Commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences

Réunion du mardi 8 juin 2021 à 14h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • eaux
  • guadeloupe
  • usagers
  • veolia
Répartition par groupes du travail de cette réunion de commission

  France Insoumise    En Marche  

La réunion

Source

COMMISSION D'ENQUÊTE relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intÉRÊts privés et ses conséquences

Mardi 8 juin 2021

La séance est ouverte à quatorze heures

(Présidence de Mme Mathilde Panot, présidente de la commission)

La commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences, procède à la table ronde réunissant les associations de protection de l'eau en Guadeloupe

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous reprenons les auditions de la commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences, consacrées à la situation et à la gestion de l'eau en Guadeloupe.

Dans un premier temps, nous allons recevoir les acteurs du monde associatif, avec les représentants suivants :

‑ Mme Flavie Danois, présidente de l'Association des usagers Eaux de Guadeloupe,

‑ M. Harry Olivier, président de la Fédération des associations d'usagers de l'eau de Guadeloupe (FADUEG),

‑ M. Alain Lascary, président de la confédération syndicale des familles de Guadeloupe,

‑ M. Jean-Luc Touly, président du Front républicain d'intervention contre la corruption,

‑ M. Jacques Davila, secrétaire général du Comité de l'eau et de l'environnement,

‑ M. Alain-Félix Flemin, secrétaire général et M. Christian Celeste, membre du bureau politique du Parti communiste guadeloupéen,

‑ M. Camille César-Auguste, président de l'Association de défense des consommateurs et usagers, consommation logement et cadre de vie (CLCV) de Guadeloupe.

Mesdames, Messieurs, je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de prendre le temps de répondre à notre invitation. Vous pourrez compléter vos déclarations par écrit.

Je vous remercie de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

Les personnes auditionnées prêtent serment.

Permalien
Harry Olivier, président de la Fédération des associations d'usagers de l'eau de Guadeloupe (FADUEG)

J'interviens ici également en tant que président de l'association Collectif citoyen Guadeloupe, et auteur du projet de réorganisation de la gestion de l'eau en Guadeloupe.

Dans le débat qui nous occupe, la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions a marqué un avant et un après, en conférant de plus amples pouvoirs aux élus locaux par une nouvelle attribution de certaines responsabilités.

Je remercie ceux qui ont œuvré à la création de cette commission que nous appelions de nos vœux, considérant que cet outil de la République permettra enfin d'apporter des réponses aux questions que nous nous posons depuis des années. Comment a-t-on pu en arriver à la situation actuelle, où l'eau ne coule pas dans les robinets et, quand bien même c'est le cas, nul n'est en mesure de garantir qu'elle soit potable ?

Il appartient pourtant au fermier de veiller à la conformité de l'eau aux normes de potabilité afin que les usagers puissent la consommer en toute confiance et en toute sécurité. Depuis plusieurs années, les abonnés au réseau, en Guadeloupe, ont hélas perdu confiance en les fermiers et les opérateurs, qui les ont abandonnés, essayant de leur extorquer des factures irrégulières, à cause de compteurs absents ou défaillants, ou de variations de pression dans le réseau de distribution, nuisant à la qualité du service.

Les usagers ont déjà payé la remise en état du réseau et n'ont pas l'intention de payer de nouveau pour corriger les errements des responsables de la gestion de l'eau.

De multiples rapports ont montré que le problème vient du réseau de distribution, en si mauvais état que plus de 60 % de l'eau produite dans les usines s'y perd. La solution réside dans un réseau neuf. Nous demandons donc la création, sans délai, d'un réseau neuf, indépendant du réseau existant, et garantissant l'arrivée jusqu'aux robinets de l'eau potable produite. La construction de ce réseau doit commencer sans attendre et non, comme l'avancent les élus, d'ici cinq à dix ans. Il en va de même pour qui souhaite bâtir une maison où se loger : cette personne contracte un prêt, dont le remboursement s'étale dans le temps.

Il n'existe pas trente-six solutions. Les responsables de la gestion de l'eau doivent mettre la main à la poche. J'espère d'ailleurs que la commission établira clairement les responsabilités des uns et des autres.

Concernant les problèmes de facturation, il faudra nous expliquer pourquoi nous payons de l'octroi de mer, à combien s'élève la récolte de cet octroi de mer chaque année et à quoi servent les sommes prélevées à ce titre.

Permalien
Alain Lascary, président de la Confédération syndicale des familles de Guadeloupe

Depuis la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, soit pendant près de quarante ans, un peu plus de 352 000 abonnés au réseau de distribution d'eau en Guadeloupe ont payé plus de 782 millions d'euros pour entretenir ce réseau aujourd'hui défaillant. Il faut aujourd'hui que les fermiers et opérateurs, mais aussi les acteurs politiques, nous rendent compte de l'emploi de ces millions, dont le mésusage explique nos déboires. Où est passé l'argent ? Qui sont les responsables ?

Les factures aujourd'hui prescrites couvrent une période de sept ans.

Enfin, quelle équipe va prendre en charge la gestion de l'eau ? Quelle restructuration cette gestion va-t-elle subir ? Les associations de défense de la population s'accordent toutes sur un point : nous ne saurions en aucun cas reprendre la même équipe, notamment politique, pour restructurer la gestion de l'eau, dans l'intérêt de la population. Si l'on ne change pas une équipe qui gagne, dans le cas qui nous occupe, l'échec manifeste de l'équipe en place nous contraint à la remplacer.

Nous voulons, nous, représentants des usagers, participer à la nouvelle organisation. Nous devons désormais donner le la. Il n'y a pas à tergiverser : la structure à créer devra accueillir des représentants des usagers, peu importe qu'elle prenne la forme d'un syndicat mixte ouvert (SMO) ou d'un syndicat unique. La population guadeloupéenne doit pouvoir compter sur nous. Nous ne saurions laisser ceux qui ont dilapidé les fonds continuer à nous donner des ordres.

Permalien
Jean-Luc Touly, président du Front républicain d'intervention contre la corruption (FRICC)

Mon association et la fondation Danielle Mitterrand, où j'ai été responsable de l'eau durant une dizaine d'années, attendions la création d'une commission d'enquête sur la gestion de l'eau en France et, en particulier, en Martinique et en Guadeloupe. J'ai travaillé pendant une quarantaine d'années pour Veolia, qui m'a licencié à deux reprises. Cette entreprise a donné la preuve de son incurie en Guadeloupe, avec la complicité d'élus ignorants, ou pire encore.

