La commission entend en audition conjointe avec la commission des affaires sociales, M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics, sur l'état des comptes sociaux
Depuis le début de la crise, nos comptes sociaux sont très sollicités. Les recettes provenant des cotisations et contributions sociales diminuent fortement : les reports de charges sociales pour les trois derniers mois ont représenté plus de 21 milliards d'euros – il sera d'ailleurs intéressant d'entendre le ministre Gérald Darmanin s'exprimer sur ces mesures et sur les éventuelles annulations de charges, pour savoir si les secteurs annoncés seront les seuls à en bénéficier. À l'inverse, certaines dépenses et prestations connaissent une croissance plus élevée que prévu. S'y ajoutent les mesures exceptionnelles, comme les 4 milliards d'euros versés à Santé publique France pour l'achat d'équipements et les 4 milliards d'euros en faveur des établissements sociaux et médico-sociaux. La branche maladie devrait connaître le plus fort dépassement de son objectif de dépense, mais les autres branches pourraient aussi être concernées.
Par ailleurs, même si c'est hors du périmètre des lois de financement de la sécurité sociale, le financement du chômage partiel représente un coût et un enjeu gigantesques non seulement pour le budget de l'État mais aussi pour celui de l'UNEDIC.
Quel calendrier et quelles conditions d'un retour à l'équilibre de nos finances sociales envisagez-vous ?
Depuis le dépôt des projets de loi organique et ordinaire relatifs à la dette sociale, nous savons que la reprise de dette par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) s'élèvera à 31 milliards d'euros pour les déficits passés et à 92 milliards pour ceux des années 2020 à 2023. Les comptes sociaux seront-ils équilibrés en 2024 ? La réforme de la branche vieillesse mise en route au printemps sera-t-elle poursuivie et selon quel calendrier ?
Comment voyez-vous l'évolution des comptes de l'UNEDIC, en forte tension ?
La conjonction d'une crise sanitaire et d'une crise économique constitue un choc d'une violence sans précédent pour nos comptes sociaux. Dès l'entrée en vigueur de l'état d'urgence sanitaire, la commission des affaires sociales a décidé d'en assurer le suivi, en travaillant sur six thématiques. Celle de l'évolution des finances de la sécurité sociale a été confiée à Annie Vidal et Marine Brenier qui, après avoir fait le point de la dégradation des comptes et des incidences des mesures gouvernementales sur les recettes et les dépenses, se sont montrées très réservées sur la nécessité d'un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) avant l'automne et ont clairement posé les termes du débat sur la prise en charge de la dette liée à l'épidémie par la seule sécurité sociale ou par l'État. Qu'en pensez-vous ?
Le 22 avril, vous avez évoqué avec prudence, devant le Sénat, un déficit de 41 milliards d'euros pour la sécurité sociale en 2020. Cette évaluation devra-t-elle être actualisée au regard des nouvelles prévisions de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), qui estime que le second semestre pourrait connaître une récession historique de 20 % du PIB ?
Quels seront les modalités et les critères d'annulation des cotisations sociales ? Les exonérations ciblées pour certains secteurs seront-elles compensées, conformément à la doctrine gouvernementale ?
Alors que l'activité partielle a un coût pour l'État, l'UNEDIC mais aussi la sécurité sociale, quel serait le bon échéancier d'extinction progressive de ces mesures ? Sur quelles hypothèses reposent les prévisions de solde ?
Nous examinerons un projet transférant la totalité de la dette sociale passée, présente et des trois prochaines années à la CADES. Je salue la préoccupation de responsabilité financière que traduit ce choix, et l'allégement bienvenu qu'il apportera aux hôpitaux. Ces mesures nécessaires nous dispensent-elles de réfléchir à une approche plus fine de la dette sociale ? Les déficits de cette année et de celles à venir ne seront pas le fait d'une mauvaise gestion de la sécurité sociale, mais la conséquence mécanique de la crise sur ses recettes et celles de l'État. Si nous admettons qu'il s'agit de déficits jumeaux, inquiétants mais compréhensibles, ne faudrait-il pas davantage assimiler la doctrine de gestion de la dette entre État et sécurité sociale ?
Le grand plan pour l'hôpital peut-il ou doit-il être considéré comme une part des plans de relance français et européen ? Nous sommes loin du temps où les dépenses de santé étaient considérées comme des dépenses de fonctionnement. Rebâtir notre système de soins constitue, à bien des égards, moins une charge qu'un investissement pleinement compatible avec les objectifs du Gouvernement et de la Commission européenne.
