La réunion

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La réunion débute à quatorze heures.

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Les travaux de la commission d'enquête reprennent aujourd'hui dans un contexte international qui en illustre la nécessité. Avant de commencer nos travaux, je souhaite faire un point sur l'Afghanistan. Lors de son point presse du 19 août, le ministre des Affaires étrangères a déclaré que tous les signalements effectués auprès des services de l'État sur la situation de ressortissants français se trouvant encore en Afghanistan ou d'Afghans qui seraient menacés en raison de leurs liens avec la France ou de leur engagement dans la société civile afghane sont pris en compte et consolidés, notamment en lien avec notre ambassade à Kaboul. Il est gênant de mettre en rapport ce discours officiel avec le constat circonstancié de l'accueil des demandeurs d'asile à Grenoble en date du 30 août. De nombreuses familles afghanes sont laissées à leur propre sort en Afghanistan en raison de l'arrêt des opérations d'évacuation, et ce malgré les démarches menées auprès de notre ambassade. Ces familles n'avaient toujours pas été recontactées par le ministère au 30 août. Il est regrettable que la France ait dû abandonner des familles afghanes malgré ses promesses. Cela est cependant difficilement évitable en pareilles circonstances. Nous ne pouvons néanmoins pas nous féliciter d'agir pour tous de manière impeccable. Il faut assumer devant les Français la dureté de la situation et les choix difficiles qui s'imposent à nous.

Il revient au Parlement d'observer, d'évaluer et de contrôler l'action gouvernementale et de rendre compte le cas échéant de l'écart entre le discours et les actes. Le Président de la République s'est exprimé devant les Français sur l'Afghanistan, ce qui est appréciable, mais notre démocratie possède aussi un parlement, et j'ai le sentiment qu'il est tenu pour quantité négligeable en matière de politique étrangère. Or, selon la constitution, il revient aux parlementaires de contrôler les actions du gouvernement, pour les affaires intérieures comme étrangères. Nous savons d'ores et déjà que la prise de pouvoir des talibans a déclenché un nouvel afflux de réfugiés qui se dirigent vers l'Europe. Il me semble nécessaire, légitime, voire constitutionnel, que cela fasse l'objet d'un débat au Parlement et pas uniquement sur les plateaux de télévision, pour que les parlementaires puissent exercer leur mission de contrôle.

Les auditions que nous menons aujourd'hui, consacrées aux publics particulièrement vulnérables que sont les femmes et les LGBT, prennent une dimension plus importante encore, dans la mesure où ces populations font partie des cibles privilégiées des talibans.

La semaine prochaine, nous consacrerons nos auditions du mercredi aux mineurs non accompagnés et celles du jeudi aux étudiants étrangers. Nous nous rendrons les jeudis et vendredis dans les Hautes-Alpes à Briançon, où la situation est particulièrement difficile.

Nous commençons par l'audition des associations ARDHIS, AIDES et du Bureau d'accueil et d'accompagnement des migrants (BAAM).

Je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mme Aude Le Moullec Rieu, MM. Philippe Neyer et Marc Dixneuf, Mmes Aurélie Mayeux et Alicia Maria prêtent serment).

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Je remercie du fond du cœur les personnes accueillies aujourd'hui pour leur action, car la situation est de plus en plus complexe. Aucune politique, de droite comme de gauche, n'a jamais réussi à gérer ce problème. Les migrations sont d'ailleurs devenues un problème parce que personne n'a réussi à le gérer ni à l'intégrer de façon structurelle. Il est surtout évoqué sur les plateaux de télévision.

Depuis que les talibans ont pris le pouvoir, une cellule de crise a été constituée, en lien direct avec le quai d'Orsay. Nous avons transféré un nombre considérable de dossiers transmis par les députés. Il convient de faire preuve de nuance en matière d'immigration. Si certains sont des rêveurs, pour d'autres, l'image des migrants est très négative : ils seraient tous jeunes, noirs et violents. La vérité est à mi-chemin de ces deux visions extrêmes. Il est faux d'affirmer que le gouvernement n'a rien fait. L'aéroport de Kaboul est devenu plus dangereux que les alentours et nous étions incapables d'y envoyer quiconque, même avec des laissez-passer. Nous n'avons pas eu le temps de rassurer individuellement toutes les personnes concernées.

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Aude Le Moullec Rieu, présidente d'ARDHIS

Mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de nous accorder cette audition sur la très importante question de l'asile des personnes LGBT.

