La séance est ouverte à dix-huit heures trente-cinq.
Je souhaite la bienvenue à Jacques Creyssel, directeur général de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD). M. Creyssel est accompagné du directeur « Agriculture et filières », M. Hugues Beleyr, du directeur des affaires juridiques et fiscales de la Fédération, M. Jacques Davy, ainsi que de la chargée de mission affaires publiques et communication, Mme Sophie Amoros.
Je dois, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, vous demander de prêter serment.
MM. Jacques Creyssel, Hugues Beleyr et Jacques Davy et Mme Sophie Amoros prêtent successivement serment.
Monsieur Creyssel, vous avez la parole pour un exposé liminaire. Vous devrez ensuite répondre aux questions des membres de la commission d'enquête.
Je vous remercie de nous inviter à nous exprimer. Nous avons eu l'occasion d'écouter les auditions précédentes : je voudrais, en préambule, regretter la tonalité de certaines déclarations qui ont été faites ici et dans la presse.
J'ai été surpris d'entendre le président de l'Association nationale des industries alimentaires (ANIA) parler ce matin d'« omerta ». De la part du président d'une entreprise qui ne publie même pas ses résultats annuels, c'est choquant, d'autant que le même évoque le cas d'une PME en omettant de préciser qu'il s'agit de la filiale d'un grand groupe multinational, Barilla. Vis-à-vis de la Représentation nationale, je ne trouve pas cela normal.
Il faut rappeler que le commerce, premier secteur économique de France, emploie 3,5 millions de femmes et d'hommes, et que la grande distribution représente à elle seule un million de salariés, soit deux fois plus que l'industrie agroalimentaire. La grande distribution a donc droit, au minimum, au même respect, d'autant qu'elle incarne la promotion sociale – 40 % des directeurs de magasins sont issus de la base – et que ses entreprises jouissent d'une reconnaissance internationale.
Il faut quand même s'en souvenir, ces entreprises sont le plus souvent le premier employeur local – vous le constatez dans vos circonscriptions. Elles accueillent chaque jour 10 millions de clients, qui viennent y acheter une alimentation saine, de qualité, accessible. De ce fait, lorsqu'on parle d'elles de façon péjorative, on atteint à la fois leurs clients et le pays, à la croissance duquel elles participent. Ce secteur et les personnes qui y travaillent méritent le respect.
La presse s'en fait l'écho chaque jour, le secteur de la grande distribution est hélas fortement chahuté. Il vit plusieurs ruptures majeures et simultanées. Fondé sur une croissance des volumes qui permettait d'amortir les coûts fixes, il fait face désormais à une faible croissance. Les formats évoluent, avec une attractivité moindre des grands hypermarchés, au profit des enseignes de proximité. L'e-commerce, qui permet aux consommateurs d'avoir accès à tout, partout et tout le temps, change la donne. Les data, l'automatisation des tâches et l'intelligence artificielle sont devenus des sujets essentiels : nous changeons de paradigme.
Parmi ces ruptures, deux ont un impact sur les relations commerciales, le sujet de votre enquête.
La première, c'est la prise du pouvoir par le consommateur. Pendant longtemps, le système était ancré sur le produit, qui orientait largement la demande des consommateurs. Cette tendance s'est largement inversée ces dernières années : 79 % de nos clients – un chiffre beaucoup plus important que dans les autres pays – considèrent qu'il existe un lien potentiellement négatif entre alimentation et santé. Ils privilégient désormais la qualité, quitte à consommer moins, ce qui constitue un changement considérable. Pour autant, le prix demeure un critère majeur : les sondages, et ils ont été nombreux ces derniers temps, montrent que le pouvoir d'achat, et notamment l'augmentation des prix des produits alimentaires, est en tête des préoccupations des Français. Il existe donc une certaine contradiction avec ce que d'autres peuvent avancer.
Cette prise du pouvoir par le consommateur a deux conséquences majeures sur le paysage des relations commerciales. La hausse du prix du panier moyen, due au fait que le client est prêt à payer plus cher des produits de meilleure qualité, se traduit par une augmentation de 1,5 à 2 points de la valorisation, qui fait plus que compenser la stagnation des volumes. Parallèlement, les prix des marques nationales ont tendance à baisser. Nous sommes donc dans un moment de création de valeur, et non de destruction de valeur, comme cela a pu vous être expliqué.
Comme Dominique Amirault, président de la Fédération des entrepreneurs et entreprises de France (FEEF) vous l'a indiqué tout à l'heure, on constate un transfert des grandes marques vers les marques PME et les marques locales. Le désamour est évident : 25 % des Français seulement ont encore confiance dans les grandes marques. Cela change la donne, et par là même l'ambiance avec les grands industriels et les PME, comme vous avez pu le constater lors de vos auditions. En 2018, 88 % de la croissance dans les hypermarchés et supermarchés a été apportée par les marques PME.
La deuxième grande rupture réside dans l'élargissement de la concurrence, qui est massive, contrairement à une croyance largement répandue. La quinzaine de grandes enseignes, et la dizaine de centrales d'achat auxquelles elles s'adressent, doivent faire face à la forte progression du commerce en ligne, aussi bien dans le secteur alimentaire – en 2018, 37 % des Français ont commandé une fois des produits alimentaires par internet – que dans le secteur non alimentaire, qui représentait autrefois un tiers de leur chiffre d'affaires et dont les rayons se vident aujourd'hui.
Nos magasins sont aussi confrontés à l'arrivée de nouveaux acteurs, comme les Grand Frais, Norma et les multiples enseignes bio dans le secteur alimentaire, Action – 440 implantations en France ! – ou encore Hema dans le secteur du non-alimentaire.
Il convient d'ajouter à ces nouvelles formes de concurrence celle de la restauration hors domicile (RHD), en croissance – 20 % de la consommation globale de viande s'effectue en RHD, dont 52 % de viande importée.
Enfin, les GAFAM – Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft – et les BATX – Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi –, qui ne paient pas d'impôts et obéissent à des règles du jeu complètement différentes, exercent une concurrence fiscale terrifiante.
S'agissant des négociations commerciales, dont il a été question lors des auditions précédentes, je veux dire que la réalité se situe assez loin des fantasmes classiquement colportés. Les rapports de force ne sont pas ceux dont on fait état traditionnellement. Rappelons ce que tout le monde oublie, et qui est fondamental : ce ne sont pas les distributeurs qui achètent aux agriculteurs, sauf de manière très marginale sur des produits frais, mais bien les industriels. Nous évoquerons ultérieurement l'article 1er de la loi ÉGAlim – pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable –, dont le moins que l'on puisse dire est qu'il n'a pas encore produit ses effets.
Notons aussi que le monde industriel est très concentré : 0,5 % des entreprises industrielles réalisent 53 % du chiffre d'affaires et 69 % des exportations ; les dix premières coopératives réalisent plus de 40 milliards d'euros de chiffre d'affaires, elles sont devenues de très puissants intervenants industriels. Ce sont bien ces grands acteurs, et non les distributeurs comme on le dit souvent, qui font face aux centaines de milliers d'exploitations agricoles.
À l'attention de cette commission, nous avons fait réaliser par Nielsen une étude spécifique pour montrer quelle est la réalité de la concurrence. Il apparaît que la marque nationale leader concentre 40,5 % du chiffre d'affaires global et que le poids des deux premières marques nationales est supérieur à 61 %. Nous sommes bien loin de l'image de milliers d'entreprises industrielles faisant face à quelques centrales d'achat.
Ce que l'on raconte va à rebours de la réalité, j'en veux pour preuve le marché du lait : la GMS ne représente que 37 % des parts de marché ; le reste part à l'exportation, en restauration hors domicile (RHD) ou dans des échanges interindustriels. Par ailleurs, le système est très monopolistique, avec un seul client à chaque fois : un producteur laitier ne vend qu'à une seule coopérative ou à une seule organisation de producteurs, laquelle ne vend qu'à un seul industriel. Les deux principaux vendeurs de lait ou de fromage sous forme de pâte pressée cuite représentent entre 65 et 70 % des parts de marché. Enfin, ces industriels négocient avec cinq à onze centrales. Nous sommes bien loin du rapport de forces régulièrement évoqué.
Il en va de même pour les résultats des négociations. La guerre des prix, à laquelle nous avons souhaité mettre fin lors des Etats généraux de l'alimentation, ne s'est pas traduite par une destruction de valeur, mais par un transfert massif au profit des consommateurs et par une augmentation très forte de la consommation alimentaire : 12 milliards d'euros ces dernières années. L'évolution des prix d'achat et des prix de vente en France est strictement parallèle à l'évolution des prix en Europe : contrairement à ce qui vous a été dit ce matin, il n'y a pas de spécificité française. D'ailleurs, selon Eurostat, le panier moyen est supérieur à la moyenne européenne.
Outre les consommateurs, les grands gagnants de la période récente sont les industriels.
Leur marge moyenne excède les 11 %, quand celle des distributeurs n'est que de 0,8 %, ainsi que le montre le rapport de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires (OFPMPA), qui sera publié lundi. Il faut savoir que le résultat net de Nestlé – 10,5 milliards de francs suisses – est supérieur à celui d'Amazon et que la marge nette de Coca-Cola – je sais le président Benoit friand de cet exemple – devrait atteindre 25,7 % en 2019, sans que cela se traduise par un différentiel significatif en matière d'investissement et d'innovation, le CAPEX n'étant supérieur que de 2 points.
Le rapport de l'OFPMPA, que le président Benoit et moi-même, tous deux membres de l'Observatoire, avons approuvé, montre que la rémunération moyenne des agriculteurs n'est pas du tout celle qui est évoquée : elle se situe entre 1,2 et 1,3 SMIC, si l'on met de côté les éleveurs porcins, dont la situation, difficile pour les raisons que nous connaissons, s'améliore heureusement.
Ce sont les chiffres officiels, issus des instituts, monsieur Moreau. Il s'agit bien du revenu moyen, la rémunération du travail familial, à laquelle s'ajoute la rémunération du capital. C'est une moyenne, qui peut être contestable. Cela ne signifie pas qu'il n'y a pas de problème et qu'il n'est pas nécessaire d'aller plus loin : bien au contraire, nous considérons que les agriculteurs français doivent vivre dignement de leur métier. Pour autant, ce sont les chiffres.
Les pratiques, elles non plus, ne correspondent pas aux fantasmes. Les marques de distributeurs sont fabriquées par les PME, ce qui explique l'hostilité des grandes entreprises à leur égard, qui voient dans la progression des marques de distributeurs (MDD) une perte de marchés. On parle de déréférencement, mais il faut considérer le nombre total de références : leur niveau sans doute trop élevé – elles ont augmenté de 13 % entre 2014 et 2018 – a poussé certaines enseignes à en diminuer le nombre. La consommation de produits bio progresse de plus de 20 % par an, encouragée par des accords avec la grande distribution dans la plupart des filières. Les importations sont quant à elles très marginales. Enfin, les contrats tripartites de filières de qualité se multiplient.
