elle est installée à 2 kilomètres du site de mon entreprise. Qu'une PME s'intéresse à cette possibilité dans sa localité simplifie beaucoup d'aspects des flux. Même si nous avons été étonnés de la lourdeur de certains procédés, nous avons fini par trouver des solutions. Avec un peu de bon sens, il est possible de parvenir au but, dans l'échelle limitée qui est la nôtre.
De plus, il appartient peut-être à l'ATIGIP de communiquer sur les possibilités offertes aux PME. Cette démarche permettrait d'intéresser davantage de petites entreprises à ces actions. Cette communication est très rare. Il est essentiel de rapprocher les personnes, comme j'ai pu le faire en invitant la directrice de l'établissement de Poissy à rencontrer des chefs d'entreprise du territoire.
Enfin, l'État veut toujours tout contrôler, tout gérer et instaurer des règles de sécurité ou de droit. Il faudrait plutôt qu'il soutienne et favorise les démarches, et qu'il cesse de mettre en place des contraintes. Nous faisons face à une avalanche de contraintes, alors que le monde de l'entreprise a besoin de conditions favorables. Il est opportun que le contrat instaure un lien direct avec le collaborateur, car ce lien n'existe pas. Cependant, déployer des cotisations inventées pour alimenter des caisses me semble déplacé : il faut que ces procédés restent raisonnables. Nous payons nos collaborateurs au-delà du tarif minimum parce qu'ils le méritent.
Sur les 187 ou 188 établissements de France, seulement 1 ou 2 disposent du double accès. Il faut le prendre en compte sur les évolutions que nous pouvons porter. Mais les espaces de stockage n'ont jamais été prévus non plus. Or, plus nous apportons de travail, plus les activités augmentent, et plus le stockage est nécessaire. Dans les périodes les plus chargées, nous souffrons encore plus du goulet d'étranglement. Nous menons alors un dialogue très avancé avec les chefs d'établissement pour trouver des solutions, mais il faut d'adapter au cas par cas.
Je souhaite revenir sur l'image du travail en détention. Aujourd'hui, peu de nos clients mentionnent sur leur packaging le fait que les produits sont fabriqués en prison. Pour notre part, nous fabriquons un produit de confection pour un de nos clients, très engagé dans la réinsertion professionnelle. Cette société mentionne au dos de son packaging le fait qu'elle travaille avec des établissements pénitentiaires, ce qui a nourri beaucoup de commentaires à charge sur les réseaux sociaux : « les détenus sont forcés à travailler » ou « les détenus ne sont pas payés » et ainsi de suite. Ces publications montrent que le public et les entreprises méconnaissent complètement les conditions de travail des détenus.
Le label « Produit en prison » de l'ATIGIP doit aider à instaurer une meilleure image, mais il faut réellement communiquer. Nous avons pu nous associer avec les Chambres de commerce et d'industrie pour proposer des journées portes ouvertes des ateliers. Il n'est pas anodin de faire pénétrer une trentaine de chefs d'entreprise dans une prison, mais cette démarche permet de montrer aux entreprises ce qu'est le travail en prison et de les encourager à confier au travail en prison.
Je trouve les propos de M. Guillet très fructueux : il découvre le milieu carcéral et nous comprenons qu'il faut de la proximité. C'est le nerf de la guerre. Dans une maison centrale, le public est différent : ce sont des métiers largement valorisables, permettant de former les opérateurs. Pour notre part, avec deux détenus, nous ne pouvons mettre en place un encadrant et nos contrats spécifient que nous devons encadrer le travail.
Quel bilan tirons-nous de la mise en place du salaire horaire minimal depuis 2009 ? La rémunération horaire est-elle respectée dans tous les ateliers de production ? La rémunération à la pièce est-elle encore pratiquée ? Le seuil de rémunération de l'opérateur minimal, fixé à 45 % du SMIC est compatible, pour nos structures, avec le marché économique local. Il nous permet d'être attractifs face à nos concurrents – ESAT, ou établissement et service d'aide par le travail, logisticiens, entreprises, qui délocalisent en partie. Se pose cependant la question des seuils utilisés par l'administration pénitentiaire dans les services généraux et les formations.
Sur les ateliers ou les postes de travail dont l'activité implique une rémunération horaire – cadence fixée par une machine, logistique de très petite série ou activités complexes –, nous payons les salariés à l'heure, au-delà du tarif horaire minimal. Sur les activités rémunérées à la pièce, le prix est calculé sur la base du taux de rémunération minimal : le prix horaire est garanti si la cadence est atteinte. Je regrette néanmoins l'incapacité de l'administration pénitentiaire à fournir des relevés d'heures probants, car aucun outil de collecte de temps n'est installé. La discussion sur la rémunération est d'autant plus difficile. La loi de 2009 prévoyait 45 % du SMIC pour les entreprises de production et, pour les services généraux, 33, 25 et 20 % selon la qualification de la personne. Nous trouvons paradoxal qu'un opérateur puisse être rémunéré différemment en fonction de son niveau de qualification et de compétence quand il intervient pour le compte du service général et que, quand il s'agit d'une activité de production, le niveau de qualification ou de compétence ne soit pas pris en compte. La rémunération horaire est alors supérieure de 36 à 225 %.
