Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicamenT
Mercredi 6 octobre 2021
L'audition est ouverte à 14 h 35.
(Présidence de M. Guillaume Kasbarian, président de la commission)
La commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament procède à l'audition des représentants du syndicat professionnel de l'industrie chimique organique de synthèse et de la biochimie (Sicos Biochimie).
Nous reprenons les auditions de la commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament.
Nous auditionnons, aujourd'hui, les représentants du syndicat professionnel de l'industrie chimique organique de synthèse et de la biochimie (Sicos Biochimie). Nous avons le plaisir d'accueillir :
– M. Vincent Touraille, président du Sicos Biochimie, directeur de la stratégie et des fusions et acquisitions au sein de Sanofi EUROAPI ;
– Mme Catherine Lequime, déléguée générale du Sicos Biochimie.
Je vous remercierai, dans vos interventions, de déclarer tout autre intérêt public ou privé qui serait de nature à influencer vos déclarations.
S'agissant d'une commission d'enquête, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
M. Vincent Touraille et Mme Catherine Lequime prêtent successivement serment.
Le Sicos Biochimie est un syndicat sectoriel relié à France Chimie, qui est le syndicat de l'industrie chimique. Nous faisons également partie de la Fédération française des industries de santé (FEFIS), organe chargé des médicaments. À ce titre, le Sicos Biochimie travaille activement sur deux projets de comités stratégiques de filières, en interfilières, entre l'industrie du médicament avec la Fédération française des industries de santé (FEFIS) et l'industrie chimique avec France Chimie.
Nous représentons environ 40 sociétés adhérentes en France qui sont des petites et moyennes entreprises (PME), des entreprises de taille intermédiaire (ETI) ou des filiales de grands groupes. Notre secteur de chimie fine fournit un certain nombre de produits de chimie fine, mais également des intermédiaires et des matières actives pour les industries de la pharmacie. Les autres secteurs d'activités dans laquelle la chimie fine est active sont la cosmétique, l'agroalimentaire ou d'autres secteurs de pointe comme l'électronique.
Le Sicos Biochimie en France regroupe environ 80 sites de fabrication pour la production en intermédiaire et la production de principes actifs. Les sites sont géographiquement répartis sur le territoire en raison de leur ancienneté, souvent plus de 50 ans.
Mme Catherine Lequime est la seule permanente du Sicos Biochimie et nous sommes aidés par France chimie. Nous travaillons avec un conseil d'administration dans lequel sont représentés les plus grands acteurs de la chimie fine française et avec lequel nous discutons et proposons des mesures pour la profession.
Il faut bien définir ce qu'est un principe actif pharmaceutique et la filière que nous représentons. Tous nos adhérents ne sont pas toujours dans la chimie pharmaceutique, beaucoup font ainsi de la chimie de spécialité.
La particularité des principes actifs pharmaceutiques est que nous ajoutons à la chimie classique de très fortes normes qualités et réglementaires pour répondre aux exigences de cette industrie dont le référentiel international, que nous observons, est celui du Conseil international d'harmonisation des exigences techniques pour l'enregistrement des médicaments à usage humain – International Council for Harmonisation of Technical Requirements for Pharmaceuticals for Human Use (ICH). Pour simplifier, le but de ce référentiel est d'éviter qu'un autre produit, même sous forme de traces, puisse se retrouver dans la fabrication du produit fini initial pour éviter toute interaction médicamenteuse. C'est donc un domaine de fabrication extrêmement strict et régulé.
Nous fabriquons, sur plusieurs étapes, des principes actifs en chimie. La chimie, c'est mélanger des réactifs, les faire réagir dans un réacteur en variant la pression, la température et l'agitation. La molécule formée est ensuite cristallisée, donc séparée, puis isolée, séchée et peut être soit le produit fini soit un intermédiaire qui repart dans le processus. Dans ce cas, elle est à nouveau introduite avec d'autres réactifs de façon à ce qu'elle forme une nouvelle molécule et ainsi de suite. Nous avons des principes actifs avec de très grandes chaînes carbonées. Ce sont souvent entre 5 et 40 étapes de fabrication. Dans ces nombreux processus itératifs, la qualité est particulièrement contrôlée. Nous vérifions que, à chaque étape de la fabrication, aucune contamination croisée avec d'autres produits ne se fasse.
