Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicamenT
Jeudi 18 novembre 2021
La séance est reprise à seize heures vingt.
(Présidence de M. Guillaume Kasbarian, président)
La commission d'enquête procède à l'audition des représentants de France Angels.
Nous poursuivons nos auditions en recevant une délégation de l'association France Angels, représentant les « investisseurs providentiels » ou business angels français, et de son réseau spécialisé dans le domaine de la santé Angels Santé.
Je souhaite donc la bienvenue à :
– M. Alain Pujol, consultant au sein d'APHC Consulting, co-président de France Angels, membre d'Angels Santé,
– Mme Florence Richardson, présidente de Femmes Business Angels,
– Mme Fabienne Berthet, membre d'Angels Santé
– et M. Benjamin Brehin, délégué général de France Angels.
Je rappellerai qu'un business angel ou « investisseur providentiel » est une personne physique qui investit à titre individuel au capital d'une entreprise innovante, à un stade précoce de création ou en début d'activité à l'amorçage, et met à disposition ses compétences, son expérience, ses réseaux relationnels et une partie de son temps pour accompagner un entrepreneur.
Mesdames, Messieurs, je vous remercie de prendre le temps de répondre à notre invitation. Je vous remercie également de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.
Je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
M. Pujol, Mme Richardson, Mme Berthet et M. Brehin prêtent serment.
Je vous remercie de nous donner l'opportunité de présenter l'activité des business angels. Votre commission d'enquête s'intéresse à la réindustrialisation de la France, notamment dans le domaine de la santé. Nous partagerons nos constats mais surtout nos réflexions sur les voies et moyens qui permettraient à la France de conforter ses fleurons et d'investir les secteurs d'avenir, notamment dans le domaine des nouvelles technologies de la santé.
Je suis ingénieur de formation. J'ai travaillé pendant quinze ans dans l'industrie pharmaceutique. J'ai passé cinq ans chez Sanofi puis dix ans chez Aventis. J'ai pris la direction d'une « jeune pousse » ( start-up ) de biotechnologie puis ai développé en Europe une jeune société américaine dans le domaine du dispositif médical et de la biotechnologie. Depuis dix ans, je suis conseil en innovation ouverte. Je réfléchis aux moyens par lesquels les grands groupes industriels et les start-ups peuvent travailler ensemble et créer de la valeur.
Par ailleurs, je suis membre d'Angels Santé et je suis très actif à l'international. Depuis quelques semaines, je suis coprésident de France Angels, fédération des business angels en France. Ces réseaux rassemblent environ 5 500 business angels et réprésentent un investissement moyen annuel de 50 millions d'euros. Nous sommes une association loi 1901 à but non lucratif, comme la plupart de nos réseaux.
. Je possède une formation d'ingénieure et je suis docteure en chimie. J'ai effectué une carrière dans l'industrie et dans le domaine du conseil, majoritairement en industrie pharmaceutique. Je suis consultante depuis 2015 et membre d'Angels Santé depuis 2016.
J'ai réalisé une carrière d'entrepreneur, puis rejoint France Angels en 2008 pour la professionnalisation des pratiques des business angels. Par la suite, j'en ai pris la direction en tant que délégué général en 2015. Je suis également business angel à titre individuel.
Je suis ingénieure de formation. J'ai travaillé une quinzaine d'années dans le domaine bancaire. J'ai cofondé une entreprise dans le domaine du conseil en organisation commerciale et en externalisation de force de vente, que j'ai développée pendant une dizaine d'années. Depuis dix ans, je travaille essentiellement dans le domaine de l'investissement, notamment dans les start-ups. Je suis présidente de Femmes Business Angels depuis quelques années.
Nous vous avons fait parvenir une liste de questions par lesquelles nous commencerons notre échange. Je souhaiterais que vous décriviez les relations entre Business Angels et les entreprises que vous soutenez. Vous avancez la somme de 50 millions d'euros de prises de participations par an. Dans combien d'entreprises ces participations sont-elles effectuées ? Quelle est la nature de la relation que vous créez avec les entreprises soutenues ? Participez-vous à la gouvernance de ces entreprises ? Dans quelle mesure votre positionnement diffère-t-il de celui des investisseurs plus classiques ?
