COMMISSION SPÉCIALE CHARGÉE D'EXAMINER LE PROJET DE LOI CONFORTANT LE RESPECT DES PRINCIPES DE LA RÉPUBLIQUE
Lundi 4 janvier 2021
La séance est ouverte à quinze heures quarante-neuf.
La commission spéciale procède à l'audition de Son Éminence le métropolite Emmanuel Adamakis, président de l'Assemblée des évêques orthodoxes de France (AEOF).
Mes chers collègues, dans le cadre des auditions des six cultes que nous organisons, nous avons le plaisir de recevoir Son Éminence le métropolite Emmanuel Adamakis, président de l'Assemblée des évêques orthodoxes de France (AEOF), auquel je souhaite la bienvenue. Les représentants du Conseil français du culte musulman (CFCM), que nous devions auditionner en début d'après-midi, ont malheureusement eu un empêchement de dernière minute, en raison d'un problème de santé de son président, auquel nous souhaitons un prompt rétablissement. Nous procéderons à leur audition mercredi.
Mgr Emmanuel Adamakis, métropolite orthodoxe grec de France, président de l'Assemblée des évêques orthodoxes de France. Mesdames, messieurs les députés, je vous présente, au nom de l'Assemblée des évêques orthodoxes de France, mes vœux pour la nouvelle année, et vous remercie de m'avoir invité à m'exprimer devant vous sur le projet de loi confortant le respect des principes de la République.
Les Français de confession orthodoxe étant, pour la plupart, issus de pays ayant connu soit le totalitarisme politique, soit le fanatisme religieux, ils adhèrent d'autant plus fortement au principe de la laïcité. Par ailleurs, héritiers d'une coexistence multiséculaire avec le monde musulman, ils sont parfaitement conscients de la nécessité de dissocier l'islam de l'islamisme. Enfin, attachés à la dynamique évangélique de l'inculturation, visant à l'intégration du culte dans la culture, ils sont naturellement hostiles au séparatisme et valorisent hautement l'idéal républicain. En somme, les orthodoxes, en France, savent l'impératif absolu que constitue l'intégrité du bien commun et la neutralité de la sphère publique. Ils reconnaissent pareillement qu'il y a urgence à en rétablir la juste signification.
Toutefois, le projet de loi, en l'état, ne manque pas de soulever plusieurs questions. Dans l'avis remis au Gouvernement de la République, le Conseil d'État en détaille deux. D'une part, il observe que le texte modifie l'équilibre, adopté en 1905, entre la liberté du culte et son encadrement ; d'autre part, il s'interroge sur la capacité de la réforme à atteindre son objectif, dès lors que le courant qu'elle vise tend précisément à échapper au cadre institutionnel.
Nous partageons ce double constat. Nous considérons, de surcroît, qu'il faut considérer comme légitime l'inquiétude provoquée par le caractère englobant, indifférencié et niveleur du projet de loi. Que le législateur se refuse à stigmatiser un culte en soi est légitime mais, en pratique, cette intention risque de nuire au libre exercice de chaque culte. Si les communautés de croyants sont égales en droits, elles ne sont pas identiques en matière de constitution, d'histoire et de système. Or les mesures particulières visant certaines franges parallèles et marginales, réfractaires à la loi, s'appliqueront indistinctement, et en premier lieu, à des institutions identifiées et régulées. Un contrôle soutenu des premières, bienvenu, ne risque-t-il pas d'entraîner la coercition malvenue des secondes ? Comment éviter que ne règne la confusion et que ne s'étende la suspicion – ou, plus simplement, que le contrôle administratif ne se concentre abusivement, par facilité, sur celles-ci ?
Tel est donc notre souci. Il est modéré, mais réaliste. Afin de l'illustrer, j'évoquerai les principales dispositions dont nous estimons qu'elles gagneraient à être précisées, commentées ou amendées. Telles qu'elles sont formulées, elles peuvent aisément, nous semble-t-il, être source d'imbroglios inutiles ou constituer un fardeau exagérément lourd.
