Mercredi 11 décembre 2019
La séance est ouverte à quinze heures cinq.
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(Présidence de Mme Brigitte Bourguignon, présidente)
La commission procède à l'audition de M. François de la Guéronnière, conseiller maître à la sixième chambre de la Cour des comptes, Mme Juliette Méadel, conseillère référendaire, et Mme Esmeralda Luciolli, conseillère référendaire en service extraordinaire, sur le rapport relatif à la lutte contre l'obésité remis en application de l'article L.O. 132-3-1 du code des juridictions financières.
Mes chers collègues, l'article L.O. 132-3-1 du code des juridictions financières permet à notre commission de saisir la Cour des comptes de « toute question relative à l'application des lois de financement de la sécurité sociale », et de lui demander procéder à des « enquêtes sur les organismes soumis à son contrôle ».
En application de ces dispositions, j'avais demandé à la Cour, voici exactement un an, de procéder à deux enquêtes. Le Premier président nous a présenté, mi-juillet, un rapport sur les régimes spéciaux de retraite de la RATP, de la SNCF et des industries électriques et gazières, et nous prenons aujourd'hui connaissance du second rapport, relatif à la prévention et à la prise en charge de l'obésité. Ce document a été transmis dans le courant de la semaine dernière à l'ensemble des commissaires et aux groupes.
Par ailleurs, suite à la réunion du bureau de la commission tenue mercredi dernier, j'ai demandé au Premier président de procéder à une enquête sur la couverture complémentaire santé. Le bureau souhaite que, dans le cadre de son travail, la Cour aborde la question des conséquences de la suppression annoncée du « fonds CMU », ce dont j'ai bien sûr fait part au Premier président.
La Cour des comptes a effectivement reçu une commande de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale il y a un an, et nous avons remis ce rapport au mois de novembre dernier, un petit peu en avance sur le délai imparti.
Nous avons conduit notre enquête au cours de l'année 2019 en visitant trois régions françaises : l'Île-de-France, les Hauts-de-France et La Réunion, où des problèmes particulièrement importants se posent. L'équipe des rapporteures s'est également rendue au Royaume-Uni pour y comparer nos pratiques aux leurs.
Le rapport se présente en quatre chapitres. Nous dressons d'abord un état des lieux de la situation épidémiologique et de son évolution. Puis nous essayons d'analyser les actions conduites par les pouvoirs publics, mais aussi par les entreprises, notamment du secteur agroalimentaire, ainsi que par les associations et les professionnels de santé. Nous étudions ainsi successivement la conception et la mise en oeuvre d'une politique nutritionnelle ; la politique de prévention, l'action et l'offre sur la demande alimentaire, la promotion de la santé ; la prise en charge et l'accès aux soins pour les pathologies associées à l'obésité.
Objet du premier chapitre de notre rapport, le bilan épidémiologique fait apparaître une stabilisation de la prévalence du surpoids en France, ce qui est plutôt rassurant. Notre pays se situe dans une position honorable par rapport aux autres pays, bien que nous soyons loin derrière le Japon ou l'Italie et d'autres pays méditerranéens. Mais cette stabilisation reste à confirmer sur la durée : les recensements sont effectués à de longs intervalles et ne sont peut-être pas assez détaillés. Le niveau du surpoids reste néanmoins très élevé : en 2016, 49 % des adultes et 17 % des enfants de 6 à 17 ans étaient en surpoids.
Cette stabilisation recouvre de fortes inégalités sociales, liées dans une large part au niveau d'éducation : 2,2 % des enfants de cadres sont obèses contre 7,7 % des enfants scolarisés en zones d'éducation prioritaire. Ces différences sont particulièrement fortes chez les femmes, les filles et les jeunes garçons.
Les autres inégalités sont d'ordre géographique. La situation est difficile dans les régions du Nord et de l'Est et dans les départements d'outre-mer, particulièrement dans les Antilles et en Guyane, où les niveaux de surpoids ou d'obésité sont très supérieurs à la moyenne nationale.
Le deuxième chapitre revient sur l'élaboration de la politique de lutte contre cette situation. La France s'y est attaquée relativement tôt, dès 2001, par la mise en place des premiers plans nationaux nutrition santé (PNNS). Quatre programmes se sont ainsi succédé, et le dernier en date prend effet à la fin de cette année. La mobilisation des pouvoirs publics autour de cet objectif est notable, car en plus du ministère de la santé, des plans ont aussi été élaborés par le ministère de l'agriculture, le ministère des sports et le ministère de l'environnement. La coordination de tous ces plans sectoriels pourrait être améliorée, car elle s'est révélée difficile au niveau local et au niveau des régions, et nous avons pu constater son manque d'efficacité dans certains cas.
Le troisième chapitre du rapport est consacré à la politique de promotion de la santé. Dans ce domaine, les instruments sont de plus en plus nombreux et nous constatons des avancées, notamment avec la mise en place du Nutri-Score. Mais les limites sont tellement fortes qu'elles paralysent tout progrès véritablement solide.
Parmi ces instruments, les campagnes nationales d'information et de communication ont acquis une réelle notoriété. Les mots d'ordre ou les slogans tels que « cinq fruits et légumes par jour » ou « manger, bouger » sont connus, mais il est difficile d'atteindre les populations les plus vulnérables.
Deuxième catégorie d'instrument de promotion de la santé : les règles pour encadrer la mise sur le marché des produits alimentaires. Des outils ont été développés, tels les chartes d'engagement volontaire de progrès nutritionnel souscrites par les entreprises ou les accords collectifs dans des sous-secteurs de l'agroalimentaire, par exemple ceux des boissons sucrées ou de la charcuterie. D'après nos mesures, leur impact sur la qualité des aliments industriels est limité. La loi « Lurel » prévoit des dispositions propres aux départements d'outre-mer, mais nous avons constaté, lors du déplacement des rapporteures à La Réunion, qu'elle n'y est presque pas appliquée.
