Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Réunion du jeudi 7 octobre 2021 à 9h45

Résumé de la réunion

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La réunion

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Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Jeudi 7 octobre 2021

La séance est ouverte à neuf heures cinquante-cinq.

(Présidence de M. Philippe Benassaya, président de la commission)

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Je vous rappelle que cette commission d'enquête a été créée à la demande du groupe Les Républicains, auquel j'appartiens, en vue d'identifier les dysfonctionnements, manquements et carences de la politique pénitentiaire française constatés de longue date. Nous nous sommes fixé un vaste cadre d'investigation, dont les thématiques abordées ce matin font partie. Nous avons déjà auditionné le directeur de votre administration, ainsi que la directrice générale de l'Agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ).

Mme Caroline Abadie, rapporteure de cette commission d'enquête, préside le groupe d'études prisons et conditions carcérales de l'Assemblée nationale. Nous avons par ailleurs effectué plusieurs visites en prison, dont la Santé et les Baumettes la semaine dernière. Une maison d'arrêt est implantée dans ma ville, Bois-d'Arcy, dont j'ai d'ailleurs été maire.

Nous avons tenu à vous auditionner afin d'approfondir les questions relatives à l'immobilier pénitentiaire, qui a des conséquences déterminantes sur les plans humain, social et budgétaire.

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La surpopulation chronique que connaît l'administration pénitentiaire depuis de longues années a des conséquences sur la qualité de la réponse pénale, sur le traitement de la radicalisation en détention et sur les options de réinsertion qu'elle propose à ses détenus. Le groupe les Républicains souhaite également pointer la situation des mineurs en détention. Nous nous intéressons en outre aux problématiques suivantes : ressources humaines, traitement de la violence, laïcité et encellulement individuel.

Nous aimerions prioritairement évoquer avec vous la question du parc immobilier, de ce plan de création de 15 000 places. Où en est-il ? Quelle est la variété de l'offre proposée au sein de ces places ?

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L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

(M. Boris Targe, M. Sylvain Allirot, M. Éric Besson et M. Thibault Nardi prêtent successivement serment.)

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Boris Targe, sous-directeur adjoint du pilotage et du soutien des services de la direction de l'administration pénitentiaire (DAP)

Notre sous-direction, composée de cinq bureaux qui couvrent la totalité des fonctions support du programme 107, est chargée de trois missions et de deux programmes. Elle regroupe une centaine d'agents.

Le premier bureau de la sous-direction est le bureau de la synthèse budgétaire. C'est celui qui assure le pilotage des crédits attribués au programme 107. Il s'agit d'une mission très classique dans les fonctions support, d'une fonction clairement financière.

Le bureau PS2, ou bureau de la gestion déléguée, est à la charge de M. Thibault Nardi. Je lui laisserai l'occasion de présenter son bureau plus particulièrement. Comme son nom l'indique, le PS2 pilote l'ensemble des grands marchés que nous passons avec les prestataires privés au titre de la gestion déléguée.

Le bureau PS3 est également représenté par son chef de bureau, M. Éric Besson. C'est le bureau de l'immobilier, chargé d'une fonction immobilière classique, à savoir le suivi du parc, de sa maintenance mais aussi de son évolution en vue de s'adapter aux besoins qui peuvent être exprimés par les sous-directions ou les différentes directions interrégionales.

Le bureau PS4 gère les systèmes d'information, prenant en charge le suivi de l'ensemble des applicatifs dont nous assurons soit la maîtrise d'ouvrage, soit la maîtrise d'ouvrage et la maîtrise d'œuvre. Nous assurons aussi la maîtrise d'œuvre de certains systèmes applicatifs du ministère de la justice.

Le bureau PS5 est celui de la performance. Sa fonction est double : une fonction d'animation du dialogue de performance et du contrôle de gestion, mais aussi un rôle de gestion budgétaire de l'administration centrale.

Notre première mission est la mission ONE : ouverture des nouveaux établissements. Il s'agit d'accompagner le process de mise en service et de fermeture lié, entre autres, au programme 15 000. À titre d'exemple, nous pouvons citer la mise en service récente de l'établissement de Lutterbach, dont l'arrivée des détenus est prévue dans les semaines à venir.