Premièrement, la juste exigence de l'État en matière de droits humains gagnerait à être contextualisée, dès lors, par exemple, que l'affiliation et la désaffiliation à l'orthodoxie sont libres. Qu'un orthodoxe consente à des restrictions aux ministères ordonnés ne signifie pas qu'il endosse la discrimination ou rejette l'égalité entre hommes et femmes. Pour le dire plus conceptuellement, l'universalité de ses principes fondamentaux n'est pas enfreinte dès lors que la loi civile est rapportée à une forme religieuse adéquate, dont on sait qu'elle en respecte le sens.
Deuxièmement, la notion d'ordre public, dans le texte, nous semble bien floue. Elle est même susceptible d'atténuer le devoir de témoignage et la qualité du débat démocratique. Au contraire, la notion de sûreté nationale et collective a le mérite de la clarté et de l'objectivité.
Troisièmement, en raison, sans doute, du sentiment d'urgence né de la conscience de devoir rattraper un traitement longtemps négligent ou défaillant, une forte pression est mise au travers d'une sorte de surenchère administrative tous azimuts. Le contrat d'engagement républicain reconductible tous les cinq ans, la certification annuelle des comptes, la déclaration annuelle de l'intégralité des donations reçues, la transmission obligatoire des fichiers de donateurs aux services fiscaux, le plafonnement et le suivi des financements étrangers, toutes ces dispositions sont tout à fait compréhensibles dans la mesure où elles ont pour finalité d'abolir des situations anomiques. Toutefois, pour de nombreuses entités au comportement conforme à la norme, elles introduisent une surcharge de travail et un surcoût guère soutenables. Conserver cette échelle d'encadrement en confiant au préfet le pouvoir réglementaire de l'aménager en tant que de besoin, au cas par cas, sur son territoire, permettrait de rationaliser, en la déconcentrant, l'intervention de l'État.
Quatrièmement – point le plus crucial –, le projet de loi vise à remplacer un régime associatif fondé sur l'homologation par un régime sélectif reposant sur la dérogation. Dès lors que cette évolution vise à répondre à un état d'exception, il serait légitime que le projet de loi comporte un échéancier, ainsi que des clauses de revoyure, afin que la nature transitoire du nouveau régime soit dûment inscrite dans la loi, avec pour terme le retour à la normale. Ainsi, la lutte circonstanciée contre la tentation séparatiste ne pourrait être comprise, dénoncée ou combattue comme un amoindrissement de la liberté de culte, laquelle est inséparable de la liberté de conscience et d'expression.
Je vous remercie à nouveau de ce dialogue en amont de l'examen du projet de loi, et propose la création d'un comité de suivi permettant de le prolonger. J'espère que ces observations vous seront en quelque façon utiles.
J'aimerais que vous précisiez la façon dont est organisé le culte orthodoxe en France. Sur quelle base juridique – loi du 9 décembre 1905 ou loi du 1er juillet 1901 – repose-t-il ? Pratiquez-vous le mélange d'activités cultuelles et culturelles au sein de vos structures ? La question de savoir si elles sont distinguées ou non est l'un des points fondamentaux du texte.
Par ailleurs, j'aimerais vous interroger sur la possibilité accordée aux associations cultuelles de détenir des immeubles de rapport, dont nous débattrons lors de l'examen du texte à proprement parler. Cette mesure d'assouplissement, d'inspiration libérale, présente-t-elle un intérêt particulier pour le culte orthodoxe en France ?
Une disposition du projet de loi prévoit un contrôle approfondi des associations cultuelles, notamment par le biais d'un droit d'opposition de l'administration à tout financement étranger supérieur à 10 000 euros. Dans quelle mesure cette disposition s'applique-t-elle au culte orthodoxe en France ?
Avez-vous eu connaissance de violations plus ou moins graves des dispositions de la loi du 9 décembre 1905, pour lesquelles les peines seront accrues dans le projet de loi ? Si tel a été le cas, quelles réponses y apportez-vous en interne ? Quelles sont les procédures et les mesures de police interne au culte orthodoxe visant à les prévenir ?