Il n'existe pratiquement aucun encadrement des stratégies de merchandising de la grande distribution. Par exemple, en dehors des établissements scolaires, les distributeurs automatiques de boissons ne sont soumis à aucune régulation. De même, il n'existe pas de règles encadrant la promotion des produits les plus malsains.
Nous avons tenté de dresser le bilan de la taxe sur les boissons sucrées, introduite il y a quelques années. Elle a certes eu un impact sur la consommation, mais s'il fallait la généraliser, elle ne serait pas facilement acceptée, et les exemples étrangers, notamment le Danemark, nous montrent que c'est assez difficile. Peut-être que l'utilisation de l'échelle Nutri-Score pourrait fournir une base objective.
Le troisième instrument de prévention de la santé que nous avons étudié est la régulation de la publicité, notamment à la télévision. De nombreuses études, y compris au niveau international, permettent de documenter les effets de la publicité, notamment sur les enfants. Le Royaume-Uni ou l'Australie ont décidé de mesures d'interdiction de la publicité lors des programmes destinés aux enfants, mais la France s'en est tenue jusqu'en 2017 à des mesures essentiellement volontaires : chartes d'engagement volontaire entre les chaînes de télévision et le CSA, et autorégulation de la profession conformément aux standards de l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité. Ces mesures volontaires ont atteint un point de blocage : le processus de renouvellement de la charte, notamment, est à l'arrêt ; la loi dite « Gattolin » a interdit, en 2017, la publicité pendant les programmes destinés aux enfants, mais sur les seules chaînes publiques – son champ d'application est donc partiel.
Le Nutri-Score est le quatrième instrument de prévention. Cette initiative positive a pris plusieurs années pour se développer : le règlement de l'Union européenne permettant la création d'un étiquetage standardisé date de 2011, c'est la loi « santé » de 2016 qui a recommandé le Nutri-Score pour améliorer l'information nutritionnelle, et il a été adopté en octobre 2017. Aujourd'hui, une centaine de marques et de distributeurs y ont recours, et sa notoriété dans le public est déjà bien étendue. Peut-on aller plus loin, notamment en rendant cet étiquetage obligatoire ? Des pays sont allés dans ce sens, mais en l'absence de règles communautaires claires, notamment en cas de franchissement de frontières, des obstacles existent encore certainement.
Le quatrième et dernier chapitre de notre rapport s'attache à la prise en charge des patients souffrant d'obésité. Le bilan est à nouveau contrasté. Pour les enfants, la prise en charge s'est améliorée, notamment grâce à la mise en place de réseaux pédiatriques de prévention et de soins, et de centres spécialisés de l'obésité pour les cas les plus sévères. Néanmoins, le repérage et le diagnostic précoces sont insuffisamment assurés, notamment au niveau de la santé scolaire. Quant aux prises en charge pluridisciplinaires, qui associent par exemple un médecin généraliste, un psychologue et un diététicien, des expérimentations ont été engagées dans le cadre de l'article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale de 2018, mais la construction du système fait que les résultats tardent à venir. Aucune mesure définitive n'a donc été prise, ni même envisagée. S'agissant de la prise en charge des adultes, les rapporteures ont été frappées par le recours excessif à la chirurgie bariatrique au regard des normes qui régissent ces interventions. De plus, l'absence de prise en charge d'interventions sanitaires pourtant indispensables, comme celles des diététiciens, des psychologues ou de spécialistes de l'activité physique, peut représenter un obstacle à l'accès aux soins.
Nos recommandations reprennent la structure du rapport. S'agissant du bilan épidémiologique, il faudrait mener des enquêtes plus fréquentes et plus régionalisées, et notamment spécifiques à l'outre-mer. En matière de coordination des politiques, la coordination interministérielle au niveau régional devrait être renforcée, sous l'autorité conjointe des préfets de région et des directeurs généraux des agences régionales de santé. Pour la promotion de la santé alimentaire, nous recommandons la fixation de taux maximaux de sel, de sucre et de gras dans la composition nutritionnelle des aliments. Le champ d'application de la loi « Gattolin » devrait être étendu, par référence au Nutri-Score, à tous les programmes de toutes les chaînes audiovisuelles. Enfin, s'agissant de la prise en charge et de l'accès aux soins, le champ de l'exercice infirmier en pratique avancée devrait être étendu à la prise en charge de l'obésité afin d'améliorer l'efficacité de l'intervention des professionnels de santé. Il faudrait également organiser, sans attendre la fin des expérimentations, la prise en charge au parcours des enfants atteints de surpoids et de ceux atteints d'obésité sévère. Enfin, pour les adultes atteints d'obésité sévère, une expérimentation nationale de prise en charge au parcours incluant des consultations de diététicien et de psychologue devrait être lancée.
Ce rapport brasse des sujets et des champs très divers. Vous avez souligné la prégnance des inégalités sociales, qui doit nous interroger, et la possibilité d'une dimension culturelle expliquant les différences régionales.
Selon vous, quel est l'impact des taxes comportementales dont nous discutons chaque année dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) ?
S'agissant du merchandising et des promotions, je pense que nous devons effectivement prendre un certain nombre de dispositions. Avez-vous un avis sur les produits des marques de distributeurs, vendus par la grande distribution comme s'approchant des produits de marque, mais qui n'ont pas le même prix, ni la même composition, ce qui doit entraîner des effets sur la malnutrition ? Il me semble que cette question pourrait être examinée de plus près.
Vous avez fait état d'un recours excessif à la chirurgie bariatrique. Sur quelles données vous fondez-vous pour établir un tel diagnostic ? En la matière, je partage la proposition d'améliorer la prise en charge de l'accompagnement médical par des diététiciens pour ceux qui souhaitent s'engager dans cette démarche. Par ailleurs, que pensez-vous des difficultés qui existent actuellement pour l'accès au transport en ambulance bariatrique ?
