L'audition débute à quinze heures.
Depuis 2008, la Société francophone de santé et environnement (SFSE), société savante, vise à promouvoir la recherche et à développer la prévention, à assurer la diffusion des connaissances, à porter auprès des décideurs publics les connaissances scientifiques les plus récentes et à mettre en réseau les acteurs aux approches complémentaires.
Mme Élisabeth Gnansia, qui préside la SFSE, est médecin généticienne retraitée, ancienne directrice du registre des malformations congénitales de Lyon dont elle préside le conseil scientifique. Elle est accompagnée de Mme Catherine Cecchi, vice-présidente de la SFSE, présidente de la société régionale de santé publique de Languedoc-Roussillon, de M. Fabien Squinazi, trésorier de la SFSE, médecin biologiste, membre du Haut conseil de la santé publique et de Mme France Wallet, administratrice de la SFSE, médecin évaluateur de risques en santé-environnement au service des études médicales d'EDF et experte pour le Haut conseil de la santé publique.
Nous sommes intéressés par l'appréciation de la Société francophone de santé et environnement sur la mise en place et la mise en œuvre des politiques de santé environnementale en France et sur les priorités qui doivent les animer.
( Mme Catherine Cecchi, Mme Élisabeth Gnansia, M. Fabien Squinazi et Mme France Wallet prêtent serment. )
Vous souhaitez notre avis sur le plan national santé-environnement (PNSE 3) et sur le PNSE 4, ainsi que sur les priorités en termes de santé-environnement et les éventuelles réformes de la gouvernance qui pourraient améliorer ce champ d'intérêts.
Nous avons vu assez peu d'évaluations du PNSE 3. Une évaluation interne de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) a été effectuée. Le Haut conseil de la santé publique a été récemment saisi pour une évaluation de l'ensemble des PNSE, mais nous n'avons pas de document définitif. Les actions du PNSE 3 n'ont pas été poursuivies dans le projet de PNSE 4 et nous avons un peu l'impression de redémarrer au départ, de traiter d'autres sujets alors que les actions précédentes n'ont pas été vraiment évaluées.
J'ai eu l'occasion de participer aux groupes de travail sur le PNSE 3 et pour la préparation du PNSE 4. En ce qui concerne le PNSE 3, nous avions fait des propositions, qui se sont ajoutées les unes aux autres et nous avons finalement constaté que ce PNSE 3 manquait de moyens d'action. Nous avons eu du mal à mener à bien toutes les actions prévues.
Par exemple, un plan d'action sur la qualité de l'air intérieur avait été mis en place en 2013, pour le PNSE 3. Le bilan que nous en avons fait pendant la préparation du PNSE 4 nous a permis de constater que, probablement par manque de moyens et de suivi, les actions n'ont pas été complètement suivies d'effet. Ainsi, un étiquetage avait été mis en place sur les produits de construction et de décoration. Nous avons simplement vérifié que l'étiquette dite A+ se trouvait bien sur les emballages de ces produits, mais nous n'avons pas vérifié si cet étiquetage était efficace, si des essais avaient été faits pour contrôler la correspondance entre l'étiquetage et les émissions de composés chimiques volatiles des produits.
Dans le PNSE 3, il avait été proposé de faire des autodiagnostics et des mesures de différents polluants dans les établissements recevant du public, notamment dans les établissements accueillant de jeunes enfants, comme les crèches et les écoles. Nous avons eu une remontée d'informations sur les polluants mesurés et nous avons pu établir une distribution des concentrations de polluants dans ces établissements. Malheureusement, nous n'avons pas su quel était le bilan de ces autodiagnostics. Cet autodiagnostic a été repris dans l'action 13 du PNSE 4, malgré l'absence de bilan.
Ces deux exemples montrent que nous ne sommes pas parvenus, dans ce PNSE 3, à aller jusqu'aux objectifs fixés, probablement par manque de moyens. Nous n'avons pas obtenu les résultats que nous aurions pu attendre.
Dans le PNSE 4, nous redémarrons avec différentes actions novatrices, mais sans avoir préparé le terrain. Nous préconisons un certain nombre d'actions, sans que nous sachions si nous avions déjà obtenu des résultats dans le PNSE 3, si les actions étaient efficaces. Certaines actions du PNSE 3, dont nous ne savons pas si elles ont totalement abouti par manque d'évaluation, sont oubliées dans le PNSE 4. Je pense en particulier à la pollution atmosphérique qui n'est pas reprise dans ce plan.