Je suis rapporteure thématique chargée des aspects relatifs à l'enseignement. En France, l'instruction est obligatoire. Le principe de la liberté d'enseignement offre aux parents la possibilité d'inscrire leurs enfants en école publique, en école privée sous contrat avec l'État ou non, ou d'opter pour l'instruction en famille. Des dispositifs de contrôle permettent de vérifier que chaque type d'enseignement respecte le droit de l'enfant à l'instruction, ainsi que les normes minimales de connaissances requises par le code de l'éducation.
Le projet de loi prévoit plusieurs modifications de ces dispositions. S'agissant de l'instruction en famille, la procédure de déclaration sera remplacée par un régime d'autorisation, laquelle sera délivrée pour des motifs inhérents à la situation de l'enfant, sans que les parents puissent justifier leur choix par des convictions politiques, philosophiques ou religieuses.
Les articles 22 et 23 traitent des établissements d'enseignement privé hors contrat. Ils prévoient un régime de fermeture administrative en cas de dérives ou de réitération de manquements graves à la réglementation. L'article 24 traite des établissements d'enseignement privés sous contrat, qui devront désormais dispenser un enseignement conforme aux programmes de l'enseignement public ou par référence à ceux-ci.
Pouvez-vous dresser un rapide état des lieux de l'enseignement privé orthodoxe dans notre pays et donner votre avis sur ces dispositions ?
J'ai bien compris que vous acceptez les principes fondamentaux républicains que le projet de loi vise à conforter. Toutefois, vous exprimez la crainte que, au nom de la lutte contre le séparatisme, notamment prôné par l'islamisme politique, le texte n'impose à l'exercice de votre culte des contraintes particulières. Pensez-vous qu'un autre moyen, dans la loi, permettrait d'atteindre l'objectif du maintien de la liberté de culte, sans entrave de quelque nature que ce soit, tout en luttant efficacement contre le séparatisme, que vous récusez ?
Par ailleurs, vous avancez des propositions sans doute très intéressantes en matière d'ordre public, de sûreté nationale et de refus de surenchère administrative. Vous partagez l'objectif du projet de loi tout en nourrissant des craintes sur sa mise en œuvre. Pouvez-vous préciser votre pensée à ce sujet ? J'ai pris note de votre proposition d'instaurer un comité de suivi ; il faut sans doute en débattre, mais, sur le principe, elle m'agrée particulièrement.
Vous avez indiqué que les orthodoxes, ayant souvent vécu dans les dictatures qu'ont connues les pays d'Europe de l'Est au XXe siècle, ont l'expérience d'États liberticides ainsi que de la coexistence historique et géographique entre orthodoxes et musulmans, et qu'ils font la différence entre islam et islamisme. Pouvez-vous approfondir ce point, afin de déterminer s'il existe une continuité entre l'islam et les formes de radicalisation islamiste ? S'il n'en existe pas, comment expliquer cette rupture ? Dès lors, le texte répond-il bien à l'objectif de lutte contre les radicalisations ?
Comme le rapporteur général, j'aimerais savoir si le culte orthodoxe relève principalement de la loi du 9 décembre 1905 ou de la loi du 1er juillet 1901.
Dans la mesure où la loi du 9 décembre 1905 interdit toute activité autre que cultuelle, je suppose que vous avez créé, comme les autres cultes, des associations relevant de la loi du 1er juillet 1901 afin de pouvoir mener des actions caritatives. Dès lors que le projet de loi vise à inciter les cultes à s'inscrire plus strictement dans le cadre de la loi du 9 décembre 1905, êtes‑vous favorable à sa modification visant à y inscrire des activités autres que cultuelles, notamment sociales et caritatives ?
Enfin, vous considérez que les mesures rendues obligatoires par le projet de loi pour les associations relevant de la loi du 1er juillet 1901, notamment celles relatives au contrôle de leurs comptes, induiront pour elles un surcoût. Disposez-vous d'une estimation chiffrée de celui-ci par association ?
