Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la république

Réunion du mercredi 13 janvier 2021 à 15h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • laïcité
  • professeur
  • religieux
  • religion
Répartition par groupes du travail de cette réunion de commission

  PS et divers gauche    En Marche    MoDem    Les Républicains  

La réunion

Source

COMMISSION SPÉCIALE CHARGÉE D'EXAMINER LE PROJET DE LOI CONFORTANT LE RESPECT DES PRINCIPES DE LA RÉPUBLIQUE

Mercredi 13 janvier 2021

La séance est ouverte à quinze heures trente.

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Nous reprenons nos auditions. Je suis très heureux de recevoir maintenant monsieur Ferdinand Mélin-Soucramanien, professeur de droit public à l'Université de Bordeaux. Votre présence n'est pas liée aux fonctions que vous avez exercées à l'Assemblée nationale, mais aux travaux universitaires que vous avez publiés sur la question de la laïcité. Comme mes collègues et celles et ceux qui suivent ces auditions depuis le début le savent, nous avons souhaité accueillir des personnes qui, en leurs qualités diverses, peuvent éclairer nos travaux, sur le texte et sur le contexte, à la fois sur les grands enjeux autour de la lutte contre les communautarismes et les tentations séparatistes, de la défense et de la mise en œuvre de la laïcité, et plus généralement, du respect des principes de la République. C'est le titre du projet de loi déposé par le Gouvernement, qui a donné lieu à la création de cette commission spéciale qui examinera les articles et les amendements la semaine prochaine, avant l'examen en séance publique. Nous sommes encore au cœur de cette phase d'audition. Nous souhaitons que les personnes auditionnées éclairent nos travaux, à la fois sur le contenu du texte, sur ses implications et sur d'éventuels ajouts à opérer.

Vous avez maintenant la parole pour un propos introductif. Au risque de vous décevoir, ce n'est pas un cours magistral. Je vous propose d'y consacrer une dizaine de minutes. Il y aura ensuite un temps consacré aux interventions, questions et interpellations de la part des représentants des groupes. Vous pourrez vous exprimer, puis, si des collègues députés ont encore quelques questions, nous pourrons les entendre. Monsieur Mélin-Soucramanien, vous avez la parole.

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Ferdinand Mélin-Soucramanien

Je m'exprimerai en tant que président d'Université, en toute indépendance, et entièrement détaché, même si certains de mes propos auront des résonances politiques. Il est difficile de ne pas en avoir sur un tel sujet, mais j'essaierai de m'en abstraire au maximum. Je vais me borner ici à deux remarques très superficielles et m'arrêter à la surface du texte.

Ma première remarque portera sur l'objet même de la loi, et ma seconde remarque sur le contenu de ce texte. S'agissant de l'objet de la loi, exprimée dans son titre que vous avez rappelé (projet de loi confortant pour tous des principes de la République), l'intitulé a beaucoup varié. Certains continuent à l'appeler « projet de loi de lutte contre le séparatisme ». Parmi les autres versions envisagées, il y a eu « projet de loi confortant les principes républicains. »

Il faut y ajouter une série de discussions, désormais derrière nous, sur des distinctions très subtiles établies entre les valeurs de la République et les principes de la République, puis entre les principes de la République et les principes républicains. Cela me semble très intéressant, mais peu opérationnel. Derrière les mots, il convient de s'intéresser à l'intention de ce projet de loi, qui vise à renforcer l'universalisme républicain. L'un des axes de ce texte, voire son axe principal, est ainsi de conforter les principes de laïcité et d'égalité, ces deux principes fonctionnant de manière symbiotique. Si l'on est républicain, on ne peut que considérer que l'intention de ce texte est louable. Il n'y a évidemment aucun problème à cet égard.

Je souhaite néanmoins formuler une remarque sur l'objet du projet de loi. Lorsqu'on parle de « principes de la République », le terme me semble un peu général. Il s'agit essentiellement de la laïcité et de l'égalité, alors que la République repose sur cinq principes, énoncés dans l'article premier de la Constitution de 1958. J'ai l'habitude de présenter cet article comme la carte d'identité constitutionnelle de la France. La République s'appuie sur cinq principes : la République est indivisible, laïque, démocratique, sociale et elle assure le respect de l'égalité devant la Loi, ce qui interdit la discrimination. Parmi ces cinq principes qui caractérisent la République, deux sont nuancés et tempérés dans le texte même de l'article premier, l'indivisibilité, qui est nuancée depuis 2003 par « l'organisation de la République est décentralisée » et l'égalité, qui est nuancée par l'exigence de parité, et ce depuis 1999, et encore davantage depuis 2003 et 2008.

Comme je me suis exprimé publiquement sur le sujet, et comme Madame Genevard est vice-présidente de cette commission, je rappelle qu'un complément utile de ce texte aurait consisté à préciser d'entrée la conception française de la laïcité, comme cela a été fait par le constituant pour l'égalité et l'indivisibilité. Je ne vais pas rouvrir ce débat, qui a eu lieu et a été utile, même s'il a été quelque peu sacrifié. Lorsqu'on lit le texte objet de la discussion au sein de votre commission, nous constatons la complémentarité entre cette précision par le haut dans l'article premier et cette nécessité de combler certaines lacunes, ce à quoi contribue utilement votre projet de loi.

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Je souhaite avoir une précision. Parlez-vous d'apporter une précision dans l'article premier de la Constitution ou dans l'article premier du texte ?