Vous me permettrez une dernière remarque. J'ai été surpris, en écoutant l'ensemble des auditions, de ne jamais entendre les industriels, à commencer par le président de l'ANIA, prononcer certains mots, comme « agriculteur » ou « consommateur ». C'est à croire que tout cela n'existe que pour le plaisir de produire et qu'il s'agit juste de créer des difficultés dans la chaîne… Je n'ai pas entendu non plus les mots « qualité » et « sécurité », qui font référence à des sujets majeurs pour nous, s'agissant notamment de la charcuterie et des produits laitiers. Sachez que nous avons pris l'engagement, contrairement à ce qui se passe dans les marques nationales, de supprimer le dioxyde de titane dans les MDD : cela montre à quel point nous avançons plus vite. Enfin, je n'ai jamais entendu parler de l'adéquation de la production aux besoins des consommateurs, une autre de nos préoccupations.
Je suis désolé d'avoir été un peu long, mais il était utile que je revienne sur l'ensemble des points abordés au cours des dernières semaines.
Vous n'avez pas été long, monsieur Creyssel, vous avez été fidèle à une certaine tradition, en vous inscrivant, avec le sourire, dans ce qui ressemble à un rapport de force. Vous disposiez toutefois d'un avantage, celui d'avoir entendu les autres acteurs s'exprimer. Les députés que nous sommes savent qu'il vaut mieux intervenir en dernier lors d'une discussion générale pour ramasser le propos et équilibrer les choses dans le sens souhaité… Vous êtes expert en la matière, la communication étant un domaine où excelle la grande distribution. Le moins que l'on puisse dire est que vous le faites de manière fort aise !
Monsieur Creyssel, je voudrais rassurer les adhérents de la FCD : cette commission d'enquête a été voulue pour créer de l'équilibre entre la grande distribution, les industries agroalimentaires et les agriculteurs. Je veux aussi vous remercier pour votre excès de bonne foi : les agriculteurs de nos territoires apprendront, grâce à vous, que leurs revenus vont pouvoir augmenter et qu'ils toucheront désormais entre 1,2 et 1,3 SMIC – nous n'étions pas au courant.
Je voudrais recueillir votre sentiment sur la déflation. Vous nous parlez de croissance, de chiffre d'affaires, mais tous ceux que nous avons auditionnés, représentants des industriels ou du monde agricole, évoquent une déflation qui s'élèverait à 0,4 % cette année et qui aurait atteint, selon les filières, jusqu'à 8 % ces cinq dernières années. Qu'en pensez-vous ?
J'ai la chance avec d'autres, comme Guillaume Garot ici présent, de vous auditionner depuis un certain nombre d'années, notamment en commission des affaires économiques, et je vous ai toujours entendu dire que la consommation alimentaire progressait – 12 milliards ces dernières années – mais que les marges de la grande distribution n'évoluaient que très peu – 0,8 % récemment.
Vous faites référence au rapport de l'Observatoire de la formation des prix et des marges, dirigé par Philippe Chalmin : il faut savoir que ses analyses se basent sur les éléments qu'on lui fournit et qu'il n'a pas la possibilité de décortiquer la manière dont sont constituées les marges.
Enfin, pour couper court à toute polémique, je dirai aux agriculteurs que je ne suis pas du tout rassuré par vos propos. Affirmer que les agriculteurs gagnent entre 1,2 et 1,3 SMIC est une provocation. Lorsque l'on vit à leurs côtés, que ce soit en Creuse, en Mayenne, dans les départements d'outre-mer, en Isère, en Vendée, dans l'Yonne ou dans le Morbihan, on perçoit pleinement leurs difficultés.
Cette commission d'enquête a été créée à la suite des états généraux de l'alimentation et de la loi ÉGAlim, mais je l'avais à l'esprit depuis des années. C'est avec la loi de modernisation de l'économie que nous avons pris conscience du grand déséquilibre des relations commerciales en France. Il nous faut dénouer ce noeud.
Nous vous ferons parvenir un document complet, comportant l'ensemble des données que j'ai citées, et qui sont issues de sources officielles.
Comme je l'ai dit, monsieur le rapporteur, nous avons assisté à la fois à la baisse des prix d'un certain nombre de marques nationales et à l'augmentation de la valorisation des produits. Pour prendre un exemple simple, le consommateur d'aujourd'hui achète du beurre premier prix pour cuisiner, et du beurre premium pour ses tartines. Ce n'est pas incompatible. Il se trouve que comme il achète de plus en plus de beurre premium, la moyenne des prix progresse. L'indicateur des prix montre que la valorisation est nettement supérieure à la baisse globale des prix. Il peut donc y avoir croissance d'un côté et déflation de l'autre. Par ailleurs, la baisse de certains prix permet aux consommateurs, qui réallouent leur pouvoir d'achat, d'acheter d'autres produits.
On dit toujours qu'il y a eu destruction de valeur, estimée entre 3 et 5 milliards d'euros. C'est faux, il y a eu augmentation de la consommation alimentaire, qui a entraîné un supplément de valorisation de 5 milliards d'euros ces dernières années. Les chiffres sont tout à fait clairs.
Globalement, la déflation sur les marques nationales a cessé. C'est une bonne nouvelle. Elle s'est produite dans l'ensemble des pays européens, lorsque les consommateurs, confrontés à un net ralentissement de leur pouvoir d'achat, ont souhaité une baisse des prix pour le garantir.
Ce qui nous a été rapporté, c'est que les prix ont subi des baisses annuelles successives ces cinq dernières années, ce qui constitue une déflation globale. Est-ce le cas chez vos adhérents ?
Je réponds de manière tout à fait claire : un certain nombre de produits ont vu leur prix baisser, mais il se trouve que, depuis cinq ans, les consommateurs n'achètent plus les mêmes produits : pour reprendre mon exemple, ils sont passés au beurre premium.
L'Observatoire des négociations commerciales – je rappelle que nous l'avons souhaité et que nous avons fourni de manière exhaustive tous les chiffres – a constaté une baisse de 0,4 % du prix d'achat des produits alimentaires en 2019. Que s'est-il passé ? Tandis que certains prix augmentaient, le cours de certaines matières premières chutait et entraînait une baisse des prix. Le café a perdu 14 %, le sucre a reculé de 30 %, le porc a baissé considérablement. Il est normal que les produits à base de café, de sucre et de porc aient vu leurs prix baisser. À l'inverse, le prix des produits à base de lait ou de pommes de terre a augmenté. Si on enlève ces éléments qui ont mécaniquement baissé, nous ne sommes pas très loin d'une stagnation des prix. La guerre des prix a donc bien cessé, et c'est une excellente nouvelle.
Permettez-moi d'insister. Vous dites que les produits se vendent moins et qu'ils sont donc négociés à un prix plus bas. La logique de l'industriel, c'est que plus le produit se vend, mieux il peut le négocier avec le distributeur. Les remises ou les prix sont cohérents avec le volume. Vous dites que vous vendez un peu moins un produit, et vous revenez tous les ans à l'attaque pour faire chuter les prix, en demandant à chaque fois une remise. Est-ce la réalité, oui ou non ? Est-il vrai que, ainsi qu'on nous l'a rapporté, vous entrez dans le box et commencez la négociation à - 0,4 %, quels qu'aient été les volumes écoulés l'année précédente ? Sont-ce des mensonges, oui ou non ?
Je ne suis pas patron d'enseigne, je ne suis pas négociateur et je rappelle que le droit de la concurrence m'interdit d'obtenir des éléments de ce type. Je ne peux donc m'en tenir qu'à une réponse globale, et factuelle.
Une entreprise fonctionne sur des gains de productivité. Il est normal qu'un produit qui a été amorti sur quatre ou cinq ans se vende moins cher les années suivantes. C'est une discussion classique d'entreprise : le prix d'une voiture, malgré de nombreux services supplémentaires, est bien plus bas qu'autrefois ; celui d'un poste de télévision a été divisé par dix. Heureusement, l'économie n'est pas statique ! Il y a eu, ces cinq dernières années, des baisses de coûts : elles doivent être répercutées sur le consommateur. Celui-ci exige de son côté davantage de qualité, des produits plus innovants, qu'il est prêt à payer plus cher. C'est le cours normal de l'économie, quel que soit le secteur, et nous n'échappons pas à la règle.
J'en viens à la question du président sur l'Observatoire de la formation des prix et des marges qui effectue un travail remarquable. Mis à part un petit observatoire en Espagne, c'est une instance unique au monde, qui publie les marges nettes de la grande distribution, rayon par rayon. Disons-le franchement, cela ne manque pas de surprendre mes homologues européens ou internationaux, mais la grande distribution française a bien l'intention de jouer la carte de la transparence. Cela fait que nous sommes en avance – c'est le moins que l'on puisse dire – sur nos petits camarades industriels. Croyez bien que nous le regrettons.
Philippe Chalmin lui-même, dans son propos introductif au rapport qui sera publié lundi, déplore l'absence de transparence des industriels du lait, par exemple. Il n'y aura pas de normalisation des relations sans transparence ; c'est uniquement par cette démarche que nous y arriverons. Contrairement à ce que vous dites, les chiffres sont vérifiés : FranceAgriMer, qui est un organisme public, analyse la comptabilité analytique de chaque enseigne et décompose la marge, rayon par rayon. On peut difficilement aller plus loin.
J'ai été moi-même surpris par les chiffres donnés par l'Observatoire sur la rémunération des agriculteurs. Il a été difficile d'obtenir les données auprès des interprofessions, car il se trouve que la discussion porte davantage sur les objectifs que sur la réalité du moment. Nous aurions eu besoin de connaître les écarts type, qui permettent de compléter ce qui n'est qu'une moyenne. Néanmoins, ces chiffres existent, ils sont utiles comme référence et ils figurent dans un rapport que le président et moi-même avons approuvé.
Puisque vous insistez pour dire que j'ai voté le rapport, je précise que je n'ai malheureusement pas pu participer à la dernière réunion, car j'étais dans l'hémicycle.
Il a été adopté à l'unanimité !
Si j'avais été présent, je l'aurais sans doute voté car je ne remets pas en cause les travaux de l'Observatoire. Mais il faudra bien un jour être précis sur la méthode et sur la façon dont les marges, notamment celles du secteur de la distribution, sont analysées, et dans quelle mesure l'immobilier et le foncier entrent dans le calcul des charges. Je précise enfin que deux députés et deux sénateurs siègent à l'Observatoire et que l'Assemblée nationale était représentée ce jour-là par notre collègue Yves Daniel.
Je n'ai aucun intérêt dans l'ANIA, mais j'ai assisté à la majorité des auditions et je peux vous affirmer que si fantasme il y a, nombreuses sont les personnes à le partager !
Le FCD a intégré l'an dernier la gouvernance du Centre national interprofessionnel de l'économie laitière (CNIEL), et vous vous êtes félicité de concourir ainsi à des négociations commerciales plus transparentes, réactives et équitables, ainsi qu'à une juste rétribution des agriculteurs. Mais je ne vois pas comment vous pouvez parler de transparence – et vous avez jugé à l'instant que les industriels n'en faisaient pas preuve –, d'équité et de justice, quand vous estimez que le mix pourrait être intéressant pour la rétribution des producteurs : sans doute ne savez-vous pas qu'ils saisissent les uns après les autres le médiateur et qu'ils sont venus nous dire à quel point leur situation était difficile ?
Entre « foutage de gueule » et contre-vérité, je ne sais pas par où commencer ! Vous pouvez raconter tout et n'importe quoi à tout et n'importe qui, mais pas à des personnes qui ont travaillé avec la grande distribution, dirigé une PME et négocié avec les enseignes : elles savent comment cela se passe.
