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MISSION D'INFORMATION SUR L'APPLICATION DU DROIT VOISIN AU BÉNÉFICE DES AGENCES, ÉDITEURS ET PROFESSIONNELS DU SECTEUR DE LA PRESSE

Jeudi 16 septembre 2021

La séance est ouverte à neuf heures trente.

(Présidence de Mme Virginie Duby-Muller)

La mission d'information auditionne M. Jean-Marie Cavada, président de l'Institute for Digital Fundamental Rights (IDFR), ancien député européen, et Mme Colette Bouckaert, secrétaire générale.

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Je rappelle que cette audition est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale. La mission d'information sur l'application du droit voisin porte sur un sujet qui a fait couler beaucoup d'encre et suscité de nombreux débats. Nous sommes très heureux d'accueillir monsieur Cavada, afin de bénéficier de son expertise. Nos questions sont les suivantes :

– Avez-vous une idée du montant, même approximatif, du manque à gagner des éditeurs et agences de presse découlant du droit voisin ?

– Avez-vous des informations concernant les montants avancés par l'étude KPMG ?

– En quoi consiste précisément votre rôle de président du futur organisme de gestion collective (OGC) mis en place avec l'appui de la Société des auteurs, éditeurs et compositeurs de musique (SACEM) ?

Nous vous remercions également de bien vouloir nous présenter votre institut et les missions que vous entendez porter.

Certaines questions vous ont été transmises en amont et d'autres pourront nourrir nos échanges. Vous pourrez par ailleurs nous adresser une contribution écrite, suite à cette audition, si certains points nécessitaient des précisions supplémentaires.

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Jean-Marie Cavada, président de l'IDFR et ancien député européen

Je salue les parlementaires qui ont décidé, avec beaucoup d'intérêt, de se saisir de cette question une nouvelle fois. En effet, voici un peu plus d'un an, l'Assemblée nationale avait déjà transposé, presque à toute vitesse et en tout cas sans perdre de temps, la directive portant sur le droit d'auteur et les droits voisins, afin de nous aider dans la bataille que mon éminente collaboratrice, madame Bouckaert, et moi-même, avons menée en faveur de l'avenir de la presse.

Je pense qu'il n'existe aucune différence d'appréciation entre les membres de cette mission et nous. En effet, nous l'avons ressenti à plusieurs reprises, nous nous soucions tous de l'avenir de la presse.

Sur le principe, nous devons faire face à une très grave menace pesant sur la presse européenne en général et la presse française en particulier : son indépendance est obérée par la disparition progressive de ses recettes publicitaires, détournées, captées par les plateformes numériques. C'est ainsi que, en l'espace de dix ans, la presse a perdu une bonne moitié de ces recettes. À ce rythme, sans l'intervention de l'esprit public par le biais du législateur européen, français, et du gouvernement, seuls quelques titres auraient pu survivre aux dix années qui ont suivi. La mission que vous menez dépasse très largement le cadre de la protection : elle vise à consolider un instrument fondamental de la démocratie. Il n'y a pas de citoyen s'il n'y a pas d'information. Or, les plateformes ne comportent aucun journaliste. Si vous êtes souffrant, vous ne vous rendez pas chez un garagiste pour vous faire soigner, mais chez un médecin. Si vous voulez de l'information, vous ne vous fiez pas à un algorithme ou à un flux électronique. Vous devez d'abord avoir confiance dans la présence humaine qui met en ligne le matériel dont votre esprit a besoin.

La loi prévoyait d'abord de rendre obligatoires les organismes de gestion collective pour la presse. Comme nous n'avions pas pu obtenir une majorité à ce sujet, notamment à cause des pirates (et des grands groupes numériques étrangers qui s'abritaient derrière eux), nous avons concédé que l'obligation devienne recommandation, invitant la presse à se placer sous la protection et l'autorité d'un organisme de gestion collective.

