Mission d'information sur la résilience nationale

Réunion du mercredi 15 septembre 2021 à 18h00

Résumé de la réunion

Répartition par groupes du travail de cette réunion de commission

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La réunion

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MISSION D'INFORMATION DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉSILIENCE NATIONALE

Mercredi 15 septembre 2021

La séance est ouverte à dix-huit heures

(Présidence de Mme Sereine Mauborgne, vice-présidente de la mission d'information)

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Virginie Grimault, secrétaire générale de la fédération de l'épicerie et du commerce de proximité (FECP)

La FECP a été créée en 2014 afin d'accompagner l'essor et la modernisation du commerce alimentaire de proximité non spécialisé sur le territoire français. Elle rassemble près de 5 000 commerçants de proximité alimentaire indépendants et sous enseigne – Carrefour City, G20, Franprix, etc.

Au-delà de la FECP, le commerce de proximité sous enseigne représente plus de 11 000 magasins en incluant le bio (2 200 points de vente), liés à l'une des 40 enseignes de distribution nationales ou régionales. Dans la plupart des cas, ils le sont dans le cadre de contrats de franchise, mais aussi de contrats d'association – Système U, réseau Intermarché –ou encore d'affiliation à une centrale d'achats – Coccinelle.

Les enseignes de la distribution assurant l'approvisionnement de ces points de vente, ils ont pu se reposer sur elles pendant la crise sanitaire. En revanche, nos professionnels ont été durement confrontés au risque lié à l'exploitation, à savoir la pénurie de main-d'œuvre, qui s'est très fortement fait sentir au cours du premier confinement, surtout avant la mise en place de l'allocation d'activité partielle. Les collectivités territoriales nous ont aussi beaucoup aidés en admettant les enfants de nos professionnels dans les lieux d'accueil scolaires ou périscolaires, au même titre que les enfants de soignants.

Nous avons rencontré des difficultés pour la protection de nos collaborateurs. En effet, les masques manquaient, ils étaient réquisitionnés et cela a imposé l'installation de protections en plexiglas, qui s'est avérée plus lente qu'en grande et moyenne surface en raison de la multiplicité et de la dispersion des points de vente sur le territoire. Cette installation devait en outre être réalisée tout en maintenant les commerces ouverts.

Nous avons aussi faire face à des risques pour notre sécurité, avec parfois des comportements agressifs de clients, réfractaires au déploiement des mesures barrières ou confrontés à des ruptures. Cette difficulté était accrue du fait de l'absence de personnel dédié à la sécurité.

Les fragilités particulières du secteur, de nature à compromettre l'approvisionnement alimentaire, se sont manifestées en aval. Les pouvoirs publics et les enseignes de la grande distribution ont beaucoup communiqué pour réduire les comportements irrationnels de ruée dans les magasins, sans parvenir à les supprimer totalement. Ce sont ces comportements qui ont souvent été à l'origine de ruptures de produits.

Lorsque la situation est revenue à la normale dans les grandes et moyennes surfaces, des ruptures ont perduré chez nos adhérents en raison d'un report des consommateurs sur ces commerces, lié au boom de la consommation à domicile et à la chute de la fréquentation des grandes et moyennes surfaces. Au total, le commerce de proximité a progressé de 8,6 % en valeur, contre 6,3 % pour l'ensemble des produits de grande consommation. Cette progression a profité davantage encore aux commerces de la proximité rurale, avec une augmentation de près de 12 %, contre 7,5 % pour la proximité urbaine.

Face à cette demande supplémentaire, maintenir la sécurité des approvisionnements supposait une accélération du rythme des commandes et des livraisons. Cela était difficile à assurer, même avec le support des réseaux d'enseignes, car la logistique, y compris celle des enseignes, était impactée par l'absentéisme. Nos besoins étaient donc accrus, avec des moyens plus limités pour y répondre.

S'agissant de la création des stocks stratégiques, nos professionnels ne sont pas les plus concernés. Il faut savoir que le commerce alimentaire de proximité ne dispose pas d'espace de stockage. Sous l'effet de la modernisation des enseignes et de l'évolution des attentes des clients, la surface des équipements est quasiment totalement dédiée à la vente, notamment en zone urbaine, en raison du coût du foncier. Pour accroître les volumes mis à disposition dans les magasins, il faut donc une rotation plus rapide des livraisons.

