La séance est ouverte à 16 heures.
Présidence de M. Éric Ciotti, président
Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux avec l'audition de M. Pierre de Bousquet, coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, accompagné de Mme Agnès Deletang, sa conseillère.
Je vous précise que cette audition se déroulera à huis clos, sans la présence de la presse, et ne sera pas diffusée sur les canaux internes de l'Assemblée nationale.
Avant de vous laisser la parole, je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite, monsieur le préfet, madame, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Pierre de Bousquet et Mme Agnès Deletang prêtent successivement serment.)
Avant de répondre à vos questions, je présenterai rapidement la coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme. Il ne s'agit pas d'une instance d'action opérationnelle, laquelle relève de l'exclusive responsabilité hiérarchique et politique des ministres concernés. Comme son nom l'indique, elle assure la coordination de l'ensemble des services de renseignement et de ceux concourant à l'action de renseignement, tant du premier que du second cercle. Son rôle est de nature institutionnelle : elle s'attache à l'orientation en matière de renseignement, au conseil et à la représentation de la communauté du renseignement.
En restant en dehors de l'enquête judiciaire et en ne franchissant pas la limite que m'impose la classification « secret défense », je peux dire d'emblée que l'affaire qui occupe votre commission d'enquête nous a préoccupés au plus haut point car elle révèle des dysfonctionnements dans les procédures d'habilitation et de renouvellement d'habilitation ainsi que dans le suivi au long cours des personnels travaillant dans les services de renseignement ou concourant à l'action de renseignement, comme c'est le cas de la direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP) qui, même si elle ne fait pas partie du premier cercle, occupe une place extrêmement importante dans l'écosystème français du renseignement.
Plusieurs questions occupent notre commission d'enquête. L'une d'entre elles a trait aux relations entre services de renseignement. Mickaël Harpon, fonctionnaire de la préfecture de police, fréquentait une mosquée du Val-d'Oise où officiait un imam suivi par le renseignement territorial. Quelle analyse faites-vous des relations entre la DRPP, qui a compétence sur la plaque parisienne et la petite couronne, et le service central du renseignement territorial (SCRT) ?
Les relations entre les deux services sont généralement très fluides, encore qu'il soit toujours possible d'améliorer les choses.
S'agissant de la mosquée, j'ai compris qu'elle ne constituait pas un objectif prioritaire pour les services de renseignement car elle n'est pas étiquetée comme étant salafiste, même si l'imam que vous évoquez, par son passé et ses postures, a attiré l'attention des services de renseignement.
Monsieur le préfet, vous avez souligné d'emblée qu'il y avait eu des dysfonctionnements. Pourriez-vous en dresser une liste détaillée ?
Cela risque de prendre du temps.
Je n'ai pas connaissance des éléments de l'enquête judiciaire et la coordination du renseignement et de la lutte antiterroriste n'a pas encore procédé au retour d'expérience auquel elle se livre depuis sa création pour chacun des attentats ou chacune des tentatives d'attentat qu'elle estime d'importance significative. S'agissant de ce qui s'est exactement passé, je serai donc très prudent.
La coordination nationale n'ayant pas un rôle opérationnel, je vais essayer d'élever ma perspective vers la question générale des habilitations et de leur renouvellement.
Pour ce qui est des habilitations, on peut se demander si un usage trop large n'en est pas fait dans notre République. Elles concernent en effet environ 300 000 personnes, ce qui est considérable. Elles ont connu ces dernières années, pour des motifs de sécurité, une augmentation qui s'est traduite par des difficultés capacitaires pour les services qui en ont la charge. C'est le cas notamment pour les services de renseignement du premier ou du deuxième cercles qui, comme vous l'imaginez, appliquent pour leur propre personnel des règles d'habilitation renforcées. Depuis les attentats de 2015, ils ont eu à recruter plusieurs milliers d'agents qui, compte tenu des urgences actuelles, ont été principalement affectés dans les divisions opérationnelles. Sans doute n'a-t-on pas veillé suffisamment à faire monter en puissance de manière proportionnelle les services de soutien, qui sont tout aussi nécessaires.
Face à de telles difficultés capacitaires, il y a deux variables d'ajustement.
La première est la rigueur de la procédure d'habilitation.
Oui, je voulais dire qu'elle avait tendance à diminuer.
La seconde variable est la durée de validité. Il est certain qu'un délai de sept ans est plus confortable qu'un délai de cinq ans.
Il se trouve que cette durée de validité a été allongée récemment et que ce n'était peut-être pas une bonne idée. Sans doute la rigueur de certaines phases de la procédure, notamment dans les services de renseignement, a-t-elle pâti de la nécessité d'habiliter davantage de personnes dans un temps plus court.
Cette procédure repose sur le recueil de plusieurs renseignements : ceux fournis par l'intéressé lui-même, à travers des questionnaires à remplir ; ceux obtenus par le criblage des fichiers ; ceux tirés des enquêtes effectuées pour vérifier que tout concorde – entretiens avec la personne qui doit être habilitée, enquêtes de voisinage, contrôles effectués selon diverses techniques. Quand on doit habiliter un plus grand nombre de personnes, l'analyse des déclarations et le criblage sont effectués comme il se doit mais l'enquête est peut-être menée avec moins de rigueur ou de manière moins approfondie, ce qui ne veut pas dire qu'elle n'est pas faite.