Les business angels sont des personnes physiques qui investissent au capital de jeunes entreprises innovantes. Par start-ups, nous entendons des sociétés innovantes qui disposent d'un fort potentiel d'adaptation à la croissance. Elles représentent notre cible d'investissement. Nous prenons des parts minoritaires au capital de ces sociétés. Notre apport financier se situe généralement en amorçage. Il représente entre quelques centaines de milliers d'euros et un million et demi d'euros en moyenne sur le premier tour de table. Cet investissement n'est pas uniquement financier.
L'intérêt des business angels a également trait à l'accompagnement et à l'investissement en temps, en expérience et en compétences auprès de l'entrepreneur. L'investissement intervient au tout début de l'aventure et la relation avec l'entrepreneur dure entre trois et dix ans environ, selon les opportunités. Dans ce contexte, à la différence des fonds d'investissement ou des acteurs plus traditionnels du financement, nous offrons donc cet accompagnement direct comme facteur de valeur ajoutée auprès des entreprises.
Ces 50 millions d'euros sont investis par la communauté des business angels regroupés au sein de l'unique fédération française, France Angels. Nous fournissons un effet d'entraînement à ces jeunes entreprises à leur démarrage, qui représente la période de prise de risque la plus importante et qui nécessite par conséquent un accompagnement majeur. Cet effet d'entraînement est de trois : en effet, quand les business angels apportent 100 en capital, l'entreprise récupère par la suite 300 en capitaux. Nous entraînons à notre suite des bureaux de gestion de patrimoine (ou « family office »), des fonds bancaires et d'autres acteurs du financement qui n'investiraient pas dans ces entreprises innovantes sans l'analyse préalable réalisée par les business angels.
Un tiers des investissements que nous réalisons concernent des entreprises que nous refinançons. Nous investissons dans la durée. Nous restons en moyenne 7 à 8 ans dans les entreprises en fonction des secteurs d'activité. Lorsque nous investissons, nous nous attendons à devoir remettre de l'argent une deuxième ou une troisième fois pour pallier les problématiques du marché ou pour accompagner le développement de l'entreprise.
Nous sommes généralement plusieurs investisseurs. Les réseaux de business angels dont France Angels est la fédération rassemblent 5 500 business angels. Nos différents réseaux investissent souvent ensemble. Angels Santé est par exemple spécialisée dans les entreprises de biotechnologie (biotechs), l'appareillage médical et la santé numérique ou e‑santé. Il nous arrive aussi d'investir avec Femmes Business Angels par exemple.
. Sous l'égide de la fédération France Angels sont regroupés 65 réseaux. Ces réseaux peuvent être thématiques, régionaux, ou regrouper les anciens élèves de grandes écoles. Femmes Business Angels est le seul réseau féminin, 90 % des business angels étant des hommes. Ce constat a suscité la création de ce réseau il y a une vingtaine d'années. Nous rassemblons des femmes investisseuses et investissons dans des projets portés aussi bien par des hommes que des femmes. Notre financement de l'entrepreneuriat féminin est toutefois largement supérieur à la moyenne nationale, ce qui est un point important de notre positionnement. En fonction de nos particularités, les entrepreneurs choisissent des réseaux qui leur correspondent pour faire appel aux compétences les plus adéquates. La plupart des dossiers sont cofinancés.
Le tour de table peut rassembler dix à trente business angels qui co-investissent ensemble sur plusieurs tours aux montants croissants. Néanmoins, en termes de gouvernance et d'accompagnement, une seule personne représente l'ensemble des business angels qui ont investi dans la société. Cette personne se fait le porte-parole de la start-up vis-à-vis de la compétence des business angels et des réseaux. Cet accès à des réseaux que nous apportons aux start-ups garantit un relais par rapport aux opérations. Dans le domaine de la santé par exemple, un appui scientifique fort assuré par des médecins référents est très important pour fournir des avis pertinents. Nous apportons cette aide spontanément et avec bienveillance aux entrepreneurs. Cette dimension est unique. Nous coinvestissons également avec des fonds régionaux, chargés du développement régional. Nous avons plaisir à travailler avec ces fonds, qui n'ont souvent pas d'expertise, mais qui témoignent d'une volonté de développer l'emploi et l'attractivité de l'économie dans leur région.
Angels Santé est un réseau de spécialistes sectoriels. Nous sommes le premier réseau de business angels dédié à la santé en Europe. Ce réseau a été créé en 2008 et compte aujourd'hui 120 business angels. Nous investissons dans 50 sociétés. Nous travaillons également avec des membres « corporate » qui contribuent à l'animation du réseau. Nous sommes un réseau national et coinvestissons souvent avec de grands réseaux de business angels, généralistes, régionaux et d'anciens de grandes écoles.