Nous sommes également chargés d'une mission équipement, qui consiste à suivre tout ce qui, d'une manière ou d'une autre, se rattache au courant faible de nos établissements. Cela regroupe les réseaux de sûreté, c'est-à-dire les caméras, les émetteurs récepteurs, les alarmes, la sécurité périmétrique de nos établissements, ainsi que l'ensemble des matériels technologiques qui contribuent fortement à la performance de nos services.

Je laisserai le soin à M. Sylvain Allirot le soin de présenter la mission maintenance, dont il est responsable.

Enfin, deux programmes à vocation temporaire sont rattachés à notre sous-direction. Le premier est celui de la transformation numérique, sur lequel je serais peut-être amené à décrire quelques projets auxquels nous sommes particulièrement attachés, dont la mise en place d'un programme de mobilité au bénéfice de nos agents. Le deuxième programme, plus classique, est celui du renforcement de la fonction financière, qui permet d'assurer un pilotage plus fin de notre programmation et de notre suivi budgétaire.

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Éric Besson, chef du bureau de l'immobilier

Le bureau PS3 s'occupe, entre autres, du programme immobilier en cours et de la maintenance du parc immobilier existant.

Le programme immobilier en cours s'inscrit dans la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Il s'agit de créer des places de détention, d'atteindre l'objectif d'encellulement individuel fixé à 80 %, tout en gardant à l'esprit que cette loi vise aussi à favoriser le développement des alternatives à l'incarcération. Quoi qu'il en soit, 4 000 nouvelles places de détention sont prévues à l'horizon 2027.

Le premier objectif de ce programme consiste à résoudre le problème de la surpopulation carcérale. Eu égard à la complexité de la situation, il serait toutefois réducteur de se limiter à la création de maisons d'arrêt, en particulier parce que certains condamnés restent incarcérés dans un quartier de maison d'arrêt.

Le second objectif vise à lutter contre la récidive en offrant de meilleures conditions de préparation à la sortie et, plus largement, à améliorer les conditions de détention, de tendre vers plus d'activité physique – dans l'idéal cinq heures par jour et par détenu. C'est également à cet effet qu'a été créée l'ATIGIP, l'Agence du travail d'intérêt général et de l'insertion professionnelle.

Par ailleurs, nous aspirons à l'amélioration des conditions de travail, je dirais même de vie des personnels pénitentiaires, mais aussi des personnels partenaires dans nos établissements.

Nos objectifs consistent en outre à répondre aux exigences de sécurité de sûreté. Les établissements sont classés en différentes catégories en fonction des modes de détention mais aussi du niveau de sûreté, tout cela à partir d'une analyse de gestion des risques.

Notre programme immobilier se fonde avant tout sur un besoin de places, évidemment, mais un besoin de places territorialisé. Une étude a permis d'objectiver les besoins département par département puis de les agréger au niveau d'un département centre, de manière à pouvoir créer des établissements pénitentiaires en tenant compte des impératifs de territorialisation, mais aussi de priorisation. Les tensions sont plus marquées dans certaines régions : l'Île-de-France, l'Occitanie et la Provence-Alpes-Côte d'Azur. La priorisation implique donc un nombre plus important d'établissements pénitentiaires dans ces territoires, mais aussi une priorisation dans le temps. Les territoires d'outre-mer sont bien entendu inclus dans le programme.

De manière schématique, le programme immobilier se décline en deux types d'établissements : une trentaine d'établissements courants, c'est-à-dire des centres pénitentiaires, et des dispositifs d'accroissement de capacité, à savoir des extensions d'établissements pénitentiaires ; des établissements spécifiques de préparation à la sortie que nous appelons les structures d'accompagnement vers la sortie, ou SAS, qui se répartissent en sept établissements neufs et huit établissements existants réhabilités. Les trois établissements expérimentaux à venir, qui placeront le travail comme un tremplin vers l'emploi, peuvent être considérés comme constituant une troisième catégorie distincte.

Le bureau PS3 travaille en collaboration avec le ministère de la justice et son opérateur de l'immobilier, l'APIJ, pour la mise en œuvre du programme. Il garantit les objectifs de qualité à travers un travail sur des référentiels de programmation. Nous participons à des études, à des travaux, en partenariat avec l'APIJ, et nous nous associons activement à la préparation et la mise en service des établissements. Nous devons évidemment gérer la maîtrise du coût d'un programme aussi ambitieux qui s'élève en tout à un peu plus de 5 milliards d'euros. Nous nous devons de suivre cette maîtrise des coûts, de réajuster les besoins, année après année, puis de suivre les éventuels surcoûts qui se présenteraient au fil du temps, établissement par établissement. Nous sommes également tenus de respecter les délais, à savoir 7 000 places en 2022 et 8 000 places à l'horizon 2023.