Enfin, nous estimons que la rémunération horaire généralisée est inadaptée. Le paiement dit « à la pièce », comme dans l'agriculture par exemple, doit être encadré et transparent pour être considéré à sa juste valeur et permettre à tous d'en tirer des avantages. Un nombre significatif de nos adhérents continuent de pratiquer le paiement à la pièce. Ce mode de rémunération est légal et le texte de 2009 ne le remet pas en cause. La cadence sur laquelle est fondée la rémunération doit être validée de manière contradictoire par l'administration pénitentiaire, comme c'est le cas dans différents sites. Cette situation engendre très peu de contentieux. Nous avions envisagé de créer un comité de rémunération local qui permette de traiter les cas particuliers, avec un écart lié à la détermination de la cadence, ou aux capacités intrinsèques de l'opérateur. Nous rémunérons des personnes à la pièce : très peu sont en dessous et nous préférons les personnes qui sont au-dessus, car elles produisent davantage. Avec le paiement à la pièce, les règles sont claires et partagées dès le début, sans discrimination lors de l'intégration des personnes détenues dans les ateliers. Il apparaît que tous les opérateurs progressent vers le respect de la cadence, dans un laps de temps certes différent en fonction de la capacité de chacun. Nos encadrants n'exercent aucune pression sur la productivité individuelle et restent concentrés sur la qualité des réalisations, ce qui évite les conflits. Nous recensons très peu ou pas de déclassement associé au respect des cadences. Le talent et la performance individuels sont directement valorisés et appréciés, ce qui est très adapté au profil de la population carcérale.
Quant aux aspects économiques, nous constatons l'absence de surcoût pour le concessionnaire et la nécessité de bien évaluer les cadences pour tout le monde. En cas d'erreur, le concessionnaire doit prendre ses responsabilités sans pénaliser l'opérateur. Nous sommes favorables au maintien d'une rémunération au niveau de la réalisation individuelle et au respect du texte de 2009.
Nous avons senti combien la problématique de la rétribution était importante. Je souhaite revenir sur la question du label : est-il répandu et utilisé parmi vous ?
J'ai obtenu le label pour un premier produit, puis pour un second. Il apparaît sur toute notre documentation commerciale. Nous n'avons jamais reçu de remarques sur ce sujet. Il faut l'assumer complètement, sans prêter attention aux détracteurs.
J'ai demandé à l'ATIGIP la réciprocité : ce qui est fabriqué en prison avec ce label pourrait intéresser l'État pour ses besoins. Il serait alors normal que l'entreprise qui fabrique un produit sous ce label puisse avoir un accès prioritaire au marché ou à la commande publique.
Pour ma part, j'ai demandé le label PEPs en tant que concessionnaire privé. Il m'a été répondu que je ne pouvais être labellisé car je paie une bonne partie de mes détenus à la pièce sur un niveau largement supérieur au niveau minimal requis. De plus, il m'a été reproché de faire réaliser en concession un travail de façonnage et de conditionnement qui ne serait pas suffisamment valorisable à l'extérieur pour le détenu. J'accepte très mal cet argument : dans l'ensemble de ces travaux, un bon opérateur de production est recherché sur le marché. L'ensemble des travaux sont valorisables et tant mieux que certains le soient davantage que d'autres. Nous faisons face à un double discours : tantôt il faut réindustrialiser le pays, et tantôt il nous est expliqué que les métiers d'opérateur ne sont pas valorisables sur l'extérieur. Je pense que c'est faux.
. Je souhaiterais ajouter que le développement est d'abord économique. Il faudrait imaginer une défiscalisation du travail des concessionnaires privés en centre pénitentiaire pour les clients finaux, comme c'est le cas avec les ESAT.
L'un d'entre vous a relevé que l'image du travail en prison n'était pas des plus positives. Je souligne que l'image de la prison est négative sur tous ses aspects : notre échange évoque la nécessité de réhabiliter la prison dans toutes ses composantes. La République, c'est certes la sécurité et l'égalité : les forces de police et de gendarmerie bénéficient aujourd'hui d'une image positive. Ce n'est pas le cas de la prison ni de ses acteurs. L'enjeu pour la République est de réhabiliter l'image globale de la prison, ce qui est l'affaire de tous les intervenants dans ce milieu, de plus en plus nombreux. Au-delà des actions politiques à mener pour changer l'image du métier de surveillant, l'idée d'une communauté de vie à l'intérieur de la prison doit porter vers l'opinion publique. La prison est en train de changer globalement.
Merci d'avoir éclairé notre vision sur ces éléments. Le travail joue un rôle essentiel d'insertion, et non seulement à l'intérieur de la prison. Je vous remercie encore. Si vous souhaitez échanger avec les parlementaires qui sont au fait de ces questions, je peux vous indiquer notamment Stéphane Mazars, qui est un homme de communication.
La réunion se termine à onze heures trente.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française
Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Jacques Krabal
Excusés. - M. Philippe Benassaya, M. Alain Bruneel, M. Alain David, Mme Séverine Gipson, Mme Monica Michel-Brassart, M. Stéphane Trompille