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Ferdinand Mélin-Soucramanien

Je parle de l'article premier de la Constitution, qui énumère les cinq caractéristiques de la République : indivisibilité, laïcité, caractère démocratique, caractère social, respect de l'égalité. Pour deux de ces caractéristiques, et dans l'article premier même, le constituant a considéré qu'il fallait considérer l'indivisibilité sous réserve de la décentralisation et l'égalité sous réserve de la parité. Le Conseil constitutionnel bloquait depuis longtemps toutes les réformes visant à assurer une meilleure représentation des femmes dans les instances démocratiques ou dans les entreprises. Je regrette un peu cette occasion manquée. Il manque un élément préalable, en quelque sorte, mais cette question sera peut-être ouverte ultérieurement à nouveau. Je l'espère.

Quant au contenu de la loi, je crois qu'il n'a échappé à personne, et en particulier au Conseil d'État, que ce texte est foisonnant. J'ai aimé cette formule subtile du Conseil d'État disant que « ce texte contient un grand nombre de mesures, d'objets divers intervenant dans des domaines variés. » Le Conseil d'État ne craint pas la répétition. En l'occurrence, on y trouve quatre titres, 51 articles. Vous êtes sept rapporteurs. Cette commission est ainsi extraordinaire à tous les sens du terme. Je ne reviens pas sur tous les sujets abordés. Nous aurons l'occasion d'y revenir pendant l'échange. Il est vrai que nous pourrions avoir un jugement négatif sur ce caractère foisonnant. Cela pourrait être une première impression, mais ce n'est pas du tout mon sentiment. Même si nous avons une certaine difficulté à percevoir la cohérence globale du texte, le sentiment inverse prédomine lorsqu'on lit les mesures proposées une par une.

Pourquoi avons-nous attendu aussi longtemps ? La plupart de ces dispositions sont utiles et ont peut-être été trop longtemps différées. Évidemment, nous pouvons regretter que des dispositions particulières n'aient pas été prises pour certains sujets spécifiques, comme l'hôpital ou les universités, même si les dispositions des deux premiers articles peuvent couvrir ces sujets. Nous pouvons aussi regretter que ces dispositions ne soient pas étendues à l'Outremer. Je pense à l'ordonnance de Charles X, datant de 1828, qui continue à s'appliquer à la Guyane. La collectivité territoriale continue à rémunérer les ministres du culte. Le Gouvernement a repoussé la réflexion à ce sujet.

Je souhaite conclure mon propos par une ultime remarque. Autant j'ai affirmé qu'il manquait une précision relative au principe de laïcité, autant je tiens à souligner que le caractère épars du dispositif prévu dans ce projet peut faire l'objet d'une seconde lecture, en particulier sur toutes les thématiques relatives à la laïcité. Je plaide depuis longtemps pour un code de la laïcité et pour une entreprise de codification en la matière. Je sais que le sujet a été un peu miné. C'est une vieille revendication de la Ligue de l'Enseignement. Depuis le début des années 2000, cette dernière réclame cette codification. Nicolas Sarkozy et Claude Guéant ont mis en place une série de mesures, ont créé une commission et ont fait publier un ouvrage à la Documentation française regroupant les textes sur la laïcité. Le débat a cependant été un peu « plombé » par le lien établi entre laïcité, identité et immigration. Sur le plan strictement juridique, la question de l'applicabilité, de l'accessibilité aux droits, qui fait écho à l'intelligibilité du droit, est un objectif de valeur constitutionnelle pour le Conseil constitutionnel. Ces objectifs paraissent plaider pour une codification de ces textes épars, déjà très fragmentés.

Lorsqu'on travaille sur la laïcité, on a l'impression d'être face à un droit de « broussailles », pour reprendre une expression chère à un professeur de droit international privé. La codification pourrait être un instrument de meilleure effectivité de ce droit.

J'ai ainsi formulé deux remarques. Ma première remarque concerne l'article premier de la Constitution, alors que ma seconde remarque, plus prospective, porte sur la question de la codification et de la nécessité de rassembler et de clarifier ces textes pour satisfaire à cet objectif d'accessibilité et d'intelligibilité du droit.

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Je vous propose de prendre une série de questions, remarques, interpellations. Nous commençons par monsieur François Cormier-Bouligeon, au nom du groupe la République en Marche.

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Monsieur le professeur, vous avez beaucoup travaillé sur la question de la laïcité et sur le principe d'égalité, qui ne lui est pas totalement étranger. Comme vous, en tant que citoyen, en tant qu'élu, je défends ce principe constitutionnel. Comme vous, je pense qu'il est nécessaire de le définir dans la Constitution, tant il est fait peu de cas, par le Conseil constitutionnel, de cet adjectif fondamental accolé au régime politique républicain, que ni le législateur ni même le constituant ne peuvent modifier, conformément à l'article 89 de la Constitution.

Ma question mettra en lien la laïcité avec un autre sujet que vous connaissez, la probité des élus. Certains travaux universitaires pourront bientôt l'éclairer. Certes, un élu n'est pas soumis à la neutralité. Par définition, être élu, c'est n'être pas neutre. Cependant, depuis quelques années, certains élus adoptent une vision de laïcité et de leur relation avec les cultes pour le moins étonnante, aussi bien au niveau local qu'au niveau national. Plusieurs litiges contemporains de la laïcité ont pour origine des décisions d'élus. Je pense notamment à la statue de Ploërmel, aux crèches de la Nativité, à Béziers, ou à la construction de certains lieux de culte. Je pourrais également citer le cas de l'adoption d'une charte de la laïcité à Orléans, autorisant les élus à participer à la liturgie lors de la messe des Fêtes johanniques, ou l'affaire des écharpes tricolores que certains élus toulousains portaient lors d'une messe à Lourdes. N'y a-t-il pas, selon vous, matière à réfléchir sur le statut de l'élu dans le cadre de ce projet de loi ? Au-delà de la nomination d'un déontologue au niveau local et des chartes fleurissant çà et là, d'autres propositions courageuses limitant ce type de comportement ne doivent-elles pas être formulées ? Je vous remercie.