Les finances de l'assurance chômage, sensibles à la conjoncture, souffrent d'un effet ciseau lié à l'accroissement des dépenses en l'absence de recettes et cotisations supplémentaires. Lors du dernier projet de loi de finances rectificative (PLFR), nous avions augmenté le plafond de garantie de l'État en faveur de l'UNEDIC de 2 à 10 milliards d'euros : faudra-t-il de nouveau le rehausser lors du collectif budgétaire de juin ?
Le transfert prévu à la CADES d'un plafond de 136 milliards d'euros de dépenses cumulées de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) est nécessaire pour la bonne gestion de la dette publique en général. Alors que l'Agence France Trésor (AFT) se refinance dans de très bonnes conditions, voire de meilleures que la CADES, pourrait-on envisager, sinon d'unifier la dette publique, au moins de centraliser les émissions de dette publique à l'AFT, dans l'unique but d'optimiser notre refinancement de dette, donc de disposer de recettes budgétaires pour financer des dépenses publiques ?
Alors que les perspectives de retour à l'équilibre des comptes sociaux s'éloignent, faut-il revoir la doctrine de la non-compensation des allègements généraux de cotisations ?
Le « 33 tonnes » que les finances publiques, donc sociales, ont pris de face n'est pas dû à la mauvaise gestion de la sécurité sociale par le Gouvernement et les partenaires sociaux, ou à des erreurs politiques ou économiques. Les chiffres des finances publiques de 2019 étaient bons et même en nette amélioration. Le programme économique et fiscal du Président de la République fonctionnait : le chômage était au plus bas depuis 2008 ; notre croissance était plus forte que celle de la plupart des pays européens ; nous recréions des emplois industriels ; nous attirions des investissements étrangers ; le montant de la dette et du déficit publics baissait en même temps que les impôts des entreprises et des ménages. Le même constat pouvait être fait pour le champ social : le déficit de la sécurité sociale pour 2019 était de 1,9 milliard d'euros moins élevé qu'escompté.
Depuis mon intervention devant la commission des affaires sociales du Sénat, l'évaluation du « trou de la sécu » en 2020 est passée de 41 à 52,2 milliards d'euros. Ces chiffres, très préoccupants et historiques, rendent crédible la proposition du Gouvernement de ne pas faire de PLFRSS. Il faut d'abord que la situation se stabilise, ce qui devrait commencer à être le cas avec le déconfinement. Pour autant, ils demandent des réponses que nous allons apporter. Nous ne connaissons pas encore les prévisions pour 2020 et 2021, mais si nous faisons l'opération de responsabilité financière de la CADES et si les chiffres se stabilisent, nous souhaitons retourner vers un équilibre à l'horizon de 2024 ou 2025.
Le Gouvernement transférera, avec l'autorisation du Parlement, 136 milliards d'euros du déficit de l'ACOSS vers la CADES, logée près de l'AFT. Ce montant reprend la dette passée de la sécurité sociale, ce que nous imaginons être le trou de demain et le tiers de l'endettement des hôpitaux avec les intérêts – dans le cadre du plan hôpital annoncé avant la crise. En 2010, un montant à peu près similaire avait été transféré, mais avec une recette, en l'occurrence une part de la contribution sociale générale généralisée (CSG). Cette fois, nous pensons opérer le transfert sans cette recette, mais en prolongeant les impôts permettant le remboursement de la dette sociale.
La question de l'unification de la dette me semble prématurée. En tout cas, l'unification de sa gestion est effective puisque nous logeons la CADES auprès de l'AFT. Nous poussons d'ailleurs le Parlement à adopter rapidement le projet de loi organique qui a déjà été présenté au Conseil des ministres, afin que nous puissions faire notre première émission de dette avant août.
Avoir un débat toutes administrations publiques confondues nous aiderait, même s'il faut que le PLF et le PLFSS soient distincts car ils obéissent à des logiques différentes – même si, à la fin, ce sont les Français qui paient les recettes et profitent des dépenses. Nous verrons comment l'organiser, au moins pour le budget 2021 qui sera exceptionnel.