Le ticket moyen est fixé assez librement par chaque réseau. Pour notre réseau, il est demandé de mobiliser au moins 10 000 euros par investissement. Les investissements peuvent être de 20 000 ou 30 000 euros par individu, et d'un montant inférieur pour les réseaux régionaux. Ces chiffres vous donnent un ordre de grandeur du risque d'investissement pris par un business angel.
. Quelles sont les forces et les faiblesses de notre pays par rapport à nos voisins européens et par rapport à l'international en matière d'environnement pour les affaires économiques ?
Nous nous posons souvent cette question. L'entrepreneuriat est désormais très fort en France. Les étudiants des grandes écoles et des facultés de médecine que nous rencontrons aujourd'hui souhaitent entrer dans des start-ups. Dans le domaine de la santé, nous avons la chance de bénéficier d'un environnement hospitalier puissant et structuré. Dans tous les domaines thérapeutiques, il existe des leaders d'opinion de renommée mondiale, comme l'Institut Gustave-Roussy ou l'Institut Curie. En région, d'excellents centres sont reconnus. Dans le domaine de la santé, des incubateurs ont été développés et des structures d'accompagnement existent.
Néanmoins, le nombre de business angels est moins élevé que dans les autres pays européens. Au Royaume-Uni, ils sont trois ou quatre fois plus nombreux pour une population à peu près similaire. Nous avons également un déficit en termes de business angels actifs, c'est-à-dire qui souhaitent investir, par rapport aux autres pays européens. Les raisons sont peut-être en partie culturelles, vis-à-vis de notre rapport à la prise de risque, ou générationnelles. On voit désormais arriver dans nos business angels de jeunes créateurs d'entreprises qui ont revendu leur entreprise et qui souhaitent contribuer et réinvestir. Récemment, les trois créateurs d'une start-up qui a été revendue ont rejoint Angels Santé en forme de reconnaissance de l'accompagnement qu'ils avaient reçu. Aujourd'hui, ils réinvestissent et reprennent les rênes de start-ups grâce à l'expérience qu'ils ont développée. Ces exemples se multiplient.
Quelles mesures en matière de législation, de fiscalité et de régulation permettraient de favoriser votre activité en rendant le contexte économique attractif ? Comment l'État pourrait-il contribuer à mieux financer les start-ups et favoriser leur croissance ?
Les taux et les montants maximums en France sont très inférieurs à ceux des autres pays européens comme la Belgique, l'Italie, l'Allemagne, le Royaume-Uni concernant l'impôt sur le revenu – petites et moyennes entreprises (IR-PME).
Nous avons évoqué la problématique de la culture de prise de risque de la population française par rapport à ses voisins européens. Les mesures d'incitation à la prise de risque et à l'investissement dans les jeunes entreprises innovantes créatrices d'emploi ont été doublées, voire triplées dans certains pays comme la Belgique, l'Italie, l'Allemagne ou le Royaume-Uni ces dernières années. En France, le régime de l'apport-cession a été créé après la suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune comme réduction d'impôts sur le revenu accordée aux particuliers investissant dans une petite et moyenne entreprise (PME). La réduction d'impôt prévue dans ce cadre est passée de 18 % à 25 %, mais cette disposition tarde à entrer en application dans la mesure où nous attendons encore la validation de la Commission européenne. Pour les investisseurs, un vrai problème se pose en termes de stabilité. Alors qu'ils investissent en moyenne sept à huit ans dans une entreprise, ceux-ci ont en effet besoin de plus de visibilité.
De son côté, le Royaume-Uni, qui est le pays qui investit le plus, dispose de deux systèmes fiscaux très intéressants et avantageux pour inciter le fléchage de l'épargne des particuliers dans ces entreprises innovantes. L' Enterprise Investment Scheme (EIS) est un système de déduction de 30 % en faveur des investissements dans de jeunes entreprises de moins de trois ans avec un plafond de 1 million de livres. Le deuxième système, qui concerne les entreprises de 3 à 7 ans révolus, offre une déduction de 50 % jusqu'à 100 000 livres.
En Belgique, le régime de tax shelter permet une déduction de 30 % ou 45 % selon la maturité de l'entreprise dans laquelle on souhaite investir.