Pendant la crise, nos adhérents ont bénéficié d'un soutien beaucoup plus important lorsqu'ils étaient franchisés ou associés à un grand réseau d'enseignes que lorsqu'ils étaient affiliés à une centrale d'achats, même si les groupements d'affiliés ont fortement aidé leurs membres.

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Jacques Creyssel, délégué général de la fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD)

Après le premier confinement, la secrétaire générale de la défense nationale de l'époque, Mme Claire Landais, aujourd'hui secrétaire générale du Gouvernement, a recommandé de considérer désormais la grande distribution alimentaire comme un secteur stratégique.

De fait, la filière alimentaire est stratégique et la distribution alimentaire a réussi à ne fermer aucun magasin alimentaire en France lors du confinement, grâce à la réactivité très forte qui a prévalu immédiatement.

Après l'annonce du confinement par le Premier ministre, dès le 15 mars 2020, le ministère des finances réunissait les grands acteurs du secteur et un plan sanitaire global était élaboré pour le secteur, mis en application dès le 16 mars.

Avec 10 millions de clients par jour, nous étions en contact avec 10 millions de personnes potentiellement malades. Nous avions demandé dès le départ à disposer de masques ; cela nous avait été refusé dans un premier temps, mais une semaine plus tard, nous avons obtenu l'autorisation d'en acheter.

Nous avons réussi à calmer l'inquiétude initiale des consommateurs, à l'origine de comportements parfois difficiles. Certains clients sont ainsi venus dans les entrepôts d'hypermarchés pour voler des produits. On a aussi vu des bagarres avec nos personnels et des mouvements de panique. Tout l'enjeu a été de communiquer pour expliquer qu'il y aurait des produits en quantité et qu'il n'était pas utile de les stocker. De fait, le calme est revenu assez vite.

Nous avons travaillé de manière concrète avec le ministre de l'économie et des finances, M. Bruno Le Maire, avec qui nous avions une réunion de coordination tous les soirs, parfois en présence du ministre de l'agriculture. Les grands patrons du secteur – M. Michel-Edouard Leclerc pour le groupe Leclerc, M. Jean-Charles Naouri pour Casino, M. Alexandre Bompart pour Carrefour – participaient à cet échange, ainsi que deux grands industriels, M. Emmanuel Faber pour Danone et M. Emmanuel Besnier pour Lactalis.

À la demande du ministre, j'effectuais un point quotidien sur trois indicateurs : le taux d'absentéisme dans les magasins, le taux d'absentéisme et de fonctionnement dans les entrepôts, le taux de services des commandes passées. Ces indicateurs se sont dégradés de manière très rapide et à un moment, il manquait 20 % des produits.

En conséquence, les industriels se sont organisés, en lien avec nous, pour pratiquer le 20/80, en livrant les 20 % de produits représentant 80 % des ventes. Nous avons donc restreint l'offre, de manière à garantir une offre suffisante à tout le monde et à éviter le rationnement. Cependant, nous avons craint que cela ne suffise plus, notamment en raison de l'absentéisme, qui atteignait 40 à 45% de nos personnels dans certaines régions, notamment le Grand Est ou la région Centre. A la fin du mois de mars, nous avons donc indiqué au ministre qu'il fallait réfléchir à des mesures de sauvegarde.

M. Bruno Le Maire m'a alors passé commande d'un plan de sauvegarde de l'ensemble du secteur agroalimentaire. Nous y avons travaillé tout le week-end, en passant en revue toutes les options : rationnements éventuels, organisations spécifiques – fermeture des magasins, limitation des horaires – et concours éventuel des forces de l'ordre ou de l'armée pour éviter toute difficulté.

Mais la situation s'est finalement améliorée pour une raison très simple à laquelle personne n'avait pensé : à partir du moment où le chômage partiel se généralisait, les conjoints des collaborateurs ont pu garder leurs enfants. Ainsi, le taux d'absentéisme, qui était très largement lié au problème de la garde d'enfants, s'est amélioré, et nous avons réussi à passer cette période délicate.