L'association ARDHIS a pour mission la défense des droits des personnes étrangères LGBT. Elle a été fondée en 1998 par des couples binationaux LGBT alors qu'il n'existait aucune union légale pour les couples de même sexe, et par conséquent aucun moyen de faire rester un partenaire étranger sur le territoire. La question de l'exil et de l'asile des personnes LGBT a ensuite pris progressivement de l'importance au sein de l'association. Les relations homosexuelles demeurent criminalisées dans plus de 70 pays dans le monde. Il est par conséquent impossible à ces personnes de vivre leur vie dans ces pays, du fait de l'hostilité de la société, de la famille, de l'État et de la police. Être une personne LGBT est un motif de demande d'asile depuis les années 90 en France. Il s'agit d'un statut de réfugié selon la convention de Genève au titre de l'appartenance à un groupe social. Deux conditions sont requises : les personnes LGBT sont persécutées dans le pays d'origine et les institutions d'asile sont convaincues de leur orientation sexuelle ou de leur transidentité. Cette deuxième condition étant impossible à prouver, elle reposera sur l'intime conviction des instances compétentes (officiers de protection de l'OFPRA, juges de la cour nationale du droit d'asile) de la réalité de cette orientation sexuelle. L'ARDHIS apporte son aide sur ce point. Elle accompagne les personnes concernées dans la verbalisation de leur vie intime. En effet, ces personnes ont dû cacher leur vie intime toute leur vie. L'association protège l'accès aux droits et aide à la rédaction des récits. Elle propose également un certain nombre d'activités d'insertion, telles que des cours de français. Ces activités sont pensées pour permettre aux personnes LGBT d'exprimer leur identité. L'ARDHIS mène également des actions de médiation auprès des institutions, en faisant intervenir des tiers lors des entretiens avec l'OFPRA, et en adressant des signalements de vulnérabilité auprès de l'OFII, qui demeurent cependant souvent lettre morte. Elle mène par ailleurs des actions de plaidoyer. À ce titre, l'association s'est notamment engagée pour le retrait de certains pays d'origine « sûre ». Trois pays en ont été retirés à la suite de ces actions, dont deux dans lesquels les relations homosexuelles sont criminalisées. Enfin, depuis 2021, l'ARDHIS est un organisme de formation à destination des travailleurs sociaux. Nous souhaitons développer cette activité de formation. Un module sera notamment proposé aux interprètes intervenant sur les questions d'asile à l'automne. Le tissu associatif LGBT est peu professionnalisé et l'association ne compte aucun salarié permanent. Le travail effectué pour les demandeurs et demandeuses d'asile est effectué de façon bénévole, soit 800 dossiers traités en 2019 et 600 en 2020. L'expérience que nous avons accumulée depuis 20 ans nous permet de réaliser plusieurs observations.

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Philippe Neyer, secrétaire de l'ARDHIS

En amont de la procédure d'asile, les personnes migrantes LGBT subissent, comme les autres populations migrantes, les difficultés du parcours migratoire, de la traversée de la mer et du règlement de Dublin. Il est important de rappeler à quel point ce dernier est inhumain dans son application et met les demandeurs d'asile en situation de souffrance. Les préfectures françaises appliquent strictement le principe consistant à obliger un demandeur d'asile à demander l'asile dans le pays ayant accordé le visa ou constituant le point d'arrivée. Ces pays d'arrivée sont souvent les pays du sud de l'Europe (Espagne, Italie). Les personnes accompagnées par l'ARDHIS n'ont pas le désir de rester dans ces pays. Leur objectif est de venir en France, ce qui représente un premier point positif de garantie d'intégration. Refuser cette possibilité aux personnes francophones revient à nier leur histoire et leur proximité culturelle. En outre, certains demandeurs d'asile peuvent avoir subi des erreurs d'application du droit d'asile dans d'autres pays de l'UE. Par exemple, un Sierraléonais a été débouté de sa demande d'asile à Munich à 20 ans, les autorités considérant que son orientation sexuelle n'est pas établie. Or, son pays d'origine est un des plus violents envers les personnes homosexuelles. Quel autre choix s'offre à lui en ultime recours que de demander l'asile en France ? L'OFPRA le lui a accordé, mais après une procédure Dublin avec l'Allemagne qui a duré trop longtemps. Les mesures de contrôle dans le cadre de cette procédure sont humiliantes et déstabilisent les personnes, provoquant des problèmes de santé mentale. Les demandeurs d'asile « dublinois » sont convoqués à intervalle régulier en préfecture ou en commissariat. A chaque convocation, ils risquent de se voir interpeller au guichet pour exécution de la mesure de transfert. A terme, ce choix impossible les plonge dans des états dépressifs. Or, le seul désir de ces personnes est de constituer un projet de vie en obtenant une protection. Nombre de demandeurs d'asile LGBT sont fragiles psychologiquement. Ils souffrent de stress post-traumatique lié aux violences subies en raison de leur orientation sexuelle dans leur pays et de la rupture du lien familial, qui est caractéristique du parcours de vie de ces personnes. La France pourrait prendre des mesures pragmatiques de sa propre initiative, notamment dans le cadre de la clause de souveraineté du règlement de Dublin, pour améliorer la situation. Le demandeur d'asile devrait notamment avoir le choix du pays pour faciliter son intégration et son projet de vie.

Concernant l'examen des demandes d'asile liées à l'orientation sexuelle par l'OFPRA et la CNDA, le filtre demeure trop sélectif à l'OFPRA et le taux d'erreurs résiduelles reste significatif. La capacité à s'exprimer est primordiale, mais seule une partie des demandeurs d'asile LGBT ont cette capacité. Dans la plupart des cas, un entretien d'une heure ou deux ne permet pas de faire surgir la vérité de l'intimité d'un demandeur d'asile. Pourtant, les décisions de l'OFPRA reposent sur ces entretiens. Nous remettons en cause la sélectivité de l'appréciation des réponses plus que la nature des questions posées. La CNDA, même si elle annule nombre de décisions de rejet de l'OFPRA, ne parvient pas toujours à protéger les demandeurs d'asile LGBT et cela se traduit par un taux d'erreurs résiduelles significatif à la fin de la chaîne de traitement.

