Commission des affaires sociales

Réunion du mercredi 9 février 2022 à 14h35

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • ARS
  • EHPAD
  • livre
  • maltraitance
  • marge
  • orpea
  • résident
  • âgée

La réunion

Source

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 9 février 2022

La séance est ouverte à quatorze heures trente-cinq

Dans le cadre des auditions sur la situation dans certains établissements du groupe Orpea, la commission auditionne M. Victor Castanet, auteur de l'ouvrage Les Fossoyeurs.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous poursuivons notre cycle d'auditions sur la situation dans certains établissements du groupe Orpea. Le bureau, qui vient juste de se réunir, propose de lancer trois ou quatre missions « flash », parallèlement à la poursuite de notre cycle d'auditions. Nos travaux donneront lieu à la publication d'un rapport comprenant notamment les contributions de tous les groupes politiques qui le souhaitent, ainsi que le compte rendu des auditions.

La semaine dernière, la lecture de l'ouvrage Les Fossoyeurs a provoqué notre émoi, notre écœurement, notre indignation et notre colère. L'audition des dirigeants d'Orpea ne nous a rien appris, ou presque. Je remercie M. Castanet d'avoir accepté notre invitation. Je vais le laisser nous présenter les principaux points de son enquête et nous indiquer ce que lui inspire ce qui s'est produit depuis la parution de son livre.

Permalien
Victor Castanet, auteur de l'ouvrage Les Fossoyeurs

Si j'ai accepté de venir répondre à vos questions, c'est pour deux raisons principales. D'abord, parce qu'il est essentiel de continuer à rendre compte et à décrypter méthodiquement le système mis en place par le groupe Orpea, leader mondial des EHPAD et cliniques privées, propriétaire de plus de 1 100 établissements à travers le monde : un système de réduction des coûts jusqu'à l'os, dont les conséquences sont directes et destructrices sur la prise en charge de dizaines de milliers de personnes âgées, mais également – il ne faut pas l'oublier – sur les conditions de travail de milliers de collaborateurs du groupe.

Ensuite, il y a urgence à repenser la manière dont notre société traite la prise en charge de nos aînés, des êtres vulnérables et fragiles à qui l'on doit au minimum de veiller au maintien de leur santé.

Je répondrai à chacune de vos questions de la manière la plus rigoureuse et la plus pédagogique possible. Je me tiens face à vous en tant que journaliste : mes propos ne se situent pas du côté de la vérité, mais des faits. Certains faits rapportés dans le livre sont d'une extrême gravité. Je n'ai pas pris à la légère l'écriture de cette enquête et les accusations qu'elle peut comporter. Les faits sont étayés par de nombreux témoignages puisque plus de 250 personnes ont participé à l'investigation et beaucoup d'entre elles ont pris le risque d'assumer leurs propos à visage découvert, et devant la justice si cela s'avérait nécessaire.

Il s'agit notamment de Saïda Boulahyane, ex‑auxiliaire de vie, de Guillaume Gobet, ancien cuisinier, de Laurent Garcia, ex‑cadre de santé, de Carmen Menjivar, ex‑directrice d'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), de Camille Lamarche, ancienne juriste au sein du service ressources humaines (RH), de Patrick Métais, ancien directeur médical de Clinea, filiale d'hospitalisation privée d'Orpea et membre du comité exécutif, etc. Je salue leur courage et leur détermination à faire changer les choses. Si ce livre a déclenché un débat de société, si, demain, le quotidien de nos aînés s'en trouve amélioré, il faudra les en remercier.

Cette enquête s'appuie également sur des centaines de documents, transmis au cours de mes trois ans de travail. Ma maison d'édition, Fayard, sa directrice, Sophie de Closets, et moi‑même estimons que ce n'est pas mon rôle de vous les remettre lors de cette audition. Mais j'ai fait le choix d'apporter trois séries de documents pour étayer mes propos. Ils sont relatifs au rationnement des produits de santé et à celui des produits d'alimentation, ainsi qu'aux marges arrières sur des produits pourtant financés par l'argent public, c'est‑à‑dire l'argent des Français.

Je répondrai à toutes vos questions, les seules limites étant celles qui s'imposent à tous mes confrères. En tant que journaliste, il ne m'appartient pas de qualifier juridiquement les pratiques dénoncées. En outre, je dois veiller à la protection de mes sources, sans lesquelles aucune investigation ne serait possible. Pour que les choses soient parfaitement claires, mon enquête porte sur un seul groupe, le leader mondial du secteur. Même si j'ai eu connaissance de dérives dans d'autres sociétés, je m'en tiendrai strictement aux pratiques d'Orpea car il ne m'appartient pas de commenter ou de discréditer des groupes sur lesquels je n'ai pas enquêté.

Contrairement à ce que la communication d'Orpea tente de faire croire depuis plusieurs jours, je n'ai jamais mis en cause le travail, le dévouement et le professionnalisme des milliers de collaborateurs du groupe. Les aides‑soignants, les auxiliaires de vie, les infirmiers, les cadres de santé, et tant d'autres, remplissent chaque jour une mission essentielle à notre société – et particulièrement difficile : ils prennent soin de nos mères, de nos pères, de nos grands‑parents dans un environnement de travail continuellement dégradé et, bien souvent, pour des salaires de misère. Les salariés d'Orpea sont tout autant victimes de ce système que les résidents. Ce sont eux, les premiers, qui sont venus m'alerter, et mon enquête s'est déroulée à leurs côtés.

Mon livre dénonce un système qui profite à une infime minorité : certains hauts cadres dirigeants d'Orpea en charge des services achats, RH, développement ou de celui gérant la tarification ; certains membres du conseil d'administration, qui pourraient être informés des pratiques à l'œuvre depuis près de vingt‑cinq ans et, bien évidemment, les membres de la direction générale à l'origine de ce système – Jean-Claude Brdenk, ancien directeur général délégué à l'exploitation, Yves Le Masne, ancien directeur général du groupe, et le fondateur d'Orpea, le docteur Jean‑Claude Marian.

Si le livre rapporte les dérives d'un groupe, il raconte également les défaillances de l'État. Les agences régionales de santé (ARS) ont failli ; elles n'ont pas su, ou pas pu, répondre à leurs missions premières – s'assurer de la bonne utilisation de l'argent public et, surtout, protéger nos aînés. Les inspecteurs des conseils départementaux ont failli, par manque de moyens ou de volonté politique. La direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF) a failli ; elle n'a pas su, ou pas pu, stopper la pratique des marges arrières dans ce secteur.

Sans aucune volonté polémique, je dirais également que la classe politique – les élus, les représentants de la nation, et jusqu'au sommet de l'État – a manqué à sa mission depuis des décennies. Les rapports sont publiés, sans être suivis d'effet. Le vote d'une loi sur le grand âge est repoussé depuis des années. Des familles, des salariés, des journalistes des avocats, des syndicats alertent depuis longtemps. Qui les a écoutés ? Qui les a entendus ?

Depuis deux semaines, un mouvement inédit de libération de la parole s'est déclenché. Je reçois plusieurs centaines de courriels par jour, de familles en détresse et de salariés en souffrance. Je ne suis pas leur porte‑parole. Je tente modestement d'être leur porte‑voix et je vous dis en leur nom qu'il est temps d'agir. C'est une lourde responsabilité que vous décidez d'assumer aujourd'hui. Je vous en remercie.

Suite à la publication de mon enquête, Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée chargée de l'autonomie auprès du ministre des solidarités et de la santé, a pris des mesures. Elle a notamment lancé deux enquêtes conjointes, menées par l'Inspection générale des finances et l'Inspection générale des affaires sociales, et a annoncé que tous les établissements du groupe Orpea feraient l'objet d'un contrôle des agences régionales de santé.

Malgré la force de ces annonces, certaines personnes m'alertent quant à leur efficacité. Ces derniers jours, des salariés encore au sein du groupe m'indiquent que celui-ci prend des dispositions avant que les contrôles n'aient lieu. Ainsi, des membres du service RH se seraient rendus dans plusieurs résidences pour vérifier que tout est bien en ordre ; des vacataires, employés depuis plusieurs mois, auraient été brutalement remerciés ; des attestations ont été demandées à des salariés et des éléments supprimés des dossiers informatiques ; des consignes claires auraient été transmises à des directeurs d'EHPAD afin qu'ils fassent le ménage dans leur masse salariale.

Les salariés qui m'ont alerté s'inquiètent qu'une fois de plus, le privé démontre sa supériorité sur le public et que l'État, par manque de volonté, par lenteur ou par prudence ne faillisse une nouvelle fois à sa mission, mission qui doit pourtant transcender les clivages politiques et les générations car elle nous concerne tous : celle de protéger nos aînés.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Votre livre, Les Fossoyeurs, est terrifiant d'inhumanité : des femmes et des hommes, nos parents ou nos grands‑parents, notre histoire individuelle et collective, ne sont plus que des âmes perdues, des corps maltraités par des professionnels épuisés dans un système mercantile. Sachez que la commission des affaires sociales et notre groupe veulent que toute la vérité soit faite, et que, si les faits sont avérés, ils soient sévèrement condamnés car ils sont inacceptables.

Si la situation au sein du groupe Orpea ne reflète pas celle de tous les EHPAD de notre pays, elle révèle les difficultés auxquelles l'ensemble des établissements peuvent être confrontés, notamment les effectifs insuffisants et le risque majeur, conscient ou pas, d'être à l'origine d'une maltraitance dite institutionnelle, et parfois systémique.

C'est la raison des travaux conduits par la commission pour la lutte contre la maltraitance et la promotion de la bientraitance qui, depuis 2018, s'attache à identifier et comprendre ces phénomènes. La définition de la maltraitance inscrite dans le code de l'action sociale et des familles, et dans le code de la santé publique, constitue un socle de travail commun pour tous les acteurs engagés dans la lutte contre la maltraitance.

Attention donc à ne pas jeter l'opprobre sur toute la profession, à ne pas faire fuir les professionnels, à ne pas culpabiliser les familles, à ne pas inquiéter les résidents.

Vous décrivez un système bien huilé, dont le seul objectif serait de faire toujours plus de profits. Quelles preuves avez-vous pour attester de son existence et de son caractère délibéré – je pense aux remises de fin d'année, aux faux contrats, aux licenciements abusifs –, conduisant immanquablement à une maltraitance institutionnelle et systémique ?

Certains pans de l'enquête mériteraient-ils d'être approfondis ? Pour d'autres, avez-vous été freiné, faute de témoignages ou de preuves ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur Castanet, je vous remercie d'avoir déclenché cette bombe et d'avoir alerté l'opinion publique sur ce que vivent nos aînés. Pour les familles, la décision de placer des parents ou des grands‑parents en EHPAD est souvent très difficile à prendre, surtout quand il faut faire une confiance aveugle, certains résidents n'étant plus capables de s'exprimer sur leur quotidien.

Je vous rejoins pour saluer le grand professionnalisme des soignants et des aides‑soignants qui, chaque jour, font de leur mieux pour le bien‑être des résidents.

Ce matin, la directrice générale de l'ARS Île‑de‑France nous expliquait comment se déroulent les contrôles et quelles réclamations et signalements en sont à l'origine. Peut‑être les critères retenus ne sont-ils pas les bons ? Au regard des éléments de votre enquête, comment les contrôles pourraient-ils être plus efficaces ?

Comme vous, nous regrettons de ne pas avoir pu débattre d'un projet de loi relatif au grand âge au cours du quinquennat.

Pourriez‑vous nous en dire plus sur la proposition de rémunération contre l'abandon de vos travaux, qui vous a été faite par un intermédiaire ?

Enfin, comment expliquez‑vous le silence sur ces graves défaillances ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Votre livre est une bombe. Le sujet, très grave, doit appeler les parlementaires à la vigilance et à l'efficacité. Il nous appartient de trouver des systèmes correctifs pour juguler les dérives que vous pointez du doigt. Votre constat est issu d'une enquête extrêmement fouillée, dont les sources sont nombreuses et concordantes. Mais, vous l'avez rappelé, il ne faut pas jeter l'opprobre sur toute une profession.