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Madame Annie Genevard intervient pour le groupe Les Républicains.

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Monsieur le professeur, votre expertise est parfaitement reconnue sur le sujet que nous évoquons. Dans le prolongement de la question de mon collègue, qui s'était ému du fait que, lors d'une audition précédente, une intervenante avait dit que la République était laïque, mais que la France ne l'était pas. Cela rejoint les interrogations de nombreux cultes. Cette réflexion sur la laïcité et sur la neutralité ne développe-t-elle pas un sentiment antireligieux ? En traitant de façon prioritaire les désordres liés à l'épanouissement exponentiel de certaines religions, le risque est de jeter le soupçon sur toutes les religions. Dans l'exemple présenté par mon collègue, il faut distinguer ce qui relève de l'expression d'une opinion religieuse, ce qui ne doit pas être le cas de la part d'élus, tenus à une forme de neutralité, et toute la dimension historique et traditionnelle susceptible de justifier la décision de l'élu d'installer une crèche ou de porter une écharpe lors d'une manifestation tout autant patrimoniale que religieuse. Je souhaite interroger votre sentiment sur le lien existant entre laïcité, neutralité, liberté religieuse et respect des religions. Nous sommes nombreux à ne pas souhaiter que la lutte contre le radicalisme islamiste aboutisse à un soupçon généralisé à l'égard des religions.

Ma deuxième question interroge la constitutionnalité de certaines mesures. Sur ce point, divers intervenants ont formulé des opinions différentes. Je pense aux articles consacrés à l'éducation et à la fin de l'enseignement en famille ou à domicile, qui suscite pour les uns une question de constitutionnalité, alors que d'autres estiment que cette mesure ne comporte pas de risque d'anti constitutionnalité. Je souhaite avoir votre sentiment sur ce point.

Enfin, j'ai porté, comme rapporteure, la proposition de loi constitutionnelle émanant du Sénat sur la modification de la Constitution pour rappeler la règle commune, selon laquelle les partis politiques ne pouvaient pas avoir une dimension religieuse. Cette proposition de loi constitutionnelle n'a pas été validée par l'Assemblée nationale, comme vous le savez. J'ai néanmoins souhaité réintroduire ces notions par voie d'amendements dans le texte de la loi. Je souhaite que cette notion soit réintroduite dans le présent projet de loi. Si le législateur en était d'accord, pensez-vous que cette notion aurait une force utile ?

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Pour le groupe Modem, la parole est à monsieur Jean-Paul Mattei.

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Monsieur le professeur, je reçois la référence à l'article premier de la Constitution comme un élément particulièrement intéressant dans notre débat. Ne pensez-vous pas que l'article 6 du projet de loi évoquant le contrat d'engagement républicain est superfétatoire ? Ne faudrait-il pas faire référence à l'article premier de la Constitution dans cet article ? Je souhaite avoir votre analyse sur la notion de contrat. Il me semble que cette notion engage l'autorité administrative et l'association, mais également ses adhérents. Le côté pédagogique de cette référence à la Constitution me semble être un élément intéressant à développer dans l'étude de ce texte. Sur l'aspect relatif à la sécurité juridique, je souhaite revenir sur l'article 27, concernant la démarche nécessaire aux associations cultuelles visant à déposer une demande auprès de l'autorité administrative pour être reconnues en tant que telles. À mes yeux, ce sont des éléments sécurisants. Ne pensez-vous pas que la création d'une procédure permettant d'octroyer un statut d'association cultuelle va dans le bon sens, afin de ne pas courir un risque d'insécurité juridique ? Je voulais vous interroger sur ces deux points, mais je suis très intéressé par votre référence à l'article premier de la Constitution.

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Pour le groupe socialiste, la parole est à madame Cécile Untermaier.

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Je souscris également à cette nécessité de s'interroger sur la laïcité dans la loi fondamentale. Je souhaite poser quelques questions très concrètes tenant d'ailleurs à votre spécialité de professeur de droit public, en particulier sur le deuxième paragraphe de l'article premier. Considérez-vous que le dispositif proposé (« lorsqu'un contrat de commande publique a pour objet en tout ou partie l'exécution d'un service public, son titulaire est tenu d'assurer l'égalité des usagers devant le service public »), qui consiste en l'importation de la jurisprudence, et le libellé prévu pourront contribuer à assurer cette neutralité de manière claire et sans ambiguïté, selon les objectifs affichés dans cet article ?

Ma deuxième question porte sur l'article 6 et sur le contrat d'engagement républicain, qui a fait l'objet de nombreuses interrogations, notamment de la part du Conseil d'État. Par une interprétation assez scélérate, on pourrait dire que le fait de ne pas demander d'argent pourrait autoriser à ne pas souscrire d'engagement républicain, alors même que lier la demande de subvention à un contrat d'engagement républicain me paraît, d'une certaine manière, atténuer la portée de principes que l'on souhaite au contraire renforcer en matière d'universalisme.