S'agissant des exonérations, trois familles sont à identifier. La première concerne les acteurs économiques relevant des annonces du Président de la République, en l'occurrence tous les secteurs très touchés par la crise et dans l'impossibilité de fonctionner – hôtellerie, restauration, sport, culture, tourisme, arts et spectacles : toute entreprise entre un et 250 salariés sera intégralement exonérée de cotisations patronales pour quatre mois, de mars à juin, qu'elle ait ou non demandé un report de charges. Dans certains cas, des cotisations sociales ont été versées pour les salariés qui n'étaient pas en activité partielle. Elles sont dues aux salariés et nous n'entendons pas rogner cette protection sociale. Pour autant, afin de ne pas grever le budget des entreprises, nous proposerons de créer auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) un crédit que pourront utiliser ces entrepreneurs pour payer d'autres cotisations. Cette mesure serait une disposition législative du PLFR pour les secteurs annoncés et renverrait à un décret pour tous les autres secteurs indirectement touchés – par exemple les blanchisseries. Le critère pour l'exonération et le crédit de charges serait celui du code NAF.
L'autre famille d'exonérations concerne les secteurs frappés d'une interdiction d'ouvrir sans pour autant être au nombre des secteurs visés par les annonces du Président de la République – les salons de coiffure, par exemple. Nous proposerons que toute entreprise concernée de moins de dix salariés bénéficie d'une exonération totale de charges patronales pour quatre mois.
La troisième famille concerne les commerces qui ont pu ouvrir mais ont vu leur chiffre d'affaires fortement réduit – les boulangeries, par exemple. Un double système sera mis en place, au cas par cas et quels que soient le type d'entreprise et le nombre de salariés : l'annulation des charges patronales ; l'autorisation d'étalement du paiement des charges jusqu'à trente‑six mois.
Ces mesures générales et sectorielles sont exceptionnelles. Le coût des annulations de charges est pour l'instant évalué à 3,5 milliards d'euros, pris dans les 52,2 milliards du « trou de la sécu » mais compensés par l'État conformément à une disposition du prochain PLFR.
S'agissant du chômage partiel, le Président de la République et le Premier ministre ont précisé qu'il fallait reprendre la vie économique en tenant compte des difficultés et restrictions sanitaires. Une réunion est prévue avec les partenaires sociaux jeudi, mais il est déjà certain qu'au 1er juin, de manière rétroactive, l'activité partielle se poursuivra à condition que les entreprises concernées y participent : l'État prendrait en charge les salaires bruts à hauteur de 60 % et non plus 70 %, les 10 points de différence étant assumés par les entreprises. Cette mesure rapporterait environ 700 millions d'euros. C'est peu, mais cela devrait inciter certaines personnes à reprendre le chemin du travail. Dans des secteurs extrêmement touchés, des dispositifs spécifiques seront sans doute prévus mais la règle générale veut que l'État baisse le niveau d'intervention.
S'agissant du plan hôpital, le PLFR ne prédéfinit pas de montant de revalorisation de la rémunération du personnel hospitalier, puisque ce dernier est en cours de négociation. En revanche, un montant sera inscrit dans le PLFSS 2021, puisqu'il s'agira de crédits sociaux. Les primes décidées par le Président de la République figurent dans les chiffres que j'ai cités. Nous avons repris un tiers de la dette de l'hôpital, intérêts compris, dans le transfert à la CADES. S'agissant de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM), les dépenses de ville ont baissé. En revanche, celles de l'hôpital public ont augmenté et, depuis le début de la crise, nous avons ajouté 8 milliards d'euros. Enfin, la relance n'est pas prévue dans le PLFR, y compris dans sa dimension sociale. Il n'y a donc pas de tranche intitulée « futur plan de relance hôpital public ». Le Président de la République précisera ultérieurement les contours exacts du plan de relance. Nul doute que l'hôpital en fera partie, mais il n'est pas concerné par les chiffres que je viens d'évoquer.
Il est trop tôt pour répondre à la question sur l'évolution des comptes de l'UNEDIC, qui dépendra de l'activité partielle et de la reprise économique. Même s'il détériore les chiffres de l'UNEDIC, le chômage partiel est préférable aux plans sociaux généralisés.
Que pensez-vous de l'augmentation des chômeurs de catégorie A ? Faudra-t-il augmenter le plafond des finances de l'assurance chômage ? Le 15 mai et de façon inédite pour un acteur institutionnel français, l'UNEDIC a levé une dette à partir de social bonds. Cela pourrait-il se reproduire, notamment avec la CADES ? Serait-il intéressant d'envisager un ONDAM avec covid et un ONDAM hors covid, dans le PLFSS 2021 ? Où en est le versement par la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) et les caisses d'allocations familiales de l'aide exceptionnelle de solidarité à destination des familles modestes ? Avez-vous chiffré l'augmentation que pourrait entraîner le « Ségur de la santé » ?