Il ne faut pas non plus opposer public et privé, en imaginant que seul le privé rencontre des problèmes. Au contraire, il faut tendre vers la qualité, dans le public comme dans le privé, au travers, par exemple, des délégations de service public.

Pourquoi avoir lancé cette enquête ? Aviez‑vous des connaissances familiales dans le secteur ? Avez‑vous reçu des informations en tant que journaliste, ou des déclarations spontanées ?

Marine Brenier l'a dit, on a essayé de vous faire taire. Vous avez poursuivi l'écriture du livre, mais avez‑vous envisagé de porter plainte contre ceux qui ne voulaient pas que vous continuiez ?

Quel était le degré d'information des membres du conseil d'administration d'Orpea ? Seuls certains dirigeants étaient‑ils concernés – dont un a d'ailleurs vendu ses actions au cours des derniers mois – ou disposaient‑ils tous du même niveau d'information ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le groupe Socialistes et apparentés a été particulièrement choqué par vos révélations et ce qu'elle montre d'un groupe privé, lucratif, qui a probablement fait sa fortune sur l'infortune des résidents dont il devait s'occuper.

Je remercie votre éditrice et rappelle, dans le contexte que nous connaissons tous, que l'indépendance éditoriale des maisons d'édition est un bien précieux.

Vous avez peut‑être suivi l'audition du nouveau directeur général d'Orpea. Qu'en avez‑vous pensé ? Peut‑être saurez‑vous mieux que lui nous éclairer sur la pratique des marges arrières, sur l'optimisation des tableaux d'effectifs, sur Clinea et la maximisation des factures adressées à l'assurance maladie.

Vous avez évoqué Patrick Métais ; il nous a fait part de sa disponibilité pour être auditionné.

Vous, ou vos éditeurs, faites‑vous l'objet de procédures judiciaires de la part du groupe Orpea du fait de vos déclarations, graves ?

Vous indiquez être venu, librement, avec des documents. Pensez‑vous que, si nous nous dotions des pouvoirs d'une commission d'enquête, cela permettrait d'obtenir certains documents et de faire avancer votre œuvre de transparence ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ce matin, nous avons entendu Mme Verdier, directrice de l'ARS Île‑de‑France. Elle a défendu les contrôles menés par ses services dans les EHPAD de la région, tout en précisant que seuls 20 à 25 % étaient effectués de manière inopinée et qu'elle souhaitait augmenter cette proportion.

Vous portez un regard sévère sur les moyens d'action des ARS, les collusions public‑privé et la mauvaise coordination des agences avec les conseils départementaux. À la lecture de votre livre, on comprend que les ARS n'ont pas accueilli avec joie et volontarisme votre enquête. Comment expliquez-vous ces réticences ?

Plusieurs faits repris dans votre livre se sont déroulés avant la transformation des agences régionales d'hospitalisation en ARS en 2010. Considérez‑vous que les choses ont évolué depuis cette réforme ?

Concernant les contrôles, estimez‑vous qu'il est pertinent que deux autorités distinctes – ARS et conseils départementaux – soient chargées de contrôler les mêmes établissements ? Comment jugez-vous l'efficacité des ARS sur le sujet de l'autonomie, alors que le défi du grand âge nous invite à repenser le rôle de chacun dans l'accompagnement de nos aînés ?

Le retentissement de votre ouvrage est considérable, comme en témoigne votre présence parmi nous. On parle désormais d'un #MeToo des EHPAD. Êtes‑vous surpris par la libération de la parole que votre livre a déclenchée ? Est‑ce le début d'une onde de choc ? Ne craignez‑vous pas que cette enquête alimente, à votre corps défendant, ce qu'on a pris l'habitude d'appeler l'« EHPAD bashing », alors que la grande majorité des personnels effectue un travail remarquable pour prendre soin de nos aînés avec dignité – vous l'avez d'ailleurs souligné dans votre propos liminaire ?

Je partage l'inquiétude de mon collègue Vigier : votre livre ne concernant que les EHPAD privés, ne risque‑t‑il pas de relancer le débat public‑privé qui, à mon sens, n'a pas lieu d'être ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je salue l'impressionnant travail de M. Castanet, qui décrit une réalité, indigne, du soin apporté à nos aînés. Même si la situation est particulièrement révoltante, elle est loin d'être étonnante. Depuis des années, les associations et les familles interpellent et les rapports se multiplient, sans que rien n'évolue. Citons par exemple le rapport de nos collègues Monique Iborra et Caroline Fiat en 2018, ou encore le rapport Libault remis au Gouvernement en 2019, qui aurait dû constituer une source d'inspiration pour le regretté projet de loi relatif au grand âge et à l'autonomie. Plus récemment, la Défenseure des droits a formulé des propositions sur les droits fondamentaux des personnes hébergées en EHPAD, insistant sur le fait que les droits et libertés des personnes âgées ne pouvaient être une variable d'ajustement face au manque de personnel des établissements, d'autant que les personnels de santé qui accompagnent nos aînés méritent toute notre reconnaissance.

Il est donc plus que temps de passer aux actes, et la dépendance doit être au cœur du prochain quinquennat.

Votre ouvrage se concentre sur un établissement privé à but lucratif et dénonce un système visant à optimiser le profit au détriment du bien‑être des résidents. Mais nous savons que les situations de maltraitance concernent tout autant les EHPAD publics, qui pâtissent eux aussi du manque de moyens et des problèmes d'attractivité de la profession. Avez‑vous enquêté sur d'autres établissements ?

Par ailleurs, les établissements privés semblent avoir répondu à un certain besoin de modernisation et de rénovation de l'hébergement consacré aux personnes âgées. Remettez‑vous en cause la distinction public‑privé ? Quelles seraient selon vous les pistes d'amélioration du système actuel ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Votre ouvrage met en lumière des situations qui, jusqu'à présent, étaient d'ordre privé – entre une famille, un résident, une direction d'établissement et les autorités de tarification. En les propulsant dans la sphère publique, vous nous obligez – élus, personnels administratifs ou soignants – à agir car ce que vous décrivez est insupportable.

Je ne reviendrai pas sur les faits, dont beaucoup relèvent du pénal – j'espère que la justice passera. Depuis la publication de votre livre, avez-vous été en contact avec Orpea ? Vous avez évoqué une proposition de 15 millions d'euros pour ne pas publier l'enquête. Confirmez‑vous ce montant ? Avez‑vous subi d'autres pressions ?

Vous soulevez le sujet du contrôle de la bonne utilisation de l'argent public, qui concerne les sections tarifaires « dépendance » et « soins ». Mais mon indignation concerne surtout la section « hébergement », exclusivement financée par les familles, sur laquelle sont imputées les dépenses d'alimentation, mais aussi les salaires des cadres de direction et les frais de siège. Quand un directeur général est rémunéré 1,3 million d'euros et touche une indemnité de départ de 2,6 millions, alors qu'on opère des restrictions sur les dépenses d'alimentation, c'est immoral et insupportable !

Dernière question : pourquoi les familles qui ont témoigné auprès de vous ne l'ont‑elles pas fait avant ?

Permalien
Victor Castanet, auteur de l'ouvrage Les Fossoyeurs

Madame Vidal, les 250 personnes qui m'ont aidé viennent de tous horizons. Ce sont d'abord des membres des familles de résidents, mais aussi des salariés issus du personnel soignant – auxiliaires de vie, cadres infirmiers, aides‑soignants. Ils m'ont fait part des dysfonctionnements de terrain, c'est-à-dire des conséquences du système sur eux au quotidien : ils n'ont pas assez de protections pour changer les résidents, pas assez d'aliments pour leur donner correctement à manger, mais ils subissent, constatent, sans être capables de comprendre les raisons des dysfonctionnements.

Ce sont ensuite des cadres dirigeants que j'ai dû rencontrer pour comprendre l'origine de ces dysfonctionnements. C'est d'ailleurs ce qui a fait toute la différence : c'était la première fois que des personnels du siège d'Orpea acceptaient de témoigner – pour certains à visage découvert. Ce fut notamment le cas de Patrick Métais, ancien cadre dirigeant, directeur médical de Clinea, qui a participé concrètement à la mise en place du système. Il a réduit la masse salariale, en supprimant des postes pourtant réglementaires, il a joué sur le système de facturation, il a ajouté des pensionnaires au‑delà de la capacité autorisée, etc.

Après leur départ du groupe, beaucoup de ces cadres dirigeants évoquent un état de choc post‑traumatique, lié à leur participation à un système contraire à leurs valeurs morales et éthiques. Cela a entraîné des psychanalyses chez certains et, surtout, la volonté de témoigner pour que cela ne se reproduise plus. Camille Lamarche, ancienne juriste au sein du service RH, a quant à elle constaté les libertés prises avec le droit du travail, la discrimination syndicale, les licenciements pour faute grave sans motif. Elle a également enregistré les conversations.

Tous ces personnels, cadres dirigeants au service achats, au service RH, dans les services médicaux, ont bien voulu témoigner, mais ils m'ont également transmis des documents qui constituent les preuves des faits que je décris, notamment s'agissant des marges arrières – je dispose de l'ensemble des taux de remise de fin d'année pour tous les fournisseurs du groupe, et ce que cela rapporte chaque année au groupe. Seule une personne interne à l'entreprise pouvait me transmettre ce type de document. Je ne peux donner ni son identité ni son âge car elle a pris des risques et elle a eu peur.

Il a fallu plus de six mois pour vérifier, juridiquement, l'ensemble de mon enquête. Ce travail a été mené par Me Christophe Bigot, un grand avocat, Sophie de Closets, mon éditrice, et par Gérard Davet et Fabrice Lhomme, deux grands journalistes d'investigation.

Nous savions que le livre contenait des révélations et des accusations graves. Il fallait donc pouvoir les prouver avec des documents et des témoignages, et ce d'autant plus qu'il s'agissait d'un groupe pesant quasiment 8 milliards d'euros et capable de comportements brutaux, d'après les témoignages que j'avais obtenus. Dans une telle situation, un éditeur comme Fayard n'agit pas à la légère. Nous prévoyions une riposte. Toutefois, depuis deux semaines que le livre est sorti, ni Fayard ni moi n'avons reçu la moindre plainte en diffamation.

Madame Brenier, je ne voudrais pas porter des accusations trop graves contre les ARS. Le fait est pourtant que, pendant des décennies, la direction générale du groupe s'est sentie toute‑puissante, qu'elle avait le sentiment de jouir d'une impunité totale parce qu'elle connaissait sa supériorité sur le public. C'est ce que m'ont rapporté des cadres dirigeants ayant vu comment se déroulaient les contrôles.

D'abord, ces contrôles sont très peu nombreux car les ARS ne disposent pas de moyens suffisants : elles n'ont pas assez de personnel sur le terrain. Les chiffres qui sont sortis ces derniers jours dans la presse sont explicites. J'ai rencontré plusieurs anciens directeurs d'ARS. Tous m'ont confirmé que leurs moyens n'étaient pas à la hauteur des missions qui leur étaient confiées. Il n'y a pas assez d'inspecteurs. Plusieurs de ces agents m'ont envoyé des courriels en ce sens au cours des derniers jours. Certains m'ont écrit qu'ils avaient suspecté les pratiques que je dévoile mais qu'ils n'avaient pas eu les moyens d'établir leur réalité.

Ensuite, les trois quarts du temps, les inspecteurs des ARS préviennent l'établissement trois semaines ou un mois avant le contrôle. Le groupe prend donc très rapidement des mesures de correction. Une personne témoignant à visage découvert m'a expliqué ce qui se passait juste avant un contrôle. Si le personnel n'était pas assez nombreux, le groupe en faisait venir d'un autre établissement et les plannings des semaines précédentes étaient modifiés. S'il y avait trop de lits occupés, les pensionnaires surnuméraires étaient déplacés le temps du contrôle. « C'était fait avec une facilité déconcertante », m'a‑t‑elle dit.