Je vous remercie pour la qualité de ce rapport qui s'attache aux politiques nationales, déclinées localement par les agences régionales de santé (ARS) par le biais des comités locaux de santé.
L'obésité est une maladie grave qui touche près de 2 milliards de personnes et est à l'origine de 2,8 millions de décès chaque année. Près d'un Français sur deux est en surpoids, et un sur six est obèse, et nous savons que les populations les plus en difficulté sont également les plus touchées.
Les bonnes habitudes s'acquièrent tôt, et la bonne alimentation en fait partie. C'est souvent dans la période de l'enfance et de l'adolescence que se situe le début de l'obésité, qui touche 17 % des enfants de 6 à 17 ans, selon Santé publique France. C'est pourquoi le quatrième programme national nutrition santé, qui porte sur les années 2019 à 2023, fixe l'objectif de réduire de 15 % la prévalence de l'obésité chez les adultes, et de 20 % la prévalence du surpoids et de l'obésité chez les enfants et les adolescents.
Votre rapport souligne que la prise en charge des enfants est actuellement incomplète, le repérage et le diagnostic précoces n'étant que partiellement assurés par les services de santé scolaire. Vous appelez à une action plus volontariste, en abordant cette question de façon pluridisciplinaire pour permettre une meilleure prévention de l'obésité.
En matière de santé infantile, le Japon se situe au premier rang et présente le taux d'obésité chez l'enfant le plus bas parmi les pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques et de l'Union européenne. Son expérience démontre que la manière d'aborder ce fléau porte des fruits : le Japon traite l'obésité en priorité nationale et porte une attention particulière à la santé. Des contrôles médicaux réguliers sont organisés pour les enfants, et le déjeuner scolaire – obligatoire et fortement subventionné afin de bénéficier au plus grand nombre – joue un rôle-clé.
Pour sa part, le gouvernement français a instauré les petits déjeuners gratuits à l'école et, avec la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable, dite « EGALIM », il impose à la restauration collective de s'approvisionner à 50 % par des circuits courts, dont 20 % en produits bio, et de proposer un repas végétarien par semaine d'ici à 2022. Un approvisionnement plus sain garantit des repas plus équilibrés pour les enfants.
D'après vous, quelles pourraient être les actions à mettre en oeuvre afin de limiter les risques d'obésité, notamment chez les plus jeunes ? Comment construire une véritable politique de prévention et de prise en charge de l'obésité à l'école, mais aussi au sein des familles, car pour garantir une alimentation saine et équilibrée, l'école et les parents ont des rôles complémentaires ?
Ce rapport permet de partager un constat précis sur les problématiques de surpoids et d'obésité au niveau national, avec une attention plus particulière portée à trois territoires : l'Île-de-France, les Hauts-de-France et La Réunion, dont les problématiques de santé publique peuvent être étendues aux autres territoires d'outre-mer.
Le 19 novembre dernier, les chercheurs rassemblés par l'Institut de recherche pour le développement ont présenté à l'Académie des sciences d'outre-mer les principales données et conclusions de leur expertise scientifique collective : « Alimentation et nutrition dans les départements et régions d'outre-mer ». Cette étude indique, sans surprise, que le surpoids frappe de façon disproportionnée les régions ultramarines et a des conséquences alarmantes en matière de santé publique. Elle dresse le portrait d'une population ultramarine précaire, bénéficiant d'une offre de soins insuffisamment adaptée aux problématiques de la nutrition et ayant peu accès à une alimentation équilibrée, pour des raisons souvent économiques. Le développement des maladies chroniques liées à l'alimentation, notamment le diabète et l'hypertension, est en conséquence beaucoup plus fort qu'au niveau national.
Les effets de ces maladies en outre-mer sont dramatiquement augmentés par une cartographie médicale très inégale. Ainsi, le renoncement aux soins pour cause de précarité ou d'éloignement géographique touche une personne sur cinq en Martinique, et une sur trois en Guyane.
Votre rapport a fort bien pointé du doigt la situation urgente des outre-mer et les difficultés que nous rencontrons, en matière de santé publique comme dans de nombreux domaines. Pouvez-vous nous indiquer comment améliorer la situation en composant avec les données locales, et comment prévenir et dépister les maladies chroniques alors que nous manquons cruellement de médecins généralistes dans les outre-mer ?
Vos recommandations font écho aux propositions que nombre d'entre nous ont formulées à l'occasion de la loi « santé » ou du PLFSS, notamment la limitation des taux de sel, de sucre ou de gras dans les aliments ou les boissons, l'extension du Nutri-Score à l'ensemble des supports audiovisuels et numériques, et l'interdiction de la publicité pour certains produits. Toutefois, les initiatives parlementaires ont été régulièrement bridées, des mesures incitatives étant préférées à des mesures plus directives.
Votre rapport témoigne par de nombreux exemples de l'inefficacité des mesures incitatives. A contrario, vous indiquez que, sur d'autres sujets de santé publique comme la lutte contre le tabagisme, les mesures fiscales ont démontré leur effet. Sommes-nous contraints sur ce sujet par des normes européennes ou pouvons-nous, en toute responsabilité économique, actionner ce levier contre le fléau de l'obésité qui touche 17 % des Français et peut atteindre 50 % dans certains territoires ?
Le surpoids et l'obésité sont très souvent facteurs d'une très grande souffrance pour les personnes concernées, confrontées quotidiennement aux regards peu bienveillants et aux logiques de jugement. Cette préoccupation rejoint les inquiétudes actuelles sur la qualité de la nourriture que nous mettons dans nos assiettes, comme en témoignent le succès d'applications permettant de déterminer la qualité nutritionnelle des produits ou les préoccupations sur l'origine et la qualité des aliments.