Quelle est la répartition exacte des 136 milliards d'euros de dette sociale ? La CADES, qui est alimentée par la contribution pour le remboursement de la dette sociale, la CSG et le Fonds de réserve pour les retraites, pourrait être prolongée jusqu'en 2033. Pouvez-vous nous assurer qu'à l'instar de ce qui a été fait en 2010, il n'y aura pas d'augmentation des impôts ou taxes pour financer ce prolongement ? Les 10 milliards d'euros de la dette des hôpitaux sont‑ils incorporés dans la CADES ? Éponger cette dette ne devrait pas du tout être le rôle de cette dernière.
Je salue la forte mobilisation des équipes chargées des finances de la sécurité sociale. Quelle a été l'évolution de la dette des hôpitaux pendant la crise ? Faudra-t-il en tirer des conséquences dans la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) ? S'agissant des recettes, nombre de prélèvements sociaux sont sensibles à la croissance et à l'emploi. Disposez-vous d'outils pour évaluer les pertes de recettes pour les administrations de sécurité sociale en 2020 ? Quel est l'effet de la fermeture des frontières sur les achats transfrontaliers, notamment le tabac ? À combien évaluez-vous les recettes supplémentaires pour les départements concernés ?
Quand aura-t-on dans les EHPAD un taux d'encadrement digne de ce nom ? Quand aura-t-on des places de soins palliatifs en nombre suffisant dans tous les territoires ? Quand pourra-t-on payer les auxiliaires de vie au-dessus du SMIC et leur régler des frais de déplacement décents ? Quand pourra-t-on avoir une retraite à 85 % du SMIC pour nos agriculteurs ? Quand donnera-t-on à l'hôpital les moyens de fonctionner ? Je ne vais pas taper sur le Gouvernement parce que les comptes sociaux repartent dans le rouge alors que le vert se profilait, avec une amélioration continue à l'œuvre depuis 2012. Les mesures d'urgence sont pertinentes, mais leur financement ne doit être supporté ni par la CADES ni par l'UNEDIC. La « dette covid » n'est pas une dette sociale. Elle doit être prise en charge par l'État, sinon le « quoi qu'il en coûte » du Président de la République se traduira en « économies coûte que coûte » pour notre sécurité sociale et pour l'UNEDIC. Quel est le détail des 14 milliards d'euros d'excédent des comptes sociaux évalué par l'INSEE pour 2019 ?
Qu'est-ce qui motive le prolongement de la CADES jusqu'en 2033 ? La trajectoire proposée dans le cadre de la dernière réforme par le Conseil d'orientation des retraites a-t-elle été actualisée ? Le Comité d'alerte sur l'évolution des dépenses d'assurance maladie estime que la balance des risques va dans le sens d'un dépassement très significatif de l'ONDAM 2020. Jugez-vous opportune sa proposition de présenter au Parlement un cadrage financier actualisé, qui permettrait de mettre à jour les références dans l'attente de la prochaine LFSS ? Que préconisez-vous pour adapter efficacement l'ONDAM ?
Comment l'écart entre le déficit de 52,2 milliards d'euros que vous venez d'annoncer pour la sécurité sociale et le montant initial de 41 milliards avancé lors du deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2020 s'explique-t-il ?
Vous semblez revenir à l'orthodoxie dans les relations entre les budgets de l'État et de la sécurité sociale en compensant les 3,5 milliards d'euros d'exonérations de charges sociales décidées par le Gouvernement. Ne voulez-vous pas aussi revenir sur les mauvaises décisions prises dans la dernière LFSS ?
À combien le déficit de l'UNEDIC est-il estimé, sachant que les 25 milliards d'euros de coût du chômage partiel seront répartis entre 8 milliards pour l'UNEDIC et 17 milliards pour l'État ?
