Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le pib de la france et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament

Réunion du jeudi 28 octobre 2021 à 11h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • actif
  • bioproduction
  • médicament
  • pharmaceutique
  • polepharma
  • thérapeutique
Répartition par groupes du travail de cette réunion de commission

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La réunion

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Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicamenT

Jeudi 28 octobre 2021

L'audition est ouverte à onze heures trente-cinq.

(Présidence de M. Guillaume Kasbarian, président)

La commission d'enquête procède à l'audition des représentants de Polepharma.

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Nous accueillons à présent les représentants du réseau Polepharma :

– M. Philippe Ivanes, directeur des opérations antithrombotiques de Sanofi et président du réseau Polepharma,

– M. Antoine Reveilleau, président de Seratec,

– et M. Fabien Riolet, directeur général de Polepharma.

Polepharma, né en 2002, est un réseau professionnel de l'industrie pharmaceutique française réunissant 320 adhérents, représentant 53 % de la production et 60 000 emplois répartis entre les régions Centre, Normandie et Île-de-France. Ce cluster a pour rôle la stimulation du développement économique et industriel des acteurs de la première filière pharmaceutique française par des actions favorisant la compétitivité, l'innovation et le dynamisme de leur réseau.

Je vous remercie de nous déclarer tout intérêt, public ou privé, de nature à influencer vos déclarations. Auparavant, l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

MM. Ivanes Reveilleau et Riolet prêtent serment.

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Philippe Ivanes, directeur des opérations antithrombotiques de Sanofi, président du réseau Polepharma

Je travaille chez Sanofi, où je gère un groupe d'usines fabriquant un antithrombotique et suis président de Polepharma. J'ai auparavant travaillé pendant dix ans dans le domaine vaccinal.

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Antoine Reveilleau, président de Seratec, administrateur de Polepharma

Je dirige et suis propriétaire d'une entreprise familiale fabriquant des principes actifs pharmaceutiques pour les industries françaises et américaines dans l'Eure-et-Loir que j'ai reprise à la suite de mes parents, à la sortie de mes études, en 1992.

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Fabien Riolet, directeur général de Polepharma

Pour ma part, je suis directeur général de Polepharma. Je vous remercie vivement pour votre invitation, car la question industrielle est au cœur de notre cluster.

Polepharma est une organisation professionnelle, de type cluster, née en 2002, implantée historiquement dans les trois régions que vous avez citées, qui constitue le premier bassin de production pharmaceutique en Europe et 53 % de la production de médicaments en France. Pour comparaison, sachez que la seconde place est détenue par le bassin lyonnais avec 17 % de la production médicamenteuse nationale. Notre cluster a également une dimension nationale, avec 20 % de nos adhérents dans d'autres régions de France. Il se développe aussi en Nouvelle-Aquitaine (représentant 6 % des emplois pharmaceutiques français) par l'absorption d'une autre organisation professionnelle. Au total, Polepharma représentera 60 % de la production française de médicaments et 75 usines.

Notre cluster ne s'occupe pas que de médicaments chimiques traditionnels, mais également de biomédicaments, puisqu'il regroupe la moitié de la bioproduction française. Polepharma s'inscrit dans une logique de filière, avec seulement les laboratoires pharmaceutiques producteurs situés en France, qu'ils soient français ou étrangers, de toutes tailles. Notre légitimité tient au fait que nous concentrons 90 % des usines des régions suscitées – ce qui justifie également la dévolution de la présidence à Sanofi. Nous consolidons l'ensemble de la filière, de tous types d'acteurs et d'entreprises, du développement de la recherche à la distribution, en passant par les fabricants de machines, l'ingénierie, le transport et la chimie, ainsi que la formation. Nous agissons dans une logique d'écosystème, avec une équipe d'une vingtaine de permanents, répartis entre Chartres, Louviers, Tours, Paris et Bordeaux. Notre budget s'élève à 2,5 millions d'euros, issus à 70 % du secteur privé. Cela nous classe parmi les organisations bien dotées.