Au total, au cours de cette période, non seulement personne n'a eu de problème pour se nourrir mais, en plus, nos salariés sont devenus les nouveaux héros de cette crise, ce qui a eu un effet très positif.

Pour assurer le service des commandes, nous avons constaté que les difficultés concernaient plutôt des produits intermédiaires, c'est-à-dire des fournitures auxquelles nous n'avions pas pensé, par exemple des opercules. Nous avions du lait, mais plus d'opercules pour le mettre en bouteilles. De même, nous disposions d'œufs, mais n'avions plus assez de boîtes pour les emballer. Nous avons dû nous adapter à cette situation.

Nous n'avons pas vraiment eu de problème pour les importations. La seule vraie difficulté rencontrée, en relation avec l'étranger, a été le manque de personnel disponible auprès des agriculteurs. Aussi, en lien avec la présidente de la fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), Mme Christine Lambert, nous avons multiplié les opérations pour que nous achetions des fraises françaises par exemple, même si ce n'était pas forcément facile de faire comprendre aux Français pourquoi les fraises étaient plus chères qu'auparavant.

Pour conclure mon propos, j'estime qu'il faut absolument que nous soyons désormais considérés comme un secteur stratégique pour les crises à venir, car si les Français n'avaient pas à manger, cela induirait une situation sociale hors de contrôle.

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Stéphane Layani, président-directeur général de la SEMMARIS (marché international de Rungis)

Rungis a la particularité d'être un service public classé comme opérateur d'importance vitale (OIV). Nous sommes ainsi dotés d'un plan de continuité d'activité, en lien permanent avec le préfet de la zone de défense afférente et avec M. Didier Lallement, préfet de police de Paris.

Comme l'a indiqué avec justesse M. Jacques Creyssel, le secteur s'est très bien organisé face à la crise, sous la direction et avec l'appui des pouvoirs publics, en particulier le ministre de l'économie et des finances, M. Bruno Le Maire, le ministère de l'agriculture et de l'alimentation et la préfecture de zone.

À Rungis, nous approvisionnons chaque jour environ vingt millions de consommateurs en produits frais. Avec la crise sanitaire, nous avons été confrontés à quatre problèmes, qui tiennent à deux données principales : la logistique et l'approvisionnement.

S'agissant de l'approvisionnement, le début de la crise a donné lieu à des surplus considérables, car nous sommes la centrale d'achat du commerce de proximité mais aussi des restaurants et des marchés. Avec la fermeture de ces derniers, nous avons pu bénéficier de l'action solidaire de la grande distribution, en particulier des réseaux indépendants ‑ Monoprix avec Casino ; Intermarché et Système U. Des stocks considérables de viandes, de poissons et de fruits et légumes ont ainsi pu être repris par ces réseaux et vendus aux consommateurs, ce qui a évité qu'ils ne soient perdus. Je précise que nous pouvons constituer des stocks de produits frais, mais seulement sur des temps courts.

S'agissant du transport, nous avons eu des problèmes avec les importations. Je pense que la souveraineté alimentaire repose sur le fait de ne pas être dépendant. Or, en hiver, il faut importer les produits frais ; mais avec la crise sanitaire, les camions ne passaient pas les frontières. Nous avons dû nous appuyer sur le Quai d'Orsay et les grands acteurs de la logistique – STEF, La Poste – pour que les camions continuent à traverser les frontières ; mais cela ne suffisait pas, car les routiers ne voulaient pas passer d'un pays à l'autre, notamment pour des questions de masques.

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J'ajoute à ce sujet que les aires d'autoroutes étaient alors fermées.

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Stéphane Layani, président-directeur général de la SEMMARIS (marché international de Rungis)

Tout à fait. Nous avons donc connu des tensions très fortes avec les produits importés. Nous avons géré cette situation collectivement ; la fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD) y a contribué de manière satisfaisante, ainsi que les fédérations des petits commerçants, notamment la fédération de l'épicerie et du commerce de proximité (FECP), qui représente le commerce franchisé. Nous sommes parvenus à surmonter cette difficulté, mais cela a engendré une tension sur les prix, car les transports sont devenus plus chers.

