Commission d'enquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de ses groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs

Réunion du jeudi 16 mai 2019 à 16h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à seize heures quarante.

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Nous accueillons Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires (OFPM), M. Philippe Paquotte, secrétaire général de l'OFPM, et Mme Amandine Hourt, chargée de mission, ainsi que Mme Mylène Testu-Neves, directrice marché étude prospective de FranceAgriMer.

Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je vais demander à chacun d'entre vous de prêter serment.

Les personnes auditionnées prêtent successivement serment.

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Monsieur le président Chalmin, je vous propose un propos préliminaire de quelques minutes et ensuite les membres de la commission pourront procéder aux questions. Je suis accompagné de Grégory Besson-Moreau, rapporteur de la commission d'enquête, et qui sera lui aussi amené à poser des questions.

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Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires

Merci monsieur le Président. C'est avec un grand plaisir que nous présentons nos travaux devant votre commission d'enquête car ils s'inscrivent pleinement dans le cadre général de la fonction de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires (OFPM). Un document, qui reprend plusieurs éléments que je souhaite souligner, vous a été distribué.

Je souhaite vous rappeler tout d'abord ce qui est l'Observatoire. L'Observatoire de la formation des prix et les marges des produits alimentaires a été créé par la loi de modernisation de l'agriculture de 2010, sous la forme d'une commission administrative. Il réunit au sein de son comité de pilotage l'intégralité des organisations représentantes, c'est-à-dire les parties prenantes, puisque nous avons autour de notre table à la fois, tous les syndicats agricoles, les représentants de l'industrie agroalimentaire dans ses différentes branches, les représentants du commerce, de la grande distribution ainsi que ceux des consommateurs.

À l'époque de la création de l'OFPM, la période était tendue et c'était le marché de la viande bovine qui posait de graves soucis. Nous étions dans les soubresauts liés à la digestion de la crise de la vache folle, et le premier rapport de l'Observatoire avait été consacré uniquement à la viande bovine. Par la suite, nous avons élargi notre périmètre de compétence à l'ensemble, ou presque, des filières des produits frais et même à quelques produits qui ne le sont pas forcément comme les pâtes alimentaires. L'objet de l'Observatoire, lors de sa création, était de mettre à la disposition de toutes les parties prenantes, au sein des filières et plus largement aux représentants de la nation, au Parlement, etc., des éléments chiffrés permettant de suivre l'itinéraire des produits du champ à l'assiette. L'idée était donc de produire des informations partagées par toutes les parties prenantes.

Depuis 2010, nous présentons chaque année au Parlement notre rapport. Ce sera le huitième cette année. Il contient une masse d'informations considérable et est adopté à l'unanimité des parties prenantes à l'Observatoire c'est-à-dire par les représentants de la production agricole, de l'industrie, du commerce et de la distribution et des consommateurs. Lors de la création de l'Observatoire, le législateur, à l'époque, a souhaité remédier aux relations interprofessionnelles détestables constatées à l'intérieur de chaque filière et à l'absence de confiance en faisant un effort de transparence. L'Observatoire a été créé pour essayer d'établir les prix des produits aux différents stades des filières, les marges brutes et – en grattant un petit peu plus et en intégrant les coûts de production, de transformation et de distribution – les marges nettes. C'est son travail principal. Pour cela, il bénéficie de la richesse de l'appareil statistique français, qui est sans équivalent, qu'il s'agisse des données collectées par l'INSEE, par le service des statistiques du ministère de l'Agriculture ou par FranceAgriMer qui nous abrite depuis l'origine et nous permet de profiter de la qualité de ses travaux. Nous sommes avant tout des gens qui collectent des données, qui essayent de les agréger et de les homogénéiser. Dans un certain nombre de cas, nous menons nos propres travaux, notamment en ce qui concerne les marges nettes de la grande distribution.

Nous ne sommes qu'un observatoire, dont la mission est d'observer. Nous regardons donc dans le rétroviseur. Il existe une complémentarité avec d'autres structures et notamment le service du médiateur des relations commerciales, que vous avez auditionné. Celui-ci intervient en cas de crise. Nous, notre rôle est d'intervenir en amont : nous collectons les données, puis nous réalisons un travail de synthèse qui conduit à une photographie discutée puis validée par les parties prenantes.

Dans la dernière partie de notre rapport au Parlement, nous avons ajouté une vision macroéconomique. Elle n'est pas d'utilisation directe à l'intérieur des filières, mais elle permet de relativiser les choses. À partir des travaux sur les tableaux croisés de l'économie inspirés de Leontieff, nous donnons la répartition de la valeur ajoutée. En clair, quand vous dépensez 100 euros en produits alimentaires, comment se répartit la valeur ajoutée ? Sur l'exemple que nous donnons, on voit que la valeur ajoutée de l'agriculture est de 6,5 % et la place des autres canaux. Ce graphique est la dernière version de nos réflexions et nous y avons distingué la restauration hors foyer (RHF), qui est devenue un élément important dans le modèle de consommation alimentaire des Français et représente une part de plus en plus grande du budget alimentaire des ménages.

L'approche de l'Observatoire, au niveau des grandes filières, consiste à mettre en place un modèle dans lequel nous allons véritablement du champ à l'assiette, en prenant en considération les prix aux différents stades de la filière et les différences de ces prix. Dans notre exemple, un graphique reconstitue un panier saisonnier de viande de boeuf en GMS. On y voit la partie qui représente le coût entrée en abattoir – donc qui dérive largement des prix agricoles – la marge brute de la première et de la deuxième transformation ainsi que la marge brute de la grande distribution.

