Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères.
La séance est ouverte à 16 heures 05.
Cher Jean-Yves Le Drian, notre commission vous présente ses meilleurs voeux, pour vous-même et pour le monde. Votre audition a lieu à un moment où les situations de conflit s'accumulent. Certes, c'est souvent le cas, mais c'est particulièrement vrai en ce début d'année 2020.
Ces derniers temps ont ainsi vu la montée continue des tensions entre les États-Unis et l'Iran, chacune de ces deux puissances ayant sa part de responsabilité : attaques successives de part et d'autre, violences contre l'ambassade des États-Unis à Bagdad par la mobilisation populaire, élimination le 3 janvier à Bagdad, sur ordre du Président des États-Unis, de Soleimani, riposte contre des bases américaines en Irak, avion abattu par des missiles iraniens, terrible drame ayant fait 176 morts, dont 82 Iraniens et donnant lieu à de nombreuses manifestations contre le régime.
Depuis le premier jour, la France plaide avec raison pour la désescalade, tant les risques de déflagration dans cette partie du monde sont importants. Vous nous direz s'il y a un chemin pour faire baisser les tensions dans la région, pour maintenir l'engagement de la coalition à lutter contre Daech, et s'il subsiste encore un espoir de faire vivre l'accord de Vienne sur le nucléaire.
En Libye, les risques de chaos s'aggravent. Les interventions étrangères sont de plus en plus manifestes. L'accord donné le 2 janvier par le Parlement turc au déploiement de soldats est de nature à nous inquiéter. Sur le terrain, des supplétifs syriens seraient engagés auprès de Fayez el-Sarraj, tandis que des mercenaires russes le seraient auprès du maréchal Haftar. Un cessez-le-feu est entré en vigueur dimanche 12 janvier à minuit, mais les discussions à Moscou, qui devaient le consolider, n'ont pas abouti. La tenue de la conférence à Berlin, ce dimanche 19 janvier, laisse espérer une amélioration.
En tout état de cause, il n'y aura pas de solution durable sans l'implication de l'Union africaine et de la Ligue arabe.
Par ailleurs, alors que la découverte d'importants gisements de gaz naturel exacerbe les tensions en Méditerranée orientale, la Turquie a signé un accord avec le gouvernement libyen sur la délimitation des zones maritimes. Ce texte viole la zone économique exclusive grecque, et nous le condamnons. Vous nous direz si des avancées ont été constatées à la réunion qui s'est tenue il y a quelques jours au Caire, où vous étiez présent avec vos homologues grec, chypriote, italien, et égyptien.
Au Sahel, la situation sécuritaire reste très précaire et semble même s'aggraver. Au sommet de Pau, les chefs d'État du G5 Sahel ont souhaité la poursuite de l'engagement militaire de la France et la poursuite de la présence européenne incluant nos alliés dans le cadre de la coalition. Les efforts militaires seront désormais concentrés dans la région des trois frontières, sous le commandement conjoint de la force Barkhane et de la force conjointe du G5 Sahel. Mais nous savons que la réponse à la crise du Sahel devra aussi être politique, sociétale, économique et sociale.
L'avenir du Partenariat oriental mérite également toute notre attention.
Je commencerai par l'Ukraine. La France, qui joue un rôle clé au sein du format Normandie, a accueilli le 9 décembre, à Paris, le premier sommet de paix organisé depuis 2016. Des avancées ont été constatées, rendues possibles par la nouvelle donne politique en Ukraine, par un échange historique de prisonniers, dont le cinéaste ukrainien Oleg Sentsov, et par la signature d'un nouveau contrat pour cinq ans sur le transit du gaz russe.
Autre conflit, celui du Haut-Karabagh, qui perdure depuis 1988. Le changement de gouvernement en Arménie a créé là aussi une nouvelle donne dont il faut profiter pour tenter de sortir de ce « conflit gelé ». La France co-préside le groupe de Minsk avec les États-Unis et la Russie. Nous souhaitons que notre diplomatie continue de s'engager pour faire évoluer cette situation.
Deux sujets vont enfin appeler, ces prochaines années, une action collective de long terme. Celui du futur partenariat entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, et des relations bilatérales, en particulier en matière de défense et de sécurité entre nos deux pays. Notre commission s'est saisie de cette question en créant une mission d'information. Et celui de la nécessaire mobilisation internationale pour la défense de l'environnement, car les incendies sans précédent qui ravagent l'Australie nous montrent une fois de plus le prix de l'inaction en matière climatique.
Face à ces crises, à ces conflits, à ces grands déséquilibres, quels sont, monsieur le ministre, nos espoirs et nos perspectives ?
À mon tour, je vous présente, à vous-même et à l'ensemble des membres de la commission, mes meilleurs voeux de santé, de réussite et de bonheur.
Nous vivons un moment de très grandes tensions internationales. Je ne suis pas venu devant vous depuis fin novembre. Or, depuis cette date, il y a eu une cristallisation des crises. Comme vous me l'avez demandé, je consacrerai donc l'essentiel de mon propos liminaire aux crises et à nos efforts pour essayer d'enrayer toute forme d'escalade.
Je commencerai par évoquer l'Irak et l'Iran. Nous venons de vivre un cycle de violences et d'escalade militaire directe sur le sol irakien. Ce cycle peut sembler s'être interrompu. Je considère pourtant que nous n'assistons pas à une désescalade, mais seulement à une interruption de l'escalade. Ce n'est pas la même chose. Cela veut dire que la situation reste extrêmement volatile. Il suffit d'un événement pour qu'on se retrouve dans une logique d'escalade. Vous avez cité la destruction de l'avion d'Ukraine International Airlines, mais il peut y avoir d'autres actions, directes ou indirectes, du fait d'erreurs, de défauts d'attention ou de provocations. Il faut bien en avoir conscience, la mécanique qui a conduit à la crise de ces dernières semaines n'est pas enrayée.
Sur ce sujet, nos quatre priorités sont claires.
La première, c'est bien sûr la protection de la sécurité de nos ressortissants et des emprises françaises.
J'ai pris des mesures, en lien avec les ambassades françaises dans la région, pour adapter immédiatement le niveau de sécurité de nos postes, et dispenser les conseils aux voyageurs français qui sont ou veulent se rendre dans cette zone, en appelant notamment nos ressortissants à la plus grande vigilance et au report de leurs déplacements non essentiels, à la fois en Irak et en Iran. Nous observons la même vigilance pour toutes les emprises françaises.
Notre deuxième priorité, c'est de s'assurer que la désescalade des tensions soit confirmée dans les prochains jours et qu'aucune nouvelle action déstabilisatrice, directe ou indirecte, ne soit menée.
C'est le message que les Européens ont porté ensemble vendredi dernier à Bruxelles, où s'est tenue une réunion d'urgence à l'initiative du nouveau Haut représentant Josep Borrell. Je constate d'ailleurs, dans tous les contacts que la diplomatie française a eus ces derniers jours, le Président de la République ou moi-même, que l'appel à la retenue et à la désescalade est général.
Je me rends ce soir au Moyen-Orient : je sais que j'y trouverai des interlocuteurs qui se placent dans cette logique. Nous voulons tous adresser des messages de retenue, car personne, dans la région, ne souhaite la guerre.
Notre troisième priorité, c'est la poursuite de la lutte collective contre Daech. La mission de la coalition internationale – qui se déroule en Irak, à la demande des autorités irakiennes – est une mission essentielle pour la sécurité de ce pays et pour notre sécurité. Le Président de la République et moi-même avons dit aux autorités irakiennes qu'il était important que cette mission puisse se poursuivre, dans le plein respect de la souveraineté irakienne.
Il faut souligner, pour éviter toute dérive de dénomination et d'interprétation, que la coalition présente en Irak est une coalition formée contre Daech. Ce n'est pas une coalition contre l'Iran. Daech n'est pas morte, en effet. Même si elle a perdu depuis le mois de mars dernier son emprise territoriale, des organisations clandestines continuent à provoquer des attentats, comme très récemment encore à Kirkouk. L'action de la coalition n'est donc pas achevée. Elle se déroule en articulation avec les autorités irakiennes, dans le plein respect de la souveraineté de ce pays.
Nous sommes en contact très étroit avec les autorités irakiennes et avec nos partenaires de la coalition, car il faut prendre en compte le trouble créé par les événements récents en Irak et en même temps poursuivre la lutte contre Daech. J'ai eu l'occasion de m'entretenir, à plusieurs reprises avec le Premier ministre Abdel-Mehdi sur ce sujet, tandis que le Président de la République a pu joindre aussi à plusieurs reprises le Président Salih.
J'en viens à notre quatrième priorité : nous devons tout faire pour éviter qu'une crise de prolifération nucléaire ne vienne s'ajouter à ce contexte déjà très compliqué. Notre position est sans ambiguïté : nous avons travaillé à la préservation de l'accord nucléaire de Vienne et nous continuerons de le faire. Parce qu'il faut s'assurer que l'Iran n'acquiert pas d'arme nucléaire et parce que notre conviction, c'est que la voie diplomatique reste, malgré les difficultés que je ne mésestime pas, la meilleure manière d'atteindre cet objectif. Telle était l'ambition de l'accord de Vienne. Imaginons ce que serait aujourd'hui la situation avec un Iran nucléarisé…
Comme je l'ai déjà dit à plusieurs reprises, y compris devant votre commission, ce que fait l'Iran depuis le mois de mai, c'est multiplier les mauvaises réactions à la mauvaise décision des États-Unis de priver ce pays de certains bénéfices économiques liés à cet accord. L'accumulation des gestes de désengagement iraniens finit par progressivement vider l'accord de Vienne d'une partie de sa substance. Donc l'accord est en danger. Il faut que l'Iran continue de respecter ses engagements, alors que nous, Européens – Allemagne, Royaume-Uni, France – Russes et Chinois, continuons de le respecter.
La déclaration des chefs d'État et de gouvernement français, allemand et britannique l'a réaffirmé solennellement dimanche dernier : nous tenons à l'accord de Vienne et nous resterons strictement dans son cadre. C'est pourquoi nous avons décidé d'utiliser toutes ses stipulations, y compris son mécanisme de règlement des différends, non pour sortir de l'accord, mais pour créer un espace de dialogue politique avec l'Iran, en son sein afin, comme son nom l'indique, de chercher à régler par la voie diplomatique nos différends.