La crise a rappelé que la santé ne coûtait jamais trop cher et que le pire aurait pu être évité si les revendications des soignants concernant le nombre de lits, les moyens dévolus à l'hôpital et leurs rémunérations avaient été entendues. Il faut rompre avec la logique de contention des dépenses de santé à l'œuvre depuis 1996 et la création de l'ONDAM. Vous avez pris votre part dans la réduction des dépenses de santé – 12 milliards en dix ans : 2,6 milliards d'économies pour l'hôpital en 2018, 1,6 milliard en 2019. Vous avez rendu un peu sous la pression des mobilisations, mais cela ne revenait qu'à diminuer la baisse, non à augmenter les budgets sur le long terme ! Il faut revoir cette politique d'austérité, ainsi que l'ONDAM.
Ne pas compenser les exonérations de charges sociales décidées par le Gouvernement et prises aux frais de la santé aurait été insupportable.
Les augmentations du budget de la santé doivent correspondre à l'augmentation des besoins. Sur les dix dernières années, les moyens dévolus à la santé ont augmenté annuellement de 2,3 % alors que les besoins s'accroissaient de 3,5 %. Le différentiel se traduit par une diminution de 40 % du nombre de lits de réanimation, dont nous avons cruellement manqué.
Entre la non-compensation des exonérations de cotisations sociales dont vous assurez qu'elle ne se reproduira plus et le transfert d'une dette supplémentaire à la CADES, quelle politique sociale offrez-vous aux générations futures ?
Le Gouvernement choisit de constituer un fardeau financier pour la sécurité sociale, alors que les attentes des Français en matière de protection sociale augmenteront en raison du risque accru de paupérisation dû à la crise.
Les dispositifs d'assurances sociales activés pendant la crise ont été détournés de leur usage ordinaire. Les ajournements et probables annulations de cotisations sociales constituent également une aide d'État et devraient donc être compensés pour respecter l'autonomie des comptes sociaux. Vous nous le promettez.
Grever les comptes sociaux revient à porter atteinte à la gestion paritaire de la sécurité sociale, qui est au cœur de notre pacte social et détermine les conditions d'exercice de notre État providence, à en limiter le champ d'action et à perdre la confiance des partenaires sociaux – condition indispensable pour sortir de la récession. Ne serait-il pas normal que l'État reprenne ce qui lui revient afin d'assurer la permanence de nos politiques sociales ?
Trop peu de ressources ayant été consacrées à la préservation des droits et à la consolidation du système de santé, la crise pourrait y porter atteinte, d'autant qu'absorber un tel choc prend du temps. La crise a aussi démontré la nécessité des dispositifs de protection sociale et même de nouveaux mécanismes. Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine fera des propositions notamment concernant l'activité partielle.
La sphère sociale ne doit pas être une variable d'ajustement des politiques publiques, et l'État doit assumer ses décisions. La dette sociale ne doit pas être transférée à la CADES, car elle résulte de choix du Gouvernement. C'est à l'État de la prendre en charge, d'autant qu'une part de ces dépenses est liée aux compressions précédentes qui ont compromis la gestion de la crise.
Quelle est votre stratégie de recettes ? Il faut une compensation intégrale. Vous pourriez compenser ce qui ne l'a pas été cette année et conditionner les aides publiques aux entreprises au maintien de l'emploi ou au non-versement de dividendes.
Avez-vous donné un nouveau cadre aux dépenses de santé ?
Opposer sécurité sociale et État me semble incompréhensible. L'important est de protéger les Français. Les baisses d'impôts décidées par l'État – baisse de l'impôt sur les sociétés, suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune – ont entraîné une hausse de la masse salariale par la relance de l'activité économique, donc une augmentation des cotisations venant alimenter la sécurité sociale. L'État prend très largement sa place, y compris dans la crise. Son déficit sera d'ailleurs annoncé à 220 milliards d'euros lors du troisième projet de loi de finances rectificative pour 2020, soit plus de quatre fois le déficit de la sécurité sociale. Je ne peux laisser opposer un État qui devrait tout payer à une sécurité sociale sans lien avec l'activité économique.
Madame Bagarry, je comprends la volonté de protéger le système paritaire. Vous avez voté la suppression des cotisations sociales et sa compensation par l'augmentation de la CSG. Cela n'a pas amoindri la protection des salariés. Un débat idéologique est inapproprié : nul n'a le monopole de la sécurité sociale.
M. Dharréville estime qu'il faut mettre fin aux allégements et exemptions de charges pour augmenter les recettes, ce qui alourdirait le coût du travail en France. En poursuivant une stratégie de baisse d'impôt sur les sociétés, nous relancerons mieux la croissance sans pénaliser le capital et créerons les conditions de la richesse. Les baisses d'impôts entraînent une hausse des recettes, laquelle conduit à une résorption du déficit de la sécurité sociale. Or un tel retour à l'équilibre rend possible la redistribution des excédents, et permet de ne pas demander davantage d'économies à l'hôpital public.