La marge brute, je le rappelle, c'est la différence entre un prix d'achat et un prix de vente. Ce n'est pas un bénéfice. Ensuite, comment va-t-on de la marge brute à la marge nette ? Comment calculons-nous les coûts de production, les coûts de transformation ? Nous le faisons à trois niveaux. Au premier niveau, celui du stade de la production, nous avons deux approches : l'une à partir de l'échantillon d'élevage spécialisé que suit le réseau d'information comptable agricole, l'autre à partir des calculs fournis par l'Institut de l'élevage. La deuxième approche présente l'intérêt de raisonner en euros et, dans le cas de l'élevage bovin par exemple, par 100 kg de poids vif. Dans cet exemple, cela permet de bien voir que la réalité des coûts de production ne couvre pas le prix de vente des bovins, pour les naisseurs comme pour les naisseurs-engraisseurs. Pour notre calcul, nous avons intégré les produits joints, le coût du travail sur la base de deux SMIC par unité de main-d'oeuvre (UTH) et le coût du capital. Nous faisons ce travail pour toutes les filières. Ensuite, grâce aux travaux de FranceAgriMer et à la coopération des Syndicats de l'industrie de la viande, nous avons le coût et les résultats de l'industrie de l'abattage-découpe de la viande bovine. Cela nous permet d'avoir la marge nette de l'industrie. Nous ne disposons pas de chiffres aussi qualitatifs pour tous les domaines industriels. Nous avons un gros problème méthodologique, mais pas uniquement, dans le secteur laitier.

Nous nous sommes livrés au même exercice pour la grande distribution. Compte tenu des célèbres négociations entre l'industrie et la grande distribution, ce travail nous a semblé nécessaire. Pour la grande distribution, on dispose de la marge nette issue de la comptabilité nationale pour le secteur. Faire des calculs selon la méthode de l'Observatoire, c'est-à-dire sur des produits identifiés, n'avait pas vraiment de sens et nous avons donc choisi, pour la grande distribution, de calculer les marges nettes par grands rayons. Nous couvrons donc les grands rayons des produits frais. Ce travail a été le grand chantier de ces sept ou huit dernières années. Nous avons été confrontés à des problèmes car la grande distribution présente des structures capitalistiques différentes. On a pris les sept enseignes historiques mais elles n'adhèrent pas toutes au même syndicat. Cinq sont à la Fédération du commerce et de la distribution (FCD), deux sont des coopératives d'indépendants. Le raisonnement marge nette par rayon ne leur était pas familier et cela a requis un effort non négligeable et nous nous félicitons de la qualité des relations que nous avons pu établir après quelques difficultés initiales.

C'est Amandine Hourt qui pourra, beaucoup mieux que moi, répondre aux questions techniques que vous pourrez poser, puisque c'est elle qui gère aujourd'hui cet exercice. Dès le mois de juin, on va envoyer aux différentes enseignes les questionnaires qui nous permettront de sortir l'année prochaine les marges nettes de la grande distribution pour l'année 2018. Nous avons donc toujours un an de décalage.

Nous avons un engagement de confidentialité totale et les sept enseignes y tiennent véritablement. Nous nous contentons donc de donner une sorte d'indicateur de dispersion des résultats. Toutefois, si je prends le rayon boucherie : le chiffre d'affaires du rayon est en base 100, la marge brute est de 24,9, la marge semi-nette – si j'enlève les frais de personnel du rayon – tombe à 13 et si j'enlève l'ensemble des autres charges, nous arrivons à une marge nette, avant impôt sur les sociétés, négative de 3,4 %. Nous en sommes au huitième exercice et la marge nette a toujours été négative pour le rayon boucherie. À l'inverse, le rayon charcuterie dégage une marge nette très positive, la plus positive de tous les rayons de la grande distribution. D'une année sur l'autre, les rapports entre les différents rayons sont toujours à peu près les mêmes. C'est sur le rayon marée – donc poissonnerie – que la grande distribution affiche la marge nette négative la plus forte. Le rayon boucherie apparaît aussi toujours en négatif. Le rayon boulangerie est également négatif. Il existe des rayons extrêmement positifs : la charcuterie et la volaille. Cela nous donne pour l'ensemble des rayons, en pondérant bien entendu, une marge nette globale avant impôt de 1,7 % qui est légèrement supérieure à celle que l'on retrouve dans les comptes de la nation sur l'activité grande distribution. La mise en évidence de ces chiffres est un des éléments forts de l'apport de l'observatoire. Si à l'origine ces publications ont suscité des réactions et des critiques de la part des observateurs, maintenant l'ensemble de la communauté et les filières acceptent ces données.

Je le rappelle, je n'ai pas, non plus que l'Observatoire, de pouvoir de coercition. Autrefois, j'ai disposé d'un pouvoir pour contraindre les entreprises à publier leurs comptes auprès des tribunaux de commerce en saisissant le Président du tribunal de commerce afin de faire appliquer des sanctions. Je l'ai utilisé une seule pour la filière laitière. Aujourd'hui, le rôle de l'Observatoire a été largement clarifié dans le cadre de la loi EGalim et je ne dispose plus de cette possibilité. En revanche, je dispose du « name and shame », où je peux montrer du doigt ceux qui ne coopèrent pas. Et ça marche relativement bien !

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Merci, monsieur le président. Pouvez-vous nous expliquer comment les services créent plus de valeur ajoutée que l'agriculture et les industriels ? Pour moi, a priori, celui qui crée la valeur ajoutée d'une denrée alimentaire, c'est tout d'abord l'acteur en amont – les producteurs, les agriculteurs – mais aussi des industriels de la transformation. Comment, selon votre exemple, les services peuvent-ils avoir 14 euros de valeur ajoutée et le commerce 15 euros ? Si l'on réunit les agriculteurs et des industriels, on est à 18 euros.