Un fait nouveau tient à la mise en place de plusieurs actions, ouvrant un champ de travail et des perspectives inexistants jusqu'à présent. Certes, édicter une loi est tout à fait fondamental, mais une fois qu'elle a été promulguée, il convient d'entamer une seconde étape : organiser son application. Sur ce point, la responsabilité de l'État, voire plus largement des pouvoirs publics et du Parlement, est engagée. Une loi doit être appliquée, et bien appliquée. Désormais, il n'y a plus de discussion possible. La directive a été votée en 2019, transposée la même année, et progressivement mise en application. Il y a environ deux ans, la presse quotidienne, nationale et régionale a tenté de s'organiser. Je vais m'attacher, dans le cadre de la future présidence de l'OGC, à établir des relations cordiales et à veiller à ce que d'éventuelles querelles intestines ne prennent pas l'ascendant sur l'intérêt général. À titre indicatif, j'entretiens de très bons rapports avec monsieur Pierre Louette, président de l'Alliance de la presse d'information générale (APIG), qui était déjà mon interlocuteur lorsque j'ai fondé l'actuelle France 5, en 1994. Je ne suis pas l'héritier du passé, je construis le bras séculier de l'application d'une loi.

Madame Roselyne Bachelot, ministre de la culture, a affirmé son soutien aux OGC lors du dîner de presse de l'Humanité, confirmant la volonté de l'État de veiller à l'application de la loi. Cependant, un événement fondamental doit être relevé. Les syndicats, notamment le syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM), ont intenté une action devant l'Autorité de la concurrence. Cette dernière a tout d'abord rendu une décision à l'été 2020, n'ayant engendré aucune réaction de la part de Google (que je considère comme l'arbre qui cache la forêt). En conséquence, une nouvelle plainte a été déposée, auprès de cette même autorité, qui a rendu une seconde décision, le mardi 13 juillet 2021, d'une très grande sévérité. Cette dernière comporte, d'une part, un rappel à l'ordre : la loi doit être appliquée, sans chercher à la discuter ou la contourner, comme cela avait été le cas jusqu'à présent. D'autre part, Google a été condamné à verser une amende colossale de cinq cents millions d'euros, assortie d'une pénalité de retard de trois cent mille euros journaliers, courant dès l'instant où la négociation est réputée ouverte. Par ailleurs, cette décision comportait d'autres considérations importantes, comme celle de faire connaître à l'Autorité de la concurrence les pièces authentiques servant de base à la négociation.

Trois organismes syndicaux m'ont conjointement demandé de présider l'OGC, ou plutôt de le conduire. Je n'ai pas l'intention de jouer au « chapeau à plumes », j'ai passé l'âge. Les statuts font actuellement l'objet de discussions entre les trois primofondateurs. Sans trop m'avancer, je crois pouvoir dire que d'autres organismes sont sur le point de nous rejoindre. Nous aspirons à la mise en place d'une organisation ouverte, dotée d'un conseil d'administration et d'un bureau qui en exécutera les décisions, sous l'égide d'un conseil de surveillance, conformément à la loi régissant le fonctionnement des OGC. Cette cohésion des organismes de presse est absolument indispensable, car, dans toute négociation, il est d'abord question de rapport de forces. Nous serons par ailleurs aidés de prestataires. Parce qu'il dispose déjà d'une grande expérience sur le sujet, le premier d'entre eux sera la SACEM. Il sera peut-être complété de l'appui du Centre français de la copie, mais il est un peu tôt pour que je m'avance davantage. L'OGC devra remplir quatre missions fondamentales pour constituer le bras séculier qui fera respecter, au bénéfice de la presse et de son avenir, les lois votées à Bruxelles et Paris.

La première consiste à savoir évaluer le montant de la prédation, qui est énorme. Nous avons été embaumés, voici quelques années, par un simili-accord ayant permis à la presse française de « bénéficier » de quelques dizaines de millions d'euros. Je tiens à être clair : je ne critique ni ne m'oppose au bien-fondé de cet accord. Mais cette époque est révolue et a cédé la place à l'injonction de la loi et de l'Autorité de la concurrence. La prédation est énorme. Le montant devra être revu à l'aune de la sortie de la crise sanitaire, mais les chiffres les plus pessimistes atteignent des multiplicateurs de l'ordre de sept ou huit, tandis que les plus raisonnables ajoutent un zéro aux vingt millions annuels qui ont été annoncés. L'étendue réelle de la prédation va bien au-delà des arbres que constituent Google et Facebook. En prenant en considération les crawlers, c'est probablement entre huit cents millions et un milliard d'euros qui échappent à l'économie de la démocratie à travers la presse. La situation est très grave. C'est pourquoi l'union doit être la plus large et la plus solide possible, afin de permettre à l'OGC d'accomplir son rôle de négociation au nom de la presse et de mener une action de réparation, selon des critères qui seront prochainement définis par le conseil d'administration.