Nous favorisons la coopération entre nos membres pour leur conférer des avantages compétitifs dans les domaines liés aux opérations industrielles (usine du futur, bioproduction, intelligence artificielle appliquée à l'industrie, chaînes d'approvisionnement), au respect des exigences réglementaires – qui sont prégnantes dans notre secteur – et au développement des formations et des compétences, pour recruter et fidéliser nos salariés. Nous travaillons conjointement avec les territoires pour y parvenir. À cet égard, notre financement public provient exclusivement de collectivités territoriales. Nous œuvrons également dans le domaine de l'innovation et dans les affaires publiques. Ainsi, depuis sa création, en 2002, Polepharma milite – et a longtemps été isolé sur ce sujet – pour l'intérêt d'un appareil industriel fort autour des industries pharmaceutiques et biopharmaceutiques et la souveraineté sanitaire. Tous nos laboratoires pharmaceutiques adhérents sont des laboratoires fabriquant en France, quelle que soit leur nationalité. Nous portions déjà ce dernier sujet un an avant la pandémie, lors d'un colloque organisé aux Invalides portant sur la problématique de la délocalisation des principes actifs et de fabrication des médicaments.

La représentativité de Polepharma justifie par ailleurs sa participation à diverses instances, telle que la Fédération française des industries de santé (FEFIS), le Comité stratégique de filière (CSF) – notamment sur les sujets de bioproduction. Nous développons aussi des liens étroits avec les Entreprises du médicament (le Leem) en vue de la future Alliance France Bioproduction, où nous sommes représentés par notre vice-président, Étienne Tichit, directeur général de Novo Nordisk France. Enfin, Polepharma a formulé une quinzaine de propositions auprès du conseil stratégique des industries de santé (CSIS). Par ses missions, sa représentativité, ses méthodes et ses adhérents, Polepharma est un objet unique en France au côté des six pôles de compétitivité, ceci conduisant le Président de la République, Emmanuel Macron, à nous qualifier de « chance pour la France » lors de sa visite de Delpharm à Saint-Rémy-sur-Avre.

Notre combat se nourrit du constat selon lequel la France n'est plus que le quatrième producteur de médicaments en Europe, alors qu'elle en était le premier il y a seulement quinze ans. Cette position de leader a été ravie par l'Italie, qui est ainsi passée de la cinquième à la première place.

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Comparativement à nos voisins européens, quels sont les atouts et faiblesses de notre pays pour accueillir de nouvelles lignes de production pharmaceutiques ?

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Philippe Ivanes, directeur des opérations antithrombotiques de Sanofi, président du réseau Polepharma

Le facteur majeur concerne le coût de fabrication, et d'autres pays européens sont mieux positionnés sur ce volet. Le second concerne la réglementation. Nous comprenons qu'elle soit particulièrement exigeante, mais cela conduit à des disparités avec nos voisins, qui sont plus souples au niveau de la réglementation. Enfin, le troisième porte sur la localisation, car distribuer des produits dans un pays requiert d'y disposer d'une usine, qui fabrique et qui délivre.

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Philippe Ivanes, directeur des opérations antithrombotiques de Sanofi, président du réseau Polepharma

La productivité, le savoir-faire et les compétences françaises sont reconnus et permettent d'attirer des investisseurs, de l'activité.

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Quelle est votre appréciation des annonces du CSIS portant sur les mesures visant à valoriser l'excellence de la production française ?

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Fabien Riolet, directeur général de Polepharma

La crise sanitaire a eu pour effet une prise de conscience, avec des discours et des actes politiques inédits depuis des décennies, qui se sont traduits dans certaines mesures du CSIS. Habituellement, ses mesures, bien qu'intéressantes, ne produisent pas d'effets et ne sont pas reprises par le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), quelques mois après. Mais cette fois, nous avons une vraie inflexion et une vraie ambition. Par exemple, cette nouvelle position relie à nouveau – c'était auparavant le cas, jusque dans les années 1990 – la question du remboursement d'un médicament et de la négociation du prix à la localisation de sa production. Ces évolutions sont positives.

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Le PLFSS a été adopté vendredi dernier en première lecture, qui introduit justement ce critère industriel dans la fixation des prix du médicament. Avez-vous des alertes, ou des préconisations, pour que de telles mesures soient pleinement efficaces, d'un point de vue opérationnel ?

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Fabien Riolet, directeur général de Polepharma

Pas particulièrement. Il faut surtout constater leurs effets concrets.