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Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires

N'oubliez pas que nous sommes sur des valeurs ajoutées. Vous devez donc en enlever les consommations intermédiaires. Par exemple, il faut enlever toutes les consommations intermédiaires de l'agriculture, c'est-à-dire engrais, phytos, services extérieurs, etc. Les services, ça peut être aussi bien des services à l'agriculture que des services à l'industrie comme la sous-traitance du ménage ou la fonction transport. Je le dis souvent de manière caricaturale : on est plus ou moins un tiers agricole, un tiers industrie, un tiers distribution en chiffres bruts. Mais n'oubliez pas que lorsqu'on fait des calculs de PIB, c'est une somme de valeurs ajoutées qui est utilisée. Nous partons de la comptabilité nationale, et le temps de traitement de l'information statistique nous conduit à avoir un décalage de plusieurs années. Notre rapport de 2019 est réalisé à partir des chiffres de la comptabilité nationale de 2015. Mais il ne faut pas se dire : « C'est scandaleux, l'agriculteur n'a que 6 euros ! ». Il a plus, mais sa valeur ajoutée ne représente que 6 % du total. N'oublions pas non plus la part importante de la restauration que nous avons distinguée récemment.

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Merci, monsieur le président, d'être présent. Concernant le panier moyen, y a-il eu déflation depuis 2012 du panier moyen et quel est son prix ? Y a-il eu déflation des prix sur les produits achetés par la grande distribution aux industriels de l'agroalimentaire ? Y a-t-il de la déflation, en règle générale, sur le produit agricole brut vendu aux industriels de l'agroalimentaire ? Sur ces trois tranches, est-on aujourd'hui dans une phase montante, stagnante ou descendante ?

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Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires

Je n'aime pas beaucoup le mot « déflation ». D'un point de vue méthodologique, l'une des faiblesses de la méthodologie de l'Observatoire – et nous aurons beaucoup de mal à la contourner – est qu'elle perd de sa pertinence au fur et à mesure que notre consommation alimentaire se fait plus complexe. Nous nous limitons par essence au « fond du caddie », c'est-à-dire à des produits de base, à des produits peu transformés. L'une de nos discussions mardi – lorsque nous adoptions le prochain rapport au Parlement – portait sur la filière volaille. Le président du groupe de travail « Volailles » nous disait : « Il faut évoluer car on se cale toujours sur le poulet PAC, c'est-à-dire prêt-à-cuire », le poulet brut, là où la consommation s'oriente vers des morceaux de poulet et vers des produits de plus en plus transformés. ». Donc, lorsque nous nous limitons à la côte de porc, au jambon sous cellophane, au yaourt nature, à la brique de lait UHT, nous ne prenons pas en considération les produits intégrant le plus de services. Notre analyse, bien qu'elle soit valide, ne peut intégrer davantage de complexité. Quelle est la part agricole dans une pizza surgelée ? La pizza est un produit que l'on va retrouver à cheval sur de multiples filières puisqu'elle est composée de céréales, de concentré de tomates, de jambon, de quelques champignons : on ne peut pas la retrouver dans une seule filière.

Ensuite – et c'est toute la difficulté de la gestion des filières agroalimentaires en France – en amont, nous avons des prix agricoles qui, avec l'évolution de la politique agricole commune, ne sont plus des prix administrés. Ce sont des prix de marché, marqués par une instabilité totale sur un marché européen qui devient mondial. Aujourd'hui, si le prix du porc monte – grâce à Dieu, oserais-je dire –, c'est grâce à la peste porcine africaine en Chine. Le prix des produits laitiers dépend bien souvent de celui des grandes matières premières laitières – beurre et poudres – déterminé aux enchères de Fonterra en Nouvelle-Zélande. Le prix des céréales a toujours été instable, etc., etc. Nous avons donc une instabilité que je qualifierais de naturelle des prix agricoles.

À l'autre bout de la chaîne, pour des raisons peut-être liée à la concurrence qui existe au sein de notre appareil de distribution, nous avons une assez grande stabilité des prix à la consommation que confirment les données de l'INSEE. Lorsque nous regardons les grands produits alimentaires de base que nous suivons, la stabilité est encore plus grande. Dans notre rapport, quand on regarde l'évolution du prix de la brique de lait UHT, du kilo de steak haché, du kilo de jambon, on constate une stabilité totale. Les tensions que nous vivons entre industrie et grande distribution sont donc davantage liées à l'absorption par l'industrie et la distribution de cette instabilité agricole qu'à des chocs concurrentiels. Une des caractéristiques françaises est la stabilité des prix à la consommation de ces produits alimentaires de base.

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Quand vous dites « stabilité », c'est : je suis l'inflation où je suis à zéro ? C'est quoi pour vous la stabilité ?

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Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires

L'inflation n'existe pratiquement plus en France aujourd'hui, ou fort peu, je vous le rappelle. Le prix moyen annuel au détail GMS du rôti de porc en unités de vente consommateur industrielles (UVCI) est passé de 6,54 euros le kilo à 6,39 euros entre 2013 et 2018. Le prix du kilo du panier saisonnier de viande bovine était lui à 11,03 euros le kilo en 2013, 11,06 en 2014, 11,09 en 2015, 11,11 en 2016, 11,19 en 2017 et ça n'a pas beaucoup changé en 2018. Pour le yaourt nature les prix moyens qui ont été constatés sont de 1,69, 1,63, 1,62, 1,63, 1,58 1,64, 1,64, 1,63 et 1,65 euros. On observe une immense stabilité, liée au fait que nous avons en France un système de grande distribution marqué par une compétition intense. Le cas du beurre demeure une rare exception, fort intéressante. Il ne vous a pas échappé qu'il y a quelques mois le beurre a connu une flambée de ses prix sur les marchés mondiaux. Il y a eu une répercussion à la hausse des prix du beurre, et c'est un des rares cas où la marge brute de l'industrie est devenue négative. La distribution en était arrivée à ne pas augmenter trop ses prix. Pour conclure, sur les grands produits alimentaires de base vous pouvez presque parler de déflation. En revanche, sur les marchés agricoles et il y a ni inflation ni déflation : nous sommes sur des marchés de commodité.