Nous avons posté, au nom de la Société francophone de santé environnement, une réaction au PNSE 4 sur le site prévu à cet effet. Nous l'avons critiqué action par action, axe par axe, de façon très précise.
Il nous semble que, du point de vue de la gouvernance, il manque une coordination entre les deux ministères en charge de cette problématique. Par exemple, il existe une évaluation partielle du PNSE 3 sur le site du ministère de la santé, faite par l'IGAS. Cette évaluation partielle devait être faite conjointement par le Conseil général de l'environnement et de développement durable (CGEDD), l'IGAS et un troisième organisme. Finalement, ce rapport n'a été fait que par l'IGAS parce qu'il a été impossible d'obtenir un consensus. Nous avons donc l'impression d'un manque de coordination entre les deux ministères. D'autres ministères pourraient d'ailleurs aussi être impliqués dans la problématique santé-environnement. Il nous semble qu'il serait important de créer une structure interministérielle qui soit vraiment consacrée à la santé environnementale.
Nous avons l'impression que se trouvent, au ministère de la Transition écologique, des gens extrêmement motivés par l'environnement, parfois même militants. Le ministère de la Transition écologique met plutôt l'accent sur la biodiversité, l'environnement et parfois, incidemment, sur la santé. Du côté du ministère de la Santé, la santé-environnement est un peu le parent pauvre.
À ma connaissance, deux rapports ont été réalisés, avec un tronc commun. L'un des rapports a été porté par l'IGAS, côté santé, mais le ministère de la Transition écologie a également fourni un rapport rédigé par le CGEDD.
Il existe effectivement un onglet « Évaluation du PNSE 3 » sur le site, mais le rapport est introuvable en cliquant sur cet onglet.
C'est un problème technique. Nous avons reçu les deux inspecteurs des deux ministères concernés. Chacun nous a bien présenté les résultats de son rapport. Les deux rapports ont donc bien été fournis.
J'aimerais beaucoup y avoir accès.
Ce sera facile de faire remonter cette information. Les deux ministères ont tenté de travailler en commun, sans succès, puisque deux rapports ont été rendus. Il me semble toutefois qu'il nous a été dit, lors de ces deux auditions, qu'un rapport final commun, produit d'un consensus difficile à établir, avait tout de même été écrit.
Tout ceci n'enlève rien à la légitimité de votre remarque : vous soulignez les difficultés de coordination entre ces deux ministères et vous soulignez que la coordination devrait être étendue à d'autres ministères.
Elle pourrait en particulier être étendue aux ministères des Transports, de l'Agriculture. Ces ministères ont évidemment un rôle à jouer dans la problématique santé-environnement.
Le ministère de la Culture, pourtant important, n'est jamais sollicité en matière de santé-environnement. Tout ce qui concerne l'architecture et l'urbanisme est sous sa tutelle. Les relations avec les autres ministères sont très lâches, alors que nous avons besoin d'améliorer nos compétences en santé-environnement dans le champ de la construction, quelle qu'elle soit, de l'aménagement des villes, des campagnes et des zones non urbaines.
Comment l'urbanisme et l'architecture pourraient participer à une politique publique officielle de santé environnementale ?
Par exemple, lorsque des constructions sont envisagées sur des zones qui ont été précédemment polluées, les analyses de sol à effectuer ne sont pas obligatoirement préconisées par le ministère de la Santé. L'évaluation d'impact sur la santé peut être diligentée par une mairie, mais ce n'est pas obligatoirement diligenté par une recommandation ministérielle.
Nous avons parlé du manque de coordination apparente entre les PNSE 3 et PNSE 4, alors que nous souhaiterions que l'un soit la continuité de l'autre. Nous avons l'impression d'une rupture de continuité.