Vous nous dites que la rémunération moyenne des agriculteurs se situe entre 1,2 et 1,3 SMIC, j'étudierai ces chiffres de très près. Mes collègues éleveurs bovin pour la viande seront ravis de toucher une telle rémunération ! Dois-je rappeler que les représentants d'Interbev nous ont indiqué hier que vous vous étiez abstenus sur la validation, au sein de l'interprofession, des indicateurs de coûts de production basés sur 2 SMIC – car c'est sans doute un scandale de toucher 2 SMIC lorsque l'on est éleveur et que l'on travaille 70 heures par semaine – ?
J'ai rencontré un certain nombre de producteurs de MDD, et – c'est amusant – ils ne tiennent pas du tout le même discours que vous. Ils nous ont expliqué que les distributeurs cherchaient à se rattraper sur le seuil de revente à perte (SRP) – et qu'ils se livraient entre eux à une guerre des prix sur les MDD, puisqu'ils ne peuvent plus le faire sur les marques. Les producteurs se retrouvent donc encore plus étranglés qu'avant.
S'agissant des négociations avec les organisations de producteurs, des producteurs de fraises m'ont alerté sur le fait que Carrefour leur demandait la même promotion que l'année précédente en expliquant que, forcé de prendre 10 % de baisse du SRP, il leur paierait leur production moins cher encore. Vous nous avez servi des propos de comm', mais la réalité est celle-ci : si les producteurs de fraises sont dans de telles difficultés, c'est que l'un de vos adhérents tente tout simplement de les étrangler et que ses concurrents, forcément, s'engouffrent dans la voie.
Vous parlez de la baisse du prix du porc, sans mentionner – est-ce étonnant ? – la hausse récente des cours. Pendant plusieurs mois, vos adhérents se sont opposés à négocier une augmentation, alors que le prix du porc était tiré à la hausse par les exportations. Mais la situation était difficilement tenable et les choses commencent à bouger.
Certes, il y a peu de déréférencement réel, mais les enseignes font planer une menace permanente au-dessus de la tête de leurs fournisseurs, notamment les PME, qui finissent par céder. C'est normal, elles sont beaucoup à travailler à 60 % pour vous, la limite fixée par la loi.
Quant à vos marges arrière, qui soi-disant n'existent plus, j'ai vu les factures pour « Promotion » ou « Participation aux outils promotionnels ». Ce sont des marges arrière reconstituées et si les PME refusent, elles sont déréférencées l'année d'après. Là encore, et pardonnez mon énervement, c'est du foutage de gueule !
Dois-je parler aussi des cahiers des charges, que vous modifiez à l'envi, soi-disant pour répondre aux désirs du consommateur – que les enseignes créent en réalité ? Vous demandez par exemple un type de viande qui n'existe pas et qui est très compliqué à produire, pour l'unique raison qu'il est beaucoup moins cher à l'achat et que vous voulez augmenter vos marges.
Quant aux nombres d'emplois créés par la grande distribution, il serait fort intéressant de mesurer, en nombre d'emplois supprimés, le coût de la désertification des centres bourgs dans les zones rurales.
Enfin, on sait que les grandes difficultés auxquelles font face les groupes Auchan et Carrefour tiennent au fait que le modèle des hypermarchés, sur lequel ils reposent, est en bout de course, concurrencé par la vente en ligne des produits non alimentaires. Mais ce n'est pas à la production et aux agriculteurs de payer les erreurs de gestion ! Je ne parlerai pas d'Auchan qui a incité au départ volontaire ses responsables boucherie pour alléger sa masse salariale et qui a vu le chiffre d'affaires de ce rayon s'effondrer : il est inutile d'entrer dans le détail de la gestion des entreprises.
Je crois en avoir oublié, mais c'est là l'essentiel de mes remarques.
Madame Leguille-Balloy, nous sommes encore en discussion avec les industriels qui refusent la façon dont nous pourrions entrer au CNIEL : nous n'en faisons donc malheureusement pas encore partie. Par ailleurs, je rappelle que les interprofessions ont l'interdiction de s'occuper de négociations ; s'il arrivait que nous parlions prix, alors nous partirions immédiatement.
Comme je l'ai souligné, les ventes de lait dans la grande distribution ne représentent plus que 37 % du marché global. Les industriels nous expliquent que, malheureusement, le prix payé aux producteurs laitiers ne peut être celui que nous avons fixé dans nos accords, puisque le produit de nos ventes n'est qu'une partie de l'ensemble, ce fameux mix qui regroupe les ventes à l'exportation du beurre et de la poudre de lait, les ventes à la RHD et aux autres industriels. Pourtant, de notre côté, les choses sont transparentes : le prix payé aux producteurs a augmenté, ce qui est normal, d'autant que le marché est en croissance.
Lors des négociations, je suis en contact avec Thierry Roquefeuil, le président du CNIEL et de la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL) ; je ne participe pas aux discussions, mais je veux savoir ce qu'il s'y passe et quelle est l'ambiance. Le problème qui se pose à chaque fois, c'est que les distributeurs ont le sentiment qu'ils concluent des accords, mais que tout ne revient pas, ou ne redescend pas aux producteurs. Comme je vous l'ai expliqué, nous sommes dans un système monopolistique, qui fait que les producteurs sont quasiment pieds et mains liés dans leur relation avec un intermédiaire et un industriel et qu'ils ne peuvent qu'accepter le prix qu'on leur donne.
On voit bien que ce ne sont pas les affreux distributeurs qui sont responsables de la situation. Nous demandons simplement de la transparence. Il peut y avoir des discussions, mais il faut que les choses soient claires et que les efforts que nous faisons ne soient pas récupérés au passage par des personnes dont on sait que la transparence n'est pas le fort, y compris dans le dépôt des comptes – je ne vise personne, ou presque.
Monsieur Moreau, je me rappelle la première fois que nous avons discuté ensemble, lors d'une table ronde. Vous disiez à quel point vous étiez heureux des relations de votre coopérative avec une enseigne ; visiblement, les choses changent !
Ce doit être ça…
Ce que vous dites sur la validation des coûts de production au sein d'Interbev est tout à fait inexact, nous les avons approuvés et ce sont les industriels qui se sont abstenus.
Non, nous avons approuvé. Et la semaine dernière, un accord a été trouvé sur les fiches techniques, qui étaient les derniers éléments en discussion.
Le problème est que les coûts de production ne sont pas des coûts d'objectif, ce sont les coûts de production réels. Nous n'avons aucune objection pour aller vers une rémunération de deux fois le SMIC ; sans oublier toutefois qu'un petit commerçant ne touche qu'un seul SMIC, et lui aussi travaille. Mais dire que la rémunération ne peut pas être inférieure à deux SMIC, ce n'est tout simplement pas conforme à la réalité, constatée par les calculs de l'OFPMPA. Nous avons néanmoins accepté cette demande, parce que nous voulions qu'un accord soit trouvé à Interbev. Et c'est le syndicat Culture viande – vous pourrez poser la question à son président, Jean-Paul Bigard – qui n'a pas accepté cet accord, ce n'est pas nous.
S'agissant de la guerre des prix autour des marques de distributeurs, vos propos ne correspondent pas à la réalité. Pour les marques de distributeurs, les discussions sont pluriannuelles la plupart du temps, totalement déconnectées du reste. Les MDD sont en train de repartir, et dans ce contexte, nous ne sommes pas du tout dans l'optique d'une guerre des prix.
La fraise a été un sujet très spécifique, qui n'a aucun rapport avec le SRP.
Il existe des prix psychologiques, c'est un sujet totalement distinct du reste. De fortes variations des prix sont constatées sur ces produits, car ils sont météo-sensibles. Le consommateur étant très sensible à ces prix psychologiques, le prix peut être fixé à 1,99 euro, mais sur un seul produit parmi beaucoup d'autres, et seulement pour quelques jours.
Mais nous savons que si le prix dépasse 1,99 euro, les ventes vont s'effondrer. C'est ainsi que les choses se passent, nous avons traité ce sujet avec Interfel, l'interprofession des fruits et légumes frais, la question est réglée. C'est un petit sujet…
C'est une situation totalement indépendante du SRP, qui se produit de manière régulière car ce genre de choses est normal.
Vous avez dit que nous ne faisions rien pour le porc, alors que c'est moi qui ai proposé la réouverture des négociations devant le ministre de l'économie et des finances et celui de l'agriculture, et nous avons publié un communiqué dans la foulée, à la grande surprise d'ailleurs de Christiane Lambert.
Ces négociations sont en cours, c'est un marché difficile, et j'en discutais ce midi avec le président de l'interprofession porcine. Le prix de 1,50 euro en France, il est de 1,80 euro en Allemagne, le marché change de manière considérable et 30 % du cheptel porcin – dont la moitié est en Chine – pourrait disparaître. Les négociations ne sont pas faciles car la situation évolue en permanence, mais les prix sont à la hausse et je peux d'ores et déjà annoncer que toute une série de hausses a été décidée en plus de celle prévue par Intermarché.
S'agissant du déréférencement, le directeur général de l'Institut de liaisons et d'études des industries de consommation (ILEC) vous a répondu ce matin que cela n'avait pas été le sujet de l'année.
En ce qui concerne les marges arrières et les contreparties, je rappelle que nous sommes un métier de services. La rémunération des services est normale dans un métier de services, nous ne nous contentons pas de mettre en rayons les produits des industriels, nous les vendons. Nous faisons en sorte que certains produits soient mieux mis en avant que d'autres, et tout ceci mérite une rémunération, comme c'est le cas partout.
Nos amis industriels rêvent de deux choses : que nous ne négocions plus, et que nous ne rémunérions plus nos services. Mais c'est la négation de notre métier ! Je comprends qu'ils pensent cela, mais le coût de la distribution, c'est 20 % du produit, pas 10 % comme le SRP. Cela correspond à toute une série d'éléments qu'il est normal de rémunérer.
Enfin, sur l'emploi, je ne peux pas laisser passer les propos de M. Moreau. Il y a beaucoup plus d'emplois dans le commerce de détail aujourd'hui que plusieurs dizaines d'années auparavant. Nous ne nous inscrivons pas du tout dans les optiques à l'ancienne selon lesquelles les uns détruisent les autres. Je rappelle que nous sommes le premier employeur, et s'ils vous écoutaient, nos salariés seraient extrêmement surpris d'entendre tout ceci.
Ne nous donnez pas de leçons sur le traitement des salariés de la grande distribution, s'il vous plaît !
Je suis désolé, mais nous sommes des employeurs, nous avons la responsabilité de faire fonctionner des entreprises, et il n'est pas normal que l'on nous dise que nos magasins ne servent qu'à détruire de la valeur.
Monsieur Creyssel, pourriez-vous nous indiquer le salaire d'un collaborateur qui a vingt-cinq ou trente ans d'ancienneté dans une grande surface, au sein d'un des groupes de la FCD ?
Pour quel type de métier ?
Je n'ai pas les chiffres avec moi, la rémunération minimale est égale à 1,14 SMIC, c'est-à-dire très nettement au-dessus du SMIC.
Non, nous offrons une rémunération minimale très au-dessus du SMIC…
Les dispositifs d'allégements de bas salaires se font à partir de 1,2 SMIC dans l'agriculture, vous n'allez pas me dire qu'avec 1,14 SMIC, vous êtes très au-dessus du SMIC…
La rémunération minimale prévue par la convention collective est de 1,14 SMIC, c'est 14 % au-dessus du SMIC.
Vous nous ferez parvenir la réponse concernant un salarié dans la mise en rayons, avec 25 ans d'expérience.