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Concernant les prix de production, dans vos tableaux, en 2010, en valeur, nous étions à 100 puis à 120 en 2013 et vous me dites qu'on est stable. Or, les intrants augmentent, les salaires augmentent, le coût de la vie augmente, tout augmente, mais les prix observés dans les magasins restent stables, voire décroissent. Moi, j'ai été entrepreneur et on m'a toujours dit « si tu ne gagnes pas, c'est que tu perds ». Ça n'existe pas la stabilité. Quand on est stable, quand on est flat, c'est que l'on perd puisque tout augmente. Aujourd'hui qui perd ? Apparemment la grande distribution car c'est flat. Mais moi je vois que les prix des produits agricoles augmentent de près de 20 % en trois ans. Est-ce pour vous une chose normale d'avoir des prix à la consommation qui soient flat et des prix à la production qui ont des écarts de 20 % ?

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Amandine Hourt, chargée de mission à l'Observatoire des prix et des marges des produits alimentaires

Sur le graphique que vous évoquez, ce sont des indices de prix qui sont présentés. En euros, les prix à la production sont plus faibles que les prix dans la distribution. Par exemple, une augmentation de 5 %, de 10 % ou de 20 % à la production a forcément moins de répercussions en pourcentage à la sortie sur les prix à la consommation, même si la hausse ou la baisse en euros est totalement répercutée. Il est vrai que la lecture et l'analyse directes des graphiques sont compliquées.

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Monsieur Chalmin, peut-être pouvez-vous nous dire qui perd, puisque c'était la question initiale ?

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Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires

Vous savez, chaque fois que je présente le rapport au Parlement ou à la presse, j'ai droit à la question : « Qui s'en met plein les poches » ? À long terme, incontestablement, c'est le consommateur. L'agriculteur, lui, a vécu une révolution culturelle. Il est passé de prix stables et administrés à des prix qui, à certains moments, peuvent être supérieurs à ses coûts de production et à d'autres moments largement inférieurs, avec des différences suivant les filières. Sur un marché agricole, le prix ne dépend pas du coût de production mais du rapport entre l'offre et la demande. Point à la ligne.

Les coûts au niveau de l'industrie et de la grande distribution sont différents. Selon la manière dont on absorbe les variations de prix, il y a des rapports de force différents. D'autre part, si nous nous écartons des échelles macroéconomiques extrêmement larges, et que l'on regarde par exemple la décomposition du prix du saumon – produit certes un peu particulier car largement importé – on observe que la part de la marge brute de la grande distribution tout comme celle de l'industrie a eu plutôt tendance à diminuer à des moments où il y avait des tensions sur les prix des poissons. Dans le cas du beurre, où le prix du beurre industriel était supérieur au prix du beurre constaté dans la grande distribution, les pâtissiers ou autres professionnels, allaient s'approvisionner dans la grande distribution, plutôt que sur la base des prix de Rungis. On voit donc bien qu'il existe des rapports de force.

Une des particularités de la grande distribution française, c'est d'avoir toujours maintenu un axe de prix relativement bas et de ne pas répercuter les variations. Nous avions fait il y a quelques années une comparaison sur les prix des produits laitiers en France et en Allemagne. On constatait beaucoup plus d'instabilité en Allemagne sur les prix des produits laitiers au niveau du consommateur. En France c'était totalement flat, quel que soit le niveau des prix des matières premières laitières à l'international.

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Je m'adresse à l'économiste et m'intéresse au bas de bilan. Sur le tableau que vous nous avez adressé, vous réintégrez la répartition de l'impôt sur les sociétés (IS), alors que c'est négatif. Pour quelles raisons, puisque l'IS, on le paie sur l'excédentaire et pas sur du négatif ?

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Amandine Hourt, chargée de mission à l'Observatoire des prix et des marges des produits alimentaires

Il y a eu des longues discussions en comité de pilotage de l'Observatoire à ce sujet. Il nous avait été demandé – pour que l'on puisse observer le résultat justement après IS sur l'ensemble des rayons que nous étudions – qu'il y ait aussi un impôt négatif sur les rayons qui avaient un résultat négatif. Après discussions, nous avons choisi d'adopter ce système. Cependant, nous sommes bien d'accord : il n'y a pas d'impôt à payer quand il y a un résultat négatif.

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J'étais tout à l'heure avec le président de la commission et nous regardions le tableau que vous nous avez remis. Je n'ai pas la même vision du calcul de l'impôt sur la société que vous, mais on s'aperçoit que, pour 100 euros de chiffre d'affaires, le rayon boucherie perd 3,40 euros et le rayon marée 8 euros. On parle beaucoup de revitalisation des centres bourgs et des plans que nous mettons en place et on s'aperçoit que les bouchers et les poissonniers perdent de l'argent. Je voudrais avoir votre avis sur ce sujet. Est-ce un fait récent ou plus ancien ? Peut-on faire quelque chose ?

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Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires

Attention : il s'agit des rayons boucherie et poissonnerie de la grande distribution. Nous ne parlons pas des bouchers et poissonniers artisanaux. Il existe une grande hétérogénéité entre les magasins : certains proposent un atelier et d'autres se contentent de vendre des UVCI. Toutefois, les rayons boucherie et poissonnerie présentent la caractéristique commune d'avoir des frais de personnel dédié très élevés. Pour le rayon boucherie, cela représente 12 % et pour le rayon marée 15 %. Le rayon boulangerie-pâtisserie est celui où les frais de personnel dédié sont les plus importants et s'élèvent à 30 %. Pour expliquer ces pertes on peut ajouter – mais c'est une interprétation totalement personnelle – qu'une belle boucherie, une belle poissonnerie fait partie de la capacité d'attraction d'un magasin. Ça peut apparaître comme un choix irrationnel mais c'est un choix. De la même manière, en général, la marge nette du rayon fruits et légumes est relativement faible toutefois supérieur à la moyenne. Cela s'explique par un autre fait : le calcul des charges est généralement réalisé au mètre carré linéaire. Le chiffre d'affaires du rayon fruits et légumes est donc beaucoup plus faible.