J'en viens à la Libye. C'est aussi une voix européenne que nous voulons faire entendre dans le conflit libyen, car l'Union ne peut assister sans réagir à la déstabilisation de ce pays clé, véritable carrefour stratégique, situé dans son voisinage immédiat, et dont dépend la sécurité du Maghreb et du Sahel.
D'abord avec nos partenaires allemand, italien, britannique et le Haut représentant Josep Borrell, lors d'une réunion organisée à Bruxelles le 7 janvier, puis avec l'ensemble des ministres des affaires étrangères de l'Union, nous avons fait passer des messages de fermeté. Nous avons rappelé que seul un processus politique permettra de sortir de l'impasse : il n'y aura pas de victoire militaire, il n'y a pas de règlement militaire potentiel en Libye.
Nous avons également appelé chacun des acteurs libyens et régionaux à la responsabilité et condamner les ingérences extérieures, qui constituent un obstacle pour le règlement pacifique de la crise – et qui risquent même de la transformer en une escalade régionale.
Nous avons enfin appelé à éviter la signature d'accords qui exacerbent les tensions et servent de prétexte à des interventions étrangères. Sur ce dernier point, la signature de deux accords entre la Turquie et le gouvernement d'entente nationale soulève une inquiétude particulière. Car, d'une part, l'accord militaire représente une violation assumée de l'embargo sur les armes des Nations unies et, d'autre part, l'accord maritime, qui est une violation du droit de la mer, menace directement les intérêts européens et la souveraineté d'États membres de l'Union européenne, à savoir Chypre et la Grèce. Nous l'avons dit lors du Conseil européen des 12 et 13 décembre, et nous avons abordé en détail la question de la stabilité de la Méditerranée orientale lors d'une réunion à laquelle j'ai pris part au Caire le 8 janvier, de sorte qu'y étaient représentés à la fois la France, la Grèce, Chypre, l'Italie, et l'Égypte.
Un cessez-le-feu a été annoncé. S'il se traduit sur le terrain dans la durée, c'est un développement positif, car – je le redis – il n'y aura pas de victoire militaire en Libye. Un calme relatif prévaut sur le terrain depuis le 12 janvier, mais les discussions qui se sont tenues avant-hier à Moscou entre les différentes parties libyennes n'ont pas été conclusives. Il appartient à chacun, quoi qu'il en soit, de respecter la trêve en cours. Il est désormais essentiel que la conférence de Berlin de dimanche prochain se tienne autour d'objectifs largement partagés : pérennisation du cessez-le-feu, unification des institutions libyennes, démantèlement des milices, contrôle et répartition équitable des ressources par et pour le peuple libyen, arrêt des interventions étrangères en Libye. Tout cela fait partie de l'ensemble qui devrait faire l'objet d'un communiqué de la communauté internationale à la fin du processus de Berlin.
Nous souhaitons, pour notre part, associer les voisins de la Libye à ce processus, car ils sont les premiers concernés par la crise en cours : la Tunisie, où je me suis rendu la semaine dernière pour y parler, notamment, de Libye ; l'Algérie, où j'irai la semaine prochaine ; et bien sûr le Maroc, où a été signé l'accord de Skhirat.
Nous soutenons pleinement la médiation menée par l'Organisation des Nations unies (ONU) sous l'égide du représentant spécial Ghassan Salamé. Elle doit rester le processus central pour sortir de la crise. Autant sur le plan militaire, afin d'avancer vers la réunification des forces armées, à travers le comité militaire dit 5+5, que sur le plan politique, avec la reprise du dialogue interlibyen, au sein duquel la France souhaite jouer un rôle moteur dans la phase qui suivra la conférence de Berlin. Car, si d'aventure celle-ci aboutit, il faudra passer alors à la mise en oeuvre, grâce à un accord interlibyen. Les étapes que je vous ai indiquées sont simples : elles ont déjà été initiées et tentées à plusieurs reprises, et débouchent évidemment sur un processus électoral libyen.
La dimension économique est également essentielle, l'enjeu étant celui d'un meilleur contrôle sur les ressources libyennes et leur usage ; une négociation spécifique a également été lancée par Ghassan Salamé sur le sujet – nous soutenons sa démarche. La France a joué un rôle moteur pour que la dimension sécuritaire, avec l'enjeu du démantèlement des milices, et la dimension économique, avec l'enjeu de la gouvernance de la banque centrale libyenne, soient placés au centre de la négociation.
Enfin, pour agir efficacement et aider au règlement de cette crise, tous les acteurs pertinents doivent être associés aux efforts de stabilisation, y compris l'Union africaine et les partenaires régionaux. Il est crucial qu'ils restent engagés à nos côtés. Comme nous l'avons annoncé lors du G7 de Biarritz, nous veillerons à ce que l'Union africaine joue, aux côtés de l'ONU, un rôle central dans le processus qui suivra la conférence de Berlin.
Tout aussi essentiel est l'engagement de la France et de ses partenaires, en particulier européens, au Sahel. Si des Européens sont à nos côtés aujourd'hui dans l'opération Barkhane, et bientôt dans la task force Takuba, si des Européens soutiennent la Force commune du G5 Sahel, si des Européens s'engagent dans la mission civile EUCAP Sahel Niger, si des Européens s'impliquent dans l'Alliance Sahel, c'est parce que cette région est la frontière sud de notre Union et que nous ne saurions laisser les groupes terroristes la transformer en sanctuaire djihadiste. C'est notre sécurité qui est en jeu, mais il en va aussi la stabilité et l'intégrité des États du Sahel.
Ces groupes terroristes s'adaptent aux défaites que nous leur imposons. Ils ont changé de méthode, ce qui n'enlève rien à leur terrible capacité de nuisance, comme l'a montré l'attaque jeudi dernier au Niger, qui a tué 89 soldats, dans la région des « trois frontières ». Ils ont aussi changé d'objectif : faute de pouvoir prendre le contrôle, ils s'emploient à saper l'autorité et l'action des pouvoirs publics. Il n'est d'ailleurs pas étonnant que les cibles généralement retenues par les groupes en question soient des garnisons ou des écoles.
Nous assistons à une double mutation, non seulement opérationnelle, mais stratégique et géographique. Car l'espace et le périmètre dans lesquels interviennent les groupes terroristes se sont élargis. Ils s'étaient jusqu'à présent concentrés sur le Mali. Désormais, leurs cibles les plus importantes sont au Burkina Faso et au Niger, dans des États qui semblaient stabilisés.
Le temps était donc venu d'engager une dynamique nouvelle. C'était l'objectif du sommet de Pau avant-hier. Comme je l'ai dit hier devant l'Assemblée nationale, c'était d'abord le sommet de l'unité souhaité par le Président de la République. Y étaient présents tous les présidents sahéliens, le Secrétaire général des Nations unies, António Guterres, le président de la Commission de l'Union africaine, M. Faki, ainsi que le président du Conseil européen Charles Michel et le Haut représentant Josep Borrell, ou encore la Secrétaire générale de l'Organisation internationale de la francophonie.
C'était aussi un sommet de la clarification et de la confirmation puisque les pays du G5 ont réaffirmé la nécessité de la présence de Barkhane, avec le soutien de ses alliés européens et américains.
C'était enfin un sommet pour l'action et la remobilisation qui a abouti à une initiative majeure : celle de lancer une coalition pour le Sahel. Cette coalition permettra de mieux mettre en valeur les mécanismes existants, d'assurer un meilleur pilotage et une meilleure coordination entre les actions des pays sahéliens et la communauté internationale. Elle permettra de mieux articuler l'effort militaire avec l'effort de la stabilisation et du développement, grâce à une organisation de la coalition en quatre piliers.
Le pilier militaire opérationnel sera renforcé avec la création d'un mécanisme de commandement conjoint entre les forces sahéliennes, la force du G5 et Barkhane, et demain les forces spéciales européennes.
Un deuxième pilier servira à mieux appuyer les capacités militaires en matière de formation et d'équipement au profit des forces armées nationales et de la force conjointe du G5 Sahel.
Un troisième pilier permettra un engagement accru pour le maintien et le retour des services de l'État sur leurs territoires et pour la sécurité intérieure – l'objectif étant le redéploiement des services régaliens, en particulier à travers la formation et le déploiement de personnel de police, gendarmerie et douanes.
Ces deux piliers sur le renforcement des capacités locales s'inscriront dans le cadre du partenariat pour la sécurité et la stabilité du Sahel que le Président de la République a lancé à Biarritz au sommet du G7 en août dernier.
Enfin, un quatrième pilier visera à accélérer les projets de développement dans le cadre de l'Alliance Sahel, lancée également avec l'Allemagne en juillet 2017, pour stabiliser les zones les plus vulnérables et faire en sorte que les populations aient un accès direct aux services de base et que leurs conditions de vie s'améliorent.
Le mois prochain, une assemblée plénière de l'Alliance Sahel aura lieu à Nouakchott – je sais que certains d'entre vous sont très soucieux de ces aspects relatifs au développement. Tous les participants de l'Alliance s'emploieront à travailler à un mécanisme non plus en silos, mais portant sur des actions concrètes, sur des projets visibles et bien identifiés.
Il importe à présent que les dix engagements pris par l'ensemble des acteurs se déclinent en obligation de calendrier. Les partenaires doivent exercer une pression les uns sur les autres pour être au rendez-vous de l'ensemble des actions décidées à Pau. Une réunion des ministres des affaires étrangères et de la défense concernés aura lieu tous les trois mois, mais aussi en présence des représentants de la communauté internationale.
Bref, une prise de conscience s'est opérée. Nous sommes à un tournant. Il n'y a pas le choix : il faut réussir. Si nous n'aboutissons pas, nous serons devant des difficultés considérables, y compris pour notre propre sécurité.
J'en viens à la situation en Ukraine.
Dans un tableau général préoccupant, j'observe une lueur à l'Est, certes légère mais réelle. Le conflit dans l'est de l'Ukraine est « une plaie ouverte au coeur du continent européen ». Nous poursuivrons, avec l'Allemagne, nos efforts de médiation pour lui donner une issue négociée.
Le 9 décembre, à Paris, a eu lieu un sommet des chefs d'État et de gouvernement du format Normandie. Ce sommet, le premier à ce niveau depuis 2016, a permis de prendre des décisions importantes, dont la mise en oeuvre a débuté comme prévu dès la fin du mois de décembre avec l'échange de 200 prisonniers liés au conflit. D'autres mesures de confiance devront être mises en oeuvre dans les semaines qui viennent : désengagement et retrait des armes lourdes de nouvelles zones-test, assistance humanitaire et facilités de circulation pour les populations.