De ce que j'ai compris, des consignes ont d'ores et déjà été transmises pour rappeler les services en charge de l'habilitation, quels qu'ils soient, à davantage de rigueur.
J'en viens au renouvellement des habilitations. La durée de validité varie en fonction du degré de l'habilitation : pour le « très secret défense », elle est plus courte que pour le « confidentiel défense ». Le renouvellement doit être en principe soumis à des règles semblables à la procédure d'habilitation, en tout cas on peut l'imaginer. Ce que je crains, c'est que le travail ne soit pas aussi approfondi qu'il le faudrait du fait des difficultés capacitaires que je viens d'évoquer et de certaines habitudes prises s'agissant d'agents déjà habilités qui vont tous les jours au bureau et qui ne semblent pas poser de problème.
En outre, entre l'habilitation et le renouvellement de l'habilitation, la sagesse voudrait que, par quelques coups de sonde, on vérifie que les personnes habilitées restent bien dans la ligne. Certains services procèdent à de tels contrôles, d'autres ne le font pas de manière aussi régulière que ce qui s'imposerait idéalement.
Et que diriez-vous de la DRPP ? Fait-elle partie de ces services appelés à faire preuve de davantage de rigueur ?
La DRPP ne fait pas partie des services de renseignement du premier cercle. Les règles de sécurité qui s'imposent à elle sont sans doute moins drastiques qu'à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ou à la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). Je connais mieux la DGSI pour avoir exercé des responsabilités à la direction de la surveillance du territoire (DST), dont elle est en partie issue et qui n'était pas connue pour plaisanter avec sa sécurité interne – l'ambiance était même un peu suspicieuse. À la DRPP, la sécurité interne a pu connaître quelques lacunes. Précisons toutefois que Mme Bilancini, depuis qu'elle a pris la tête de cette direction, il y a plus de deux ans, a pointé cette forme de légèreté et a entrepris d'y remédier – je me souviens très bien qu'elle a évoqué ce fait devant moi. Je ne suis pas juge de la situation dans laquelle elle a trouvé ce service mais je puis formellement attester qu'elle a très bien pris en compte cet enjeu, même si repasser tout le personnel au crible est extrêmement lourd du fait des problèmes capacitaires. Elle a noué une convention avec la DGSI, non pour lui demander de procéder directement à l'habilitation des agents de la DRPP mais pour se caler sur sa procédure d'habilitation, plus rigoureuse. Visiblement, cela n'a pas suffi.
Il nous a été indiqué plusieurs fois que la directrice actuelle de la DRPP avait d'une certaine façon repris en main le service. Mais à partir du moment où des lacunes ont été constatées, pourquoi n'être pas revenu sur la détection de certains signaux ? Pourquoi n'avoir pas pris en compte l'« émoi », pour reprendre les termes mêmes de Mme Bilancini, suscité par les propos attribués à Mickaël Harpon après l'attentat contre Charlie Hebdo ? N'y a-t-il pas eu une faille dans cette remise à plat de procédures dont on a pu nous dire qu'elles n'étaient pas à la hauteur d'un service de renseignement, fût-il du second cercle ? Entendons-nous bien : notre volonté n'est pas de mettre en cause la directrice mais de chercher à comprendre pour mieux analyser la situation.
Après ce qui est arrivé, on ne peut que conclure qu'il aurait fallu tout remettre à plat mais, cela posé, on bute nécessairement sur une limite capacitaire. Mme Bilancini s'est attaquée au flux avec beaucoup de sincérité. Je ne sais comment elle organisait ses priorités. Je peux simplement attester qu'elle a perçu le problème qui se posait et qu'elle a essayé, avec les moyens dont elle disposait, d'y remédier. Elle aurait certainement pris en compte aussi le stock mais cela aurait pris plusieurs années. Je doute fort que, depuis deux mois, les services du premier cercle aient eu la capacité de revoir toutes les habilitations des 15 000 personnes qui travaillent en leur sein.
Les auditions successives nous ont permis de nous faire une idée assez juste des difficultés auxquelles les services de renseignement sont confrontés et des dysfonctionnements qui sont apparus. Ne pensez-vous pas que la DRPP devrait confier ses procédures d'habilitation et de renouvellement à un service extérieur, à l'instar de ce qui se fait dans beaucoup de pays étrangers ? Cela éviterait le danger lié à l'impression de former une grande famille à l'intérieur de laquelle la confiance l'emporte, ce qui peut être un défaut tout à fait humain après tout.
Deuxièmement, il semblerait, d'après la presse, que Mickaël Harpon ait eu accès à un grand nombre de données, dont certaines de nature éminemment sensible. Je pense aux coordonnées de centaines voire de milliers d'agents du renseignement – nous avons tous en tête le double assassinat de Magnanville. Ont aussi été évoqués des fichiers comprenant l'identité des agents infiltrés dans les mosquées salafistes d'Île-de-France. Avez-vous confirmation de ces informations ? Comment concevoir que la vigilance ait été aussi faible s'agissant d'un agent qui avait entre ses mains une véritable bombe atomique ?