Le patrimoine existant est très important, hétérogène, composé de 185 structures, 186 si l'on comptabilise l'EPSNF, l'Établissement public de santé national de Fresnes. Les établissements varient du plus ancien au plus récent et reposent sur différents modes d'élaboration des constructions. Par ailleurs, 103 bâtiments accueillent les services d'insertion et de probation, ou SPIP, les bâtiments des directions interrégionales ainsi que l'ensemble des autres bâtiments spécifiques : des pôles régionaux d'extraction judiciaire – PREJ –, des bases pour les équipes régionales d'intervention et de sécurité – ERIS –, des bases cynotechniques, des stands de tir, des centres de formation, notamment à l'ENAP, dont une extension est prévue.

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Incluez-vous également les établissements pour mineurs parmi ces 186 structures ?

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Éric Besson, chef du bureau de l'immobilier

Oui, tout à fait.

Nous recherchons constamment à répondre à de multiples besoins, les principaux étant les suivants.

Il s'agit tout d'abord de garantir le maintien en condition des établissements, l'investissement, le gros entretien de renouvellement, c'est-à-dire les travaux importants nécessaires pour assurer l'efficacité des toitures, des menuiseries extérieures, des installations de chauffage ou encore des systèmes électriques.

Nos constructions doivent également rester en conformité avec l'ensemble des réglementations pénitentiaires, mais aussi des normes de construction telle que l'accessibilité, la sécurité incendie et la transition écologique.

Nous devons également assurer la sécurisation du patrimoine, en particulier à travers la sûreté active puisque, les technologies évoluant, nos dispositifs doivent être mis à jour.

Les services déconcentrés, c'est-à-dire les départements des affaires immobilières des neuf directions interrégionales et de la mission outre-mer, sont chargés de mettre en œuvre ces travaux de maintenance. Ils gèrent par ailleurs quelques constructions de dimension modeste, que l'on ne confie pas à l'APIJ.

En résumé, nous remplissons une mission particulièrement importante : assurer la fonctionnalité des établissements et l'amélioration des conditions de détention dans le patrimoine existant. Il ne s'agit pas seulement de l'hébergement, mais aussi de l'offre de soins, de la restauration, et de l'ensemble des travaux de maintenance.

Une étude que nous avons réalisée en 2017 montrait que nos besoins représentaient environ 140 millions d'euros par an. C'est donc sur cette base que nous travaillons actuellement. Nous ne l'avons pas en dotation, qui s'élèverait plutôt à 110 millions d'euros. Toutefois, grâce aux redéploiements internes de crédits, nous consacrons chaque année 130 millions à 140 millions d'euros au maintien de nos établissements.

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Thibault Nardi, chef du bureau de la gestion déléguée et des partenariats public-privé

Notre bureau assure la passation et le suivi national des marchés de gestion déléguée et des PPP, les partenariats public-privé. Il gère également le traitement, en appui des services déconcentrés, des questions relatives à l'interprétation, l'exécution et l'évolution de ces contrats. Il permet surtout de garantir une cohérence nationale du contrôle de la performance de ces prestations.

Le bureau, composé d'une dizaine de personnes, s'organise autour de trois pôles : un pôle marché de gestion déléguée, premier type de contrat ; un pôle PPP, correspondant à un second type de contrat ; un pôle fonctions transverses doté d'une expertise en restauration et chargé de l'ensemble des systèmes d'information, puisque nous avons développé notre propre système afin de suivre nos contrats.

La gestion déléguée est un mode de gestion des établissements pénitentiaires alternative à la gestion publique, caractérisée par le transfert vers un opérateur ou un groupement d'opérateurs de la responsabilité d'organiser et d'assurer un certain nombre d'activités et de services supports de l'exploitation pénitentiaire. Nous déléguons principalement deux grandes catégories de services : les services à la personne – restauration des personnes détenues, du personnel, cantine, hôtellerie, buanderie –, le transport, l'accueil des familles et le travail ; les services d'entretien et de maintenance.