Si la situation de la France est moins mauvaise que celle d'autres pays, elle n'est pas pour autant satisfaisante. Elle recouvre des situations différentes en fonction des territoires ou des catégories socioprofessionnelles. La prévalence du surpoids et de l'obésité touche ainsi particulièrement les personnes les plus défavorisées.
Il est fondamental, en conséquence, de développer nos politiques de prévention, auxquelles nous consacrons une part bien trop faible de nos dépenses de santé – autour de 2 %. Je pense en particulier à l'amélioration de nos dispositifs de dépistage de l'obésité chez l'enfant. Nous avons voté, en loi de financement, la généralisation de l'obligation d'effectuer un bilan de santé des enfants accueillis par l'aide sociale à l'enfance, que nous avons étendue par amendement aux enfants pris en charge par la protection judiciaire de la jeunesse. Il s'agit d'un premier pas ; quelles seraient vos préconisations pour aller plus loin ?
Je partage avec de nombreux collègues des interrogations sur la prise en charge des frais de transport en ambulance pour les patients souffrant d'obésité, qui requiert des conditions et des équipements particuliers que l'assurance maladie ne prend pas en charge. Cette dernière ne rembourse que les frais de transport sur la base d'un transport par ambulance « normal », ce qui entraîne des renoncements aux soins et des pertes de chance pour les patients. Quel est votre avis sur ce point ?
La première partie de votre rapport, consacrée au diagnostic, démontre que nous devons nous préoccuper de ce sujet, bien que le contexte ne soit pas catastrophique.
Je note la multiplication, depuis le début des années 2000, de programmes nationaux et de plans, déployés par différents ministères. Ces mesures ont certainement mobilisé beaucoup d'argent public et, malgré tout, vous relevez un défaut de coordination. Finalement, tous ces programmes ne sont-ils pas trop descendants, c'est-à-dire qu'ils n'associent pas suffisamment les équipes au niveau local ? Pour les enfants, les équipes de prévention maternelle et infantile peuvent accompagner les mères en dispensant une éducation thérapeutique et des conseils d'alimentation ; et il y a aussi les équipes de travailleurs sociaux ou de santé scolaire.
Vous estimez que la participation du secteur agroalimentaire est plutôt négative et que les chartes d'engagement volontaire de progrès nutritionnels ne portent pas leurs fruits, et vous évoquez le recours à l'outil fiscal. Est-ce une piste pour obliger le secteur de l'agroalimentaire à être plus attentif aux qualités nutritionnelles ?
Enfin, s'agissant des traitements thérapeutiques, vous mentionnez la chirurgie bariatrique. Je souhaite vous interroger sur les cures thermales : de nombreux établissements thermaux proposent des cures sur le thème de l'obésité comprenant des programmes d'éducation thérapeutique et d'éducation à la santé. Avez-vous inclus ce secteur dans le champ de vos investigations ? Les établissements thermaux n'ont-ils pas leur place dans le cadre d'un programme de prévention ?
S'agissant des effets des taxes comportementales, nous avons effectivement cherché à mesurer l'impact de l'introduction ou de l'augmentation de la taxe sur les boissons sucrées. Une étude a montré qu'entre 2010 et 2015, alors que la taxe n'a augmenté que de 7 %, la consommation a diminué de 5 %, passant de 53,6 litres par personne à un peu plus de 50 litres. Il y a donc un effet, mais nous n'avons pas recommandé d'augmenter ou de généraliser ces taxes alimentaires, du moins en l'état actuel des choses. Tant que ces taxes portent sur une catégorie de produits bien identifiée, comme les boissons sucrées, les choses sont relativement claires. Mais il serait beaucoup plus compliqué d'instaurer une taxation plus générale sur l'ensemble des productions alimentaires pouvant présenter un risque au regard de l'obésité, surtout sans généralisation préalable d'instruments de mesure tels que le Nutri-Score. Par ailleurs, en étudiant les expériences menées dans d'autres pays, nous avons constaté que ces taxes n'étaient pas si faciles que cela à accepter pour la population.
La coexistence de différents programmes n'est pas un problème en soi, mais leur coordination doit être très étroite. Comme Mme Dubié, nous avons constaté qu'ils étaient particulièrement descendants – c'est toute la difficulté de la descente en tuyaux d'orgue des administrations centrales vers les services déconcentrés. Le principal problème, en réalité, n'est pas tant interministériel que local et régional, le degré d'engagement des administrations dans les déclinaisons régionales des plans nationaux étant extrêmement variable, ce qui conduit à des situations loin d'être optimales.
S'agissant des cures thermales, nous ne les avons pas étudiées dans ce cadre-ci. En revanche, la Cour des comptes a publié il y a quelques mois un rapport qui leur était consacré. La principale recommandation était de faire mesurer précisément, en passant par la Haute Autorité de santé, leur efficacité médicale, avant de développer leur remboursement.
Votre question sur les produits dérivés renvoie, en fait, à la responsabilité du secteur agro-alimentaire. Les efforts fournis par les pouvoirs publics sont assez considérables, les plans nationaux se succédant depuis 2001. Il manque certainement une coordination interministérielle et des efforts restent à faire dans l'organisation, mais l'impulsion a été donnée au plus haut niveau par le comité interministériel de la santé de mars dernier. En réalité, les leviers dont vous disposez relèvent de la régulation du marché de l'offre et de la demande alimentaire, qui suppose de jouer sur deux volets : la composition du produit alimentaire et la façon dont il est vendu.
Dans le rapport, nous avons analysé très finement l'impact des chartes d'engagement volontaire de progrès nutritionnel, des dispositifs où les industriels se mettent d'accord avec les pouvoirs publics pour essayer de limiter les taux de sucre, de sel et de gras. Après nous être aperçus que l'impact était résiduel, nous avons proposé d'adopter des limites pour les taux de sucre, de sel et de gras.