Y a-t-il, au sein de l'Église orthodoxe, des courants plus intégristes qui complexifieraient son adhésion à ce projet de loi ?
Quelle est la nature de vos relations avec le ministère de l'intérieur ? Sont-elles fréquentes et sur quels sujets portent-elles principalement ?
La réflexion sur le projet de loi a-t-elle été menée au sein de ce ministère, en charge de la police des cultes ? Que pensez-vous d'un éventuel rattachement de cette compétence, qui sera renforcée, au Premier ministre ou au ministre de la culture ?
Enfin, voyez-vous dans les dispositions de ce projet de loi un danger pour la poursuite des actions humanitaires menées par toutes les Églises chrétiennes en faveur des déboutés du droit d'asile ? Les associations diocésaines permettent notamment d'assurer un accueil digne et responsable.
Comment percevez-vous les évolutions de notre société au sujet de la laïcité, en particulier dans la nouvelle génération ?
Existe-t-il, chez les orthodoxes, des dérives radicales ? De quel ordre sont-elles et comment les gérez-vous ? Quel regard portez-vous sur les dérives religieuses et politiques de certains radicaux, d'une manière générale, c'est-à-dire dans toutes les religions, et plus particulièrement s'agissant de la montée de l'islamisme radical en France ?
Par ailleurs, quelle est votre lecture du projet de loi ? Quels en sont, pour vous, les points positifs ? Avez-vous des réserves sur certains aspects ? Souhaitez-vous éventuellement des modifications ?
Des prêtres orthodoxes de nationalité étrangère financés soit par des Églises étrangères, soit par des États étrangers exercent-ils leur ministère en France ? Je pense à la Russie, à l'Ukraine, à la Grèce et à d'autres pays dans lesquels l'orthodoxie est parfois la religion d'État. Dans l'affirmative, que pensez-vous des mesures prévues par le projet de loi ?
Avez-vous des financements étrangers, venant d'autres États ou d'Églises étrangères, et comment voyez-vous le contrôle que le texte vise à instaurer en la matière ?
L'instruction en famille (IEF) est la possibilité, pour les familles, de choisir d'éduquer elles‑mêmes leurs enfants, dans le respect des dispositions relatives à l'instruction obligatoire et avec un contrôle de l'État. Que pensez-vous de l'interdiction de cette IEF pour les familles justifiant ce choix par des raisons philosophiques, religieuses ou politiques ?
S'agissant des liens entre des financements étrangers et des associations cultuelles, en particulier celles que vous représentez, je prendrai l'exemple de la cathédrale de la Sainte-Trinité de Paris, qui se trouve à quelques mètres d'ici. Elle a été directement financée par la Fédération de Russie, par la volonté de son président, Vladimir Poutine, et avec l'accord politique de Nicolas Sarkozy, qui a soutenu le dossier. Cette cathédrale, qui a coûté 170 millions d'euros, directement payés par la Russie, a été inaugurée par le ministre de la culture et l'ambassadeur de ce pays. C'est directement un financement étranger. Existe-t-il d'autres lieux de culte du même type ?
Par ailleurs, ceux qui ont apporté des financements, en l'occurrence le gouvernement russe, ont-ils une influence particulière sur la nomination de tel ou tel ministre du culte ? Y a‑t‑il quelque chose d'un peu organique en la matière ou, du moins, une tradition de consultation du patriarche de Constantinople ou de l'autorité politique à laquelle la cathédrale de la Sainte‑Trinité se rattache ? Le politique a permis la construction de ce lieu de culte. Quelles conséquences en résulte-t-il, aujourd'hui encore, sur la manière dont vous êtes organisés ?
Mgr Emmanuel Adamakis. Nous avons à peu près trois cents lieux de culte en France. Chaque église est une association. La plupart a été constituée sur le fondement de la loi de 1905, mais il existe aussi quelques associations relevant de la loi de 1901.