La gestion déléguée est permise depuis la loi dite Chalandon de 1987. Elle autorise un certain niveau de délégation mais prévoit explicitement que certaines fonctions ne peuvent pas être déléguées à des prestataires privés, notamment les fonctions régaliennes de direction, de greffe et de surveillance. C'est donc un fonctionnement distinct du système de prisons privées propre à d'autres pays, comme le Royaume-Uni.

L'objectif principal de la mise en place de la gestion déléguée était double. Il s'agissait tout d'abord de recentrer l'administration sur ses missions régaliennes. Ensuite, il reposait sur la volonté de s'appuyer sur l'expertise d'entreprises disposant de compétences complexes dans les services délégués, notamment en raison de la complexité de la maintenance de certains équipements.

Nos contrats sont assez atypiques dans le paysage de la commande publique, du fait du haut niveau de management inclus, qui permet au chef d'établissement d'avoir un responsable de site comme interlocuteur, de faire la synthèse de l'ensemble des prestations, de les centraliser, ce qui se traduit in fine par une facilité de pilotage des contrats.

Nous nous situons actuellement dans notre quatrième génération de marchés de gestion déléguée. Ces marchés ont une durée de six à sept ans. Nous sommes en train de réécrire la cinquième génération, qui se déroulera en trois phases : une première phase sur 2021-2022, une deuxième phase sur 2022-2023 et une dernière phase sur 2023-2024. Cette nouvelle génération de marchés assurera le renouvellement des marchés existants à périmètre quasi constant et intégrera de nouvelles ouvertures.

La délégation peut se faire selon trois modes distincts. Le mode classique de la gestion déléguée s'applique à des marchés publics multitechniques et multiservices d'une durée de six à sept ans. Les deux PPP peuvent revêtir deux formats juridiques : les autorisations d'occupation temporaire-location avec option d'achat, ou AOT-LOA, souvent couplées d'ailleurs à un marché de gestion déléguée, ou MGD, pour la partie service à la personne, qui intègrent la construction, le financement et l'exploitation de maintenance des ouvrages ainsi que les packs services à la personne. Il existe enfin des contrats de partenariat qui peuvent inclure, par exemple, des services à la personne.

Un bilan établi par le ministère a mis en relief certains avantages dans ce mode de fonctionnement : livraison dans les délais et avantages budgétaires, dans la mesure où les coûts de construction ne sont payés qu'après la livraison, ce qui permet en outre d'accélérer les programmes. En revanche, un certain nombre d'inconvénients ont été pointés, notamment la durée des contrats, peu pertinents pour certaines prestations comme les services à la personne, ainsi qu'une rigidité lors de l'évolution des politiques pénitentiaires, notamment la création de nouveaux quartiers au sein d'établissements existants, qui nécessitent des négociations assez longues avec les prestataires. En 2017, il a donc été décidé collectivement de ne plus recourir aux marchés de partenariat au sein de l'administration pénitentiaire. Par conséquent, nous n'assurons plus que le suivi de l'existant. Je précise qu'il s'agit d'une décision qui ne s'applique qu'à l'administration pénitentiaire.

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Sylvain Allirot, chef de la mission maintenance

Nous nous occupons spécifiquement de la stratégie de maintenance au niveau national et de son déploiement, qui consiste à favoriser grandement la maintenance préventive par rapport aux interventions correctives, ce qui nous permet de maintenir un haut niveau de fonctionnalité sur les établissements.

Nous sommes aussi chargés d'une mission d'assistance auprès des bureaux PS2 ou PS3. Nous intervenons en avance de phase dans la conception des établissements pour porter un avis sur la maintenabilité et la performance des futurs établissements. Nos collègues en prennent connaissance et modifient les programmes en fonction. Nous intervenons aussi à la livraison du bâtiment afin d'assurer la passation vers nos partenaires, de façon fluide, en fournissant l'ensemble de la documentation, des services mis en place et des opérations de maintenance. À titre d'exemple, à Lutterbach, le contrat démarre bien avant l'arrivée des détenus pour que l'on puisse s'assurer de la performance du bâtiment et vérifier que toutes les fonctions sont pleinement remplies, dans le but d'éviter toute difficulté à nos collègues du terrain au moment de la mise en service effective.