Les économies décidées par les gouvernements précédents visaient à réduire le « trou » de la sécurité sociale. De mauvaises décisions, des crises, ont mené à un manque de courage. L'équilibre doit être visé, même s'il ne s'agit pas de l'atteindre dès 2021.
Madame Pires Beaune, s'il est certain que le taux d'encadrement dans les EHPAD doit être augmenté et la protection sociale garantie, il est regrettable que vous n'ayez pas voté la réforme des retraites, gage d'équilibre pour notre système social. L'équilibre financier permet la mobilisation de moyens supplémentaires, l'exemple de l'Allemagne en témoigne, même si son système social diffère du nôtre.
L'écart entre le déficit initialement annoncé pour la sécurité sociale et le chiffre de 52 milliards d'euros s'explique par l'attrition de la masse salariale, évaluée à 9,7 %, et par la baisse des recettes qui en découle, ainsi que par une provision de 5 milliards destinée à financer l'étalement sur trente‑six mois du paiement des cotisations sociales pour les sociétés ayant bénéficié d'un report. Les 3,5 milliards d'euros correspondant aux exonérations de cotisations étant compensés par l'État ne contribuent pas, en revanche, à l'aggravation du déficit.
Une expertise de l'AFT est en cours pour déterminer la nécessité d'augmenter ou non de nouveau le plafond de garantie de l'État concernant l'assurance chômage. Le cas échéant, nous proposerons un amendement.
Distinguer un ONDAM avec et hors covid-19 serait envisageable, mais ce n'est pas la piste choisie par le Gouvernement. Certaines annonces spécifiques à l'hôpital public sont structurelles et non seulement liées à la crise. L'ONDAM a progressé de 2,45 %. Nous verrons si des décisions ponctuelles devront être prises concernant le covid-19.
Pour ce qui est des aides exceptionnelles en faveur des familles modestes, l'intégralité des crédits votés a été versée par la CNAF, soit 821 millions pour 3,6 millions de foyers représentant 5 millions d'enfants, à raison de 226 euros en moyenne par foyer.
Les 136 milliards d'euros de transferts de l'ACOSS à la CADES se décomposent ainsi : 31 milliards de déficit cumulé de la sécurité sociale constaté au 31 décembre 2019, auxquels s'ajoutent 92 milliards de déficits attendus d'ici à 2023 et 13 milliards de reprise avec les intérêts du tiers de la dette de l'hôpital – reprise annoncée par le Président de la République.
Je ne connais pas le montant des recettes fiscales supplémentaires sur le tabac liées à la fermeture des frontières. Le trafic frontalier, tout comme le trafic par correspondance, a effectivement diminué. De plus, la consommation de tabac a pu augmenter pendant le confinement.
Nous pourrions imaginer de mobiliser des social bonds, à l'image des green bonds lancés par l'AFT. Cependant, la CADES, par ses émissions, fait déjà du social bond sans le savoir, puisqu'il s'agit d'une dette sociale spécifique.
Nous sommes comme M. Jourdain, mais nous faisons des déficits en le sachant. Isoler les chiffres liés au covid-19 ne me semble pas une bonne idée, sauf pour des raisons didactiques. Ce type de crise se reproduisant au fil du temps, nous ne pouvons isoler indéfiniment les mauvaises nouvelles pour ne considérer que les bonnes.
Serait-il possible d'affecter dès 2021 0,15 point de la CSG au financement des dépenses relatives au grand âge, plutôt que d'attendre 2024 comme le prévoit l'article 2 du projet de loi relatif à la dette sociale et à l'autonomie ?
L'impact du plan de relance de 500 milliards d'euros de la Commission européenne sur les générations futures inquiète. L'Union européenne va s'endetter en notre nom à tous. Qui remboursera cette dette ? Quel avenir pour les générations futures ? Dans ces conditions, comment engager un plan d'envergure pour le grand âge, notre système de santé et l'hôpital ?
Portée par la CADES ou par l'État, la dette relative au covid-19 est nationale. Cependant, à travers la CADES nous remboursons assez rapidement intérêts et capital, alors que l'État ne rembourse que les intérêts et laisse grandir le principal. Quelle est votre vision sur ce point au regard de notre crédibilité à l'international et à l'égard des générations futures ?