J'ai assumé le rôle de délégué syndical chez Veolia, où les syndicats se montrent curieusement proches du patronat. J'ai créé, avec Danielle Mitterrand, l'association pour un contrat mondial de l'eau. J'ai été conseiller régional en Île-de-France. J'ai appartenu au comité national de l'eau, où j'ai côtoyé des élus guadeloupéens, peu diserts sur la gestion de l'eau dans leur département. J'ai co-écrit L'eau des multinationales : les vérités inavouables, et participé au documentaire Water Makes Money, qui en dit long sur la situation en France et en Europe. Enfin, j'ai déposé, avec les associations locales, 3 plaintes pénales en Martinique contre la société martiniquaise des eaux, émanation de Suez, et contre la Générale des eaux. Je suis à présent délégué du Syndicat des eaux d'Ile-de-France (SEDIF) qui, depuis 1923, collabore avec Veolia.

Le SEDIF a récemment reconduit la délégation de service public (DSP) en fixant à 1,30 euro le prix du mètre cube d'eau hors taxe. Ce prix s'avère deux à trois fois plus élevé en Martinique. Bien que je préfère le système de la régie, ces chiffres laissent penser que le contrôle de la gestion de l'eau par les élus permet d'éviter certaines disparités invraisemblables.

Les cabinets d'audit sollicités par les fermiers ou les concessionnaires sont souvent des filiales de ces grands groupes, comme le montre l'exemple de la société anonyme française d'études de gestion et d'entreprises (Safège), filiale de Suez. Depuis 2010, Suez, que Veolia s'apprête à racheter, a la mainmise sur la gestion de l'eau dans toute l'Outre-mer, à l'exception de la Guadeloupe. Nous en revenons donc toujours aux mêmes acteurs.

Depuis le départ de la Générale des eaux Guadeloupe, donc de Veolia, en 2017, la société Karukér'Ô a tenté, avec l'aval de certains élus et du préfet, de réparer les fuites du réseau. Cette société appartient au groupe Suez. Il convient donc de rester vigilant.

La responsabilité de la situation actuelle revient d'abord à la Générale des eaux, et dans une moindre mesure, au groupe Saur et à Suez, à travers la Nantaise des eaux. Il appartenait aux élus de contrôler leurs performances, or ils ont failli à leur tâche.

L'arrivée en Guadeloupe de la Générale des eaux remonte à 1947, bien que son installation effective date de 1977. J'ai moi-même interrogé, en 2016, l'assemblée générale des actionnaires de Veolia sur les raisons du départ de l'entreprise l'année suivante. En réalité, Veolia craignait un retour de manivelle, car les médias et les usagers commençaient à dénoncer sa gestion scandaleuse. La crise de la Covid-19 n'a fait qu'aggraver la situation. Les actionnaires sont tout de même partis en empochant un chèque de 14 millions d'euros. Il y a lieu de se demander ce qui justifie un tel montant, au vu des 60 % d'eau perdus par les fuites du réseau. Le renouvellement de ce réseau n'était prévu que tous les quelques siècles, alors que la durée de vie d'une infrastructure de ce type n'excède pas, en principe, soixante à quatre-vingts ans. Le prix de l'eau apparaît en outre deux à trois fois plus élevé en Guadeloupe qu'en métropole. Enfin, l'assainissement n'y est quasiment pas assuré.

Comment de simples usagers peuvent-ils vérifier ce que j'avance ? Les entreprises concernées, qui complexifient à loisir leur gestion, ne communiquent hélas que peu d'éléments.

Depuis 1995, des rapports annuels des délégataires doivent, une fois soumis à l'autorité publique, déboucher sur des rapports relatifs au prix et à la qualité de l'eau et de l'assainissement. En Guadeloupe, il n'est malheureusement pas aisé de se procurer de tels documents, trop souvent inexistants ou à tout le moins non réglementaires. Ils représentent pourtant le seul moyen, pour qui s'intéresse à ces questions, d'analyser le rendement du système, ou la qualité de l'eau. En résumé, la situation en Guadeloupe est pire que tout ce qu'on pourrait imaginer, même en Afrique. La loi n° 2013-312 du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes, dite loi Brottes, puis le Conseil constitutionnel, ont en principe interdit les coupures d'eau, or celles-ci continuent dans un département français. Le droit à l'eau, reconnu en 2010, n'est donc pas appliqué en Guadeloupe.

Les rapports annuels du délégataire incluent en théorie le compte annuel de résultat d'exploitation. Celui-ci permet de se rendre compte d'une éventuelle surfacturation des frais de personnel et d'une sous-estimation ou, au contraire, d'une surévaluation des provisions pour renouvellement. Comment croire que les sociétés délégataires subissent les pertes qu'elles déclarent et qui leur évitent toute imposition ? Je souhaite, avec les associations locales, déposer des plaintes pour détournement de fonds publics à l'encontre des principaux responsables, à savoir : la Générale des eaux Guadeloupe, le groupe Saur et la Nantaise des eaux.

Les élus, qui n'ont rien contrôlé, séjournaient, dans les années 2000 et 2010, en Australie, en Argentine ou à Paris dans des hôtels de luxe. Dénoncer la corruption ne règlera toutefois pas le problème. La solution ne viendra pas non plus d'une augmentation de la facture, déjà trop élevée. L'État, coupable d'un certain laisser-aller, ne serait-ce que parce que les préfets ne l'ont pas toujours alerté, devra verser des centaines de millions d'euros. Une estimation chiffre à près de 900 millions d'euros le coût de la réfection du réseau, vieux de plusieurs dizaines d'années.

Depuis cinq ou six ans, la création d'un syndicat unique est préconisée. La mutualisation relève d'une belle idée. Seulement, il faudra d'abord former les associations d'usagers à la gouvernance, pour qu'elles participent efficacement aux commissions consultatives ou de contrôle financier, peut-être dans le cadre d'une régie de l'ensemble de l'île. Des représentants d'associations pourraient siéger à son conseil d'administration en y disposant d'une voix, non pas consultative, mais délibérative.

