Commission d'enquête Chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite sarah halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement
Mardi 23 novembre 2021
La séance est ouverte à dix-sept heures dix
Présidence de M. Meyer Habib, président
Notre commission d'enquête cherche à mettre en lumière d'éventuels dysfonctionnements policiers ou judiciaires, relatifs au meurtre de Mme Sarah Halimi, également dénommée Mme Lucie Attal. Il ne s'agit pas d'un nouveau procès. Près de 80 parlementaires ont cosigné la demande formulée par ma collègue Mme Constance le Grip et moi-même afin de mettre en place cette commission d'enquête. Nous souhaitons éclaircir certaines zones d'ombre afin de savoir s'il y a eu des dysfonctionnements dans différents aspects de cette affaire judiciaire. Notre objectif est qu'un tel drame ne puisse pas se reproduire.
Vous êtes l'avocat de M. Kobili Traoré. Avant de vous donner la parole, conformément à l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires qui impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, je vous invite à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
(Me Thomas Bidnic prête serment.)
Éviter qu'un tel drame ne se reproduise est une grande ambition. Il s'agit d'un drame épouvantable. Nous sommes tous profondément marqués et émus par ces événements. Toutefois, l'émotion ne doit pas nous submerger. Votre commission d'enquête a pour vocation de réfléchir aux événements et de discerner d'éventuels dysfonctionnements. Je suis l'avocat de M. Kobili Traoré et j'ai donc prêté serment de défendre cette personne. Je l'ai défendue comme j'ai pu pendant l'instruction, puis devant la chambre de l'instruction. J'ai participé indirectement à sa défense devant la Cour de cassation et, aujourd'hui, je considère ma réponse à votre convocation comme un prolongement de mon devoir d'avocat.
M. Kobili Traoré est définitivement jugé. C'est d'ailleurs une condition sine qua non à la création de votre commission. Je vous l'ai écrit lors de nos échanges et je crains que vos travaux ne débouchent, d'une façon ou d'une autre, sur un nouveau procès de M. Kobili Traoré. Or personne ne peut l'accepter.
Un certain nombre des prises de position publiques des membres de cette commission auraient pu me faire croire le contraire.
Vous recherchez un dysfonctionnement de la justice ou de la police autour du meurtre de Mme Sarah Halimi. Je ne parlerai que de la justice, car je suis incompétent en ce qui concerne la police. Selon moi, nous avons assisté à un fonctionnement normal de l'institution judiciaire.
Pourquoi est-ce que cette affaire pose une difficulté ? Nous vivons dans un pays dans lequel le concept de raison d'État a une forte signification. Ce concept revient à dire que de présumés intérêts supérieurs de la nation, de l'ordre public peuvent prendre le pas sur le droit. En tant qu'avocat, je constate et je déplore régulièrement la mise en œuvre de la raison d'État. Dans des affaires de droit commun, un certain nombre de nos règles sont délibérément violées, y compris par des juridictions, pour éviter la remise en liberté de certains individus. Nous autres, avocats pénalistes, vivons cela tous les jours. Pour 200 kg de cannabis, la raison d'État est déjà employée. Dans cette affaire, tout était réuni pour que la raison d'État joue. Le président de la République a ouvertement pris position, de même que certains élus, tandis qu'un véritable mouvement s'est formé dans l'opinion publique. Pourtant, en l'occurrence, la raison d'État n'a pas interféré. Le droit a été parfaitement appliqué, bien que nous puissions penser que Mme Sarah Halimi ne serait pas morte si elle n'avait pas été de confession juive. Compte tenu du fonctionnement habituel de notre justice, il s'agit malheureusement d'une anomalie.
J'ai écouté avec attention votre propos liminaire. Vous êtes l'avocat de l'assassin. Selon moi, M. Kobili Traoré est, a minima, un meurtrier. Il existe une seule victime : Mme Sarah Halimi.
Les témoins qui ont assisté à une partie du massacre et à la défenestration de Mme Sarah Halimi indiquent que M. Kobili Traoré aurait crié « Allah akbar. Que dieu me soit témoin. C'est pour venger mon frère. » En outre, il a récité des sourates du Coran et il fréquentait assidûment une mosquée durant le mois qui a précédé le drame. Un témoin a entendu crier : « Allah akbar » dans la cour de l'immeuble deux heures avant le meurtre de Mme Sarah Halimi et a reconnu la voix de M. Kobili Traoré. Comment expliquez-vous que le parquet terroriste n'ait pas été saisi ? Selon vous, il n'existe aucun dysfonctionnement judiciaire dans cette affaire ?