Enfin, ma troisième interrogation s'adresse toujours au professeur de droit public. Elle porte sur le rôle que doit jouer le représentant de l'État concernant les associations cultuelles, avec la possibilité qui est la sienne, dans les deux mois suivant leur création, d'affirmer que cette association n'est pas cultuelle. Sachant que vous êtes universitaire et que les universités ont pour rôle de penser la place de la religion dans la société, ne pensez-vous pas qu'il faudrait créer au CNI une section relative à la place du culte musulman, de sorte que l'approche scientifique, qui est déjà celle entourant les religions catholiques et protestantes puisse prospérer ?

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A priori, je n'ai pas d'autre demande d'intervention à ce stade. Professeur, vous avez la parole pour nous éclairer, en réponse à ces interventions.

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Ferdinand Mélin-Soucramanien

S'agissant de la question du lien avec la probité, je constate que vous êtes bien renseignés. Je ferai soutenir samedi une thèse sur le droit de la probité des élus de la République, qui s'annonce tout à fait intéressante. Ce lien existe, mais il est ténu dans le projet actuel. Nous pouvons le percevoir à l'article 2. Les élus ont effectivement une part de responsabilité. Selon moi, ce lien est plus direct et pourrait être plus net dans ce texte ou dans un texte à venir. Le texte sur lequel vous travaillez se trouve à la confluence de deux notions réputées indéfinissables, la laïcité et la République, puisqu'on peine souvent à définir cette dernière. On répond ainsi que la République n'est pas la monarchie ou qu'un État laïc est un État qui n'est pas religieux ou ecclésiastique. On peut se contenter d'une telle définition. C'est d'ailleurs ce dont nous nous contentons dans le texte de la Constitution actuel. Jean Jaurès, lorsqu'on lui demandait de définir la République, répondait qu'elle était un grand acte de confiance. Il se fondait sur cette définition mystérieuse, n'étant pas pour rien professeur de philosophie.

Il est vrai que le lien entre les deux existe. Dans un certain nombre de collectivités territoriales qui se sont dotées d'un référent déontologue, ce dernier est souvent chargé des questions de laïcité et d'application ou d'interprétation du principe de laïcité. Cette piste pourrait être creusée. Je le dis à proximité du bureau de déontologue de l'Assemblée nationale, où des problèmes ont surgi et pourraient surgir à ce sujet. Nous pourrions imaginer que son déontologue pourrait être saisi de ces questions d'interprétation de la laïcité. Je vous renvoie d'ailleurs à un remarquable article, intitulé La cravate et le voile, portant sur la question du port des signes religieux à l'Assemblée nationale, paru dans la Revue du droit public il y a deux ans.

Je suis d'accord avec vous, Monsieur le Député : il existe un lien direct autour de cette question de la confiance en la République. Si nous devions chercher un levier opérationnel, il passerait peut-être par les institutions actuellement chargées de la déontologie.

Quant aux trois questions posées par Madame Genevard, la première question, un peu générale, portait sur le fait d'attiser, par le biais de ce texte, un soupçon généralisé à l'encontre des religions. Cela peut être le cas à l'encontre d'une religion en particulier, selon l'écho que l'on entend parfois. Certains religieux ont l'air de penser que cela attisera également le soupçon à l'encontre des autres religions, mais cela révèle une vision déformée du principe de laïcité. Henri Pena-Ruiz, que vous allez recevoir et qui est un combattant de la laïcité, considère que cette dernière est un facteur d'émancipation individuelle et collective. Elle n'est en rien l'ennemie des religions, même si elle a pu apparaître comme un instrument de combat dirigé contre la religion catholique. Ceci est entièrement derrière nous.

Indépendamment de la formulation du texte de la proposition de loi constitutionnelle, que vous avez pu défendre ici même, madame Genevard, il me semble que préciser le principe de laïcité dans la Constitution et rappeler qu'il comporte deux facettes, la liberté de conscience, déjà prévue à l'article 10 de la Déclaration de 1789, c'est-à-dire la liberté de croire ou de ne pas croire, ce qui implique la neutralité, et la séparation entre le politique et le religieux. Comme le disait Victor Hugo, « l'État, chez lui, et l'Église chez elle. » Cette dimension de séparation entre le politique et le religieux, qui est la deuxième facette de la laïcité, ne doit pas faire perdre de vue la première facette, la reconnaissance complète de la liberté de conscience.

Pour ma part, j'estime que celle-ci relève d'une conviction juridique, et non politique. Nous savons bien pourquoi en 1958 le Général de Gaulle a souhaité se limiter à cette expression elliptique : la République est laïque. Cette volonté a été exprimée dans différents courriers à divers responsables religieux. Il ne voulait pas aller plus loin pour des raisons précises liées à ses convictions politiques et personnelles. Selon moi, il me semble qu'il serait utile de rappeler que la laïcité induit la liberté de conscience, mais aussi cette séparation entre le politique et le religieux, ce qu'a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision de 2004. Il a indiqué que la laïcité reposait sur la séparation entre le politique et le religieux, dans une formulation se rapprochant de celle utilisée dans la proposition de loi constitutionnelle et dans une série de QPC, comme l'a fait le Conseil d'État depuis plus d'un siècle. Ce dernier rappelle que cela induit la liberté de conscience et la neutralité.