L'État doit en tout cas mettre la main à la poche. Un tel retard s'est accumulé dans les travaux à réaliser que le recours au secteur privé, qui bénéficierait une fois de plus d'avantages indus, ne règlera rien. Les 800 à 900 millions d'euros nécessaires pour acheminer de l'eau en continu en période de crise sanitaire ne pourront venir que de l'État. Jusqu'ici, personne n'a mis en cause devant la moindre juridiction les responsables de ce scandale, à savoir la Générale des eaux Guadeloupe, et certains élus qui ont bénéficié des largesses de cette société ou l'ont laissée faire par ignorance, par facilité ou encore en vue de leur réélection.

L'argent est bien évidemment passé dans les dividendes de Veolia.

Permalien
Jacques Davila

, secrétaire général du Comité de l'eau et de l'environnement (C2E), et délégué départemental du FRICC. Il existe deux fédérations d'associations d'usagers. M. Olivier préside la plus petite. L'autre, qui regroupe le plus grand nombre d'associations, sous la présidence de M. Ismar Oguenin, n'a malheureusement pas été conviée à s'exprimer. J'estimerais pourtant souhaitable que votre commission l'auditionne.

Je souscris entièrement aux propos de MM. Touly et Lascary. Je suis le plus âgé de tous ceux ici présents et le seul membre de l'association nationale, agréée par l'institut des techniques sanitaires, pour concourir en vue de la conception et de la réalisation de stations d'épuration et d'unités de traitement d'eau. Je suis, aux Antilles, le seul autochtone à avoir réalisé, à la fois en entreprise et en bureau d'études, des unités de traitement des eaux parmi les plus conséquentes en taille, avec les meilleures entreprises de France voire d'Europe. Je suis également intervenu dans le tiers-monde et à Monaco, dont la station d'épuration a bénéficié de notre expertise en milieu sismique.

La plupart des réseaux d'eau potable ou d'assainissement en Guadeloupe ne sont pas conçus pour résister aux tremblements de terre. Les ouvrages réalisés jusqu'ici dans le département ne répondent ni aux normes Eurocode 2, ni aux normes Eurocode 8. Les problèmes du foncier ne sont pas résolus, parce que la plupart des gros chantiers n'ont pas fait l'objet de déclarations d'utilité publique. J'ai, à ce propos, dû me chamailler avec les services de l'État, responsables, en amont, de l'absence de prise en compte des problèmes fonciers liés aux traversées de terrain. La situation du vélodrome au-dessus d'un gros videur en fournit la preuve. Certains lotissements ou villas s'élèvent au-dessus de réseaux publics sans que leurs propriétaires le sachent, avec tous les risques que cela comporte.

Le contrôle de légalité n'a pas lieu en Guadeloupe comme en métropole. Les autorités organisatrices ne procèdent pas aux contrôles que le code général des collectivités territoriales leur impose pourtant de réaliser elles-mêmes. Au terme d'une DSP, l'autorité organisatrice a l'obligation, en cas d'avenant au contrat, de mettre en place une commission de contrôle financier, et une commission locale d'évaluation des charges transférées. Il n'en existe pourtant pas en Guadeloupe.

Une certaine confusion est entretenue. La Générale des eaux est responsable de la situation actuelle, au même titre que l'État. Celui-ci, censé gérer la police de l'eau, n'a pas fait son travail. L'incurie, l'impéritie, le laxisme et certaines habitudes ultramarines ont conduit à la situation présente, qui rappelle la fable du pot de terre contre le pot de fer. La justice n'est pas rendue, notamment parce que les usagers n'ont pas saisi les tribunaux. Depuis quelques années, une nouvelle génération d'usagers, avec courage et détermination, a toutefois entamé des poursuites. La nécessité les a poussés à recourir à tous les moyens à leur portée. Seulement, les habitudes, surtout celles prises en outre-mer, ne se changent pas par décret. Même si des associations ont commencé à se réveiller, il reste nécessaire de former les usagers pour lutter contre le défaut de compétences de certains.

Une loi prévoit la création d'un SMO, notamment pour contraindre Cap excellence à y adhérer, ce que cette communauté d'agglomération refusait jusque-là, sans raison justifiée. Une commission de surveillance verra le jour, sans hélas disposer des moyens ni de l'agilité opérationnelle d'un conseil de surveillance pour intervenir efficacement. Il a été décidé, sans la moindre délibération, que son comité de préfiguration serait co-présidé par l'actuel président du Syndicat intercommunal d'alimentation en eau et d'assainissement de la Guadeloupe (SIAEAG), ancien médiateur entre la Générale des eaux et le SIAEAG. Vous comprenez les préventions que de telles manœuvres suscitent chez les usagers.

Parmi les chefs de groupe opérationnels figurera l'ancien directeur général technique du SIAEAG, qui y a fait toute sa carrière. Des collusions apparaissent entre l'expert-comptable et certains élus, dont Guy Losbar, maire de Petit-Bourg. En somme, les personnes appelées à rejoindre le SMO étaient déjà partie prenante de l'ancien système, alors que notre association combat leurs méthodes et leurs pratiques. Nous ne voulons pas que ce SMO leur serve de structure de reclassement.

La mainmise des sociétés privées sur la gestion de l'eau en Guadeloupe a été mûrement conçue. La confusion est entretenue entre le SIAEAG et la Générale des eaux. En 2008, le SIAEAG a suspendu sa délégation, qui s'est dès lors transformée en prestation de service. Nul n'ignore les différences fondamentales entre les clauses d'un contrat de délégation et de prestation de service. L'inertie chronique de ceux qui incarnent la démocratie représentative de l'opinion publique nous interpelle. C'est l'acceptation de ce genre de manœuvres qui a conduit au désengagement progressif de la Générale des eaux. Personne n'a instauré de commission de contrôle financier ni de commission locale d'évaluation des charges transférées, comme y oblige pourtant la législation. Les commissions consultatives des services publics locaux (CCSPL), réunissant quelques usagers mal formés à leur mission, se réunissaient une fois l'an avant de produire un rapport que nul ne lisait.