Le parquet terroriste n'a pas été saisi, car il ne s'agissait pas d'un acte terroriste. M. le président Meyer Habib, dans une publication sur Facebook il y a deux jours, vous avez très clairement écrit le contraire. Vous avez assimilé mon client à un terroriste. Vous l'avez traité de sauvage. Vous avez rapproché le meurtre de Mme Sarah Halimi de ceux de Mme Mireille Knoll, du père Jacques Hamel et d'une affaire dramatique qui a eu lieu récemment en Israël. Or il n'existe pas de raison sérieuse pour qualifier le meurtre de Mme Sarah Halimi d'attentat terroriste.
Selon la justice, il ne s'agissait pas d'un attentat terroriste.
Il s'agit d'un acte rationnel qui vise à créer la terreur à des fins politiques. Ce n'était pas le cas du crime commis par M. Kobili Traoré.
Non. Tout dépend de l'état dans lequel se trouvait M. Kobili Traoré au moment où il a commis ces actes.
Il a été reconnu qu'il y avait, a minima, une altération de son discernement en raison de sa consommation de substances toxiques.
L'abolition de son discernement a été retenue. Nous pourrons l'évoquer par la suite. Sept experts se sont prononcés en ce sens sans hésitation. À mon sens, le premier de ces sept experts, le Dr Daniel Zagury, s'est contredit. Il y a eu une abolition du discernement et non une altération. Il s'agit d'une vérité judiciaire définitive et d'un constat effectué par les premiers médecins qui ont examiné M. Kobili Traoré. Il est possible qu'il ait eu des réflexes susceptibles d'être qualifiés d'antisémites alors qu'il était sous l'emprise de sa bouffée délirante. Cependant, cet éventuel antisémitisme n'est pour rien dans le déclenchement des faits.
M. Kobili Traoré explique qu'il comprend que Mme Sarah Halimi est de confession juive lorsqu'il entre chez elle et voit un chandelier à sept branches et une Torah. En réalité, ces objets ne se trouvaient pas chez la victime. Il savait déjà que la victime était juive. Il faisait nuit, il y avait simplement des bougeoirs, mais aucun symbole visible du judaïsme. Comment expliquez-vous que M. Kobili Traoré puisse affirmer qu'il ne savait pas que Mme Sarah Halimi était de confession juive quand il a accédé à son balcon ? Par ailleurs, nous avons pu constater que la porte-fenêtre avait été forcée. M. Kobili Traoré réveille Mme Halimi, la tire sur le balcon. Quand il a identifié la présence de la police, il dit : « Elle va se suicider. » D'après vous M. Kobili Traoré ne sait pas que Mme Sarah Halimi est juive lorsqu'il entre chez elle ?
Vous refaites le procès, M. le président. Ces questions ont été évoquées devant la chambre d'instruction.
J'aurais souhaité comme beaucoup, dont le Grand rabbin de France, que le meurtrier, M. Kobili Traoré, soit jugé devant une cour d'assises de la République. Cela aurait évité à des parlementaires d'essayer d'éclaircir les zones d'ombre de cette affaire.
S'il avait été acquitté pour abolition du discernement, nous ferions face à un mouvement identique à celui qui a vu le jour en réponse aux arrêts rendus par la chambre de l'instruction et par la chambre criminelle. Il existe un véritable problème d'antisémitisme dans ce pays et notamment dans une petite partie de la population musulmane. Toute décision qui déclare l'irresponsabilité de M. Kobili Traoré crée un scandale. Ce phénomène demeure inévitable. Cette loi a été voulue par le président de la République de l'époque, Nicolas Sarkozy. Elle présente un réel intérêt. Il aurait été acquitté par la cour d'assises et déclaré irresponsable.
En France, depuis le Moyen Âge, nous ne jugeons pas les fous. Aujourd'hui, d'après des personnes auditionnées, M. Traoré ne prend aucun traitement. Il a été condamné à maintes reprises avant de commettre ce meurtre. Il a passé beaucoup de temps en prison et il aurait racketté un garagiste quelque temps avant les faits qui nous intéressent ici. Il n'avait pas de passé psychiatrique connu. Il consommait du cannabis régulièrement depuis des années. Par conséquent, on peut s'interroger sur l'apparition de cette bouffée délirante à ce moment précis.