Je vous enverrai les données de la convention collective, les chiffres sont différents selon les entreprises et les conventions d'entreprise. Aujourd'hui, la plupart de nos collaborateurs sont rémunérés sur quatorze ou quinze mois, 90 % d'entre eux sont en CDI, le minimum de temps partiel est de trente heures et du point de vue de la négociation sociale, nous sommes le secteur qui signe le plus d'accords en France.
Vous parliez de prix psychologiques, je voudrais aussi parler de psychologie. Je ne veux pas faire de populisme, ce n'est ni mon style ni ma philosophie. Je veux parler de la psychologie de personnes qui se suicident, car c'est la réalité. Je veux parler de la psychologie de certains industriels qui font des burnout car ils ne veulent plus entrer dans les box de négociation de vos adhérents. Je veux parler de la psychologie des prix bas, quand ma philosophie, et celle de beaucoup d'autres dans cette salle, est celle du prix juste.
Aujourd'hui, nous constatons que le modèle de la grande distribution se casse la figure, et en vous voyant, vous qui êtes délégué général de la FCD depuis dix ans, je me demande si vous vous rendez compte que les mots de communicant que vous utilisez sont des balles. Ils peuvent tuer. Vous menez depuis dix ans la grande distribution dans le mur : Auchan est en difficulté, Carrefour est en difficulté, Casino est en difficulté, les industriels sont en difficulté et les agriculteurs se suicident. Pensez-vous encore avoir un rôle légitime au sein de la FCD, monsieur Creyssel, quand vous conduisez depuis des années le navire droit dans le mur ?
Devant la représentation nationale, êtes-vous prêt à accepter qu'un industriel, petit ou gros, vous soumette un prix tarif pour lequel il signerait tout de suite, en acceptant les indicateurs de coût de revient, pourvu que vous, la grande distribution, acceptiez ses tarifs « fond de rayon », le tarif de base ?
Accepteriez-vous qu'un industriel, quelle que soit son importance, vous dise qu'il ne veut pas de votre service et qu'il ne veut pas le payer, qu'il ira chercher le panel d'un cabinet extérieur, pour un prix dix, quinze ou cinquante fois inférieur ?
Seriez-vous prêts à changer d'objectif pour adopter celui de la marge avant – comme les magasins Lidl – au lieu d'essayer de cumuler des marges arrières, que j'appelle des ascenseurs à remises. Un net, deux net, trois, quatre, cinq, six net. On s'y perd !
Voulez-vous vraiment jouer le jeu ? Lors des états généraux de l'alimentation, vous nous avez tous tapé dans le dos. Mais quelle est la réalité aujourd'hui ? La vice-présidente de la FNPL, que nous avons reçue, nous a indiqué que le prix du lait était toujours de 340 euros les 1 000 litres. Et vous venez nous dire : « Ne vous inquiétez pas, sur le lait, on a fait tout le boulot ! »
Ayez conscience de ce que vous dites et de ce que vous faites. Vos mots, monsieur Creyssel, sont des cartouches.
Monsieur le rapporteur, ce sont les mots que vous venez de prononcer qui sont des cartouches. Il n'est pas normal d'être à charge contre un secteur aussi important, avec des arguments qui constituent au moins des raccourcis, pour ne pas dire autre chose.
L'agriculture française ne se porte pas bien, et ce n'est pas à cause de la grande distribution, vous le savez très bien. C'est à cause de problèmes de compétitivité dont, si mes souvenirs sont bons, la représentation nationale est comptable. Si l'on étudie l'ensemble des analyses – et le ministère de l'agriculture vient d'en publier une ce matin – c'est un problème de coût relatif comparé à la production étrangère. C'est un problème d'organisation de la production. Je ne dis pas qu'il ne peut pas y avoir naturellement des tensions sur l'ensemble de la chaîne, mais toutes les analyses des économistes sont convergentes sur le sujet. Dire que nous sommes responsables des suicides d'agriculteurs, c'est inadmissible et je ne peux pas l'accepter.
Quant au burn-out évoqué tout à l'heure, ne vous laissez pas attendrir ou influencer par les déclarations anormales et scandaleuses de ce matin. Elles ne reposent absolument sur rien. À chaque fois que de tels propos sont tenus, des enquêtes sont faites, et ces allégations se révèlent inexactes. Ce n'est pas ainsi que les choses se passent. Les fameux box sont des salles de réunion classiques, normales, dans lesquelles se tiennent les discussions. Pour avoir vécu beaucoup de négociations sociales, je vous assure que c'est beaucoup plus dur. Et de ma vie antérieure en tant que haut fonctionnaire, je peux vous dire que les négociations budgétaires de l'État sont aussi beaucoup plus dures que les négociations commerciales.
Naturellement, nous vivons dans un pays latin, où les choses sont un peu plus compliquées qu'ailleurs ; pour autant, il faut sortir de ces fantasmes. Nous discutons, il n'y a pas du tout d'insultes ou de comportements de la sorte. Nous avons élaboré une charte tout à fait claire dans ce domaine, elle est placée dans tous les box de négociation. Nous avons également décidé de mettre en place l'année prochaine un e-learning de l'ensemble des acheteurs, de manière à rappeler en permanence ces éléments dans le cadre de la formation. Le reste, ce sont des assertions qui ne sont pas du tout justes.
S'agissant de justice, vous parliez de prix « justes ». Pour nous, le prix juste est celui qui permet à tout le monde de vivre, et au consommateur d'acheter. Il ne faut jamais oublier cela : nous aussi avons des clients. Si les produits sont trop chers, si cela ne leur convient pas, ces clients s'en vont. Aujourd'hui, les clients ont un choix tellement étendu qu'une partie d'entre eux achète moins cher sur Amazon. Et demain, ils iront sur Alibaba. Regardez les évolutions dans le secteur non-alimentaire ou l'habillement. C'est ce qui se passera demain.
Quand il n'y aura plus qu'Amazon ou Alibaba en France, nos amis industriels regretteront l'époque où ils avaient des interlocuteurs sérieux. Aujourd'hui, nous faisons face à des entreprises qui arrivent systématiquement avec des prix inférieurs de 10 % à tous les autres. Il est intéressant de regarder des chaînes comme Action, il faut regarder les prix qu'ils pratiquent, des prix ultra-bas.
Vous me demandiez si j'étais fier de ce que je fais ; j'en suis extrêmement fier, et je suis extrêmement fier du secteur que j'ai l'honneur de représenter. Aujourd'hui, c'est le secteur de la promotion sociale, et c'est le secteur qui permet à tous les Français d'avoir accès à une alimentation d'une qualité en amélioration constante. Nous, distributeurs, nous battons contre les industriels qui ne veulent pas aller aussi loin en termes de qualité et de sécurité alimentaire. Je ne comprends pas que l'on puisse nous accuser sous cet angle.
Quant à la question sur la négociation, elle revient à ce que j'expliquais précédemment : le rêve d'un industriel est de fixer son tarif en nous interdisant de le négocier. Ce n'est pas normal, la liberté du commerce – principe constitutionnel – et la liberté de négociation doivent permettre les discussions, au profit des consommateurs. Il faut plus de qualité, et des produits qui répondent aux souhaits des consommateurs. Aujourd'hui, un consommateur est prêt à changer de magasin pour quelques centimes sur une baguette de pain ou un litre de lait, c'est tout à fait clair. On peut dire que c'est mal, c'est la réalité. Les consommateurs sont comme les électeurs, ils sont parfois changeants.
Monsieur le délégué général, je vais mettre l'accent sur les outre-mer, où vous êtes également présents. Vous connaissez très bien le sujet, les questions d'alimentation, de distribution, de prix, de sécurité alimentaire, de développement de la production locale ont fait flamber ces territoires de nombreuses fois.
Depuis le début de cette audition, nous parlons beaucoup de transparence. Nous parlons d'éleveurs, d'agriculteurs, de consommateurs. Vous disiez que si les prix sont trop chers, les consommateurs allaient ailleurs. Mais les outre-mer sont des territoires captifs, les consommateurs ne vont pas ailleurs, et ils ne commandent pas sur Amazon non plus.
Si nous jouons la transparence, et si je vous entends, tous les produits qui arrivent dans les départements d'outre-mer ont été négociés de la même façon au départ du territoire métropolitain, à des prix très bas, trop bas. Lorsque ces produits arrivent dans les outre-mer, ils sont parfois vendus 30 % à 40 % plus cher.
Nous y travaillons tous depuis un moment, nous avons cherché au niveau du transport, nous avons cherché au niveau des taxes, et jamais nous n'aboutissons à un surcoût de 30 % ou 40 %. Il y a donc un problème de transparence des prix.
Le deuxième aspect sur lequel je souhaite vous entendre, et je crois que de nombreux Ultramarins vous écouteront, concerne la place donnée à nos producteurs. Nous sommes de petits marchés, aux petites productions. L'importation n'est pas qu'un élément d'ajustement, l'importation massive, dure, est notre quotidien. Lorsqu'en plus, d'énormes volumes d'achat en promotion arrivent – du boeuf, par exemple –, ils détruisent complètement des filières ou des éleveurs qui avaient négocié la vente de leurs produits.
Tout le monde comprend que ce n'est pas acceptable, car ce n'est pas durable. Cela détruit des emplois. Certes, la grande distribution en crée, mais on peut simultanément en créer dans l'élevage et l'agriculture. Ces importations massives empêchent de le faire.
Madame la députée, je suis malheureusement beaucoup moins spécialiste que vous de ces sujets. Je les connais surtout sous l'angle des différences de prix, qui sont largement dues à quelques éléments particuliers, notamment l'octroi de mer et une série d'éléments de cette nature. Les études ont montré que les écarts étaient en grande partie liés à ces éléments.
Globalement, les études qui ont été réalisées montraient ce résultat. Nous pourrons en reparler.
Cette situation a entraîné les distributeurs à prendre des engagements – il s'agit dans la majorité des cas de franchisés que nous voyons hélas rarement, ma connaissance du sujet est donc parcellaire, mais je m'engage à vous fournir des éléments complémentaires. Des engagements ont été pris pour garantir des paniers de produits moins chers, c'est ainsi que le problème est traité. Il faut peut-être revoir cela de manière régulière, je suis tout à fait prêt à en discuter avec vous de manière plus approfondie.
Monsieur le délégué général, je souhaite que nous ne retenions pas cette réponse.
Vous avancez des arguments sans connaître le sujet, je le dis franchement. Il est dangereux de renvoyer la responsabilité sur l'octroi de mer, car c'est faux, et les chiffres ne vont pas dans le sens que vous indiquez. L'octroi de mer est en débat dans nos territoires, et il est irresponsable de l'accuser, à moins que vous n'ayez à ce sujet des éléments dont je ne dispose pas.
Ensuite, vous évoquez le panier de produits, c'est-à-dire le « bouclier qualité prix », prévu par la loi de régulation économique outre-mer. Il concerne 120 produits, il ne règle pas le problème, c'est une solution trouvée en attendant que le problème soit réglé. Les difficultés sont tellement énormes, avec une population dont 40 % vit sous le seuil de pauvreté, qu'il fallait mettre en place un dispositif transitoire pour que les gens puissent manger. Mais ça ne règle pas le problème, le bouclier qualité prix n'est pas la réponse attendue de la part de la FCD.
Je suis tout à fait prêt à ce que nous en discutions en direct.