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Amandine Hourt, chargée de mission à l'Observatoire des prix et des marges des produits alimentaires

Par exemple, en ce qui concerne les rayons boulangerie des hypermarchés, il y a souvent des ateliers de transformation qui prennent beaucoup d'espace et ont des charges importantes.

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Monsieur Chalmin, sans dévoiler ce que vous allez publier la semaine prochaine, constatez-vous depuis la promulgation de la loi des avancées particulières, des changements spécifiques dans un certain nombre de filières ?

Concernant les services à l'intérieur des magasins de la GMS, sait-on mesurer l'impact des frais demandés aux fournisseurs pour le rayonnage, la segmentation des produits et la mise en place des produits dans les rayons, notamment dans les rayons frais ?

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Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires

Je laisserai Amandine répondre à la deuxième question. Pour la première question : c'est un peu tôt, nous n'avons pas encore pu analyser les données. À titre personnel, je pense qu'il y a eu quand même un esprit EGAlim et je l'ai même ressenti dans les relations à l'intérieur du comité de pilotage. Il me semble que les choses se sont passées de manière plus harmonieuse. Le médiateur, qui est plus à directement en prise, serait plus compétent pour répondre à cette question.

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Amandine Hourt, chargée de mission à l'Observatoire des prix et des marges des produits alimentaires

Quand nous transmettons notre questionnaire aux enseignes, nous demandons que les prix d'achat ou fournisseur nous soient transmis coopération commerciale incluse. Les enseignes ont différentes façons de négocier. Certaines négocient sur le prix, d'autres négocient de la coopération commerciale et d'autres conditions. C'est grâce à nos discussions avec les enseignes que nous parvenons à une harmonisation et à un chiffre moyen. Il existe également d'autres mécanismes de fixation du prix la coopération commerciale et on essaye d'avoir des discussions avec les enseignes à sujet.

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Dans le calcul du chiffre d'affaires de la grande distribution, incluez-vous le chiffre d'affaires de la GMS et des centrales d'achats au niveau européen ?

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Amandine Hourt, chargée de mission à l'Observatoire des prix et des marges des produits alimentaires

On interroge les enseignes sur leur chiffre d'affaires, donc sur les achats que font les consommateurs au sein des magasins, et c'est ce chiffre qui nous est remonté.

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Je vais reposer la question différemment : avez-vous accès au chiffre d'affaires qui sort de France avec des centrales d'achat qui demandent des marges sur du chiffre d'affaires français en Belgique ou en Suisse ?

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Amandine Hourt, chargée de mission à l'Observatoire des prix et des marges des produits alimentaires

Ça peut être réintégré ensuite dans le chiffre d'affaires par les enseignes, dans leurs comptes consolidés, le cas échéant, mais comme indiqué sur le schéma présentant le périmètre, le chiffre d'affaires pris en compte par l'Observatoire est celui lié aux achats des clients en magasin, mais c'est quelque chose qui dépend de la négociation entre le fournisseur et la distribution. Ce que vous évoquez concerne plutôt les coûts d'achat de la distribution.

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Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires

Nous couvrons des rayons produits frais sur lesquels il n'y a pas de négociations avec des marques au niveau européen. Peut-être – et c'est probablement ce à quoi vous faites allusion – pourrait-on éventuellement retrouver ce phénomène sur les produits laitiers. On a des structures très différentes : comment intègre-t-on la cotisation à la centrale d'achat pour les regroupements d'indépendants qui n'existe pas pour les sociétés capitalistes ? Ce sujet a donné lieu à moult débats et discussions car après l'envoi du questionnaire, Amandine et Philippe Paquotte se rendent dans les chaînes pour gratter au maximum. On peut parfois donner l'impression d'un melting pot mais les chaînes ne disposent pas toutes du même nombre d'éléments et nous avons une obligation de confidentialité. Les chaînes ne doivent pas être identifiées.

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Amandine Hourt, chargée de mission à l'Observatoire des prix et des marges des produits alimentaires

Notre périmètre d'enquête, tel que nous l'avons choisi et défini avec le comité de pilotage, nous conduit à interroger les enseignes sur leur chiffre d'affaires donc sur leurs ventes. Nous les interrogeons sur leurs prix d'achat. Selon les enseignes, ça peut être une part du prix d'achat fait directement par les magasins ou des achats faits par la centrale pour approvisionner ses magasins. Après, nous prenons en compte les charges en magasin et les différentes charges en centrale. Quand des cotisations sont versées par les magasins aux services centraux, on essaye avec les enseignes d'avoir un tableau d'emploi de cette cotisation. Parfois on a des informations détaillées, parfois on a moins d'informations.

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Sur ce sujet-là, avez-vous des études comparées en fonction des différents modèles de GMS ? Certains sont totalement intégrés, c'est par exemple le cas d'Auchan qui a un modèle économique parfaitement intégré, et puis il y a des modèles franchisés coopératifs ou autre, type Leclerc qui est un modèle de franchisés coopérateurs ? Avez-vous des études comparatives sur les marges ou sur les pratiques entre les différents modèles économiques ?

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Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires

Très franchement, on ne peut pas. Nous aurions un échantillon tellement faible que les uns et les autres s'y reconnaîtraient. On rencontre ce problème avec l'industrie des pâtes alimentaires : il y a tellement peu d'acteurs que nous ne pourrions respecter notre obligation de confidentialité. Amandine et Philippe ont prêté serment de confidentialité totale. Ces données sont fondamentales pour toutes ces entreprises. Malheureusement, on ne peut pas aller plus loin, à moins d'intégrer une huitième centrale mais c'est un autre débat.