Quant au merchandising, la grande distribution n'ayant pas de freins, elle ne régule pas la vente des produits de faible qualité nutritionnelle. Par exemple, il est possible de proposer n'importe quel produit dans les distributeurs automatiques, qui se trouvent partout, aussi bien dans les gares qu'à la Cour des comptes ou à l'Assemblée nationale. La loi interdisant l'installation de distributeurs automatiques dans les écoles est la seule à limiter la distribution de produits très sucrés.
Pour ce qui est des produits dérivés et de la publicité, en France, il n'existe aucune limite à l'utilisation des mascottes, contrairement à l'Australie, par exemple. La question de la publicité à la télévision et sur les autres écrans nous a beaucoup intéressés. Elle dépend également d'une charte, qui n'est pas contraignante, signée entre le CSA et les industriels concernés. C'est pourquoi nous avons suggéré d'élargir aux produits alimentaires le champ d'application de la loi « Gattolin », en définissant des bornes d'âge, afin d'interdire spécifiquement la publicité pour des produits mal notés à destination des enfants. Limiter la publicité à la télévision et sur les autres espaces numériques, encadrer la composition nutritionnelle des aliments et réfléchir à des dispositifs de régulation de la distribution des produits nous semblent les leviers les plus efficaces, y compris pour ce qui est de la dépense publique, dans la lutte contre l'obésité.
S'agissant des écoles, le ministère de l'éducation nationale dispose de la direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO), qui suit notamment ce qui se passe dans les cantines. Si nous n'avons pas eu d'indicateurs particuliers sur la mise en oeuvre du PNNS, pour tout ce qui relève des campagnes d'information lancées par les pouvoirs publics, le ministère de l'éducation nationale joue pleinement son rôle.
En ce qui concerne la chirurgie bariatrique, la France y a plus recours que d'autres pays, comme vous pourrez le constater dans le tableau à la page 84 du rapport. Les taux sont toutefois à nuancer, dans la mesure où, au Royaume-Uni et en Allemagne, les modalités de remboursement sont beaucoup moins favorables qu'en France. Par ailleurs, au-delà de la question du nombre d'interventions et du taux de recours, nous avons essayé d'insister, dans le rapport, sur le problème de la prise en charge des patients. Non seulement on recourt un peu trop facilement à la chirurgie bariatrique, mais surtout il existe un problème de suivi des patients, avant et après la chirurgie. Loin d'être un acte anodin, celle-ci exige un suivi très rapproché et des compléments nutritionnels. Elle n'a rien d'une intervention miracle ou ponctuelle. Elle est d'ailleurs censée être réservée à des patients en échec thérapeutique, après un accompagnement d'au moins six mois.
Nous remettons en cause, dans le rapport, la facilité avec laquelle se fait le recours à cette chirurgie, en particulier dans le secteur privé, notamment dans des établissements qui ne font que de la chirurgie et où l'accompagnement médical pré et post-chirurgical n'est pas satisfaisant. Depuis 2017, où l'on a pour la première fois tiré la sonnette d'alarme, à la suite de plusieurs rapports réalisés par la Caisse nationale de l'assurance maladie, l'Académie de médecine et l'Inspection générale des affaires sociales, on assiste enfin à une petite baisse du recours à la chirurgie bariatrique dans les établissements privés à but lucratif. La feuille de route obésité 2019-2022, publiée au mois d'octobre, suit en cela plusieurs recommandations afin d'introduire des seuils d'activité et des critères de qualité. Si la situation est en voie d'amélioration, nous devons rester vigilants.
Le problème des transports bariatriques a été soulevé par des patients, mais aussi par des équipes. Dans le cadre du plan obésité de 2011, l'organisation des transports bariatriques a été confiée aux centres spécialisés de l'obésité, qui disposent de quelque 25 000 euros pour aider à les organiser sous leur égide et dans le cadre d'un schéma régional du transport bariatrique. Les premières étapes ont consisté à faire un état des lieux et à équiper les véhicules SMUR. Aujourd'hui, presque tous les SAMU disposent d'un véhicule pouvant transporter des personnes en situation d'obésité sévère en urgence vitale. Ce qui pose davantage problème, ce sont les transports non urgents, pour lesquels nous avons constaté un problème d'organisation, de disponibilité et de surcoût, puisqu'il faut au minimum deux personnes pour transporter les patients. Dans le cadre de la feuille de route obésité 2019-2022, nous devrions aller vers une amélioration de l'offre qui n'est, comme nous l'avons constaté sur le terrain, pas satisfaisante, avec de nombreux retards. Les centres spécialisés de l'obésité chargés de cette mission n'ont pas toujours les moyens de l'organiser, étant donné que cela leur demande d'identifier les sociétés d'ambulances prêtes à investir dans ce type de démarche.
En milieu scolaire, le plus frappant, ce sont les inégalités qui se creusent entre les enfants et adolescents selon les catégories socio-professionnelles dont ils sont issus, comme l'a montré une publication de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques du mois d'août dernier. C'est pourquoi il faut certainement privilégier des actions plus ciblées vers les enfants les plus vulnérables, et plus probantes. Même s'il est très difficile d'évaluer des actions de prévention, nous savons que le programme ICAPS destiné aux collégiens, qui a été testé et évalué il y a plusieurs années dans l'est de la France, a obtenu des résultats très positifs et durables. L'important, en matière de stratégie, est, d'une part, d'instaurer une surveillance plus régulière des enfants – au Royaume-Uni, l'ensemble des enfants scolarisés est évalué chaque année, ce que nous ne sommes pas capables de faire en France, faute d'un système d'information à l'échelle de la santé scolaire ; d'autre part, de mettre en oeuvre des actions ciblées sur les enfants et les adolescents les plus à risque.