Comme nous travaillons dans l'industrie chimique, les règles qui s'appliquent à nous sont extrêmement strictes en matière environnementale avec des sites en France, souvent classés « Seveso seuil bas » ou « Seveso seuil haut ». Ce classement implique de nombreuses contraintes réglementaires qui touchent les productions françaises et européennes.
Le principe actif est la molécule active qui va conférer au médicament sa propriété. Ce principe actif est ensuite apporté, vendu, à la partie galénique qui va utiliser des excipients et le mettre en forme : gélules, comprimés, seringues injectables. Ce sont ces éléments qui seront ensuite commercialisés par les laboratoires pharmaceutiques. Je souligne que le principe actif est désigné comme « matière première » par les laboratoires. Pour nous, chimistes, la « matière première » vient bien en amont du processus de fabrication dont le principe actif est le produit fini.
Merci de cette présentation brève et intéressante. Vous avez mentionné qu'environ 40 sociétés étaient adhérentes à votre association. Pouvez-vous nous rappeler le nombre de principes actifs produits ?
Ce nombre varie grandement. Je ne pourrais pas vous le signifier précisément.
Par exemple, pour ma société EUROAPI, en France, les sites de Saint-Aubin-lès-Elbeuf et Vertolaye doivent fabriquer environ 70 ou 80 principes actifs différents, et ce sont des lieux de production assez importants.
En règle générale, les sites sont assez agiles et sont capables de fabriquer de nombreuses molécules. Cependant, ils sont limités dans ce nombre en raison des contraintes en termes de qualité.
Un site de taille moyenne fabrique 20 à 25 principes actifs différents.
Sur une quarantaine de sites, ayant une production comprise entre 20 et 25 principes actifs, on ne dépassera pas 800 principes actifs fabriqués en France.
Le marché est essentiellement européen puisque beaucoup plus d'acteurs sont présents. Selon le rapport remis au Premier ministre en 2020 par la mission stratégique visant à réduire les pénuries de médicaments essentiels dirigée par Jacques Biot, environ 5 000 principes actifs sont recensés dans le monde. Nous en produisons un nombre important, mais la France et l'Europe ne peuvent pas tout fabriquer.
Au niveau de l'Europe, 340 sites pour la chimie fine sont répertoriés par le syndicat européen European Fine Chemicals Group (EFCG) avec qui nous collaborons étroitement. Ensemble, nous menons des actions en France et auprès de la Commission européenne dans le cadre des travaux en cours sur ces mêmes questions.
Produit-on les 4 200 principes actifs, non fabriqués en France, dans les 300 autres sites européens ?
Tous les principes actifs ne sont pas utilisés en France ou en Europe. Le rapport de Jacques Biot mentionnait un nombre produit en Europe de l'ordre de 2 500. Tous les principes actifs existants ne sont pas commercialisés en tant que spécialités en Europe et en France. Les productions françaises sont généralement destinées à la France, mais aussi à l'Europe, aux États-Unis et à l'Asie.
Pour compléter notre précédent propos, nous pouvons mentionner l'existence en France de 80 sites en chimie fine pharmaceutique et 40 entreprises adhérentes au syndicat. Ces 80 sites sont à mettre en parallèle avec les 340 sites de chimie fine répertoriés en Europe.
Existe-t-il des principes actifs, que nous pourrions collectivement considérer comme stratégiques, qui ne seraient produits que dans un seul pays ou un seul site ?
Je n'ai pas de listes exhaustives. Ces données sont possédées par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) en France ou l'Agence européenne des médicaments (EMA) pour l'Union européenne.
Actuellement, un travail est à l'œuvre pour essayer de digitaliser l'ensemble de ces informations et déterminer, pour un principe actif, quels sont les fournisseurs inscrits dans les autorisations de mise sur le marché (AMM).
Un fabricant donne l'ensemble de ses données au laboratoire pharmaceutique qui inscrit les données qui concernent la chimie dans l'AMM et déclare les lieux où il fabrique les produits. L'ensemble est sous contrôle pharmaceutique puisque quand vous fabriquez un principe actif, les intermédiaires précédents peuvent se trouver dans le cadre dit des « bonnes pratiques de fabrication », qui sont enregistrées et régulées. Chaque fois que nous envisageons de modifier une voie de synthèse, un réacteur ou un appareil, nous devons faire une déclaration auprès de l'ANSM pour qu'elle nous donne son accord. Le secteur est extrêmement régulé sur cet ensemble de points.