M. Kobili Traoré n'avait pas non plus le moindre passé islamiste. Il s'agit d'une pathologie imprévisible survenue pour la première fois dans sa vie. Tous les experts psychiatriques s'accordent sur ce fait, y compris le Dr Daniel Zagury, dont les propos sont parfois repris avec mauvaise foi. C'était totalement imprévisible.
Pourquoi la juge d'instruction ne demande-t-elle pas au Dr Daniel Zagury si l'acte de M. Kobili Traoré est antisémite ?
Il y a répondu dans sa première expertise. L'antisémitisme n'est pas un fait distinct. Tout juge d'instruction, sans réquisitoire supplétif du parquet, est libre de viser la circonstance aggravante d'antisémitisme. C'est ce qu'il s'est passé en 2006 dans le dossier Ilan Halimi pour lequel j'ai été saisi comme mon confrère, Me Francis Szpiner. En dépit d'éléments flagrants à caractère antisémite, le parquet n'avait pas ouvert l'instruction en visant la circonstance aggravante d'antisémitisme. Les deux juges d'instruction, Corinne Goetzmann et Benoît Thouvenot, ont visé la circonstance aggravante. Le parquet n'a pas besoin de saisir le juge d'instruction de la circonstance aggravante, car il ne s'agit pas d'un fait, mais d'une circonstance. Pourquoi la juge d'instruction dans l'affaire du meurtre de Mme Sarah Halimi ne l'a pas fait ? Il faudra lui demander.
Vous êtes sans doute un très bon avocat, vous défendez l'assassin, le meurtrier, M. Kobili Traoré.
Vous ne pouvez pas dire l'« assassin », le « meurtrier ». Pourquoi le parquet n'a-t-il pas, dès le départ, ouvert l'instruction sur la circonstance aggravante d'antisémitisme ? Pourquoi la juge d'instruction n'a-t-elle pas mis en examen M. Kobili Traoré en visant la circonstance aggravante d'antisémitisme ? Vous le leur demanderez. Toutefois, de manière générale, on constate qu'il existe parfois une difficulté à appréhender cette question par des populations qui font elles-mêmes l'objet de ségrégation et de racisme. Me Francis Szpiner l'a indiqué. Dans cette affaire, la justice a fonctionné. M. Kobili Traoré a été mis en examen avec la circonstance aggravante de l'antisémitisme.
Deux témoins clés ont assisté au meurtre de Mme Sarah Halimi. Ils disposaient d'une vue directe sur le balcon de la victime. L'un d'entre eux indiquera : « J'ai entendu le bruit de la viande qui se fait cogner. C'était de la torture. » Plusieurs voisins ont été réveillés par les hurlements de Mme Sarah Halimi. Pourquoi ces témoins n'ont-ils pas été entendus par la juge d'instruction ?
Ce n'était pas le sujet, la question était de savoir si le discernement de l'auteur de ces actes était aboli. C'était l'unique question de ce procès.
Dans un premier temps, le Dr Daniel Zagury, éminent psychiatre, reconnaît une abolition du discernement partielle et non totale. Il précise que M. Kobili Traoré peut assister à une reconstitution. Or il n'y a pas eu de reconstitution. Est-ce courant dans ce type d'affaires ? La juge décide immédiatement de nommer six nouveaux experts complémentaires. Est-ce fréquent ?
Chaque affaire est différente, je ne peux pas me prononcer sur la régularité de ce phénomène. Le Dr Daniel Zagury précisait que la reconstitution présentait un « risque de rechute pour M. Kobili Traoré ». Les faits étaient reconnus et parfaitement établis. Je suis d'accord avec Me Francis Szpiner lorsqu'il indique que cette reconstitution n'aurait servi à rien. Le plus probable est qu'une telle reconstitution aurait eu de grands retentissements, il y aurait eu du monde et possiblement des incidents. Les faits sont parfaitement connus, vous venez de les décrire. Une reconstitution aurait constitué un acte de voyeurisme parfaitement inutile à la manifestation de la vérité. Toutefois, nous ne nous y sommes pas opposés.