Monsieur le délégué général, vous avez déclaré que vous vendiez du service. Je souhaite revenir aux négociations commerciales. Trouvez-vous normal que certains de vos adhérents, lorsqu'ils sont en période de négociation, reviennent sur le contrat antérieur et commencent par négocier le paiement de compensations de marge, car leur marge de l'année dernière n'a pas été suffisante ?
Trouvez-vous logique de demander à un industriel de faire un diagnostic du futur de la consommation des produits laitiers à pâte pressée, par exemple ?
Je suis sans doute naïf, mais pour moi une négociation se fonde sur des éléments tangibles : des fruits, du lait, des viandes, du textile, de la maroquinerie. Et pour les produits alimentaires ; la qualité nutritionnelle, la sécurité sanitaire, les exigences de développement durable, la protection de l'environnement et la responsabilité sociétale de l'entreprise sont d'autres éléments à prendre en compte. Mais ce que vous appelez les services sont périphériques. Lorsque M. Moreau évoque l'exemple des fraises, il faut prendre en compte la production, la cueillette, le conditionnement. Trouvez-vous normal que des pénalités incommensurables frappent le producteur lorsque la livraison a un peu de retard ? Trouvez-vous logique que lorsqu'un de vos adhérents achète un volume de fruits, il annonce après coup au producteur qu'il sera payé à un prix moindre parce qu'il y a eu beaucoup d'invendus ? Tout cela fait-il partie d'une négociation commerciale saine et sereine, et pensez-vous que cela puisse durer ?
Sur ces sujets, nous avons le système juridique le plus complexe et le plus changeant au monde. Nous pourrions nous demander si ces nombreux changements ont eu des effets positifs.
Dans ce système extrêmement complexe, toute une série de pratiques sont interdites, et c'est écrit de manière extrêmement claire. Comme cela a été évoqué ce matin dans des termes qui ne nous ont pas plu, il y a des contrôles très importants. Dans nos enseignes, il y a des contrôles en permanence ; des observations sont faites, suivies de sanctions le cas échéant.
Ce n'est pas ma question. Trouvez-vous que les pratiques que j'ai citées sont normales dans une négociation commerciale ? Lors du débat sur les états généraux de l'alimentation, le Président de la République a voulu redonner du sens. Le premier étage de la négociation concerne les producteurs et les industriels. Les indicateurs de coût de production doivent permettre de déterminer des prix. Le deuxième étage de la négociation se joue entre les transformateurs, c'est-à-dire les industriels, et les distributeurs. C'est sur cet étage des négociations que je vous interroge, je voudrais savoir si les choses ont changé depuis les états généraux de l'alimentation et si vos adhérents tiennent compte de la négociation en amont.
Mais pour en revenir aux services, certains éléments apparaissent très discutables, d'autres très virtuels. Et je ne sais pas comment les évaluer financièrement.
Je voulais vous répondre dans l'ordre de vos questions, et vous aviez d'abord parlé de compensation de marges. À ce sujet, les choses sont claires, certaines pratiques sont permises, d'autres interdites, il y a des contrôles et l'arsenal réglementaire est très détaillé.
S'agissant des services, les choses sont également claires : selon la manière de faire, la capacité à vendre est complètement différente. J'ai été très surpris – pour ne pas dire autre chose – d'entendre dire ce matin que les data fournies par nos adhérents ne valaient rien, et qu'il suffisait de les acheter à IRI et Nielsen.
Mais ce ne sont pas les mêmes data, celles dont nous disposons sont beaucoup plus détaillées.
Ce que nous envoyons tous les soirs à IRI et Nielsen, ce sont les tickets de caisse. Nous disposons de data bien plus détaillées : nous savons quel est le parcours du client, comment il passe d'un endroit à un autre, et s'il se rend au fond d'un magasin. Le fait de placer un rayon à un endroit plutôt qu'à un autre aura un impact majeur. C'est la même chose sur les Champs-Élysées : un trottoir est plus favorable car il reçoit le soleil ; on vend mieux à une certaine hauteur. Voilà les data que nous fournissons, ce qui a été dit ce matin est totalement inexact, nous rendons de très nombreux services.
Lesquels ? Vos adhérents nous expliquent qu'ils sont commerçants. Ils négocient l'achat de produits, les mettent en rayon de la meilleure manière pour les mettre en valeur, c'est leur rôle.
L'amont fait un excellent travail, vous en conviendrez. Les agriculteurs français sont compétitifs. Je ne veux plus vous entendre répéter le même couplet que Philippe Chalmin il y a cinq ans. Nous nous sommes « pris de bec », et je lui ai dit ce que je pensais sincèrement : nous avons les meilleurs agriculteurs du monde, ils consentent tous les efforts, ils répondent à toutes les attentes, françaises et européennes. De leur côté, les industriels font leur travail : je sais pour les rencontrer parfois que les industriels agroalimentaires bretons sont excellents.
Certains de vos adhérents se présentent comme des commerçants. Il est de votre responsabilité de mettre les produits en valeur et de les vendre de manière responsable au consommateur. Et il a bon dos, le consommateur ! Dans notre pays, il est guidé depuis plus de soixante ans par les prix bas. On l'a attiré dans ces grands hangars et vous le tenez maintenant en main. Une grande partie des produits consommés en France est vendue par la grande distribution. C'est donc votre responsabilité.
Je suis tout à fait d'accord : il y a un métier qui consiste à vendre.
Nous achetons un produit, et nous vendons des services pour le vendre. Nous ne faisons pas qu'acheter un produit. En tant que telle, la vente est un service.
Le type de rayon, l'endroit où le produit sera placé, la fourniture de data, tout ce qui fait qu'un produit sera mieux vendu qu'un autre.
Donc certaines enseignes sont puissantes au point d'acheter des produits à un prix qui permette au producteur de vivre, et de décider ensuite de les placer à un endroit où ils se vendront plus ou moins bien ? Et cela se vend ?
Quand vous achetez une voiture, vous achetez en même temps le service du concessionnaire, c'est normal.
Ou alors vous l'achetez à l'usine ! Je n'ai pas les mêmes relations que vous…
Chez les concessionnaires locaux, j'achète mon véhicule avec un niveau de motorisation et de prestation…
Et les services qui vont avec !
Non ! Il y a éventuellement un service, ce peut être le leasing, de l'entretien, mais c'est concret.
Pouvez-vous fournir au rapporteur la liste des services qui sont négociés auprès de vos adhérents ?
Non. Vous poserez la question aux distributeurs eux-mêmes. Nous sommes dans un monde au sein duquel il n'y a pas de normes de services…
C'est bien le sentiment que j'avais : c'est du vent. Il n'y a pas de service au consommateur, et il n'y a pas de service à l'industriel.
On peut dire cela de tout. Mettez un produit n'importe où au fond du magasin, et vous verrez s'il se vend aussi bien qu'un produit en tête de gondole avec une animation.
Bien sûr, vous fournissez des services, des data, etc. Le montant peut être discutable, la DGCCRF pourrait en juger. Mais ces services font partie de votre marge. C'est votre métier de commerçant. Quand un épicier veut faire du chiffre d'affaires et qu'il sent bien le produit, il le met en valeur pour bien le vendre.
Il nous a été déclaré que l'industriel, aussi petit soit-il, devait obligatoirement payer ces services, au risque d'être évincé. Pourquoi ne retenez-vous pas le prix produit et ne négociez-vous pas la marge avant ? Le consommateur ne décide pas des prix, en revanche, vous dirigez les prix de vos fournisseurs, car vous n'êtes que quatre enseignes, c'est là le problème. Vous me répondrez que vous êtes dix, mais ces quatre enseignes concentrent 92 % du marché. Celui qui ne veut pas de vos services n'a pas le choix. L'industriel produit, à vous de commercialiser, de décider des têtes de gondoles des animations. Ça, ce serait objectif, ça créerait de la valeur et ferait peut-être en sorte que vos adhérents ne coulent pas. Car ils sont tous en train de couler, quand les indépendants sont apparemment en train de se friser les moustaches !
Vous êtes un épicier gigantesque, et il faut en être fier, mais vous devez vous rémunérer avec des marges avant plutôt que d'imposer des choses par-derrière qui mettent tout le monde à l'agonie. Vous-mêmes êtes en train de creuser votre propre tombe avec les prix bas.
Non, cette commission d'enquête n'est pas à charge, nous voulons restaurer un équilibre. Vous l'avez très bien dit, vous êtes le premier employeur de France avec l'agroalimentaire. Les mêmes personnes qui viennent dans vos magasins travaillent pour vous ou pour l'industrie agroalimentaire. Quand elles achètent à un prix trop bas, elles se tirent une balle dans le pied. Vous avez un rôle social.
C'est la raison de la création de cette commission d'enquête : restaurer l'équilibre afin que vous puissiez recréer de la valeur, de l'expérience client, développer la recherche, pour que les gens aient envie de revenir dans vos magasins. Mais aujourd'hui, vous menez tout le monde dans le mur.
Cette dernière phrase traduit assez bien ce que j'évoquais tout à l'heure… Je rappelle au passage que l'industrie agroalimentaire est un secteur neuf fois plus petit que celui du commerce, qui regroupe 3,5 millions de salariés, soit quinze ou vingt millions de personnes en comptant les familles, il faut en avoir conscience.
Je ne vous comprends absolument pas. Les services ne sont pas inclus dans la marge, c'est pour cela qu'il y a un prix global comprenant toute une série d'éléments. À vous entendre, nous étranglons tout le monde et nous gagnons beaucoup d'argent. Mais quel est le résultat des courses ? L'industrie se porte beaucoup mieux que nous, les grands industriels voient leurs marges augmenter. Que s'est-il passé depuis la loi de modernisation de l'économie ? Qui a gagné le plus d'argent ? Les industriels ont des marges dix à onze fois supérieures aux nôtres, et en augmentation, tandis que nos marges ont été divisées par trois.
Aujourd'hui, le problème est bien là. Vous dites que tout le monde coule parmi les enseignes du commerce intégré, ce n'est absolument pas vrai. Nos adhérents ne sont d'ailleurs pas tous des enseignes du commerce intégré, Système U, par exemple, fait partie de nos membres. Aujourd'hui, les magasins de proximité et les supermarchés, qui correspondent plus à la demande du consommateur, se portent bien et certaines enseignes sont plus axées sur ce type de surface.
Par ailleurs, le marché international est plus complexe qu'avant, et notre monde se transforme de manière massive. À Shanghai, j'ai rencontré des représentants de JD.com, qui est en train de créer un million de magasins de proximité entièrement automatisés, et d'Alibaba, qui compte gagner 2 milliards de clients d'ici quelques années.
C'est notre problème aujourd'hui. Et je ne comprends pas bien que l'on se focalise sur les questions que vous me posez, alors qu'il faudrait se demander pourquoi 85 % de la consommation de porc bio est importée aujourd'hui. Pourquoi n'y a-t-il pas d'évolution de la production ?
Et pourquoi le bio est-il au prix du conventionnel chez vos adhérents ? Nous avons vu ce matin un document dans lequel le prix du litre de lait bio était de 91 centimes.
C'est toujours le même exemple, et nous le connaissons absolument par coeur.
Lors de la crise des « gilets jaunes », j'ai entendu des mères de famille qui disaient : « Je suis une mauvaise mère car je n'ai pas les moyens de payer du bio à mes enfants. »
Lors des Etats généraux de l'alimentation, il a été demandé que l'alimentation responsable soit à un prix normal. Les consommateurs doivent pouvoir profiter de prix en promotion sur certains produits.