Pour en revenir à l'approvisionnement, nous avions deux hantises : ne pas avoir les produits demandés par les consommateurs et en avoir trop, ce qui génère une chute des cours et une marge insuffisante pour les mandataires, les grossistes et les agriculteurs.

Nous avons donc décidé, sous l'influence notamment des pouvoirs publics et de la région Île-de-France, de créer le site B to C « Rungis livré chez vous », afin de servir les habitants confinés chez eux, sans solliciter les détaillants. Ces derniers nous l'ont reproché, mais il faut rappeler qu'à cette période de la crise sanitaire, les vaccins n'étaient pas encore disponibles et les personnes âgées ne voulaient pas sortir de chez elles. Ce site a connu un grand succès, avec plus de 26 000 paniers distribués lors du premier confinement et un taux de satisfaction de plus de 95 %.

Je me suis engagé auprès des fédérations du commerce, le conseil du commerce de France (CdCF) et la confédération du commerce de proximité, à fermer ce site dès la fin du confinement, pour ne pas être en concurrence avec mes clients.

Pour conclure mes propos, j'ai été marqué par la solidarité très forte qui s'est manifestée lors de ce premier confinement. Avec les différents acteurs du secteur, notamment la FNSEA, la FCD et les marchés, nous échangions régulièrement par téléphone, et cela fonctionnait très bien. Nous ne positionnions pas comme étant en concurrence les uns avec les autres, mais plutôt dans une forme de complémentarité. J'ai également été marqué par le fait que les goûts des consommateurs ont évolué lors de cette période de confinement.

Les Français ont eu de plus en plus recours à la digitalisation et plus de quatre-vingts initiatives « Parcours du marché de Rungis » ont été recensées, en dehors de « Rungis livré chez vous », pour livrer aux consommateurs les produits vendus via le commerce électronique. Ainsi, le confinement a constitué le premier moment d'un mouvement de digitalisation qui, à n'en pas douter, a vocation à se poursuivre. Il est clair que le commerce des produits frais ne sera plus le même après cette crise.

J'ai aussi été frappé par le désir des Français de consommer des produits locaux. Nous récoltons déjà un grand succès avec le « Carreau des producteurs d'Île-de-France », qui représente une très grande partie de l'alimentation fraîche de la région. Pour cette catégorie des produits frais, on observe une demande très forte pour ces produits locaux cultivés à moins de 250 kilomètres de Paris. En l'état, les produits locaux représentent 2,5 % des besoins alimentaires des franciliens.

Je veux tout de même souligner qu'une grande erreur a été faite lors du premier confinement : il a été décidé de fermer les marchés de plein vent, après une polémique au sujet du marché de Barbès ; mais 30 % de l'alimentation fraîche transite par ces marchés ! Ces fermetures ont conduit les consommateurs à se tourner vers le commerce de proximité ou la grande distribution, ce qui, du point de vue du risque épidémique, n'était pas optimal, car cela conduisait à concentrer toute la population dans le même circuit de distribution. Cette erreur n'a pas été reproduite lors des confinements suivants, car nous disposions alors de masques et de mesures barrières.

Au total, sur la période des trois confinements, nous avons connu une accélération de la croissance du marché de Rungis, hormis pour les entreprises spécialisées dans la restauration et les produits de la marée, lesquels sont, pour l'essentiel, consommés au restaurant.

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J'ai été intéressée, monsieur Creyssel, par le travail mené sur le fonctionnement en mode dégradé dans votre secteur. J'ai notamment été interpellée par l'aptitude des grandes surfaces à faire face à la demande de drive, avec parfois des problèmes pratiques qui n'avaient pas été anticipés.

Par ailleurs, alors que nous connaissions un déclin important du suremballage plastique, nous avons observé son retour en force pour de prétendus motifs d'hygiène. Monsieur Layani, vous aurez peut-être des informations à nous fournir à ce sujet. Constatez-vous toujours une augmentation du recours au plastique pour les suremballages ?

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Stéphane Layani, président-directeur général de la SEMMARIS (marché international de Rungis)

Au marché de Rungis, nous vendons surtout des produits en vrac, donc sans emballage plastique. Mais en effet, les producteurs et les transformateurs du secteur des fruits et légumes ont fortement investi dans des usines de plastification des produits pour répondre à une demande importante de produits protégés lors du premier confinement, car personne ne savait alors d'où provenait le virus.