Dans une étude que l'EFCG a réalisée auprès de l'ensemble de ses adhérents, chacun a donné son estimation des alternatives qu'il pouvait y avoir pour les sourçages de produits et de principes actifs. Il en ressort que dans les alternatives européennes à des sourçages de principes actifs et d'intermédiaires, nous risquons des ruptures.
À la question « existe-t-il des alternatives européennes ? », le « oui » a obtenu 31 % et le « non » 69 %. Sans avoir de données précises, il est rare que l'ensemble de la chaîne d'un principe actif soit constituée de matières et d'intermédiaires uniquement fabriqués en France ou en Europe.
Des risques de ruptures sont donc possibles en fonction des événements géopolitiques. Nous avons eu nombre de ruptures à la suite du plan Blue Sky dans le cadre duquel la Chine a imposé des normes environnementales plus élevées à ses sites de chimie. Certains ont déménagé dans des plateformes chimiques ou ont fermé. Par conséquent, les ruptures ont été multiples sur des intermédiaires qui étaient eux-mêmes partie de toute la chaîne de production d'un principe actif, conduisant à la rupture du principe actif final.
Nous avons dernièrement fait réaliser une étude avec Les entreprises du médicament (LEEM), l'association GEnériques Mêmes MEdicaments (GEMME), le G5 Santé et la participation de la direction générale des entreprises (DGE) sur les vulnérabilités d'approvisionnement en API pour l'industrie pharmaceutique européenne.
M. Vincent Touraille présente la page 10 de l'étude à la commission d'enquête.
(image non chargée)
Vous y trouverez une analyse de la chaîne de valeurs et de l'enjeu sanitaire des principes actifs pharmaceutiques – Active Pharmaceutical Ingredients (API). Nous nous sommes intéressés aux axes de vulnérabilité, d'un point de vue sanitaire, des médicaments d'intérêts thérapeutiques majeurs (MITM). Ces produits essentiels à la santé ont parfois des alternatives et parfois non.
Nous avons défini, dans cette chaîne de valeurs, cinq critères de vulnérabilité qui nous paraissaient importants :
˗ si l'une des matières premières est manquante, nous sommes dans le cas des approvisionnements en intrants fragiles ;
˗ quand la production est longue et complexe, une rupture de chaîne peut entraîner une forte vulnérabilité ;
˗ des productions avec une grande quantité d'éléments polluants à traiter ont amené ces fabrications à quitter l'Europe, pour aller plutôt vers l'Asie ;
˗ un prix très faible du principe actif qui pousse l'industriel à ne plus fabriquer un produit en forte concurrence sur lequel ses marges sont faibles ;
˗ des demandes extrêmement instables sur certains produits, comme lors de la pandémie, avec des pics de consommation non prévisibles.
Le comité stratégique de filière devait définir une liste de principes actifs à rapatrier, ce que nous n'avons pas souhaité réaliser, puisque cette tâche incombe aux autorités de santé. Cependant, nous avons donné des pistes pour leur permettre de savoir quels types de principes actifs il pourrait être important de renforcer ou de rapatrier en Europe. Parmi ces cinq critères de vulnérabilité et au sein des produits d'intérêt thérapeutique majeur avec ou sans alternative, nous avons donc identifié un ensemble de principes actifs.
(image non chargée)
Pouvons-nous affirmer que les industriels vont choisir les sites de production en fonction du coût, de la disponibilité et de la stabilité d'approvisionnement ? Les critères sont-ils hiérarchisés ? Existe-t-il d'autres critères ?
L'industriel va orienter ses fabrications sur les produits qu'il a les capacités technologiques de réaliser et va les vendre sur un marché en concurrence mondial à des prix qui lui permettent de rentabiliser ses activités.