Il convient peut-être de l'écrire quelque part, soit, à mon avis, dans la Constitution, soit dans un article un peu surplombant de la loi. Cette proposition me paraît intéressante. De nombreux textes constitutionnels ont connu le trajet décrit par madame Genevard. J'en viens à votre troisième question. Vous suggérez de procéder par voie d'amendements. De nombreuses dispositions constitutionnelles ont connu ce trajet, notamment le droit à la protection de l'environnement, cher à certaines personnes présentes ici même. Dans les facultés de droit, on se moquait fréquemment de l'article premier de la loi de 1995, la « loi Barnier », qui garantissait le droit à un environnement sain. Les professeurs de droit considéraient qu'il s'agissait d'une phrase creuse. Finalement, on la retrouve dans la Constitution sous la forme d'une charte assez complète, avec des effets juridiques effectifs. Le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État ont donné un plein effet à la Charte de l'environnement de 2004. Ce trajet ascendant des normes constitutionnelles est tout à fait possible. Pourquoi pas un passage par la loi ? Cette démarche peut tout à fait aller dans le sens qui est le vôtre.

Vous m'avez posé une question plus précise, et visiblement un peu brûlante, relative au caractère constitutionnel des dispositions du texte concernant l'éducation en famille. Alors que je ne savais pas que mon nom figurait sur le site internet de l'Assemblée nationale, j'ai reçu plusieurs dizaines de courriels à ce sujet. Je ne savais pas à quelle heure mon intervention était programmée. Je constate qu'il y a des groupes de pression bien constitués à ce sujet : je ne m'attendais pas à ce flot d'interventions. Au risque de vous décevoir, il est vrai que cet article 21 comporte un risque de contrariété à la Constitution qui, à mon sens, n'est pas très élevé. En tout cas, il ne l'est plus après le passage en Conseil d'État. Pourquoi pensez-vous que ce risque existe ? Cette disposition relative à l'article 21 substitue un régime d'autorisation à un régime de déclaration. Le Conseil constitutionnel, comme le Conseil d'État, n'apprécie guère ce type de mécanisme.

Ce même mécanisme avait provoqué la décision inaugurale ayant fait émerger le Conseil constitutionnel, le 16 juillet 1971, sur la liberté d'association. Le législateur avait souhaité substituer un régime d'autorisation au régime de déclaration. Ce passage est hautement suspect à ses yeux. Le juge lisant une telle disposition dans un texte y prêtera attention. Pour les juristes, il s'agit du passage d'un régime répressif, l'autorité administrative intervenant après que la liberté se soit exercée, à un régime préventif, l'autorité administrative intervenant avant que la liberté puisse s'exercer. La constitutionnalité d'une telle disposition paraît douteuse.

Ceci étant, dans le détail, la liberté d'association était convoquée en 1971, laquelle n'est pas la moindre des libertés, puisqu'il s'agit d'une liberté permettant l'exercice des autres libertés, comme la liberté de formation des partis politiques ou la liberté d'expression. Ici, le droit à l'instruction est un droit extrêmement important, mais dans la galaxie des droits fondamentaux et des libertés publiques, il ne jouit pas d'une densité équivalente à celle d'autres droits, comme la liberté d'expression ou la liberté d'association.

Il existe deux sources relatives à ce droit à l'instruction applicables dans le droit français. La première source est l'alinéa 13 du préambule de la Constitution de 1946. Il indique que l'instruction doit être laïque, gratuite et égale et que le droit à l'instruction est un devoir de l'État. Il en ressort une obligation positive de l'État, mais rien n'est dit sur l'instruction en famille. En revanche, l'article 2 du protocole numéro un à la Convention européenne des droits de l'homme est plus explicite, puisqu'il prévoit explicitement le droit à l'instruction en famille en prévoyant l'existence de ce droit. Dans sa deuxième partie, l'article indique que les États membres du Conseil de l'Europe doivent créer les conditions permettant cette instruction en famille.

Nous pourrions alors considérer que l'article 21 est condamné et pourrait encourir la censure de la Cour européenne des Droits de l'Homme. Cependant, cette dernière considère qu'il n'y a pas consensus entre les 47 États membres du Conseil de l'Europe sur ce point. Sur ces questions un peu délicates, elle renvoie à la marge nationale d'appréciation. Les États peuvent faire à peu près ce qu'ils veulent. Une censure du Conseil constitutionnel est donc assez improbable sur le fondement de l'alinéa. De même, une censure de la Cour européenne des droits de l'homme sur la base de l'article 2 du protocole numéro un est hautement improbable, d'autant plus que la rédaction actuelle de l'article 21 à l'issue du passage devant le Conseil d'État me semble préserver l'essentiel. En réalité, on passe certes d'un régime de déclaration à un régime d'autorisation, mais le champ des dérogations est tellement large, et en particulier le quatrièmement, qui prévoit l'existence d'une situation particulière propre à l'enfant, sous réserve que les personnes qui en sont responsables justifient de leurs capacités à assurer l'instruction en famille dans le respect de l'intérêt supérieur de l'enfant. Il me semble que cette condition permet de lever le doute sur la question de la constitutionnalité. Honnêtement, le dispositif me paraît équilibré. Évidemment, nous ne pouvons pas préjuger de la décision du Conseil constitutionnel. Pour répondre à votre question, madame Genevard, il y a donc un risque d'inconstitutionnalité. À mon sens, compte tenu de la rédaction de la dérogation prévue dans le quatrième paragraphe, conduisant à renverser le principe, l'exigence de proportionnalité, dans le respect du droit à l'instruction, est respectée. Il ne faut jamais préjuger d'une décision du Conseil constitutionnel ou du Conseil d'État, mais le risque est faible. Nous pourrons y revenir si vous le souhaitez.