Mais je pense que c'était un phénomène transitoire. Désormais, toutes les grandes structures de distribution ont une approche responsable de cette question, sous l'effet aussi de la réglementation ; il s'agit donc d'un sujet en voie d'attrition à long terme. C'est un peu différent pour les produits dédiés à l'exportation. Au total, il faut avoir en tête que les transitions sont toujours longues.

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Virginie Grimault, secrétaire générale de la fédération de l'épicerie et du commerce de proximité (FECP)

Dans certaines municipalités, nous avons fait face aux injonctions des élus, qui nous obligeaient à emballer les fruits et légumes, en plus des gants remis aux clients. Des contrôles sanitaires ont été effectués et des procès-verbaux dressés.

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Jacques Creyssel, délégué général de la fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD)

La nécessité d'emballer les produits résultait en effet de consignes sanitaires publiques. Il nous était demandé de faire en sorte que les consommateurs ne touchent plus les produits, notamment les produits frais. Le vrac a par ailleurs été interdit.

Il s'avère que la tendance de long terme, pour l'usage du plastique d'emballage, est totalement inverse. La loi Climat et résilience dispose que 20 % des produits devront être proposés en vrac d'ici à 2030. Par ailleurs, la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, dite loi « AGEC », a conduit à interdire de proposer des bouteilles en plastique dans les réunions par exemple. Carrefour propose désormais des emballages carton avec la mention « bio », pour répondre à l'obligation de différencier le bio du non-bio sans avoir recours à l'emballage plastique.

On a en effet observé un report sur le drive, qui traduit bien le constat formulé par M. Stéphane Layani. Désormais, 10 % des produits alimentaires sont livrés par le drive, contre 5 % il y a un an et demi : cela représente l'équivalent de cinq ou six ans de progression ! Concrètement, cela a induit une hausse hebdomadaire des ventes de 80 à 100 %, ce qui n'a pas été sans susciter des difficultés. En effet, le drive nécessite beaucoup de personnel ; or, nous faisions face à un absentéisme très important. Par ailleurs, je rejoins ce que disait M. Stéphane Layani : la crise a été un accélérateur gigantesque du e-commerce alimentaire. Le transport des produits frais induit une complexité particulière.

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Stéphane Layani, président-directeur général de la SEMMARIS (marché international de Rungis)

Je précise que, pour « Rungis livré chez vous », nous avons été aidés par une brigade du service militaire volontaire (SMV) ; 50 % des jeunes qui y ont participé ont été par la suite embauchés par les entreprises. Je tiens à souligner cette utilisation intelligente du service militaire volontaire.

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Si la crise sanitaire a permis de prendre conscience de la dimension stratégique de la distribution alimentaire, c'est un point positif.

Je retiens de vos interventions l'importance de la bonne articulation entre le privé et le public en temps de crise, en acceptant qu'un pilotage public est nécessaire pour initier des discussions entre les différents acteurs concernés et donner les grandes orientations. Par ailleurs, chacun doit être capable de se reconfigurer et de se réinventer, et vous en avez fourni plusieurs exemples.

Le besoin de communiquer, notamment pour éviter les effets de panique, apparaît également important.

Enfin, le comportement citoyen de chacun, qu'il soit consommateur ou travailleur, est déterminant. En tant que distributeurs, vous avez la particularité de représenter des entreprises qui sont en contact direct avec les consommateurs. J'aimerais donc savoir si vous avez des recommandations à formuler en matière de communication de crise.

Monsieur Creyssel, vous avez mentionné l'élaboration d'un plan de sauvegarde et un éventuel recours à l'armée. Est-ce que l'annonce de ce plan n'aurait pas eu pour effet d'accentuer la panique ?

Comment gérer au mieux la communication en situation de crise ? Si on ne dit rien, les consommateurs s'inquiètent, et si on donne des informations, ils s'inquiètent également… Les équilibres semblent difficiles à trouver !

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Jacques Creyssel, délégué général de la fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD)

Je pense que l'important est de ne rien cacher et dans le même temps de rassurer, en ayant toujours à l'esprit la nécessité d'éviter les mouvements de panique.