Sur l'ensemble de ces médicaments, nous allons pouvoir dessiner deux types de molécules principes actifs : tout d'abord, on peut distinguer au sein des MITM les molécules dites « matures ». Ce sont des produits qui ont été inventés il y a plus de 20 ans et pour lesquels les génériques sont très nombreux. Les critères de volumes et de prix favorisent souvent les productions asiatiques. Par conséquent, la possibilité d'être en compétition avec les volumes asiatiques diminue pour un fabricant européen, qui a des volumes de productions plus faibles. Ce n'est pas vrai dans tous les cas, mais c'est une très forte tendance.
Les « nouveaux » médicaments ont souvent été développés en Europe, berceau de la fabrication des principes actifs. Cependant, depuis une vingtaine d'années, l'Europe a perdu sa position de chef de file au profit de l'Asie qui produit désormais la majeure partie des principes actifs.
Dans le cas du développement de nouvelles molécules, les acteurs que nous représentons sont des partenaires privilégiés des grands laboratoires pharmaceutiques, des biotechs et des « jeunes pousses » (start-ups), qu'elles soient européennes, souvent américaines et parfois asiatiques. Toutes les phases cliniques de développement de ces nouveaux princeps sont souvent réalisées par des sociétés européennes de taille internationale. Elles vont mener à bien la phase de développement à partir des premiers essais cliniques des laboratoires ou des start-ups, et les accompagner jusqu'à la fabrication, en routine, de ces produits à destination du marché.
En Europe, ces nouveaux princeps constituent quasiment 50 % de notre activité. Les 50 % restants sont centrés sur les produits matures ou génériques.
Dans une certaine mesure, l'éclatement de la filière industrielle et la localisation hors Europe de la production des principes actifs sont-ils partiellement des conséquences du générique ?
Indirectement. Nous avons connu le « generic cliff » dans les années 2000 qui a vu de nombreux fabricants de médicaments génériques ou « génériqueurs », souvent américains et parfois nouveaux, s'emparer de brevets expirés, donc des processus de fabrication, pour produire à un meilleur prix en Asie. Un laboratoire qui n'a plus la propriété intellectuelle sur son produit perd souvent 50 à 60 % des volumes. Dans un laps de temps relativement court, des sociétés spécialisées dans le générique sont arrivées sur le marché, causant la perte de 60 % de volume pour l'industrie européenne. Ces volumes ont été souvent récupérés par l'Asie. Par conséquent, l'entrée des génériques a vu le développement de laboratoires génériques qui ont pris de fortes parts de marché sur les princeps qui n'étaient plus protégés et ont sous-traité la fabrication de ces principes actifs génériques à des sociétés qui se trouvaient plutôt en Asie.
Dans le même temps, il est normal que le générique fasse partie du cycle de vie du produit. Ce que nous pouvons regretter dans certains cas, ce sont les baisses de prix systématiques sur un certain nombre de produits « génériqués », entraînant les industriels à aller rechercher les prix les plus bas.
En tant que fabricants, nous sommes face à un problème quand le seul critère d'obtention d'un marché reste le prix. C'est un problème sur lequel nous attirons l'attention. Dans certains cas, la qualité, la partie environnementale ou sociale de ce qui est réalisé n'est pas toujours en accord avec les principes des sociétés européennes.
Nos clients, pour répondre à des injonctions de baisses de prix, sont souvent amenés à aller chercher des matières premières, des principes actifs, en Asie. Ce continent bénéficie d'un effet volume qui lui permet de répondre, en dehors de critères environnementaux et sociaux différents de l'Europe, de façon importante à la demande.
Un principe actif fabriqué en Asie est estimé, a minima, 40 % moins cher qu'en Europe.
Faut-il, pour lutter contre le risque de rupture, avoir une politique de stockage des principes actifs ? Si c'est déjà le cas, est-ce mis en œuvre par des entreprises adhérentes de votre syndicat ?
Les sites de production de votre société sont-ils tous en France ? Si oui, pourriez-vous nous les indiquer ?
Le statut de votre société est, je crois, un statut de filiale de Sanofi, que vous livrez, je suppose, en priorité par rapport à d'autres sociétés. En cas de pénurie, comment faites-vous les arbitrages ?
Le stockage pourrait être une réponse conjoncturelle, mais jamais structurelle. En effet, un principe actif a une période de péremption relativement courte. Par ailleurs, sa fabrication peut être très longue. Il est en revanche plus stable sous forme de médicament, dont le stockage fait déjà l'objet d'une réglementation.