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Nous avons un questionnaire en seize points précis, dont les trois quarts sont relatifs au budget, au nombre d'établissements, au nombre de places, etc. Pourriez-vous nous transmettre vos réponses détaillées par écrit ?

La question de la gestion déléguée interroge souvent. Certaines prestations sont de grande qualité mais sont vite rattrapées par un manque de flexibilité et de réactivité pourtant indispensables dans l'administration pénitentiaire. Comment êtes-vous parvenus, au fil du temps, à mener les prestataires vers une meilleure compréhension du fonctionnement de la pénitentiaire et de son besoin de réactivité, voire d'autonomie ?

Ma seconde question porte sur le plan 15 000, en particulier sur cette adaptation à différents niveaux de sécurité et sur la gestion de la détention par l'administration pénitentiaire. Concrètement, on a décidé de créer des SAS. C'était une volonté du législateur, donc j'en suis très heureuse. Mais il n'y a pas de liberté de circulation à l'intérieur de ces SAS. Ce besoin sécuritaire est-il justifié, y compris dans les nouveaux services expérimentaux ? Comment qualifieriez-vous les différents niveaux de sécurité que l'on impose aux établissements pénitentiaires ? Combien cela coûte-t-il ?

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Thibault Nardi, chef du bureau de la gestion déléguée et des partenariats public-privé

Malgré son nom, notre bureau gère en réalité deux types de contrats différents.

Il s'agit tout d'abord des PPP, contrats de long terme, d'une durée d'exploitation de vingt-cinq à trente ans en plus de la durée de construction. Il est vrai que ces contrats se traduisent par des difficultés dans les délais de réalisation, malgré leur optimisation au cours des dernières années. Il s'avère toujours long, en effet, de pouvoir lancer de nouveaux travaux, comme la simple pose d'une nouvelle ligne de téléphone. Cependant, s'agissant des travaux qui engagent la sécurité pénitentiaire, nos prestataires se montrent bien plus réactifs car ils comprennent l'enjeu que cela représente pour nous.

Nous gérons par ailleurs des marchés de gestion déléguée qui ont une durée plus courte, allant de six à sept ans. Dans ce cas, les prestataires interviennent sur l'existant. Lorsque de nouveaux travaux sont à réaliser, l'administration pénitentiaire les réalise elle-même et la gestion déléguée en assure ensuite la maintenance. Cela n'entraîne donc pas de délais.

Lors de la crise du covid, l'ensemble de nos prestataires ont répondu présent et nous n'avons recensé quasiment aucun problème avec les prestataires de gestion déléguée. Je pense que cela prouve l'intérêt de ce modèle, qui s'adapte très bien aux exigences de l'administration pénitentiaire.

Concernant le suivi, vous le verrez dans les chiffres que nous vous transmettrons, les contrats de gestion déléguée représentent un engagement assez important pour l'administration pénitentiaire qui, depuis une dizaine d'années, s'est structurée sur la base d'un réseau à trois niveaux : un niveau central, représenté par mon bureau ; un niveau régional, comprenant des unités de gestion déléguée ; dans chaque établissement, une cellule qui reprend globalement les mêmes compétences qu'au niveau central, c'est-à-dire des compétences à la fois techniques et administratives. L'organisation en réseau est indispensable au maintien de notre niveau de prestation actuel. En complément, l'administration pénitentiaire, au niveau central, mandate des audits très réguliers dans les établissements, qui peuvent porter sur l'hygiène, la restauration ou la maintenance. Ainsi, lorsque des carences sont identifiées, un plan d'action peut être mis en œuvre de façon réactive.

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Éric Besson, chef du bureau de l'immobilier

La sécurité se décline selon les types d'établissements. Dans le cadre de notre programme, nous construisons des établissements à sûreté adaptée et d'autres à sûreté renforcée. La sûreté renforcée consiste à traiter les établissements contre l'évasion à l'aide d'une couverture par des filets anti-hélicoptères et des miradors. Dans les établissements à sûreté adaptée, on ne trouve pas ces dispositifs, ce qui laisse beaucoup plus de liberté.