En ce qui concerne la gouvernance, il existe de nombreuses agences en France. Je ne prendrai pas parti pour dire s'il en existe trop ou pas assez. En tout cas, les agences ont un rôle d'évaluation qui, parfois, n'est pas différent de celui du Haut conseil de la santé publique. Je sais que les agences sont dédiées à l'évaluation alors que le Haut Conseil est dédié à la gestion, mais la distribution des rôles n'est pas toujours claire. Comme de nombreux orateurs l'ont déjà dit, nous avons été très surpris par la création d'un conseil scientifique à l'occasion de la pandémie puisque, du fait de la très large palette d'agences dédiées à la santé et à l'environnement en France, toutes les structures utiles étaient déjà présentes et il semblait inutile d'en créer une nouvelle. Le tuilage entre ce conseil scientifique et le Haut conseil de la santé publique a donné lieu à des évènements regrettables.
Nous avons beaucoup lié la problématique des agences à celle des territoires. Plus de 70 % des saisines des agences sanitaires viennent des ministères. Une partie sont des autosaisines et l'ensemble prend une partie considérable du temps de travail de ces agences. Il nous est remonté des territoires que les besoins en évaluation des risques et en gestion sont très grands dans les régions et que, lorsque des demandes faites auprès des agences, ne sont pas prioritaires pour ces dernières. Les délais sont considérables. Le besoin d'expertise dans les régions n'est pas satisfait, ce qui est un problème important.
Dans la coexistence entre les deux ministres principalement concernés par la santé-environnement, le ministère de la Santé accorde une trop grande priorité au soin par rapport à la prévention dans le domaine de la santé-environnement en général.
La coordination avec les régions est insuffisante, en particulier entre le plan national de santé-environnement et les plans régionaux. Le plan national ne semble pas se nourrir de ce qu'il se passe dans les régions, ni d'ailleurs de ce qu'il se passe en Europe. Je pense que ce lien manque.
Ces plans sont des catalogues qui manquent un peu de hiérarchisation. Par exemple, alors que nous constatons l'importance de la ventilation dans la pandémie actuelle, le mot ventilation n'apparaît qu'une seule fois dans le PNSE 4. Il apparaissait dans le PNSE 2 mais, finalement, nous nous demandons quelles sont les actions qui ont été conduites pour améliorer la ventilation. C'est un sujet connu, indiqué dans le PNSE 2, un peu ôté du PNSE 3, qui revient dans le PNSE 4, de façon très partielle.
Le phénomène est le même en ce qui concerne la formation. Le plan parle beaucoup de la formation et de l'information du public, mais très peu de la formation des professionnels, notamment des professionnels de santé qui ne sont malheureusement pas des experts en santé-environnement. Ils sont à peu près au niveau du public en termes de connaissances. Je pense extrêmement important et urgent que cette action de formation des professionnels, que nous « traînons » depuis le PNSE 1, aboutisse puisque l'information santé passe souvent par les professionnels de santé.
Vous nous avez parlé de la gouvernance du PNSE 3, présenté les grandes lignes de la critique du PNSE 4. Vous avez parlé de documents existants, documents passés, comme le PNSE 3, ou à venir comme le PNSE 4.
Quelles seraient aux yeux des experts de la SFSE les grandes lignes d'un schéma idéal de politique publique en santé environnementale ? Quelles sont pour vous les priorités ?
Actuellement, nous passons toujours par des documents de planification. Certains nous ont fait observer que ce n'est déjà pas mal parce que la France est, je crois, le seul pays à avoir tenté de disposer d'un document de planification avec le PNSE. Est-ce la démarche même de planification qui est problématique ou pensez-vous que c'est une bonne démarche méthodologique ? Quelles propositions pourriez-vous faire pour améliorer le dispositif ?
Vous avez parlé des problématiques de gouvernance territoriale. Quel serait selon vous le schéma idéal pour aborder les questions de santé environnementale en France ?
La critique est facile, mais l'art est difficile. Nous n'avons pas discuté de cette problématique, telle que vous venez de l'exprimer. Je vous donne donc une opinion personnelle qui n'engage que moi, non la Société.
Je ne suis pas du tout opposée à la planification. Il s'agit d'une arme de gouvernance. Toutefois, le plus important dans la gouvernance est de consulter les parties prenantes, ce qui a été fait très largement, mais il ne faut pas en sortir un « patchwork » de mesures pour satisfaire les uns et les autres. Il faut essayer de « tricoter ces mesures », de prendre les laines de différentes couleurs pour arriver à créer un tricot d'aspect homogène et harmonieux. Or, le PNSE donne parfois l'impression d'un « patchwork », d'une coexistence entre des mesures.