Le stockage de certains principes actifs peut être une bonne mesure, mais comme nous ne pouvons pas prévoir, en fonction des crises, les manquements ou besoins qu'il pourrait y avoir, nous avons plutôt tendance à proposer d'autres solutions parmi lesquelles l'enregistrement et la fabrication de certains principes actifs européens. Le but est que nos industries, flexibles dans leurs capacités de fabrication, soient capables en temps de crise de fabriquer un principe actif plutôt qu'un autre, ce qui implique les autorisations réglementaires nécessaires. L'enregistrement de nouveaux produits sur un site de fabrication peut être particulièrement long, de 12 à 18 mois. Il s'agit donc de se concentrer sur des fabrications qui existent déjà de façon à ce que nous puissions orienter en cas de crise les fabrications et éviter toutes causes de ruptures. Le stockage peut néanmoins s'avérer important en cas de pandémie prévisible.
La filiale EUROAPI a été créée le 1er octobre 2021 et est, pour l'instant, une filiale à 100 % de Sanofi. Elle regroupe un certain nombre de sites de chimie de Sanofi et a l'intention de se présenter sur le marché pour rentrer en bourse dans le courant de l'année 2022. L'entreprise emploie environ 3 200 personnes et fabrique 200 à 250 principes actifs. Elle réalise un milliard d'euros de chiffre d'affaires et se positionnera en tant que numéro un mondial des petites molécules et numéro deux mondial des fabricants de principes actifs. EUROAPI est donc issue de la partie chimie de Sanofi qui conserve, cependant, des sites de fabrication qui lui seront propres. Nous avons six sites de production :
– France : Vertolaye et Saint-Aubin-lès-Elbeuf ;
– Royaume-Uni : Haverhill ;
– Allemagne : Francfort ;
– Hongrie : Újpest ;
– Italie : Brindisi.
Sanofi est évidemment un partenaire important, mais la société dispose déjà de près de 600 autres clients. Afin de préparer cette séparation, EUROAPI a signé un contrat d'exclusivité de cinq ans d'achat par Sanofi sur un certain volume, dit « corridor », par lequel la société s'engage à des quantités. Nous sommes en capacité de répondre à cette demande et à celles de nombreux clients différents. En cas de pénurie, un système d'allocations sur lequel nous avons des accords se met en place pour tous les clients. Sanofi est un client prioritaire, qui représente 45% de nos ventes, mais non exclusif dans la plupart de nos molécules.
Est-il juste d'affirmer que les industriels refusent, parfois, de commercialiser des produits du fait du prix ?
Les réglementations environnementales sont-elles trop strictes ? Les industriels peuvent-ils choisir des pays avec des règles moins contraignantes ? Existe-t-il des conditions qui rendent impossible le traitement de certaines molécules intermédiaires de la synthèse des principes actifs et qui orientent le choix sur certains pays ?
Votre groupement est-il positionné sur de la chimie organique ou sur d'autres types de chimie ? Quel est le statut de ces entreprises en matière d'innovation, ce qui pourrait pondérer la faiblesse de l'argumentation sur l'indisponibilité de certaines molécules ?
Si les marges réalisées deviennent faibles ou négatives, la commercialisation est arrêtée. C'est le principe de base. Les laboratoires pharmaceutiques font néanmoins extrêmement attention, car des régulations encadrent le retrait d'une molécule du marché. Dans bien des cas, la baisse systématique des prix des médicaments peut poser problème. Elle conduit souvent nos clients à aller s'approvisionner auprès d'entreprises européennes meilleur marché afin de continuer à commercialiser leurs produits. Un label « made in Europe » permettrait de justifier certains prix de médicaments fabriqués intégralement en Europe et d'enrayer l'érosion des prix. C'est une difficulté que nous rencontrons quand nous vendons nos principes actifs. Les fabricants de médicaments génériques ou « génériqueurs » exclusifs vont rechercher les prix bas tandis que certains laboratoires pharmaceutiques, plus attentifs, vont trouver un équilibre avec les critères de vulnérabilité en s'assurant d'une production pour partie en Europe afin de diminuer les risques d'approvisionnement.