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Le président de la République a annoncé 3 milliards d'euros pour le secteur de la santé dans le cadre du plan France 2030 pour produire notamment vingt biomédicaments pour lutter contre le cancer et les maladies chroniques, et pour créer les dispositifs médicaux de demain. Comment devrions-nous procéder pour atteindre cet objectif, en termes de méthodes, de critères de sélection et de gouvernance ?

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Philippe Ivanes, directeur des opérations antithrombotiques de Sanofi, président du réseau Polepharma

Il faut en premier lieu un accompagnement complet, du développement de la molécule à son industrialisation. Certaines molécules développées en France ont été industrialisées à l'étranger, d'autres pays ayant été plus réactifs. La sélection des biomédicaments de demain peut s'appuyer sur leur intérêt thérapeutique immédiat, ainsi que sur la technologie qu'ils requièrent, qui peut être innovante et avoir un intérêt pour de futurs développements.

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Antoine Reveilleau, président de Seratec, administrateur de Polepharma

Il est toujours légèrement dangereux que l'État soit stratège dans la commercialisation, mais il est intéressant qu'il ait un rôle de déclencheur dans l'innovation, avec la recherche fondamentale. Toutefois, l'industrie est mieux placée pour juger les besoins et les réalités du marché.

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Fabien Riolet, directeur général de Polepharma

Le projet Alliance France Bioproduction peut coordonner et piloter une stratégie d'encouragement des acteurs. Nos capacités d'accueil et de changement d'échelle (scale up) sont très limitées en France, obligeant des jeunes pousses (startups) à se tourner vers des acteurs étrangers. La bioproduction est un sujet d'intérêt stratégique national, car nous importons 95 % de nos biomédicaments, qui sont produits à l'étranger et coûteux, et dégradent l'excédent commercial dégagé par l'industrie pharmaceutique. Je regrette que l'État ne s'engage dans l'Alliance France Bioproduction, en ne la finançant que pendant quatre ans. L'enjeu stratégique demande un meilleur soutien de l'État en la matière, comme c'est le cas dans d'autres pays.

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Polepharma n'est-il pas en train de devenir un cluster à l'échelle nationale ? Comment organiserez-vous les dynamismes régionaux si vous intégrez des adhérents d'autres régions ?

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Fabien Riolet, directeur général de Polepharma

Nous fédérons progressivement l'ensemble des producteurs français de médicaments et leurs fournisseurs. Nous ne cherchons pas à avoir une envergure nationale, mais à conserver une logique de bassin, avec une alliance des bassins – d'où notre implantation en Nouvelle-Aquitaine. Certes, certaines activités peuvent être mutualisées. Cependant, notre identité réside dans le lien entre un bassin industriel et son territoire. Nous travaillons avec nos collectivités territoriales puisque nos destins sont liés. Si l'on parle de formation, d'innovation, d'investissement, nous ne pouvons pas agir sans le travail des régions, ou même des intercommunalités.

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Je serais provocant : vous manquez d'ambition. Vous ne resterez pas à une échelle territoriale et vous devez passer à l'échelon national. Vous devez convaincre de l'intérêt de constituer une « Alliance France Pharmaproduction », qu'elle soit chimique ou biologique, dans un objectif de simplification du nombre d'acteurs potentiels.

Vous mentionnez la Nouvelle-Aquitaine. Or, c'est la seule région de France sans pôle de compétitivité en santé, puisqu'il a rapidement avorté faute d'acteurs et de résultats. C'est un choix. Il n'en reste pas moins que vous aurez aussi besoin de l'Occitanie, car le problème de la bioproduction est de ne pas disposer d'outils et de formateurs de nouvelle génération. Vous devez donc vous adossez à de la recherche de qualité pour une production à des coûts raisonnables, adossez-vous donc à l'Institut national des sciences appliquées (INSA) de Toulouse. Par conséquent, pourquoi n'affichez-vous pas dès à présent une ambition nationale, pour être l'interlocuteur unique des six pôles de compétitivité ?

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Fabien Riolet, directeur général de Polepharma

Nous sommes ambitieux, mais fédérer les bassins de production pharmaceutique demande du temps.