Je tiens à souligner que cette action n'a pas pour seul but de consolider la trésorerie ou les investissements des entreprises de presse, qu'elles soient grandes, moyennes ou (et surtout) petites. Il ne faut pas oublier ces dernières, car la démocratie journalistique et informative s'exerce aussi bien au niveau local que régional ou national, aussi bien sur les éditions quotidiennes, hebdomadaires que mensuelles, aussi bien sur la presse d'information générale que sur les presses spécialisées. Il est essentiel de garder à l'esprit que vous, les gardiens et auteurs de la loi, avez la responsabilité de la surveillance de son application. Nous avons parlé d'amende. Je voudrais vous demander d'aller plus loin dans l'exécution des sentences, lorsque la loi est bafouée, contournée, ou que les négociateurs écopent d'un refus frontal ou collatéral. Si l'Autorité de la concurrence prononce une sanction de cinq cents millions d'euros, j'attends que cette amende soit prélevée immédiatement. Il existe pour ce faire un moyen simple : glisser dans la loi de finances un cavalier permettant le séquestre de la somme. Ainsi, dans le cas où des appels viendraient majorer ou minorer le montant réclamé, il sera possible de rembourser ou encaisser la différence. Il est tout à fait inadmissible que les sanctions, que ce soit au niveau européen ou national, constituent une sorte de vœu pieux qui, très souvent, traîne durant des années. La justice a son propre rythme et fait de son mieux, mais pendant ce temps, d'autres prédations sont lancées. C'est pourquoi j'attire votre attention sur la nécessité de faire respecter la souveraineté de la loi, non seulement dans son prononcé, mais également dans son exécution. Vous êtes les seuls à pouvoir y veiller.

J'ajoute qu'il existe en France un fonds de développement de modernisation de la presse. Il serait bienvenu de l'inviter à se tourner vers l'OGC pour l'aider à démarrer financièrement, sous une forme restant à définir. Si nous pouvons bénéficier de votre soutien sur ce point, nous gagnerons du temps.

Les statuts, l'assemblée générale, la composition du conseil d'administration ainsi que les premiers travaux devraient être bouclés d'ici trois semaines à un mois maximum, dans la mesure où les délais de convocations aux assemblées générales sont calés sur l'avancée des négociations entre fondateurs.

Je précise qu'il n'est pas seulement question de la presse telle que l'entendait la loi de 1881, mais également des médias, fournisseurs de contenus et d'informations. Il s'agit donc d'un très vaste champ de prospection, qui inclut la presse audiovisuelle, publique ou privée.

Pour terminer, je souhaite revenir sur le sens de l'expression que j'ai employée : « l'arbre qui cache la forêt ». L'arbre représente Google, Facebook, c'est-à-dire les grandes organisations de plateformes d'envergure mondiale. La forêt, quant à elle, est constituée des crawlers, que je vais vous décrire afin que la Représentation nationale en tire profit et prenne de l'avance sur les événements à venir. En effet, les lois en matière de capitalisme numérique courent continuellement après la réalité, car elles doivent être réfléchies, négociées, votées et exigent donc du temps. Les crawlers se composent pour l'instant de trois grands groupes de même nature, familièrement appelés les KAFARD : Kantar, Factiva, Reed Elsevier. Ils occupent une place prépondérante sur un marché presque occulte, dont une partie de l'économie fonctionne quasi strictement à leur profit. Certaines activités sont loyales, mais une proportion très importante de leur chiffre d'affaires ne l'est pas, engendrant un manque à gagner extrêmement prédateur pour les entreprises de presse délivrant de l'information.

Le métier de ces crawlers consiste, au fond, à diffuser l'information que d'autres ont produite et à construire un monument énorme, appelé l'or bleu. Par le biais de cette presse capturée, agrégée, organisée, diffusée, ciblée, ils disposent d'une mine d'informations constituant la véritable base du fonds de commerce du capitalisme numérique. Entendez-moi bien : je suis un chaud partisan de l'économie libérale de marché, je n'ai rien contre. Je suis un adversaire résolu des monopoles et, à plus forte raison, des prédateurs, non seulement parce qu'ils étouffent les entreprises, mais aussi parce qu'ils égratignent, menacent, amputent la démocratie. Nous avons pu le constater avec le coup d'État du 6 janvier 2021 contre le Capitole aux États-Unis. Ne soyez donc pas étonnés d'entendre prochainement parler de ces KAFARD dans notre recherche d'actions visant à rééquilibrer, dans une négociation loyale et neutre, la répartition de profits empruntés à la presse et massivement agglomérés. La presse paie pour fabriquer de l'information. Ce qui est aspiré par ces entreprises n'est pas rémunéré à son juste coût.