En ce qui concerne les polluants à traiter, nous appliquons les règles qui sont les mêmes pour tous nos concurrents européens. L'industrie chimique européenne a été capable de mettre en place toutes les réglementations et de surmonter tous les problèmes liés aux polluants. Il existe une distorsion de compétition puisque nous sommes confrontés à des industries qui appliquent moins de critères environnementaux, comme en Inde. La Chine a relevé ses critères environnementaux, mais pas encore l'Inde où les industries peuvent rejeter de nombreux produits dans les rivières. Nous proposons, par exemple, que soit considérée dans les appels d'offres des hôpitaux la partie environnementale et que l'on puisse faire du multi-attributaire afin de donner la possibilité, même à un prix plus élevé, à des producteurs européens de remporter des marchés. Une taxe pourrait également venir s'appliquer afin de s'assurer que les fabricants hors de l'Europe appliquent les mêmes règles environnementales que les fabricants européens.
Il est toujours possible pour des chimistes de retraiter des effluents. Le problème n'est donc pas technique, mais vient du coût de traitement des effluents qui peut être relativement important.
L'innovation est un point essentiel pour la création de nouvelles molécules, mais l'innovation des procédés est également importante. Même si elle est coûteuse, la révision totale des voies de synthèses en utilisant de nouvelles techniques, comme la chimie en flux continu, la biocatalyse ou l'hémisynthèse, pourrait être mis en œuvre. Ces nouvelles technologies permettraient de réintégrer un certain nombre de fabrications suivant des procédés plus innovants et plus économiques, mais ils nécessitent un investissement important pour des résultats incertains, la chimie étant une science expérimentale. La chimie en flux continu permet de diminuer nettement les effluents et les stockages de solvants et de réactifs qui peuvent être dangereux. La réponse de l'Europe à un certain nombre de technologies problématiques, que nous n'appliquons plus, pourrait se trouver inversée avec de nouvelles voies de synthèse compatibles avec les normes environnementales.
En biochimie, l'ensemble des technologies que nous possédons ont beaucoup évolué en depuis 40 ans et pourraient permettre une nette amélioration des procédés actuels. Paradoxalement, ces produits sur lesquels nous devrions investir sont très fortement concurrencés et nos marges sont donc très basses. Ils ne justifient donc pas la possibilité de faire de gros investissements avec la certitude d'être rentables.
L'environnement et le coût sont, d'après moi, les points les plus sensibles de ce sujet.
Quel est le ratio des principes actifs fabriqués en France et en Europe par rapport à leur consommation sous forme médicamenteuse ?
La plupart des médicaments sont remboursés par l'argent du contribuable, mais les produits sont fabriqués en dehors du territoire français et n'y créent donc ni emploi ni richesse. Selon vous, l'État doit-il imposer que les médicaments, intégralement ou en partie remboursés, soient produits sur le territoire national ou européen ?
La loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite « loi climat et résilience », permet aux entités publiques d'acheter des productions locales, un peu plus cher, mais avec des critères environnementaux. Une prochaine étape concerne le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières de l'Union européenne. Pensez-vous qu'il faudrait élargir cette notion de taxe carbone pour englober tous les sujets environnementaux au niveau de la frontière de l'Union européenne ? Toute production qui ne respecte pas les normes environnementales serait ainsi taxée ou interdite.
Je n'ai pas les données sur la part des API consommées en France et d'origine française. Nous sommes sur un marché mondialisé et une grande part des principes actifs utilisés en France viennent d'hors de France et d'Europe. Pour exemple, les produits antibiotiques, type amoxicilline et autres, ne sont pas fabriqués en Europe. Sanofi, resté très présent en France, a l'habitude de gérer son appareil industriel localement et est très intégré sur la fabrication en amont. Le groupe est donc peu dépendant d'un certain nombre de matières. Selon une étude récente, en volume, l'Europe est dépendante de l'Asie pour 70 % de ses API et de 79 % de ses précurseurs. Le paracétamol et l'amoxicilline, à très forte volumétrie, représentent une part élevée de ces chiffres.
Il est important, pour le consommateur, que le lieu où a été produit le principe actif soit visible. Sur une boîte de médicaments, seul le lieu d'assemblage apparaît. Cette mention inciterait le consommateur à privilégier les fabrications françaises ou européennes. L'accès au médicament pour tous est particulièrement important, mais il est très compliqué de remonter les prix sur certains qui sont essentiels. Cette action est une décision politique.