Je ne vais pas tourner autour du pot. À votre première question, je réponds sans hésiter « oui ». Dans les petits services, il serait plus sûr que les procédures d'habilitation soient confiées à des services ayant davantage de capacités. Les personnels de la coordination nationale, qui ne constitue pas un service, sont tous habilités au niveau « très secret défense » par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) après une enquête menée par la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) pour les militaires et par la DGSI pour les civils. Dans les très grandes directions qui comptent plusieurs milliers de personnes, on peut imaginer que des services dédiés, très professionnalisés, sans lien avec le reste de l'entité, soient en charge de ces procédures. À la DGSI, par exemple, l'inspection générale ne reçoit pas d'instructions du directeur général. Cette direction est suffisamment vaste pour qu'il y ait une étanchéité. Dans des petits services comme TRACFIN – la cellule de traitement du renseignement et d'action contre les circuits financiers clandestins – ou la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), les procédures sont confiées à des services extérieurs. Il ne m'appartient pas de systématiser cette règle mais ce serait évidemment plus sage de le faire.
S'agissant de votre seconde question, je suis moins qualifié pour me prononcer. Je ne connais pas les éléments de l'enquête et ignore à quelles informations Mickaël Harpon avait accès. En tant qu'opérateur de maintenance technique, compte tenu de son habilitation et de la confiance qu'on plaçait en lui, il n'est pas absurde qu'il ait eu accès à un ensemble de fichiers. D'un point de vue général, il serait bon que les habilitations et les accès soient calibrés en fonction de la responsabilité des agents. Peut-être le niveau des accès dont Mickaël Harpon bénéficiait était-il un peu trop large par rapport à la nature des tâches, de premier niveau, qu'il accomplissait. C'est certainement un aspect sur lequel il faut aussi travailler.
Merci pour ces précisions très importantes, monsieur le préfet. Je voudrais revenir sur la notion de premier et de deuxième cercles. Vous avez souligné les différences qui existaient entre ces services en matière d'habilitation. J'imagine que les habilitations varient aussi en fonction des cibles traitées. Or la DRPP s'occupe à la fois de sécurité intérieure et de renseignement territorial. En réalité, c'est comme si une équipe de Pro D2 participait à des matches du Top 14 sans avoir l'entraînement ou les compétences nécessaires. Ce système hybride n'a-t-il pas vécu ? Ne faudrait-il pas le revoir, notamment en permettant à la DGSI d'accéder aux fichiers de la DRPP ?
Je vais poser une question peut-être iconoclaste qui est au cœur de nos travaux et qui était sous-jacente dans la comparaison sportive de notre collègue Jean-Michel Fauvergue. La dualité entre la DGSI et la DRPP a-t-elle encore une pertinence ? Ne faudrait-il pas intégrer une partie de ce service au sein de la DGSI ? Je sais que cette évolution est au centre de beaucoup de réflexions.
Nous sommes à huis clos jusqu'à ce que mes propos figurent dans votre rapport… Quoi qu'il en soit, j'ai pour habitude de parler librement. Je ne vais donc pas me cacher derrière mon petit doigt.
C'est une question stratégique. Elle entre donc dans vos compétences, si j'ai bien compris.
Effectivement, c'est une question tout à fait stratégique.
Je me permets de récuser la comparaison footballistique de M. Fauvergue.
Je vous prie de m'excuser. Vous voyez où j'en suis dans ce domaine…
(Sourires.)
Depuis qu'on m'a confié la coordination du renseignement, j'ai pris un grand soin d'associer bien davantage le deuxième cercle à nos travaux. En effet, sur le plan institutionnel, le président Macron a voulu élargir la compétence de la coordination du renseignement au deuxième cercle.
De fait, si on considère les choses du point de vue non pas de l'organisation mais des missions, la distinction entre le premier et le deuxième cercles tient exclusivement à la capacité qu'ont les services du premier cercle d'utiliser la totalité des techniques de renseignement, ce qui n'est pas le cas des services du deuxième cercle. On trouve, dans le premier cercle, de grands services, tels que la DGSE et la DGSI, mais aussi des services de niche, qui sont excellents mais de petite taille, comme TRACFIN ou la DNRED. Dans le deuxième cercle, il y a des services beaucoup plus importants que ces derniers sur le plan quantitatif, et qui, en matière de renseignement, et a fortiori de lutte contre le terrorisme, sont pour nous cardinaux et même plus importants que certains services du premier cercle. Il est donc tout à fait logique que nous coordonnions l'ensemble. Ainsi, le renseignement territorial, le renseignement pénitentiaire et la DRPP sont, pour la lutte contre le terrorisme, des services éminemment importants, quand bien même ils n'ont pas besoin d'utiliser, au niveau technique, la totalité des techniques de renseignement.