Durant la crise, la prévention a failli. Le financement de Santé publique France a été transféré à l'assurance maladie en 2019. Un sous-objectif de l'ONDAM pourrait-il être créé sur la prévention, comme le recommande la Cour des comptes ?
Comment pensez-vous financer la loi sur le grand âge annoncée par le Président ?
Avec Marine Brenier, nous avons relevé, à l'occasion de notre suivi thématique dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, l'incertitude qui pèse sur les recettes et les dépenses de la sécurité sociale, mais aussi la certitude d'une trajectoire budgétaire dégradée pour plusieurs années. Des revalorisations salariales étant nécessaires pour les personnels hospitaliers et ceux travaillant auprès des personnes âgées, comment garantir la faisabilité financière de ces mesures sociales très attendues ?
La crise augmentera le nombre de demandeurs d'emploi issus de la classe moyenne inférieure. Un budget supplémentaire peut-il être envisagé pour Pôle emploi pour accompagner ce public spécifique ?
La crise a plongé de nombreuses familles dans une précarité encore plus grande car il a fallu assurer le déjeuner de leurs enfants. Le nombre d'enfants vivant sous le seuil de pauvreté – 3 millions avant la crise – est appelé à croître. Or 70 % des communes et des établissements publics de coopération intercommunale n'ont toujours pas instauré de tarification sociale dans les cantines. Tourcoing prévoit a contrario trois tarifs en fonction du quotient familial, le plus bas étant à un euro. Cette tarification sociale aide à endiguer les problèmes de dénutrition et de malnutrition et à lutter contre le décrochage scolaire.
Quels sont les axes d'un budget de la prévention ? Êtes-vous favorable à un investissement dans les cantines et dans d'autres secteurs de la prévention ?
Comment la cinquième branche sera-t-elle prise en compte ? Quand sera-t-elle mise en œuvre ? Comment sera-t-elle financée dès 2021 pour répondre aux urgences, les moyens annoncés ne devant être dégagés qu'en 2024 ? Les 2 milliards d'euros prévus sont insuffisants. Le rapport Libault évoque 6 milliards, et d'autres 9 milliards.
Où en sont les négociations avec les conchyliculteurs relatives aux exonérations de charges sociales ?
Les commerçants situés en zone touristique pourraient-ils bénéficier des mêmes mesures que celles accordées aux hôteliers et aux restaurateurs pour compenser leurs baisses de fréquentation ?
Les difficultés de pilotage et de coordination de la prévention ont des coûts humains et financiers. Le document de politique transversale et le jaune budgétaire présentés en 2019 offrent‑ils une meilleure traçabilité des modalités d'utilisation des financements de la prévention ?
Utiliser des recettes prévues par le législateur pour rembourser la dette sociale de la crise précédente, celle de 2009-2010, et pour financer la cinquième branche ne serait pas raisonnable.
Le Premier ministre a annoncé la remise d'un rapport sur la cinquième branche au Parlement début septembre. Une conférence de financement a aussi été annoncée, dont le rapport doit paraître en septembre. Les conclusions de cette discussion compliquée seront inscrites dans le PLFSS 2021.
De nombreuses sources de financement seraient envisageables dès 2021 pour cette nouvelle branche, si ce choix était institué par le Parlement : une cotisation, une participation du secteur privé par le biais d'une assurance obligatoire, ou encore la mobilisation d'une partie de certains impôts comme la CSG – sans augmentation de ces mêmes impôts. En revanche, il ne faudrait pas, sans avoir remboursé la dette sociale de la crise précédente, détourner de sa vocation un impôt créé spécifiquement pour ce but. Nous en discuterons lors de l'examen du PLFSS 2021, et j'espère que ce Gouvernement sera celui qui dotera la dépendance d'un véritable financement. La majorité a déjà fait beaucoup dans ce domaine.
Au 31 décembre 2019, la dette des établissements publics de santé s'élevait à 30,2 milliards, auxquels s'ajoutent 8,6 milliards de frais financiers.
Le plafond de l'ACOSS est passé de 39 à 70 milliards d'euros, puis à 90 milliards lors du dernier Conseil des ministres. Le transfert à la CADES devenait urgent, pour qu'il reste possible d'emprunter au nom de l'ACOSS sur les marchés financiers afin de payer les prestations sociales. Augmenter davantage le plafond de l'ACOSS n'est pas nécessaire.