Il n'est pas possible de continuer à ignorer que certains principes actifs arrivent de pays où les critères environnementaux sont moins exigeants. Les Américains, pour réguler le marché au niveau de la qualité, ont instauré une taxe pour les industriels exportateurs vers les États-Unis. Les sites exportateurs payent donc pour accéder au marché américain et acceptent, à tout moment, qu'un auditeur intervienne sur le lieu de production. Il serait intéressant, du point de vue environnemental, d'appliquer ce type de dispositions pour contraindre nos concurrents asiatiques, essentiellement, aux mêmes normes que les nôtres.
Je suis particulièrement attaché à ce que l'on ait une stratégie de souveraineté, en France, mais également en Europe, sur un certain nombre de produits de première nécessité, notamment en cas de pandémies ou de conflits. Or, sur la diapositive n°9 du document, je constate que les signalements de ruptures sont multipliés par 12 depuis 2008 ˗ principalement sur les injectables. Depuis 13 ans, nous avons donc été défaillants et la récente pandémie a d'autant plus accentué ces faiblesses. Les États-Unis ont, de leur côté, pris des dispositions, mais est-ce la bonne stratégie ?
Les problèmes de ruptures se sont multipliés pour différentes raisons. Il n'y a pas que les principes actifs. Une étude du LEEM sur les causes de ruptures sur les médicaments faisait état de 30 % de ruptures pour des raisons industrielles, dont la moitié était due aux principes actifs. Les API ont été en rupture pendant les années 2010 à 2015, notamment en raison du plan Blue Sky de la Chine qui accordait subitement une importance élevée à l'environnement et interrompait du jour au lendemain des fabrications. Il est effectivement important de ne pas être dépendant d'un seul site de fabrication.
Avant 2010, l'agence fédérale américaine des produits alimentaires et médicamenteux – Food and drug administration (FDA) effectuait des contrôles, mais de nombreux morts à cause de produits mal contrôlés ont été recensés. La raison venait du fait que les audits étaient menés par des personnes qui n'étaient pas sinophones qui ne pouvaient donc pas vérifier les informations. Les mesures prises, la taxation et les audits réalisés par un personnel local ont permis de réguler le marché et de réduire le nombre de fournisseurs à 750 sociétés dans le monde contre 10 à 15 000 concurrents asiatiques auparavant.
Un système qui vérifierait que nos contractants respectent un certain nombre d'obligations qualitatives, sociales ou environnementales serait une mesure favorable pour établir des coûts comparables avec nos concurrents.
En juin 2021, un avenant au contrat stratégique de la filière des industries et technologies de santé a été signé. Dans cet accord figurent plusieurs axes stratégiques, dont la coordination avec les autres États membres et les industries, notamment pour sécuriser les différents projets d'investissements portant sur les molécules matures. Où en êtes-vous de la mise en place de ce groupe de travail tant avec les gouvernements, qu'avec les industriels ?
Pensez-vous qu'il faille définir les listes de molécules critiques sur une base nationale ou européenne ? Le rapatriement récent du paracétamol par le gouvernement vous semble-t-il suffisant aujourd'hui ?
Le « dialogue structuré » a débuté en février 2021 et notre groupe de travail est composé du LEEM, du GEMME, du G5 Santé, de la DGE et du Sicos. Nous avons travaillé en groupes miroirs par rapport aux actions menées au niveau de l'Union européenne et au niveau du « dialogue structuré ». Le diagnostic sur les vulnérabilités, concentré sur la production des principes actifs, est largement partagé. L'Union européenne est relativement d'accord avec le rapport que nous vous avons remis. Elle souhaite travailler sur des axes très proches des mesures que nous proposons. Nous serons vendredi à Saint-Fons pour signer officiellement ce rapport en présence de deux ministres. Il s'agit de prioriser nos propositions pour les mettre en œuvre en France et en Europe pour avancer de façon concrète sur quelques mesures.
Comment renforcer la recherche ? Qui doit y contribuer : l'État, les laboratoires, les industries ?