En somme, les problèmes se sont accumulés avec la complicité passive de l'État. La Guadeloupe dispose d'une antenne du parquet financier depuis moins de deux ans. Bien que la chambre régionale des comptes (CRC) compte désormais plus d'effectifs, lui ayant permis d'améliorer la qualité de son travail, jamais la préfecture, chargée de donner suite aux avis de la CRC, n'a saisi le parquet financier.

Les écocides en Guadeloupe sont de notoriété publique. Je ne songe pas seulement au chlordécone et autres pesticides mais aux stations d'épuration qui ne fonctionnent pas. Le maire de Petit-Bourg, président de la Communauté d'agglomération du Nord Basse-Terre (CANBT) a défrayé la chronique en lançant des appels d'offres à tout-va. Il a délégué une maîtrise d'ouvrage au SIAEAG, dont le président figure sur la même liste électorale que lui.

La détermination de l'assiette de l'octroi de mer s'avère en outre contraire à la législation, car la base utilisée pour son calcul inclut le montant des abonnements. La taxe additionnelle à l'octroi de mer interne ne concerne en principe que la production d'eau brute transformée en eau potable.

J'estime important que votre commission fasse la lumière sur ce qu'il s'est passé afin que la qualité des services s'améliore. Ceux-ci doivent, autant que possible, répondre aux attentes des usagers. Une administration véritablement opérationnelle inclurait un conseil en lieu d'une simple commission de surveillance. Doté de pouvoirs réels, il serait en mesure de résoudre les problèmes auxquels nous nous confrontons, et qui ne sauraient perdurer.

Permalien
Flavie Danois, présidente de l'Association des usagers Eaux de Guadeloupe

En tant qu'infirmière diplômée d'État, j'ai toujours défendu le droit de vivre en bonne santé et les droits de ceux qui ne disposent pas des moyens de s'expliquer. Peu importe, selon moi, la taille d'une fédération. Seul compte l'intérêt pour le bien-être de la population guadeloupéenne.

Depuis quatre ou cinq jours, il n'arrive plus d'eau à mon domicile. Voilà le genre de situation qui interpelle la population. Ne revenons pas sur le passé. Qui a établi le cahier des charges ? Éclaircir ce point permettrait de déterminer les responsabilités des uns et des autres. Il faudrait savoir qui était le concédant. La situation actuelle est trouble. Nous entendons dans les médias tout et n'importe quoi, y compris des délations, fondées ou non. Malgré la petite taille de notre structure, nous lisons la presse. Je vous ai communiqué les informations dont je dispose pour que les autorités étatiques en prennent connaissance.

La Guadeloupe dispose de suffisamment d'eau. La ressource en tant que telle ne manque pas. Le problème vient des canalisations non entretenues. Notre association n'a eu de cesse, depuis 2014, d'alerter sur des risques de pénurie. Nous avons entrepris des démarches auprès du SIAEAG, de Cap excellence et des autres établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) pour rencontrer leurs responsables. Le directeur du SIAEAG, qui a entre-temps quitté son poste, nous a donné sa version des faits. Nous nous sommes alors aperçus que des promesses n'avaient pas été tenues. Je ne prends la défense ni du SIAEAG ni de personne d'autre.

Le système d'adduction d'eau en Guadeloupe a aujourd'hui l'âge de mon fils : cinquante-quatre ans. À l'époque de sa naissance, notre eau provenait des rivières et des cours d'eau. Je resterai terre-à-terre, c'est-à-dire proche du terrain. Des contrats ont été signés avec des sociétés privées pour l'entretien des réseaux. Seulement, ils n'ont pas été respectés. Les EPCI n'ont pas tenu compte des courriers les enjoignant à entretenir les canalisations.

Certains voudraient aujourd'hui faire passer les Guadeloupéens pour des resquilleurs, or les usagers de notre département ont toujours payé leur eau rubis sur l'ongle, même quand ils n'avaient pas de quoi manger. Les factures d'eau couvrent en principe le coût du captage de l'eau dans les cours d'eau ou les nappes phréatiques, de son stockage, de son traitement et de son acheminement jusqu'aux compteurs en location. Il existe d'ailleurs plusieurs catégories de compteurs (A, B ou C), aux durées de vie de six, neuf ou douze ans. Depuis leur installation, en même temps que la création de l'adduction d'eau, il aurait donc fallu les changer ou du moins les réétalonner, ce qui n'a pas été fait. Qui s'est rendu complice de cette incurie ?

Il s'avère impossible de faire confiance à qui que ce soit, puisque les mêmes acteurs ne cessent de revenir aux affaires, malgré les changements de nom des sociétés. Ces loups se déguisent en moutons. Franchement, les multinationales méritent-elles notre confiance ?

Il faut aller de l'avant, chercher les coupables et les faire payer, car notre argent a disparu. J'ai interpellé le Président de la République lors de sa venue, pour que nous sachions où sont passés les fonds de l'État destinés à l'eau en Guadeloupe. Ces sommes ont été détournées de leur objectif, d'où nos difficultés présentes.

L'important, à nos yeux, reste la remise aux normes du réseau, aussi bien de distribution que de production et de stockage. Qui paiera les dettes colossales qui en résulteront ? Une rumeur fait état d'un triplement du prix de l'eau. Nous ne pouvons tout de même pas payer un service public défaillant. En l'absence d'eau au robinet, nous devons acheter des bouteilles d'eau. Mais une mère de famille fera-t-elle la toilette de ses enfants avec de l'eau minérale ? L'achat d'une citerne pour collecter de l'eau de pluie m'a coûté 7 000 euros. Il s'agit d'une question de santé publique.

Les mesures de protection contre la Covid-19 supposent le lavage fréquent des mains. Comment les personnes en situation précaire pourraient-elles appliquer les gestes barrière dans de telles conditions ? De nombreux Guadeloupéens vivent du revenu de solidarité active (RSA). Il ne faut pas s'étonner de la propagation croissante du coronavirus dans notre département. Heureusement, notre population a une santé de fer, sinon, nous serions déjà tous contaminés.

Certes, il faut former les responsables des associations. Néanmoins, l'impression me vient aussi que certaines personnes profitent de leurs connaissances pour s'exprimer au nom de ceux qui se battent au quotidien. Visitent-elles les usines ? Parlent-elles à l'homme de la rue ?