Certaines personnes homosexuelles n'obtiennent l'asile ni de l'OFPRA ni de la CNDA. La proportion de déboutés est en outre plus importante pour les demandeurs d'asile qui ne sont pas accompagnés par une association LGBT. Il existe donc une marge de progression importante en matière d'examen des demandes pour motif d'orientation sexuelle. D'autre part, la décision de prendre des mesures d'éloignement consécutives à des rejets de demandes d'asile liées à l'orientation sexuelle devrait tenir compte de la marge d'erreur du juge de l'asile sur ce sujet.

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Aude Le Moullec Rieu, présidente d'ARDHIS

Toutes ces difficultés sont exacerbées lorsque les demandes d'asile ont lieu en rétention. Lorsque l'entretien a lieu, les personnes viennent d'être interpellées et sont encore choquées. La conduite de l'entretien en visioconférence est en outre peu adaptée aux questions relevant de la vie intime, amoureuse et sexuelle. Ces entretiens sont également souvent plus courts. A cela s'ajoutent la difficulté de la vie en rétention, la promiscuité avec les autres personnes, qui entraîne parfois des réactions LGTB-phobes contre lesquelles il est impossible de déposer plainte. Nous constatons que l'OFPRA n'accorde jamais le statut aux demandeurs d'asile en rétention. En 2019, nous avons eu un cas de refus de ce type. Cette personne a été renvoyée en Algérie, où elle a encouru des risques pendant plusieurs semaines, avant que la Cour ne lui accorde le statut de réfugié. Un contentieux a été nécessaire pour qu'elle puisse rentrer en France. Cette situation exceptionnelle s'est dénouée, mais cela n'aurait pas été possible sans un soutien associatif. Ces constats nous conduisent à affirmer que les projets de centres fermés d'examen des demandes d'asile ne sont pas adaptés et sont même préjudiciables aux demandes d'asile des personnes LGBT, et à toutes les demandes d'asiles en général. Pour conclure, nous émettons trois recommandations principales.

Premièrement, il convient de prendre conscience du besoin de moyens des associations d'aide aux demandeurs d'asile LGBT, rassemblées en un réseau « Exil LGBTI ». L'importance de notre accompagnement spécifique est reconnue par les institutions et le défenseur des droits. Or, nous manquons de ressources, notamment pour la mise à l'abri d'urgence, pour l'aide d'urgence alimentaire et d'hygiène et pour l'accompagnement social des personnes que nous aidons, notamment en matière d'insertion des personnes LGBTI, qui sont souvent victimes de discriminations. Deuxièmement, nous demandons une meilleure formation de tous les acteurs de l'asile : officiers de protection, juges, magistrats, interprètes, travailleurs et travailleuses sociaux. Enfin, nous demandons le développement de voies sûres d'accès au territoire, notamment dans les cas d'intensification des LGBT-phobies, notamment au Ghana, au Sénégal et au Cameroun.

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Marc Dixneuf, président de AIDES

Je vous remercie de votre invitation. AIDES, association de lutte contre le VIH et les hépatites, a été créée en 1984. Elle est la plus importante en Europe. Nous comptons 500 salariés et un budget de 44 millions d'euros, abondé pour moitié par l'État. Nous comptons également 170 000 donateurs ponctuels et 2 000 militants. Nos principes d'actions sont en premier lieu la santé globale, qui tient compte de l'ensemble des déterminants de la santé, dont l'accès aux droits. Nous agissons avec les migrants qui ont besoin de notre soutien, et nous élaborons des réponses qui correspondent à leurs besoins. Notre objet premier est la transformation sociale. Nous n'avons pas la prétention de transformer l'ensemble de la société, mais nous priorisons la transformation de la société de la santé, pour que le système soit favorable à toutes les personnes, quel que soit leur statut de présence en France.

En France, le VIH concerne aujourd'hui 170 000 personnes. 6 000 à 7 000 personnes supplémentaires découvrent chaque année une infection à VIH. 50 % de ces personnes sont nées dans un pays étranger. Des données récentes montrent que la moitié d'entre elles, néanmoins, se sont contaminées en France. La lutte contre le VIH implique un dépistage rapide, l'accès au traitement immédiat, qui permet de ne plus transmettre le virus, l'utilisation du préservatif et la prophylaxie préexposition. En effet, un antirétroviral protège désormais efficacement les séronégatifs du VIH. Avant la pandémie de Covid-19, nous avions un impact marquant sur la dynamique de l'épidémie.

AIDES s'est initialement mobilisée contre le déni du droit des malades à savoir de quoi ils mouraient. Dès la fin des années 80, il est apparu que le VIH ne concernait pas seulement les homosexuels et les toxicomanes. Un travail interassociatif, notamment avec Act Up, a alors été mené en faveur du droit à la santé des étrangers malades, y compris dépourvus de titre de séjour. Or, depuis une dizaine d'années, nous constatons des attaques récurrentes contre ces dispositifs. L'année et demie écoulée a permis de mesurer combien des politiques de santé inefficaces, non pertinentes et non fondées sur la science ne permettent pas de contrôler une épidémie. La solution est donc de proposer le dépistage et l'accès aux soins gratuits sans tenir compte du statut des personnes. Ces principes ont été énoncés dans les années 1990 par l'OMS et Jonathan Mann, médecin de santé publique et fondateur de l'ONUSIDA. Si les droits fondamentaux sont respectés, les mesures mises en place seront efficaces.