Concernant la gestion de la détention, nous créons différents quartiers dans les établissements courants, dont des quartiers confiance, dans lesquels on accorde beaucoup plus d'autonomie et de liberté de circulation aux détenus entre les zones d'hébergement et les espaces de promenade, mais aussi dans la circulation vers les unités fonctionnelles. Des quartiers confiance sont prévus dans chaque établissement du programme 15 000. Par ailleurs, la question de la sécurité ne traite pas seulement de l'évasion, mais aussi des violences, entre détenus ou à l'égard des personnels, risque qu'il nous faut évidemment gérer. Certains détenus posent plus de problèmes que d'autres et, dans le cadre du programme, sont créées de très petites unités que l'on appelle des unités pour détenus violents, ou UDV. D'autres détenus posent difficulté tout simplement dans la gestion de la détention, car ils reçoivent des projections qui nuisent à l'ambiance générale de l'établissement. À ce titre, chaque établissement est étudié au cas par cas avec, ici ou là, la création de quartiers plus ou moins sécurisés.

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Qu'en est-il des programmes de réhabilitation lourde, qui ne s'inscrivent ni dans la construction neuve ni dans la maintenance ? Je pense évidemment à la prison de Château-Thierry. Elle a certes fait l'objet de petits travaux d'entretien, mais ils demeurent insuffisants.

J'aimerais par ailleurs savoir quel bureau est sollicité pour réhabiliter, rénover de fond en comble et mettre aux normes les établissements.

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Boris Targe, sous-directeur adjoint du pilotage et du soutien des services de la direction de l'administration pénitentiaire (DAP)

Vous posez une question fondamentale puisque la création de certains de nos établissements remonte maintenant à plusieurs décennies, voire plusieurs siècles, et la nécessité de restructuration de ces derniers ne peut faire l'objet d'aucun débat. Notre politique en la matière repose sur deux axes. Tout d'abord, nous faisons en sorte que ces établissements puissent obtenir un programme de maintenance adéquat pour garantir un niveau de condition opérationnelle satisfaisant. C'est ainsi que notre budget est passé de 70 millions à 110 millions d'euros en l'espace de six ou sept ans, et même 140 millions d'euros grâce aux redéploiements de crédits. Il est à noter que cette somme reste toutefois insuffisante. Nous travaillons par ailleurs sur un certain nombre de grands schémas directeurs en prévision des prochaines lois de programmation que nous serons amenés à demander au Parlement. Nous étudions ainsi actuellement les schémas directeurs de Fresnes et de Rouen. Ce programme de réhabilitation, qui est en cours dans un certain nombre d'établissements, va se perpétuer au cours des prochaines décennies.

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Éric Besson, chef du bureau de l'immobilier

Je distingue la maintenance des travaux d'investissement. Actuellement, une trentaine de projets d'envergure sont à l'étude, indépendamment des grandes réhabilitations dont parlait M. Targe à l'instant. Pour prendre quelques exemples, la rénovation de Niort, maison d'arrêt assez ancienne, a nécessité un peu plus de 4 millions d'euros, et la maison d'arrêt de Limoges a elle aussi été récemment rénovée. Les travaux à réaliser dans les établissements de la génération des années 1990 et 2000 touchent plutôt à un besoin de modernisation des installations techniques. Parmi ces projets, nous pouvons citer la maison centrale de Saint-Maur, programme d'environ 20 millions d'euros déployé actuellement dans le cadre le plan de relance pour la rénovation énergétique L'outre-mer n'est pas en reste, concentrant de nombreux projets de l'ordre de 1,5 million à 12 millions d'euros. L'établissement de Saint-Étienne, La Talaudière, fait l'objet d'un projet de restructuration à hauteur de 12 millions d'euros, dont le terme est prévu pour 2023. On dénombre également de grands projets tels Fresnes, Poissy, Rouen ou Nouméa, grands établissements pour lesquels nos objectifs dépassent la simple réhabilitation. Ces projets impliquent de pouvoir transférer au moins partiellement la population des personnes détenues dans d'autres établissements. Il s'agit donc d'une gestion particulièrement complexe, qui nécessite à cet effet l'utilisation de constructions neuves.