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Le modèle australien de régulation de la concurrence prévoit l'intervention d'un médiateur : considérez-vous cette médiation comme pertinente ou est-il préférable de laisser les parties prenantes se mettre d'accord ?

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Jean-Marie Cavada, président de l'IDFR et ancien député européen

L'Australie a reconnu s'être beaucoup inspirée de la loi européenne, qu'elle a assortie d'un instrument de régulation. Cela a entraîné une réaction de la part de Facebook et Google, qui ont coupé leur signal durant plus de vingt-quatre heures dans le pays. Cet acte aurait pu entraîner des conséquences très graves, puisque les services de secours, incendie, noyade et alerte maritime australiens passent par Facebook. Cette affaire a donc fait grand bruit. Finalement, la loi a pu poursuivre son chemin et être adoptée.

Le rôle de l'OGC se situe au-dessus des intérêts particuliers des différents syndicats membres de son conseil d'administration et peut comporter, de façon intrinsèque, une mission de régulation. Son objectif est de faciliter les négociations. Mais il doit être entendu dès le départ par les clients des fabricants de contenus de presse, que la loi doit être scrupuleusement respectée. Jusqu'à présent régnait une atmosphère assez bizarre : le client fixait lui-même le tarif de la matière qu'il désirait acheter. Négocier est normal, fixer unilatéralement un tarif ne l'est pas. Les autorités de la concurrence européenne et française ne laissent aucune échappatoire à ce sujet : c'est aux membres de l'OGC qu'il revient de proposer un tarif pour la négociation. Si des désaccords profonds apparaissent (et il y en aura forcément), et si l'OGC a épuisé sa capacité de négociateur, je ne suis pas hostile à l'intervention d'un régulateur. Mais il devra représenter l'autorité morale et législative de l'État. Il est question du respect de la loi et de ceux qui la contournent ou ne l'appliquent pas. Il ne serait pas possible d'admettre l'intervention d'un interlocuteur qui ne se serait pas d'abord rangé sous l'autorité de la loi avant de s'installer à la table des négociations.

Mais nous n'en sommes pas encore là. Nous en sommes pour l'instant à une évaluation et une ouverture des négociations. Nous verrons comment les choses tourneront. Elles pourront d'ailleurs mieux se dérouler pour certains acteurs du numérique que pour d'autres. Microsoft a fait savoir en Australie qu'il respecterait la loi australienne, en Europe qu'il respecterait la loi européenne, et en France la loi française. Je me réjouis de l'amélioration du climat mais, tout comme en amour, seuls les faits et les preuves comptent. J'attends de voir.

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Cela pourrait-il limiter les positions dominantes ?

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Jean-Marie Cavada, président de l'IDFR et ancien député européen

C'est le but. La position dominante est tout aussi inacceptable au regard de la loi française, qui s'est dotée d'instruments comme l'Autorité de la concurrence, que de la loi européenne, également pourvue d'une équipe sérieuse et remarquable chargée de faire respecter les règles et d'éviter les monopoles. Je parle ici de la commissaire Margrethe Vestager, qui a servi de modèle à la série danoise Borgen.

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Vos propos nous rassurent et attestent de l'énergie que vous souhaitez insuffler dans cet organisme. Des critiques sont parfois émises par les membres de certains OGC qui, en fonction de leur importance au sein de l'organisme, ne se sentent pas suffisamment représentés, et donc considérés ou entendus. Quels moyens comptez-vous mettre en œuvre pour que tous les auteurs qui fabriquent l'information soient entendus de façon équitable ? Pour que le contre-pouvoir fonctionne, l'unité et la confiance sont essentielles.