Les 1 000 équivalents temps plein recrutés dans le cadre de la réforme de l'assurance chômage ne seront pas remis en cause, même si l'assurance chômage ne connaissait pas la réforme évoquée. J'ai donné un avis favorable à la ministre du travail concernant la demande d'augmentation d'effectifs de Pôle emploi. Reste à savoir le quantum. La ministre du travail évoquera les derniers arbitrages décidés avec le Premier ministre et moi-même.
Concernant l'introduction d'un sous-objectif « prévention » dans l'ONDAM, je ne peux m'avancer à la place du ministre de la santé.
Le transfert de Santé publique France a été beaucoup critiqué dans l'hémicycle. Si la politique de prévention a effectivement failli, il est trop tôt pour tirer les conséquences de ce transfert. De plus, ceux qui craignaient que l'État ne mobilise pas de crédits en cas de problème ont été servis : 4 milliards d'euros ont été annoncés pendant la crise pour Santé publique France, dont 2 milliards en décaissement immédiat, contre une dotation initiale pour 2020 de 150 millions. Le fait que cet établissement ait été transféré à la sécurité sociale n'empêche pas la mobilisation de crédits d'État pour faire face aux drames.
De nombreuses collectivités pratiquent un tarif social dans les cantines. Il s'agit d'une compétence municipale. S'il ne m'appartient pas de faire du micro-management dans les communes, le Gouvernement les encourage et les aide en ce sens et j'y suis très attentif. Les conséquences de la crise sur les classes populaires devront être étudiées de près : enfermement dans un petit logement, manque d'accès au numérique, aux bibliothèques, problèmes liés aux difficultés de maîtrise de la langue française de certains parents – courageux, et souvent en première ligne.
Sur la conchyliculture, les choses avancent. Les conchyliculteurs qui ont perdu plus de 50 % de leur chiffre d'affaires peuvent, comme l'ensemble des entreprises françaises, aller trouver les URSSAF qui ont pour consigne d'annuler leurs charges.
Si les blanchisseurs ou les vignerons ont été touchés par la crise de l'hôtellerie ou de la restauration, certains ont pu vendre leur production dans les grandes surfaces, sur les marchés ou encore à l'exportation. Accorder des annulations de charges à ceux qui ont eu un chiffre d'affaires important pendant la période de confinement serait injuste. Il faut raisonner au cas par cas. Le plan tourisme sera détaillé dans le plan de relance du Président de la République.
Le budget 2021 est en construction. J'ai proposé au Président de la République d'établir un budget « normal » susceptible d'évolutions et d'attendre le plan de relance pour élaborer un budget « relance ». Le financement de ce plan n'est pas calibré. Le Gouvernement ne proposera en tout cas aucune augmentation de fiscalité.
Certes, le Gouvernement n'est responsable ni de la crise ni de la détérioration des comptes sociaux. Mais il l'est de la réponse qu'il apporte. La perspective de la création d'une nouvelle branche sur la dépendance ne semble pas cohérente avec la situation fortement déficitaire des autres branches, et tant que l'assurance vieillesse ne sera pas de nouveau réformée pour disposer d'une durabilité et d'une visibilité financières suffisantes.
Je vous remercie pour cette audition commune très éclairante.
Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mardi 2 juin 2020 à 17 heures 30
Présents. - M. Jean-Noël Barrot, M. Jean-Louis Bricout, M. Fabrice Brun, M. Jean-René Cazeneuve, M. Francis Chouat, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, Mme Jennifer De Temmerman, Mme Stella Dupont, M. Joël Giraud, M. Christophe Jerretie, M. Daniel Labaronne, M. Mohamed Laqhila, M. Michel Lauzzana, Mme Véronique Louwagie, M. Jean-Paul Mattei, Mme Cendra Motin, Mme Catherine Osson, M. Hervé Pellois, Mme Bénédicte Peyrol, Mme Christine Pires Beaune, M. Benoit Potterie, Mme Valérie Rabault, M. Xavier Roseren, Mme Claudia Rouaux, M. Fabien Roussel, M. Laurent Saint-Martin, M. Jacques Savatier, M. Éric Woerth
Excusés. - M. Damien Abad, Mme Émilie Bonnivard, M. David Habib, M. Marc Le Fur, M. Olivier Serva
Assistaient également à la réunion. - Mme Delphine Bagarry, Mme Véronique Riotton