Les propositions jusqu'ici adressées aux usagers ne correspondent pas à nos demandes. Nous ne réclamions pas de fauteuils rembourrés. Seulement, seuls des strapontins nous sont accordés, sur lesquels nous ne pourrons pas nous appuyer. Il s'agit là d'un manque de respect envers les petits payeurs. J'estime dommage que nous continuions à nous battre sans que la situation s'améliore. Votre commission rendra un avis grâce auquel, espérons-le, des avancées auront lieu, de manière à ce que le service public nous apporte de l'eau potable de qualité en quantité suffisante.

Permalien
Alain-Félix Flemin, secrétaire général du Parti communiste guadeloupéen

Dès le début des années 1990, des problèmes relatifs aux compteurs ont entraîné des facturations abusives, et dès lors contestées, en particulier dans la commune de Capesterre-Belle-Eau. La question fondamentale de la distribution de l'eau a dès lors surgi.

Les conseillers régionaux Christian Céleste et Mona Cadoce, élus du Parti communiste guadeloupéen, que je représente, ont adressé, le 6 mai 1996, au conseil régional, au conseil général, aux représentants de l'État et au comité de l'eau de l'époque, des propositions réitérées en février 1997 et qui n'ont rien perdu de leur actualité.

Notre parti partage les constats posés jusqu'ici. N'en demeure pas moins la question de ce copier-coller institutionnel auquel nous sommes confrontés. La question de l'eau englobe l'assainissement, collectif ou non, le traitement des eaux usées, sans oublier la loi n° 2017-1838 du 30 décembre 2017 relative à l'exercice des compétences des collectivités territoriales dans le domaine de la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations (GEMAPI). Les communes, à présent regroupées dans les communautés d'agglomération, interviennent au même titre que les conseils général et régional ou encore que l'État. Il en résulte un enchevêtrement d'institutions sur de mêmes territoires, qui explique la paralysie du système. Trop de structures ont été mises en place par la législation, comme l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA) ou encore le Schéma national des données sur l'eau (SNDE). Cependant, aucun organisme ne s'occupe de la politique de l'eau en tant que telle.

Notre proposition porte, pour cette raison, en premier lieu sur la gouvernance de l'eau, qu'il convient de simplifier. Les élus doivent y participer, mais pas ceux de chaque institution, sous peine de se retrouver face à un panier à crabes. Il faudra découpler la gestion de l'eau de celle du territoire dans son ensemble. Nous souhaitons donc une instance de gouvernance unique, regroupant les compétences et les attributions de tous les organismes, y compris ceux que j'ai omis de citer. Cette instance doit réunir des représentants des usagers et des salariés pour participer à la décision publique au côté des élus. Au risque d'énoncer une évidence, je rappelle que l'eau constitue un bien public, une richesse, l'or bleu, et une ressource indispensable à la vie. Nous devons la soustraire à la course au profit.

Notre proposition concerne en second lieu la gestion de ce bien public. Nous préconisons la création d'une entreprise publique. Il faut en finir avec les DSP au profit de multinationales. Le secteur privé, nullement philanthrope, ne vise que le profit, dans une logique capitaliste. La gestion de l'eau, de sa production jusqu'à sa distribution en passant par son traitement, doit relever d'une entreprise publique intégrée, sur le modèle de la gestion de l'électricité, afin d'apporter une eau de qualité, en quantité suffisante, aux usagers, où qu'ils résident.

Enfin, les responsables doivent répondre devant la justice de leur gestion de l'eau. La nécessité de remédier dans l'urgence aux problèmes d'eau du département ne saurait en aucun cas suspendre cette démarche. Les coupables doivent payer. En dernier ressort, la responsabilité de la situation incombe aux pouvoirs publics et d'abord à l'État, qui a fermé les yeux. Au service des puissants, il a cautionné l'action des multinationales. Il lui revient donc de financer les travaux nécessaires à la satisfaction des besoins des usagers. Votre commission gagnerait à formuler des propositions concrètes en ce sens. Les usagers ont déjà payé leur eau, un bien indispensable, qui ne leur est pourtant pas fourni.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La rénovation du réseau d'eau potable et d'assainissement devrait entraîner un coût de 900 millions à un milliard d'euros. Qui doit, selon vous, l'assumer ?

Plusieurs personnes que nous avons auditionnées hier ont estimé impossible d'employer à bon escient, dans un premier temps, une somme supérieure aux 71 millions d'euros déjà prévus par le plan d'actions prioritaires. Leur donnez-vous raison ?

Permalien
Jean-Luc Touly, président du Front républicain d'intervention contre la corruption (FRICC)

Il faut demander des comptes aux sociétés privées à qui le réseau est confié depuis des décennies, mais sans négocier avec elles, en les traînant au contraire devant les tribunaux. Au lieu d'assurer un service public aux usagers, Veolia a versé des dividendes à ses actionnaires. Pour autant, une action en justice ne suffira pas à financer la réfection du réseau. L'État qui aurait dû contrôler ces entreprises doit mettre la main à la poche. La Guadeloupe est un département comme un autre. Il n'y a pas de raison que l'eau y coûte deux à trois fois plus cher qu'en métropole, malgré la lamentable qualité du service.

Permalien
Christian Céleste

, membre du bureau politique du parti communiste guadeloupéen. Nous n'allons pas demander de financer ces travaux aux usagers, qui ont déjà payé. J'ajouterai même qu'il faut annuler, de toute urgence, les factures indues. Seul un service rendu mérite d'être rémunéré, ce qui n'est pas le cas de la fourniture en eau, depuis une trentaine d'années.

La gestion de l'eau en Guadeloupe est confrontée à une crise majeure. L'État a un rôle capital à jouer. L'eau est un droit humain. La loi stipule que tous les citoyens ont droit à l'accès à l'eau et à l'assainissement. Il appartient à l'État de fournir à la Guadeloupe les moyens nécessaires à l'application de ce droit, pourquoi pas en sollicitant les autorités européennes. Lors de la crise des subprimes, l'État a bien été capable de débourser des milliards à la rescousse des banques. En cette période de crise pandémique aussi, il soutient financièrement les entreprises, ce dont il faut d'ailleurs se féliciter.

Concernant l'eau, l'État français doit mettre en place un plan d'intervention, sorte de plan Marshall, de remise en ordre et en état du réseau, des usines et des lieux de prélèvement de la ressource. Au niveau européen, une agence de l'eau prévoit de financer des investissements, entre autres, dans les réseaux. Nous devrons nous tourner aussi vers elle.