Enfin, il y a une très grande porosité, dans ce secteur, entre le public et le privé. Un certain nombre d'anciens hauts fonctionnaires ou inspecteurs des ARS ont été embauchés par la suite par Orpea, Korian ou d'autres groupes. Les anciens inspecteurs connaissent parfaitement les mécanismes de contrôle et ont conservé des relations au sein des ARS. Cette porosité interroge à tout le moins.

Je fais référence à une personne en particulier dans le livre, dont ma maison d'édition et moi‑même avons décidé de ne pas divulguer l'identité. Il s'agit d'une ancienne haute fonctionnaire de l'ARS Île‑de‑France, qui, d'après les témoignages de cadres dirigeants de l'entreprise, avait été en contact direct avec des dirigeants d'Orpea pendant des années. Elle leur permettait d'obtenir des informations sur les autorisations d'ouverture d'établissements ainsi que sur les contrôles. Cette personne a démissionné en 2011, me semble‑t‑il – je ne me souviens plus de la date exacte. Trois semaines après, elle devenait l'une des conseillères particulières du directeur de Clinea. Cette porosité entre les ARS et les groupes privés, qui est une certitude, est pour le moins inquiétante.

Je ne fais que rapporter des dizaines de témoignages, y compris de l'intérieur. Or toutes ces personnes m'ont dit qu'il n'y avait pas assez de contrôles, que les établissements en étaient avisés à l'avance et qu'il existait une très grande porosité entre les ARS et le groupe, ce qui avait pour conséquence que celui‑ci n'avait aucune inquiétude s'agissant des contrôles de l'État.

J'ai fait l'objet de plusieurs tentatives d'intimidation de la part du groupe, notamment à travers son ancienne directrice de la communication. Celle‑ci m'a menacé à plusieurs reprises d'un dépôt de plainte. Elle a prétendu que je faisais pression sur certaines sources. J'ai appris aussi que plusieurs hauts fonctionnaires des ARS avaient prévenu le groupe que j'avais tenté de les contacter. Le climat était donc très particulier tout au long de l'enquête. Quand j'allais voir l'administration, notamment les ARS, pour demander un éclairage sur certains documents que j'avais obtenus, j'étais toujours très mal reçu. On ne voulait ni me rencontrer ni discuter des éléments que j'avais en ma possession.

Si j'ai mentionné dans le livre l'épisode des 15 millions d'euros, c'est parce que c'est un fait. La proposition émanait non pas d'un salarié d'Orpea mais d'un intermédiaire, très proche de certains hauts dirigeants du groupe. Après s'être renseigné sur mes révélations et sur l'inquiétude qu'elles pouvaient susciter chez certains dirigeants, il m'a demandé si, moyennant une telle somme, je serais prêt à arrêter mes investigations. J'essaye de ne pas en faire un thème central de ce que je raconte, car l'essentiel, à mes yeux, c'est le système que le groupe a mis en place, un système qui crée nécessairement des situations de maltraitance.

Monsieur Vigier, il y a déjà eu de nombreuses alertes au cours des dernières années. Des familles ont écrit aux ARS et aux inspecteurs des conseils départementaux ; certaines ont porté plainte. Des salariés ont eux aussi fait remonter des alertes. La CGT, la CFDT et FO ont relaté les conditions de travail, les licenciements abusifs ainsi que la discrimination syndicale, avec la création d'Arc‑en‑Ciel, un syndicat « maison ». Toutes ces personnes m'ont dit qu'elles n'avaient pas été écoutées, qu'elles avaient eu l'impression de parler à un mur.

Des avocats m'indiquent que, partout en France, des dossiers bloqués depuis plusieurs années ont été rouverts deux jours après la sortie du livre. Certaines enquêtes préliminaires démarrent enfin, certaines procédures sont engagées sans condition, alors qu'auparavant on demandait aux plaignants une consignation de 15 000 euros. Tant mieux, il faut s'en féliciter – mais il y a quand même de quoi s'interroger.

De la même façon, tout au long de mon enquête, je me suis interrogé sur le fait que l'administration ne m'aide d'aucune façon – c'est le moins que l'on puisse dire –, voire n'apprécie pas mon travail. Certains directeurs travaillant au sein du groupe m'avaient donné copie de documents internes. J'avais besoin également des documents transmis aux autorités de contrôle, pour mettre en évidence des écarts démontrant l'existence d'une double comptabilité s'agissant aussi bien de la masse salariale que des produits de santé. Or j'ai eu beau écrire aux ARS et les appeler, aucune n'a accepté de me fournir ces éléments. On me répondait qu'ils n'étaient pas publics, que cela ne me regardait pas. J'ai saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, qui m'a dit la même chose. Je me suis alors tourné vers les conseils départementaux. Certains m'ont dit non. Le conseil départemental de Gironde et celui de la Vienne, quant à eux, ont considéré qu'il était normal de me fournir ces documents, dans la mesure où mon enquête portait sur l'utilisation de l'argent public ; si je trouvais quelque chose, c'était aussi dans leur intérêt, car il s'agissait en partie de leur argent. Si ces conseils départementaux n'avaient pas accepté de m'aider, je n'aurais jamais pu prouver qu'il existait des différences entre les chiffres consignés dans les documents internes et ceux qui étaient transmis aux autorités, car aucune ARS ne m'a permis de le faire. Je me suis inquiété du fait que l'administration soit si peu encline à me soutenir dans cette enquête.

Monsieur Vallaud, comme je le disais, nous n'avons eu aucun contact avec Orpea depuis la parution du livre et nous n'avons pas reçu de plainte.

Vous me demandez ce que je pense de la réaction de l'État – en particulier celle de Mme Bourguignon – et de l'Assemblée nationale. Je suis journaliste ; mon rôle n'est pas de distribuer les bons et les mauvais points. Néanmoins, compte tenu des connaissances que j'ai acquises au cours des trois dernières années grâce aux témoignages des cadres et des dirigeants d'Orpea, je puis dire que, pour l'instant, ce qui est fait n'est pas à la hauteur. Les responsables du système étaient capables, quand ils étaient informés des contrôles, de mettre les choses en ordre en deux ou trois semaines. Or c'est précisément ce qui est en train de se produire une nouvelle fois. Cela fait plus de deux semaines que le livre a été publié ; j'aimerais savoir combien d'établissements du groupe Orpea ont été contrôlés depuis lors en France. Il y en a tout au plus 10 %, et même plutôt 3 % ou 4 %. La Belgique a répondu beaucoup plus vite. L'Allemagne, elle aussi, lance des investigations. En France, l'État ne se rend pas compte que plus il laisse du temps à ce groupe, plus celui‑ci prendra des mesures de correction.

Il est très important que la commission des affaires sociales se saisisse de la question. Malheureusement, si vous ne vous dotez pas d'une commission d'enquête, il n'y aura pas de réponses. Vous n'aurez que ce que je peux vous apporter, mais vous n'obligerez pas les dirigeants à répondre, notamment ceux qui ont mis en place le système. Je veux parler de Jean‑Claude Brdenk, qui, après avoir rejoint le Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées pendant mon enquête, l'a quitté deux jours après la parution du livre pour intégrer le groupe Bastide, qui n'est autre que le principal fournisseur d'Orpea ; d'Yves Le Masne, qui a démissionné le dimanche suivant la parution de l'ouvrage, et du docteur Marian, qui se trouve en Belgique.

J'ai appris que le Sénat avait décidé de créer une commission d'enquête. Malheureusement, elle vise seulement à déterminer si les ARS et les conseils départementaux ont bien fait leur travail. Autrement dit, il ne s'agit que de contrôler le contrôle. Pour l'instant, personne ne contrôle donc ce qui s'est passé à l'intérieur du groupe. Ses dirigeants ne seront pas convoqués et, s'ils le sont, ils n'auront pas l'obligation de répondre. Là encore, il y a de quoi s'interroger.

Madame Firmin Le Bodo, j'ai écouté l'intervention de la directrice générale de l'ARS Île‑de‑France, que vous avez auditionnée ce matin. Il est normal qu'elle défende son institution. Par ailleurs, je ne suis pas là pour condamner cette ARS. Mais un contrôle non inopiné ne sert à rien. Quand vous prévenez un groupe trois semaines à l'avance, toutes les mesures de correction nécessaires peuvent être prises. La directrice générale de l'ARS considère que des contrôles inopinés peuvent brusquer les résidents. Certes, mais si on n'en fait pas, on ne trouvera jamais rien ; c'est aussi simple que cela. Par ailleurs, s'il n'y a pas assez d'inspecteurs, il est impossible de couvrir l'ensemble du territoire – mais la directrice générale de l'ARS n'est pas responsable de cette situation.

En outre, l'État n'a pas compris que des groupes comme Orpea étaient centralisés. Les contrôles sont localisés, ils portent sur tel ou tel établissement, dans tel ou tel département. Or c'est au siège d'Orpea, à Puteaux, que tout se joue. Quand on contrôle un établissement, on ne se rend pas compte des pratiques qui sont à l'œuvre ; ce qu'il faut, c'est contrôler le siège.

Avant, quand les ARS menaient un contrôle, le directeur de l'établissement visité pouvait rendre compte de tout. Désormais, ce n'est plus le cas : il dispose certes de documents internes, mais il ne sait pas exactement combien de postes ont été budgétés par l'ARS et le conseil départemental à travers les conventions tripartites, devenues contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens. Le groupe ne lui donne pas les éléments précis lui permettant de connaître le nombre de postes auxquels il a droit, même s'il est vrai qu'avec un peu d'expérience, un directeur se rend compte du fait que certains postes, censés être financés par de l'argent public, ne lui ont pas été donnés. Même la déclaration de fin d'année, relative notamment à la masse salariale de l'établissement, est envoyée au siège, au service chargé de la tarification, et c'est celui‑ci qui la transmet ensuite aux conseils départementaux et aux ARS, le cas échéant après l'avoir modifiée. Autrement dit, les directeurs ne savent pas exactement ce qui est déclaré. Or les ARS n'ont pas encore compris que tout se jouait au siège.

Vous me demandez ce que je pense de la libération de la parole que l'on constate depuis la parution du livre. Tout au long de ces trois années de travail collectif, nous avons espéré, avec ma maison d'édition et surtout avec toutes les sources, que le livre déclenche un électrochoc. En effet, beaucoup de reportages et d'émissions avaient déjà abordé le sujet, mais aucun n'avait réellement changé le système. Un grand nombre des sources qui ont participé à l'enquête craignaient que le groupe riposte, mais avaient surtout peur de prendre des risques pour rien, si les médias et les responsables politiques ne les écoutaient pas.

Il fallait, pour provoquer un électrochoc, que l'accumulation de témoignages – à tous les postes – et de documents soit implacable. Pendant très longtemps, les reportages ont montré des dysfonctionnements dans certains EHPAD manquant de personnel. On voyait, par exemple, que certaines personnes âgées étaient abandonnées au moment du repas. Ce qui était présenté, c'étaient les conséquences, sans que l'on soit en mesure de dire s'il s'agissait de dysfonctionnements localisés, si c'était le personnel soignant qui avait mal fait son travail, si le problème venait du directeur de l'établissement, si le manque d'argent public était en cause ou si c'était le groupe qui était responsable.

Le livre démontre, en tout cas s'agissant du groupe Orpea, que l'origine du problème ne se trouve pas du côté des actes du personnel soignant ou du manque d'argent public – dès lors que le groupe capte une partie de l'argent public, c'est que celui‑ci ne fait pas défaut : quand on accorde dix postes à un établissement, le groupe n'en pourvoit que huit. Le problème vient du fait que, pendant des années, on a laissé faire les groupes comme celui‑là et qu'ils ont profité des failles de l'État. La vraie question est de savoir comment ils ont utilisé l'argent public. Il y a quelques années, le président du groupe DomusVi a déclaré qu'il y avait assez d'argent public dans le secteur et qu'il faudrait même que les groupes privés paient une redevance sur les autorisations que l'État leur délivrait. En effet, ces autorisations, accordées gratuitement, donnent accès pendant des années à un marché quasiment monopolistique, puisque le taux d'occupation des établissements oscille entre 95 % et 98 %, ainsi qu'à des dotations publiques.