Les choses sont claires, ces données ont été fournies. Vous pouvez toujours dire que c'est faux lorsque la vérité ne vous arrange pas, c'est un grand classique !
Quand je vous ai demandé le salaire d'un collaborateur travaillant dans le secteur du commerce de la distribution après 25 ans d'ancienneté, cet aspect était sous-jacent. Vous expliquez à ceux qui n'ont pas un pouvoir d'achat élevé comment acheter à un prix bas. C'est le résumé de cinquante ans de politique commerciale de la grande distribution : la guerre des prix.
Monsieur le président, c'est une vision datée.
Non, c'est très daté !
Je me souviens de Michel-Édouard Leclerc il y a quelques mois, qui s'opposait aux déclarations du ministre de l'agriculture Stéphane Travert, en prétendant défendre le pouvoir d'achat, les consommateurs : les prix bas. Ce n'était plus une guerre des prix, c'était une guerre de communication. Dans cette commission, nous défendons les prix justes…
Mais nous aussi !
Nous voulons que dans la filière, la valeur soit équitablement partagée du producteur au consommateur, et que chacun puisse vivre dignement de son métier, y compris les acteurs de la grande distribution.
C'est exactement ce que j'ai dit tout à l'heure. Nous ne partageons pas les valeurs de M. Leclerc dans ce domaine, et vous le savez très bien. Au sujet du lait bio, vous savez parfaitement que c'est une enseigne qui a pris sur ses marges pour donner aux consommateurs la possibilité d'acheter du lait bio. Par ailleurs, c'est la même enseigne qui a mis en place la marque « C'est qui le patron ? »
Tout cela désoriente le consommateur, car dans le même magasin, on peut trouver un litre de lait bio à 91 centimes, et un litre de lait conventionnel à 99 centimes – le fameux seuil psychologique – qui nourrit le producteur. Imaginez ces deux briques de lait à un mètre l'un de l'autre, dans le même rayonnage…
Vous connaissez très bien les règles de la consommation, nous connaissons un petit peu les consommateurs aussi, et cela fait effectivement partie des politiques commerciales. Pour autant, cela n'a pas perturbé le consommateur, qui a été ravi.
Et il y a des professionnels pour le faire.
Je vais essayer de parler de manière apaisée.
Je ne suis pas une professionnelle de la consommation ni de l'agriculture, pourtant quand je vous entends, je ne suis pas surprise. Je m'attendais à ce que nous soyons pris entre deux feux, car c'est ce que tout le monde nous a décrit depuis le début de nos travaux : ce jeu de rôles entre les transformateurs et les distributeurs, qui se renvoient la balle.
Je suis tout à fait consciente de l'importance de la grande distribution, dans ma circonscription, c'est un acteur de la grande distribution qui est le premier employeur. Mais je m'inquiète pour les emplois directs de cet employeur, ainsi que pour les emplois indirects : ceux des agriculteurs que je rencontre tous les jours, les PME, voire les grandes entreprises qui produisent pour placer des produits dans les rayons. Car je suis désolée de vous le dire, mais la guerre des prix a bien lieu aujourd'hui dans ces magasins. Quand un Lidl a ouvert à côté de la moyenne surface existante, cette guerre des prix s'est aggravée, on ne peut pas dire qu'elle n'existe pas. Le consommateur est peut-être le gagnant à court terme, mais si l'on met dans la balance les pertes d'emplois induites dans des PME, voire dans les grandes entreprises de l'agroalimentaire, tout le monde se tient, et si un acteur ne joue pas le jeu ou impose des règles trop dures, il entraîne la totalité de la branche.
J'ai aussi été cheffe d'entreprise, dans les services, et je n'ai jamais fait payer à mon fournisseur les services que je rendais à mon client. Je vous entends nous expliquer que vos data sont la connaissance du trajet du client, et la manière de valoriser les produits, mais c'est du service client ! Je ne comprends pas que vous fassiez payer à vos fournisseurs des services qui vous permettent de vendre à vos clients. J'ai été prestataire de services, et je n'ai jamais fait cela. Je donnais de la valeur ajoutée au produit, et c'est ce qui faisait ma marge.
Par ailleurs, toutes les personnes que nous avons auditionnées ont déposé sous serment, et ont juré de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Tout le monde a pris cet engagement, j'ai donc du mal à vous entendre dire que tous ceux que nous avons auditionnés auparavant, et dont les propos allaient dans le même sens, sont des menteurs.
Vous nous parlez de beaucoup de choses, notamment de vos marges, et vous semblez avoir beaucoup de respect pour l'Observatoire de la formation des prix et des marges. Ils nous ont présenté des chiffres dont il ressort qu'en GMS, les rayons « Boucherie » et « Marée » perdent de l'argent. Or ce sont justement des produits non transformés. Vous dites que tout va bien avec les agriculteurs et les producteurs, mais les produits non transformés sont justement ceux sur lesquels vous faites le moins de marge, pourriez-vous l'expliquer ?
Enfin, il n'a pas été nécessaire d'auditionner qui que ce soit pour avoir certaines informations – pour ma part elles me viennent de la commission des finances, mes collègues de la commission des affaires économiques les ont aussi – et nous savons que des plateformes d'achat sont situées aux frontières de notre territoire, notamment en Belgique. Vos adhérents se servent de ces plateformes, qui ne rapatrient pas forcément les sommes et ne paient pas toujours tous leurs impôts en France. Il y a certes les marges et les activités que vous réalisez en France, mais il y a aussi le chiffre d'affaires des holdings, qui ont d'autres activités. Certains s'allient pour faire des achats hors de nos frontières, sans payer leurs impôts en France. Vous nous parlez des marges en France, pouvez-vous nous parler des chiffres d'affaires des plateformes d'achat hors de nos frontières, comme Carrefour monde ?
Nous avons un point d'accord, monsieur Creyssel, notre système juridique et législatif est abondant : loi « Galland », réforme de la loi « Galland », loi de modernisation de l'économie (LME), loi Sapin 2, puis loi ÉGAlim… Tous ces textes existent car le sport préféré de la grande distribution est de contourner la loi dès qu'elle est votée, et il faut chaque fois prévoir des crans supplémentaires et des modifications à la loi pour faire en sorte de rééquilibrer les rapports de force au sein des filières.
Pour en revenir à vos propos sur INTERBEV, l'accord a effectivement fini par être validé au niveau interprofessionnel, mais vous l'avez bloqué pendant un moment. L'interprofession a dû faire appel à un médiateur des relations commerciales pour aboutir à des indicateurs de production car vous vous opposiez à la rémunération de 2 SMIC.
Vous dites à propos des producteurs de fraises : « Il est normal de faire ce genre de choses. ». Effectivement, il est normal qu'ils aient perdu de l'argent pendant des semaines, de même que les producteurs de porc, les semaines de délai avant la hausse des prix payés, c'est autant de gagné pour la grande distribution, et autant de perdu pour les producteurs.
Vous parlez de mensonges et de contre-vérités, nous pouvons procéder à une rapide vérification des faits car je suis en contact direct avec la Fédération française des industriels charcutiers traiteurs (FICT). Concernant l'augmentation des prix du porc, dans 80 % des cas, les renégociations sont encore en cours, avec 0 % de hausse acceptée par Casino, Carrefour, Leclerc, Cora et Lidl. Les postures sont un peu plus ouvertes, mais avec seulement 50 % d'accord, avec Système U, Metro et Intermarché. Avec Auchan, il y a 20 % d'accords. Vous nous dites que les accords ont été acceptés et que la situation est en cours de résolution, je vous oppose une vérification en direct, qui date d'aujourd'hui même. Je ne sais pas qui ment dans cette affaire.
Vous vous êtes aussi opposés à la publication des indicateurs de coûts de production par l'interprofession et par Interbev. Si l'on ne publie pas ces indicateurs, il sera évidemment difficile d'utiliser ces indicateurs dans la contractualisation.
Vous avez signé avec la FEEF une Charte de bonnes pratiques. Ce matin, un document intéressant nous a été remis : il présente les « Dix commandements » aux acheteurs Carrefour et date de fin 2018.
On y trouve les commandements suivants : « Ne jamais être enthousiaste avec un vendeur » ; « Réagir négativement à une première offre » ; « Demander l'impossible » ; « Ne pas couper la poire en deux » ; « Laisser faire le vendeur de façon à pouvoir encore marchander » ; « Pas de concessions sans contreparties » ; « Se répartir en bons et en méchants » ; « Ne pas hésiter à utiliser les faux prétextes » ; « Répéter sans arrêt, même les objections – disque rayé » ; « Toujours penser que 80 % des concessions se font dans la dernière étape » ; « Ne jamais oublier que nous devons obtenir un maximum d'informations sur la personnalité et les besoins de nos interlocuteurs, c'est ce que nous appelons l'écoute ».
Que pensez-vous de cette charte de bonne conduite que vous avez signée, et de ces « Dix commandements » ?
Madame Motin, nous n'avons jamais été partisans de la guerre des prix. Elle a fait suite, en France comme dans la plupart des pays européens, à une rupture économique et à un ralentissement du pouvoir d'achat. Lorsque les volumes n'augmentent plus, l'ensemble des acteurs se retrouvent dans une situation difficile : les industriels ont fait des propositions de baisse de prix, notamment pour restructurer leurs branches ; les distributeurs, quant à eux, se sont livrés concurrence sur les prix. Le sujet est essentiellement économique, c'est une analyse que fait aussi l'Autorité de la concurrence.
Lorsque le pouvoir d'achat augmentait, il n'y avait pas de difficultés sur les prix. Mais lorsque les prix se sont mis à augmenter de 3 % il y a quatre ans, tous les responsables politiques nous ont dit : « C'est affreux », certains nous ont demandé de freiner la hausse du SRP. Comme toujours, du côté de l'État – et parfois même à l'Assemblée nationale –, il y a ceux qui demandent que ça monte, et ceux qui réclament que ça ne monte pas. Soulignons-le, c'est le consommateur – l'électeur –, qui est désormais au centre de la décision.
Naturellement, les grandes marques multinationales, qui disposaient de marges conséquentes, ont réagi à la perte de leurs parts de marché en se lançant dans la guerre des promotions. Ce sont bien les grands industriels qui sont à l'initiative de cette nouvelle guerre. Les articles de la loi ÉGAlim sur la limitation du SRP et des promotions résultent d'un accord entre les industriels, la FNSEA, Coop de France et la grande distribution. C'est nous qui avons proposé de sortir, ensemble, de cette guerre des prix.
Si vous prenez le marché de la viande bovine, que connaît bien M. Moreau, vous voyez que tous les acteurs sont confrontés à une situation difficile, dans un marché qui recule.
Sans doute connaissez-vous mieux le dossier que moi, mais je tiens à votre disposition un document publié par Interbev, « Où va le boeuf ? » où figurent des chiffres très parlants. Nous siégeons à l'interprofession, et nous vendons une partie de la viande – même si nous ne représentons plus, je le rappelle, que 42 % du marché.
Vous avez parlé des services. Sachez que dans toutes les formes de commerce, les services sont rémunérés. Cela nous a été imposé par la loi. On pourrait, dans l'absolu, imaginer un prix unique – ce serait exactement le contraire de ce que veulent les industriels – dont nous sortirions les éléments de coopération commerciale, les services, tout ce que la loi exige pour plus de transparence. Quand bien même ce serait le cas, la marge demeurerait très faible.