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Amandine Hourt, chargée de mission à l'Observatoire des prix et des marges des produits alimentaires

Dans le document que nous vous avons remis, les pages 31, 32 et 33 décrivent, sans révéler de secrets d'entreprise, l'organisation des réseaux intégrés, des réseaux d'indépendants et le fonctionnement de leurs centrales d'achat.

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Lors de nos auditions ou même lors des discussions sur EGAlim, nous avons eu une demande extrêmement constante, de la part de personnes qui représentent les agriculteurs, d'avoir des indicateurs qui viendraient plutôt de vous, qui êtes reconnus à la fois pour vos compétences et le sérieux de vos analyses mais aussi comme une sorte de sous-traitant de l'État, lequel pourrait, par votre biais, définir de nouveaux des prix ou en tout cas des indicateurs, y compris de coût de production. J'aimerais connaître votre point de vue à ce sujet, car quand je lis votre étude, je n'ai pas l'impression que ce soit votre credo.

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Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires

À l'origine de l'Observatoire, nous n'étions pas censés travailler sur les problèmes des coûts de production agricoles. Nous l'avons intégré mais nous nous contentons de collecter et de retraiter des données avec deux méthodologies : celle du RICA (Réseau d'Information Comptable Agricole) et celle des calculs directs de coûts de production, généralement réalisés par les instituts techniques. Ce sont là des données que nous agrégeons mais dont nous ne sommes pas les auteurs. Les seules données sur lesquelles il pourrait y avoir un copyright de la part de l'Observatoire, ce sont les marges nettes de la grande distribution.

En ce qui concerne les indicateurs de coûts de production, ils existent déjà : l'INSEE et le ministère de l'agriculture effectuent les calculs qui permettent de regarder l'évolution des coûts moyens de production dans le secteur de l'agriculture. L'ambivalence est qu'il existera toujours deux cas de figure. D'un côté – et c'est le cas des cas de la viande bovine et des races allaitantes – on ne couvre jamais, même en intégrant les aides, la réalité des coûts de production et de l'autre – dans des filières telles que le porc, le lait, les céréales – il y a des bonnes et des moins bonnes années. Ce n'est plus l'État ou le prince bruxellois qui décide des prix, ce sont des marchés internationaux. Aujourd'hui, le prix du blé, si on le ramène bord champ, ne couvre pas le coût moyen de production. Nous raisonnons en moyenne et c'est une limite de nos analyses car il existe souvent une dispersion relativement large.

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Concernant les fruits et légumes en grande distribution, on s'aperçoit qu'il y a deux méthodes d'achat dans les hypers : la centrale d'achat ou l'achat direct chez le producteur. Parvenez-vous à distinguer ces deux achats ? Aujourd'hui, avec l'évolution de la distribution ou pour des questions de proximité ou d'attrait commercial, les grandes enseignes ou les magasins eux-mêmes contractualisent, plus ou moins d'ailleurs, en direct avec les agriculteurs.

Sur le sujet des marchés mondiaux que vous évoquiez, moi, je vous ai toujours entendu dire que vous étiez défavorable aux arbitrages sur les marchés à terme. Considérez-vous que le prix qui doit être fixé avec un agriculteur qu'il soit en coopérative ou en négoce, doit être un arbitrage en fonction d'un cours mondial à l'annéel'année, à un instant T ? Tout a évolué, Professeur, y compris le marché mondial. Aujourd'hui, les coopératives et le négoce pratiquent les arbitrages financiers de marché à terme, c'est la réalité. Avez-vous toujours la même position qu'il y a trente ans ?

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Amandine Hourt, chargée de mission à l'Observatoire des prix et des marges des produits alimentaires

Pour les fruits et légumes, comme dans toutes les autres filières, on réalise une analyse en deux étapes. D'abord, on fait une analyse de la marge brute par différence de prix, puis on fait l'analyse des comptes dans la grande distribution. Pour calculer la marge brute sur les fruits et légumes, les données dont nous disposons sont les prix au détail réalisé par relevé et les prix à l'expédition. Ces derniers ne correspondent pas tout à fait à des prix sortie ferme mais ils comprennent déjà le rassemblement de ces différents volumes produits et la mise en caisse ou en plateau. La marge brute que nous présentons dans le rapport est la différence entre ces deux prix. C'est donc la marge brute de la distribution, mais elle peut éventuellement recouvrir la marge brute d'autres opérateurs comme des grossistes, si la distribution fait appel à eux. C'est peu le cas pour les fruits et légumes, mais ça peut l'être dans les fruits et légumes bio par exemple. Ensuite, sur l'analyse des comptes de la distribution, nous demandons aux enseignes de la distribution de nous fournir leur coût d'achat. Ceux-ci agrègent leurs coûts d'achats faits par la centrale et ceux faits par les magasins. Donc, nous n'avons pas le moyen de distinguer l'un et l'autre et de faire des travaux différents selon le mode d'approvisionnement.

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Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires

Sur le premier point, je n'ai pas l'impression d'avoir tant changé. Pendant longtemps, nous avons vécu en Europe, à l'abri du marché mondial. Les prix étaient déterminés, lors des marathons agricoles, au moins pour les grands produits tels les céréales, les produits laitiers et dans une moindre mesure, la viande bovine. Les fruits et légumes, la pomme de terre et le porc ont toujours été totalement à part. Tout ceci a changé depuis 2006 avec la fin du système céréalier, puis la fin des quotas laitiers et ensuite la fin des quotas sucriers. Nous nous retrouvons dans une logique marquée par l'instabilité la plus totale. J'ai été très frappé de voir comment le monde agricole – c'est-à-dire les agriculteurs et notamment les céréaliers – s'est habitué à ce nouveau contexte d'instabilité. Pour cela, ces professionnels se sont appuyés soit sur leurs coopératives ou leur négoce en fixant le prix relativement longtemps à l'avance, soit sur les marchés à terme ou au moins les options.