Voilà pour ce qui est de la théorie. En ce qui concerne l'organisation qui en découle, je connais depuis bien longtemps la proximité qui existe entre la DRPP et la DGSI. Il y a vingt ans déjà – pardonnez-moi cet historique –, la DST fonctionnait dans une grande proximité avec les renseignements généraux de la préfecture de police (RGPP). En effet, ces derniers étaient en délicatesse avec la direction centrale des RG, à laquelle ils refusaient évidemment toute allégeance ; ils s'étaient donc rapprochés de la DST. Comme, de son côté, la DST n'avait pas de direction régionale à Paris – c'est son siège parisien qui en faisait fonction –, elle trouvait cette proximité commode. Année après année, les choses se sont précisées et, en vertu d'un accord solide, la DRPP est un correspondant tout à fait privilégié de la DGSI sur la plaque parisienne pour les questions de sécurité intérieure et de lutte contre le terrorisme. Cette répartition des rôles convient bien à la DGSI ; je n'ai jamais entendu dire que celle-ci souhaitait revenir dessus et s'approprier la sous-direction de la sécurité intérieure de la DRPP. Il me semble que les deux entités s'entendent bien. Du reste, et même si ce constat est encore moins institutionnel que le précédent, le haut du spectre, en matière de lutte contre le terrorisme, est traité par la DGSI, même si les personnes visées sont à Paris. Je ne dis pas que la DRPP ne traite que le bas du spectre, mais dans la répartition qui est faite, notamment dans le cadre des groupes d'évaluation départementaux (GED), les figures les plus inquiétantes et dangereuses, à Paris comme ailleurs, sont prises en charge par la DGSI.
Quant à savoir si, au-delà de ce que je viens d'évoquer, il faut faire évoluer le système, cela renvoie à ce qu'est la DRPP. Il s'agit d'un service de renseignement qui est à la main du préfet de police. De plus, le service est extrêmement intégré, ce qui est sans doute lié à la nature particulière de la zone géographique : plusieurs milliers de manifestations ont lieu chaque année à Paris – quelquefois même plusieurs dizaines le même jour –, c'est le siège de nos institutions et des ambassades, c'est là qu'habitent un grand nombre de personnalités et qu'ont lieu un nombre considérable d'événements. Pour ces raisons, il a semblé qu'à Paris, comme du reste dans de nombreuses métropoles dans le monde, pouvait se justifier l'existence d'un service de renseignement intégré, rassemblant la sécurité intérieure et le renseignement destiné à maintenir l'ordre public – l'équivalent du renseignement territorial.
Il y a deux options : soit on conserve cette organisation très intégrée à la main du préfet de police, tout en la rapprochant un peu plus des services nationaux existant par ailleurs, soit on répartit les fonctions, par exemple en rattachant à la DGSI la sous-direction de la sécurité intérieure et en ne laissant à la DRPP, c'est-à-dire à la main du préfet, que ce qui concerne le renseignement territorial, à l'image de ce qui existe ailleurs en France. En effet, dans les départements, le renseignement territorial est sous la responsabilité du directeur de la sécurité publique, qui est lui-même un collaborateur du préfet. Les deux options sont envisageables. La réflexion sur ce point est en cours, dans le cadre du livre blanc de la sécurité intérieure.
Oui, j'ai un avis ; je l'ai exprimé à mes autorités, mais ce n'est malheureusement qu'un avis personnel, et je ne voudrais pas peser sur le débat en cours par une déclaration faite ici.
(Sourires.)
C'est un grand honneur que vous me faites, monsieur le président !
Nous avons compris que nous n'aurions pas de réponse sur ce point, même si nous avons saisi le sens de vos propos.
Monsieur le préfet, je voudrais vous interroger sur la note de Mme Bilancini. En 2010, Mickaël Harpon avait commis des violences conjugales sur sa future épouse, qui s'étaient traduites par une incapacité temporaire de travail (ITT) de plus de huit jours. La plainte ayant été retirée, il n'y avait pas eu de jugement. En revanche, le renouvellement de son habilitation secret défense, en 2013, a été assorti d'une « mise en éveil » de la hiérarchie. Je voudrais savoir de quoi il s'agit. Est-ce un écrit, ou bien prévient-on oralement qu'il faut surveiller davantage la personne en question ?
Cela consiste exactement dans ce que vous dites, monsieur le député. Lors du renouvellement de l'habilitation, les personnes qui ont procédé au criblage ont vu que le nom de Harpon sortait pour cette affaire judiciaire. Comment s'en est-il expliqué ? Je n'en sais rien. Quoi qu'il en soit, visiblement, l'affaire n'a pas échappé aux services, mais ne s'est traduite que par une mise en éveil.
C'est un écrit.
Bien sûr.
Pour élargir le propos, le système le plus parfait du monde n'a de force que s'il est mis en œuvre de manière adéquate par les agents. Vous aurez beau avoir une procédure formidable, elle ne fonctionnera pas si la personne chargée de l'éveil – puisque c'est de cela qu'il s'agit ici – est complaisante, négligente ou trop familière. C'est vraisemblablement ce qui s'est passé dans cette affaire : il a dû y avoir un ruissellement de compassion sur ce malheureux garçon que ses collègues connaissaient depuis longtemps, et la mise en éveil ne s'est pas traduite dans les faits. Je n'ai pas d'autre explication. La recommandation a été émise ; ce qui en a été fait, c'est autre chose.
Merci, monsieur le préfet, pour les précisions tout à fait intéressantes, voire passionnantes que vous nous avez données concernant les procédures d'habilitation et de renouvellement d'habilitation. Tout cela nourrira notre réflexion.