Il fallait repousser autant que possible la décision de procéder à un rationnement et c'est ce que nous nous sommes efforcés de faire. Cependant, si la question du rationnement s'était posée, nous aurions organisé une communication spécifique pour expliquer la situation et les décisions prises.

L'autre défi majeur, que nous avons géré avec les préfets, consistait à éviter toute panique à l'entrée des magasins pour récupérer les masques, lorsque nous avons été approvisionnés, après le premier confinement. Nous avons ainsi mis en place un rationnement pour que personne ne puisse acheter plus de six ou dix masques.

Lors d'une réunion avec le cabinet du ministre de l'intérieur, nous avions identifié, avec l'aide d'un certain nombre de préfets, les endroits où des problèmes pouvaient survenir. Il fallait être attentif, car le moindre incident pouvait être amplifié durant trois-quarts d'heure au journal télévisé de 20 heures.

Nous avons mis en place une boucle WhatsApp, qui existe toujours, dans laquelle tous les responsables de crise de toutes les grandes enseignes françaises, alimentaires et non alimentaires, membres ou non de notre fédération, peuvent en permanence prendre connaissance de toutes les informations disponibles, dans la foulée des réunions organisées avec les ministres. Nous disposions donc d'une organisation fonctionnelle, et nous allons d'ailleurs la maintenir, d'une manière ou d'une autre. En effet, nous avons tous appris à travailler ensemble, en lien avec les pouvoirs publics. Les décisions étaient prises avec une rapidité incroyable ; cela évoquait bien une période de « guerre », comme l'a dit le Président de la République. Tous les soirs, M. Bruno Le Maire répondait immédiatement à nos questions, après avoir consulté le Président de la République.

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Lors de la crise sanitaire, dans le domaine de la santé, certaines normes ont été suspendues car l'urgence l'exigeait. Cela a permis des adaptations rapides. Est-ce que, de la même manière, vous avez eu besoin de vous affranchir de certaines normes et, si oui, comment cela a-t-il été possible ?

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Jacques Creyssel, délégué général de la fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD)

Entre les acteurs, les choses se sont faites assez facilement, et chacun a su mettre de côté les contrats pour travailler ensemble. Chaque fois qu'un problème juridique se posait, nous formulions notre demande au ministre et à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), afin de ne pas prendre de risques. Nous demandions la possibilité de ne pas appliquer certaines règles temporairement, et obtenions une réponse immédiate. Les sujets se sont ainsi bien réglés. Je me souviens de demandes d'autorisation pour permettre aux entrepôts de fonctionner la nuit adressées à Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail, et à son directeur de cabinet ; ou encore de demandes d'autorisation de faire circuler des camions à des moments où cela était normalement interdit, adressées au ministère des transports.

Certaines questions ont été plus compliquées, notamment pour employer dans les entrepôts alimentaires du personnel issu d'entrepôts non alimentaires fermés par manque d'activité, qui bénéficiait alors du chômage partiel. Il fallait obtenir l'accord du Gouvernement pour organiser ces prêts de main-d'œuvre, qui sont interdits, en accordant un complément de revenu aux personnes concernées. Mais nous n'avons jamais réussi à obtenir cet accord, alors que nous aurions pu trouver ainsi des salariés volontaires.

En dehors de ces situations exceptionnelles, sur lesquelles il faut encore travailler, on peut dire que les choses se sont plutôt bien passées.

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Stéphane Layani, président-directeur général de la SEMMARIS (marché international de Rungis)

Les problèmes que nous avons rencontrés ne venaient pas des administrations « traditionnelles » : nous avons en effet pu obtenir toutes les dérogations nécessaires et Mme Virginie Beaumeunier, directrice générale de la DGCCRF, a été très bienveillante à notre égard, de façon à permettre la distribution de nos produits.

Cependant, les règles sanitaires étaient très dures et rigoureusement appliquées, ce qui est bien en soi, mais ne vas pas toujours dans l'intérêt des acteurs. Ainsi, lors du déconfinement, la cellule interministérielle de crise (CIC) prenait des décrets qui s'appliquaient à la commercialisation des produits. Nous avions sans cesse des problèmes pratiques à régler et il fallait, pour cela, atteindre la CIC, qui était alors le point nodal de la gestion de la crise. Lors de ces réunions interministérielles organisées à Matignon, tous les ministères présentaient leur position, et le sujet alimentaire représentait seulement l'un des aspects à traiter. Nous avions en particulier un problème lié au droit du travail et aux congés payés.