Par exemple, dans le PNSE 4, le choix a été fait de s'intéresser à des risques physiques dont la plupart sont des risques « émergents », dont les effets néfastes ne sont pas prouvés. Je pense à la 5G dont les effets sur la santé ne sont pas prouvés, mais qui a beaucoup d'autres effets sur la consommation d'énergie ou la protection de la vie privée des citoyens. Le PNSE s'intéresse donc à des risques qui ne sont pas avérés et les met trop en valeur. À l'inverse, le PNSE n'évoque presque pas la pollution de l'air extérieur et de l'air intérieur.
Le PNSE aborde la problématique de l'eau, certes très importante, mais en citant la légionellose qui n'a jamais été évoquée en groupe de travail (GT) et qui est un problème de santé publique que nous savons a priori parfaitement gérer. Il n'est pas nécessaire de donner des détails sur la légionellose, nous savons ce qu'il faut faire pour lutter contre ce problème. En revanche, de gros travaux ont été menés en GT avec le Haut Conseil de santé publique sur l'eau potable et ils ne sont pas évoqués dans le plan.
Ce nouveau plan manque d'éléments sur la qualité de l'air extérieur et sur l'eau alors que ces points avaient été évoqués dans le premier plan santé-environnement. Sur la légionellose, des textes réglementaires se sont accumulés avec le temps et nous avons tous les éléments techniques et réglementaires pour agir.
Je pense que la dispersion entre les différents ministères intéressés par la santé-environnement fait qu'il manque une forme de guichet unique, notamment au niveau des territoires. Il faudrait un interlocuteur, une structure qui gérerait les problèmes de santé-environnement pour éviter la dispersion que nous connaissons aujourd'hui. Cette structure unique permettrait de rassembler les connaissances sur ces sujets et de donner des moyens aux différents territoires.
En fonction des sujets traités, nous constatons de grandes différences, en matière de santé environnementale, entre les régions. Ce manque d'approche en santé environnementale dans certaines régions met en lumière certaines difficultés. Par exemple, l'année dernière lors de l'incendie de Notre-Dame, nous avons été un peu gênés, au niveau régional, pour répondre aux questions relatives à la pollution au plomb. Lors de l'incendie de Lubrizol, il a également été difficile de répondre localement. Il manquait un interlocuteur capable de donner des orientations en santé-environnement avec les moyens disponibles.
Il me semble que cette dispersion de moyens dans les ministères fait que les territoires, dans lesquels les problèmes rencontrés sont très variés, n'ont pas l'aide nécessaire pour agir. Les agences sanitaires répondent plutôt à des saisines nationales et les territoires sont souvent un peu gênés pour intervenir par manque de moyens, de références, de compétences. Il faut apporter une aide aux territoires et cela ne peut se faire, à mon avis, que par une structure nationale.
Je pense également qu'au niveau des territoires, le travail en transversalité est important à mettre en application. De nombreux organismes pourraient apporter leurs compétences : les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA), les observatoires régionaux de santé (ORS), les comités régionaux d'éducation pour la santé (CRES) et même l'Office national des forêts (ONF) ainsi que les écoles vétérinaires, les écoles d'agriculture, les écoles d'architecture, le réseau Atmo avec ses déclinaisons locales et les agences régionales de santé (ARS) bien sûr.
Bien souvent, même au niveau territorial, nous travaillons de façon sectorisée. Lorsque nous travaillons sur la santé, nous faisons venir les organismes qui s'intéressent à la santé, mais pas l'ONF qui peut pourtant être intéressé dans le cas d'un milieu rural ou montagnard. C'est fort dommage car ils ont une pierre à apporter à l'édifice.
Nous pourrions aussi améliorer le dispositif en faisant en sorte que les remontées de terrain soient beaucoup mieux prises en considération. Nous avons parfois le sentiment que nous prêchons sans obtenir d'échos. Il faut une meilleure connaissance des acteurs de terrain. Nous passons parfois par des instances en laissant de côté ceux qui sont véritablement en première ligne.