Je voudrais aborder un second volet de nos interrogations s'agissant de l'affaire qui nous préoccupe : la radicalisation dans les services publics de sécurité et les méthodes de détection des signaux faibles. Avec la longue expérience qui est la vôtre, quelles pistes d'amélioration voyez-vous s'agissant de l'efficacité des méthodes de détection et de la prise en compte très en amont de ce qu'on pourrait qualifier de signaux faibles d'un processus de radicalisation – même s'il s'agit d'une radicalisation non violente – chez les personnels de sécurité, en particulier les agents des services de renseignement, fût-ce dans un service du deuxième cercle ? Comment, selon vous, pourrait-on resserrer le dispositif ? Il a été beaucoup question, lors d'autres auditions, de la conversion : pour un agent d'un service de renseignement, qui plus est habilité secret défense, la conversion peut-elle être considérée comme un signal dont il faut tirer un certain nombre de conclusions ?
Madame la députée, vous avez parlé de « signaux faibles » : j'insiste pour ma part sur le mot « faibles ». Il est important qu'il y ait plusieurs signaux, car il est difficile de tirer des conclusions d'un seul acte ou d'un seul fait. En revanche, quand plusieurs petites lampes se mettent à clignoter, même faiblement, on a un ensemble de signaux faibles qui sont l'indice d'une radicalisation. Il existe aussi toute une série de dérives auxquelles, effectivement, il faut être sensible. Mais, pour cela, encore faut-il être formé à la détection. La première piste d'amélioration que je vois réside donc à la fois dans une définition de ce que sont les signaux faibles et dans la formation à les reconnaître – voire à les chercher, quand on est dans un service de renseignement –, faute de quoi on se retrouve avec des éléments qu'il est facile de caricaturer. Par exemple, on vous dit que M. Untel s'est brusquement laissé pousser la barbe et que cela constitue un signe de radicalisation, alors qu'il y a barbe et barbe. Il en va de même pour la conversion : même si, bien sûr, tout le monde ne se convertit pas à l'islam, la conversion n'est pas, en soi, un signe de radicalisation.
En revanche, une conversion à l'islam à laquelle s'ajoute une évolution de la posture, du discours, de la façon de s'habiller et des pratiques cultuelles constitue effectivement un signe. Un autre indice peut être la non-déclaration. À cet égard, dans les services de renseignement, lors des enquêtes précédant le recrutement et l'habilitation, on fait très attention aux déclarations. En effet, quand quelqu'un déclare un élément qui aurait pu, a priori, être perçu comme une faiblesse, celui-ci n'est plus considéré comme tel. À l'inverse, le fait que le même élément ne soit pas déclaré peut devenir un indice de dissimulation et donc un point de vulnérabilité. C'est cet ensemble de choses qu'il faut arriver à traiter et mesurer avec beaucoup de subtilité et de finesse. D'où l'effort considérable qui est fait actuellement, en particulier depuis le 4 octobre : dès le lendemain de l'attaque, tous les services ont regardé plus attentivement ce qui se passait chez eux. D'ailleurs, les services de renseignement ne sont pas les seuls : dans l'ensemble de la fonction publique française, au sens large – car cela vaut aussi pour les collectivités locales –, et même dans les entreprises, les gens se sont sentis concernés. C'est en ce sens que le Président de la République, sur le lieu même de l'attaque, dans la cour de la préfecture de police, a appelé à une « société de vigilance ». Il s'agit non pas d'une société de délation, évidemment, mais d'une société où chacun est invité à être un peu plus attentif et éventuellement, pour les fonctionnaires, à se former. Il existe, désormais, une démarche de formation presque systématique, d'abord dans les services de renseignement et dans les forces de sécurité, mais pas seulement, car les demandes émanent de partout : tous, aussi bien le directeur d'hôpital que le chef d'entreprise ou le chef de gare, disent qu'ils sont prêts à agir, mais qu'ils ne voudraient pas se tromper.
Pour répondre à votre question, madame la députée, la conversion à l'islam n'est donc évidemment pas, par construction, un signe de radicalisation, mais associée à d'autres éléments, elle peut constituer le signe d'une perturbation psychologique. Je ne suis pas en train de dire que le fait de se convertir à l'islam relève en soi de la perturbation mentale – du reste, cela peut être le cas pour n'importe quelle conversion vigoureuse à d'autres religions ou pratiques, et de toute façon il faut y regarder de près. Quoi qu'il en soit, une telle situation doit être déclarée, les services devraient poser systématiquement la question, ce qui n'est pas le cas. Je puis le dire car j'ai vérifié : certaines procédures comportent la question, d'autres non. Il est vrai qu'il y a une sorte de tabou, dans notre pays, s'agissant de la religion : on ne demande pas aux gens s'ils pratiquent une religion, pas davantage d'ailleurs qu'on ne s'enquiert s'ils sont francs-maçons ou s'ils adhèrent à tel ou tel parti politique, toutes choses sur lesquelles on peut pourtant s'interroger.
Tout à fait. Dans certains d'entre eux, on le demande. Quand les gens répondent, il n'y a pas de problème ; s'ils le dissimulent…
Oui. Je parle exclusivement de services de renseignement.
Oui ; dans d'autres, non. Je n'en dirai pas plus car le sujet est couvert par le secret de la défense nationale.
Monsieur le préfet, merci pour votre franchise. Je tiens d'abord à vous dire que nous avons eu beaucoup d'auditions, et que la clarté de vos propos tranche. En particulier, vous avez parlé clairement de dysfonctionnements, ce que nous ressentons nous aussi – du reste, c'est absolument évident.