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Quelle est la proportion de producteurs de principes actifs par rapport à l'ensemble des adhérents du cluster ? Quelles ont été les clés du succès de la dynamique de Seratec ? Comment parvenir à une moindre dépendance collective, notamment vis-à-vis de l'Asie ?

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Antoine Reveilleau, président de Seratec, administrateur de Polepharma

Les producteurs de principes actifs sont peu nombreux au sein de Polepharma, soit une douzaine sur environ 360 d'adhérents. De plus, peu d'entreprises ont des capacités de chimie thérapeutique – c'est-à-dire orientées sur les principes actifs pharmaceutiques – du développement de la molécule à sa mise sur le marché. Par ailleurs, dans ce domaine fortement réglementé, l'échelle est plutôt européenne ou internationale, avec par exemple des syndicats et des fabricants européens, tels que l' Active Pharmaceutical Ingredients Committee (APIC).

Seratec est une entreprise familiale initialement destinée à des produits de biochimie. Ma formation de pharmacien m'a amené à travailler avec l'assistance publique, pour couvrir des besoins de médicaments indisponibles sur le marché. Nous avons développé une activité de procédés de fabrication et de contrôle pour de « petites fabrications ». Cette activité de synthèse à façon s'est développée en Europe et sur le marché américain, nous amenant à construire notre propre usine dans l'Eure-et-Loir en 2003. Notre clientèle à l'export nous demandait, jusque dans les années 2000, des certifications de bonnes pratiques que nous ne pouvions pas obtenir en France, mais uniquement, bien plus tard lorsque qu'un régime de déclaration puis d'autorisation a été mis en œuvre, en particulier auprès de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). À l'époque, la seule instance à même de nous auditer et de nous fournir des accréditations était la Food and Drug Administration (FDA), agence fédérale américaine des produits alimentaires et médicamenteux. Les années 2000 ont été majeures pour l'élaboration de lignes directrices internationales dans l'activité de chimie pharmaceutique, avec le conseil international d'harmonisation des exigences techniques pour l'enregistrement des médicaments à usage humain ( International Conference of Harmonisation – ICH) entre l'Amérique du Nord, l'Europe et le Japon. Nous nous sommes démarqués grâce à notre capacité d'innovation alliée à un niveau de contrôle et d'assurance qualité d'excellence – c'est-à-dire supérieur aux niveaux requis. Notre succès tient également au fait que nous offrons à nos clients une solution clé en main, du développement de la molécule à la rédaction des dossiers, afin de protéger nos savoirs.

En outre, la concurrence asiatique a évolué, avec une nette progression en termes de qualité. Certaines installations asiatiques sont désormais performantes. Néanmoins, l'Asie a profité de la désindustrialisation de l'Europe lorsqu'elle était dans une logique « moins-disante » (sur le volet économique, environnemental et qualité), conduisant à son accaparement des marchés. Aujourd'hui, c'est cette capacité globale (du développement expérimental à la mise sur le marché et à la commercialisation) qui est l'élément différenciant assurant le succès de mon entreprise, au-delà de l'assurance qualité et de l'expertise scientifique.

Je dirige Seratec – que je détiens totalement – depuis trente ans, qui regroupe une quarantaine de personnes et génère 4,5 millions d'euros de chiffre d'affaires. Nous avons eu quatre opportunités de molécules innovantes, qui ont très souvent été vendues à des sociétés du National Association of Securities Dealers Automated Quotations (NASDAQ). Nous intervenions du développement expérimental à la mise sur le marché, mais nous rencontrions des difficultés lors de l'étape de la fabrication industrielle. D'une part, elle demandait un investissement trop important à supporter et, d'autre part, les prix indiens étaient largement inférieurs aux nôtres. La difficulté, aujourd'hui, est de pouvoir porter le développement de la molécule – qui génère de l'innovation – jusqu'à sa commercialisation. Polepharma permet de trouver des partenariats – à tous niveaux, scientifique, logistique, et y compris pour l'emballage – et de constituer des réseaux. Nous perdons souvent des produits innovants, car ils sont captés lors de la phase d'industrialisation. Nous devons parvenir à valoriser nos savoir-faire de mise à disposition de principes actifs de la meilleure qualité possible.