En ce qui concerne la formation, il faut que la santé, au sens de la qualité de vie, du bien-être et de tout ce qui contribue à la santé, soit enseignée lors des études. Par exemple, la santé n'est pas enseignée dans les écoles d'architecture, mais n'est abordée que sous la forme du rapport entre la surface vitrée d'une pièce et la luminosité. Dans le cas de la ventilation et de la qualité de l'air, la seule réglementation provient de la réglementation thermique de 2012 (RT 2012) qui est une réglementation de construction, pas une réglementation de santé. Par contre, il n'existe aucune réglementation qui oblige à construire une fenêtre.
Une des conséquences du coronavirus est qu'il faut vraiment croiser entre elles les recommandations faites aux professionnels pour trouver un terrain de cohérence.
Je pense que ce qui manque est une véritable démarche « qualité ». Faisons une planification, agissons, faisons une vérification, puis réorientons lorsqu'il le faut. Les indicateurs que nous utilisons ne sont pas forcément bons. Le Haut Conseil de la santé publique a beaucoup travaillé sur des indicateurs pertinents pour les PNSE, mais ces indicateurs ne sont finalement jamais repris dans les différents plans. Nous n'arrivons donc pas à avancer dans cette démarche « qualité » qui devrait être conduite à partir de tous les résultats provenant du terrain, de l'Europe, de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Il faut contrôler ce qui fonctionne ou non et étudier comment nous réorientons nos actions.
J'entends la nécessité d'une meilleure coordination, d'une meilleure valorisation de toutes les énergies, des connaissances et de l'expertise de tous les acteurs de terrain. À quel niveau d'un territoire verriez-vous s'installer cette coordination territoriale ? Lorsque vous parlez des vétérinaires, des architectes, des nombreuses agences, comment gérer une telle multiplicité d'acteurs et à quel niveau de gouvernance se situer ? Qui pourrait prendre cette gouvernance en main ? Sont-ce les conseils régionaux, les ARS, les DREAL ? Auriez-vous des suggestions à nous faire ?
Avant de citer des organismes, je voudrais dire qu'il se pose souvent des problèmes de sémantique : les différents acteurs ne parlent pas le même langage et c'est un obstacle difficile à franchir. Par exemple, en santé, la réflexion porte sur l'humain, globalement, tandis qu'un architecte ou un urbaniste réfléchit en pensant au cycliste, à l'automobiliste, à l'habitant d'une maison. La notion de continuité dans l'humain n'est pas forcément acquise dans certaines études qui travaillent pour certaines fonctions.
C'est une analyse sociologique intéressante, mais qui souligne justement la difficulté à organiser ces échanges. Qui donc peut s'en charger ? Qui est « polyglotte », positionné de telle manière qu'il puisse parler aux architectes, aux vétérinaires, aux médecins, aux élus et à la société civile ?
Toutes les ARS ne sont pas au même niveau en santé environnementale, cela est très variable selon les territoires. Des agences régionales de santé, un peu renforcées dans le domaine santé-environnement, pourraient être la pierre centrale et dialoguer avec les acteurs. Les langages s'apprennent. Par exemple, j'ai travaillé pendant trente ans à la mairie de Paris. Je dirigeais un bureau de santé environnementale. Travaillant avec tous, j'ai appris le langage des uns et des autres. L'ARS pourrait dialoguer avec les différentes parties et monter un réseau. C'est déjà le cas dans certaines régions où a été créé un réseau de partenaires, en fonction des personnalités présentes.
Le guichet unique au niveau national, dont j'ai parlé, devrait être en lien avec les ARS. C'est un avis purement personnel.
Comment assurez-vous la diffusion des informations et de vos recherches en santé environnementale auprès des citoyens ? Avec quelles structures collaborez-vous pour mener des actions concrètes dans les territoires ? Quels sont vos interlocuteurs privilégiés ? Quels sont vos domaines de recherche de prédilection ? S'agit-il par exemple de l'alimentation, de la qualité de l'air, de recherches sur les perturbateurs endocriniens ?
La SFSE est une société savante qui a pour caractéristique d'être transversale. Nous essayons de regrouper les savoirs et, contrairement à une société de cardiologie, ou d'autres spécialités médicales, dans laquelle ne se trouvent que des cardiologues ou que des spécialistes d'un domaine, nous avons, dans notre société, toutes sortes de métiers : toutes sortes de métiers de la santé, mais aussi toutes sortes de métiers de l'environnement.