L'État a pris trois engagements : soutenir les entreprises, renforcer les leviers de compétitivité et le lancement d'appels à projets. Est-ce suffisant ?
Un certain nombre de laboratoires achètent des molécules en fin de vie ou en fond de portefeuille sur des laboratoires qui s'en dessaisissent. Une restructuration au sein de l'industrie n'est-elle pas nécessaire afin de favoriser une meilleure rentabilité sur ces principes actifs anciens ?
Nous avons un tissu français et européen extrêmement dense de la répartition de la recherche et développement (R&D). Chez Sanofi EUROAPI, nous travaillons dans des domaines précis pour préparer un API et regarder le type d'écosystème avec lequel nous pourrions travailler. Or nous constatons que les partenaires sont multiples. La recherche privée, avec des entreprises aidées dans certains cas, est considérable en ce qui concerne le développement et l'innovation. L'Europe et la France ont la chance de bénéficier de quantité d'ingénieurs et de très bonnes idées. C'est une force dont nous devons être conscients.
Les industriels ont rarement été aidés comme ils l'ont été depuis la crise sanitaire. Pour autant, l'offre et la demande sont deux axes que nous prenons toujours en compte. Pour un projet d'une centaine de millions d'euros, si l'État nous aide à hauteur de 40 millions d'euros, il reste 60 millions d'euros à débourser, mais nous allons les investir uniquement si nous sommes certains de vendre le produit. Le procédé d'innovation sera-t-il suffisant pour ramener l'économie à un niveau compétitif par rapport aux concurrents asiatiques ? Si ce n'est pas le cas, nos clients iront acheter meilleur marché ailleurs. Par conséquent, nous ne sommes pas sûrs que les 60 millions d'euros investis trouvent un retour sur investissement et nous n'investirons donc pas. Le prix du médicament doit être revu, par exemple avec une mention « fabrication européenne », des aides ou un principe de pourcentage, pour privilégier la production européenne : soit avec un prix plus élevé permettant à notre client d'acheter à un prix plus élevé, soit avec une obligation d'achat.
Il est possible de se rapprocher de la compétitivité, mais si nous voulons rapatrier de grosses molécules comme l'amoxicilline, il faudrait produire des volumes gigantesques de l'ordre de 5 000 tonnes pour espérer être compétitifs quand 100 tonnes seraient suffisantes pour un démarrage. Le problème de ces volumes est que les investissements doivent être à la hauteur : or ces énormes montants ne sont pas tous couverts par des aides. Nous nous situons alors dans un processus inconnu qui ne permet pas d'investir avec la garantie d'une rentabilité.
En ce qui concerne le lancement des appels à projets. Pensez-vous que ce soit une bonne méthode ? Est-ce suffisant ? Pouvez-vous nous donner votre point de vue d'entrepreneur et de syndicaliste ?
Nous avons tous particulièrement apprécié ces appels à projets et la façon dont ils se sont déroulés. Ils ont parfaitement répondu à la possibilité d'extension de capacités sur l'un de nos sites à minimum d'investissement.
Sicos a relayé les messages de la DGE et de la direction générale de la santé (DGS) pour expliquer comment postuler et l'ensemble de l'industrie de la chimie fine pharmaceutique en a bénéficié. Des sociétés ont ainsi pu être remises à niveau pour rapatrier un certain nombre de productions, mais de façon assez sporadique, pas sur l'ensemble. Ces appels à projets étaient au début centrés sur les produits en rapport avec la Covid-19 et il était très difficile d'avoir un mécanisme dérogatoire concurrentiel qui puisse permettre de travailler sur d'autres éléments que ceux sur lesquels reposait une urgence. Par ailleurs, nous avons connu des tensions sur ces produits mais pas de ruptures.
Je vous remercie pour vos réponses. Je vous propose éventuellement de compléter nos échanges, si vous le souhaitez, à travers des documents que vous pouvez adresser à notre secrétariat.
L'audition se termine à 15 heures 55.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament
Réunion du mercredi 6 octobre 2021 à 14 heures 30
Présents. – M. Frédéric Barbier, M. Bertrand Bouyx, M. Guillaume Kasbarian, M. Gérard Leseul, M. Denis Masséglia
Excusés. – M. Éric Girardin, M. Jacques Marilossian, Mme Carole Bureau-Bonnard