L'ouvrage ne raconte pas des dysfonctionnements, des actes de maltraitance du personnel soignant, pas plus qu'il ne souligne un manque d'argent public ; il explique simplement qu'un groupe a profité des faiblesses de l'État pendant des années et que le système que ce groupe a mis en place, qui consiste en une réduction des coûts extrêmement brutale, a des conséquences directes sur les conditions de travail et sur la qualité de la prise en charge des personnes âgées.

Nous ne nous attendions pas à une telle libération de la parole. Si elle est de cette ampleur, c'est parce que des dizaines voire des centaines de milliers de personnes attendaient ce moment : c'est comme si tout le monde savait et attendait que ces révélations soient faites. Je ne saurais l'expliquer autrement. Tous les jours, je reçois des courriels de familles et de salariés qui n'attendaient que cela. Je suis interpellé dans la rue, aussi bien par des personnes d'un certain âge que par des jeunes. La prise en charge des personnes âgées nous ramène tous à notre propre humanité, et je mesure à quel point cette question concerne tout le monde. C'est comme si l'on se réveillait enfin et qu'on se demandait comment il est possible que la société, depuis le début des années 1990, ait à ce point négligé cette question ou ait fermé les yeux.

En ce qui concerne ma position sur le public et le privé, je vous répondrai que je ne suis qu'un journaliste. Je n'ai pas enquêté sur tous les groupes privés et sur tous les groupes publics ; je ne me permets donc pas d'avoir un avis global. Il peut y avoir des dysfonctionnements dans des EHPAD publics, de la même manière que les choses peuvent se passer très bien dans des EHPAD privés – j'ai eu des échos en ce sens et j'ai constaté moi‑même ce qu'il en était. En revanche, ce qui est sûr, c'est que le système actuel permet que des dysfonctionnements très graves se produisent dans le privé. S'il peut arriver que des établissements publics dysfonctionnent localement, il ne saurait exister un système comme celui qui a été organisé par Orpea pendant plus de vingt ans. Pour cela, il faut un groupe de cinquante, cent ou deux cents établissements, il faut une direction générale menant une politique commune.

À cet égard, je suis parfois gêné quand on mélange, dans certains débats télévisés, des actes de maltraitance individuels, qui continueront malheureusement à exister, et un système mis en place par un groupe au plus haut niveau de responsabilité, un système mûrement réfléchi et très sophistiqué, créant de la maltraitance au quotidien. Je vous donnerai plus de détails si vous m'interrogez sur le rationnement des produits d'alimentation ou des produits de santé et sur les marges arrières – j'ai apporté trois séries de documents à cette fin. Quoi qu'il en soit, je vois donc une grande différence entre le système mis en œuvre dans ce groupe et les événements qui peuvent se produire dans d'autres groupes ou dans le secteur public et qui s'expliquent par un manque de moyens ou relèvent de l'acte isolé.

En outre, je ne me permettrai jamais de condamner le privé en général. Cela dit, il ressort clairement des témoignages que j'ai obtenus, comme de mes propres observations, que la course au profit d'Orpea ainsi que les situations de maltraitance qu'elle engendre s'expliquent par deux raisons principales.

La première est que le groupe est coté en bourse. Orpea a commencé sa course au profit acharnée au tournant des années 2000, et il est coté depuis 2002. Son ancien directeur général, Yves Le Masne, est un contrôleur de gestion. Ce qui l'intéressait avant tout, c'était de pouvoir montrer à ses actionnaires la courbe de croissance la plus régulière possible et, de préférence, un taux de croissance à deux chiffres. Or il n'y a pas de miracle : pour obtenir ce résultat, il faut remplir les établissements au maximum et réduire les coûts. Pour rassurer les actionnaires, pour pouvoir emprunter encore plus d'argent et se développer à l'international, il fallait nécessairement mener des politiques de réduction des coûts de plus en plus drastiques dans les établissements. À cet égard, je me permettrai de raconter une anecdote personnelle. Je n'avais pas d'avis tranché sur le public et le privé mais, après la sortie de l'enquête, ma mère m'a demandé : « Est-ce que tu mettrais ta fille de 3 ans dans une crèche cotée en bourse ? » La réponse est non. Nous savons tous intimement ce qui peut se passer quand une entreprise est cotée en bourse. Le souci de rassurer les actionnaires et de faire monter le cours des actions entraîne nécessairement une course au profit. Le fait que des sociétés prenant en charge des êtres humains vulnérables soient cotées en bourse me pose donc question.

L'autre élément responsable de la forte pression financière et de la politique brutale de réduction des coûts qui en résulte est la dimension immobilière. Même si l'on en a très peu parlé, c'est un enjeu fondamental. En effet, notamment pour les analystes financiers, les EHPAD sont d'abord et avant tout des sociétés immobilières. Quand un groupe veut créer un établissement de ce type, il doit recevoir l'autorisation, qui est gratuite. La construction lui coûte environ 7 millions d'euros. Ensuite, il vend l'établissement chambre par chambre à des personnes souhaitant investir dans l'immobilier à travers le dispositif des locations meublées non professionnelles (LMNP). Cela lui rapporte 10 millions. L'établissement verse alors aux propriétaires des chambres un loyer équivalent à 5 % ou 6 % du prix de vente. Mais certains gestionnaires d'EHPAD, désireux de récupérer du cash immédiatement, vendent l'ensemble des chambres pour 12 ou 13 millions, ce qui renchérit d'autant le loyer pour le directeur. Celui‑ci, pour atteindre les objectifs de profitabilité fixés par le groupe, doit alors réduire encore plus les autres postes de dépenses, ce qui suppose de rationner les patients et de diminuer le personnel. Pendant des années, on a laissé ces groupes monter des opérations immobilières de ce type. À mon avis, les conseils départementaux ne comprennent pas le mécanisme.

Madame Six, j'ai eu à connaître de dérives dans d'autres sociétés qu'Orpea, mais j'ai décidé de me concentrer sur ce groupe parce que c'est de lui que venaient les alertes qui m'étaient adressées et que, d'après les témoignages que j'ai obtenus, c'est l'un de ceux qui a poussé le plus loin la politique de réduction des coûts. En outre, c'est le leader mondial du secteur, de sorte que ses pratiques concernent beaucoup de monde – Orpea gère plus de 100 000 lits dans vingt‑trois pays différents –, et il a longtemps été pris pour modèle par ses concurrents du fait de la croissance très régulière qu'il a connue. Je le répète, je ne me permettrai pas de généralisation sur les mérites respectifs du public et du privé : ce n'est pas mon propos.

Quant aux pistes d'amélioration du système, je suis un journaliste et non un homme politique, mais, selon les témoignages que j'ai recueillis, les deux principales urgences sont les contrôles, absents ou défaillants face à la sophistication des systèmes des groupes privés, et le financement. Le grand public ne sait même pas qu'un groupe comme Orpea, dont le chiffre d'affaires dépasse 1 milliard d'euros par trimestre, reçoit des subventions publiques. L'établissement Les Bords de Seine, qui fait payer les chambres de 7 000 à 12 000 euros par mois, perçoit 1,5 à 2 millions de dotations publiques par an, en tenant compte de celles des conseils départementaux et des ARS. Pour l'ensemble des EHPAD du groupe, ces dotations représentent environ 300 millions par an. Le prix des chambres, les dysfonctionnements survenus, les situations de maltraitance et les systèmes d'optimisation poussent à s'interroger sur cet afflux d'argent public dont le versement n'est pas corrélé à de vrais indicateurs de qualité.

À ce sujet, j'ai été très marqué par le témoignage d'un directeur médical de Clinea qui, en comité exécutif, s'est fait insulter chaque fois qu'il a tenté de rappeler qu'au‑delà de la course au profit, il fallait aussi faire attention aux indicateurs de qualité, que c'était d'êtres humains qu'il s'agissait et non d'un marché comme les autres. « Est‑ce qu'il existe un indicateur de qualité en France ? », lui demandait le directeur général délégué à l'exploitation. « Est‑ce que quelqu'un est capable de me dire si un établissement est de meilleure qualité qu'un autre ? » En effet, il n'existait pas d'indicateur de qualité et il n'en existe toujours pas. Les groupes privés en ont profité, comme de l'argent public et de l'absence de contrôle.

Madame Dubié, depuis la publication du livre, je n'ai eu aucun contact avec Orpea, qui n'a ni cherché à me joindre ni porté plainte.

Pourquoi les familles et les salariés n'ont‑ils pas parlé plus tôt ?

J'ai commencé mon enquête après avoir été alerté par des soignants de l'EHPAD Les Bords de Seine, le plus cher et le plus luxueux du groupe, qui avaient constaté le rationnement des protections – pas plus de trois par jour –, de l'alimentation et des carences en personnel. Je suis allé voir d'autres membres du personnel et des familles qui, tous, ont confirmé ces premiers témoignages. Si cela se passait ainsi dans cet établissement de gamme 3, qu'en était-il donc dans ceux de gamme 2 et 1 ? Je me suis alors rendu compte que l'on retrouvait partout en France le même système de rationnement des produits de santé et d'alimentation et les mêmes problèmes de carence en personnel. C'est à ce moment que j'ai compris que ce fonctionnement était systémique.

Tout au long de l'enquête, j'ai senti que mes sources avaient peur : peur de témoigner, de me donner des documents, de la brutalité du groupe. Cette peur s'explique par des éléments très précis.

La première fois que j'ai rencontré un groupe de directeurs qui voulaient témoigner, j'ai dû les rassurer pendant 20 minutes car ils pensaient que j'étais une taupe d'Orpea venue leur tendre un piège : ils m'ont demandé ma carte de presse, mon contrat d'édition avec Fayard ; je ne comprenais pas leurs soupçons, leur paranoïa. Mais j'ai appris grâce à de nombreux témoignages que le groupe avait instauré au cours des dernières années un système de surveillance de certains salariés, faisant appel à des sociétés de détectives privés pour constituer des dossiers sur les personnes visées. L'Express l'avait d'ailleurs déjà révélé s'agissant notamment de salariés syndiqués, après quoi le groupe avait proposé 4 millions d'euros à la CGT pour étouffer l'affaire.

Le groupe recourait aussi à des « directeurs nettoyeurs » – quand j'ai découvert leur existence, je me suis cru dans un film, mais d'autres témoignages en ont apporté confirmation, en particulier celui d'un ancien directeur qui témoigne sous son nom dans le livre. Quand un directeur d'établissement s'opposait aux consignes de la direction générale et essayait de résister à la politique de rationnement, de réduction des coûts et de diminution du personnel, il était aussitôt exclu du groupe, licencié pour faute grave sans aucun motif. Les « directeurs nettoyeurs » se rendaient sur site, accueillaient le directeur en question à 6 heures du matin sur le parking, lui indiquaient qu'il était licencié pour faute grave, lui donnaient ses affaires, récupéraient et effaçaient dans son ordinateur des dossiers dont il aurait pu se servir pour se défendre, demandaient aux salariés des attestations permettant de l'accuser de tel acte de négligence – quand vous êtes aide‑soignant et qu'on vous demande cela, vous ne voulez pas perdre votre poste, donc vous le faites – et supprimaient des documents compromettants. Parfois, il était fait appel à des sociétés de sécurité privée pour poster un agent dans l'établissement au cas où le directeur aurait eu la mauvaise idée d'y revenir pour récupérer ses dossiers.

Ces méthodes très brutales expliquent que les salariés n'aient pas osé parler auparavant, y compris des directeurs, des personnes très haut placées. Certains me contactent encore pour témoigner ou m'apporter d'autres éléments, mais toujours anonymement, par peur.