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Merci pour votre réponse. Je comprends que les conditions sont difficiles – à cause de la mise en concurrence, de la capitalisation et, peut-être de l'accès compliqué aux fonds d'investissement – et que la réponse à celles-ci réside dans les interactions avec le cluster. Comment le cluster pourrait-il aider Seratec à croître et à tripler de volume et de chiffre d'affaires ?

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Antoine Reveilleau, président de Seratec, administrateur de Polepharma

Je souligne que Seratec est une entreprise familiale, portée par une passion, avec une activité souvent soumise à des cycles. Nous sommes parfois réticents à céder du capital et à prendre des risques avec des tiers.

Par ailleurs, je me suis rapproché d'instances telles que la Banque publique d'investissement (BPI) pour mener des projets de développement capacitaire. Nous pouvons aussi nous adresser à des fonds – souvent étrangers – dans le domaine de la santé. Le développement pharmaceutique est extrêmement coûteux. L'appel à capital demande souvent un investissement étranger en plus de l'investissement minoritaire de la BPI, conduisant ensuite à une perte de l'innovation et du produit à l'étranger – y compris hors d'Europe. Il m'a parfois été reproché par la BPI d'avoir une dimension d'entreprise familiale, considérant que les montants que je sollicitais étaient trop modestes. De plus, notre activité est assez mal comprise et semble risquée à un observateur extérieur – notamment en raison de la réglementation qui l'entoure. L'accès au financement est donc relativement difficile. Peut-être faudrait-il recentrer les missions de la BPI, afin qu'elle soit plus axée sur le développement industriel français que sur sa performance en tant que fonds d'investissement.

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Fabien Riolet, directeur général de Polepharma

Nous pourrions ajouter à cela qu'elle doit parvenir à organiser des conditions loyales de marché et de concurrence. La délocalisation des principes actifs tient autant à la recherche de prix plus faibles qu'au souhait d'échapper à l'augmentation des coûts, induite par les contraintes environnementales européennes et françaises – sachant que ces dernières surtransposent souvent les premières, avec des degrés parfois plus élevés. Ces attentes sont légitimes, mais cela revient à exporter notre pollution, puisque nous importons ensuite des produits qui ne sont pas réalisés dans les conditions que nous exigeons de nos entreprises.

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Philippe Ivanes, directeur des opérations antithrombotiques de Sanofi, président du réseau Polepharma

En outre, comme je l'ai brièvement mentionné, certains pays nous obligent à une fabrication locale pour pouvoir y distribuer les médicaments, ce qui n'est pas notre cas. Cela influe nécessairement sur la délocalisation de la production. Il faut aussi, effectivement, que la réglementation soit équilibrée, afin de ne pas accepter des produits fabriqués avec des règles et contraintes différentes leur permettant d'être plus compétitifs.

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Votre réponse est-elle une invitation à renforcer la réglementation européenne pour favoriser la localisation pour distribution ?

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Philippe Ivanes, directeur des opérations antithrombotiques de Sanofi, président du réseau Polepharma

Oui, effectivement. Une harmonisation européenne aboutirait à une meilleure réponse, car certaines régions d'Europe n'ont pas le même niveau d'exigences, non pas seulement en termes de qualité, mais aussi s'agissant de normes environnementales et en termes d'investissement.

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Le projet européen d'Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire ( Health Emergency Preparedness and Response Authority – HERA) – qui reste à mettre en œuvre – a été annoncé l'année dernière. Pensez-vous qu'elle soit un élément de réponse à cette problématique de la localisation ?

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Philippe Ivanes, directeur des opérations antithrombotiques de Sanofi, président du réseau Polepharma

Ce n'est pas une réponse complète mais c'est un premier pas, qui permettrait un alignement au niveau européen.

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La France – et plus globalement l'Europe – est-elle dépendante des pays asiatiques pour les principes actifs ?

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Antoine Reveilleau, président de Seratec, administrateur de Polepharma

Effectivement, nous sommes dépendants et je crois qu'elle sera définitive. Le principe actif (matière première à usage pharmaceutique) s'appuie souvent sur des processus de fabrication longs, y compris pour les molécules peu complexes, car la réglementation impose une bonne connaissance des produits. De plus, les intrants sont souvent des composés de la chimie lourde, qui sont indisponibles en Europe, car certaines technologies n'y existent quasiment plus, telles que la fluoration, la nitration et la chloration – car elles requièrent des processus chimiques sales, odorants et générateurs de déchets. Ce sont pourtant les premiers maillons des constituants que nous assemblons et faisons réagir ensemble pour produire les principes actifs.