En France, cette déduction est de 18 % ou 25 % avec un plafond limité dans le régime global des niches fiscales de 10 000 euros. L'investissement dans l'économie passe en outre après la déduction de l'emploi de personnes à domicile. C'est un véritable frein.
. Il ne faut pas oublier que les business angels interviennent au début de la chaîne de financement, au plus haut degré de risque. 40 % des start-ups ne dépassent pas les cinq ans. Certes, ce pourcentage de perte diminue lorsque les entreprises sont financées et accompagnées, mais le degré de risque reste très élevé. Les business angels investissent leur argent personnel. Il ne s'agit pas uniquement de personnes très fortunées, car cette activité attire également des personnes intéressées par l'économie et l'investissement actif, sans intermédiaires c'est-à-dire « désintermédié », et qui ont une expérience à apporter. Toutefois, il faut que ces personnes puissent sortir, ce qui est compliqué parce que nous ne gérons pas aujourd'hui la durée de nos investissements, et qu'elles puissent avoir un certain amortissement du risque pour pouvoir réinvestir.
. Le partage du risque est important. L'amortissement fiscal permet de partager une partie du risque. Bpifrance garantit certains fonds d'investissement, mais les business angels n'y ont pas droit. Cette situation n'est pas très juste. On peut trouver en cas d'investissements désintermédiés auprès de Bpifrance une garantie sur ces investissements très risqués, mais pas lorsque l'on est individuel. Il conviendrait de garantir ces derniers ou d'amortir le risque avec une fiscalité plus avantageuse.
Le sujet de la sortie est double. Nous devrions pouvoir imputer nos pertes sur le revenu de l'année au lieu de les étaler sur les prochaines années. Une autre solution, plus vertueuse, consisterait à mettre en place une chaîne de financement afin de créer des véhicules d'investissement assurant une liquidité auprès des business angels. Des fonds d'investissement peuvent assurer cette liquidité, mais l'ensemble de l'écosystème doit être mobilisé afin que les business angels continuent à investir et à faire bénéficier les entrepreneurs de leur accompagnement. Le partage de risque et la création de liquidité sont nécessaires pour réinvestir.
J'ai entendu vos préconisations générales pour tous les secteurs de l'économie. Avez-vous des préconisations centrées sur l'industrie pharmaceutique et de santé en général ? Des dispositifs spécifiques devraient-ils être mis en place, outre ce cadre général que vous avez dressé ?
. Mme Richardson a présenté le continuum de financements qui permettrait aux fonds de racheter les investissements primaires. C'est ce que l'on appelle le marché secondaire.
Vous avez auditionné Les Entreprises du médicament (LEEM) et échangé avec M. Jacques Biot. Il existe des sujets inhérents à l'industrie de la santé, notamment sur le remboursement des applications de e-santé, les délais de traitement des dossiers ou la fixation du prix. Les start-ups sont heureuses de constater que la situation est en train de changer. Il faut poursuivre les avancées sur l'harmonisation du prix des médicaments pour que nous puissions valoriser nos start-ups. Concernant les médicaments, les business angels investissent au démarrage de la preuve de concept, lors de l'étude préclinique, et nous sortons généralement au début des études cliniques. Ce sont ensuite d'autres industriels qui poursuivent le financement. La feuille de route de la start-up doit s'étendre jusqu'à cette étape, voire se positionner sur le marché avec les autres médicaments des autres acteurs industriels. Il leur est demandé d'avoir une vue claire sur le développement préclinique, clinique, réglementaire, et toute accélération de ces éléments permettra de nous donner une meilleure visibilité sur le schéma de développement du médicament.
Vous jouez un rôle de conseil et d'accompagnement auprès des entrepreneurs. Comment leur donner le goût d'investir et d'industrialiser en France ? Comment transmettre ce sentiment de fierté d'une production en France plutôt que de suivre une logique d'optimisation des coûts ? Sans cette fibre, en effet, les entrepreneurs sont amenés à produire ailleurs. Partagez-vous ce sentiment de devoir industrialiser et produire en France ? Le cas échéant, comment parvenez-vous à le transmettre aux entrepreneurs que vous aidez ?