Je vais vous donner mon sentiment et j'aimerais ensuite connaître le vôtre. Il me semble que nous sommes en permanence dans la réaction plutôt que dans l'anticipation. En quelques années, 263 Français ont été tués exclusivement à cause de l'islam politique, du djihadisme. Or on nous dit qu'il ne faut pas stigmatiser, et la crainte de le faire traumatise tout le monde. Certes, il ne faut pas stigmatiser, car tous nos compatriotes musulmans ne sont pas des terroristes, cela va de soi, mais tous les terroristes, tous les djihadistes, hélas, sont musulmans. Quand j'ai dit cela sur Twitter, je me suis fait incendier, j'ai reçu un nombre d'insultes inconcevable. Mais je dis ce que je pense au plus profond de moi-même, parce que nous avons un devoir de prévention : nous devons éviter les prochains attentats. Je me rappelle très bien ce que j'ai dit en 2012, après l'attentat de Toulouse ; quand je relis mon verbatim, cela me glace. J'avais dit à l'époque que l'on commençait par les juifs et j'avais annoncé comment cela se terminerait.
Nous sommes ici dans le cadre d'une commission d'enquête. Il n'y a pas de barrières politiques et nous sommes à huis clos, ce qui facilite beaucoup les choses. Je vous pose la question : quel est le problème ? Selon moi, le terme « radicalisation » n'est pas clair. On nous dit qu'il est utilisé à partir du moment où on peut suspecter des actes de violence. Or, quand on en est arrivé là, il est déjà trop tard, le pire s'est presque déjà produit. Je crois donc qu'il faut tout revoir. Ce qu'il vous manque, ce ne sont pas des moyens, ce sont des procédures bien plus rigoureuses, quitte à demander aux personnes qui veulent intégrer un service de renseignement quelle est leur religion, leurs pratiques ou leurs croyances. Cela ne doit pas concerner seulement les musulmans : il faut que les chrétiens, les athées mais aussi les francs-maçons répondent. C'est vraiment le b.a-ba. Le doute doit profiter aux Français, pas à la personne qui travaille ou souhaite travailler dans un de ces services.
Je crois que nous sommes là au cœur du sujet, monsieur le président, parce que nous devons faire des recommandations. Je voudrais savoir, monsieur le préfet, quelles recommandations vous ferez pour le futur – car ce qui n'a pas fonctionné dans le passé, nous commençons à le comprendre –, de manière à améliorer les choses pour les services de renseignement.
J'entends ce que vous dites, monsieur le préfet, au sujet des signaux faibles et des signaux forts. Est-ce que vous considérez que le fait qu'un membre d'un service de renseignement se convertisse à l'islam constitue un signal faible ou un signal fort ? Depuis le début de nos auditions, je ne comprends pas qu'un service de renseignement, apprenant qu'un de ses agents s'est converti à l'islam, n'aille pas voir quel imam il fréquente. Cela me perturbe beaucoup. C'est encore plus vrai lorsque, de surcroît, l'individu en question rencontre des difficultés personnelles, comme c'était le cas de Mickaël Harpon, visiblement : il peut constituer une proie facile pour nos adversaires, y compris d'autres services de renseignement, susceptibles de le retourner. Pourquoi donc ne s'intéresse-t-on pas aux personnes qu'il rencontre ? Pourquoi ne regarde-t-on pas quelle mosquée, quel imam il fréquente ? En l'espèce, si on l'avait fait, on aurait découvert qu'il fréquentait un imam fiché S. Le signal serait peut-être devenu encore plus fort.
De la même manière, un imam suivi, dont les services de renseignement disent qu'il est dangereux, qu'il peut manipuler des gens, et dont ils demandent l'expulsion – laquelle a d'ailleurs été refusée, pour des motifs que nous n'avons toujours pas compris –, c'est aussi un signal fort. Peut-être faut-il aller vérifier à qui parle cet imam, auprès de qui il prêche. Si on l'avait fait sérieusement, on se serait aperçu qu'il fréquentait, entre autres, un membre du service de renseignement de la préfecture de police.
Je considère pour ma part que, dans les deux cas, il s'agissait de signaux forts : quand un membre d'un service de renseignement se convertit à l'islam, il faut aller voir quel imam il fréquente ; quand un imam radicalisé n'est pas expulsé alors qu'on souhaite le faire, et qu'il continue à prêcher, on doit aller voir auprès de qui. Or, visiblement, les systèmes d'alerte n'ont pas fonctionné. En tout cas, c'est mon sentiment. J'aimerais connaître le vôtre sur ces deux aspects.
Je répondrai globalement à M. Habib et à M. Pupponi. Il est vrai que, quand on étudie l'affaire après coup, on identifie assez facilement ce qu'il aurait fallu faire pour éviter le malheur et ce qui a été mal fait. Comme vous le savez, la critique est aisée, mais l'art est difficile. L'affaire en question sera examinée lors du retour d'expérience qui est prévu le 14 janvier prochain. Le plus difficile est d'établir des liens, de prévoir une gradation – conversion à l'islam, passage à un islam rigoriste puis au terrorisme.
Monsieur le préfet, ma question est précise : on parle d'un agent qui travaille à la cellule informatique d'un service de renseignement. Si on s'aperçoit qu'il fréquente un imam fiché S, on doit le changer de service, ou alors c'est à n'y plus rien comprendre, et on marche sur la tête. Je ne suis pas un spécialiste du renseignement, mais enfin…
Cela fait-il partie de ce que vous qualifiiez de « dysfonctionnements », monsieur le préfet ?