Pour les familles, c'était un peu la même chose, comme le montre l'exemple de la famille Dorin : Mme Dorin avait si peur de la puissance du groupe, de devoir faire face à une armada d'avocats – dont Orpea dispose en effet –, qu'elle n'a pas osé porter plainte. D'autres familles l'ont fait, mais leur combat a été très difficile, même si elles ont gagné, parce que le groupe a fait produire des attestations de soignants, d'auxiliaires de vie – faciles à obtenir, je l'ai dit –, prétendant que la plainte n'était motivée que par l'argent, que la famille n'était jamais venue sur place, etc.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vos réponses claires, sans langue de bois, nous poussent à nous interroger sur ce système opaque, très organisé, fondé sur un management par la terreur. Cela suscite beaucoup de réactions dans la salle – et bien des questions supplémentaires.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Votre travail d'investigation fait honneur à la profession de journaliste. Il y aura un avant Les Fossoyeurs et un après, non seulement pour Orpea et ses résidents, mais pour l'ensemble de nos aînés hébergés en EHPAD.

J'apprécie que vous fassiez la différence entre ce que vous avez décrit comme un système géré par Orpea, dont les salariés sont tout autant victimes que les résidents, et l'ensemble de ceux qui s'occupent des personnes âgées avec engagement et professionnalisme.

Je note votre alerte au sujet des mesures correctives qu'Orpea, selon vos suppositions, est en train d'appliquer. Il faut que la puissance publique en tienne compte. Heureusement, nous disposons de moyens informatiques qui devraient permettre de repérer ce qui a été corrigé ou falsifié après coup.

Alors que les contrôles sont ponctuels, l'action pour une bonne prise en charge doit être continue. De ce point de vue, qu'en est-il des conseils de la vie sociale (CVS), au plus près de la vie des résidents et des personnels ? Que pensez-vous de leur rôle, d'après ce que vous avez pu voir chez Orpea, et, plus généralement, de l'idée de le renforcer ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je salue votre courage et votre détermination ; nous sommes tous anéantis par ce que vous nous racontez. Votre livre réveille la conscience collective s'agissant du vieillissement et de sa prise en charge, un sujet de société malheureusement encore un peu tabou en France.

Vous avez décrit un système dans lequel la santé et le bien‑être doivent être rentables, au mépris de l'humain et de sa dignité. Depuis, les témoignages bouleversants de familles affluent et la parole se libère. La souffrance est là, à tous les étages, des résidents aux personnels, soignants ou autres, qui constatent la dégradation de leurs conditions de travail et leur propre impuissance à répondre aux besoins les plus essentiels des personnes dont ils ont la charge. La maltraitance s'institutionnalise ; il est grand temps d'y mettre un terme.

La mission « flash » Iborra et Fiat, le rapport Libault sont pourtant restés dans les cartons, et la loi « grand âge », attendue par tous les membres de notre commission, n'aura été qu'une belle promesse. Votre travail nourrit l'exigence d'une réflexion approfondie sur les modalités de prise en charge de la dépendance. Quelle place souhaitons-nous donner au vieillissement et à la dépendance dans notre société ? J'espère que vos écrits resteront et permettront des avancées majeures dans le contrôle de gestion des maisons de retraite, publiques ou privées, mais aussi dans la gouvernance des ARS et l'exercice de leurs missions.

Vous n'avez pas souhaité faire de généralités, simplement dénoncer ceux qui ont fait de la vieillesse un filon lucratif. Mais avez‑vous eu des informations sur d'autres structures ? Et quel a été le point de départ de vos travaux ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Trente ans après la création d'Orpea, vingt ans après sa cotation en bourse, vous mettez en cause un système dont vous démontrez les éléments point par point. Vous soulignez également les défaillances des différents systèmes de contrôle.

Dans votre propos liminaire, vous avez mentionné « les manquements de la classe politique jusqu'au sommet de l'État ». Pourriez‑vous préciser à quoi, à qui vous pensiez ? Dans votre livre, vous allez plus loin que cette évocation.

Une question plus personnelle : quand on vous a proposé 15 millions d'euros pour vous taire et détruire votre travail, quelle a été votre réaction ? Qu'en avez-vous déduit au sujet du système que vous étiez en train d'étudier ? Et maintenant, qu'attendez‑vous, pour vous et pour les EHPAD privés lucratifs ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Tous ici, nous sommes scandalisés par ce que vous décrivez. En revanche, je ne suis pas surprise : en 2018, trois reportages télévisés sur la maltraitance au sein d'EHPAD privés avaient été diffusés dans « Pièces à conviction », « Zone interdite » et « Capital ». Si mes collègues ne les ont pas encore vus, ils sont toujours disponibles en ligne.

Ce que j'ai cependant découvert dans votre livre, c'est un système industrialisé de prise en charge de nos aînés, qui consiste à rogner à tous les étages, sur les protections, sur les repas, sur les soins, parce qu'il faut absolument faire du profit. J'ai également découvert que ce système est centralisé. Voilà pourquoi j'ai demandé ce matin à la directrice générale de l'ARS Île‑de‑France si des contrôles avaient été diligentés à Puteaux, puisque c'est là que tout se décide, les directeurs d'établissement n'ayant aucune autonomie. Je n'ai malheureusement pas obtenu de réponse à cette question.

Pouvez‑vous nous en dire plus, tout en protégeant bien évidemment vos sources, sur les témoignages que vous avez reçus récemment de personnels exerçant encore chez Orpea ?

En ce qui concerne le rationnement des repas, quel est le coût de revient d'un repas chez Orpea ?

Dans votre livre, vous évaluez à 100 millions d'euros le montant des marges arrières ; est‑ce par an, pour tous les établissements du groupe, sur plusieurs exercices ? Ces sommes auraient servi à financer de luxueux séminaires ; en avez‑vous des preuves ?

Orpea n'a pas porté plainte, mais Xavier Bertrand, mis en cause dans l'avant‑dernier chapitre, l'a‑t‑il fait ?

Le docteur Marian aurait vendu ses parts le 21 janvier 2020. Pourquoi à cette date ? La somme était‑elle bien de 456 millions d'euros ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous nous devons de faire toute la lumière sur les éléments que vous avez avancés, sur les situations choquantes, effroyables, que vous décrivez dans votre ouvrage. Nous le devons aux résidents, à leurs familles et aux personnels des établissements. Je souhaite donc vous interroger sur la politique RH du groupe Orpea.

Vous laissez entendre dans votre livre que certaines résidences refusent d'embaucher des personnels à des postes financés par la Caisse nationale de l'assurance maladie et les conseils départementaux, afin de réaliser des économies. Pouvez‑vous nous en dire davantage ? Avez‑vous rencontré cette situation dans toutes les résidences visitées ? Dans quelle mesure pouvez‑vous dire que cette pratique est généralisée ?

Avez‑vous constaté que certains établissements fonctionnent avec moins de personnels soignants que le nombre fixé par les autorités sanitaires ?

Quelle est votre impression globale sur le bien‑être des salariés au sein des résidences visitées ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Si la gravité des accusations nous impose de faire toute la lumière sur les dysfonctionnements d'Orpea, je ne voudrais pas qu'on assimile à ce groupe l'ensemble des entreprises privées, en particulier le secteur privé non lucratif, dont le travail est admirable.

N'oublions pas non plus les dérives qui touchent des établissements publics et découlent directement des difficultés structurelles du secteur : sous‑effectifs constants, dépenses réduites, et, en conséquence, souffrance au travail du personnel soignant et accompagnant, qui se répercute sur les personnes âgées comme sur leurs familles. Nous connaissons la détresse des personnels, qui s'exprime dans différents témoignages cités dans votre ouvrage, mais aussi dans d'autres établissements. Ces hommes et ces femmes sont confrontés à un dilemme éthique inhumain : rester dans un secteur en carence permanente de moyens pour y prodiguer des soins décents ou le quitter alors qu'il y manque des professionnels.

Comment expliquer que les cas de maltraitance soient particulièrement prégnants dans certains établissements ? Est‑ce seulement lié à la direction et à la volonté de ceux qui en détiennent toutes les clefs ? Peut‑on parler de préméditation à propos de ces économies à tout prix qui conduisent à rogner délibérément sur la qualité de vie des résidents ?

Vous décrivez un véritable management par la peur ; comment les pressions s'exercent‑elles concrètement sur le personnel ?

Vous avez essuyé de nombreux refus au cours de vos investigations, à commencer par celui du conseil départemental des Hauts‑de‑Seine ; le conseil départemental de la Gironde fut le premier à vous répondre favorablement. Qu'avez‑vous appris lors de vos rencontres avec les départements ? Il faut en effet évoquer leur responsabilité, outre celle de l'État et des ARS.

L'État a‑t‑il saisi le procureur de la République, en vertu de l'article 40 du code de procédure pénale, des dysfonctionnements au sein du groupe Orpea ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie à mon tour de votre courage. C'est avec beaucoup d'intérêt que nous vous écoutons.

Au‑delà des contrôles, dont on attend beaucoup, il faut des politiques qui préviennent les dysfonctionnements plutôt que d'aller les chercher lorsqu'ils sont avérés ; or cela relève de notre responsabilité et de celle des gouvernements.

Tous les gouvernements, quels qu'ils soient, se sont tournés vers le privé commercial pour construire les établissements. Dès lors, il s'agissait évidemment de faire des bénéfices : qui pourrait croire que, dans le secteur privé commercial, on construit un EHPAD sans viser ce but ? Il faut l'admettre. Le problème, c'est que la politique en matière de vieillissement – une question sociétale dont nous sommes tous responsables – est particulièrement opaque. Plus encore que de contrôles, c'est de transparence que nous avons besoin, de la part de tous les acteurs. Or, depuis vingt ans, ces politiques sont l'apanage de quelques‑uns, totalement ignorées de l'opinion publique – et pas seulement des personnes âgées.

Je vous rassure enfin quant à nos possibilités d'action comme députés, même sans commission d'enquête. Quand nous faisons des rapports ou des missions « flash » sur le sujet, nous parvenons à obtenir les informations et à les rendre publiques. Nous avons le pouvoir d'investiguer et les gouvernements ont le pouvoir d'appliquer les recommandations. Ne vous faites pas de souci : nous allons y travailler et vous ne serez pas déçu !

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

En vous auditionnant, c'est en quelque sorte un grand témoin que nous entendons.

Votre livre ne révèle pas l'existence de la maltraitance envers les personnes âgées dans les EHPAD ; je songe aux ouvrages antérieurs Tu verras maman, tu seras bien de Jean Arcelin, ex‑directeur d'EHPAD, ou Le Scandale des EHPAD d'Hella Kherief, aide‑soignante. Mais cette dernière, qui reste confrontée à l'optimisation salariale dans les établissements – privés – où elle travaille, attribue l'effet de votre livre au fait que vous y parliez des riches : le fait que, même riche, on ne soit pas protégé, on ne bénéficie pas d'une prise en charge privilégiée, le fait qu'un hébergement de luxe ne mette pas à l'abri de la maltraitance ont énormément choqué. Ils s'expliquent par l'institutionnalisation du phénomène et sa systématisation par les groupes privés à but lucratif afin de s'enrichir par tous les moyens, y compris au détriment de l'humain.

Ce qui ressort de votre livre, c'est la peur : on produit de la culpabilité chez les gens pour les rendre complices et les empêcher de se mobiliser contre le système ; c'est effrayant quant à la nature humaine.

Vous dites au début de l'ouvrage que vous ne voyez aucune difficulté à ce que de grands groupes privés gagnent de l'argent dans le secteur de la prise en charge de la dépendance – qui reçoit de l'argent public. Compte tenu de votre enquête, maintenez‑vous cette position ? Le fond du problème n'est‑il pas d'accepter la visée lucrative de ces établissements et leur cotation en bourse ? Ne devrait‑on pas sanctuariser les secteurs qui concernent l'humain – enfance, santé, dépendance et grand âge ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie à mon tour du courage avec lequel vous avez dénoncé le système Orpea. On ne peut accepter un tel outrage à la dignité des personnes âgées, ni le fait que l'affaire jette l'opprobre sur des professionnels et un secteur qui œuvrent au quotidien pour le bien‑être de nos aînés. Il est inadmissible que des groupes abusent de la confiance des familles, qui font souvent de gros efforts financiers en croyant offrir le meilleur à leurs proches, et qu'ils profitent de financements publics sans assurer en contrepartie la qualité de service.