Vous expliquez que toutes les personnes auditionnées sont allées dans le même sens. J'ai écouté attentivement tout ce qui s'est dit, et je ne pense pas que ce soit le cas, par exemple, de la fédération de l'agriculture biologique ou des industriels du lait. J'ai même eu le sentiment, parfois, que certains propos divergents ne plaisaient pas au président, qui aurait préféré qu'ils aillent dans le sens qu'il souhaitait.
S'agissant du chiffre d'affaires, les choses sont claires : les entreprises, notamment celles que je représente, ont des comptes consolidés qui incluent aussi, monsieur le président, les éléments sur le foncier. Les données sont publiques. Le secteur ne se porte pas particulièrement bien en France, mais c'est aussi le cas dans d'autres pays comme le Brésil ou la Chine, où la compétition est très rude. Je demeure néanmoins très confiant pour l'avenir. Il s'agit d'un secteur en pleine transformation, qui doit s'adapter à un monde omnicanal, en automatisant, par exemple, les tâches. Il a besoin d'investir davantage, et il est vrai que la faiblesse de ses marges pose problème.
Monsieur Moreau, plus les lois sont complexes, plus elles servent les grandes entreprises et Amazon. Les grandes entreprises, qui sont dotées de services juridiques, poussent à la complexité des lois ; les PME, qui n'ont pas cette capacité, sont perdantes : Dominique Amirault, le président de la FEEF, estime que tout ce qui est législatif représente un coût supplémentaire et une perte de parts de marché.
La grande distribution tire aussi son parti de la complexité juridique : nous avons reçu un cabinet d'avocats qui défend notamment vos intérêts !
Nous sommes obligés de nous adapter, même si cela représente des coûts supplémentaires. Mais à la différence des grands industriels, nous ne sommes pas partisans de la complexité.
Le deuxième grand gagnant, c'est Amazon. Tout ce qui est fait à l'Assemblée nationale est une aide d'État déguisée à Amazon. À chaque fois que vous votez une nouvelle loi, que vous créez un impôt supplémentaire, Amazon se félicite de loin : vous compliquez la vie de ses concurrents, alors que la sienne est simple. Il faut que nous ayons conscience que le monde est très ouvert, et bien différent de celui qu'il était avant.
Sur la consommation de viande bovine, monsieur Moreau, vos informations datent sans doute d'il y a quelques jours, car Interbev vient de sortir ses chiffres.
Nous pouvons témoigner de ce qu'a dit Jean-Baptiste Moreau : la Fédération nationale bovine nous a indiqué hier que la consommation de viande bovine en France avait augmenté de 2 %.
Nous avons déjà eu cette discussion au salon de l'agriculture. La production a augmenté, mais la consommation dans nos magasins est à - 3,5 %. À moins que le reste n'ait augmenté de manière massive, il y a un problème de recollement des chiffres. Nous parlons de la grande distribution, je vous donne les chiffres qui nous concernent. Mais encore une fois, nous ne représentons que 42 % du marché et il faut regarder de manière très détaillée ce qu'il se passe pour les 58 % restants. C'est aussi le cas du marché du lait, où notre part n'est que de 37 %. Les résultats ne se résument pas à ceux enregistrés par la grande distribution !
C'est bien la raison pour laquelle Cendra Motin vous a demandé les résultats de Carrefour monde.
Je vous enverrai les résultats, mais sachez que Carrefour est une entreprise cotée et que vous pouvez les obtenir sur le site carrefour.com. La transparence, chez nous, est absolue !
Nous avons de très nombreux accords avec la FEEF. Ainsi, nous avons signé un texte commun il y a quelques années sur le déréférencement – qui n'est pas une pratique interdite, mais encadrée –, prévoyant les délais de mise en oeuvre, en fonction de la part du produit dans le chiffre d'affaires de l'entreprise.
Les éléments dont je dispose montrent qu'en aucun cas le document qui vous a été transmis ce matin n'émane de la direction de Carrefour. Celle-ci vous l'a d'ailleurs fait savoir.
Chacun des membres de la commission s'est pourtant vu remettre ce document où figurent les « Dix commandements » aux acheteurs.
La direction nationale de Carrefour a aussitôt diligenté une enquête. On peut imaginer – la question devrait être posée directement à l'enseigne – que ce document a pu servir dans des négociations de produits locaux. Pour les négociations nationales, il est évident que de telles instructions n'existent pas.
…et si ce document existe vraiment !
Je rappelle que les personnes entendues par cette commission d'enquête prêtent serment. On ne peut donc imaginer qu'il s'agisse d'un faux.
Pour conclure, je souhaiterais revenir sur l'article 1er de la loi ÉGAlim, qui est fondamental parce qu'il renverse le mécanisme de négociation. Nous y sommes totalement favorables. Malheureusement, il n'est pas encore mis en oeuvre, notamment en raison des différents calendriers législatifs des interprofessions. Ce changement complet dans le type de négociation suppose d'abord de la transparence.
Je rappelle que la loi ÉGAlim prévoit trois types d'indicateurs, à commencer par les indicateurs de coûts de production. Il y a eu un débat syndical sur les 2 SMIC.
Pour autant, faut-il que la rémunération d'un agriculteur atteigne 2 SMIC quand celle du petit commerçant ne s'élève qu'à 1 SMIC ? C'est un sujet de société. Il se trouve que la loi parle des indicateurs de coûts, non des objectifs.
Le deuxième indicateur est celui du marché. Vous savez que les prix dépendent d'abord du marché. Si tel n'était pas le cas, cela se traduirait par une augmentation des importations. De ce point de vue, l'analyse de l'Autorité de la concurrence sur l'ordonnance « prix bas » est très intéressante : elle montre qu'il serait très grave pour l'agriculture française que le coût de production devienne un prix plancher.
Permettez-moi une observation. Vous regrettez le ton agressif ou à charge que nous aurions à votre égard. Sachez que nous avons usé du même ton envers toutes les personnes auditionnées, mais que l'attitude dont vous faites preuve depuis le début de cette audition, et le comportement des personnes qui vous accompagnent, sont pour le moins étonnants et sans doute révélateurs. Ils laissent imaginer l'ambiance à la table des négociations…
Vous êtes arrivé en terrain conquis, monsieur. Vous avez asséné des chiffres, vous nous avez expliqué, à nous députés, ce que contient la loi que nous avons votée, vous avez déglingué, et vous êtes le seul à l'avoir fait, une personne auditionnée précédemment. Si vous observez la même attitude dans les négociations, ce doit être terrible. Sachez que, pour notre part, nous n'avons rien à vendre, ni à acheter, que nous sommes libres et que nous avons un peu de répondant.
J'en viens à ma question. Le modèle est à bout de souffle et certaines enseignes vont mal. Sur quoi ces grandes surfaces qui sont en train de se casser la figure vont-elles pouvoir se rattraper ? Sur les services ?
Je serai bref car je dois partir pour m'occuper de mes vaches – ce sera meilleur pour ma tension.
Le revenu moyen des agriculteurs était exactement de 17 700 euros en 2017. Aucun autre chiffre n'a été publié depuis et je ne pense pas qu'il soit possible que M. Creyssel connaisse ceux de 2018. Ces 17 700 euros correspondent à un revenu : cela n'a rien à voir, vous le savez bien, avec le salaire versé, ni même, hélas, avec le bénéfice de l'exploitation agricole. Parler de 1,2 ou 1,3 SMIC, c'est du « pipeau » intégral !
Je suis désolé que vous puissiez imaginer que je me sois senti en terrain conquis ; ce n'était pas du tout mon sentiment en arrivant, bien au contraire. Par ailleurs, je réponds de manière vive à des questions vives.
Il sera intéressant de relire le compte rendu. Il est normal que vous posiez des questions, du reste pointues, de manière vive. Il est normal que je vous réponde en toute franchise. J'espère que M. le président ne m'en veut pas trop de dire les choses.
Je vous ai fait part des chiffres dont nous disposons. Ce matin, j'ai entendu des propos anormaux et je ne serais pas dans mon rôle si je ne les dénonçais pas ici. Des choses graves ont été dites, et je ne pouvais que le souligner, sans attendre d'être interrogé par le président. Enfin, je sais que vous connaissez par coeur la loi ÉGAlim ; je n'entendais pas vous faire un cours, mais rappeler les éléments de l'article 1er pour expliquer ce qui a fonctionné et ce qui n'a pu être encore mis en oeuvre.
Vous m'avez demandé comment les grandes surfaces allaient « se rattraper »… des termes qui en disent long, d'ailleurs, sur votre propre approche. Comme je l'ai dit d'emblée, nous sommes dans une période de rupture. Nos métiers évoluent pour s'adapter au phygital ou à l'omnicanal. Les magasins se réinventent pour apporter plus de services. L'e-commerce se développe : nos clients commandent de chez eux pour se faire livrer à leur domicile ou au magasin, les innovations sont nombreuses, le drive piéton n'existait pas il y a peu, et nous comptons aujourd'hui 4 000 drives voiture.
Mon message, c'est que nous allons nous en sortir… à condition que vous nous y aidiez. Notre problème, et cela explique peut-être mes réactions un peu vives, c'est que nous devons faire face à des charges que ne supportent pas nos concurrents. Nous payons par exemple les impôts fonciers et la taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM).
Cela représente plus que la marge nette ! Il faut considérer ce qu'est la réalité économique. Bruno Le Maire a bien parlé de distorsion de concurrence. Je rappelle que vous avez voté l'article 1er bis du projet de loi sur la taxe sur les services numériques, qui prévoit que le Gouvernement remettra dans les trois mois un rapport au Parlement précisant les différences de prélèvement entre les entreprises du commerce physique et les entreprises du commerce en ligne.
Au-delà de la fiscalité, nous rencontrons aussi des problèmes d'approvisionnement. Il est anormal que les industriels soient contraints d'importer 85 % du porc bio, alors que c'est un secteur que nous sommes capables de développer et où tout le monde peut gagner davantage d'argent. Le porc bio est payé 3,70 euros, le porc conventionnel, 1,50 euro le kilo.
Nous avons aussi un problème de sécurité sanitaire. Nous développons les block-chains, nous modifions les mécanismes des retraits et rappels de produits – et ce n'est pas la moindre des choses que de changer tout le système des codes-barres. Votre rapport a bien montré que nous n'étions pas à l'origine du problème dans l'affaire Lactalis, monsieur le rapporteur, mais c'est pour nous un sujet essentiel. Dans ce domaine comme dans d'autres, les relations commerciales doivent effectivement s'apaiser. Il est tout de même extraordinaire que, dans notre pays, les fournisseurs passent leur vie à nous critiquer !
Nous ne sommes pas dans le monde des Bisounours. Les choses sont difficiles pour tout le monde lorsqu'il n'y a pas de croissance et que le pouvoir d'achat n'augmente pas.
Reconnaissez que certains de vos adhérents se sont livrés à la guerre des prix et des promotions…
Il y a cinq ans, les prix augmentaient de 3 % chaque année.
…donnant lieu à des scènes abracadabrantesques, comme des ruées de consommateurs sur certains produits en promotion. Mais jusqu'à une période récente, on n'a pas vu de magasins fermer.
C'est un argument qu'il va être difficile d'utiliser.