. Le « produit en France » ou « made in France » devient un élément phare et fondamental sur le plan commercial et marketing. Les entrepreneurs sont fiers de produire en France et de participer au développement économique de leur pays. Cependant, le financement de projets industriels en phase d'amorçage est encore plus difficile que pour toute autre start-up. Le risque d'une société qui démarre son activité se cumule au risque de l'industrialisation et il est toujours délicat de passer du stade de préindustrialisation à l'étape d'industrialisation.
En outre, ces investissements sont en général moins rentables dans ces start-ups que dans des sociétés plus digitales qui attirent davantage les investisseurs. Le problème est double. Il a trait à la capacité à convaincre les entrepreneurs de produire eux-mêmes en France, ce qui coûte plus cher, et à convaincre les financeurs d'investir dans les entreprises qui optent pour le made in France. Il nous est parfois difficile de financer ces entreprises puisque l'investissement est plus capitalistique, plus long et plus risqué. Je pense toutefois que l'envie existe bien. Les entrepreneurs voudraient faire fabriquer en France, mais face aux difficultés, ils préfèrent externaliser la production pour prendre moins de risques.
. Je partage ce constat. Les entrepreneurs start-upers souhaiteraient se développer sur le marché domestique. Les investisseurs partagent la même envie. Dans les faits, leur décision de produire ailleurs s'explique par un constat d'impuissance et de frustration. Dans le domaine de la santé, il est plus facile de développer un produit aux États-Unis parce que l'accès au marché y est plus simple. Les industriels ont eu à cœur de développer un tissu industriel autour d'eux, également pour les outils de recherche et développement ((R&D) et de production. Les fléchages en subventions publiques sont à mon sens très faibles. Ces subventions se développent pour les biotechnologies, mais pas pour les candidats-médicaments qui bénéficient de peu d'aides. Je pense qu'il y a également des problèmes culturels en santé.
. Dans le domaine de la biotechnologie, les sociétés ne disposent souvent pas de leur propre structure industrielle pour démarrer des lots pilotes. Elles sous-traitent la fabrication de lots de taille importante pour mettre en place des études larges. Cependant, par la suite, la production ne s'effectuera finalement pas au sein de l'entreprise. Nous avons la chance d'avoir des lieux pour faire les lots pilotes et produire en France, dont certains ont bénéficié des initiatives du gouvernement. J'ai en tête plusieurs exemples de sociétés qui vont s'appuyer sur ces structures industrielles.
. Nous avons auditionné le directeur général de Bpifrance. Quel regard en matière de forces et de faiblesses portez-vous sur le modèle de cet acteur ?
. Tous nos partenaires européens nous répètent que Bpifrance est un excellent acteur. Nous travaillons main dans la main sur un grand nombre de thèmes. Cette semaine, nous avons par exemple travaillé avec Bpifrance Création sur l'incitation à l'entrepreneuriat dans les quartiers défavorisés. Beaucoup d'outils existent, et un bon fléchage est nécessaire, car les start-ups rencontrent parfois des difficultés à les identifier pour s'en saisir. Nous souhaiterions travailler davantage avec Bpifrance sur des relais de financement. Son système EuroQuity revêt également une dimension européenne et mondiale, qui nous tient à cœur et que nous voudrions développer dans le domaine de la santé.
. EuroQuity nous apporte une belle reconnaissance : le fait pour une start-up de faire l'objet d'un investissement de la part d'Angels Santé rapporte un label. À partir de trois labels, les entreprises deviennent très visibles et sont scrutées par les investisseurs internationaux.
Nous souhaiterions discuter avec Bpifrance de la question des fonds secondaires, pour permettre aux premiers investisseurs de sortir et réinvestir dans d'autres start-ups.
. Bpifrance est l'acteur central et incontournable de tous les projets que nous accompagnons.
Constatez-vous que les seuils de montants prêtés ou investis ou « tickets d'entrée » de Bpifrance sont satisfaisants ? Correspondent-ils à la typologie de vos demandes ? Sont-ils trop élevés ?
. Concernant les prêts, le prêt d'amorçage investissement est très intéressant, mais il nécessite que l'entrepreneur ait déjà levé 200 000 euros. Ce seuil peut limiter l'accès à ce prêt non dilutif qui s'avère très important pour un entrepreneur qui ouvre pour la première fois son capital. Les business angels sont les premiers investisseurs. Le ticket-type d'un tour de table se situe autour de 350 000 euros. Or certaines entreprises méritent d'être accompagnées sur des tours de table de 100 000 ou 150 000 euros et ne peuvent bénéficier de ce prêt qui est pourtant très intéressant pour un entrepreneur.