À l'évidence, personne ne s'est avisé que ce Mickaël Harpon fréquentait un imam fiché S à la mosquée de Gonesse. Encore une fois, je ne participe pas à l'enquête et n'ai donc pas accès aux pièces, mais d'après ce que je comprends, le lien n'a pas été fait.
Je ne sais pas non plus de quel type de surveillance l'imam de Gonesse faisait l'objet. S'agissait-il d'une surveillance visuelle ? Écoutait-on ses prêches ? Y avait-il une surveillance technique ? Je n'en sais rien.
Sortons de ce cas précis et imaginons une situation semblable, c'est-à-dire un responsable religieux connu pour son caractère radical et faisant l'objet d'une surveillance technique. Encore faut-il que les numéros qu'il appelle ou dont il reçoit des appels soient identifiés dans une autre base, faute de quoi on n'a pas de moyens de faire le croisement. Visiblement, c'est ce qui s'est produit.
Ne trouveriez-vous pas normal que, lorsqu'un agent d'un service de renseignement se convertit, on aille voir systématiquement avec quel imam il discute ?
Je pense que oui.
Si vous voulez me faire dire que cela aurait dû être vérifié, je vous le confirme.
Cela n'a pas été le cas, pour un ensemble de raisons qui ont dû vous être expliquées dix fois.
Juste avant de vous recevoir, monsieur le préfet, nous avons auditionné le patron de l'unité de coordination de la lutte anti-terroriste (UCLAT). Dans le nom de vos deux organismes, il y a le mot « coordination ». Même si je ne les mets pas au même niveau, naturellement, car je connais l'organisation, on a tout de même le sentiment – et ce n'est pas nouveau, en tout cas en ce qui me concerne – d'une très grande complexité, voire d'une très grande confusion entre les différents intervenants en matière de lutte contre le terrorisme et de renseignement. Nous évoquions la distinction entre le premier et le deuxième cercles, qui n'est pas forcément évidente : comme vous l'avez rappelé, certains services qui sont pour vous des interlocuteurs prioritaires ne sont que dans le deuxième cercle, notamment la DRPP, qui exerce des missions relevant, ailleurs qu'à Paris, de la compétence de la DGSI. Tout à l'heure, il a été question de l'état-major opérationnel de prévention du terrorisme (EMOPT), qui était lui aussi un outil de coordination. Le Président de la République avait évoqué, et l'idée me paraissait séduisante, une grande task force contre le terrorisme, avec un coordinateur ayant, du moins pouvait-on l'imaginer, une autorité opérationnelle sur tous les services.
Je sais bien que vous pourriez nous livrer votre appréciation sur le sujet pendant des heures, mais quelles sont, en guise de conclusion, les pistes d'amélioration que vous voyez en matière de coordination ? J'ai le sentiment, mais peut-être que je me trompe, que la création d'organismes de coordination montre précisément qu'il y a une difficulté à coordonner, et comme on les a multipliés ces dernières années, je crois qu'il faut absolument simplifier et unifier le commandement à plusieurs niveaux. Quelle est donc votre analyse prospective en la matière ? J'imagine que vous pourriez souhaiter plus de pouvoir, même s'il ne s'agit en rien d'une aspiration personnelle. Moi, en tout cas, je souhaiterais une unité de commandement plus forte et s'appliquant à tous les services.
Je partirai de la première idée que vous avez exprimée et de votre allusion à l'UCLAT. La coordination du renseignement, avant sa recréation par le président Macron, n'englobait pas celle de la lutte contre le terrorisme : les deux choses étaient séparées. C'est l'UCLAT qui coordonnait la lutte contre le terrorisme, avec un défaut de conception originel, puisque la coordination n'allait pas plus loin que la police et ne concernait même pas l'ensemble des services de police – car, à ma connaissance, la DGSI ne lui rendait aucun compte. L'UCLAT, de ce point de vue, était mal née pour être la coordonnatrice de la lutte anti-terroriste. En revanche, elle rendait un certain nombre de services en matière de dispositions administratives, par exemple pour déclencher des mesures de gel d'avoirs ou activer le recours à des fichiers comme celui des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). Cela, l'UCLAT le faisait très bien. Dès lors qu'une structure de coordination du renseignement élargie à la lutte anti-terroriste a été créée, les choses se sont trouvées simplifiées. Par ailleurs, comme vous le savez, à partir du 1er janvier prochain, l'UCLAT sera rattachée à la direction générale de la sécurité intérieure. Cela permet à tout le moins de dissiper un peu la confusion.