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Aurélie Mayeux, responsable appui au plaidoyer et observatoires d'AIDES

Les personnes étrangères constituent une population clé de l'épidémie de VIH en France. AIDES et ses militants sont engagés dans la défense du droit au séjour pour soins. Elle accompagne dans l'obtention de leurs papiers, des personnes étrangères vivant avec le VIH. Nos militants travaillent en partenariat avec d'autres associations sur le terrain, notamment l'ARDHIS, avec qui nous avons écrit un rapport sur les discriminations relatives à l'asile en 2018. Les différents assauts portés contre les politiques migratoires ces dernières années ont entraîné une baisse significative du droit au séjour pour soins depuis 2018. Le passage de l'évaluation médicale des ARS à l'OFII a entraîné une baisse de l'octroi des titres de séjour pour soins. La délivrance d'un titre de séjour pour soins permet en effet de stabiliser la situation des personnes en France et de les sortir de la précarité en leur donnant accès à des droits sociaux. L'accompagnement des personnes souffrant du VIH est primordial dans la lutte contre l'épidémie, car elles ont ainsi accès aux traitements et cessent de transmettre le VIH.

Avec les ARS, les avis favorables atteignaient 75 à 80 % en 2014. Depuis la reprise de l'évaluation médicale par l'OFII, ce taux a baissé à 55 %. Parmi les obstacles aux droits d'accès au séjour, les demandeurs d'asile ont l'obligation de déposer simultanément toutes les demandes de titres auxquelles ils prétendent, dont la demande de séjour pour soin. Ils ont trois mois pour le faire à compter du dépôt de la demande d'asile, ce qui est extrêmement court. En effet, il faut être conscient que les personnes se contaminent en France, notamment parce que la précarité de leur situation sociale les conduit à prendre des risques. Par exemple, de nombreuses femmes témoignent que, se trouvant à la rue, elles acceptent des relations sexuelles contre un hébergement. Pour nous, la double demande d'asile et de soin est un obstacle supplémentaire à cause de ce délai trop bref. Toutefois, la loi prévoit que la personne puisse éventuellement faire état de circonstances nouvelles si elle n'a pas déposé sa demande dans les trois mois. Cette notion très large donne cependant lieu à des interprétations divergentes selon les préfectures, dont certaines n'acceptent pas de prendre en compte ces circonstances nouvelles. Depuis 2010, nous sommes dotés d'un observatoire « étrangers malades » qui nous permet de recenser les parcours des personnes malades accompagnées chaque année. Nous pouvons ainsi produire des statistiques chaque année, notamment dans le cadre du rapport « Discrimination ».

Un autre élément inquiétant est la restriction de l'accès à la santé pour les personnes étrangères depuis 2019, qui a coïncidé avec le début de l'épidémie de coronavirus. Fin 2019, une nouvelle mesure a freiné l'accès aux soins des demandeurs d'asile en instaurant un délai de carence de trois mois. Or, les demandeurs d'asile sont en situation régulière sur le territoire. Cette mesure est donc symboliquement très forte à l'encontre de personnes vulnérables et parfois en situation de santé précaire, et traumatisées de surcroît. Ce cumul de vulnérabilité impose un accompagnement et une prise en charge immédiats dès l'arrivée sur le territoire. En cas de difficulté de santé, les demandeurs et demandeuses d'asile ne peuvent accéder aux soins que dans les hôpitaux, qui sont saturés à cause de la crise sanitaire. En outre, les soins hospitaliers sont plus coûteux que les soins ambulatoires.

Les réformes concernant l'aide médicale d'État et les maintiens de droits ont conduit à construire des dispositifs de soins et de santé différenciés en fonction de la situation administrative des personnes, au lieu d'accorder un accès aux soins à tous. Ces différences entraînent des ruptures de soins et de droits. Ne pouvant plus obtenir de carte Vitale depuis 2017, les demandeurs d'asile se tournent vers l'hôpital public. Par conséquent, un certain nombre de personnes renoncent aux soins.

Les recommandations d'AIDES portent sur la simplification de ces dispositifs et la renonciation au délai de carence pour les demandeurs d'asile ainsi que l'intégration de l'aide médicale d'État au budget de l'Assurance maladie.

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Alicia Maria, responsable pôle LGBT du BAAM

Le Bureau d'accueil et d'accompagnement des migrants est une association francilienne située à Paris qui a été fondée en 2015. Cette association politique défend un accueil digne pour tous les migrants. Elle est entièrement composée de bénévoles et ne perçoit pas de subventions, par choix. Nous considérons en effet qu'il incombe à l'État de prendre en charge des demandeurs d'asile, et menons donc ce travail de façon bénévole. L'association comporte six pôles. Je suis coordonnatrice du pôle LGBTQI+. Nous accompagnons les demandeurs d'asile LGBT dans leur demande d'asile, ainsi que celles qui souhaitent régulariser leur situation. Nous menons également d'autres activités. Nous permettons l'accès à des lieux d'activités et de solidarité communautaire LGBTQI+ et la participation à des événements festifs, culturels ou revendicatifs, ce qui serait notre seule activité si le gouvernement menait à bien le travail qui lui incombe. Nous accompagnons les personnes dans leurs démarches juridiques en lien avec les autres pôles du BAAM, avec des avocats spécialisés dans les questions d'asile et relatives aux personnes LGBTQI+. Nous débloquons par ailleurs des fonds d'urgence pour pallier les défaillances de l'État pour que des personnes sans ressources puissent satisfaire leurs besoins primaires (hygiène, alimentation et déplacements). Nous mettons en place un réseau d'hébergement solidaire et bénévole afin d'éviter que des personnes LGBT ne soient laissées à la rue, où elles sont surexposées aux risques de contamination, notamment au VIH, et aux violences sexuelles. Nous sommes en partenariat avec des structures de prévention sexuelle, par exemple le Checkpoint, qui propose des autotests dans nos locaux une fois par mois et réalise des entretiens. Enfin, nous orientons vers des structures de prise en charge médicale et psychologique des personnes en situation de migration.