Un mouvement positif a donc été engagé. Je compte me rendre prochainement sur la ligne de contact avec mon homologue allemand pour observer la bonne application des engagements pris.
Une nouvelle rencontre des chefs d'État, dans la même configuration, devrait avoir lieu à Berlin en mars prochain et permettre d'aborder les points les plus difficiles, en particulier la mise en oeuvre du volet politique des accords de Minsk, l'articulation élection-désengagement étant sans doute le point le plus délicat. Mais l'état d'esprit était bon. Je suis convaincu que les initiatives prises par le président Zelensky ont été appréciées ; elles ont permis de déboucher sur une situation de dialogue qu'on n'avait pas connue depuis trois ans.
Comme vous me l'avez demandé, madame la présidente, j'en viens maintenant au Brexit.
Les élections du 12 décembre au Royaume-Uni ont eu le mérite de la clarté et devraient permettre la ratification de l'accord de retrait et la mise en oeuvre du Brexit pour le 31 janvier. Après l'approbation, la semaine dernière, par la Chambre des communes du projet de loi de mise en oeuvre de l'accord de retrait, les travaux parlementaires devraient s'achever dans les temps à la Chambre des Lords. Du côté européen, le Parlement devrait approuver l'accord de retrait le 29 janvier, permettant au Conseil de le conclure formellement le 31 janvier.
Dans cette hypothèse, à la date du 1er février, le Royaume-Uni deviendra un État tiers et ne participera plus au processus de décision de l'Union européenne. Une période de transition s'ouvrira immédiatement jusqu'au 31 décembre 2020, pendant laquelle le droit de l'Union continuera de s'appliquer au Royaume-Uni. C'est une sécurité pour nos citoyens et nos entreprises présentes. Cette période de transition doit nous servir à négocier les relations futures entre l'Union européenne et le Royaume-Uni. Cette négociation complexe devra débuter le plus tôt possible, dès adoption par le Conseil d'un mandat, qui lui sera donné normalement le 25 février.
Le calendrier est très serré. Vous le savez, il est possible de prolonger la période de transition jusqu'à la fin de 2022. Le Premier ministre britannique souhaite que cela aille plus vite, mais le délai sera particulièrement court, alors que les difficultés vont se présenter.
Au moment d'entrer dans cette nouvelle négociation, l'Union et ses États membres devront rester cohérents et unis, sous la houlette de Michel Barnier qui devrait être le négociateur unique pour l'Union, en vertu d'un mandat qui lui sera donné le 25 février.
Nous serons particulièrement attentifs à trois points.
Premièrement, nous devrons faire primer le fond sur l'urgence, car les enjeux sont importants. Il ne faudrait pas que le calendrier très serré proposé par le Premier ministre Boris Johnson nous mène à une négociation bâclée : nous devons rester très rigoureux.
Deuxièmement, il nous faudra préserver les intérêts de l'Europe. Nous ne voulons pas avoir à nos portes un concurrent déloyal, et devrons donc faire preuve de la plus grande vigilance pour empêcher toute forme de dumping. Notre degré de proximité commerciale, que nous souhaitons élevé, dépendra de notre degré de convergence réglementaire. La négociation sera donc globale, et pas seulement commerciale. Dans ce domaine comme dans tous les autres – je pense notamment à la pêche –, nous voulons un partenariat équilibré et respectueux des intérêts européens.
Troisièmement, enfin, nous veillerons à arrimer le Royaume-Uni à l'Europe, notamment en matière de défense. Nous souhaitons que notre future relation offre la plus grande proximité possible car, le 31 janvier au soir, nos intérêts communs seront toujours les mêmes et les îles britanniques seront toujours là où elles sont, c'est-à-dire en Europe : la géographie a ses pesanteurs qu'un vote, quel qu'il soit, ne pourra jamais changer.
Je vous ai livré dans le cadre de ce propos liminaire quelques informations que j'ai dû résumer, étant donné la densité de l'actualité, mais je me tiens maintenant à votre disposition pour répondre à toutes vos questions.
Merci beaucoup, monsieur le ministre. La France étant l'un des trois coprésidents du groupe de Minsk, notre commission est particulièrement sensible à la situation au Haut-Karabakh. Pourriez-vous nous en dire un mot ?
Nous sommes en relation avec les deux parties et nous nous employons à favoriser la reprise du dialogue. En l'état actuel, nous sommes en présence d'un conflit gelé aboutissant parfois à des actes dangereux et condamnables. Si les présidents de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan affichent tous deux l'intention d'aboutir à un résultat, dans la pratique, c'est beaucoup plus compliqué. La France entend bien jouer son rôle de médiateur, mais il faut que des efforts soient faits de part et d'autre pour que les choses avancent et que l'on puisse trouver un statut convenant à la situation. Si les parlementaires ont des idées à me soumettre, je les écouterai avec intérêt. En tout état de cause, il s'agit d'un sujet sensible, et c'est avec beaucoup de précaution qu'il convient de s'exprimer sur ce point.
Comme vous l'avez dit, monsieur le ministre, le Moyen-Orient est aujourd'hui à un tournant, et il nous faut agir résolument en faveur d'une désescalade afin d'éviter à la fois une aggravation de la crise et un éventuel embrasement de la région.
Sur le dossier iranien, l'approche du Président de la République et de la diplomatie française est certes devenue plus ardue, mais elle n'en demeure pas moins, me semble-t-il, la plus pertinente. Il nous faut tout à la fois favoriser le dialogue, exhorter Téhéran à respecter ses engagements en matière nucléaire, lui permettre aussi d'en retirer des bénéfices économiques, et exiger un arrêt de toutes les opérations de déstabilisation.
La France a une voix particulière, forte, écoutée, attendue et entendue dans cette région du monde. Elle constitue l'un des seuls ponts entre Téhéran et Washington, comme l'avait prouvé la venue, à notre initiative, d'une délégation iranienne lors du sommet du G7 en août 2019. Si la France a toujours joué ce rôle de force d'équilibre, elle doit continuer à tenir un discours de vérité, à exprimer en toute franchise – j'allais dire « les yeux dans les yeux » – ses préoccupations lorsque l'un de ses partenaires prend unilatéralement et sans consultation une décision potentiellement déstabilisatrice pour la région.
Monsieur le ministre, ma question porte plus précisément sur ce que vous avez évoqué comme une priorité, à savoir la coalition internationale contre le terrorisme et contre Daech à la suite du chaos géopolitique entraîné par la mort du général Soleimani et la riposte iranienne. En effet, les députés de la majorité chiite du parlement irakien ont voté une résolution exigeant le retrait des troupes étrangères d'Irak. L'Allemagne a, quant à elle, retiré une partie de ses troupes, et la coalition contre Daech a dû suspendre ses activités. Enfin, le président Trump a déclaré récemment qu'il allait envoyer 3 500 soldats supplémentaires, mais il ne faut pas oublier qu'il a longtemps défendu un retrait des troupes américaines du Moyen-Orient.
Comme chacun le comprend, après l'escalade observée, l'apaisement des tensions dans la région est indispensable dans la lutte contre le terrorisme. Pourriez-vous préciser quels sont les impacts des événements des derniers jours sur l'avenir de la coalition contre Daech, quelle est la réalité d'une éventuelle résurgence de Daech en Irak et en Syrie, et quelles sont les conséquences de cette situation sur la présence des troupes françaises dans la région ?
Je souhaite moi aussi vous interroger au sujet de l'Iran et du retour de Daech. Quand on examine la situation en Iran – en dehors des événements récents que chacun connaît –, on s'aperçoit qu'elle est marquée par la progression militaire de cet État. L'attentat contre les installations d'Aramco en septembre dernier avait déjà constitué un avertissement sérieux, d'autant que, selon les états-majors d'Israël et des États-Unis, les fusées ayant atteint ce site n'avaient pas été détectées. Quelques mois plus tard, l'attaque sur deux bases stratégiques des forces américaines et irakiennes en riposte à la mort du général Soleimani est venue confirmer les craintes que l'on pouvait avoir : du point de vue balistique, l'Iran a incontestablement progressé, et possède désormais une force de frappe dont l'ampleur reste inconnue.
Les inquiétudes sur ce point viennent inévitablement s'ajouter à celles que l'on a sur le nucléaire. Quand un pays est doté d'engins balistiques aussi puissants, aussi longs, et dotés sur le devant d'une petite antenne, on ne peut que se demander s'il n'a pas l'intention de les équiper, un jour ou l'autre, d'une petite tête nucléaire ! Sur ce point, beaucoup de gens en viennent aujourd'hui à douter de l'avis de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), qui estime que le programme d'armement nucléaire de l'Iran ne progresse pas. Il est évident que si le pays se dote d'engins balistiques aussi puissants, ce n'est certainement pas pour aller tuer des poulets à 1 000 kilomètres !
La deuxième question qui nous préoccupe beaucoup est celle relative au djihadisme, dont la renaissance actuelle semble constituer un phénomène inévitable. Les tensions entre les chiites et les sunnites d'Irak se trouvent exacerbées par l'absence américaine et une présence iranienne renforcée, et il est évident que, tôt ou tard, les sunnites vont exprimer sous une nouvelle forme des revendications anciennes, ce qui donnera lieu à un regain de l'activité sunnite et permettra sans doute un prolongement des activités de Daech.
Cette question me conduit tout naturellement à une autre, qui nous trouble beaucoup, je veux parler du retour des djihadistes. Pour des raisons qui l'honorent certainement, Mme la garde des sceaux s'est récemment déclarée favorable au retour des djihadistes, alors que vous avez semblé exprimer sur ce point une position beaucoup plus mesurée et plus proche de la nôtre, à savoir que les djihadistes doivent être jugés et condamnés sur les lieux où ils sont capturés – on songe ainsi à l'idée d'un tribunal européen ou international qui pourrait juger les djihadistes en Irak. En tout état de cause, les membres du groupe Les Républicains sont totalement opposés à la position exprimée sur ce point par Mme Belloubet.