À proprement parle, nous ne faisons pas de la recherche au sein de SFSE, mais nous essayons de relayer la recherche au moyen de la plateforme de savoirs qu'est notre site Internet. Nous diffusons en particulier toutes les actualités en santé-environnement auxquelles nous avons accès, mais nous avons aussi des sections sur des sujets particuliers.
Nous avons ainsi une section « Méthodologie », qui travaille sur la méthodologie de l'évaluation des risques. Cette section présentera ses travaux, cet après-midi, lors de la session de notre congrès en ligne. Nous avons également une section « Risques et société », qui essaie de déterminer la perception, par la société, des risques en santé-environnement. Cette section a organisé voici un mois un séminaire en ligne sur la perception du risque lié aux pesticides. Son enregistrement est consultable sur Internet. Nous avons aussi une section « Formation et information des publics ». Chaque année, les sections dédient leur année à un sujet particulier. Nous abordons tous les thèmes liés à la santé-environnement.
La revue Environnement, Risques & Santé est l'organe de diffusion scientifique de la SFSE. C'est la seule revue francophone en santé-environnement.
Chaque année, un numéro spécial de la revue regroupe les principaux articles publiés dans l'année et les principales avancées dans le domaine.
Un certain nombre d'agents qui travaillent dans les agences ou dans des instituts de recherche sont membres de notre société, mais nous n'avons pas de relations institutionnalisées avec les agences.
Quelles actions du Gouvernement vous paraissent-elles indispensables pour assurer le passage de la connaissance à l'action ? Comment évaluez-vous, par exemple, le processus de décision face aux situations de multi-expositions ?
C'est un exemple important qui est le thème de notre congrès en cours. Les multi-expositions sont encore du domaine de la recherche. Une table ronde avec des politiques sera consacrée à la prise de décision, en situation de multi-expositions, demain, mais c'est un sujet auquel il est difficile d'apporter une réponse. Il reste beaucoup à faire dans le domaine des multi-expositions et de l'exposome en général, surtout dans la prise en compte de facteurs auxquels nous ne pensons pas toujours, tels que les facteurs physiques.
Vous nous avez expliqué que les agences régionales de santé sont probablement l'acteur le plus adapté en termes de déconcentration. Concernant la décentralisation, quel niveau de compétences vous semble judicieux pour traiter de la question, que ce soit par des contrats locaux de santé ou autres ? Certes, chacun s'occupe un peu de certains problèmes, comme les départements avec les services de protection maternelle et infantile (PMI). Quelle échelle est-elle la bonne selon vous ? Pensez-vous qu'il faut, selon les territoires, chercher une échelle adaptée ?
L'échelle est à mon avis différente selon que l'on se place du point de vue de l'évaluation ou de la gestion du risque.
Pour l'évaluation du risque, il ne faut pas diluer l'expertise. Il existe des comités d'experts dans les agences qui doivent être mis à contribution. Ces comités d'experts nationaux doivent profiter au niveau des territoires. Lorsque la situation est complexe, les territoires doivent pouvoir profiter des ressources nationales.
Pour la gestion du risque, la responsabilité doit être laissée aux préfets, aux agences régionales de santé qui connaissent bien leur territoire et ont certainement une gestion plus appropriée.
Je pense que tous les territoires sont concernés par la gestion, de la maille communale à la maille régionale et même nationale. Il faut toutefois que les décisions prises localement, dans les mairies par exemple, ne soient pas contre-productives. Il faut de la connaissance, une interaction avec tous les services pour que les décisions soient prises à bon escient.
Il ne faut pas oublier, dans la prise de décision, l'expert profane. Nous n'avons parlé que des institutions, alors qu'il existe parfois, « sur le terrain », des personnes qui ont l'occasion de s'approprier certaines connaissances et certains savoirs. Ils sont qualifiés d'experts profanes et leur participation est indispensable à la détermination de la bonne solution.
Nous avons effectivement déjà entendu cette proposition dans une autre audition, mais cela ne nous dit pas où sont ces experts profanes et comment les faire participer, au moins pour le moment, dans le cadre du PRSE.
Je vous remercie de vos propositions d'un grand intérêt.
L'audition s'achève à seize heures.