Certes, il est impératif de poursuivre les fraudeurs, mais la justice est lente, or il faut de toute urgence, dès aujourd'hui, mettre en place, avec les élus guadeloupéens, un plan global pour l'eau en Guadeloupe. La loi ordonnant la création d'une structure libre de l'eau dans notre département est en réalité nulle et non avenue. Elle n'a servi qu'à détourner l'attention et mettre hors-jeu les élus guadeloupéens.

Il conviendrait de revoir la base de calcul du prix unique de l'eau. Ce prix doit être fonction du service à rendre, sans prendre en compte les investissements lourds, du ressort de l'État et des collectivités.

Concernant la ressource en eau proprement dite, nous devrions explorer le dessalement de l'eau de mer.

Permalien
Harry Olivier, président de la Fédération des associations d'usagers de l'eau de Guadeloupe (FADUEG)

71 millions d'euros ont été consacrés à des réquisitions et des travaux d'urgence en 2018. Quand la fin des tours d'eau nous a été annoncée pour 2020, nous avons déclaré au préfet qu'une telle promesse n'était pas tenable, pour la simple raison que le plan d'actions prioritaires visait à réparer des fuites en raccordant des bouts de tuyaux neufs à d'autres en mauvais état. Or, lors de la mise sous pression d'un tronçon neuf entre Le Gosier et Sainte-Anne, les anciennes canalisations alentour ont volé en éclats.

Il nous est affirmé qu'il faudra des années pour remettre en état le réseau. Une telle entreprise s'apparente à une perte de temps. Il vaudrait mieux construire un réseau neuf en mettant tout de suite l'ensemble de la Guadeloupe en chantier. Nous avons déposé, devant une commission d'enquête, en 2018, un projet général de gestion de l'eau dans le département.

Ce projet permettrait de soustraire de milliers d'hectares à la désertification afin d'y produire à manger pour le peuple.

Posons des questions simples. En quoi l'absence d'eau s'avère-t-elle gênante ? L'eau est d'abord synonyme d'hygiène. Pour cette raison, notre projet propose d'arrêter de déféquer dans de l'eau potable. Nous voudrions installer des citernes d'eau de pluie pour alimenter les sanitaires, et des robinets de puisage pour entretenir l'environnement. Une fois ces mesures en place, la population consentira plus facilement à acheter de l'eau pour boire.

À Gourbeyre, une situation gravissime m'a interpellé. L'eau y a été déclarée impropre à la consommation. Un habitant doté d'une citerne tampon en a déduit que tout le contenu de sa citerne, remplie d'eau potable à l'origine, était par conséquent contaminé. M. Philippe Gustin, le préfet, estime, à propos du réseau, que « ce qui est fait ne sera pas à faire ». Nous pensons toutefois, en toute objectivité que, si nous voulons remédier à la situation, nous devons changer d'hypothèse de travail et opter pour la construction d'un réseau neuf.

Aux environs de 2012, la Générale des eaux a unilatéralement décidé de suspendre sa facturation durant plusieurs années. Les factures par la suite émises rétrospectivement ne revêtent pas de valeur juridique. Il faut donc dédommager les usagers auxquels elles ont été adressées.

Permalien
Alain Lascary, président de la Confédération syndicale des familles de Guadeloupe

Les usagers ne doivent en aucun cas payer. Ceux qui ont gaspillé, si ce n'est volé, les 762 millions d'euros manquants doivent les rembourser. Il faut retrouver ces personnes et les condamner.

Permalien
Jacques Davila

La justice obéissant à une temporalité différente de celle de la mise en œuvre de travaux, il convient de laisser à la justice le soin de faire son travail et d'assurer, au travers d'une structure réunissant des personnes compétentes, le montage financier des travaux, quitte à solliciter des fonds européens, l'État, les collectivités et les EPCI concernés. Le SMO a été conçu pour qu'y participent financièrement les conseils régional et départemental.

Le problème se pose toutefois de la réalité des besoins à chiffrer, largement supérieurs à 900 millions d'euros, du fait de l'ancienneté de cette évaluation. Il convient d'y ajouter les montants relatifs à l'assainissement, restant à déterminer, et dont une partie supérieure à 175 millions d'euros relève du deuxième plan d'actions prioritaires. N'oublions pas non plus les sommes relatives à la GEMAPI et au programme d'actions de prévention des inondations (PAPI). Rappelons par ailleurs que la Guadeloupe ne dispose pas d'entreprises ni de bureaux d'études de taille suffisante pour exécuter ce genre de travaux. Les 71 millions d'euros débloqués par le premier plan d'actions prioritaires ont servi à des réquisitions d'urgence, parce qu'en période de Covid-19, les écoles et les particuliers avaient besoin d'eau.

Il va falloir restructurer l'ensemble du système. Nous n'y arriverons pas d'ici au 1er septembre. Nous n'en devons pas moins nous atteler à la tâche avec courage et détermination.

Permalien
Camille César-Auguste

L'État a toujours été au fait de la situation de l'eau en Guadeloupe. Aux associations et fédérations qui se tournaient vers eux, lors de réunions, les préfets répondaient : « ce n'est pas à l'ordre du jour ». Certains Guadeloupéens m'ont montré des factures de 1965 comportant des provisions pour travaux. Or il nous est maintenant demandé de payer ces travaux !

D'aucuns crient « haro sur le baudet ! » à propos du SIAEAG, mais il n'est pas le seul en cause. Nous nous en sommes retirés, parce que les politiques nous ont écartés. Personne n'a jamais voulu discuter de ce qui s'est passé à Veolia, or cette entreprise a fermé sa filiale en partant avec des millions d'euros.

J'ai suggéré au préfet, lors d'une réunion, d'installer une usine de dessalement dans deux ou trois communes.

Quoi qu'il en soit, il faut retrouver ceux qui ont pris l'argent. M. Amélius Hernandez a peut-être commis des erreurs, mais il n'est pas le seul. Or personne ne souhaite parler de Veolia ni du contrat signé par le conseil régional, interdisant d'attaquer Veolia en justice. Les coupables doivent payer pour que les Guadeloupéens disposent enfin d'accès à l'eau et à l'assainissement. Ce service pose d'ailleurs un vrai problème de facturation. Pour cette raison, nous avons demandé l'installation de deux compteurs distincts.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur Lascary, vous estimez que la nouvelle gouvernance ne doit pas encore une fois faire appel aux mêmes élus. Qu'entendez-vous par là ?