La métropole du patriarcat œcuménique a quelques immeubles de rapport – mais pas beaucoup : nous ne sommes pas très riches. Ils peuvent provenir de dons de fidèles, que nous acceptons. Nos églises ont été fermées pendant presque quatre mois en 2020. Sans les dons des fidèles et les revenus des quelques appartements que nous possédons, nous ne serions pas capables de continuer à fonctionner comme il faut – nous devons notamment payer nos employés laïcs et les prêtres, auxquels nous ne versons pas vraiment un salaire mais des subsides leur permettant de vivre.
S'agissant du contrôle, j'ai indiqué que nous y sommes tout à fait favorables. Nous ne voulons pas cacher quoi que ce soit. Chaque reçu fiscal que nous remettons est, de toute façon, public.
S'agissant de la question de M. Houlié, je n'ai pas connaissance de violations de la loi de 1905 concernant le culte orthodoxe.
Il n'y a pas, toujours à ma connaissance, d'école purement orthodoxe en France qui serait gérée par une de nos Églises. Tous les enfants vont dans des écoles, publiques ou privées, délivrant l'enseignement prévu par l'État. Il existe des écoles de langue maternelle qui fonctionnent le mercredi ou le samedi, dans quelques cas, mais c'est en dehors des autres cours. Les enfants reçoivent le même enseignement que tout le monde, et je crois qu'il faut continuer dans ce sens.
S'agissant du séparatisme, j'ai bien souligné que nous sommes contre et précisé la manière dont nous considérons les moyens de lutte prévus par ce projet de loi.
Il y a des Églises, surtout en Orient, pour lesquelles la coexistence avec l'islam est un fait : nous avons vécu ensemble pendant des siècles. Néanmoins, nous n'avons pas connu que des périodes de paix. Les chrétiens ont beaucoup souffert et souffrent toujours dans certains pays. Pourquoi y a-t-il encore une émigration de chrétiens d'Orient ? Si l'accent est parfois mis sur leur protection, c'est qu'ils sont victimes d'une oppression, d'une absence de liberté dans certains pays.
Je connais l'islam. Je suis responsable du dialogue avec cette religion et le judaïsme ; je m'en occupe depuis plus de vingt-cinq ans. Il faut bien connaître chaque religion, son histoire et son organisation. On ne doit pas tout confondre ; une approche au cas par cas est nécessaire. L'organisation de l'islam est différente. Nous connaissons les efforts menés depuis la création du CFCM et la situation actuelle. On peut avoir de très bonnes relations avec l'islam, qu'il ne faut pas confondre avec l'islamisme. Un islam radical n'est pas acceptable dans la République.
Nous avons des associations caritatives. Le recours à un commissaire aux comptes peut coûter entre 3 000 et 4 000 euros par an. Je pense qu'il sera difficile pour de petites communautés de faire face à un tel coût supplémentaire. Nous sommes pour un contrôle, et une solution pourrait être que le préfet de chaque département l'organise au cas par cas.
Avons-nous des intégristes ? Je n'en connais pas et je ne peux d'ailleurs pas utiliser ce mot : il n'existe pas d'intégrisme orthodoxe. Qu'il y ait des positions plus conservatrices dans certains milieux, c'est vrai, mais sans intention de créer des problèmes dans la République – en tout cas, je ne connais pas en France d'intégristes orthodoxes au sens habituel de ce terme.
S'agissant de nos relations avec le ministère de l'intérieur, nous avons notamment eu une visioconférence le 3 novembre, si je me souviens bien, au sujet de ce projet de loi. Nos relations ont toujours été très bonnes, aussi bien avec le service des cultes qu'avec le ministre lui-même et ses conseillers. Nous sommes satisfaits des contacts que nous avons.
J'ai été surpris par la réaction du recteur de la grande mosquée concernant la formation des imams en France comme moyen de prévention des dérives radicales. Ce sujet est en discussion depuis plusieurs années. Il faut que, dans la mesure du possible, les imams soient formés en France. Si la formation peut être organisée de manière satisfaisante, chacun doit l'intégrer dans ses projets.