Nous avons donc créé Angels Source en 2015. Il s'agit du premier fonds européen dédié au co-investissement auprès des business angels, grâce à l'argent de Bpifrance et du programme d'investissements d'avenir (PIA). Nous avons eu l'opportunité de monter un fonds de 22 millions d'euros. Des business angels ont investi à hauteur de 3 millions d'euros. Le reste de la somme relevait d'une intervention du programme d'investissements d'avenir (PIA) via Bpifrance. Cependant, lorsque nous avons souhaité reproduire cette opération, les règles ont changé. Le seuil minimal du fonds est de 50 millions d'euros. Nous investissons déjà 50 millions d'euros par an. Il nous serait difficile de trouver 25 millions d'euros supplémentaires. Le retour d'expérience du fonds Angels Source est pourtant extrêmement positif. Quelques-unes des 16 participations se sont internationalisées et on a pu observer une professionnalisation de la pratique des business angels. Les seuils minimaux de fonds à mobiliser constituent néanmoins toujours un blocage.
. Les schémas de co-investissement dès l'origine avec des fonds et les business angels fonctionnent très bien. Nous avons pu entrer dans des sociétés avec des relais de financement. Le co-investissement avec des fonds qui disposent des moyens de suivre les deuxièmes et troisièmes tours permet de développer de belles entreprises et d'assurer d'entrer dans des entreprises qui peuvent se développer.
Bpifrance est en effet une institution majeure pour le financement de nos start-ups que nous envient les autres pays. Néanmoins, certains financements sont soumis à des règles liées à la définition européenne d'une entreprise en difficulté. Or les start-ups sont souvent dans des ratios financiers difficiles et cumulent souvent des pertes avant de commencer à gagner de l'argent. Ces règles sont donc une limite pour nous.
. Nos start-ups en santé, et notamment en biotechnologie, ne font pas ou peu de chiffre d'affaires pendant toute leur vie. Ces ratios financiers doivent être retravaillés au cas par cas avec Bpifrance afin que nous puissions utiliser ses instruments pour financer nos startups. Nous souhaiterions donc relayer un message de flexibilité par rapport à l'attribution des différents outils à leur fournir.
. Vous avez indiqué intervenir sur la phase la plus risquée, la phase d'amorçage. J'avais le sentiment que la phase la plus risquée et mobilisatrice en capital était la phase d'industrialisation après le prototypage. Il est souvent difficile de trouver de l'argent lors de cette phase. Le confirmez-vous ?
. Cela dépend de la typologie du projet de santé. Dans le cas du candidat-médicament, la phase la plus risquée est la phase 3 clinique. Elle est assumée par l'industrie pharmaceutique, car la puissance financière nécessaire se chiffre à des centaines de millions d'euros. La start-up va généralement jusqu'aux phases 1 et 2 puis est reprise par un industriel pharmaceutique qui seul peut assumer la phase 3, qui est en effet la plus risquée dans le domaine du médicament. Pour les autres typologies, le risque scientifique technique est connu et le problème relève plutôt du financement pur.
Il existe deux zones de risque. Au démarrage, le risque est important et inhérent à la maturité de l'entreprise. Lors de la phase de croissance, le problème consiste à trouver des montants importants pour que l'entreprise se développe et s'industrialise. Aux Etats-Unis où les liquidités sont abondantes, les jeunes sociétés entrent en bourse pour lever de l'argent avec des résultats risqués. Des fonds d'accompagnement de la croissance français ou européens, notamment dans le domaine de la santé, seraient une solution. Quelques-uns ont été créés récemment.
Nous avons évoqué la chaîne de financement. Les fonds de capital-risque reçoivent 300 à 400 dossiers et investissent dans une dizaine au maximum. Par comparaison, nous investissons dans plus de sociétés. Cependant, sur 100 dossiers reçus, nous n'investissons que dans cinq ou six d'entre eux. Ainsi, quand une start-up démarre, la probabilité qu'elle bénéficie d'investissements, même de la part de business angels, est faible. Il faudrait accroître le nombre de business angels et que la fiscalité change, avec par exemple 10 000 ou 20 000 business angels en plus pour accompagner au mieux les start-ups. Les business angels doivent également savoir se retirer lorsque la société ne marche pas.
. Quel est le retour sur investissement que vous attendez en moyenne et notamment dans le domaine du médicament ?