Permalien
Alain Lascary, président de la Confédération syndicale des familles de Guadeloupe

Certains élus ont bénéficié de prêts, qui de 640 000 euros, qui de 450 000 euros, qui de 800 000 euros, etc. Doivent-ils les rembourser ? Nous n'en entendons en tout cas plus parler. Je ne souhaite pas que ces personnes, aux affaires depuis plus de vingt ans pour certaines, s'occupent de la nouvelle gouvernance de l'eau. Elles doivent affronter la justice et ne revenir au pouvoir qu'une fois blanchies. Je ne m'exprime là qu'en tant que porte-parole des usagers.

Lors d'une réunion avec le préfet, un responsable m'a déclaré contraire aux règles d'inclure dans la gouvernance de l'eau des associations d'usagers, alors que la nôtre est reconnue depuis plus de trente ans. Selon moi, les élus doivent rendre des comptes avant de revenir donner des leçons.

Permalien
Alain Lascary, président de la Confédération syndicale des familles de Guadeloupe

Je ne donnerai pas de noms aujourd'hui. Le responsable de l'eau au conseil départemental ne s'est pas représenté. Vous devriez auditionner l'ancien président du conseil départemental.

Permalien
César-Auguste Camille

Je rejoins mon ami Lascary. Nous ne sommes pas venus faire de la délation. En tant que député, vous avez toutes les cartes en main.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur Touly, vous avez indiqué que le dysfonctionnement de l'eau en Guadeloupe s'expliquait par la complicité des élus. Pourriez-vous nous en dire plus ?

Permalien
Jean-Luc Touly, président du Front républicain d'intervention contre la corruption (FRICC)

Une DSP implique que le délégant contrôle le délégataire par différents moyens, tels que la commission consultative des services publics locaux et la commission de contrôle financier. Depuis la loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement, dite loi Barnier, le délégataire doit, chaque année, fournir un rapport sur l'histoire du contrat, la qualité des eaux, l'assainissement et les performances techniques en termes de fuites et de revêtement du réseau. Il revient en outre au délégataire d'indiquer ses dépenses en personnel au service de la collectivité sur le compte annuel de résultat d'exploitation.

Malheureusement, en Guadeloupe, ces documents ne sont pas régulièrement fournis, ou de manière incomplète. Je préconise personnellement de recourir à la régie. Les élus qui optent pour une DSP, à laquelle ils délèguent souvent toutes leurs prérogatives, ce qui amène à se demander pourquoi ils ont souhaité se faire élire, sont tenus d'exercer un contrôle sur le délégataire, ce qui suppose d'embaucher des comptables et donc de recruter des fonctionnaires.

La chambre régionale des comptes souligne, dans ses rapports, que certains contrats de DSP se renouvellent, pendant quarante ans dans certains cas, sans le moindre appel d'offres. Les sociétés privées, que je ne condamne pas par principe, réalisent des bénéfices qui, en l'absence de contrôle, reviennent aux actionnaires sous forme de dividendes ou financent la recherche et le développement.

Curieusement, aucun élu, surtout en outre-mer, ne s'interroge sur cet état de fait. En mai 2015, j'ai demandé au maire de Port-Louis, dont je ne mentionnerai pas l'appartenance politique pour ne froisser personne, de me fournir, en vue d'une conférence publique que je devais prononcer, le rapport annuel de la Générale des eaux. Il ne comprenait pas à quoi je faisais référence. Je lui ai alors montré mon badge de salarié de Veolia. Subitement, ce maire, par ailleurs agent de la Générale des eaux, s'est souvenu de l'obligation pour l'entreprise qui nous employait tous deux de fournir un rapport annuel. Je n'ai toutefois jamais obtenu ce document. Le fait qu'un cadre de la Générale des eaux assume les fonctions de maire d'une commune où le prix du mètre cube d'eau dépasse les 7,80 euros toutes taxes comprises (TTC) pose un vrai problème, de complicité pour dire les choses gentiment. Je comprends la volonté des associations de faire le ménage dans les élus.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

En quelle année se sont déroulés ces faits ?

Permalien
Jean-Luc Touly, président du Front républicain d'intervention contre la corruption (FRICC)

En 2015.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Qu'entendez-vous au juste par « complicité » ?

Permalien
Jean-Luc Touly, président du Front républicain d'intervention contre la corruption (FRICC)

Le fait qu'un maire délègue un service public à sa propre entreprise donne lieu à un conflit d'intérêts. Cet élu a affirmé devant moi ne pas avoir connaissance de l'obligation pour son entreprise de fournir un rapport annuel. La vue de mon badge Veolia lui a soudain rafraîchi la mémoire. Il m'a aussitôt promis de m'envoyer ce rapport. Six ans se sont écoulés or je ne l'ai toujours pas reçu. Sans vouloir l'accuser, je trouve son attitude troublante. Il m'a été rapporté que d'anciens salariés de Veolia ont créé de petites entreprises locales de sous-traitance et que d'anciens cadres de Veolia se retrouvent aujourd'hui dans certaines autorités publiques. Nous sommes en droit de nous poser des questions.

Permalien
Christian Céleste

Monsieur Touly, vous-même êtes un ancien cadre de Veolia, or cette entreprise reste la principale responsable de la situation. Ne tentez pas de reporter le problème sur les élus.

Permalien
Jean-Luc Touly, président du Front républicain d'intervention contre la corruption (FRICC)

Ce n'est pas du tout mon intention.

Permalien
Christian Céleste

C'est Veolia qui a entraîné la Guadeloupe dans l'impasse où elle se trouve. Il faut en prendre acte. Des plaintes ont été déposées contre les élus, notamment les membres du SIAEAG. Je crois que le fond du problème vient de l'État, qui a manqué à ses responsabilités, en omettant de s'assurer que des appels d'offres préludaient au renouvellement de la DSP.

Permalien
Jean-Luc Touly, président du Front républicain d'intervention contre la corruption (FRICC)

Je suis d'accord.