Selon vous, une reconstitution n'était pas nécessaire. Pourtant, M. Kobili Traoré, qui avait la possibilité de défenestrer Mme Sarah Halimi d'une hauteur de 1 mètre 50, a choisi la seule portion du balcon qui lui permettait de s'assurer qu'elle tomberait dans le vide. Quelqu'un qui opère ce choix dispose d'une certaine lucidité d'esprit.
Les experts le précisent : on peut avoir une forme de lucidité dans le cadre d'un délire. Celui qui est délirant peut être lucide. On peut boire un verre d'eau lorsqu'on est fou. Il ne faut pas confondre abolition du discernement et irrationalité. Il existe une rationalité dans la folie. Tous les experts s'accordent à le reconnaître. Le Dr Daniel Zagury décrit une abolition.
M. le président Meyer Habib, vous avez eu un geste désobligeant vis-à-vis de Mme la rapporteure. Nous l'avons tous constaté et ne l'acceptons pas. Respectez, Mme la rapporteure, s'il vous plaît M. le président.
Je respecte Mme la rapporteure. J'ai des questions à poser à Me Thomas Bidnic. Mme la rapporteure a également des questions à poser et je lui cèderai la parole rapidement.
Nous nous sommes rendus sur les lieux. Une femme y a été massacrée pendant vingt minutes à poings nus. Son assassin, parce qu'il a été jugé irresponsable, n'ira jamais devant une cour d'assises de la République. Le président de la République est sorti de sa réserve pour demander un procès. À ce stade, nous cherchons à identifier un éventuel dysfonctionnement de la police et de la justice. Il s'agit d'une affaire dramatique et douloureuse.
Le Dr Daniel Zagury décrit une abolition du discernement : « En dépit de la réalité indiscutable du trouble mental aliénant, l'abolition du discernement ne peut être retenue du fait de la prise consciente et volontaire de cannabis en très grande quantité. Il s'agit d'une appréciation médicale constante. Le but n'était pas l'agression. » Il s'agit d'une assimilation fausse à l'alcool du Dr Daniel Zagury. Lorsqu'on consomme du cannabis ou de l'alcool avant de conduire, nous savons que c'est dangereux. C'est la raison pour laquelle la jurisprudence indique qu'il ne peut pas y avoir d'abolition du discernement. En revanche, M. Kobili Traoré fumait du cannabis depuis quinze ans et jamais il n'a eu un effet proche de la bouffée délirante. Cette affirmation médico-légale s'avère erronée et le Dr Daniel Zagury sort de sa sphère de compétence.
Concernant cet assassinat, il est possible d'envisager une préméditation. M. Kobili Traoré a rarement dormi chez son ami qui habitait deux étages au-dessus de l'appartement de Mme Sarah Halimi. Pour la première fois, il a déposé deux enfants chez la famille Diarra. Or leur appartement est le seul endroit d'où l'on accède facilement au balcon de Mme Sarah Halimi. Sa mère le voit avec deux sacs blancs qu'il aurait ou non déposés chez la famille Diarra. Nous nous posons une question légitime : au-delà de la drogue consommée, aurait-il prémédité cet assassinat ? M. Kobili Traoré prenait de la drogue depuis quinze ans.
La consommation de drogue est un délit. Des signes de la bouffée délirante aiguë ont été perçus deux jours avant le drame. Vous dites : « On peut penser que… » Pour ouvrir une instruction, des indices sont nécessaires. Des charges sont requises pour présenter une personne devant une juridiction, tandis que des preuves sont un préalable à toute condamnation. Une instruction a eu lieu pendant laquelle des débats se sont tenus. Le travail judiciaire a été effectué. La conclusion unanime demeure l'absence de préméditation. Tous les experts s'accordent sur ce point. Le Dr Daniel Zagury l'écrit clairement. La question a été posée et une réponse lui a été donnée.
En tant que parlementaire, je me pose cette question au regard des éléments dont nous disposons : il dort deux étages au-dessus, il apporte des affaires, va voir les lieux avant qu'il aille sur le balcon du côté le plus difficile et non le plus facile.
L'abolition du discernement et l'irrationalité correspondent à deux phénomènes distincts.
À ce jour, nous n'avons auditionné que les avocats des parties civiles. J'attends de votre audition qu'elle nous permette de mieux comprendre la décision finale. Je souhaite savoir pourquoi vous avez soutenu la thèse de l'irresponsabilité. Avez-vous demandé une contre-expertise ? Étiez-vous opposé à une reconstitution des faits ?