Outre-mer, comme vous l'avez dit, madame la députée, les conditions sont particulièrement défavorables, aussi bien en matière d'offre alimentaire que de facteurs de risque. Il y a quelques années, la Cour des comptes avait consacré un rapport thématique à la santé outre-mer, où ces problèmes se manifestent de façon particulièrement aiguë. Il nous semble important de pouvoir cibler dans ces territoires également les enfants les plus à risque. Compte tenu de la situation et de la démographie médicales, il convient de développer toutes les stratégies permettant de s'appuyer sur d'autres catégories de personnels. Parmi nos recommandations apparaît ainsi l'extension des compétences des infirmières en pratique avancée (IPA) ou la participation des infirmières Asalée aux programmes de prévention, étant donné qu'elles sont habilitées à le faire dans le cadre de leur mission concernant le diabète ou la prévention des risques cardiovasculaires. Ce type d'appui nous semble particulièrement pertinent outre-mer pour pallier la pénurie médicale. Un effort sur les formations serait souhaitable, afin notamment que les universités outre-mer proposent le master IPA. Il faut également favoriser les fonctionnements en réseau avec d'autres professionnels.
En France, 17 % des adultes sont obèses, soit 10 millions de personnes. Dans le monde, 43 millions d'enfants de moins de 5 ans sont en surpoids ou obèses. Les principales causes de l'obésité sont à trouver dans notre changement de mode de vie, dans la diminution de l'activité physique, dans un changement des habitudes de consommation alimentaires – trop d'aliments énergétiques riches en graisses et en sucres et pauvres en vitamines et minéraux, trop peu de fruits et de légumes frais. Alors que nous étudions en séance le projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, qui prévoit la suppression des bouteilles en plastique, je voudrais connaître votre position et, peut-être, vos solutions, puisque demain, dans les distributeurs de boissons, il n'y aura plus de bouteilles d'eau plate, mais beaucoup plus de sodas et de boissons sucrées, qui font partie des aliments responsables de l'obésité.
Le 8 octobre dernier, Mme la ministre des solidarités et de la santé a élaboré une feuille de route pour une prise en charge globale de l'obésité, en mettant l'accent sur les mesures de prévention primaire et secondaire, privilégiant notamment les patients ressources. L'obésité est une maladie chronique touchant 17 % des adultes en France. Elle est associée à une grande comorbidité – diabète, hypertension, problèmes mécaniques ou encore répercussions psychosociales – et corrélée avec des taux de pauvreté et de chômage plus élevés que ceux de la moyenne de la population.
Ma question portera plus particulièrement sur les patients en obésité de grade 3, avec un indice de masse corporelle supérieur à 40, relevant d'une indication chirurgicale, lesquelles ont triplé en dix ans. Quand il faut faire face à un surcoût pour un transport adapté, à une prise en charge psychologique et diététique en ville, à certains actes biologiques non pris en charge, un accompagnement social renforcé s'impose. Tout cela explique en partie la démotivation et la défection pour un suivi au long cours, s'inscrivant dans une politique de prévention secondaire. Quelles mesures concrètes complémentaires envisagez-vous face à ce qui est ressenti comme une injustice, une double peine et une rupture d'égalité quant à l'accès aux soins ?
Les résultats des enquêtes nationales de santé révèlent que près d'un quart des adolescents français sont en surcharge pondérale ou obèses. Comment lutter contre cette inquiétante dynamique, aux fortes disparités sociales ?
Par ailleurs, vous avez souligné le manque d'activités physiques des jeunes Français. Sur cent quarante-six pays étudiés, la France se classe, pour ce qui est de l'activité physique des adolescents, à la cent dix-neuvième place ! L'organisation du temps scolaire laisse peu de place à la pratique d'un sport. Comment pensez-vous qu'il faille revoir cette organisation, afin de favoriser une intégration plus importante de la pratique des sports dans les enseignements ?
Que pensez-vous du projet visant à rendre obligatoire le dispositif d'étiquetage nutritionnel Nutri-Score au sein de l'Union européenne, quand, aujourd'hui, le système repose sur le seul volontariat des entreprises de l'agro-alimentaire et des distributeurs ?
Enfin, vous avez pointé le manque de coordination des différents acteurs de l'obésité. Comment endiguer la multiplicité de programmes trop peu lisibles à votre sens, venant de l'État ou des collectivités, qui nuit à la cohérence de la politique publique ? Faut-il privilégier un échelon plutôt qu'un autre pour renforcer la coordination à l'échelle régionale, sous l'autorité conjointe des préfets de région et des directeurs généraux des ARS ? Doit-on refondre entièrement le système de prévention et de prise en charge ?
Quand nous avons parlé de l'obésité des enfants, nous avons mentionné la régulation de l'offre, celle de la distribution, mais pas leur goûter à l'école. Un effort est clairement fait, afin d'améliorer la qualité nutritionnelle des repas. En revanche, un point noir demeure, celui du goûter, qui est le parent pauvre de cette politique. Sur quels axes d'amélioration travailler, étant donné que cette collation dépend directement des élus ?
Je vous remercie pour votre rapport, qui fait la lumière sur une épidémie mondiale, l'Organisation mondiale de la santé relevant qu'elle concerne aujourd'hui également les pays émergents. En France, la prévalence de l'obésité a doublé dans les années 1990. Si elle semble se stabiliser, l'effet des déterminants sociaux et économiques et des fortes inégalités territoriales ne cesse de progresser, comme nous l'observons dans d'autres domaines de la politique de santé, ainsi que le manque de coordination des politiques publiques au niveau national et local ou l'insuffisance de la régulation de l'offre et du marketing alimentaire.