Sans parler des maltraitances ultimes comme le rationnement, l'abandon sans soins ou le management par la peur, on retrouve dans la plupart des établissements un sous‑effectif en personnel, qu'il s'agisse d'EHPAD publics ou privés, à but lucratif ou non lucratif. Cette situation oblige à réduire le temps passé avec chaque personne pour sa toilette, ses soins, ses repas. Ces conditions de travail conduisent à l'épuisement des personnels et favorisent une maltraitance qui commence dès que l'on impose à une personne âgée un rythme qui n'est pas le sien. Combien d'établissements dans cette situation, à l'abri de tout contrôle digne de ce nom ? C'est l'ensemble de notre système de prise en charge de la vieillesse qui est défaillant, alors que nous allons devoir affronter dans les années qui viennent la hausse du nombre de seniors en perte d'autonomie.

Selon vous, quelles mesures peuvent garantir le respect des droits fondamentaux des résidents ? L'instauration d'un questionnaire de satisfaction régulier, à l'intention des résidents et de leurs familles et destiné à une autorité indépendante, ne pourrait‑il être une solution ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je salue le fait que vous assumiez vos responsabilités de journaliste jusqu'au bout, sans rien céder aux sirènes de l'argent ni aux menaces ou pressions que vous avez subies.

Vous avez parlé de manquements de la classe politique. Il existe en effet un système qui a permis au groupe Orpea d'agir de la sorte ; c'est pourquoi il est urgent de conduire une réforme de la dépendance et de l'autonomie. L'ensemble des membres de notre commission se sont mobilisés dans ce sens. Qu'une telle réforme n'ait pu être menée durant ce quinquennat est un regret collectif, qui dépasse les appartenances partisanes.

Je suis absolument convaincu de la nécessité de mettre en place une commission d'enquête parlementaire, dotée de pouvoirs spéciaux qui lui permettront de pousser plus avant ses investigations. Quel devrait être le périmètre de cette instance ? Faudrait‑il orienter ses travaux vers les agissements du groupe Orpea, comme vous l'avez fait vous-même, ou les élargir à l'ensemble des groupes privés lucratifs ?

Nous avons auditionné la semaine dernière le président‑directeur général (PDG) d'Orpea, qui a refusé de reconnaître l'existence d'un système, quand bien même l'ancien directeur général a été limogé. Pensez‑vous que des autorités, quelles qu'elles soient, aient pu être informées de la pratique des marges arrières dans le secteur de la dépendance – auquel cas la commission d'enquête devra se saisir de cette question –, ou cette dérive est‑elle le fait du seul groupe Orpea ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vos révélations permettront, je l'espère, d'agir concrètement pour mettre un terme aux agissements graves que vous décrivez. Vous pointez du doigt des pratiques financières inacceptables, très préjudiciables aux résidents, sur lesquelles nous devrons enquêter. Cependant, selon les chiffres accessibles sur un portail gouvernemental, 73 % des faits de maltraitance sont commis à domicile ; aussi conviendrait‑il sans doute d'enquêter également dans ce secteur. S'agissant de la maltraitance institutionnelle, qui s'est fortement accrue pendant le confinement, les manquements s'expliquent le plus souvent par le manque d'attractivité de ces métiers, l'insuffisance des formations dispensées, des difficultés de management voire des directives inappropriées. Au-delà des pratiques de gestion des coûts existant au sein du groupe Orpea, qu'avez‑vous pu observer à ce propos ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous donnez le sentiment d'être un journaliste d'investigation sincère. Depuis quatre ans, nous essayons de donner plus de moyens aux établissements pour personnes âgées, et vous venez d'ailleurs de nous dire que l'argent public ne manquait pas. Vous avez affirmé tout à l'heure détenir des preuves tangibles de détournements de fonds publics – c'est ainsi que nous pouvons qualifier la pratique des marges arrières. Pouvez‑vous nous en dire plus ?

Permalien
Victor Castanet, auteur de l'ouvrage Les Fossoyeurs

Monsieur Michels, vous m'avez interrogé sur le rôle que peut jouer le CVS. Plus les représentants des familles sont présents au sein des établissements, plus ils ont de poids face à la direction. Chez Orpea, toutefois, les directeurs de résidence n'ont malheureusement plus de pouvoir. Encore hier, certains d'entre eux m'ont téléphoné pour me demander de l'aide, m'expliquant qu'on les sommait de détruire des dossiers compromettants ou de revérifier leur masse salariale. Le groupe leur fait comprendre que si les ARS découvrent des dysfonctionnements dans leur résidence, il leur en fera porter la responsabilité – c'est d'ailleurs ce qu'il fait déjà depuis des années. La plupart du temps, le groupe échappe aux contrôles ; lorsqu'il y en a, il arrive à les surmonter puisqu'il est prévenu en amont, et si vraiment les inspecteurs du travail constatent des dysfonctionnements au niveau des contrats de travail, du recours aux contrats à durée déterminée ou des licenciements abusifs, il rejette la responsabilité sur le directeur d'EHPAD qui, bien souvent, n'y est pour rien.

Au quotidien, la plupart des directeurs essaient de faire au mieux, mais ils sont pris entre le marteau et l'enclume. Alors qu'ils se battent pour leur personnel et leurs pensionnaires, ils doivent répondre aux exigences brutales d'économies émanant du groupe : si leur établissement ne dégage pas de marges suffisantes pendant deux mois, ils devront quitter Orpea. La plupart d'entre eux n'ont aucune marge de manœuvre sur le budget de leur établissement – ce n'est pas eux qui décident combien dépenser pour les protections ou l'alimentation –, et ils n'ont pas non plus le pouvoir de créer un ou plusieurs postes d'aides‑soignants ou d'auxiliaires de vie. Ils répondent aux consignes de la direction générale ou de la direction régionale, avec lesquelles ils communiquent par le biais d'applications. Si leur niveau de marge n'est pas suffisant, jamais ils ne pourront signer un contrat de travail ou passer une commande excédant les limites fixées.

Progressivement, la physionomie des directeurs d'établissement a radicalement changé. Dans les années 1990, il s'agissait souvent de femmes, d'anciennes infirmières ayant de l'expérience, des notions médicales et connaissant leurs résidents. Elles avaient du poids et géraient elles-mêmes leur masse salariale ainsi que leur budget soins. Aujourd'hui, les directeurs sont plutôt des jeunes de 30 ou 35 ans issus d'écoles de commerce ou de management. Ce sont des gestionnaires, sans grandes connaissances médicales, qui respectent d'abord et avant tout les budgets alloués. De nombreux directeurs de résidence Orpea, passionnés par leur métier, en ont été dégoûtés depuis qu'ils se sont vus privés de toute marge de manœuvre ; ils se considèrent davantage comme des super‑secrétaires que comme de véritables directeurs d'établissement.

Madame Valentin, vous m'avez demandé quel avait été le point de départ de mon enquête. Je ne me suis pas réveillé un matin en me disant que j'allais passer trois ans de ma vie à attaquer une entreprise. Un cadre de santé est venu m'informer des dysfonctionnements dont il avait connaissance, auxquels il avait été confronté dans l'établissement Les Bords de Seine à Neuilly‑sur‑Seine ; j'ai alors interrogé d'autres salariés ainsi que des familles, qui ont confirmé cette première alerte.

Vous m'avez également demandé si j'avais des informations concernant d'autres structures. Il est vrai que j'ai eu connaissance de dérives ou de la mise en place de certaines de ces pratiques ailleurs, mais le sujet est tellement sensible, grave et sérieux que je ne me permettrai pas de parler d'autres groupes, parce que je n'ai pas enquêté pendant trois ans sur ces derniers. Je connais par cœur le fonctionnement d'Orpea, que je suis capable de décrypter ; je ne peux pas en dire autant des autres groupes.

En effet, monsieur Martin, je considère que les élus de la nation, jusqu'au sommet de l'État, ont collectivement manqué à leur mission depuis des décennies. Malgré de nombreuses alertes émanant de journalistes, d'avocats, de familles, de salariés et même d'élus, notamment de députés, ils n'ont pas réussi à adopter une loi relative au grand âge, à imposer un indicateur de qualité, ni à améliorer les contrôles. Je ne vise aucun parti en particulier : il s'agit d'une responsabilité collective, qui concerne aussi le gouvernement français. Mme Bourguignon a annoncé un certain nombre de mesures, mais il faut maintenant que les responsables politiques, jusqu'au plus haut sommet de l'État, soient à la hauteur de l'enjeu et de l'urgence. Chaque jour, le système que je décris peut entraîner des situations de maltraitance grave : il y a donc une vraie urgence à agir et, quand je lis tous les courriers que je reçois, j'ai du mal à être patient et à me contenter d'une loi qui sera votée dans quelques mois ou quelques années. Encore hier, un cuisinier de chez Orpea m'a décrit les politiques de rationnement mises en place au sein de son groupe et les conséquences concrètes qu'elles avaient sur le quotidien des résidents ; cela me fait de la peine pour les personnes âgées qui les subissent. J'espère donc que cette question ne passera pas à la trappe dans les mois ou les années qui viennent.

Vous avez fait allusion à ce que je rapporte, dans mon livre, à propos de Xavier Bertrand. Encore une fois, ces informations proviennent de collaborateurs de haut niveau du groupe Orpea, dont certains ont témoigné à visage découvert. En France, contrairement à d'autres pays européens, on ne peut pas ouvrir un établissement de santé, un EHPAD ou une clinique sans obtenir un agrément de l'État. Dans les années 2000 et 2010, le système mis en place pour obtenir ces autorisations n'était pas parfaitement cadré ; les grands groupes, au premier rang desquels Orpea, avaient compris qu'il fallait d'abord et avant tout avoir un certain nombre de relations au sein des conseils départementaux, des ARS et de l'État. Effectivement, on m'a raconté que les dirigeants d'Orpea entretenaient des liens très proches avec certains hauts fonctionnaires des ARS et Xavier Bertrand. Ce dernier, qui était alors ministre de la santé, a pu intervenir dans des situations de blocage, quand le groupe n'arrivait pas à obtenir les autorisations nécessaires dans différentes régions de France. J'ai posé la question à M. Bertrand, qui m'a confirmé par courriel qu'il avait soutenu des projets du groupe Orpea. Je lui ai alors demandé de quelle manière. A‑t‑il déjeuné avec un dirigeant d'Orpea, qui lui aurait demandé de manière confidentielle et personnelle de lui rendre ce service ? A‑t‑il appelé un directeur d'ARS pour lui demander de débloquer la situation ? A‑t‑il accordé au groupe des financements sur la liste du ministre, qui permet à ce dernier de verser des subventions de manière discrétionnaire ? À ces questions, M. Bertrand n'a pas répondu.

Vous m'avez demandé ce que j'attendais de la publication de ce livre. Je pense que mes sources, les personnes qui ont participé à cette enquête, les salariés et les familles attendent une refonte globale du secteur. Cela passera notamment par un changement des modalités de financement et de contrôle, ainsi que par l'établissement d'indicateurs de qualité. Il y a tant de choses à changer !

Madame Pires Beaune, le système mis en place repose sur un rationnement des produits de santé et de l'alimentation. La direction générale d'Orpea conteste ce fait, mais j'ai apporté un certain nombre de documents pour vous expliquer précisément le mécanisme.