Dans leur parcours migratoire, les personnes LGBTQI+ sont confrontées aux difficultés communes à tous les migrants : la fermeture des frontières, les violences aux frontières et au cours du parcours migratoire, et l'impossibilité d'accéder à l'Europe par voie légale. Concernant les difficultés spécifiques aux personnes LGBT, nous partageons le constat de la rupture du lien familial, caractéristique de leur situation. Ces personnes sont en outre surexposées aux risques de viols et de violences. Par conséquent, un grand nombre de personnes que nous accompagnons sont victimes de stress post-traumatique. Elles souffrent donc d'oubli, de confusion et de déni, ce qui est très peu pris en compte par l'OFPRA et la CNDA, qui refusent d'octroyer l'asile à une majorité de personnes se trouvant dans ces situations, du fait de leurs difficultés à s'exprimer et à se raconter. Toutefois, ces personnes entrent dans les critères de la convention de Genève. Les attestations de professionnels de santé confirmant cet état de stress post-traumatiques ne sont pas prises en compte. Les conséquences de ce stress incluent également des troubles graves du sommeil, de l'alimentation ou des tremblements. Ces facteurs desservent également les personnes dans leur demande d'asile et sont peu pris en compte, même quand ils sont attestés par des certificats médicaux.

Dans leur pays d'origine, ces personnes subissent des LGBT-phobies, mais également pendant les périodes de transit et en France, par les populations et les institutions. Pour cette raison, elles sont tentées de cacher leur orientation sexuelle ou leur identité de genre, ce qui complique leur demande auprès des institutions d'asile. Enfin, de nombreuses personnes sont en situation d'isolement, car elles peuvent avoir peur d'être retrouvées par les personnes qu'elles fuient. Elles ne peuvent donc pas se reposer sur une communauté de leur pays d'origine qui serait déjà installée en France. Nous partageons le souhait exprimé par l'ARDHIS d'une abrogation totale des pays d'origine sûre. Les personnes placées en procédure accélérée, parce qu'elles sont originaires d'un pays appartenant à cette liste, ont beaucoup plus de difficulté à obtenir l'asile, car la procédure accélérée les empêche de bénéficier d'hébergement ou de ressources, avec les risques que cela comporte en termes de santé et de surexposition aux violences. Elles risquent par ailleurs d'être expulsées avant la fin de la procédure, étant déboutées du droit d'asile dès le refus de l'OFPRA. Cette liste crée donc un état de vulnérabilité psychologique et matérielle et une situation d'inégalité entre les demandeurs d'asile. Nous considérons qu'aucun pays n'est a priori sûr, en particulier pour les personnes LGBTQI+.

Certaines situations nous paraissent inadmissibles et contraires au droit. La discrimination par le personnel des institutions, notamment aux guichets, est inacceptable. Par exemple, des femmes en couple ont vu leurs demandes enregistrées séparément en préfecture au prétexte qu'elles n'étaient pas mariées, et non considérées comme une famille. Elles sont alors séparées en termes de prise en charge par l'OFII. Les associations peuvent contribuer à résoudre ces problèmes, mais tous les demandeurs d'asile ne sont pas accompagnés par des associations. Ces personnes fuient leur pays d'origine en raison de leur orientation sexuelle et se voient discriminées lors de leur arrivée en préfecture en France. Par ailleurs, les traductions erronées, volontairement ou non, conduisent à des récits incohérents qui ne sont pas compréhensibles pour le juge ou les agents de l'OFPRA. Les personnes LGBTQI sont particulièrement concernées par ces problèmes de traduction, qui ne peuvent cependant pas être considérés comme un argument dans le cadre d'un recours à la CDNA ou d'une demande de réexamen. Nous partageons l'idée de l'ARDHIS que la demande d'asile dessert les personnes qui ne s'expriment pas correctement. En l'absence de preuves matérielles pour appuyer leur demande d'asile, la véracité de leur récit peut être mise en question et l'issue de leur demande peut dépendre de leur performance oratoire. Par ailleurs, les entretiens ressemblent plus à des interrogatoires, ce qui ne donne pas aux personnes le sentiment de sécurité nécessaire à l'expression de leur situation intime. Le soupçon permanent de mensonge qui pèse sur elles aboutit à des refus d'asile tout à fait injustifiés, car elles relèvent de la convention de Genève.

J'insiste également sur les conditions matérielles d'accueil (CMA). Lorsque les personnes LGBTQI+ accèdent au logement par l'OFII, ce qui reste rare, elles peuvent être exposées à la violence et au harcèlement dans leur hébergement. Elles n'ont en effet pas accès à des espaces sécurisants dans ces hébergements collectifs. Des vols, du harcèlement et des violences sont très souvent rapportés par les personnes accompagnées, notamment les personnes trans, qui se voient placées dans des chambres non mixtes avec des personnes du sexe qui leur a été assigné à la naissance. Par ailleurs, il est compliqué d'obtenir un hébergement individuel même lorsque les violences sont communiquées au personnel de l'hébergement et à l'OFII. Si la personne quitte son hébergement en raison de ces conditions difficiles, elle risque de se voir retirer son allocation de demandeur d'asile et de ne plus avoir ni hébergement ni ressource financière. Il s'agit d'une double peine. L'accès à un hébergement individuel pour tous les demandeurs d'asile permettrait une meilleure protection de chacun.