Sommes-nous disposés à réintroduire de la chimie très en amont pour pouvoir fournir ces produits à la fabrication ? Je le crois peu. Par ailleurs, cela ne serait intéressant que sous réserve d'identifier les intrants indispensables et de mettre en œuvre des technologies plus modernes (chimie en continu, chimie verte, chimie sans solvants). Beaucoup de savoirs et d'installations ont été perdus et ont disparu. En outre, certaines technologies effrayent beaucoup la population, telle que la phosgénation. Je ne suis pas confiant quant à la possibilité de réintroduire cette fabrication en amont, alors même qu'elle est un maillon essentiel pour la production et la fabrication. C'est une réelle problématique pour la chimie.

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Cette dépendance portera-t-elle sur l'ensemble des produits ? Ne faudrait-il pas privilégier certains principes actifs, tels que le paracétamol, dans un objectif de souveraineté sanitaire ? Les principes actifs des médicaments de l'hypertension sont en situation de quasi-rupture actuellement.

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Antoine Reveilleau, président de Seratec, administrateur de Polepharma

La problématique est d'identifier les médicaments stratégiques ou essentiels, c'est-à-dire les médicaments d'intérêt thérapeutique majeurs (MITM). Les produits pour lesquels nous ne disposons pas d'alternatives doivent être identifiés comme tels. Les ruptures peuvent survenir à cause de l'indisponibilité des intrants, mais aussi plus généralement à toute étape de la production.

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Fabien Riolet, directeur général de Polepharma

Les propositions remises au CSIS font état de l'intérêt d'identifier une liste de produits thérapeutiques d'intérêt majeur. Certaines listes existent déjà, mais elles sont extrêmement longues. Il faudrait se focaliser sur quelques produits, tout en assurant des conditions de marché adéquates, en jouant sur les prix, ou potentiellement par le biais de la commande publique. En effet, un industriel ne relocalisera pas sa production s'il n'est pas certain de pouvoir ensuite vendre son produit à un prix lui permettant d'obtenir un équilibre. Une aide à l'investissement devrait s'y ajouter. Par ailleurs, il n'est pas nécessaire de rapatrier la totalité de la production des molécules stratégiques. 10 à 15 % suffiraient pour affronter une coupure des approvisionnements en cas de crise.

Il serait également possible, nous l'avons proposé, pour faciliter l'appui de l'État et encourager les industriels en ce sens, de classer ces produits comme relevant de la sécurité nationale – sur la suggestion d'un ancien ministre de la Défense. Cela nous exonérerait de certaines règles européennes, notamment en termes de concurrence, et l'État a pu aider des entreprises de taille intermédiaire (ETI) et des groupes par le biais. Pour reprendre l'expression d'Hubert Védrine, « l'Europe est l'idiot du village mondial et le bon élève de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ».

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J'en reviens à la bioproduction avec deux exemples. Il y a deux ans, CellforCure, composant du Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB), est passé sous pavillon suisse. Plus récemment, Yposkesi, issue de l'AFM-Téléthon et du Généthon, est passée sous le pilotage de la Corée du Sud. Qu'en pensez-vous ? Ne serait-il pas temps pour la bioproduction de réagir ?

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Fabien Riolet, directeur général de Polepharma

C'est une remarque très pertinente. Nous en discutions d'ailleurs en préparant cette réunion. Ce plafond de verre que rencontrent nos startups de bioproduction dans leur phase de développement est inquiétant. Elles sont souvent cofinancées par l'État (avec le soutien des pôles de compétitivité) et les régions. Pourtant, un grand nombre d'entre elles est racheté par des capitaux étrangers. C'est scandaleux, mais je n'ai pas de solution à vous proposer.

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Quel rôle la future agence de l'innovation en santé (AIS) peut-elle avoir pour agir sur ce plafond de verre ?