Je n'étais pas opposé à une reconstitution des faits. Je considérais qu'elle n'était pas utile et qu'elle pouvait même s'avérer dangereuse. Je n'ai pas soutenu l'irresponsabilité. J'ai étudié le dossier, j'ai essayé de faire valoir la situation la plus favorable à mon client. Les proches de M. Kobili Traoré disaient qu'un « autre personnage avait pris possession de lui ». Le Dr Joachim Müllner indique que M. Kobili Traoré présente des troubles mentaux manifestes et qu'il représente un danger imminent pour lui-même. Je lis le dossier, j'entends les proches. M. Kobili Traoré n'était pas en état de subir une garde à vue. L'acte est tellement monstrueux que j'espérais, en tant qu'avocat, l'abolition du discernement.
Ce n'est pas aussi simple. Le judaïsme de Mme Sarah Halimi a probablement joué un rôle. Outre les objets qu'il décrit, M. Kobili Traoré connaissait Mme Sarah Halimi depuis longtemps. Il ne l'a jamais contesté, tout autant qu'il connaissait sa pratique religieuse. Lors de sa première audition devant la juge d'instruction, il le dit et le reconnaît.
Nous disposions d'une expertise du Dr Daniel Zagury très favorable à la défense et fidèle à la réalité. Le psychiatre décrivait une abolition du discernement. Toutefois, dans les quelques lignes où il sortait de son domaine d'expertise, il se trompait. Je disposais donc d'une bonne expertise et je me préparais à combattre les lignes avec lesquelles je n'étais pas d'accord. J'étais convaincu que la juge d'instruction ordonnerait de nouvelles expertises au regard de la gravité et du retentissement des faits. Cependant, je ne pouvais connaître leur conclusion avant leur réalisation et je n'ai donc pris aucune responsabilité à cet égard. J'avais la certitude absolue que les juges d'instruction ordonneraient de nouvelles expertises.
En préambule, je souhaite rappeler que nous avons souhaité participer à cette commission d'enquête au regard de la gravité des faits. Ces événements sont insoutenables. L'antisémitisme doit être combattu. Cependant, il ne s'agit pas de l'enjeu de cette commission. Les législateurs n'ont pas pour mission de réaliser un nouveau procès, notamment celui de l'avocat de la défense. L'objet de cette audition demeure de savoir s'il existe des dysfonctionnements de la justice dans cette affaire.
Le discernement de M. Kobili Traoré était-il aboli ? Dans ce cadre, considérez-vous que la manière avec laquelle les expertises psychiatriques ont été déployées était efficace ? Combien doit-il y en avoir ? Ici, nous en dénombrons sept qui ont toutes concouru à établir un diagnostic identique. Des évolutions législatives en la matière sont-elles souhaitables ?
Mon expertise est insuffisante pour répondre à cette question de manière satisfaisante. Je suis avocat, je ne suis pas spécialiste de l'irresponsabilité pénale. J'ai eu le sentiment que le travail judiciaire avait été effectué correctement, tout autant que celui des experts. J'ai confiance en la médecine et en la science. Disposer d'un tel taux de convergence me suffit. Je ne suis pas en mesure de préconiser une réforme de l'expertise pénale concernant l'abolition de discernement.
Je rejoins les propos de ma collègue, Mme Aurore Bergé, et je regrette la discordance entre le temps de parole accordé à la personne auditionnée dans les quarante premières minutes de cette séance et à la présidence.
Pourriez-vous revenir sur les conditions de votre intervention comme défenseur des intérêts de M. Kobili Traoré ? Avez-vous été mandaté ou commis d'office ? Sans enfreindre le secret professionnel, pourriez-vous nous informer sur la qualité et la forme de vos échanges avec votre client ? Êtes-vous encore responsable de la défense de ses intérêts dans le cadre de son hospitalisation d'office ?
J'ai été contacté par l'entourage de M. Kobili Traoré. Il m'a désigné à la demande de son entourage. Mon associé l'a rencontré pour la première fois à Villejuif. Il portait une camisole de force et était surveillé par deux infirmiers. Notre premier échange a eu lieu derrière une vitre de protection et moyennant la mise en œuvre d'importantes conditions de sécurité. Je défendais un homme considéré comme un grand malade. J'ai découvert à cette occasion que les infirmiers psychiatriques sont capables à la fois d'une certaine brutalité et d'une extraordinaire humanité.