Les personnes LGBTQI sont souvent isolées, car coupées de toute solidarité intracommunautaire. Elles peuvent faire appel à des associations en arrivant en France pour être accompagnées dans leur demande d'asile. Toutefois, en acceptant les CMA, elles peuvent être envoyées dans des lieux isolés ou il n'existe aucune association LGBTQI susceptible de les aider à rompre l'isolement. Elles devraient pouvoir être hébergées dans le lieu de résidence de leur choix, où elles ont des connaissances et sont suivies par des associations.

Huit demandes d'asile sur dix font l'objet d'un refus et les personnes déboutées deviennent des sans-papiers. Les personnes LGBT ayant révélé leur identité ou orientation sexuelle sont de surcroît surexposées à des situations dramatiques, aux violences et à l'abus.

Nous recommandons la régularisation de toutes les personnes sans papiers et l'octroi d'un visa humanitaire à toutes les personnes qui craignent ou subissent des persécutions dans leur pays, et le désengagement de la France de l'agence européenne Frontex. Nous demandons également la possibilité de se faire accompagner lors de l'entretien à l'OFPRA, y compris lors des entretiens à huis clos, ainsi que la traduction systématique de tous les documents administratifs dans la langue du demandeur d'asile. Nous demandons de donner la possibilité aux demandeurs d'asile d'écrire leur récit dans leur langue natale et d'envoyer un document audio pour les personnes qui ne sauraient pas écrire. Nous recommandons la prise en compte de l'état de santé physique et psychologique des demandeurs d'asile dans l'évaluation de leur demande et la fin de la remise en cause de la véracité des documents médicaux fournis. Nous revendiquons un hébergement dans le lieu de leur choix et une allocation de type RSA pour les demandeurs d'asile afin d'éviter les situations d'exploitation et de travail non déclaré. Nous demandons également d'autoriser les demandeurs d'asile à entreprendre ou continuer des études dès l'enregistrement de leur demande d'asile afin d'accéder à l'autonomie. Sans cela, elles demeurent dépendantes de leur entourage et sont exposées à des LGBTQI-phobies. Pour empêcher des situations de discriminations institutionnelles, nous demandons la mise en place d'un moyen de signaler les discriminations directes et légales qui empêchent les personnes d'accéder à leurs droits, sans devoir introduire un recours devant le tribunal administratif.

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Je vous remercie pour vos interventions et la mise en lumière des problèmes identifiés par nos collègues. Peu de pays, sur les 190 pays du monde, sont démocratiques. Cela représente peu de pays sûrs pour ces personnes.

Je souhaite vous entendre sur l'asile européen. Les pays européens tendent à se rejeter les difficultés de Dublin sans que cela évolue. Le traitement doit-il être le même quel que soit le pays ?

Avez-vous perçu des changements et des difficultés nouvelles au cours des dix dernières années dans les populations que vous accompagnez ? On évoque souvent une déviance de l'asile en France. Pouvez-vous préciser ce point ? Ces déviances sont-elles avérées ? Pourrait-on envisager un ministère qui gère à part entière ce problème, ce dernier étant aujourd'hui conjointement traité par cinq ministères (Logement, Travail, Santé, Affaires étrangères et Intérieur) ? Cela génère des blocages de dossiers.

Enfin, je ne souhaite pas qu'on jette l'opprobre sur les associations financées par l'État, car toutes les associations le sont, et les partis politiques d'opposition également. L'absence de financement de l'État ne représente pas une liberté accrue. Vous avez le droit à ces financements.

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Concernant l'ARDHIS, les personnes que vous avez aidées ont-elles rejoint vos bénévoles ? Comment a évolué le taux d'erreur résiduelle ? Comment se manifestent les remises en cause et comment pourrait-on éviter ces erreurs ? Parmi les demandes d'asile, quelles sont celles qui sont formulées directement au titre de l'orientation sexuelle et celles qui sont formulées ainsi en deuxième instance ? Les traitements contre le VIH sont-ils également disponibles à l'étranger ? Travaillez-vous avec des associations à l'étranger dans les pays non sûrs afin d'identifier des passerelles d'arrivée sur le territoire français ? Par ailleurs, les dispositifs de permanence d'accès aux soins sont-ils bien identifiés ? Le délai de carence de l'AME concerne-t-il aussi l'asile ? Je souhaiterais également des précisions concernant la suppression de la carte Vitale.

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Philippe Neyer, secrétaire de l'ARDHIS

La crainte relative à l'asile européen est celle du nivellement par le bas. Des marges de progrès existent pour la CNDA et l'OFPRA. Dans l'exemple du jeune homme sierraléonais dont la demande a été refusée par l'Allemagne, celui-ci se trouve dans une situation bloquée s'il ne peut pas déposer de demande dans un autre pays.

Concernant la déviance de l'asile, la présidente de la CNDA avait expliqué lors de son audition que les juges examinent la vraisemblance des récits. Or, en tant que bénévoles, nous ne disposons presque jamais de preuves fortes. Dévoiler le motif LGBT n'est pas significatif pour obtenir l'asile. Cela arrive très rarement. Nous voyons surtout des personnes LGBT qui ne parviennent pas à le faire valoir.