Dans les établissements de gamme 1, où les prix sont compris entre 2 500 et 4 000 euros par mois, le groupe Orpea instaure un coût repas journalier (CRJ) correspondant au budget dont disposent les cuisiniers pour faire manger chaque résident. Les documents que je me suis procurés présentent ces CRJ dans toute la France. Ainsi, dans la résidence Les Mariniers, à Moulins, le CRJ s'élève à 4,05 euros ; il est de 5,50 euros dans la résidence La Chanterelle, au Pré‑Saint‑Gervais, de 4,20 euros dans la résidence Les Bords de l'Oise, à Creil, et de 4,05 euros dans la résidence L'Ermitage, à Saint‑Étienne. Dans 80 % des résidences Orpea, le CRJ est de 4 euros par jour et par personne, ce qui revient à 1 euro par repas – 1 euro pour le petit déjeuner, 1 euro pour le déjeuner, 1 euro pour le goûter, 1 euro pour le dîner –, même lorsque les pensionnaires paient 4 000 euros par mois. En réalité, cela revient même à moins de 1 euro par repas, car des cuisiniers du groupe m'ont expliqué que les 4 euros journaliers devaient aussi inclure les repas du personnel.

Du fait de ces budgets très serrés, les cuisiniers doivent rationner et peser chaque aliment – non seulement ils me l'ont expliqué, mais ils m'ont également remis des documents qui le prouvent. Je vous donnerai quelques exemples particulièrement éloquents. Hier soir encore, un cuisinier m'a raconté qu'au petit déjeuner, ses résidents n'avaient droit qu'à une seule mini‑tablette de 10 grammes de beurre. Cette mini‑tablette ne permet même pas de tartiner les trois biscottes auxquelles ont droit les pensionnaires – une situation qui donne lieu, chaque matin, à des discussions et à des affrontements entre aides‑soignants et cuisiniers. Au déjeuner, il faut choisir entre du fromage et un yaourt : un résident qui paie 3 000 euros par mois et qui a faim n'a pas la possibilité de manger les deux. Au dîner, alors que les cuisiniers reçoivent des steaks hachés standards d'environ 100 grammes, ils n'ont pas le droit de les donner entiers aux pensionnaires, rationnés à 50 grammes : ils doivent donc couper les steaks en deux. De même, le soir, les résidents ne peuvent recevoir plus de 40 grammes de rôti, ce qui correspond à deux bouchées. Tous ces grammages sont confirmés dans des documents que je détiens. On m'a aussi raconté que les cuisiniers n'avaient pas le droit de servir de l'eau gazeuse à leurs pensionnaires – ceux qui en souhaitent doivent présenter une prescription médicale. J'ai sous les yeux un document indiquant que le petit déjeuner ne comprend pas de jus d'orange – il est écrit « yaourt et jus de fruit non compris dans le standard » –, à moins que le résident ne bénéficie d'une ordonnance. Tout cela peut paraître anecdotique, mais cela montre jusqu'où va le système mis en place.

Quand vous rationnez à ce point la nourriture – de mauvaise qualité, puisque le coût ne doit pas dépasser 1 euro par repas – et que vous ajoutez à cela des carences en personnel, vous êtes nécessairement confrontés à des problèmes de dénutrition. Dans de nombreuses résidences du groupe Orpea, et même dans la résidence Les Bords de Seine où les prix vont de 7 000 à 10 000 euros par mois, le taux de dénutrition peut atteindre 75, 80 ou 84 % – là encore, j'ai les documents.

Je vais vous raconter quelque chose que je sais depuis plusieurs mois, dont je ne parle pas dans le livre mais qu'on m'a encore expliqué ces derniers jours : en 2015, pour faire face au rationnement alimentaire, aux carences en personnel et au taux de dénutrition élevé, les cuisiniers d'Orpea ont commencé à utiliser, sur prescription médicale, une poudre hyperprotéinée, Protipulse, remboursée par la sécurité sociale. Un cuisinier m'a même raconté un événement particulièrement choquant, qui l'a fait énormément souffrir : pendant la deuxième vague de covid, en septembre 2020, alors que la plupart des résidents étaient enfermés dans leur chambre et que le personnel n'avait pas le temps de faire manger les personnes âgées, la direction générale a imposé de verser deux boîtes de Protipulse dans la soupe. Celle‑ci se transformait en pâte et sentait l'œuf pourri : c'était immangeable. Si le cuisinier avait fait baisser son budget de Protipulse remboursé par la sécurité sociale, il se serait fait taper sur les doigts. Il a donc pris sur lui de jeter l'une des deux boîtes à l'extérieur de l'établissement pour ne pas avoir à verser son contenu dans la soupe.

Orpea a donc mis en place un système de rationnement complètement dingue. Parce qu'elle doit coûter moins de 1 euro par résident et par jour, la nourriture est rationnée et de mauvaise qualité ; pour compenser ses propres carences, le groupe fait appel à l'argent public, puisqu'il utilise de la poudre hyperprotéinée remboursée par la sécurité sociale. Tous les jours, ce système crée des situations de maltraitance, car la nourriture est l'un des derniers plaisirs dont peuvent jouir les personnes de cet âge. Si on leur donne de la soupe avec de la poudre immangeable, elles arrêtent de manger, et les plateaux repartent en cuisine sans avoir été touchés. Cette situation atteint leur moral et leur santé, si bien qu'elles partent très vite à la dérive. Ce système très poussé d'optimisation des coûts, que m'ont raconté des cuisiniers témoins de la souffrance quotidienne des résidents, a donc des effets directs et très brutaux sur le bien‑être et la santé des personnes âgées.

Vous m'avez interrogé sur le rationnement des protections. Là encore, le groupe Orpea a nié. J'ai ici des documents, et je vais essayer de vous décrire le système de la manière la plus claire possible.

Les conseils départementaux donnent aux établissements des budgets pour les protections en fonction du nombre de résidents, mais aussi de leurs pathologies. Ce sont des budgets relativement serrés. Ce qu'il faut savoir, c'est que jamais aucun établissement du groupe Orpea, même parmi les plus coûteux, ne dépassera ces budgets et paiera de sa poche.

En outre, il existe un système de marges arrières, qu'on peut aussi appeler remises de fin d'année (RFA) ou rétrocommissions. J'ai ici une facture, dont j'ai caché la date pour ne pas mettre en danger ma source, destinée au groupe Hartmann, l'un des plus grands fournisseurs de protections en France. Ce document indique qu'au quatrième trimestre, et seulement sur les protections, la société a réalisé un chiffre d'affaires de 1,76 million d'euros – autant d'argent public donné à Orpea ; il révèle aussi que le taux de rétrocommission est de 28 %, ce qui signifie que le fournisseur a reversé à Orpea 490 000 euros hors taxes – pour un seul trimestre et un seul produit !

Ce système a des incidences directes sur la qualité de la prise en charge. Forcément, si vous récupérez 28 % – quasiment un tiers du budget – vous réduisez vos dépenses d'autant et baissez le nombre de protections. Pour faire en sorte que, malgré tout, cela ne se voie pas sur le terrain, vous rationnez au maximum.

L'ancienne directrice de la résidence La Chêneraie à Bordeaux m'a confié un document, transmis par Hartmann à la direction du groupe. Ce « bilan quantitatif trimestriel » montre que le nombre de changes quotidien par résident était de 2,6 au premier trimestre, de 2,1 au deuxième trimestre, de 2,8 au troisième trimestre et de 2,7 au quatrième trimestre.

Non seulement Orpea rationnait les protections, mais le calcul était effectué au dixième près. Il faut croire que le système était efficace puisque la directrice de l'établissement, comme beaucoup d'autres en France, n'a jamais pu dépasser les trois changes par jour et par personne. Le but était de se rapprocher le plus possible des deux changes quotidiens.

Autre conséquence, il est impossible de donner des protections spécifiques aux résidents présentant des profils hors standard, en surpoids par exemple. Des directeurs d'établissement m'ont confirmé que l'application fournie par Hartmann – qui intègre les critères convenus avec Orpea – ne leur permet de choisir ni la quantité ni le type de protections. Là encore le directeur n'a aucun pouvoir, puisque ce sont les applications mises en place par le siège et les fournisseurs qui décident à sa place. Or le fait de ne pouvoir donner aux résidents des protections adaptées à leur taille ou à leur morphologie engendre nécessairement des situations de maltraitance.

La troisième conséquence, et là encore, ce sont des gens du terrain et des cadres dirigeants de l'entreprise qui me le racontent, c'est que les protections sont de moins bonne qualité.

Les appels d'offres pour les protections que lance Orpea sont de faux appels d'offres, puisque le fournisseur qui les remporte n'est pas celui qui propose les meilleurs produits, mais celui qui concède les marges arrières les plus importantes. Il se trouve que c'est toujours Hartmann. Vous pouvez regarder : Hartmann est le fournisseur d'Orpea depuis vingt ans, il est désormais celui de Korian ; ceux qui pèsent le plus lourd travaillent avec Hartmann. Je précise que les marges arrières ne sont pas une réalité partout : un fournisseur m'a expliqué s'être retiré de l'appel d'offres lorsqu'il a compris qu'on lui demandait une RFA sur de l'argent public, et de nombreux gestionnaires d'EHPAD refusent de mettre en place un tel système.

Pour remporter le marché, Hartmann a dû accepter un taux de RFA plus important, de 28 % ; pour maintenir sa marge de rentabilité, il lui a fallu jouer sur les composants, la qualité du produit absorbant par exemple. Les conséquences ont été presque immédiates : une source, travaillant au siège, m'a raconté que, dans les semaines qui avaient suivi l'appel d'offres, le service achats avait reçu de nombreuses réclamations de directeurs d'établissement qui se plaignaient que les protections étaient de mauvaise qualité.

Ce système financier d'optimisation, de rationnement et de gestion très irrégulière de l'argent public a des effets directs sur le bien-être et la santé des résidents. Ne pas changer suffisamment souvent une personne et lui faire porter des protections de piètre qualité atteint non seulement sa dignité mais aussi sa santé, puisque c'est ainsi que les escarres surviennent.

Ce système, destructeur en vies humaines, est voulu par le siège. Les directeurs d'établissement, désespérés qu'ils sont par le rationnement, font du mieux qu'ils peuvent et utilisent le système D. Mme Carmen Mengivar, qui a bien voulu témoigner sous son nom dans le livre, raconte que lorsqu'elle manquait de protections, elle faisait le tour des autres EHPAD de la ville pour supplier ses homologues de lui en donner quelques‑unes. Deux autres responsables me disent qu'il leur arrivait parfois de prendre sur leurs deniers personnels pour acheter les protections nécessaires.

Le rationnement sur les produits de santé et les produits d'alimentation est clair et documenté ; il a des conséquences directes sur la prise en charge et la santé des personnes âgées. Malheureusement, il est encore d'actualité.

Le système de marges arrières, auquel participent les groupes Hartmann et Bastide depuis quinze ou vingt ans, s'applique aux protections, payées par les conseils départementaux, et aux produits de santé, payés par l'assurance maladie et les ARS.

Mme Peyron m'a demandé si le fait de faire varier la masse salariale était généralisé à tout le territoire. J'ai mis du temps à pouvoir le prouver. Beaucoup de directeurs m'ont expliqué qu'au départ, ils ne comprenaient pas pourquoi il leur manquait un certain nombre de postes par rapport à ce que la convention tripartite prévoyait. Ils n'obtenaient pas de réponse lorsqu'ils interrogeaient les directeurs régionaux, encore moins par écrit. Les plus expérimentés d'entre eux avaient commencé à comprendre qu'il manquait souvent deux ou trois postes, notamment d'aides‑soignants, par rapport au nombre de postes financés.

Des dizaines de directeurs m'ont transmis des documents internes. Il fallait que je puisse les comparer et, pour cela, obtenir l'aide des ARS. Comme je vous l'ai dit, celle‑ci m'a fait défaut. C'est grâce aux conseils départementaux de la Gironde et de la Vienne que j'ai pu vérifier ces documents internes et montrer que le nombre de postes mis en place dans les établissements n'était pas celui qui avait été déclaré aux autorités de contrôle.

C'est un système très sophistiqué et assez opaque. Je suis allé voir les inspecteurs des conseils départementaux pour comprendre pourquoi ils ne le détectaient pas. J'ai réalisé que, malheureusement, ils s'en tiennent aux déclarations que leur envoie le service tarification, au siège, et ne vont pas chercher plus loin. Si on leur dit qu'on a mis en place dix postes d'aides‑soignants, ils ne vont pas vérifier tous les contrats sur le terrain.