M. le président, vous avez affirmé qu'il ne suivait aucun traitement, c'est faux. Si c'était le cas, cela signifierait que les médecins ont achevé leur travail. Pourtant, j'espère qu'il sera soigné. Aussi douloureux que cela puisse être pour beaucoup, il est dans l'intérêt de la société que M. Kobili Traoré soit guéri un jour.
Une avocate lui a été désignée d'office dans le cadre de son hospitalisation. Il s'agit d'une spécialiste des questions de libertés publiques. Je ne connais pas encore nos futures modalités de travail. Néanmoins, je demeure l'avocat de M. Kobili Traoré.
Nous sommes face à une décision prise au regard de l'avis des psychiatres, d'une intervention du préfet, du juge des libertés et de la détention (JLD) et éventuellement de la cour d'appel. Comme pour l'instruction et la décision définitive, il s'agit d'une association des compétences afin de prendre la meilleure décision possible. M. Kobili Traoré sortira probablement un jour. Je ne saurais vous dire quand. Cependant, les témoignages des experts psychiatriques se rejoignent et indiquent que l'enfermement psychiatrique peut durer des années sans aménagement de peine et qu'il peut être pire que la prison.
Pour l'instant, à ma connaissance rien n'est prévu. Je ne dispose d'aucune perspective. M. Kobili Traoré est toujours hospitalisé. Il va mieux, il n'est plus en état de bouffée délirante aiguë.
Il a consommé à nouveau du cannabis. S'il avait à ce moment-là commis un crime, nous nous serions interrogés sur l'abolition de son discernement puisqu'il connaissait les effets néfastes que cette consommation pouvait avoir sur lui.
Vous nous avez indiqué qu'il dispose d'une autre avocate. Est-elle commise d'office ? Si c'est le cas, cela signifie que vous disposez d'une date d'audience.
Je n'ai pas de date d'audience. Il a pris attache avec une avocate et j'ignore si celle-ci a été désignée par le barreau. Des avis médicaux seraient un préalable à sa sortie, car il n'est pas guéri. Nous devons souhaiter qu'il le soit. L'enfermement psychiatrique ne constitue pas une punition.
Il s'agit d'une audition difficile, car nous ne pourrons pas refaire l'enquête. Nous souhaitons conserver la sérénité dans les débats de cette commission. Vous avez votre propre secret professionnel. Tous ces éléments constituent des limites à un exercice délicat. Selon vous, il n'y a pas de dysfonctionnement judiciaire dans ce dossier.
À mon sens, il n'existe pas de dysfonctionnement judiciaire dans cette affaire. Dans le cas contraire, une concertation frauduleuse des experts et des juges aurait été nécessaire.
Le spectre de nos questions est assez réduit puisque vous vous déclarez incompétent au sujet des forces de police. Un point important a été soulevé par ma collègue, Mme Laetitia Avia. Dès lors que l'irresponsabilité a été reconnue, nous évoluons de l'univers carcéral vers celui de l'hôpital psychiatrique, avec la question du passage tous les six mois devant le JLD. Avez-vous envisagé une demande d'élargissement pour M. Kobili Traoré ? Il s'agirait d'une question centrale concernant la sécurité publique.
Nous nous rendons compte qu'il existe un problème de fonctionnement des expertises. Je pense qu'il aurait été impossible d'envoyer M. Kobili Traoré devant une cour d'assises si un seul expert avait considéré qu'il disposait d'un entendement limité.
Nous débattons actuellement d'un projet de loi sur l'irresponsabilité pénale. Ce débat suscite l'idée — du moins en commission mixte paritaire — selon laquelle, lorsque les dispositions sont spécifiques, telles que la prise de stupéfiant dans le but de commettre un crime, l'auteur pourrait comparaître devant une cour d'assises. Cette dernière serait réunie préalablement aux décisions de jugement, pour décider si l'auteur des faits doit être considéré ou non comme irresponsable. La justice trancherait sur les avis rendus par les experts. Cela vous paraît-il une évolution positive de notre mode de fonctionnement judiciaire ?