Dans ma région, les magasins demandent encore des agrandissements, et les obtiennent. Ce que rencontre la grande distribution aujourd'hui me fait penser à la situation du petit commerce il y a cinquante ou soixante ans, lorsque les grandes enseignes sont arrivées. C'est une nouvelle bataille commerciale qui se livre, nous sommes à la croisée des chemins.
On nous accusait tout à l'heure de détruire des emplois, il se trouve que l'on en a créé beaucoup ; on nous dit qu'il est épouvantable que les prix baissent, il se trouve que ce n'est plus le cas aujourd'hui. Nous sommes tous dans une situation compliquée et il faut, de surcroît, que l'on satisfasse le consommateur.
Il y a aujourd'hui deux maillons faibles – l'agriculture et la distribution ; au milieu, les industriels, se portent plutôt bien. Je rappelle que ce sont eux qui discutent avec les agriculteurs.
Ils sont tout de même contraints par le deuxième acte des négociations, qui se déroule avec vous.
Et leurs marges montent.
Leclerc ne fait pas partie des adhérents de la FCD. Lors des auditions préparatoires à la loi ÉGAlim, nous avons bien vu que celui qui ne voulait pas signer les chartes, c'était Michel-Édouard Leclerc. Vous représentez des grosses entreprises, qui doivent reverser des dividendes à leurs actionnaires, et il n'y a pas de mal à gagner de l'argent. Mais je voudrais obtenir de vous une réponse pragmatique et courageuse : estimez-vous avoir été entraînés dans la chute par les indépendants et un groupe comme Leclerc, qui prônent des prix toujours moins élevés – 5 % inférieurs à ceux de vos adhérents ? Est-ce cela qui vous a tirés vers le bas ?
Je ne crois pas que ce soit une question d'indépendants ou d'intégrés, même si les modèles sont différents : je rappelle que Système U fait partie de notre fédération. Michel-Édouard Leclerc n'a jamais caché qu'il poursuivait une stratégie de prix bas depuis toujours.
Prenons l'exemple des comparateurs de prix. Ils ont clairement favorisé la guerre des prix. Les interdire n'était pas conforme au droit de l'Union européenne, mais nous avons proposé, au nom de toutes nos enseignes, d'interdire la publicité sur ces comparateurs de prix, ce qui était possible. Une enseigne a refusé : Leclerc. Cette mesure n'a pas pu être mise en place, et c'est dommage, parce ce sont des signaux très clairs.
Dans un communiqué récent, nous avons indiqué qu'il fallait rouvrir les négociations sur le porc, vingt-quatre heures après en avoir discuté avec les professionnels concernés. La FCD a considéré qu'elle était dans son rôle, car ses adhérents, qu'il s'agisse de Carrefour, de Casino, de Système U, de Lidl ou d'Auchan développent les contrats tripartites – 26 000 producteurs concernés à ce jour –, font en sorte que chacun puisse vivre dignement de son métier et promeuvent une alimentation sûre, comme le demandent les consommateurs. Ce sont là nos valeurs.
Je trouve fondamentalement injuste que l'on nous mette régulièrement sur le dos les malheurs de l'agriculture française, dont on sait qu'ils ont bien d'autres causes, l'attitude d'autres acteurs de la distribution, alors qu'il est notoire qu'ils pensent de manière différente, et la situation prétendument épouvantable de l'industrie agroalimentaire, bien que son chiffre d'affaires ait progressé de 1,5 % et que le secteur ait recruté.
Après quasiment deux heures et demie d'audition, j'ai l'impression que le Jacques Creyssel qui se tient devant moi devient de plus en plus humain : nous sommes en train de parler de propositions, et de problèmes.
Vous vous êtes tiré une balle dans le pied avec les prix bas, qui ont grignoté les marges de vos adhérents au cours du temps. Cette commission ne travaille pas à charge contre la grande distribution, nous souhaitons recréer de l'équilibre. J'évoque un des acteurs, Michel-Édouard Leclerc, et je vois alors votre visage changer. J'aurais presque envie d'aller prendre un verre avec vous !
Cette commission aborde les vies de femmes et d'hommes en difficulté, en bas et en haut de la chaîne. Si vous me disiez aujourd'hui que vous avez eu un problème car il y avait un mauvais élève dans la classe et que l'État n'ayant pas su être un bon professeur, ce mauvais élève a fini par contaminer toute la classe et que c'est la raison pour laquelle les résultats ne sont pas bons, je comprendrais mieux l'état dans lequel vous vous mettez lors des négociations.
Lors des débats sur la loi ÉGAlim, tout le monde se tapait dans le dos et s'encourageait à changer les choses, mais il y en a un qui n'était pas là. J'ai besoin d'entendre la vérité : sommes-nous capables, tous ensemble, de faire remonter les prix pour aboutir à des prix justes, ou pensez-vous qu'il y a encore un acteur qui nous tire tous vers le bas ?
Ce sont des questions très complexes, auxquelles il est toujours très compliqué de répondre. Nous estimons que 30 % des consommateurs font leurs courses à un euro près, et il faut en tenir compte au même titre que ceux qui sont capables de payer plus cher. Naturellement, en fonction des sensibilités des uns et des autres, certains vont s'adresser plus spécifiquement à un type de consommateurs, ce qui rend les choses complexes. Il est vrai que Michel-Édouard Leclerc a toujours été du côté des prix bas, et il le dit, c'est d'ailleurs pourquoi nous avons une position complètement différente de la sienne, notamment sur le SRP et sur les promotions.
Il faut tout de même regarder les choses de manière positive : la DGCCRF a estimé que les négociations s'étaient globalement mieux passées que les années précédentes.
Le lait fournit un exemple très intéressant, car c'est le seul marché pour lequel il y a une obligation de contractualisation. C'est donc le seul marché où existe une organisation, malgré les aspects monopolistiques que j'évoquais et qui perturbent un peu les choses, ainsi qu'un problème de manque de transparence.
Mais la transparence progresse, et tous les éléments qui ont été mis en place par ÉGAlim, dont certains sur nos propositions, peuvent changer la donne. Il faut faire en sorte que tous aillent dans la même direction ; et dans un environnement concurrentiel, si l'un des acteurs ne joue pas le jeu, les autres sont obligés de s'aligner.
Il faut bien avoir conscience que nous ne sommes pas dans un monde franco-français, et l'évolution des prix d'achat et des prix de vente a été la même en France que dans le reste de la zone euro. En Allemagne, où l'industrie est également concentrée, certes un peu moins qu'en France, les relations sont différentes car il n'y a pas un acteur différent des autres. C'est donc certainement un élément au sein de l'ensemble, mais je ne sais pas comment faire évoluer le comportement de l'acteur en question.
Monsieur Creyssel, quel regard portez-vous sur les marques de distributeurs ? Vous avez parlé des grands groupes industriels et des PME, nous aimerions évoquer les marques de distributeurs. Quel a été leur rôle au cours des vingt dernières années, et quelle est leur évolution ?
Je rappelle tout d'abord que les MDD sont à l'origine de la distribution. Les premières sont nées au début du XXe siècle, avant les marques nationales. Ce n'est donc pas quelque chose de nouveau.
Il se trouve que les marques de distributeurs se sont moins développées en France qu'ailleurs, l'Espagne en offre une bonne illustration avec l'enseigne Mercadona. En France, Picard ne vend que des marques distributeurs, et c'est une réussite formidable.
Jusqu'à présent, les marques de distributeurs étaient largement orientées sur les premiers prix et sur des produits proches de ceux des marques nationales. Elles ont connu un déclin ces dernières années car la guerre des promotions entre marques nationales a eu l'effet de les déréférencer en prix.
Aujourd'hui, si l'inflation revient sur les marques nationales, les MDD retrouveront une place. L'essentiel est qu'elles sont en train de complètement changer, pour se rapprocher des marques premium. Le dioxyde de titane en donne une illustration : nous avons pris l'engagement de le supprimer immédiatement des MDD, tandis que c'est plus compliqué pour les marques nationales, pour des raisons industrielles complexes. Les produits sans huile de palme sont vendus par les MDD. Les MDD sont des éléments de qualité et de différenciation, c'est la grande nouveauté. Elles ont un avantage énorme, comme vous l'a dit Dominique Amirault : elles sont fabriquées à 80 % par des PME, dont une part très importante d'entreprises françaises.
L'un des grands bouleversements des dernières années est l'attrait des consommateurs pour les produits « locaux », « vegan », « bio », « sans gluten », et les grandes marques ne savent pas faire de tels produits car il s'agit de petites séries.
De plus, le goût des Français pour ces produits ne se retrouve pas complètement dans d'autres pays. Nestlé, Procter et Gamble, Unilever et autres ont une vision continentale, et pour ces marques, l'Europe est un marché mature sur lequel il n'est pas nécessaire de faire de grands investissements. Pour elles, il vaut mieux investir en Afrique ou en Asie car c'est là-bas que le développement est le plus rapide.
C'est pour cela que l'innovation, donc la croissance, vient aujourd'hui des PME, et que les grands industriels ont parfois des positions un peu dures – visiblement moins que les miennes ! Les marques voient leur image considérablement se dégrader, la consommation d'un certain nombre de produits de grandes marques très connues diminue très fortement, par exemple parce qu'ils contiennent trop de sucres. Nous constatons un changement considérable, et les MDD, comme les PME, ont un rôle fondamental à jouer. Il faut les encourager.
J'ai cru comprendre qu'il était question de remettre en cause les marques de distributeurs, c'est au contraire une chance pour les PME françaises.
L'entreprise Hénaff, en Bretagne, a décidé d'arrêter de travailler pour les MDD. C'est une belle PME, précurseure dans son domaine, qui fabrique un produit d'excellence, et elle a décidé de cesser de travailler pour les marques de distributeurs à la suite des évolutions de la distribution et de la volonté du consommateur.
Mais si vous écoutez les représentants de la FEEF, c'est plutôt l'inverse qui se produit la plupart du temps, de plus en plus de PME travaillent pour des marques de distributeurs.
Nous sommes dans un monde de liberté, nous avons sans doute développé très fortement le nombre de produits dans les magasins en France, et il est normal que des ajustements se fassent en permanence.
Il se passe la même chose du côté des industriels, quand ils gagnent moins d'argent sur un produit, ils arrêtent sa production. Et un autre arrivera peut-être avec un produit au moins aussi bon, et éventuellement moins cher. C'est le cours normal des affaires.
Monsieur Creyssel, il nous reste à vous remercier des réponses que vous avez apportées à la commission d'enquête. Au moment opportun, le rapporteur pourra être amené à vous solliciter par écrit, auquel cas vous lui répondrez.
J'aimerais que vous nous fournissiez la rémunération d'un collaborateur en fonction de son ancienneté, et que vous puissiez nous préciser la liste des services que vos adhérents fournissent. Nous verrons avec le rapporteur comment travailler avec vous pour avoir ces éléments.
La séance est levée à vingt et une heures.
Membres présents ou excusés
Réunion du mercredi 29 mai 2019 à 18 h 35
Présents. - Mme Ericka Bareigts, M. Thierry Benoit, M. Grégory Besson-Moreau, M. Guillaume Garot, M. Yannick Kerlogot, Mme Martine Leguille-Balloy, M. Jean-Baptiste Moreau, Mme Cendra Motin, M. Jean-Pierre Vigier
Excusés. - Mme Michèle Crouzet, Mme Dominique David