S'agissant des questions de monsieur Mattei, je répondrai à sa première question sur le contrat d'engagement républicain. Je ne comprends pas bien quel était le sens de votre question. Très clairement, ce n'est pas un contrat. Le Conseil d'État l'a affirmé. Il ne satisfait pas aux critères de ce que pourrait être un contrat public. On pourrait l'appeler « contrat », entre guillemets, mais il en résulte une forme d'insécurité juridique. Cela ressemble plus à une vieille tradition existant devant les Assemblées, notamment pendant la période révolutionnaire, puisque cela ressemble plus à une forme de serment qu'à un contrat, c'est-à-dire une déclaration unilatérale de volonté pour s'engager à respecter un certain nombre de principes. Ce n'est donc clairement pas un contrat au sens qu'en droit public, le Conseil d'État donne au contrat.

Je ne sais pas si j'ai bien compris l'autre partie de votre question, mais il est vrai que dans certains pays, on prête serment sur la Constitution. Pour ma part, les principes républicains sont effectivement contenus dans la Constitution, en particulier dans son article premier, a fortiori s'il était plus complet, comprenant une définition plus complète de ce qu'on entend par laïcité (liberté de conscience et séparation du politique et du religieux). Pour ma part, un serment sur la Constitution vaudrait engagement républicain. Pourquoi pas ?

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Monsieur le président, m'autorisez-vous à compléter ma question ? Puis-je intervenir ?

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Il s'agit souvent d'une convention liant l'autorité administrative et l'association. Quant à la référence à un engagement républicain, l'article premier me semble plus complet sur la définition du contrat d'engagement républicain évoqué à l'article 6, mais ce n'est pas un élément de référence. Le contrat peut concerner d'autres éléments faisant référence à un engagement républicain. La référence à l'article premier de la Constitution me semblerait plus forte.

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Ferdinand Mélin-Soucramanien

Pour prolonger les propos de monsieur Mattei, il y a une question sémantique. Pouvons-nous parler de contrat d'engagement républicain dans la loi, alors que ce n'est pas véritablement un contrat ? Pouvons-nous accrocher cette notion à des pratiques existantes dans les relations entre une collectivité publique versant une subvention à une association ? Il existe de nombreuses collectivités signant des conventions d'objectifs, entre une commune, par exemple, et une association percevant une subvention. Nous pourrions imaginer un dispositif équivalent. Le terme convention pourrait être plus adapté. Vous avez évoqué le serment, qui peut sembler séduisant, y compris par la référence historique à laquelle vous faisiez allusion. Je ne crois pas que le serment ait plus de fondement juridique. Faut-il, de manière concrète, employer un autre terme ? Faut-il substituer le terme convention au terme contrat ? Cela me semble un peu indifférent. Le Conseil d'État a tout dit dans son avis sur la nature contractuelle, mais ce ne serait pas la première fois que le législateur utilise un terme parce qu'il y a une intention politique. En l'occurrence, l'intention politique du législateur est bien comprise : conditionner l'octroi de subventions à l'acceptation des principes de la République. Il ne faut pas s'arrêter à la maille des mots.

En revanche, j'en viens à la question posée par madame Untermaier : sur les plans logiques et éthiques, il existe un biais. En effet, les associations ne sollicitant pas de subventions publiques pourraient alors s'affranchir des principes républicains. Il en résulte un petit souci, qui n'est pas uniquement d'ordre esthétique. Il faudrait peut-être généraliser cet engagement.

Pour rester sur les nombreuses questions posées par madame Untermaier, sa première question portait sur le contrat de commande publique et sur l'instabilité de la jurisprudence administrative jusqu'à présent. Le Conseil d'État le confirme clairement dans son avis, par ailleurs remarquable : la formulation est encore imprécise. Il ne s'agit pas uniquement d'une leçon de sémantique. Le Conseil d'État ne goûte guère les dispositions susceptibles de devenir des nids à contentieux. Or la formulation semble imprécise, notamment l'ensemble des dispositions du titre premier. Plusieurs questions se posent, dont il résulte des angles contentieux, liés à cette relative imprécision du texte.

Concernant le rôle du représentant de l'État pour la qualification des associations cultuelles, il en ressort une forme d'intervention de l'autorité administrative sur une qualification cultuelle, ou pas. Pour ma part, cette intervention ne me gêne pas, parce que, dans notre conception de la laïcité (liberté de conscience et séparation du politique et du religieux), la séparation du politique et du religieux suppose que le religieux ne peut pas influer sur le politique. A contrario, l'autorité politique ou administrative peut influer sur le religieux, à la différence de ce que l'on constate aux États-Unis, où le politique ne peut pas intervenir. Dans ce pays, la séparation entre la politique et la religion repose sur l'idée que le politique ne peut pas influer sur le religieux, mais que le religieux peut parfaitement influer sur le politique. Notre conception est complètement opposée : l'autorité politique ou administrative peut parfaitement influer sur le religieux. C'est pour cela que nous avons créé le Conseil français du culte musulman et que nous avons réglementé le port d'un certain nombre de signes religieux dans les établissements recevant du public.

La dernière question posée par madame Untermaier porte sur la création d'une section du conseil national des universités (CNU), qui est presque mort. Nous ne savons pas s'il va se réunir cette année. Je n'ai pas de réponse, mais il doit bien y avoir une section quelconque consacrée au fait religieux. C'est une carence. Si nous avons encore un CNU dans les mois à venir, il s'agit effectivement d'un pan de la connaissance à enrichir.

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La parole est à monsieur Philippe Benassaya, du groupe Les Républicains.