Cette question est bien trop importante pour que je vous donne un avis sans davantage de réflexion. J'ai le sentiment qu'on souhaite introduire dans la loi des éléments qui existent déjà au travers de la jurisprudence. Le fait de prendre de la drogue pour se donner du courage exclut l'abolition du discernement. Ajouter ce point dans la loi est positif. Toutefois, créer un délit distinct serait complexe. Je préfère demeurer précautionneux sur ce point.
Cette procédure répondrait au moins partiellement au choc ressenti par une partie de la population qui ne comprend pas que l'auteur d'un tel crime ne comparaisse pas devant une cour d'assises. L'évolution de ce texte appartient encore à une commission mixte paritaire. Il s'appliquerait uniquement dans des cas excessifs, celui de l'article 1 de la loi. Ce changement donnerait la possibilité à la cour d'assises de trancher définitivement en une sorte d'audience préalable. Nous partons du principe que les experts fournissent uniquement un avis. La justice doit statuer, quel que soit l'avis des experts. Avez-vous un avis sur cette éventuelle disposition ou s'agit-il d'une question trop lourde pour y répondre rapidement ?
Dans une cour d'assises, il s'agit de jurés. Je ne suis pas un partisan absolu des jurés.
Les plus belles juridictions dans lesquelles j'ai pu intervenir étaient selon moi des cours d'assises spécialement composées de magistrats professionnels opérant comme des jurés, mais avec leurs compétences particulières. Parmi les jurés, il n'y a pas uniquement des éléments positifs. Quand il s'agit de représenter le peuple français, je préfère l'intervention de l'Assemblée nationale à celle d'un jury populaire.
Vous avez évoqué les conditions de votre rencontre avec M. Kobili Traoré. Pouvez-vous nous fournir davantage de détails notamment sur votre ressenti lors de cette première entrevue ? Qu'avez-vous appris et que pouvez-vous nous apprendre sur cette procédure judiciaire ? Avez-vous eu des interrogations ? Reste-t-il des points à éclaircir ? Que recommandez-vous ?
Je n'ai pas de recommandation à formuler. Je n'ai pas cette compétence.
Mon ressenti vis-à-vis de M. Kobili Traoré est qu'il s'agissait d'un jeune homme fragile. J'avais en face de moi un individu très malade, dangereux pour les autres et pour lui-même. Il a peu à peu pris conscience de l'extraordinaire gravité de ses actes. Il l'a dit à la juge d'instruction. Il est impossible pour un avocat de préparer des déclarations. M. Kobili Traoré était d'une totale sincérité. Il sait ce qu'il a fait et il le vit très mal.
Après l'intervention du président de la République, j'étais convaincu que M. Kobili Traoré serait présenté devant une cour d'assises. La convergence des avis des experts y compris celui du Dr Daniel Zagury a été déterminante. Je m'intéresse davantage à son rapport qu'à ses propos. Il m'est arrivé de dire que le Dr Daniel Zagury était parfois en désaccord avec lui-même.
Il y a eu de multiples expertises. Pourquoi y en a-t-il eu autant ? Ces avis d'expert sont consultatifs. Or, dans la pratique, il advient qu'on s'approprie ces avis pour juger. Dans ce procès, y a-t-il eu un glissement ?
Nous disposions d'une unique expertise, celle du Dr Daniel Zagury, qui comportait une contradiction interne majeure. Il décrit une abolition du discernement. Or, quelques lignes plus loin, lors d'une prétendue appréciation médico-légale, il écrit le contraire. Cette contradiction requerrait un autre avis, quand bien même il n'est pas illégitime d'avoir recours à un autre avis. Ce deuxième avis était différent du premier. Par conséquent, un troisième avis a été demandé. Sept psychiatres se sont penchés sur ce dossier : un seul médecin, puis deux collèges formés chacun de trois psychiatres qui ne se sont pas dissociés. En tant que citoyen, cette procédure me paraît satisfaisante. Les meilleurs textes ne sont rien si le juge n'effectue pas son travail. Lorsque l'appréciation relève aussi spécifiquement du domaine scientifique, il est logique que le juge statue en tenant compte de ces expertises.
Concernant l'état actuel de votre client, a-t-il formulé une demande pour saisir le JLD quant à la sortie de son régime psychiatrique sous contrainte ?
Une telle demande n'a pas été formulée. M. Kobili Traoré est sidéré par son acte, dont il reconnaît la gravité. Il faut souhaiter que de telles demandes se produisent. Il s'agirait d'une victoire.