Les choses ont évolué et cela a favorisé le développement de nouveaux comportements ainsi que la création de structures basées sur le modèle Offre et demande agricole (ODA), qui ont joué un rôle de conseil puisque l'agriculteur se trouve confronté naturellement à une fonction spéculative. Par exemple, aujourd'hui le marché du blé est à 175 euros la tonne, soit 155 euros bord champ. Je vends ou je ne vends pas ? Si je vends, c'est que je pense, et donc je spécule, que demain le prix sera plus faible. Si je ne vends pas, c'est que je pense, et donc je spécule, que demain le prix sera plus élevé. Je peux également utiliser les outils du marché : par exemple, si le prix était intéressant, je pourrais déjà « pricer » et mettre le prix sur une partie de ma récolte 2020.

On a donc un outil, qui, bien utilisé, permet d'avoir une gestion voire une stabilisation par anticipation du prix. Là où nous avons un vrai problème, c'est sur les viandes et les produits laitiers car là on n'a pas marché à terme. Pour permettre aux agriculteurs de mieux vivre cette instabilité, je pense qu'il faudrait entrer dans des logiques contractuelles qui permettraient éventuellement de garantir un prix. Mais pour garantir un prix encore faut-il qu'il existe un marché de référence sur lequel on pourrait s'accorder. Ça commence à se faire dans le domaine porcin. Il existe aujourd'hui un industriel qui s'engage sur des prix sur le long terme avec comme benchmark le prix du marché au cadran de Plérin. Cela garantit la stabilité du prix par le paiement d'un supplément si le prix de Plérin est moins élevé et le remboursement de la différence si le prix est plus élevé. Dans le domaine laitier qui a été un des grands soucis des EGAlim – M. Travert doit s'en souvenir –, ce type d'outil n'existe pas encore. Euronext a essayé de monter quelque chose mais ça n'a pas marché. On a des cotations de référence à Leipzig qui ne sont pas suffisantes. Je ne vous le cache pas, le problème laitier est, au sein de l'Observatoire, un de nos soucis majeurs.

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Mylène Testut-Neves, directrice Marchés, études et prospective de FranceAgriMer

Le producteur a la possibilité d'aller sur les marchés à terme. Il a toutefois l'obligation de faire une déclaration auprès de l'organisme stockeur pour respecter la réglementation. Il n'y a pas donc d'interdiction d'aller sur le marché à terme.

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Je suis persuadé que nous allons réaliser un excellent rapport avec plein de propositions. Avec le ministre de l'agriculture de l'époque, nous avons fait quelque chose de très bien, qui était le seuil de revente à perte (SRP), dans le cadre de la loi EGAlim. Nous avons ainsi empêché la grande distribution et certains intermédiaires de perdre volontairement de l'argent. On n'a pas le droit de perdre de l'argent, on se doit d'équilibrer les choses.

Dans votre rapport, je vois que sur le rayon boucherie, sur le rayon marée, sur le rayon boulangerie, on perd de l'argent tout le temps et depuis des années. J'en appelle à l'économiste que vous êtes pour faire des propositions qui pourraient rétablir une meilleure ambiance dans les box de négociations et éviter de perdre de l'argent. Perdre de l'argent, c'est détruire de la valeur, c'est détruire des petits commerces, des petits bouchers, des poissonniers, des boulangers. On sait pertinemment que l'on perd de l'argent depuis dix ans. Il faut donc envisager de changer le contrat de confiance par la contrainte législative.

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Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires

Je vais répondre à titre personnel. Je ne pense pas que le raisonnement sur le seuil de revente à perte change profondément la nature des négociations. Si j'étais notamment partisan d'y intégrer les coûts logistiques, il faut rappeler que l'on a très mal habitué le consommateur : le kilo de côtes de porc coûtait moins cher que le kilo de nourriture pour animaux !

Aujourd'hui, la loi EGALIM et le Président de la République parlent de juste prix rémunérateur. Moi, en tant qu'économiste, je ne sais pas ce qu'est un juste prix. On peut se référer à saint Thomas d'Aquin et à la théorie du juste prix d'Aristote, mais, en dehors de cela, un prix n'est ni juste, ni injuste. Il constate, à un moment donné, un équilibre entre une offre et une demande. Par exemple, le prix du café aujourd'hui s'est totalement effondré : c'est injuste pour les producteurs guatémaltèques, colombiens ou autres. Mais si le prix s'est effondré, c'est parce que nous avons tendance à moins consommer de café, qui serait mauvais pour notre santé, et surtout parce qu'il existe une exceptionnelle production au Brésil et que le Vietnam est devenu en vingt ans, le deuxième producteur mondial de café. Le prix du café aujourd'hui n'est donc ni juste ni injuste : il est très faible, ce qui est dommageable pour les producteurs. Malheureusement, sauf à rebâtir des circuits du commerce justes et équitables, ce qui est autre chose, ou à se diriger vers des niches telles les produits d'alimentation de proximité, de qualité ou le bio, la référence à une gestion par les marchés n'existe plus.

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Bien que mon jeune âge ne me permette pas de vous contredire complément, je ne vous rejoins qu'à moitié. Concernant le café, je suis d'accord sur l'équilibre : la concurrence est nécessaire. Mais prenons l'exemple du lait bio. Aujourd'hui, on constate une forte demande, ultra-croissante, et pourtant on se retrouve, au niveau de la GMS, avec un lait bio qui est moins cher que le lait conventionnel. C'est donc qu'il y a quelqu'un au milieu, qui en France est représenté par quatre centrales d'achat. Cela crée le déséquilibre entre l'offre et la demande. Sur ce produit à forte demande, où il y a peu de producteurs, on se retrouve avec un prix cassé et des gens qui se retrouvent pris à la gorge. C'est sur ce point-là que j'édulcore vos propos.