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Je vais être très rapide. En effet, vous avez répondu avec précision à nos questions. Je vais toutefois vous livrer le fond de ma pensée. De nombreux éléments de votre intervention m'ont intéressé, notamment votre définition de la laïcité. Je sais que le texte n'a pas pour objectif de refaire la loi de 1905. Cependant, vous avez ouvert plusieurs portes dans votre intervention, en évoquant notamment les cinq fondements de la République. Vous avez ainsi évoqué son caractère laïc, mais vous avez indiqué qu'il fallait préciser cette définition de la laïcité à la française. Vous avez également suggéré de réfléchir à un code de la laïcité. À mon sens, dans ce texte, nous ne ferons pas l'économie de cette définition de la laïcité, parce que nous n'avons pas tous la même définition de la laïcité. Ma collègue Annie Genevard a rappelé les propos d'un intervenant, selon lequel la République était laïque, mais la France ne l'est pas. Il faudra peut-être un jour ouvrir une porte dans ce texte sur la définition de la laïcité, afin de bien nommer l'ennemi, comme le dirait Albert Camus. Il s'agit de donner la définition de ce qu'est la laïcité à la française. En préambule, il conviendra peut-être de définir cette laïcité à la française dans un souci d'efficacité et pour mieux lutter contre toutes les formes de radicalisme que subit notre pays depuis des décennies. Il existe une séparation entre la sphère publique et la sphère privée. Vous avez rappelé la fameuse citation de Victor Hugo. Comme vous avez répondu à ma question, je considère que nous ne ferons pas l'économie d'une définition de la laïcité productive, efficace, combattante, pour lutter contre ces formes de radicalisme.

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Vous remarquerez, cher collègue, que nous sommes tentés d'ajouter des adjectifs à la laïcité, alors qu'il y a tout un débat sur le fait de ne pas y ajouter d'adjectifs. Avant de passer la parole à François Cormier-Bouligeon, je tiens à appuyer certains propos. Vous avez préconisé, monsieur le professeur, une définition de la laïcité dans la Constitution. Le texte sur lequel nous travaillons n'est pas constitutionnel, mais vous avez par ailleurs affirmé que certaines notions pouvaient être introduites dans une loi, des affirmations de portée générale, qui ne sont pas forcément immédiatement d'une portée concrète, même si des décisions de justice ont, par exemple, pu être prises au nom du droit à un environnement sain. Cette notion introduite dans la « loi Barnier » de 1995 n'était donc pas totalement décorative.

Si on retient votre raisonnement, il en découle une question que je souhaite vous poser. Même si je ne vous demande pas de faire notre travail de législateur, auriez-vous une définition assez générale complétant utilement le projet de loi présenté par le Gouvernement ? Je rappelle que ce projet de loi émane du Gouvernement, mais que nous sommes maintenant dans la phase parlementaire. Le Parlement entend bien exercer la plénitude de ses fonctions. Monsieur le député François Cormier-Bouligeon, vous avez la parole. Je proposerai ensuite au professeur de répondre.

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Merci pour votre utile rappel à l'article 24 de notre Constitution sur le pouvoir du législateur. Oscar Wilde a eu cette phrase célèbre, que vous connaissez tous : « le seul moyen de se délivrer d'une tentation, c'est d'y céder. » Il avait ajouté : « résistez, et votre âme sera malade à force de languir ce qu'elle s'interdit. » Vous nous avez parlé des collaborateurs occasionnels du service public. Je suis très tenté de vous emboîter le pas, puisque c'est un sujet qui m'est cher, étant un républicain de progrès que l'on pourrait qualifier d'universaliste. L'article premier n'évoque-t-il pas les collaborateurs occasionnels du service public ? Je rappelle son premier alinéa : « lorsque la loi ou le règlement confie directement l'exécution d'un service public à un organisme de droit public ou de droit privé, celui est tenu d'assurer l'égalité des usagers devant le service public et de veiller au respect des principes de la laïcité et de neutralité du service public. Il prend les mesures nécessaires à cet effet, et, en particulier, il veille à ce que ses salariés ou les personnes sur lesquels il exerce une autorité hiérarchique ou un pouvoir de direction, lorsqu'ils participent à l'exécution du service public, s'abstiennent de manifester leurs opinions, notamment religieuses, et traitent de façon égale toutes les personnes. » Ma question est simple : comment la loi pourrait-elle imposer aux organismes de droit public ou de droit privé participant à une mission de service public ce que, finalement, on n'imposerait pas à l'État lui-même, à l'administration, et donc aux collaborateurs occasionnels du service public ?

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Y a-t-il d'autres demandes d'intervention ? Monsieur le professeur, je vous propose de répondre à ces questions. Ce sera aussi l'occasion de conclure.

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Ferdinand Mélin-Soucramanien

Sur la question de la définition de la laïcité, je continue à penser qu'elle est utile, sinon indispensable. Le passage par la loi peut constituer une première étape. Je continue à le penser. Pour ce qui est de la définition de la laïcité, je ne vais pas m'engager dans un tel sujet. En vertu de l'article 24 de la Constitution, cela pourrait être votre office, en effet. Il n'y a pas à aller chercher loin : le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État ont depuis longtemps donné une définition précise et complète de la laïcité. Le Conseil constitutionnel, en particulier, a établi une définition de la laïcité, peut-être incomplète. Elle est reprise dans la proposition émanant du Sénat et soutenue ici par madame Genevard. Je vous rappelle cette formule, qui est forte et résulte de la décision du 19 novembre 2004, à propos du traité visant à établir une Constitution pour l'Europe. Dans cette décision, le Conseil constitutionnel se posait la question de la compatibilité du principe de laïcité à la française avec la liberté de religion telle qu'elle est prévue dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne. Le Conseil constitutionnel a défini la laïcité en disant que « le principe de laïcité interdit à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s'affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers. » Cette définition est intéressante et se focalise sur la séparation nécessaire entre le politique et le religieux. Cela a été repris dans la proposition de loi constitutionnelle. Nous pourrions objecter que cette définition n'est que partielle. Je le crois également. Pour être complet, il faudrait ajouter ce que le Conseil constitutionnel a dit dans certaines décisions ultérieures, rappelant les éléments relatifs à la liberté de conscience. Il en a déduit que la République ne salariait ni ne subventionnait aucun culte, soit l'article premier de la loi de 1905, dont la constitutionnalisation est réclamée par de nombreux acteurs, notamment par le Grand Orient de France et par d'autres obédiences, me semble-t-il.