Monsieur le ministre, je n'aborderai que le dossier de l'Iran. Si, sur tout le reste, la situation est difficile, la ligne est claire, ce qui nous permet de savoir quels sont nos objectifs – que nous ne sommes cependant pas toujours certains de pouvoir atteindre. Pour ce qui est de l'Iran, je dois dire que je suis extrêmement perplexe. Nous avons jusqu'à présent réprouvé, à juste titre, les orientations fondamentales de la politique américaine depuis une vingtaine d'années. Nous pensions que l'intervention américaine en Irak produirait des résultats catastrophiques et cela a été le cas. De même, nous pensions que la renonciation aux accords de Vienne sur le contrôle nucléaire iranien aboutirait à un désastre et nous voyons bien aujourd'hui que nous sommes engagés dans un processus extrêmement dangereux. Nous avions toutes les raisons de penser cela : l'armée israélienne disait qu'il n'y avait pas d'option militaire crédible pour arrêter le processus de nucléarisation, ce qui confirmait que la non-prolifération passait par cet accord, et il paraissait évident que l'ouverture du régime sur l'économie occidentale était une bonne chose pour son assouplissement. Nous avions donc sur cette question une position aussi solide que légitime, mais le président Trump en a décidé autrement.
Cependant, on ne peut nier que les décisions récemment prises par le président Trump soient cohérentes sur le plan tactique. Il a accompli un acte de légitime défense par rapport aux menaces pesant sur l'ambassade américaine à Bagdad – des menaces qui, pour les Américains, font inévitablement penser à l'attaque subie par leur ambassade à Téhéran en 1979 –, il a fait en sorte de rétablir son autorité vis-à-vis des sunnites, alors qu'elle se trouvait affaiblie par sa passivité dans des affaires récentes, enfin il a engagé un processus de confrontation avec le régime iranien, qui trouve à l'évidence un écho dans les manifestations qu'on observe à Téhéran et ailleurs.
Si cette stratégie n'est pas la nôtre – elle est même contraire à la nôtre –, elle n'en est pas moins une véritable stratégie, face à laquelle on s'explique mal la position française tout en retenue. Il est clair que nous n'avons pas la moindre chance de conduire le président américain à renoncer à sa politique, qui ne laisse au régime iranien aucun espoir, aucune possibilité – légitime ou pas – d'agir. Pour les raisons que j'ai indiquées, nous n'avons pas condamné l'intervention américaine, mais il faut tout de même se demander quel choix s'offre encore aux Iraniens, sinon celui consistant à persévérer dans leur politique actuelle, à tenter de déstabiliser, par des actions militaires plus ou moins importantes, la situation en Irak afin d'inciter les Américains à partir, et à poursuivre leur programme de prolifération nucléaire.
Face à cette situation, il me semble que la retenue représente un non-choix : nous ne pouvons continuer à éviter de choisir notre camp – et je ne peux m'empêcher de penser à la phrase de Malraux selon laquelle le monde est devenu trop tragique pour croire aux troisièmes voies.
Monsieur le ministre, lundi 13 janvier, dans le cadre du sommet de Pau, Emmanuel Macron a annoncé que 220 militaires supplémentaires seraient déployés pour renforcer l'opération Barkhane. La France et les pays du G5 Sahel ont décidé de renforcer leur coopération militaire face à la recrudescence des attaques djihadistes.
Suite au décès de sept militaires au Mali fin novembre, les députés du groupe Socialistes et apparentés avaient demandé au Gouvernement de préciser les objectifs de cette opération militaire : nous souhaitions qu'il prenne une initiative pour éclairer les responsables politiques du pays, notamment les parlementaires, sur les enjeux de l'intervention française au Sahel.
Nous savons que la France est intervenue parce qu'une décision naturelle s'imposait à nous. Sans la France, en l'occurrence sans la décision du Président Hollande, le Mali aurait perdu sa souveraineté et les Maliens leur liberté. Quant au terrorisme, il aurait pu gagner et prospérer en Afrique comme sur le territoire national.
Cela dit, le temps passe et la présence française fait de plus en plus débat auprès des populations locales. Il ne faudrait pas qu'elle finisse par être perçue comme une force d'occupation ou une force de protection des présidents en place – un risque évoqué par un article publié dans le journal Le Monde le 14 janvier.
Dans ces conditions, un débat parlementaire semble s'imposer. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser les raisons objectives ayant motivé le déploiement de 220 militaires supplémentaires au Sahel, et surtout la stratégie mise en place pour que la présence française soit plus efficace ? Certains responsables africains que nous avons rencontrés à l'ONU nous ont dit que la solution n'était pas forcément militaire, et que les risques d'enlisement étaient réels si nous n'orientions pas nos efforts sur le plan économique et social, en faveur des populations. Après quelques années de fonctionnement de l'opération Barkhane, nous avons suffisamment de recul pour en tirer des enseignements, et c'est ce constat que nous attendons avant d'engager un vrai débat.
Mon temps de parole étant limité, je ne parlerai pas de la victoire éclatante de Boris Johnson qui, contrairement à une déclaration dramatique faite par l'un de nos collègues, n'est due ni aux juifs, ni au CRIF, ni à Israël, mais à un choix clair, net et précis du peuple britannique. Mon propos se concentrera donc sur l'Iran.
Monsieur le ministre, il aura fallu attendre que les dirigeants iraniens annoncent, le 5 janvier dernier, que leur pays ne se sentait plus tenu par le dernier élément essentiel de l'accord sur le nucléaire, à savoir la limitation du nombre de centrifugeuses, et que le programme nucléaire iranien ne serait plus soumis à aucune limite opérationnelle, pour que l'UE-3 – les ministres des affaires étrangères de la France, de l'Allemagne et du Royaume-Uni – actionne le mécanisme de règlement des différends et que nous fassions une déclaration conjointe avec nos alliés.
Le 27 novembre dernier, j'affirmais ici même que l'accord du 14 juillet 2015 était hélas en état de mort cérébrale. Certes, notre politique est marquée par un léger durcissement, mais notre position reste globalement inchangée. Nous, Européens, persistons dans notre attachement à l'accord de Vienne sur le nucléaire iranien, en anglais Joint Comprehensive Plan of Action ou JCPoA, et notre rejet de la stratégie de la pression maximale. Monsieur le ministre, vous ne serez pas étonné que je vous dise que, pour moi, c'est une erreur. J'ai la conviction qu'en réalité, les mollahs n'ont jamais respecté cet accord, ni même eu l'intention de le faire, comme les Israéliens, notamment le Mossad, l'ont prouvé de façon éclatante il y a un an et demi.
Mais l'essentiel n'est pas là : d'ici à quelques mois, un an tout au plus, l'Iran risque de disposer de l'arme nucléaire, comme le montre une étude publiée il y a quelques jours. La République islamique d'Iran est un régime djihadiste, dont les valeurs sont aux antipodes des nôtres. Ce régime homophobe, négationniste, et qui applique la charia, constitue la matrice du djihad mondial depuis quarante ans. Le pivot de la terreur islamiste, le général Qassem Soleimani, a été éliminé par un drone américain le 3 janvier dernier, alors qu'il se croyait intouchable. Comme toujours, la plupart des experts autorisés, des médias et des politiques se sont déchaînés contre Trump, expliquant qu'en éliminant Soleimani, il n'avait fait que souder les Iraniens autour du régime en place. Or, c'est exactement l'inverse qui est en train de se produire : Hassan Nasrallah est caché dans son bunker à huit mètres sous terre parce qu'il a peur et, le 8 janvier dernier, l'Iran a abattu un avion de ligne ukrainien et tué 176 innocents par erreur… Imaginez qu'ils appuient un jour par erreur sur le bouton nucléaire !
Aujourd'hui, la population n'en peut plus de ce régime et, malgré la répression barbare – il y a déjà eu près de 1 500 morts –, la jeunesse iranienne, les étudiants sont en train de se lever et de braver les mollahs. Un vent de révolution et de liberté souffle en Iran, jusqu'à la télévision d'État : dimanche, la très populaire présentatrice Gelareh Jabbari a présenté sa démission car, selon ses propres déclarations, elle n'en pouvait plus de mentir depuis treize ans. Alors que le régime a peint au sol des drapeaux américains et israéliens afin qu'ils soient piétinés par les manifestants, les étudiants ont préféré les contourner. La réalité, c'est que le régime des mollahs est honni par l'immense majorité des Iraniens et à bout de souffle.
Dans ce contexte, j'ai la conviction que nous avons un rôle à jouer, monsieur le ministre. Je sais que vous avez un devoir de réserve et que, s'agissant qu'une audition publique, vous ne pouvez dévoiler ce que vous pensez au plus profond de vous-même. Moi, je peux me lâcher et dire que la France a un rôle énorme à jouer : il faut, d'une façon ou d'une autre, faire tomber ce régime dont les valeurs sont aux antipodes des nôtres.
Monsieur le ministre, je voulais évoquer plusieurs sujets importants, notamment la fin du franc CFA, annoncée à Abidjan il y a quelque temps, ainsi que la position de la France par rapport aux prochaines élections en Côte d'Ivoire et en Guinée-Conakry, mais je vais plutôt concentrer mon propos sur un point qui me semble de plus en plus problématique, celui de l'école française à l'étranger.
Nous allons peut-être auditionner le directeur de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) dans quelques semaines, mais j'aimerais vous entendre au sujet d'une situation qui me paraît préoccupante. Il y a trois ou quatre mois, vous avez fait des annonces fortes, notamment celle d'un plan de développement de l'école française à l'étranger. Vous avez ainsi annoncé, aux côtés de Jean-Michel Blanquer et de Jean-Baptiste Lemoyne, un rebasage de la dotation, consistant en l'occurrence en une augmentation de 25 millions d'euros du budget de l'école française. Ces mesures sont destinées à desserrer l'étau sur les familles après les fortes augmentations qui leur ont été régulièrement imposées depuis une dizaine d'années, jusqu'à aboutir aujourd'hui à une pression insupportable.
Or, j'ai appris qu'au Maroc – je suis tenu au courant de la situation minute par minute –, il avait été annoncé une très forte augmentation des frais d'inscription, alors même que vous veniez d'indiquer que ces frais allaient baisser ! Monsieur le ministre, comment l'AEFE, dont vous êtes le ministre de tutelle, peut-elle annoncer des hausses massives de frais de scolarité alors que vous aviez vous-même dit, peu de temps auparavant, qu'ils allaient diminuer ? Une telle situation est à la fois inacceptable et incompréhensible : c'est à se demander s'il y a un pilote dans l'avion de l'école française à l'étranger ! Certes, il n'y a jamais eu de pilote politique, mais le pilote administratif semblait assumer sa fonction jusqu'à présent. Aujourd'hui, le système semble avoir atteint ses limites, et les familles n'en peuvent plus. Je tenais à vous alerter sur cet état de fait devenu insupportable et à vous demander si nous allions réagir pour reprendre en main politiquement cette grande maison qu'est l'AEFE.