Vous avez abordé un sujet qui me tient à coeur : celui de la discrimination sanitaire qu'ont à affronter les personnes obèses, qui aggrave les incidences psychologiques et sociales de leurs pathologies. Même avec une ordonnance médicale pour une ambulance bariatrique, l'assurance maladie ne rembourse pas l'intégralité des frais de transport. Ce reste à charge, qui peut atteindre une centaine d'euros, est d'autant plus pénalisant que les personnes obèses sont, selon vos propres constats, les plus vulnérables financièrement. Plusieurs personnes ont été obligées de renoncer à des soins, faute d'une prise en charge financière dans le domaine des transports. Pouvez-vous étayer ce que vous nous avez dit sur les soins de proximité ? Quelles sont vos préconisations pour mettre fin à ces situations de discrimination et offrir un égal accès aux soins et au remboursement intégral de la prise en charge en ambulance bariatrique ?
En tant que psychiatre, j'ai participé à des parcours de soins dans le cadre de prises en charge bariatriques. Je dois vous avouer que j'ai été étonné de voir l'explosion des demandes, en particulier celles qui se font hors parcours, ce qui témoigne d'un dysfonctionnement évident. J'aimerais avoir vos préconisations à ce sujet également.
Je voudrais vous proposer une approche familiale des causes de l'obésité. S'il existe un gradient Nord-Sud, il y a aussi des gradients sociaux. Aux États-Unis, la prévalence de l'obésité est supérieure à celle de la France. Je me demande si cela n'est pas lié à une définition de la famille comprise comme l'ensemble de ceux qui partagent le même réfrigérateur, mais qui mangent debout, n'importe comment et à n'importe quelle heure. En France, la famille se définit plutôt par le partage du repas. Ne faudrait-il pas promouvoir, dans les programmes d'éducation, cette dimension de commensalité, qui est un partage du plaisir en plus de celui de la nourriture ?
Unique en France et fondé sur une méthodologie validée, le programme « Vivons en forme » (VIF) mobilise les collectivités et les acteurs de proximité, depuis quinze ans, autour d'un objectif : accompagner les familles vers des comportements plus favorables à la santé et à la forme. Il garantit la santé et le bien-être de tous, prévient le surpoids et l'obésité chez l'enfant et contribue à réduire les inégalités sociales de santé. Mis en place il y a quinze ans, dans une commune de ma circonscription, par la collectivité en collaboration avec les écoles et les associations, il a été adopté par 250 communes et concerne désormais 4 millions de personnes. Avez-vous eu l'occasion de l'évaluer ?
Je voulais, pour ma part, vous interroger sur l'aide alimentaire, qui ne repose que sur de la redistribution de produits récupérés. Il me semble qu'il y aurait un travail très riche à faire dans ce domaine.
Nous nous sommes effectivement penchés sur les distributeurs automatiques de boissons. Nous avons notamment cité le Haut Conseil de la santé publique, qui, dans son rapport de 2017, recommandait d'encadrer l'installation et l'offre alimentaires de ces distributeurs en limitant, par exemple, les boissons sucrées ou édulcorées proposées à une fraction de l'offre actuelle ou à celles correspondant aux catégories les plus élevées du Nutri-Score. Nous n'avons pas formulé de recommandation explicite dans cette direction, car cela nécessiterait d'étudier cette question de façon plus approfondie, mais il s'agit certainement d'un axe de travail.
S'agissant de la mention obligatoire du Nutri-Score, il est assez difficile de l'envisager de façon véritablement efficace en l'absence d'un cadre communautaire contraignant, compte tenu de l'importance des flux et des échanges intracommunautaires. Le rapport fait cependant état des progrès accomplis par plusieurs États membres dans cette voie.
Nous n'avons pas approfondi outre mesure les ressorts sociologiques du bilan que nous avons dressé. Les facteurs que vous avez cités, relatifs à la famille et aux repas partagés, revêtent certainement une grande importance, de même, d'ailleurs, que les habitudes alimentaires. Nous n'avons pas non plus approfondi cet aspect, mais il ressort nettement du classement des pays au regard de l'obésité que le Japon et les pays méditerranéens sont en bonne place en raison de leurs régimes alimentaires, par rapport à d'autres pays dont les traditions alimentaires sont différentes. Là se trouve sans doute une piste pour des approfondissements ultérieurs.
Les transports bariatriques constituent vraiment une difficulté pour les patients. Sans doute faudra-t-il, à un moment donné, poser la question d'un financement de droit commun. Comme je l'ai dit, ces transports sont aujourd'hui financés à l'hôpital, dans le cadre d'une mission d'intérêt général, par le biais des centres spécialisés de l'obésité, qui sont également chargés de leur organisation. On leur en demande effectivement beaucoup.
Dans le cadre de la prochaine feuille de route obésité 2019-2022, leur cahier des charges va être revu. Nous avons rencontré plusieurs de leurs représentants dans les régions que nous avons visitées. Il est évident que si l'on veut les voir remplir leur mission de soins et de recherche, jouer leur rôle de centre de référence mais également d'animateur territorial et d'organisateur, par exemple des transports bariatriques, il faut le prévoir de manière claire et le financer.
Que vous ayez été confronté, comme vous l'avez mentionné, monsieur Hammouche, à des demandes de transport hors parcours, pose véritablement la question de l'organisation des parcours de soins pour les adultes. C'est pour cette raison que, d'une manière générale, nous avons été assez critiques à l'égard des expérimentations, non en raison de leur manque de pertinence, mais parce que leur mise en place nous semble très lente. S'agissant des adultes, dans la mesure où la population concernée est extrêmement nombreuse et où l'on connaît moins d'expériences probantes, il faut certainement en passer par une phase d'expérimentation.
En tout cas, il nous paraît essentiel d'évoluer vers des prises en charge au parcours, afin précisément d'éviter de telles cassures, ces interventions mal coordonnées, ces chirurgies isolées sans vraiment d'avant et pas d'après. Et cela doit se faire plus rapidement. Aujourd'hui, la question n'est pas tant de savoir si des prises en charge pluridisciplinaires et au parcours sont efficaces – cela est démontré dans la littérature médicale –, elle est surtout de parvenir à organiser ces réseaux dans un système fragmenté, au sein duquel l'approche pluridisciplinaire n'est pas très répandue.