La question des expertises est récurrente, car elle se trouve au cœur du dossier. Le Dr Daniel Zagury a rappelé, lors de son audition, que M. Kobili Traoré était dans un « chaos psychique » au moment de ses actes. Selon lui, il s'agissait d'une bouffée délirante aiguë d'ores et déjà constatée par le Dr Joachim Müllner à l'Hôtel Dieu, puis confirmée à l'institut psychiatrique de la préfecture de police de Paris (I3P). En revanche, selon le Dr Daniel Zagury, il existait un second débat sur l'aspect médico-légal, d'où la nuance de son avis.
Pensez-vous que les parties pourraient avoir un rôle accru dans la procédure pour demander et réagir à des pré-conclusions d'expertise ?
Pensez-vous, en tant qu'avocat-pénaliste, que dès lors que toutes les parties convergent, une reconstitution devrait avoir lieu ?
Si l'irresponsabilité n'avait pas été posée aussi rapidement, d'autres actes auraient-ils pu être mis en œuvre ?
Une audition pourrait être proposée à M. Kobili Traoré par le président ou la rapporteure de cette commission d'enquête. En tant qu'avocat quel est votre avis ?
Sur une éventuelle comparution de M. Kobili Traoré, il me semble que M. le président Meyer Habib m'a déjà interrogé sur ce point.
Il n'y aura pas de comparution de M. Kobili Traoré. Il est probable que nous lui rendions visite avec Mme la rapporteure.
J'ai fait partager cette question avec M. Kobili Traoré. Ce ne fut pas évident. Il nous arrive d'avoir des désaccords. S'il est entendu, ce que je ne souhaite pas, un nouveau procès aura lieu. Je m'y opposerai, car il s'agira d'une justice spectacle.
M. Kobili Traoré était présent devant la chambre de l'instruction. Toutes les questions pouvaient lui être posées. L'audience a duré une journée. Je reste convaincu que, si la partie civile avait demandé une autre journée, elle l'aurait obtenue. Les parties civiles ont choisi de ne pas participer à ce « petit procès ». Je suis favorable à tout ce qui contribue à améliorer le contradictoire et il était tout à fait possible de disposer d'une véritable audience contradictoire devant la chambre de l'instruction. Elle a été tronquée par la décision des parties civiles alors que j'ai pu constater par la suite qu'elles étaient promptes à s'exprimer dans la presse ou dans cette commission d'enquête.
De mon point de vue, une reconstitution ne servirait à rien. Bien que les parties soient en accord, c'est à la juge d'instruction de statuer. Elle a jugé qu'une reconstitution était inutile et dangereuse. Le Dr Daniel Zagury avait évoqué la possibilité que M. Kobili Traoré subisse une nouvelle crise.
Je souhaitais vous lire ce que le Dr Daniel Zagury a écrit : « En dépit du caractère indiscutable du trouble mental aliénant son discernement, il ne peut être considéré comme ayant été aboli, au sens de l'article 122-1 alinéa 1 du code pénal, du fait de la consommation régulière et volontaire de cannabis, de surcroit, récemment augmentée. Par contre, la nature des troubles dépassant largement les effets attendus, il eût suffi que l'on considère son discernement comme ayant été altéré, au sens du deuxième alinéa de l'article 122-1 du code pénal, au moment des faits qui lui sont reprochés. »
Quel est le risque de récidive de M. Kobili Traoré ?
Au sens médical du terme, je ne peux pas me prononcer. Seuls les psychiatres peuvent statuer sur ce risque. J'ai l'impression que cet homme rejoint l'humanité peu à peu. Il faut limiter ce risque au maximum, mais qui peut dire ce que nous ferons la semaine prochaine ? Le système que nous avons, soit un mélange de judiciaire, d'expertise et de médical, est le plus mauvais système à l'exception de tous les autres.
La réunion se termine à dix-huit heures trente. Membres présents ou excusés
Commission d'enquête chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite Sarah Halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement
Présents. - Mme Emmanuelle Anthoine, Mme Laetitia Avia, Mme Aurore Bergé, Mme Camille Galliard-Minier, M. Meyer Habib, M. Brahim Hammouche, M. François Jolivet, M. Richard Lioger, M. Sylvain Maillard, Mme Florence Morlighem, M. Didier Paris
Excusée. - Mme Constance Le Grip