Monsieur le ministre, je vous remercie pour ce tour d'horizon. Il est impossible de vous interpeller sur tous les sujets que vous avez évoqués dans les trois minutes dont je dispose, c'est pourquoi je me concentrerai sur le moment de crise ouverte que représente la situation entre l'Iran et les États-Unis d'Amérique. Pour ma part, je considère que la politique de M. Trump est cohérente et n'a jamais été celle d'un homme qui dit ou fait n'importe quoi : cette politique est construite et ses objectifs se voient très clairement. Évidemment, ces objectifs ne sont pas les nôtres, nous y sommes hostiles, mais nous devons faire avec et, si possible, tirer parti des désordres qu'occasionne la politique de M. Trump. Puisqu'il n'y a plus aucune stabilité dans la région, c'est peut-être le moment pour nous d'avancer nos pions, afin d'avoir une chance de voir un jour la situation se stabiliser à nouveau dans un état correspondant à ce que nous souhaitons. Or, cela n'est pas possible si nous donnons le sentiment que, quoi que disent et fassent les États-Unis d'Amérique, nous sommes d'accord avec eux. Je ne dis pas cela par a priori, mais simplement parce qu'une telle attitude vous ferme les oreilles et vous empêche à la fois d'écouter les autres et d'intervenir.
Je veux évoquer quatre sujets importants qui pourraient être débloqués précisément en raison du désordre actuel. Premièrement, je veux insister sur le fait que la diplomatie française a joué un rôle essentiel dans l'accord de Vienne, portant sur le programme nucléaire de l'Iran. Les États-Unis d'Amérique ont décidé unilatéralement de s'en retirer et, bien que nous n'en ayons pas fait de même, nous nous alignons sur leurs autres demandes. Si les États-Unis disent qu'ils ont quitté l'accord parce qu'ils ont présenté d'autres demandes qui ne sont pas satisfaites, de son côté, la France ne peut pas soutenir à la fois l'accord de Vienne et les autres demandes.
J'ajoute que si la question du nucléaire est posée – elle l'est, à l'évidence –, elle doit l'être globalement : l'objectif de la France, c'est la dénucléarisation de toute la zone. De même, nous sommes contre la prolifération nucléaire et le recours à l'arme nucléaire, quel que soit le pays concerné : peu importe que nous soyons nous-mêmes une puissance nucléaire, nous n'avons jamais dit que le monde irait mieux si les autres le devenaient aussi. La responsabilité des États-Unis est donc totale dans la situation actuelle. Nous ne devons pas nous aligner sur eux et ce n'est qu'à ce prix que nous pourrons avancer.
Pour autant, il n'y a pas lieu de donner un blanc-seing à l'Iran. Premièrement, parce que c'est un régime anti-démocratique : même si on y vote, on ne peut y être candidat qu'à la condition d'être approuvé par les prêtres, ce qui ne répond pas aux conditions d'une élection démocratique. Deuxièmement, parce que l'Iran a pour objectif la destruction de l'État d'Israël, ce qui n'est pas une proposition acceptable par notre pays ou par quelque peuple civilisé que ce soit dans le monde. Par conséquent, la crise constitue peut-être une occasion de s'engager sur la voie de la dénucléarisation.
J'en viens à mon deuxième sujet. Les États-Unis d'Amérique critiquent le programme balistique des missiles iraniens. Fort bien, parlons-en, mais en mettant toutes les cartes sur la table ! Les États-Unis d'Amérique se sont eux-mêmes retirés de l'accord qu'ils avaient conclu avec les Soviétiques, prenant ainsi la responsabilité de mettre fin à un accord qui interdisait les missiles de portée intermédiaire, c'est-à-dire jusqu'à 5 000 kilomètres. Le résultat, c'est que les Russes ont pu procéder à des tirs sur la Syrie depuis la mer Noire…
Sur ces deux points – je n'aurai malheureusement pas le temps d'en évoquer d'autres –, il me semble que la situation nous permet de remettre les sujets sur la table dans le sens qui nous intéresse, nous les Français. J'appelle votre attention sur le fait que cette histoire de missiles nous concerne aussi, car le prochain théâtre sur lequel ils pourraient être déployés, ce n'est pas l'Iran et l'Irak : c'est l'Europe !
J'étais tenté d'intervenir, moi aussi, sur une question à laquelle a fait allusion notre collègue El Guerrab, celle du soutien de la France à certains chefs d'État africains, qualifiés de dictateurs par leurs opposants – je pense aux élections au Togo et aux questions qui se posent au Cameroun ou au Mali, mais aussi aux accords de défense que la France peut avoir avec certains États. De tels accords se transforment parfois en autre chose, comme on a pu le voir au Tchad et surtout en Tunisie, où Michèle Alliot-Marie, alors ministre des affaires étrangères, avait proposé l'aide de la France aux policiers tunisiens afin de maintenir l'ordre et de ramener la paix. Pour les populations locales, de telles pratiques peuvent s'assimiler à une ingérence politique de la France, favorisant le maintien au pouvoir de dictateurs. Ce n'est pas le sujet de notre réunion, mais la France ne peut que se sentir interpellée par le contexte des élections qui vont avoir lieu prochainement dans certains États d'Afrique. Les conditions dans lesquelles les élections vont se dérouler, la reconnaissance de leurs résultats, les tensions occasionnées par cet événement politique, déjà à l'origine de centaines, voire de milliers de morts dans certains pays – ce qui ne semble pas émouvoir grand monde –, ce sont là autant de sujets qui devraient intéresser la France.
J'apprécie, monsieur le ministre, que vous fassiez la démonstration que la déstabilisation dans certaines régions conduise souvent à des situations compliquées, voire sans issue. Quand j'ai fait mes débuts en politique, on voyait à la télévision Tarek Aziz, ministre irakien des affaires étrangères, expliquer que son pays ne détenait pas d'armes de destruction massive. Cela n'a pas empêché les États-Unis de lancer une intervention militaire qui a mis l'Irak dans l'état que l'on connaît aujourd'hui, et dont on n'est pas près de sortir.
Devenu député, j'ai vu le ministre Kouchner, l'un de vos prédécesseurs, nous expliquer qu'il était urgent de faire de l'ingérence humanitaire en Libye, ce qui fut fait et eut pour résultat de déstabiliser complètement ce pays, qui se trouve aujourd'hui dans une situation tellement grave qu'on ne sait plus comment s'en sortir, comme vous venez de l'expliquer. Cela conduit à envisager des accords bizarres entre la Turquie et la Libye, faisant fi des droits des États souverains situés dans la région.
Comme on le voit, l'intervention militaire n'est pas, n'a jamais été la solution : au contraire, elle aggrave la situation plutôt qu'elle ne la résout. Aujourd'hui, monsieur le ministre, vous êtes à la tête de la diplomatie française, qui doit avoir le courage de prendre position – je suis d'accord sur ce point avec Jean-Louis Bourlanges.
La diplomatie, ce n'est pas la neutralité : c'est le courage politique de dire, sur telle ou telle question, quelle est la position de notre pays. Dans le rapport sur l'arme nucléaire que Michel Fanget et moi-même avons écrit en 2107, nous alertions déjà sur la situation et disions qu'il fallait défendre nos positions avec force, ce qui n'est pas le cas. Quels sont en effet les résultats des réunions de l'Assemblées générale des Nations unies et des conférences sur le désarmement ? Il n'en sort rien.
Comme Jean-Luc Mélenchon, j'ai du mal à tout dire en trois minutes. En plus, les autres groupes auront le droit à d'autres interventions ; ce n'est pas le cas du mien. Nous n'avons pas vraiment le choix…
Merci de m'être aussi agréable, madame la présidente ! J'en termine.
La question essentielle qui nous préoccupe est celle des interventions militaires, au Sahel et ailleurs. On dit beaucoup, et c'est juste, qu'il faut combattre le djihadisme et le terrorisme ; mais, à un moment donné, peut-être toutes ces interventions favorisent-elles le terrorisme. Hier matin, j'étais sur un marché au Havre. Un monsieur m'a dit : « Trump, au lieu de "se faire" le général iranien, il aurait dû vitrifier l'Iran. » Voilà à quoi cela peut conduire. Nous devrions changer de vocabulaire, y compris ici, à la commission des affaires étrangères, de manière à montrer que nous respectons les peuples. Je n'approuve pas ce que font les dirigeants iraniens, mais je respecte le peuple iranien. La France se grandirait à soutenir les peuples, à les aider à étancher leur soif de liberté et de démocratie, plutôt qu'à accompagner des régimes qui, parfois, ne le méritent pas.
Je serai bref, pour pouvoir répondre ensuite à la dernière série de questions tout en tenant compte de mes contraintes.
Je me concentrai pour l'essentiel sur l'Iran, puisque beaucoup d'intervenants ont consacré leurs propos à la situation dans ce pays. L'objectif essentiel – et même unique – de l'accord de Vienne consiste à éviter que l'Iran n'accède à l'arme nucléaire. Cet engagement a été pris par l'Iran et par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité plus l'Allemagne. L'accord était totalement respecté par l'Iran – je tiens à le dire car je m'inscris en faux contre l'idée selon laquelle l'AIEA ne serait pas objective –, qui n'accédait donc pas à l'arme nucléaire.
Une des conséquences d'une décision que nous avons condamnée parce que nous ne considérions pas qu'elle était opportune, et ce à tous égards, y compris par rapport à l'objectif affiché par ceux qui l'ont prise – je veux parler du retrait des États-Unis d'Amérique de l'accord en vertu de la logique de la pression maximale –, a été de conduire l'Iran à poser des actes négatifs. Ce pays a commencé à détricoter l'accord, ce qui pourrait lui permettre, s'il poursuit dans cette logique, d'accéder à l'arme nucléaire, ce que cherchent précisément à empêcher les États-Unis. Par conséquent – je réponds en particulier à M. Bourlanges –, l'effet obtenu est l'inverse de celui qui était recherché à travers la stratégie de la pression maximale, et ce d'autant plus qu'en réaction, nous avons constaté une résilience maximale de la part de l'Iran.