Plusieurs de nos prêtres viennent de l'étranger. Il faut distinguer, à mon sens, ceux qui sont issus d'États de l'Union européenne de ceux qui viennent de pays extérieurs à l'Union. J'ai exercé, pendant près de dix ans, la présidence de la Conférence des Églises européennes, qui regroupe cent trente Églises à travers l'Europe, la plupart d'entre elles se trouvant dans l'Union européenne. Au sein de l'Union, on doit avoir une approche différente selon que les prêtres en sont issus ou proviennent de pays extérieurs. Nous attachons de l'importance à l'inculturation et à l'intégration des prêtres qui viennent en France servir les communautés, mais aussi de nos fidèles.
Quelques prêtres sont rémunérés par un État étranger. Au sein de la métropole du patriarcat œcuménique, plusieurs prêtres d'origine grecque sont détachés et rémunérés par la Grèce. Toutefois, ces détachements ont été rendus plus difficiles par la crise et sont devenus très rares. Un certain nombre de prêtres roumains servent dans la métropole orthodoxe roumaine ; j'ignore si la Roumanie entretient une relation financière avec eux. Je ne peux pas davantage vous dire si la Russie apporte une aide financière aux prêtres russes. Au sein du vicariat pour les paroisses russes en France, que nous avons créé récemment, il n'y a pas de prêtres rémunérés par un État étranger – je parle ici de prêtres qui relèvent directement de la métropole du patriarcat œcuménique.
Nous ne pratiquons pas l'instruction en famille en France. L'instruction est assurée exclusivement par les écoles publiques ou privées.
On sait dans quelles circonstances la cathédrale de la Sainte-Trinité a été construite. Cet ensemble, qui se présente comme un centre culturel, se trouve sur le territoire russe. J'entretiens de très bonnes relations personnelles avec mon homologue métropolite, mais les rapports entre le patriarcat œcuménique et le patriarcat de Moscou ne sont pas les meilleurs qui soient ; cela n'est pas de notre fait. Les deux ou trois fois où je me suis rendu dans l'édifice, j'ai dû passer un contrôle à l'entrée, en présence d'un membre de l'ambassade de la Fédération de Russie. L'influence de l'État russe est évidente, compte tenu des relations qu'il entretient avec l'Église, non seulement en Russie mais aussi avec les représentations de l'Église russe à l'étranger. La cathédrale de la Sainte-Trinité en est un bon exemple.
Je ne prétends pas avoir les réponses à l'ensemble des questions. C'est pourquoi j'ai proposé tout à l'heure l'institution d'un comité de suivi, au sein duquel des personnes plus expertes que moi pourraient répondre précisément à vos interrogations.
Il vous est toujours loisible d'envoyer des contributions ou des remarques écrites sur tel ou tel aspect du projet de loi.
J'ai été interpellé, dans votre propos liminaire, par l'affirmation que, compte tenu de l'expérience qu'a connue l'Église orthodoxe au sein de régimes totalitaires, la laïcité était pour vous un bien très précieux. Vous avez, par ailleurs, indiqué, dans le rapport annuel de l'Observatoire de la laïcité 2019-2020, que la laïcité devait être pensée « dans le contexte de la globalisation ». La laïcité est une clé de voûte de la République française – j'en profite pour glisser à notre collègue Annie Genevard que, pour ma part, je ne fais pas de différence entre la France et la République française. Selon vous, le projet de loi, qui vise à conforter le respect des principes de la République, devrait-il prendre en compte les conceptions antinomiques d'autres États, au prétexte de la mondialisation ? Nous faudrait-il repenser, quitte à l'amoindrir, notre principe laïc, alors que la France fait face, du fait de son modèle singulier, à des tentatives de déstabilisation de la part d'États religieux mais aussi de démocraties libérales, notamment anglo-saxonnes ?