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Jean-Marie Cavada, président de l'IDFR et ancien député européen

Vous avez raison. Des critiques ont effectivement été formulées. Mais j'ai toute confiance dans l'équipe et les qualités de l'un de nos principaux prestataires, la SACEM, incarnée par son secrétaire général, monsieur David El Sayegh, juriste reconnu en Europe pour sa rigueur, sa compétence et sa loyauté. Par ailleurs, sa négociatrice, madame Cecile Rap-Veber exerce avec lui, à titre intérimaire, la direction générale de l'entreprise, le directeur général étant empêché pour raison de santé. Nous avons reçu des assurances quant à l'état de cette équipe.

Qu'il s'agisse du SEPM ou de la Fédération nationale de la presse spécialisée, du syndicat de la presse indépendante d'information en ligne ou d'autres interlocuteurs qui n'ont pas le même poids que les grands, nous avons commencé à réfléchir à l'introduction de correctifs dans la répartition de la gouvernance et de l'argent obtenu des plateformes. Les grands ne doivent pas devenir des absolus. Tout le monde en est d'accord et je tiens beaucoup à ce système « paracoopératif ». Pour exemple, les acteurs départementaux ou régionaux sont à la fois extrêmement utiles et vulnérables. Ils ne disposent pas de suffisamment de temps ni de moyens pour effectuer des négociations, et ne savent bien souvent pas où trouver les compétences nécessaires. L'OGC fournira ces dernières à tous les acteurs, grands ou petits. Il négociera en leur nom les mandats qui lui seront remis, puisque ce sont les titres qui adhèrent et non les syndicats, et veillera à une juste répartition de la rétribution en s'appuyant sur des organismes disposant du savoir-faire requis. L'audience fera partie des critères, mais elle ne sera pas la seule, d'où l'idée émise par les futurs membres du conseil d'administration, dont je tire des enseignements, moi aussi. Tout député, journaliste ou patron de presse que j'ai été, il y a encore beaucoup de choses que je ne connais pas et que j'apprends tous les jours. Sur le principe général, je peux en tout cas vous rassurer : des correctifs seront mis en place et joueront le rôle d'amortisseurs.

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Je suis rassurée d'apprendre que, par-delà les trois syndicats initiateurs et fondateurs de cet OGC, d'autres organisations vous rejoindront. Nous, parlementaires, avions besoin d'entendre qu'un rassemblement, une unité et une convergence se mettraient en place afin d'acquérir plus de force et de cohérence. En effet, il a été beaucoup reproché au secteur de la presse, ou encore aux acteurs culturels, d'être dispersés et de ne pas savoir assurer la prévalence des intérêts convergents et collectifs. L'absence de message univoque et stratégiquement appuyé nuisait à leur défense, permettant ainsi l'exploitation de leurs divergences et de leurs failles. Il est donc très rassurant de savoir que, dès que l'organisme sera consolidé, avec des statuts rédigés et un conseil d'administration constitué, d'autres représentants de la presse viendront s'ajouter.

Nous sommes également sensibles à vos messages concernant l'effectivité et l'application du prononcé des sanctions. Je ne sais pas si la prochaine loi de finances constituera le meilleur véhicule législatif sur ce point. Cela me semble juridiquement assez délicat. Mais nous comprenons toute la portée de l'amende d'un montant historique réclamée par l'Autorité de la concurrence : madame Isabelle de Silva nous a rappelé hier qu'elle dépasse très largement le produit de la taxe des GAFA. C'est pourquoi, nonobstant l'appel lancé devant la cour compétente, le législateur devra se pencher sur le sujet.

Nous pouvons également nous emparer d'une autre question, que les membres de cette mission d'information qui font partie de la commission des finances étudieront avec beaucoup d'intérêt et d'application. Comment pouvons-nous vous aider à travers le fonds stratégique pour le développement de la presse (ex-fonds de modernisation de la presse) ? Sur ce point, nous pourrons intervenir à la faveur de la loi de finances par un dispositif de fléchage et de ventilation. Cette question sera abordée rapidement. Elle présente un grand intérêt et constituerait une marque de soutien, une preuve d'amour, de la part de la Représentation nationale et de l'État, à travers le budget.

Nous sommes nombreux à vous souhaiter beaucoup de force et de courage pour ce combat absolument essentiel. Nous le suivrons de près, avec les moyens dont nous disposons. La mission d'information confirme que nous avons entendu, dans cette matière comme dans toutes les autres, que l'application de la loi, le « service après-vente », fait partie intégrante de notre rôle. Nous lui attachons une extrême importance. Par ailleurs, nous continuerons à suivre les futurs travaux législatifs au sein des institutions européennes, afin de veiller à ce qu'aucun détricotage sournois ou subreptice ne survienne.