C'est la raison pour laquelle nous estimons indispensable de poursuivre dans le cadre de l'accord de Vienne, la voie diplomatique étant la bonne pour empêcher l'accès de l'Iran à l'arme nucléaire. La même raison nous amène à dire que nous sommes en désaccord total avec l'Iran s'agisssant des cinq phases de violation qu'ils ont engagées. Pour dire les choses clairement, depuis la décision qui a été prise le 5 janvier, il n'y a plus aucune limite à l'enrichissement de la part de l'Iran. Constatant que le pays ne remplit plus ses engagements et nous appuyant sur la structure de l'accord de Vienne, nous avons donc décidé de mettre en oeuvre le mécanisme de règlement des différends. Je le répète, le bon moyen d'éviter l'accès à l'arme nucléaire est toujours, selon nous, de rester dans le cadre de l'accord de Vienne.
Ce qui peut compliquer la situation, c'est que le nucléaire n'est pas la seule question qui se pose à propos de l'Iran. Il y en a trois autres, qui sont bien connues et ont été exposées dans le discours du Président de la République aux Nations unies en septembre 2017. Il y a la question balistique, celle de savoir ce qui se passera après 2025, dans le cadre du respect de l'accord de Vienne, et celle concernant les actions de déstabilisation de l'ensemble de la région, dont l'Iran est un acteur manifeste et reconnu – M. Habib y a fait référence.
La diplomatie française a proposé à plusieurs reprises – notamment à Biarritz, au moment du G7, puis à New York, à la fin du mois de septembre – que l'on ouvre des négociations. Il s'agissait d'aboutir à un accord entre les États-Unis et l'Iran, ce pays renonçant à l'arme nucléaire et réintègrant complètement le JCPoA et de poser la question balistique et de la sécurité régionale dans son ensemble. Dans le même temps, progressivement et au fil de cette négociation, les sanctions initiées par les États-Unis d'Amérique devaient diminuer. Voilà quelle était la plateforme possible ; elle existe toujours. Cela permettrait d'assurer la sécurisation dans la région. Je pense qu'à un moment donné, l'hypothèse d'un accord sur ces bases a été envisagée de part et d'autre. Je constate que, pour différentes raisons, notamment du fait d'une absence de volonté politique, tel n'a pas été le cas. Il n'en reste pas moins qu'il s'agit, à notre sens, de la seule solution pour sortir de la crise.
Dire cela, ce n'est pas faire preuve de retenue : c'est proposer une négociation pour parvenir à une solution diplomatique. Cette action suppose que nous mobilisions le mécanisme de règlement des différends, mais aussi que nous restions dans l'accord de Vienne. C'est ce que nous avons dit aux uns et aux autres, y compris aux États-Unis d'Amérique, ces trois derniers jours. J'espère que ce message, qui est partagé par les Européens – je veux dire le Royaume-Uni, l'Allemagne et la France – sera entendu. Cela nous paraît être la seule solution possible pour l'avenir. Dans l'attente, nous essayons d'organiser un renforcement de la sécurité collective dans le Golfe et nous appelons l'ensemble des pays de la région à assurer ensemble la sécurité dans cet espace maritime intérieur.
Je précise également que le résultat de l'action militaire récente, qui a été initiée par l'Iran – il a été question d'Aramco, mais il y a eu d'autres événements précédemment –, ajouté à la réaction américaine et à la neutralisation du général Soleimani, a conduit, dans un premier temps, au renforcement de la résilience nationale, alors qu'il y avait, dans ce pays comme en Irak, des crises internes très fortes. Comme vous, je constate qu'en Iran, ces manifestations et ruptures sociales ont repris après la dramatique affaire de l'avion d'Ukraine International Airlines. Mais cela n'enlève absolument rien à la validité du propos que j'ai tenu quant à la nécessité d'une discussion globale qui intègre le respect de l'accord de Vienne et du JCPoA. Telle est la logique globale de notre démarche, qui est partagée au niveau européen.
En ce qui concerne l'enseignement du français à l'étranger – je veux bien y revenir, mais nous en avons parlé lors du débat budgétaire –, j'ai pris la décision d'augmenter les contributions financières budgétaires à l'AEFE de 25 millions d'euros pour réduire la participation des parents aux frais de scolarité.. Je vais examiner la situation spécifique du Maroc, dont je n'avais pas connaissance. En tout état de cause, chaque établissement est géré de manière autonome.
À propos des combattants étrangers, je me suis exprimé très clairement hier dans l'hémicycle : nous considérons bien qu'il s'agit de personnes ayant combattu dans une zone de guerre aux côtés de Daech et contre la France, et qu'elles doivent donc être poursuivies au plus près du lieu où elles ont commis leurs crimes.
C'est une question de sécurité pour nous, mais aussi de justice. Ce que je dis là n'est pas une nouveauté : je le répète depuis le début.
Il est vrai que l'instabilité de la région rend les options disponibles plus compliquées, mais les principes restent les mêmes. Ce n'est pas la même chose en ce qui concerne les enfants – il y a là une ambiguïté que je veux lever. À la différence de leurs parents, les enfants n'ont pas choisi de rejoindre une organisation terroriste, en Irak ou en Syrie. Dans la mesure du possible, et tout en sachant que les conditions sont de plus en plus difficiles, nous faisons en sorte que les mineurs les plus vulnérables, notamment orphelins ou isolés, soient rapatriés. Cette position, qui est aussi celle de l'Allemagne et de la Belgique, par exemple, n'a pas évolué.
J'ai été interrogé sur le vote intervenu au Parlement irakien. Chacun le sait, une crise majeure est intervenue en Irak à la fin du mois de novembre, qui s'est traduite par des manifestations régulières, à Bagdad mais aussi dans le sud du pays. Cette crise dépasse les clivages confessionnels traditionnels, y compris celui qui existe entre chiites et sunnites. Ce mouvement extrêmement fort s'est arrêté après la neutralisation de Soleimani, et a débouché sur une sorte d'unanimité pour demander le départ des troupes étrangères – pour l'essentiel américaines. Cela s'est traduit par un vote au Parlement irakien, dans des conditions particulières, sur lesquelles je n'insiste pas car l'audition est publique. Nous estimons qu'en dépit des interrogations que nous pouvons avoir, il faut néanmoins prendre en considération ce vote. Par ailleurs, le Premier ministre étant démissionnaire, il n'y a plus vraiment de gouvernement : M. Abdel-Mehdi assure une transition – certes difficile. On peut également s'interroger sur la mise en oeuvre des dispositions qui ont été prises par le Parlement irakien. Il n'empêche que nous devons considérer qu'il s'agit là d'un acte politique, qui est en l'occurrence une interrogation sur la vocation de la coalition. Or il faut répéter que la vocation de la coalition est de lutter contre Daech et de se prémunir contre cette organisation, y compris pour le bien de l'Irak, car les risques de résurgence concernent d'abord l'Irak, en particulier la partie nord-ouest du pays, où la plus grande vigilance est requise.
Je me contenterai, pour finir, d'une remarque à propos de l'Afrique, en réponse à M. David, car je crois avoir déjà répondu – au moins en partie –, dans mes propos initiaux, à ses observations. Je constate avec tristesse le sentiment anti-français. Cela dit, j'observe également qu'il ne prend pas énormément dans l'opinion publique : alors que l'on avait annoncé à Bamako une grande manifestation qui devait rassembler un million de protestataires contre la présence française destinée à lutter contre le terrorisme, on a compté seulement 800 personnes. Cela marche sur les réseaux sociaux et dans certains organes de presse, c'est un peu relayé par certaines personnes. Mais ce qui domine surtout parmi les populations du Sahel, c'est le sentiment d'insécurité. À cet égard, la force Barkhane joue un peu le rôle de bouc émissaire : « Comment se fait-il qu'il y ait de l'insécurité alors que vous êtes là ? » C'est cette fragilisation de l'opinion publique qu'il faut combattre. Le paquet qui a été validé avant-hier soir à Pau avec les quatre piliers que j'ai évoqués met fortement l'accent sur la question du développement. J'espère que cela permettra une véritable mobilisation.
Les questions sont nombreuses. Je vous demande d'être bref pour permettre au ministre de pouvoir répondre à tous.
Monsieur le ministre, je rebondis sur ce que vous venez de dire à propos du développement et du Sahel. En effet, le Premier ministre vient d'annoncer que le projet de loi d'orientation et de programmation relative à la politique française de développement et de solidarité internationale serait examiné au cours des trois prochains mois, en faisant ainsi, en ce début d'année, notre troisième priorité, après l'écologie et les retraites. C'est une très bonne chose pour notre commission et nous vous en remercions, car nous savons que vous avez oeuvré et pesé de tout votre poids pour que ce texte fasse partie des priorités de 2020.
S'agissant du développement et du Sahel, je voudrais avoir plus de détails, à la suite du sommet international de Pau, sur le volet consacré au développement, en particulier dans sa dimension européenne : comment la France compte-t-elle peser auprès de la nouvelle Commission et de l'Union pour que nous soyons soutenus, notamment par la mobilisation des différents fonds, dans cette bataille qui est importante pour notre pays et pour le continent africain ?
Monsieur le ministre, ma question portera sur la Syrie. Après deux mois d'âpres négociations, le Conseil de sécurité des Nations unies n'a pu renouveler que la moitié des points de passage transfrontaliers par où transitait l'aide humanitaire envoyée en Syrie. Or cette aide est vitale pour plus de 4 millions de Syriens dans le nord du pays. Il reste très peu de points de passage transfrontaliers. Par ailleurs, c'était un des seuls dispositifs mis en place par l'ONU qui avait fait l'unanimité au sein du Conseil de sécurité depuis leur installation en 2014. Le consensus sur ce point a donc volé en éclats. Il a fallu discuter avec la Russie, alliée à Bachar Al-Assad, et avec les corédacteurs de la résolution, à savoir la Belgique et l'Allemagne, pour pouvoir enfin, quelques heures avant l'expiration du programme, parvenir à une solution. J'aimerais que vous nous rappeliez quel est l'engagement du gouvernement français pour accompagner les Syriens, qui sont vraiment dans une grande souffrance, et que vous nous expliquiez le degré d'implication de la France au niveau européen.