Les investisseurs posent souvent cette question. Concernant le taux de rentabilité interne (TRI), les statistiques sont complexes à mettre en œuvre. La variabilité est assez importante. Sur 10 investissements, l'un va toujours chuter. Deux ou trois investissements donneront de beaux TRI. Dans le domaine de la santé, notamment en biotechnologie, les TRI peuvent être importants et atteindre un ordre de 10.
. Le TRI moyen est de 3 ou 4 après cinq ou six ans. La problématique se situe à la sortie. 65 % à 70 % des entreprises déjà financées sont encore dans notre portefeuille. Les business angels ne parviennent pas à en sortir. Il s'agit d'un problème culturel très français. Les fonds qui développent une entreprise ne permettent pas de sortir les investisseurs historiques qui ont pris le plus de risques. Le recyclage de l'investissement est une vraie problématique, d'autant plus que nous ne sommes pas assez nombreux pour répondre aux demandes du marché et nous rencontrons des difficultés à faire circuler et réinjecter la liquidité.
. Pensez-vous que Bpifrance devrait créer une enveloppe pour racheter vos sorties au bout de trois ou cinq ans ?
. Ce serait une très bonne idée. Des fonds de secondaire pourraient racheter les participations des business angels afin qu'ils puissent réinvestir ailleurs. D'autres acteurs industriels pourraient également le faire. Des sociétés ou des compagnies d'assurance pourraient pour une fraction limitée participer à ce refinancement.
. Chaque intervenant doit être à sa place dans la chaîne de financement et cette place doit être respectée par l'intervenant suivant. La sortie des premiers investisseurs n'est pas réalisée, ou l'est dans des conditions dégradées. Le cercle vertueux n'est pas atteint. La constitution d'un fonds de rachat secondaire, par exemple par Bpifrance, pourrait offrir une solution alternative qui inciterait peut-être les financeurs de la deuxième vague à faire sortir les premiers investisseurs. En effet, les fonds ont peu d'intérêt à faire sortir les business angels. Des alternatives redonneraient de la liquidité à ce système.
. Les business angels investissent à risque. Tous les Français ne peuvent pas se le permettre, car ces investissements requièrent des compétences économiques, financières et du temps. Une certaine épargne est nécessaire pour investir 5 % à 10 % de son patrimoine liquide personnel dans ces activités à risque. Bpifrance pourrait envisager un fonds secondaire ou un produit financier qui permettrait de flécher une partie de l'épargne dans une entreprise déjà financée par les business angels et coinvesties avec des fonds, sur des entreprises plus matures, pour permettre de faire sortir les business angels et les fonds et de réinjecter de l'argent pour le développement et la création d'emploi d'autres entreprises accompagnées.
. Cette idée fait-elle partie des cinq solutions de mobilisation de l'épargne que vous proposiez il y a quelques mois ?
Dans les différentes propositions, nous avons évoqué l'incitation à la prise de risque. Des produits doivent être inventés pour créer de la liquidité. Il faut inciter les gens à investir mais aussi pouvoir leur dire qu'ils ne seront pas liés à une entreprise pendant six ou sept ans avec le risque de ne pas retrouver leurs liquidités. L'argent de l'épargne des particuliers pourrait ainsi être fléché concrètement dans ces entreprises à fort potentiel de croissance et donc créatrices d'emplois. Ces entreprises sont installées dans l'ensemble des bassins économiques de notre pays. Ces emplois s'en verraient consolidés. Ces mesures font partie de ce que nous proposons en termes de fléchage de mobilisation de l'épargne.
. Nous vous serions reconnaissants de répondre par écrit aux dernières questions de notre questionnaire que nous n'avons pas abordées pour alimenter notre réflexion.
. Mesdames, Messieurs, je vous remercie de la qualité de vos réponses. Je vous propose éventuellement de les compléter par des éléments écrits si vous le souhaitez, que nous intégrerons à nos travaux.
L'audition s'achève à dix-sept heures vingt.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament
Réunion du jeudi 18 novembre mars 2021 à 14 heures 30
Présents. – M. Philippe Berta, M. Guillaume Kasbarian, M. Gérard Leseul
Excusé. – M. Frédéric Barbier, M. Bertrand Bouyx, Mme Carole Bureau-Bonnard, M. Éric Girardin, Mme Véronique Louwagie, M. Jacques Marilossian