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C'était même inscrit dans le programme d'un candidat à la Présidence de la République, élu en 2012. Lorsqu'il était candidat à l'élection présidentielle, monsieur François Hollande avait dit qu'il souhaitait constitutionnaliser la loi de 1905. Certains avaient répondu que cette proposition était ridicule, dans la mesure où on ne pouvait pas constitutionnaliser une loi. Il souhaitait inscrire dans la Constitution l'article premier de la loi 1905 et le principe général de laïcité. Ayant été député de 2012 à 2017, sans interruption, je peux témoigner qu'il n'y a pas eu la moindre tentative de dépôt d'un projet de loi constitutionnelle de la part des différents gouvernements nommés par François Hollande, ni aucune initiative parlementaire de la part des groupes majoritaires de l'époque, auxquels je n'ai appartenu que six mois.

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Ferdinand Mélin-Soucramanien

En tout état de cause, la laïcité, sur le plan juridique, a été définie par le Conseil constitutionnel, la plus haute juridiction du pays. Elle repose sur la liberté de conscience (article premier de la loi de 1905) et sur la séparation du politique et du religieux. Il ne faut pas se focaliser sur un seul aspect, au risque de perdre tout un pan de ce qu'est le principe de laïcité à la française.

Sur le principe de codification, je suis persuadé qu'il faudra y venir un jour ou l'autre, même si le débat a été un peu « tordu » en 2010-2011 pour des raisons politiques et politiciennes. Vous avez été confronté, en tant que président de l'Assemblée nationale, à des questions de ce type. On s'interroge constamment sur la question de la règle applicable. Lorsqu'on préside une collectivité ou lorsqu'on intervient dans un établissement d'enseignement supérieur, la question de la règle applicable se pose constamment. En matière de laïcité, on ne compte plus les vade-mecum, les guides, les chartes diverses et variées. Plus personne ne s'y retrouve. Je ne sais pas si un administrateur ici présent se souvient d'une note de synthèse diffusée il y a deux ans dans le cadre du concours d'administrateur de l'Assemblée nationale. Je m'étais amusé à regrouper un certain nombre de textes relatifs à la laïcité. Cet effort de rassemblement des textes afin d'y créer une forme de cohérence peut passer par l'élaboration d'un code. En effet, les dispositions contenues dans un code peuvent être de tous ordres, incluant des dispositions internationales ou constitutionnelles. Si on ne peut pas modifier les dispositions constitutionnelles, le texte des dispositions législatives ou réglementaires peut être placé sous l'égide de la Commission supérieure de codification, et donc du Conseil d'État. Plusieurs parlementaires siègent d'ailleurs dans cette commission. Le texte peut être lissé, ordonné et mis en cohérence. À mes yeux, il s'agirait d'un outil très opérationnel.

Concernant les collaborateurs occasionnels du service public et la question de l'article premier, je vais être un peu lapidaire : si nous restions sur cette formulation, le législateur imposerait une obligation que l'État ne s'impose pas à lui-même. Il y a donc un biais, d'autant plus que la rédaction de l'article premier reste quelque peu imprécise. Il n'est pas dit qu'elle n'exclut pas la possibilité de couvrir la question des collaborateurs occasionnels du service public. À nouveau, un travail de rédaction doit être entrepris pour revoir ce texte. Je ne doute pas que ce dernier sera amélioré en commission. Le Conseil d'État, depuis fort longtemps, sur cette question des collaborateurs occasionnels du service public, préfère ne pas trancher et estime que c'est au législateur de prendre ses responsabilités. Sur ces questions un peu délicates, il a incité le législateur à le faire. Soit ce dernier le fait, soit il ne le fait pas. Ce sera votre travail politique au sein de cette commission, puis lors des travaux parlementaires. En tout cas, il demeure une imprécision.

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Je vous remercie pour vos réponses et votre contribution à nos travaux. Nous allons nous arrêter pour cette audition. La prochaine audition est programmée à dix-sept heures, puisque nous accueillons monsieur Hakim El Karoui, qui a rédigé un rapport sur l'Islam en France.

La séance est levée à seize heures quarante-cinq

Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la République

Réunion du mercredi 13 janvier 2021 à 15 h 30

Présents. – Mme Laetitia Avia, Mme Géraldine Bannier, M. Philippe Benassaya, M. Xavier Breton, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Fabienne Colboc, M. François Cormier‑Bouligeon, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Annie Genevard, Mme Perrine Goulet, Mme Florence Granjus, Mme Marie Guévenoux, Mme Anne-Christine Lang, Mme Constance Le Grip, M. Jean-Paul Mattei, Mme Valérie Oppelt, M. François de Rugy, Mme Cécile Untermaier