Je voudrais rebondir sur ce que vous avez dit à propos de ce qui constitue l'un des piliers de la coalition pour le Sahel, à savoir le retour de l'État dans les territoires, les organisations terroristes portant atteinte aux symboles de sa présence, singulièrement aux écoles. Depuis le début du quinquennat, le Président de la République promeut la paix par l'éducation et la formation. Je pense notamment à son discours de Ouagadougou et à son intervention lors de la reconstitution du partenariat mondial pour l'éducation à Dakar, où il a appelé à placer la jeunesse au centre de nos engagements et de nos priorités de développement. Pour renforcer les capacités des États d'Afrique de l'Ouest face à la menace terroriste, le projet d'Académie internationale de lutte contre le terrorisme de Jacqueville, près d'Abidjan, vise à ériger à terme la Côte d'Ivoire comme le lieu d'élaboration de la stratégie régionale de lutte contre le terrorisme. Or, à l'heure où la diplomatie d'influence a toute sa place à travers les campus francophones, et à l'aube de la future loi d'orientation et de programmation pour le développement et la solidarité internationale, ce projet reste, sur le papier, très élitiste et semble concerner prioritairement les hommes. Aussi, parallèlement à ce type de formations très pointues, que dire de l'investissement dans le capital humain – jeunes femmes comprises – par l'apprentissage et la formation, et des formations qualifiantes de type bac plus deux ou bac plus trois, qui plus est dans des territoires où près de la moitié de la population a moins de dix-huit ans, et compte tenu de l'augmentation récente des frais d'inscription pour ces formations en France, quelle que soit d'ailleurs la politique en matière de bourses ?
J'ai été en partie rassuré par vos propos concernant le retour des djihadistes, mais je reste un peu inquiet car j'ai bien lu l'interview de Mme Belloubet, dans laquelle elle explique que, justement, dans la mesure où la situation dont vous parliez a évolué, on est obligé de reconsidérer les choses. Elle dit très clairement que les djihadistes ne peuvent plus être jugés là-bas ; elle vous désavoue clairement.
J'ai parlé après elle, me semble-t-il ! La déclaration en question date d'il y a trois jours.
Très bien ! C'est donc vous qui désavouez clairement Mme Belloubet ce soir, et j'en suis ravi.
Plus généralement, et même si je ne suis pas d'accord avec la solution qu'elle avance, elle pose quand même une question importante : celle du jugement de ces personnes et de leur libération, notamment par la Turquie. À cet égard, ne devrait-on pas enfin renouer des relations diplomatiques avec la Syrie, pour qu'elles puissent être jugées dans ce pays ? L'absence de relations diplomatiques avec la Syrie nous a coûté très cher et a laissé la France absente de ce théâtre d'opérations où la Russie, au contraire, a été de plus en plus présente.
Ma deuxième question porte sur la Libye. Comment bloquer les livraisons d'armes organisées par la Turquie ? Si on continue à laisser la Turquie livrer des armes en Libye et que le climat s'aggrave, comment pourra-t-on régler les problèmes au Mali et, plus généralement, au Sahel ?
Troisième question : nous allons engager encore plus de soldats au Sahel, et je soutiens cette opération, mais est-on bien sûr de la collaboration du Mali ? J'ai entendu les inquiétudes émanant du ministère de l'intérieur à propos de l'arrivée de migrants clandestins en France : certains jeunes fuient le Mali alors qu'ils devraient combattre pour défendre leur pays et ne peuvent pas être expulsés car nous avons beaucoup de mal à nous procurer les autorisations nécessaires auprès du gouvernement malien. Peut-on donc s'assurer qu'il existe une véritable coopération, compte tenu du fait que nos soldats versent leur sang dans ce pays ?
Quatrièmement – et j'en ai bientôt fini, rassurez-vous –, le Président de la République renoue des relations fortes avec la Russie. Je ne comprends toujours pas pourquoi, dès lors, la France ne demande pas officiellement la levée des sanctions contre ce pays.
Enfin, des baisses de crédits et des réductions de notre outil diplomatique sont demandées. Peut-on continuer à l'essorer à ce point ?
Monsieur le ministre, merci pour votre éclairage. Fariba Adelkhah, spécialiste du chiisme, et son collègue Roland Marchal, spécialiste de la Corne de l'Afrique, tous deux chercheurs au Centre de recherches internationales de Sciences Po Paris, sont retenus à la prison d'Evin, à Téhéran, depuis juin 2019. Le 7 janvier, l'avocat de Fariba Adelkhah a annoncé l'abandon à son encontre du chef d'inculpation d'espionnage – c'était le plus grave, car il est passible de la peine de mort. Elle n'en reste pas moins accusée, avec Roland Marchal, de collusion en vue d'attenter à la sûreté nationale, et risque à ce titre plusieurs années de prison. Vous l'avez dit plusieurs fois : vous considérez comme inacceptable la détention de ces deux chercheurs, et vous avez demandé leur libération. Or, depuis le début de l'année, la situation internationale est très tendue, pour les raisons que nous connaissons. Du fait de ces tensions, l'Iran pourrait-il faire passer au second plan la situation de ces deux chercheurs ? Existe-t-il des signaux concernant leur libération ? Pouvez-vous nous éclairer sur l'état des négociations et sur le scénario possible ?
Je voudrais revenir sur la question du Sahel et faire un parallèle entre le sommet international de Pau et les conclusions du forum international sur la paix et la sécurité en Afrique qui s'est tenu en novembre dernier à Dakar. Vous avez développé la stratégie arrêtée à Pau, dont vous pensez qu'elle devrait permettre soit une sortie de crise soit, à tout le moins, une amélioration de la situation. Or, lors du forum de Dakar, le président mauritanien et le président sénégalais ont proposé des conclusions très fortes. Le premier a déclaré que, selon lui, il était primordial que la question du mandat donné à certaines de ses forces par l'ONU, notamment à la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), soit elle aussi débattue ; le second, quant à lui, a dit qu'il était anormal que la MINUSMA n'ait pas un mandat plus large pour être en mesure de se défendre en cas d'attaque. Ma question est donc la suivante : lors du sommet international de Pau, la possibilité d'une modification de la position de la Chine et de la Russie au sein du Conseil de sécurité de l'ONU a-t-elle été évoquée ?
On a beaucoup parlé de crises internationales avérées ; je voudrais pour ma part aborder la situation de trois pays dans lesquels on sait que, si rien n'est fait, des crises vont éclater. Le premier est la Guinée Conakry, dont le président, âgé de quatre-vingt-un ans, souhaite modifier la Constitution pour poursuivre son activité. Il vient de publier des listes électorales comptant 8 millions d'inscrits pour 13 millions d'habitants – alors que 50 % de la population est âgée de moins de dix-huit ans. Quelle est la position de la France devant la perspective d'un troisième mandat d'Alpha Condé ? On sait très bien que le pays se dirige soit vers la guerre civile soit vers une reprise en main par l'armée.
Deuxièmement, au Gabon, on observe une quasi-vacance du pouvoir depuis quatorze mois. Le secrétaire d'État Jean-Baptiste Lemoyne s'est rendu sur place la semaine dernière. Là aussi, quelle est la position de la France ?
Troisièmement, en Côte d'Ivoire, la volonté de retour au pays de Guillaume Soro a conduit à l'arrestation de dizaines de personnes, y compris des députés, en violation de l'immunité dont ils sont censés bénéficier. Quelle est la position de la France au regard de la situation des libertés publiques en Côte d'Ivoire, où s'annonce un processus électoral complexe ?
Monsieur le ministre, vous l'avez rappelé, les forces kurdes ont mené contre Daech – et continuent de le faire – un combat héroïque. Vous n'êtes pas sans savoir que les combattants étaient en grande partie des combattantes. De même, une des conséquences de la guerre entre l'Iran et l'Irak, dans les années 1980, a été d'abaisser l'âge légal du mariage pour les filles à neuf ans, de manière qu'elles puissent produire au plus vite des petits soldats qui partiraient se faire tuer. C'est pourquoi je souhaite vous interroger sur les résolutions « Femmes, paix et sécurité » des Nations unies : en 2020, nous allons fêter le vingtième anniversaire de la première. Depuis l'an 2000, en effet, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté une série de neuf résolutions obligatoires sur le thème des femmes, de la paix et de la sécurité. La France s'est mobilisée en élaborant deux plans d'action triennaux 2010-2013 et 2015-2018. L'élaboration du troisième plan national, prévue pour la fin de l'année 2019, était très attendue. Où en sommes-nous ? Quelles priorités seront fixées ? Puisque le Conseil de sécurité des Nations unies a validé et approuvé la nécessité d'inclure les femmes dans les processus de construction de la paix, quand donc les États considéreront-ils cette option comme une des clés de la reconquête, de la construction et de la consolidation de la paix ?
Monsieur le ministre, je souhaiterais évoquer le G5 Sahel, et plus particulièrement la force Takuba, composée de forces spéciales européennes qui doivent accompagner sur le terrain les forces sahéliennes. Pouvez-vous nous indiquer le niveau d'engagement de nos alliés européens, sachant que l'Allemagne a déclaré ne pas vouloir en faire partie ?
Une question subsidiaire concernant la Russie : ce matin, Vladimir Poutine a annoncé vouloir engager une révision constitutionnelle, et le Premier ministre, Dmitri Medvedev, a présenté la démission de son gouvernement, ce qui constitue apparemment une surprise. Y voyez-vous un simple acte de gestion interne à la Russie, ou bien s'agit-il d'une reprise en main du pouvoir à deux ans de l'élection présidentielle ?
Je précise que les questions que je vais poser sont celles de Sira Sylla, qui a dû partir. Quel sera le rôle du partenariat pour la sécurité et la stabilité au Sahel, dans le cadre de la réorganisation internationale au Sahel ? Par ailleurs, qui va assurer le fonctionnement de la coalition pour le Sahel ?
Monsieur Berville, le pilier développement de la coalition pour le Sahel qui a été décidé avant-hier à Pau est essentiel. Il nous faut atteindre deux objectifs. D'abord le décloisonnement du fonctionnement car une douzaine d'acteurs interviennent, dont la Banque mondiale, la Banque africaine de développement, l'Union européenne et le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). À ce jour, 800 projets sont labellisés ou en cours d'instruction. La capacité de mobilisation est de 11,6 milliards d'euros, ce qui est énorme. Il faut également améliorer la visibilité des actions engagées pour nous comme pour les populations qui doivent sentir qu'un effort considérable est fait pour permettre une stabilisation de la région. Je réunirai l'ensemble des acteurs le mois prochain, à Nouakchott, pour stimuler la réalisation concrète des engagements qui ont été pris. Les Européens, au-delà de l'Union, sont tous présents au rendez-vous, dont l'Italie, l'Espagne, le Royaume-Uni, le Danemark, les Pays-Bas, le Luxembourg. La volonté d'agir ensemble a été réitérée lors du sommet de Pau.