C'est un système très réfléchi car Orpea ne triche pas sur 50 % de la masse salariale, mais sur quelques postes, çà et là. Deux postes par établissement, qu'on multiplie par 220 EHPAD, et chaque année, cela fait beaucoup d'argent !

Récemment, un ancien directeur régional m'a indiqué que l'excédent de dotations avoisinait en fin d'année près de 2 millions d'euros. Normalement, cet excédent est conservé pendant un an puis, en fonction des déclarations et des demandes auprès des ARS, reversé. Cela n'a pas été le cas pour sa région.

Dans beaucoup d'établissements de France, l'argent public accordé pour financer le personnel soignant a fait l'objet d'une captation.

M. Perrut m'a demandé si les situations de maltraitance, quand elles existent, sont préméditées. Dans mon livre, je mets de côté les actes malheureux commis par des auxiliaires de vie ou des aides‑soignants – ils existent, mais ce n'est pas mon sujet – pour me concentrer sur les situations de maltraitance qui découlent d'un système organisé au plus haut niveau. Peut‑on parler de préméditation ? Il ne m'appartient pas de répondre à cette question. Mais il est évident qu'un tel système a des conséquences sur le quotidien des personnes âgées.

Ce qui est particulièrement terrible, c'est que ceux qui, à la direction générale, ont mis en place ce système n'en voient pas les conséquences. Yves Le Masne était contrôleur de gestion. Sa matière, ce sont les chiffres, pas les êtres humains. Quand il demandait qu'on ne dépasse pas un CRJ de 4,20 euros, qu'on rationne les protections et qu'on obtienne du fournisseur des marges arrières, c'était pour relever le niveau de marge et satisfaire ainsi ses actionnaires ; il ne voyait pas les effets concrets sur le terrain. Si vous ajoutez à cela l'informatisation et le fait que les décisions ne sont plus prises par les directeurs d'établissement mais par des gens du siège, derrière leurs tableaux Excel, vous comprenez qu'on a affaire à une forme de déshumanisation. C'est ce que raconte mon livre.

Vous m'avez interrogé sur le management du groupe. Pour réaliser un maximum de profits et complaire aux actionnaires, il faut réduire au maximum les coûts, notamment salariaux, et augmenter au maximum la capacité d'accueil.

Il est arrivé – j'ai recueilli plusieurs témoignages en ce sens – qu'on fasse entrer, parfois contre l'avis du médecin coordonnateur, des personnes qui, compte tenu de leur profil psychiatrique, n'avaient pas leur place dans un EHPAD. Mais la pression était trop forte, il fallait un taux d'occupation de 97 ou 98 %, le directeur de l'établissement voulait remplir son objectif de rentabilité et décrocher sa prime – chez Orpea, les primes sont corrélées à des indicateurs de qualité et surtout au chiffre d'affaires, ce qui pousse les responsables à faire des économies et à remplir le plus possible.

Une directrice adjointe m'a expliqué que quasiment 20 % des résidents souffraient de pathologies psychiatriques telles qu'ils n'auraient pas dû être accueillis dans son établissement.

Si on ajoute à cette pratique le manque de personnels et le défaut de surveillance qui en découle, les conséquences peuvent être graves. Des drames, j'en relate certains, sont survenus : des pensionnaires ont agressé, et parfois tué, d'autres résidents.

Pour gagner de l'argent, il faut aussi obtenir des accords collectifs au rabais, contenir les salaires et tenir son personnel pour empêcher toute revendication sur les rémunérations et les conditions de travail. Depuis des années, le service RH d'Orpea fait régner un « management par la peur », qui consiste à discriminer et à sortir les personnes syndiquées, forces potentielles d'opposition.

J'ai des preuves, notamment l'enregistrement d'une conversation réalisé par cette jeune juriste du service RH, ainsi que son témoignage, qui révèle que les dernières élections professionnelles ont été accompagnées de graves irrégularités. Le service RH est intervenu pour que le syndicat maison, Arc‑en‑Ciel, l'emporte. Il n'y a aujourd'hui plus d'instances représentatives d'opposition chez Orpea. Ni la CGT, ni FO, ni la CFDT n'ont de poids. Elles ne peuvent plus alerter, défendre le personnel et se battre pour les conditions de travail, notamment auprès du comité social et économique. Cela a manqué, tout particulièrement lors de la crise sanitaire, lorsqu'on a constaté dans certains établissements un manque de masques ou des pratiques dysfonctionnelles.

Chez Orpea, et dans chaque branche du groupe, tout a été organisé pour aller dans la même direction : une course aux profits, sans limites ni contre‑pouvoirs.

Madame Iborra, j'ai en ma possession des documents qui prouvent l'existence de marges arrières sur les protections et les produits de santé. Il faut savoir qu'Orpea perçoit aussi des rétrocommissions sur les prestations fournies par les laboratoires.

Lorsque le privé est apparu dans ce secteur, dans les années 1990, il n'y avait pas de subventions et la situation était difficile pour un groupe comme Orpea. Tout a changé à partir de 2002, lorsque, par le biais des conventions tripartites, les dotations publiques ont afflué sans qu'il soit demandé de contreparties, comme l'encadrement du prix de journée. Le secteur est alors devenu très rentable. Ensuite, le siège a instauré des marges arrières qui lui ont permis de capter une partie de l'argent public. Pour maximiser encore plus les profits, le groupe a dû trouver de nouvelles ressources : il a alors décidé de taxer les intervenants extérieurs, comme les kinésithérapeutes et les laboratoires qui travaillaient jusque‑là librement, sans lien commercial, dans le cadre d'un accord gagnant‑gagnant. En 2015‑2016, les contrats‑cadres sont apparus, qui ont contraint les laboratoires à proposer des marges arrières. Les petits laboratoires ont disparu, et ce sont de très gros laboratoires, Cerballiance et Unilabs, les seuls à même de consentir d'importantes rétrocommissions, qui ont emporté le morceau.

Un document que j'ai ici montre que, sur une année, Cerballiance-Provence a reversé 280 000 euros, Cerballiance-Côte d'Azur 351 000 euros, Labco Gestion 200 000 euros et Unilabs 771 000 euros. Je rappelle que ces marges arrières sont réalisées sur de l'argent public puisque les analyses sont remboursées.

Madame Chapelier, j'ai indiqué en introduction de mon livre que je n'avais « aucune difficulté avec le fait que de grands groupes privés gagnent de l'argent dans un secteur comme celui de la prise en charge de la dépendance ». Il est vrai que ma position a légèrement évolué. Si je conçois qu'on puisse mener des activités lucratives dans le secteur, je condamne le fait que ces sociétés soient cotées en bourse, car cela produit nécessairement des dérives. Les exigences des actionnaires pour maintenir une courbe la plus régulière possible conduisent forcément le PDG à mettre en place des systèmes fondés sur la réduction et l'optimisation des coûts, avec les effets que l'on sait sur la qualité de vie des pensionnaires et les conditions de travail des salariés.

Les dérives viennent aussi du fait qu'on a accepté que ces groupes s'occupent à la fois de personnes âgées et d'immobilier. C'est pourtant contradictoire. Quand on gagne trop d'argent avec l'immobilier – en vendant très cher les chambres en LMNP –, la charge financière pèse plus lourdement encore sur les directeurs d'établissement, lesquels sont contraints de mener une politique de réduction des coûts. Je ne peux pas juger tout un secteur, mais j'affirme que le fait d'être coté en bourse et de faire de l'immobilier entraîne des situations de maltraitance.

On peut aussi se questionner quand on voit que les dix gestionnaires d'EHPAD figurent dans le classement des cinq cents plus grosses fortunes françaises. Le patrimoine du docteur Marian dépasse le milliard d'euros ; il a été constitué en vingt ou vingt‑cinq ans et à partir de deux sources seulement : les pensions de retraite des Français et les dotations publiques. Cela représente énormément d'argent pour un seul homme.

Je suis surpris par l'ampleur du mouvement de libération de la parole qu'a suscité la parution de mon livre. Je me réjouis que les médias aient pris le relais. Beaucoup accompagnent le mouvement et c'est fondamental : cela donne aux gens qui avaient peur le courage de parler. Des directeurs, encore en poste chez Orpea, veulent que cela change. Ils sont depuis trop longtemps meurtris par les pratiques du groupe ; une directrice m'expliquait hier qu'ils sont beaucoup à vouloir quitter Orpea. Leur directeur régional est allé les voir en leur disant : « Je sais que vous êtes choqués par ces révélations, mais si vous restez, vous ne travaillerez plus pour Orpea, mais pour vos pensionnaires ». Ceux‑là souhaitent une évolution et se demandent si, cette fois, l'État sera à la hauteur et fera en sorte que le management, les pratiques, la direction générale changent.

Des plaintes ont été déposées et plusieurs collectifs s'organisent. Je ne peux pas répondre à tous les courriels que je reçois, mais je sais que des familles et des salariés du groupe, veulent porter plainte, les uns pour maltraitance ou homicide involontaire, les autres pour violences psychologiques.

Madame Corneloup, ce n'est pas mon rôle que de préconiser des mesures ; je pense qu'il faut à la fois plus de contrôle et un système de financement corrélé à des indicateurs de qualité. Vous avez raison, le questionnaire de satisfaction est fondamental. Il faut qu'une autorité puisse contrôler ces établissements, à tout moment et de façon inopinée. Elle doit être indépendante, sans quoi cela ne sera pas efficace.

J'ai répondu à la question de M. Chiche concernant les mesures prises par l'Assemblée nationale et le Gouvernement. Il faut aller vite. Il est fondamental de créer une commission d'enquête parlementaire qui ne se borne pas à vérifier les contrôles menés par les ARS et les conseils départementaux mais qui se penche sur les dérives qui ont pu se produire dans ce groupe, dont je rappelle qu'il est leader mondial. Pour qu'elle soit efficace, son périmètre doit se limiter à Orpea – il y a beaucoup de travail à faire sur ce seul groupe.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur Castanet, je vous remercie pour vos réponses limpides et pour la qualité de votre travail d'investigation. Je tiens, comme tous mes collègues, à souligner votre courage et vous félicite d'avoir mené cette enquête à son terme. Je puis vous assurer que le sujet ne passera pas à la trappe, pour reprendre votre expression, et que nous restons tous mobilisés.

La séance est levée à dix-sept heures quinze.

Présences en réunion

Réunion du mercredi 9 février 2022 à 14 heures 30

Présents. – Mme Stéphanie Atger, Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Marine Brenier, M. Philippe Chalumeau, Mme Annie Chapelier, M. Gérard Cherpion, Mme Christine Cloarec-Le Nabour, Mme Josiane Corneloup, M. Dominique Da Silva, M. Marc Delatte, Mme Cécile Delpirou, Mme Jeanine Dubié, Mme Catherine Fabre, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Jean-Carles Grelier, Mme Véronique Hammerer, Mme Monique Iborra, M. Cyrille Isaac-Sibille, Mme Fadila Khattabi, Mme Geneviève Levy, Mme Monique Limon, M. Didier Martin, M. Thierry Michels, M. Bernard Perrut, Mme Bénédicte Pételle, M. Alain Ramadier, Mme Marie-Pierre Rixain, Mme Valérie Six, Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, M. Jean-Louis Touraine, M. Nicolas Turquois, Mme Isabelle Valentin, M. Boris Vallaud, Mme Laurence Vanceunebrock, Mme Michèle de Vaucouleurs, Mme Annie Vidal, M. Philippe Vigier

Excusés. – M. Thibault Bazin, Mme Justine Benin, Mme Perrine Goulet, Mme Claire Guion-Firmin, M. Thomas Mesnier, M. Jean-Philippe Nilor, Mme Nadia Ramassamy, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Nicole Sanquer

Assistaient également à la réunion. – Mme Émilie Bonnivard, M. Guillaume Chiche, Mme Catherine Daufès-Roux, Mme Florence Granjus, Mme Christine Pires Beaune