Il est vrai qu'il existe plusieurs structures de coordination, mais chacune a un rôle différent selon le niveau auquel elle intervient, stratégique ou opérationnel. Ainsi, la coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, qui se situe à un niveau stratégique et institutionnel, est la seule à jouer ce rôle. Comme je l'ai répété à plusieurs reprises, elle n'a pas de dimension opérationnelle. Je sens votre regret du concept de task force, qui avait été imaginé pendant la campagne présidentielle mais à laquelle il a rapidement été renoncé. J'ai lu que cette task force comprendrait 50 personnes, parfois même 100, 150 et même jusqu'à 170. Or il eût été extrêmement dangereux de construire une structure de lutte anti-terroriste opérationnelle auprès du Président de la République, dont ce n'est pas la fonction dans notre République. Le président Macron, en accord avec tous les acteurs, a donc bien évidemment, avec sagesse, laissé aux ministres la responsabilité des services qui sont placés sous leur autorité. La coordination dont je suis le responsable, qui tient son autorité de son rattachement au Président de la République et au Premier ministre – et aussi, peut-être, de la qualité du travail transversal qu'elle fournit – œuvre au niveau stratégique, voire un peu plus, force est de le reconnaître, du fait des orientations que nous donnons. Par ailleurs, je suis chargé de mettre en œuvre, s'agissant du renseignement et de la lutte anti-terroriste, les décisions du Conseil de défense et de sécurité nationale (CDSN), mais aussi, bien sûr, du Conseil national du renseignement (CNR).
La coordination opérationnelle, quant à elle, est assurée à deux niveaux. D'une part, à un niveau tactique assez large, elle dépend de la DGSI, qui coordonne l'ensemble des services, y compris, pour cet aspect, la DGSE. Il existe un état-major permanent à la DGSI. Tous les quinze jours, une rencontre a lieu entre tous les patrons de la lutte anti-terroriste du pays – la sous-direction anti-terroriste (SDAT), les sous-directions de la DGSE et de la DGSI –, qui étudient les cas précis, dans une perspective opérationnelle. D'autre part, il y a la cellule Allat, dont vous avez dû entendre parler. Il s'agit d'une cellule armée par tous les services de renseignement, qui opère vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, et dont le rôle est de faire du criblage : chaque fois qu'un nom apparaît dans le spectre d'un service, quel qu'il soit – par exemple les douanes ou la DGSE –, il est criblé par tous les autres pour voir s'il provoque un écho quelque part.
Par ailleurs, nous utilisons beaucoup de plateformes, comme cela se fait souvent à l'heure actuelle. Parmi les avancées d'ordre institutionnel enregistrées depuis deux ans et demi en matière de coordination, on peut citer l'élaboration, l'été dernier, d'une nouvelle stratégie nationale du renseignement. La refonte du plan national d'orientation du renseignement est en cours ; elle devrait aboutir durant le premier semestre de l'année prochaine. Un certain nombre de doctrines communes à tous les services ont été élaborées, notamment en matière de lutte anti-terroriste. D'autres évolutions sont nées sous notre impulsion, par exemple la transformation du bureau central du renseignement pénitentiaire (BCRP) en service à compétence nationale, ou encore la création d'un certain nombre de plateformes interservices, désormais opérationnelles. On peut encore citer la création d'une unité de suivi des personnes sortant de prison. Toutes ces initiatives de la coordination nationale du renseignement se traduisent par des articulations nouvelles. Peut-être le paysage est-il un peu confus, ou en tout cas pas encore très lisible pour nos concitoyens, mais tous les acteurs ont, me semble-t-il, une claire conscience de l'endroit où ils se situent, et ils savent à qui ils doivent rendre compte de leur action. Quoi qu'il en soit, nous essayons, jour après jour, de clarifier ce paysage, de le simplifier et de rendre les choses plus opérationnelles et plus efficaces.
Il y en a énormément. Je ne peux me satisfaire, en tous cas pas encore, de la situation actuelle. Il reste beaucoup de choses à faire dans le domaine du travail technique, de la mutualisation, ou encore de la gestion des ressources humaines – à la fois pour attirer les meilleurs, professionnaliser nos agents, opérer des mobilités d'un service à l'autre et améliorer l'articulation entre les services. En matière de renseignement, bien des choses peuvent être améliorées ; cela se fait semaine après semaine. Par exemple, à l'époque où je dirigeais la DST, il eût été absolument impensable de rédiger une note conjointe avec la DGSE. Or, tous les mois, nous disposons désormais d'un état de la menace qui est produit sous le timbre triple de la DGSE, de la DGSI et de la direction du renseignement militaire (DRM). Je pourrais multiplier les exemples si je n'avais peur de vous lasser. Cela dit, nous avons encore du travail, bien évidemment, et l'affaire Harpon montre, à l'évidence, le chemin qu'il nous reste à parcourir, ne serait-ce que dans deux directions qui échappent à mon domaine d'action, à savoir les enquêtes de sécurité et les habilitations, car elles ne sont pas spécifiques aux services de renseignement. Le malheur qui s'est produit doit évidemment inciter chacun à aller au fond de ses propres responsabilités quand il s'agit de questions aussi essentielles pour la sécurité de nos concitoyens.
Merci beaucoup, monsieur le préfet. Cette audition a été très instructive et très utile pour notre commission d'enquête.
La séance est levée à 17 heures 10.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Ugo Bernalicis, M. Florent Boudié, M. Éric Ciotti, M. Éric Diard, M. Jean-Michel Fauvergue, Mme Isabelle Florennes, Mme Marie Guévenoux, M. David Habib, M. Meyer Habib, Mme Constance Le Grip, Mme Marine Le Pen, M. Jean-Michel Mis, Mme George Pau-Langevin, M. Stéphane Peu, Mme Alexandra Valetta Ardisson, M. Guillaume Vuilletet
Excusés. - M. Bruno Questel, M. Guy Teissier, M. Stéphane Trompille