Madame Trisse, concernant le nord-est et le nord-ouest de la Syrie, le ministère des affaires étrangères a mobilisé, en 2019, 50 millions d'euros pour des actions essentiellement liées aux questions de santé et sanitaires immédiates. Ces financements, assez partagés entre les deux zones, sont orientés vers des projets portés par des organisations non gouvernementales (ONG). Il est vrai que le blocage auquel nous assistons du fait d'une délibération prise par le Conseil de sécurité qui empêche maintenant, sur proposition de la Russie, d'entrer dans la zone nord-est par l'Irak, va limiter nos capacités d'action même si nous avons décidé de consacrer le même effort en 2020 qu'en 2019 à l'ensemble de ces populations. La situation humanitaire dans les camps est en effet de plus en plus préoccupante, et la pression monte dans les camps de Roj et Al-Hol qui comptent plusieurs milliers de réfugiés.
Madame Lenne, je crois que nous ne nous sommes pas bien compris. Vous avez évoqué l'Académie internationale de lutte contre le terrorisme dont j'ai posé à Abidjan la première pierre à la fin de l'année 2017. Il s'agit d'un lieu de formation de cadres, de militaires, de hauts fonctionnaires, de magistrats, destiné à les initier dans le domaine du renseignement et dans la manière de prévenir et d'endiguer la menace. Cette académie ne concerne pas les seules autorités de la Côte d'Ivoire mais l'ensemble des Africains qui veulent bien suivre cette formation sécuritaire. C'est un outil à vocation régionale.
Le développement de l'éducation et de la formation dans ces pays est un tout autre élément. J'ai dit qu'il fallait faire un effort considérable pour rétablir la présence des États dans les zones aujourd'hui investies par les groupes terroristes : il faut savoir que le nombre d'écoles fermées dans les pays du Sahel se compte par centaines. Des générations entières ne vont plus à l'école. Le renouveau de la présence de l'État dans le nord du Burkina Faso, par exemple, ou dans la région de Tillabéri au Niger, permet la réouverture d'une école. L'effort de l'Alliance pour le Sahel sera particulièrement orienté dans cette direction, car voir les enfants, et singulièrement les jeunes filles, retourner à l'école est le signe de la restabilisation. En tapant sur les écoles, les groupes terroristes cherchent à empêcher la formation et l'éducation.
Madame Le Peih, vous m'interrogez sur Mme Adelkhah et M. Marchal, nos deux ressortissants détenus en Iran. Nous avons alerté les plus hautes autorités sur le caractère inacceptable de leur détention et nous appelons à la libération sans délai de nos deux compatriotes. Le Président de la République lui-même a appelé le président Rohani pour lui faire part de notre irritation et lui faire savoir que c'était un élément de très fortes perturbations dans nos relations. Nous souhaitons la libération le plus rapidement possible de nos deux compatriotes.
Monsieur Lejeune, Takuba est un ensemble de forces spéciales qui seront liées à l'opération Barkhane. Il trouvera sa place dans une des décisions importantes qui a été prise avant-hier et que nous souhaitions depuis longtemps : un commandement commun entre l'opération Barkhane et la force conjointe du G5 Sahel pour permettre une plus grande rapidité de décisions et une plus grande synergie, en particulier une plus grande réactivité pour agir en cas d'alerte. Plusieurs pays européens ont annoncé leur participation : les Tchèques, les Danois, les Portugais et les Belges. Cette démarche très positive en cours d'instauration complétera le tournant qui a été pris avant-hier soir. Je le redis ici, notre conversation ayant été quelque peu focalisée sur l'Iran, il est indispensable que ce tournant soit opéré le mieux possible, parce que c'est crucial pour la présence de la France et sa sécurité. Nous serons pleinement mobilisés pour que ce soit efficace.
Monsieur Mbaye, vous m'interrogez sur la MINUSMA. J'ai évoqué la stratégie des quatre piliers dans laquelle peuvent s'inscrire tous les partenaires. Les Nations unies seront directement concernées par trois piliers au moins – leur mandat ne comporte pas de mission antiterroriste. Le mandat actuel de la force de la MINUSMA nous paraît suffisamment robuste, s'il est réellement mis en oeuvre, pour contribuer à stabiliser le pays. Les blocages au Conseil de sécurité sur le chapitre VII de la Charte ne proviennent ni de la Chine ni de la Russie, mais des États-Unis d'Amérique. Nous essayons de les convaincre de rester présents dans cette bataille contre le terrorisme, parce que nous sommes confrontés à une véritable internationale de la terreur. Il faut combattre le terrorisme au Sahel mais aussi en Libye et en Irak. Je pense que nous réussirons à les convaincre de demeurer dans le dispositif.
Monsieur Dupont-Aignan, s'agissant de la Libye, l'embargo sur les armes doit être respecté. Nous avons fait inscrire cela dans le relevé de décisions qui devrait intervenir dimanche à Berlin comme un engagement de l'ensemble des parties. Mais il est bien évident que l'accord entre le gouvernement d'entente nationale libyen, décidé à la suite d'une résolution des Nations unies, et le gouvernement turc contredit l'embargo. Il y a donc là une contradiction importante qui, je l'espère, sera levée lors de la réunion de Berlin.
S'il est normal de s'intéresser aux quelques dizaines de combattants français retenus en Syrie, il est en revanche anormal de ne pas se préoccuper des 12 000 combattants de Daech actuellement en prison. N'oublions pas que les attentats commis sur notre territoire national étaient dirigés et orientés par des gens qui n'étaient pas français et qui faisaient partie de ces combattants. Aujourd'hui, il importe d'assurer la sécurité de leurs conditions de détention globale. Il est certain que dans le cadre du processus de règlement de l'ensemble de la situation syrienne qui a commencé à Genève, la question des conditions de détention et de jugement de l'ensemble de ces combattants qui sont essentiellement des Irakiens et des Syriens se posera.
Monsieur Goasguen, oui, il y a bien sûr des risques de résurgence de Daech.
Ce n'est pas la Syrie qui tient cette région-là. Cette question n'est pas encore à l'ordre du jour : nous attendons que les conditions d'une vraie transition politique soient réunies pour avoir une interrogation sur ces relations. Il faudra reconstruire, il faudra une transition politique. Nous n'en sommes pas au début du commencement. La zone de localisation de ces combattants étrangers à laquelle vous faisiez référence est aujourd'hui sous le contrôle des forces démocratiques syriennes, c'est-à-dire des Kurdes.
Madame Chapelier, s'agissant de la résolution « Femmes, paix et sécurité », dans le cadre du forum Génération Égalité que la France organisera cet été, qui fait suite à Pékin + 25 et à la conférence de Mexico, nous avons l'intention de co-organiser avec le Mexique toute une série de manifestations. Nous mettrons cette question en priorité dans l'ensemble des contributions qui auront lieu pour donner plus de force à ces neuf résolutions successives. J'ai moi-même présidé une session du Conseil de sécurité où ces résolutions ont été adoptées. J'y suis donc particulièrement vigilant.
Monsieur Fuchs, comme nous sommes en audition publique, vous comprendrez que mes commentaires seront relativement sobres s'agissant de l'Afrique. La Côte d'Ivoire et la Guinée connaîtront des échéances importantes à la fin de l'année, avec des élections présidentielles. Nous agissons, avec l'Organisation internationale de la francophonie, pour que le code électoral soit renforcé, que les élections se déroulent dans le calme et dans le cadre d'un débat démocratique. Nous sommes aujourd'hui particulièrement soucieux de la situation en Guinée et nous appelons à l'apaisement. La démarche du président visant à demander une réforme de la Constitution ne me paraît pas être obligatoirement partagée ni par sa population ni par ses voisins.
Par ailleurs, nous avons renoué un dialogue politique intense entre l'Union européenne et le Gabon dans une atmosphère constructive. Des interrogations se sont manifestées à un moment donné, mais je pense que le processus politique tient toujours le coup. En tout cas, c'est ce que m'a fait savoir le secrétaire d'État, Jean-Baptiste Lemoyne, qui a rencontré le président Bongo lors de son déplacement au Gabon il y a trois jours.
Enfin, je n'ai pas de commentaire à faire sur ce qui s'est passé en Russie, puisque c'est une décision politique interne à ce pays. J'ajoute qu'au moment où je vous parle, je n'ai pas tous les éléments.
Monsieur le ministre, je vous remercie et je souhaite à toute l'équipe qui vous accompagne nos meilleurs voeux.
La séance est levée à 17 heures 55.
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Aude Amadou, Mme Clémentine Autain, M. Hervé Berville, M. Jean-Claude Bouchet, M. Jean-Louis Bourlanges, Mme Annie Chapelier, Mme Mireille Clapot, M. Alain David, M. Bernard Deflesselles, M. Pierre-Henri Dumont, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. M'jid El Guerrab, M. Michel Fanget, Mme Anne Genetet, M. Claude Goasguen, M. Meyer Habib, M. Bruno Joncour, M. Hubert Julien-Laferrière, M. Mustapha Laabid, Mme Amélia Lakrafi, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Martine Leguille-Balloy, Mme Marion Lenne, Mme Nicole Le Peih, M. Denis Masséglia, M. Jean François Mbaye, M. Jean-Luc Mélenchon, Mme Isabelle Rauch, M. Hugues Renson, M. François de Rugy, Mme Marielle de Sarnez, Mme Sira Sylla, Mme Valérie Thomas, Mme Nicole Trisse, M. Sylvain Waserman
Excusés. - M. Lénaïck Adam, Mme Ramlati Ali, M. Moetai Brotherson, M. Pierre Cordier, Mme Frédérique Dumas, M. Philippe Gomès, M. Antoine Herth, M. Christian Hutin, M. Rodrigue Kokouendo, Mme Sonia Krimi, Mme Brigitte Liso, M. Didier Quentin, Mme Laetitia Saint-Paul
Assistaient également à la réunion. - M. Bruno Fuchs, M. Christophe Lejeune