Les mouvements actuels de réforme, avec la mise en place de dispositifs plus coordonnés, comme les communautés professionnelles territoriales de santé, vont plutôt dans le bon sens, car ils peuvent contribuer à la mise en place de parcours coordonnés. Il est essentiel que l'on ne considère plus une fois le seul transport bariatrique, une autre le seul acte chirurgical, mais que l'on ait vraiment une approche de parcours pour ces patients, qui sont complexes et qui vont le rester même après avoir été opérés.
S'agissant de la précarité, il semble important de faire du « sur-mesure ». À Lille, par exemple, l'équipe hospitalière du centre spécialité de l'obésite a été impliquée dans une étude très intéressante en ce qu'elle a conduit les médecins à participer à une enquête à domicile. Ils ont notamment rapporté que, chez les familles les plus touchées par la précarité, les espaces de stockage alimentaire étaient démesurés, tout à fait disproportionnés. De fait, les gens profitent des promotions et stockent des quantités importantes d'aliments de qualité nutritionnelle souvent mauvaise. C'est là l'illustration du poids des instruments publicitaires dans l'orientation de la consommation, et peut-être une piste d'actions à mener dans ce domaine.
Nous disposons de connaissances sur les publics en question. Nous citons, en particulier, dans le premier chapitre du rapport, les études « Alimentation et état nutritionnel des bénéficiaires de l'aide alimentaire » (ABENA). Lors de nos visites de terrain, nous avons constaté une prise de conscience de la nécessité de faire mieux dans le domaine de l'aide alimentaire sur le plan de la qualité, de l'éducation à la santé et de l'information des personnes qui en sont bénéficiaires.
L'aide alimentaire pose la question des bons outils pour mettre à la disposition du public l'information et la meilleure connaissance qui lui permettront de faire le tri. Tant que le Nutri-Score n'est pas obligatoire – dans l'attente, nous appelons de nos voeux l'amélioration de la réglementation actuelle et poussons quelques idées pour tenter de faire évoluer la législation communautaire –, nous recommandons que toute l'information nécessaire soit mise à la disposition du public. D'où la recommandation n° 5 d'aider et d'inciter les associations de consommateurs à partager gratuitement avec le public les bases de données labellisées par Santé publique France, qui permettent d'éclairer les consommateurs. Il y en a toute une série, notamment, pour les mieux outillés, les applications disponibles sur smartphone, qui permettent de faire les courses en scannant la composition nutritionnelle des aliments.
Voilà un outil qui permet d'améliorer la capacité du consommateur à choisir. Au fond, toute la question que vous avez posée, madame Bagarry, sur la culture alimentaire et les repas, c'est bien celle de la connaissance, qui passe par l'éducation.
Monsieur Maillard, le ministère de l'éducation nationale est associé aux objectifs fixés par le fameux PNNS, puisque, par définition, les objectifs fixés par le Premier ministre sont applicables au champ de l'éducation nationale. Cependant, les repas, comme les goûters ou la cantine, relèvent du périscolaire et sont dans la main des collectivités locales. Nous avons tout de même interrogé la DGESCO et appris qu'aucune information ne lui remontait à ce sujet de la part de ces mêmes collectivités. Le ministère de l'éducation nationale ne tient donc pas de tableau relatif, par exemple, à l'appréciation de la qualité des repas distribués et il n'existe pas non plus d'indicateur permettant de vérifier que les goûters ou les repas correspondent bien aux prescriptions du PNNS.
Cela étant, les normes en matière d'équilibre des repas sont respectées par les collectivités locales. Nous n'avons pas mené d'enquête auprès de ces dernières puisque nous n'avons pas travaillé avec les chambres régionales des comptes, mais aucune des remontées ne nous a cependant paru anormale de ce point de vue.
Pour conclure, il nous semble très important de souligner aujourd'hui que les pouvoirs publics ont fait de gros efforts en matière de campagnes d'information. De telles campagnes, comme le site mangerbouger.fr, constituent l'aspect le plus moderne de la volonté politique, avec néanmoins le défaut du manque de ciblage. De ce point de vue, nous persistons à considérer qu'outre les outils réglementaires que nous recommandons afin d'améliorer l'organisation de l'offre et de mieux contrôler sa qualité, l'éducation passera également et toujours par une amélioration de la connaissance des consommateurs.
Je vous remercie infiniment pour votre éclairage et votre rapport. Nous aurons, je le pense, l'occasion de revenir sur ce sujet.
La séance est levée à seize heures vingt.
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Présences en réunion
Réunion du mercredi 11 décembre 2019 à 15 heures
Présents. – Mme Delphine Bagarry, Mme Brigitte Bourguignon, Mme Christine Cloarec-Le Nabour, M. Marc Delatte, M. Pierre Dharréville, Mme Jeanine Dubié, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, Mme Claire Guion-Firmin, M. Brahim Hammouche, Mme Charlotte Lecocq, Mme Monique Limon, M. Gilles Lurton, M. Sylvain Maillard, M. Bernard Perrut, Mme Claire Pitollat, Mme Isabelle Valentin, Mme Michèle de Vaucouleurs, M. Olivier Véran
Excusés. – Mme Ericka Bareigts, Mme Justine Benin, Mme Josiane Corneloup, M. Jean-Carles Grelier, M. Thierry Michels, M. Jean-Philippe Nilor, Mme Michèle Peyron, M. Adrien Quatennens, Mme Nadia Ramassamy, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Nicole Sanquer, M. Aurélien Taché, Mme Martine Wonner
Assistait également à la réunion. – M. Bertrand Bouyx