Les SAS représentent un niveau de sécurité allégée car le public accueilli sera dans une démarche active de préparation à la sortie et non pas d'évasion. Par conséquent, l'enceinte diffère de celle des établissements courants et se compose d'une clôture urbaine de hauteur rabaissée traitée de manière qualitative avec de la sécurité active. Les chemins de ronde, les glacis et les zones neutres disparaissent, ce qui constitue une très grande nouveauté dans nos établissements pénitentiaires. Il existe une certaine liberté de circulation grâce au contrôle d'accès, qui autorise un mode portes ouvertes au cours de la journée, avec des lieux de restauration et de détente accessibles. Les détenus peuvent se déplacer, en fonction de leurs rendez-vous, à l'unité sanitaire, à la plateforme d'insertion et de préparation à la sortie ou encore au parloir, sans être accompagnés ni devoir franchir les grilles de portes commandées à distance. La livraison des SAS neuves est prévue d'ici à 2022.

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Ce qui ressort bien souvent de nos rendez-vous avec les directeurs d'établissement, ce sont les multiples problèmes de malfaçons, de maintenance, d'entretien, d'assainissement, d'électricité, etc. Quels sont vos moyens de pression pour faire respecter les contrats, en termes de délais comme d'efficacité ?

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Boris Targe, sous-directeur adjoint du pilotage et du soutien des services de la direction de l'administration pénitentiaire (DAP)

En tant que directeur des services pénitentiaires ayant passé quinze années sur le terrain, je ne peux que confirmer ce type de difficultés. Nous devons toutefois opérer des distinctions en fonction des circonstances. Nous gérons plusieurs catégories d'établissements. La gestion déléguée porte sur des bâtiments qui datent des années 1980 à 2000, qui ne posent pas les mêmes problèmes que les prisons départementales du XIXe siècle. Nos stratégies sont totalement différentes selon qu'il s'agisse de gestion déléguée ou de gestion publique. Dans le premier cas, nous disposons d'un prestataire in situ que nous avons sous contrat et avec lequel nous avons travaillé sur l'atteinte de la performance. Dans le second cas, nous souffrons d'une pénurie de personnel liée à des difficultés de recrutement, et nous sommes contraints de recourir à des contrats qui sont spécifiques à chacun de nos différents matériaux segments sur lesquels nous devons assurer une maintenance.

Cela pose donc la question du pilotage d'une multitude de prestataires et correspond à un changement total de paradigme et de métier pour nos établissements. Jusqu'ici, pour un établissement de 400 à 500 places, nous fonctionnions avec une équipe d'une dizaine de personnels techniques et assurions en régie l'ensemble de la maintenance. Subitement, nous comptons un effectif beaucoup plus restreint, avec pour objectif de coordonner un très grand nombre d'intervenants. Nous nous retrouvons ainsi dans la situation d'un particulier qui ferait appel, par exemple, à un plombier. Mais nous développons cette stratégie d'une manière très volontariste.

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Sylvain Allirot, chef de la mission maintenance

Ces deux modes de gestion aujourd'hui présents au sein de l'administration pénitentiaire nous ont invités à nourrir une réflexion autour des bonnes pratiques découvertes en gestion déléguée – GD – comme en gestion publique – GP –, afin d'alimenter une démarche d'amélioration continue. Comme vous l'expliquait mon collègue Thibault Nardi, en GD, nous avons avancé dans les générations de contrats, ce qui nous a permis de les fiabiliser, de rehausser le niveau d'exigence et de gérer pour chaque item des durées d'intervention, des niveaux de service et des niveaux de performance minimum obligatoire. Cette GD présente le très grand avantage pour le chef d'établissement d'avoir affaire à un interlocuteur unique pour répondre aux besoins de son établissement. Comme l'a expliqué mon collègue Boris Targe, la GP nous a conduits à un morcellement de la vision technique de l'entretien des établissements. Nous modifions notre stratégie en regroupant les petits contrats pour revenir à une vision multitechnique et faciliter le travail du chef d'établissement.

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Tout cela est extrêmement technique. Nous nous rendons bien compte des efforts déployés pour offrir à nos concitoyens des lieux sécurisés mais aussi propices à la réinsertion, dans le cadre de ce que le législateur impose à l'administration pénitentiaire et de ce que la société attend de sa prison.

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J'aimerais savoir si le centre de Château-Thierry figure dans la liste des trente établissements de votre programme, car cette prison date de 1850 et n'a jamais fait l'objet de réhabilitation lourde.

La réunion se termine à dix heures cinquante-cinq.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Présents. - Mme Caroline Abadie, Mme Françoise Ballet-Blu, M. Philippe Benassaya, M. Jacques Krabal

Excusés. - M. Alain David, Mme Monica Michel-Brassart, M. Stéphane Trompille