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Fabien Riolet, directeur général de Polepharma

Polepharma n'est peut-être pas l'acteur le plus légitime pour en discuter, car il se concentre sur le développement et l'industrie. Son rôle serait – mais c'est une évidence – d'assurer un continuum entre la recherche-développement et l'industrie, pour assurer un dialogue des divers acteurs, leur coordination et leur animation, en s'appuyant sur l'ensemble des réseaux. Elle doit s'articuler, aussi, avec l'Alliance France Bioproduction.

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Vous évoquiez aussi la vingtaine de biomédicaments qui pourraient être subventionnés, ainsi que les produits d'intérêt thérapeutique majeur – et je partage la nécessité de politiques fortes en la matière. De votre point de vue, qui en fixe la liste ?

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Antoine Reveilleau, président de Seratec, administrateur de Polepharma

Concernant les MITM, nous proposons d'octroyer des moyens aux autorités d'inspection, notamment à l'ANSM. Quand elle agit sur le marché américain, Seratec doit s'acquitter chaque année de droits auprès de la FDA, pour exister et déposer des dossiers pour de nouvelles molécules actives. Cela peut être interprété comme un conflit d'intérêts, car nous sommes obligés de financer l'organisme d'inspection et d'audit. Nous connaissons l'indépendance de la FDA et la qualité de son expertise. Ces moyens sont indispensables aux autorités pour collecter des informations confidentielles issues de l'industrie, des informations de savoir-faire ou relatives aux affaires économiques. Connaître finement le marché nous permettrait d'identifier et de suivre les causes de rupture et de pénurie de façon confidentielle et, par conséquent, d'établir des listes de produits sensibles. Ce rôle est celui des autorités et non pas celui d'une association. De telles listes justifieraient aux industriels d'investir. Octroyer des financements – ce qui est largement fait aujourd'hui – serait inutile si les conditions d'exploitation de l'investissement industriel ne sont pas réunies.

Au-delà des phénomènes de pénuries, il faut développer une véritable collaboration entre les besoins thérapeutiques et l'industrie de la bioproduction, puisque souvent, les bioproductions sont protégées par des brevets et il n'est pas toujours possible de produire des génériques. L'AIS doit être une interface pour équilibrer les relations, afin que l'industrialisation soit réussie.

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Fabien Riolet, directeur général de Polepharma

Le choix de ces vingt molécules repose sur plusieurs critères, tels que l'intérêt thérapeutique pour les patients et les volumes, car elle doit contribuer et accélérer le développement d'un appareil de bioproduction. Nous devons nous assurer que la production de ces molécules sera opérée en France.

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Philippe Ivanes, directeur des opérations antithrombotiques de Sanofi, président du réseau Polepharma

L'aspect technologique est important lui aussi, car comme nous l'avons évoqué, il apporte une avance qui sera utile dans le développement d'autres produits. Il faut tenir compte de l'intérêt thérapeutique, des aspects technologiques pour développer ce médicament et de la localisation des outils industriels.

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Auriez-vous une recommandation absolue pour remonter dans le classement des producteurs pharmaceutiques européens ?

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Fabien Riolet, directeur général de Polepharma

Elle est simple et il semble que nous prenions ce chemin. Pendant quinze ans, le médicament a été vu comme une variable d'ajustement des déficits des comptes sociaux. C'était rarement le ministère de l'Industrie qui avait le dessus dans les discussions avec le ministère de la Santé et le ministère du Budget. Il faut renouer avec le médicament, comme l'a fait l'Italie, car il est porteur d'enjeux de finances publiques, de finances sociales, des enjeux thérapeutiques et économiques. La crise sanitaire a montré qu'abandonner toute politique et stratégie industrielle pour les médicaments est dangereux : pour les enjeux thérapeutiques de nos populations – puisque nous ne savons plus les produire – et pour les comptes sociaux – puisque nous importons à un coût onéreux des produits étrangers, sans création de valeur sur le territoire français.

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Merci pour ces échanges. Vous pouvez adresser des compléments d'information écrits au secrétariat de la commission si vous le souhaitez.

L'audition s'achève à douze heures trente-cinq.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament

Réunion du jeudi 28 octobre 2021 à 11 h 30

Présents. - M. Frédéric Barbier, M. Jean-Noël Barrot, M. Philippe Berta, M. Guillaume Kasbarian, M. Gérard Leseul

Excusés. - M. Bertrand Bouyx, Mme Véronique Louwagie, M. Jacques Marilossian