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Aude Le Moullec Rieu, présidente d'ARDHIS

La jurisprudence montre que le fait d'avoir eu une famille hétérosexuelle ne signifie pas que la demande d'asile n'est pas fondée. La demande d'asile des personnes LGBT relève de l'intime et de la façon dont la personne souhaite mener sa vie. Il n'est pas possible de la juger.

Nous percevons très peu de financements de l'État concernant l'asile. Nous parvenons à financer nos actions de formation. Nous faisons appel à des fondations privées pour financer nos actions de santé, mais la grande difficulté pour nous est de trouver des financements pour l'accès aux droits et l'aide à la rédaction de récits. Or, nous apportons une expertise reconnue et appréciée par les institutions sur ces sujets. Nous participons également à des groupes de travail sur la vulnérabilité avec le ministère de l'Intérieur. Nos ressources sont cependant faibles au regard de cette expertise.

Les bénévoles qui mènent nos actions sont peu issus des demandeurs d'asile. Nous comptons néanmoins quelques demandeurs d'asile ou réfugiés qui s'investissent dans l'association et apportent une expertise précieuse de personnes concernées. Elles apportent également une aide à l'interprétariat, qui est extrêmement important. En effet, en ce qui concerne les personnes LGBT, certains termes peuvent être insultants dans la langue étrangère, ce qui est susceptible de créer des incompréhensions et des confusions pendant l'audience.

En ce qui concerne les marges d'erreur, certaines personnes ont déposé une première demande d'asile lorsqu'elles étaient en situation de stress post-traumatique très grave, avec l'impossibilité de se souvenir, une confusion relative à la chronologie des événements et un sentiment de honte associé à la condition de LGBT. Or, cette honte persiste quelquefois après la venue en France, à des degrés divers. Une personne fragile ayant un traitement médicamenteux psychiatrique très lourd a vu sa demande rejetée parce que son récit n'avait pas été cru en première instance. Un accompagnement de deux ans et demi par notre association a abouti à un réexamen de sa demande d'asile. Les institutions ont des difficultés à tenir compte de la grande fragilité de certaines personnes en examinant leur dossier. Or, chaque demande d'asile est une histoire particulière.

La question des passerelles nous intéresse vivement. Nous sommes souvent sollicitées par des personnes demandant notre aide pour fuir des persécutions anti-LGBT. Certaines associations sont très actives, telles que Rainbow Railroad, qui procède à des activités d'exfiltration. Le succès repose généralement sur le tissu associatif LGBT dans les pays d'origine. Nous devons mener une réflexion pour favoriser ce tissu associatif et constituer des partenariats.

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Marc Dixneuf, président de AIDES

Ce sont aujourd'hui les associations qui paient les droits de timbre des étrangers lorsqu'ils doivent mener des démarches. Nous subventionnons également d'autres associations de lutte contre le SIDA. D'autre part, des bénévoles ayant un emploi salarié par ailleurs donnent du temps pour accompagner des demandeurs d'asile à la préfecture. Aujourd'hui, une personne qui se rend en préfecture pour faire valoir ses droits au séjour ne peut pas s'y rendre seule, car cela est trop complexe. En outre, certaines exigences, comme le diplôme du baccalauréat ou le CV, ne sont pas légales. Il faut pouvoir le signaler, et donc être accompagné.

La crise est un facteur d'aggravation de l'état de santé des personnes vivant avec le VIH ou y étant exposées. C'est également un facteur aggravant de violence à leur encontre. La politique interministérielle en France est celle du ministère de l'Intérieur. La santé publique en France n'existe pas, mais seulement le budget de la Sécurité sociale. La santé publique ne fonctionne pas ; elle n'est pas intégrée comme une politique publique ayant de la valeur.

Si l'on souhaite une politique interministérielle ou européenne, il faut en connaître le sens. À quoi sert Frontex, par exemple ? Il s'agit d'un ministère de l'intérieur européen qui ne s'inscrit pas dans une logique d'accueil des personnes, d'accompagnement, de renforcement de capacité ou de respect de la dignité des personnes. Si l'on souhaite faire du contrôle migratoire, c'est-à-dire empêcher les personnes de venir, ou les maltraiter au point qu'elles se noient ou se suicident, il faut continuer sur cette voie.

Au sujet du dévoiement, j'ai été accusé quelques années auparavant sur les réseaux sociaux de diriger une association de mafieux trafiquants de migrants. Nous avons porté plainte pour diffamation. Il s'agissait d'un bel exemple de dévoiement par une personne se prétendant défenseur des droits des LGBT. Un argument raciste consiste à dire que certaines personnes se prétendent homosexuelles pour bénéficier du droit d'asile, mais qui veut être homosexuel, en réalité ? Personne, même en France. L'épidémie de VIH est corrélée aux violences que subissent les personnes LGBT, qui se sont aggravées depuis dix ans.