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À ce sujet, je souligne que le chômage partiel permettait l'accumulation de congés payés, ce qui fait qu'à la fin, le volume de congés payés à poser s'est avéré considérable pour les salariés. Ce sujet a finalement été réglé dans le cadre d'une négociation avec les syndicats.

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Virginie Grimault, secrétaire générale de la fédération de l'épicerie et du commerce de proximité (FECP)

De manière générale, nous aurions besoin d'avoir moins de textes et de normes spécifiques à mettre en œuvre. Mais ce qui nous a particulièrement handicapés, lors des trois confinements, c'était la déclinaison territoriale des mesures nationales, assortie d'une forte hétérogénéité, alors que notre fédération de l'épicerie et du commerce de proximité, compte plus de 13 000 professionnels.

Pour pouvoir informer de manière efficiente sur les jauges, les nouvelles mesures sanitaires et autres sujets prégnants, il aurait été préférable de disposer de règles uniformes. Or, nous avons été confrontés à la multiplication des initiatives préfectorales, notamment sur les jauges. Nous étions en difficulté pour informer et mettre en application ces mesures, et nous l'avons fait remonter au cabinet du ministre.

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Jacques Creyssel, délégué général de la fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD)

Le premier confinement était difficile, mais les règles étaient claires et l'action des pouvoirs publics totalement lisible. En revanche, à partir de novembre 2020, les règles sont devenues d'une complexité redoutable et elles étaient difficiles à expliquer à nos clients et à nos collaborateurs. Les décisions étaient différentes d'un département à l'autre et les ministères étaient moins coordonnés.

Je me souviens de discussions avec le ministre de l'économie et des finances sur le maintien ou non de la vente de mascaras en grandes surfaces, alors que d'autres produits étaient autorisés. Cela posait un problème en termes d'organisation et en termes d'opinion publique ; nous étions face à des consommateurs qui demandaient s'il était normal que la vente de chaussettes soit interdite, par exemple. Cette complexité brouillait les messages et dégradait l'efficacité des mesures adoptées.

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Stéphane Layani, président-directeur général de la SEMMARIS (marché international de Rungis)

Le pays a bien fonctionné en termes d'approvisionnement et de sécurité alimentaire. Si nous voulons garantir cette résilience pour l'avenir, je vois trois conditions à respecter.

Premièrement, il faut disposer d'une production agricole abondante et suffisante pour alimenter les Français. Une agriculture en croissance, de bonne qualité et diversifiée, représente un atout pour le pays. Nous devons donc conserver un monitoring sur la diversité de la production et les quantités produites, en rapport à l'évolution de la population.

La préparation est la deuxième condition importante, avec des plans de continuité d'activité dans tous les secteurs considérés comme essentiels. La proposition de M. Jacques Creyssel de soumettre la grande distribution aux plans de continuité d'activité est une bonne idée. En effet, cela représente une part importante du marché.

Troisièmement, il est très difficile de stocker des produits frais. Il faut donc une forme d'autonomie en matière de transports. De ce point de vue, supprimer le fret SNCF dans le pays est une politique suicidaire car, si nous avions besoin d'avoir un moyen de transport de repli pour les produits alimentaires du sud vers le nord, le train aurait beaucoup d'importance. Il faut également penser la sécurité alimentaire sur le plan logistique.

D'autres crises pourraient se produire, comme par exemple une crue décennale. En 1969, la décision du général de Gaulle de déplacer les Halles de Paris à Rungis a été salutaire. Néanmoins, il faudrait réfléchir aux moyens de transporter les produits vers Paris si la ville était inondée. Ces questions de logistique ont souvent été sous-estimées, alors qu'elles sont très importantes ; il faut disposer d'un schéma directeur en la matière.

La réunion se termine à dix-neuf heures quinze

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur la résilience nationale

Présents. - M. Thomas Gassilloud, Mme Sereine Mauborgne

Excusés. - M. Alexandre Freschi, M. Jean Lassalle