Permalien
Christian Céleste

Alors, n'attribuez pas le problème aux élus.

Permalien
Jacques Davila

Monsieur Serva, mettez un terme à cette polémique inutile. Monsieur Céleste, vous défendez votre camarade de parti.

Permalien
Christian Céleste

Bien sûr, c'est un camarade communiste.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur Céleste, vous attribuez les graves dysfonctionnements de la gestion de l'eau en Guadeloupe à Veolia. Pourriez-vous nous apporter plus de précisions ?

Permalien
Christian Céleste

Tout le monde est au courant. Tous les rapports consacrés au sujet et diligentés par les services de l'État mettent en évidence la responsabilité de cette entreprise dans la gabegie de l'eau. Un ancien cadre de Veolia a ici même apporté des précisions sur les méthodes de son ex-entreprise. Je n'entrerai pas dans les détails techniques, de toute façon mentionnés par les rapports de la chambre régionale des comptes. Les faits sont connus.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur Touly, vous avez reproché à l'État son laisser-faire, ajoutant qu'il devait mettre la main à la poche. Pourriez-vous préciser votre pensée ?

Permalien
Jean-Luc Touly, président du Front républicain d'intervention contre la corruption (FRICC)

L'État est censé contrôler, à travers les agences de l'eau et l'office de l'eau notamment, la bonne gestion de la ressource. Or tous les rapports qui s'accumulent depuis 2019 dénoncent la situation que tout le monde décrit aujourd'hui. Pourquoi rien n'a-t-il été tenté pour y remédier ? Les élus portent une part de responsabilité. Quant à la Générale des eaux, je l'ai tellement attaquée, par je ne sais combien de procès, que je n'ai pas besoin d'en dire plus. L'État doit exercer un contrôle en cas d'incurie des élus locaux, du département et de la région. Il existe un observatoire de l'eau dans chaque département. Il suffit de comparer le prix de l'eau, le taux de fuite et de renouvellement du réseau en Guadeloupe, avec d'autres départements, pour s'étonner de l'absence de réaction des gouvernements successifs.

Il faudrait probablement près d'un milliard d'euros, soit pour construire un réseau neuf, soit pour réparer le réseau existant.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur Davila, vous estimez nécessaire de former les usagers pour qu'ils contrôlent mieux la gestion de l'eau. Pourriez-vous préciser votre idée ?

Permalien
Jacques Davila

Il a été constaté, lors de multiples réunions, indépendamment de la présidence de l'assemblée, que de nombreux intervenants s'exprimaient à tort et à travers en parlant avec autorité de ce qu'ils ne connaissent pas. Il en résulte une perte de temps décourageante, qui empêche de traiter comme il se doit les problèmes. Le président actuel du conseil régional a récemment accepté, ainsi que le pilote de la commission de préfiguration du SMO, de mettre en place des formations destinées aux élus et aux dirigeants d'associations, dans la mesure où trop peu d'entre eux connaissent le code général des collectivités territoriales ou même l'existence d'un livre III du code des relations entre le public et l'administration, sans même parler des procédures réglementaires ou du droit des usagers. Beaucoup ne savent même pas lire une facture ni déposer une réclamation et ignorent qu'un comptable public ne peut pas assumer en même temps le rôle de comptable de l'ordonnateur.

Il me semble impératif de s'appuyer sur des personnes compétentes, aussi bien parmi les élus qu'au sein des régies ou des associations d'usagers. Le taux très faible de consommation des crédits de formation dans les budgets prévisionnels montre suffisamment ce déficit de formation. Ce n'est que par l'intermédiaire de personnes correctement formées que nous prendrons efficacement part à la restructuration du service public de l'eau et de l'assainissement.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Madame Flavie Danois, qui sont les coupables que vous dénoncez et comment, selon vous, faut-il les obliger à payer ?

Permalien
Flavie Danois, présidente de l'Association des usagers Eaux de Guadeloupe

Je ne suis pas venue me livrer à de la délation. Je ne me permettrai pas de taper sur les élus. De toute façon, chaque fois que nous nous tournons vers eux, ils se défaussent. Ils n'ont pas connaissance des informations que nous parvenons à nous procurer, et qu'ils découvrent lorsque nous les leur communiquons.

La loi contraint le fournisseur d'eau à adresser un courrier aux abonnés en cas d'augmentation anormale de leur consommation pour les inciter au moins à vérifier leur compteur. Les élus ne l'ont découvert qu'à l'occasion d'une réunion où nous avons attiré leur attention sur ce point. Ce sont donc eux qu'il faudrait former, bien avant les responsables des associations.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur Flemin, vous dénoncez un enchevêtrement institutionnel et proposez une simplification de la gouvernance de l'eau. Comment l'envisagez-vous ?

Permalien
Alain-Félix Flemin, secrétaire général du Parti communiste guadeloupéen

J'ai déjà cité les innombrables structures et les organismes intervenant dans la problématique de l'eau. La réalité de la Guadeloupe n'est pas prise en compte. La ressource en eau, dans notre département, provient à 90 % de la Basse-Terre, alors qu'elle est majoritairement consommée sur la Grande-Terre. Or, les autorités concédantes ne sont autres que les communes, même si la loi nᵒ 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, a transféré la compétence de la gestion de l'eau aux EPCI.

Il faut à la Guadeloupe une autorité politique responsable de l'organisation du service public, au moins en ce qui concerne l'eau. Il manque un cadre législatif adapté à notre département, auquel ne convient pas le copier/coller institutionnel du droit français et européen.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Que pensez-vous de la loi n° 2021-513 du 29 avril 2021 rénovant la gouvernance des services publics d'eau potable et d'assainissement en Guadeloupe prévoyant la création d'un syndicat mixte ouvert, qui entrera en vigueur en septembre en Guadeloupe ?

Permalien
Alain-Félix Flemin, secrétaire général du Parti communiste guadeloupéen

. Ce SMO a été créé pour ôter la compétence de la gestion de l'eau aux élus guadeloupéens. Or il faut au contraire la leur rendre. Cette loi relève d'un artifice que nous condamnons. La compétence de la gestion de l'eau doit relever, non des communes ni des EPCI, mais de l'instance politique que nous appelons de nos vœux.

La séance s'achève à seize heures cinq.