Concernant la dimension internationale, nous avons fondé une coalition internationale d'associations communautaires de lutte contre le SIDA. Elle inclut l'Equateur, la Colombie, la Bolivie, le Burkina, le Mali et le Burundi notamment. Elle a 13 membres, qui ont tous des centres de santé prioritairement destinés aux hommes homosexuels ou ayant des relations sexuelles avec des hommes tout en ayant une vie sociale et familiale hétérosexuelle. Grâce au lien avec ces associations, nous avons une bonne connaissance de la situation des militants homosexuels. Beaucoup de militants d'AIDES sont issus des personnes que nous avons accompagnées. Dans ces pays, la violence envers les personnes LGBT est permanente. Il arrive que nous soyons contraints d'accompagner des militants à l'exil. Cela s'est produit en Afrique, où un certain nombre de militants ont été pourchassés et exfiltrés vers la France il y a une quinzaine d'années. À la suite de cela, nous avons créé le réseau AGCS, dans lequel nous sommes la seule association blanche française. Les autres associations sont africaines, et nous les soutenons, pour favoriser la défense des droits des LGBT dans ces pays. Ces militants souhaitent cependant rester sur place.

Les seules personnes qui parviennent à venir d'Afrique sont celles qui ont les moyens d'avoir des papiers et de payer des billets d'avion. Ce ne sont donc pas les personnes dont nous parlons aujourd'hui. Ce peut être vos homologues, mais pas les migrants dont nous parlons aujourd'hui.

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Aurélie Mayeux, responsable appui au plaidoyer et observatoires d'AIDES

Je propose de produire une contribution écrite sur l'accès à la santé. Au sein d'AIDES, en métropole et dans les territoires d'outre-mer, nous rencontrons des situations administratives de plus en plus complexes, des personnes extrêmement fragilisées, à la rue, avec un parcours migratoire extrêmement traumatisant. Les militants de terrain sont confrontés à des situations humaines très difficiles. Les salariés d'AIDES sont des animateurs d'actions qui évoquent des questions de santé et de santé sexuelle, et non des travailleurs sociaux. Nos militants doivent se saisir de situations administratives de plus en plus complexes de droit au séjour pour soins et d'asile. Nous sommes obligés de mobiliser de plus en plus de moyens sur les questions de droit au séjour. En ce qui concerne l'accès à la santé des publics, les permanences d'accès aux soins de santé sont perçues comme des lieux d'accueil inconditionnel, ce qu'ils sont, mais avec des budgets qui leur sont dévolus. Nous sommes amenés à effectuer des médiations avec les services hospitaliers. Nous accompagnons les personnes étrangères vers les services d'urgence afin qu'elles aient accès aux traitements d'urgence post-exposition au VIH.

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Alicia Maria, responsable pôle LGBT du BAAM

Je ne souhaitais en aucune façon attaquer d'autres associations, encore moins AIDES et l'ARDHIS dont nous partageons les recommandations. J'ai seulement expliqué les considérations politiques qui nous ont conduits à faire notre choix de ne pas percevoir de subventions.

En ce qui concerne l'instrumentalisation de l'asile en France, il est faux que prétendre être homosexuel permet d'obtenir l'asile. En effet, nombre de personnes LGBTQI se voient déboutées de l'asile et privées de statut légal en France. Je rappelle également que les personnes bisexuelles peuvent prétendre à l'asile en tant que LGBTQI. En outre, certaines personnes peuvent être mariées et avoir des enfants tout en étant LGBT, et effectuer un regroupement familial n'est donc pas incohérent avec le fait d'avoir obtenu un statut de réfugié en raison de son orientation sexuelle. Au BAAM, une partie des bénévoles sont des personnes que nous avons accompagnées dans le cadre de demandes d'asiles. Ce sont des bénévoles précieux, qui sont très bien placés pour conseiller les demandeurs d'asile au sujet de l'OFPRA.

En ce qui concerne le réexamen des demandes d'asiles, certaines personnes ne parlent pas immédiatement de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre, se limitant au reste de leur histoire, qui ne suffit pas à leur donner l'asile. Ces personnes sont bien souvent dépendantes de membres de leur communauté qui acceptent de rédiger leur récit en français. Or, ces derniers ne traduisent pas toujours les passages relatifs à l'identité sexuelle. Bien souvent, les personnes concernées n'osent pas ajouter ces sujets intimes durant l'entretien, surtout si l'agent ne les aborde pas. Une personne par exemple s'est déclarée très stressée de ne pas avoir parlé de sa bisexualité pendant son entretien à l'OFPRA. Après le refus de l'OFPRA, l'assistante sociale a fait part à l'avocat de ce sujet, qui n'a pas répondu pendant plusieurs semaines, jusqu'à la convocation de la CNDA. Ce sujet n'étant pas précisé dans le recours, la CNDA a également opposé un refus et la personne n'a pas obtenu l'asile alors qu'elle était en danger de mort dans son pays. Il a été nécessaire d'introduire un réexamen à l'OFPRA, ce qui a duré deux ans et demi, pendant lesquels la personne n'avait plus aucune condition matérielle d'accueil. Ce blocage aurait pu durer bien davantage sans l'aide de l'association. Bien souvent, les personnes ne savent pas qu'elles ont le droit d'introduire un réexamen et les délais sont serrés.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Merci beaucoup pour ce témoignage final, sur lequel nous conclurons par manque de temps. De nombreuses initiatives sont conduites face à la haine anti-LGBT qui croît en France depuis dix ans, comme Familles au grand cœur à Montpellier qui aménage des lieux d'hébergement pour les migrants. Il est encore possible de compter sur la solidarité. Vos associations peuvent soutenir les initiatives, car elles sont solides et ont de l'expérience.

La séance s'achève à quinze heures cinquante.