Mgr Emmanuel Adamakis. Je suis arrivé en France il y a plus de quarante ans ; j'y ai étudié et j'occupe depuis dix-huit ans les fonctions de président de l'Assemblée des évêques orthodoxes de France. Je suis fier d'être français. La France m'a donné une certaine vision des choses. J'ai vécu également dans d'autres pays européens et en Amérique. Mon expérience du dialogue m'a permis de comparer les régimes de différents pays et de discerner les spécificités de l'organisation des cultes en France. Le régime français de la laïcité n'est pas bien compris dans d'autres pays. En Belgique, lorsque je parlais de la laïcité à la française, cela suscitait des questions, notamment de la part de personnes travaillant au ministère de la justice, auquel le culte est rattaché. J'ai dû expliquer ce que nous entendons par cette notion et en quoi nous pensons que cette organisation des cultes est un bien.
Toutefois, je m'interroge sur la possibilité d'exporter ce système, qui est unique et propre à la France : il n'est que de comparer le régime existant dans notre pays et dans d'autres États qui se disent aussi laïcs. La laïcité confère aux minorités religieuses – dont nous faisons partie – les mêmes droits que ceux dont bénéficient les religions mieux implantées numériquement.
Qui est propriétaire des quelque trois cents lieux de culte que vous évoquiez ? J'ai lu dans la presse que la propriété de biens à Nice avait donné lieu à un contentieux.
Mgr Emmanuel Adamakis. Dans la plupart des cas, les lieux de culte sont la propriété des associations. Toutefois, il y a des cas particuliers. Les deux églises russes de Nice ayant été construites par la famille du tsar, l'État russe en a revendiqué la propriété. Il l'a obtenue pour la cathédrale et manifeste toujours la volonté de récupérer l'église Saint-Nicolas-et-Sainte-Alexandra. Autre exception, notre cathédrale appartient à l'État grec, car ceux qui l'ont construite en 1895 la lui ont offerte. Nous pouvons librement y exercer notre culte et vivre dans le bâtiment. Peut-être est-ce la même chose – je n'en suis pas sûr – s'agissant de la cathédrale roumaine de la rue Jean-de-Beauvais.
Est-ce vous qui entretenez ces églises ? L'État grec et l'État russe financent-ils les gros travaux ?
Mgr Emmanuel Adamakis. Ce que je peux vous dire, c'est que, pour notre part, nous ne recevons aucune subvention de l'État grec, du fait de la crise. Toutefois, notre cathédrale est inscrite au catalogue des monuments historiques. J'essaie de faire en sorte qu'elle bénéficie d'un classement, car nous devons effectuer des travaux. Les financements pourraient provenir, par exemple, de la direction des affaires culturelles.
La séance est levée à seize heures cinquante.
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Membres présents ou excusés
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la République
Réunion du lundi 4 janvier 2021 à 15 heures 45
Présents. – Mme Caroline Abadie, M. Saïd Ahamada, Mme Laetitia Avia, Mme Géraldine Bannier, Mme Anne-Laure Blin, M. Florent Boudié, M. Pierre-Yves Bournazel, M. Xavier Breton, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Anne Brugnera, M. Francis Chouat, Mme Fabienne Colboc, M. Alexis Corbière, M. François Cormier-Bouligeon, M. Charles de Courson, M. Éric Diard, Mme Coralie Dubost, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Christophe Euzet, Mme Isabelle Florennes, Mme Perrine Goulet, Mme Florence Granjus, M. Yves Hemedinger, M. Sacha Houlié, Mme Marietta Karamanli, Mme Anne-Christine Lang, M. Ludovic Mendes, M. Jean-Baptiste Moreau, Mme Valérie Oppelt, M. Frédéric Petit, M. Éric Poulliat, M. François Pupponi, M. Bruno Questel, M. Julien Ravier, M. Robin Reda, M. François de Rugy, M. Pacôme Rupin, Mme Cécile Untermaier, M. Boris Vallaud, M. Guillaume Vuilletet
Assistait également à la réunion. - Mme Liliana Tanguy