Je m'adresse donc l'économiste que vous êtes et non plus au président de l'Observatoire. Trouvez-vous normal d'avoir – sur un territoire comme le nôtre qui bénéficie de cette puissance agricole internationale, de cette puissance de l'industrie agroalimentaire internationale et du caractère bon vivant des Français – quatre centrales d'achat ? Est-ce normal pour vous d'avoir un arbitre au milieu qui fait la pluie et le beau temps ?

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Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires

L'année prochaine, nous allons créer un groupe de travail bio et nous pourrons répondre en partie à votre question. Pour l'instant, le bio, nous ne l'identifions pas.

Pour le reste, la concentration dans la grande distribution en France, est inférieure à celle que l'on rencontre dans d'autres pays. La France est le seul pays où chaque année – et je parle totalement à titre personnel – les « négos » – et il n'y a qu'en France que ce mot de « négo » existe – donnent lieu à pareil psychodrame et à autant de sang sur les murs. C'est très particulier et lié au fait que la France n'est pas une société de confiance. Nous sommes le pays où l'accumulation réglementaire est la plus forte. À chaque fois qu'un grillage est rajouté, on cherche les trous pour passer au travers.

Je vous donne un exemple. Dans une vie antérieure, j'ai été chef économiste de la principale société française d'assurance crédit, la SFAC, devenue le groupe Euler Hermès. En Allemagne, les délais de paiement étaient de 45 jours fin de mois, point à la ligne. En France, les délais de paiement, avant que l'on ne mette en place des restrictions pour les produits frais et pour les boissons alcoolisées, étaient de 90 jours fin de mois. Mais lorsque la conjoncture n'était pas bonne, ça avait tendance à s'étaler. Cela s'observait dans tous les secteurs, y compris dans le secteur industriel automobile où Renault, Peugeot, étaient parfois les premiers à payer leurs sous-traitants aux alentours de 120 jours, avant de venir pleurer ensuite si les sous-traitants se retrouvaient subclaquants. Nous avons dans notre patrimoine culturel, une méfiance considérable qui explique que la France est un des seuls pays avec l'Espagne, à avoir un Observatoire. Lorsque nous rencontrons les Allemands, à l'occasion de la présentation de nos travaux à Bruxelles, ils nous disent que la présence d'un observatoire serait impossible chez eux car ils n'ont pas besoin de ce niveau de transparence. En Allemagne, lorsqu'un accord est signé, on va boire une bière et on se retrouve un an plus tard. En France, l'encre est à peine sèche que l'une ou l'autre partie remet l'accord en cause.

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Quand on regarde le tableau des marges nettes de la grande distribution, on observe que deux sortes de produits, la charcuterie et les volailles, dégagent une marge nette confortable. Expliquez-nous pourquoi et dites-nous si la production en est bénéficiaire aussi ?

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Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires

J'ai toujours été toujours étonné de l'importance de la marge nette du rayon charcuterie. Quand on regarde les produits de base, on constate en effet que c'est incontestablement sur le rayon charcuterie et le rayon volaille que la marge nette de la grande distribution est la plus forte.

Mais le prix du porc n'a rien à voir avec tout cela, car il s'agit d'un prix de marché. Pendant longtemps, la référence était le marché de Plérin, donc le cadran breton. Aujourd'hui, je pense que les références sont différentes. Nous avons aujourd'hui un accident majeur avec la peste porcine africaine en Chine. D'après nos experts, cela représenterait au minimum 10 % d'abattage du cheptel chinois et pourrait peut-être monter jusqu'à 30 %. Cela va représenter un appel d'air en termes d'importation – non seulement de viande porcine, mais éventuellement d'autres viandes – et cela s'est déjà traduit sur le prix du cadran qui est monté à 1,45 euro. Les chiffres et le déclenchement de la guerre commerciale Chine-États-Unis couplé à des stocks de soja monstrueux, font que le prix du soja va diminuer. On devrait donc avoir une ouverture du ciseau puisqu'on va avoir une baisse du prix de l'aliment et normalement une hausse du prix du porc. Mais cette hausse du prix du porc ne sera pas liée aux exportations françaises, mais aux exportations espagnoles, néerlandaises et allemandes vers le marché chinois, qui devraient dégager le marché européen. Ce phénomène va probablement poser des problèmes aux industriels qui vont payer plus cher. Je m'attends donc à ce que les négociations soient très dures avec la grande distribution pour répercuter cela sur le prix de la tranche de jambon qui a peu évolué.

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Amandine Hourt, chargée de mission à l'Observatoire des prix et des marges des produits alimentaires

Dans les rayons charcuterie et boucherie, il existe peu de frais de personnel. Une très grande partie des produits est vendue en libre-service, où un grand nombre de paquets peut être rangé par mètres carrés. Contrairement à la transformation des viandes de boucherie, la charcuterie implique moins d'opérations pour la distribution.

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Mesdames, messieurs, je vous remercie. Notre rapporteur pourra être amené à vous adresser des questions par écrit. Vous pouvez également, si vous le souhaitez, nous transmettre d'autres éléments. Nous vous remercions pour ces explications qui nous éclairent et serons attentifs au rapport que vous allez publier la semaine prochaine.

La séance est levée à dix-huit heures quinze.

Membres présents ou excusés

Réunion du jeudi 16 mai 2019 à 16 h 30

Présents. - M. Thierry Benoit, M. Grégory Besson-Moreau, M. Yves Daniel, M. Yannick Kerlogot, M. Jean-Claude Leclabart, Mme Martine Leguille-Balloy, Mme Cendra Motin, M. Hervé Pellois, M. Stéphane Travert, M. Nicolas Turquois