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Jean-Marie Cavada, président de l'IDFR et ancien député européen

Je souhaite effectuer une mise en perspective. Le travail accompli par les parlements européen et français constitue la première pierre dans le changement de l'écosystème de presse. Il ne s'agit pas de venir mendier ou pleurer devant l'opinion publique (encore que la presse ait peu parlé de ses soucis dans ses propres colonnes, ce qui est d'ailleurs assez étrange). Il est question ici de modifier l'économie de ces métiers de la démocratie. Il est vrai que ces entreprises sont, pour la plupart, capitalistiques, avec des coûts, des recettes, des bilans. Mais la France est l'un des rares pays dont la presse est soutenue par l'État (sans que ce dernier, fort heureusement, soit propriétaire des entreprises ou interfère dans leurs contenus), tandis qu'aucun de ses grands groupes de presse ne possède de titres à l'étranger. Les Allemands possèdent de la presse en France, tout comme les Belges ou les Italiens. De la même manière, les groupes audiovisuels, qui seront d'ailleurs invités à participer à nos travaux, n'ont pas d'influence extérieure. Il y a là une anomalie.

Je ne comprends pas au nom de quoi, jusqu'à présent, cet écosystème n'a pas permis à quelques très grands groupes de presse français de devenir leaders dans d'autres pays européens. Notre marché des consommateurs et de la publicité est bon pour des groupes européens possédant des titres en France. Je pense notamment à l'excellent investisseur que constitue monsieur Kretinsky. La France est victime d'une atrophie. L'action conjuguée de la loi, de l'Autorité de la concurrence et du bras séculier que constitue l'union la plus large possible des entreprises de presse, doit changer les données économiques. Il n'y a pas assez d'argent injecté dans la presse française pour le travail qu'elle fournit, ce qui l'empêche d'acheter à l'étranger, et d'étendre son influence et ses capacités économiques. C'est cela que nous souhaitons corriger.

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Colette Bouckaert, secrétaire générale de l'IDFR

C'est peut-être la faiblesse de la presse en France qui a permis à Google de faire pression et de proposer de l'argent. L'entreprise en a fait de même dans d'autres pays, mais de façon moins pressante que dans le nôtre.

Concernant les textes européens, le travail accompli sur le droit voisin aboutit aujourd'hui à la création de l'OGC, ce qui constitue une grande victoire, car le combat n'était pas gagné d'avance. La question était encore plus épineuse que l'article 17 de la directive, du moins dans les négociations. Je pense que les actions au Parlement européen, et dans les institutions en général, se poursuivent avec le Digital Services Act. Ajouté à la directive, nous devrions obtenir des textes qui se complètent et permettent à la presse, aux acteurs culturels et entreprises concernées par la propriété intellectuelle, de créer un véritable appel d'air. Les contenus seront rémunérés, ceux qui sont illégaux seront retirés. La presse pourra retrouver une certaine légitimité à travers la guerre livrée contre les fake news. Je pense que cela lui redonnera une véritable place. L'Europe a un rôle à jouer à travers ces textes.

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Jean-Marie Cavada, président de l'IDFR et ancien député européen

Il faut bien comprendre que nous ne tirons pas de conclusion à travers la lecture des événements. Nous avons construit l'IDFR (dont le nom est anglais parce que l'institut est appelé à s'installer à Bruxelles) avec des juristes universitaires et des juristes de cabinets œuvrant sur le terrain. C'est au nom des principes que nous avons définis que j'ai accepté de participer à cet OGC, dont la conduite sera menée par un attelage, car je suis quelqu'un de collectif. Nous serons exigeants, car le droit est le droit, la loi est la loi, et il est inutile de promulguer des règles si aucun bras séculier n'existe pour les faire appliquer et respecter. Il y aura un continuum entre les principes généraux et juridiques sur lesquels nous travaillons au sein de l'institut et l'OGC, qui constitue l'un de ses champs d'application.

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Colette Bouckaert, secrétaire générale de l'IDFR

Le Digital Services Act, actuellement en négociation, est très important. Il n'est pas toujours facile de faire passer les idées de plusieurs États au sein du Parlement européen. Il faut absolument soutenir ses actions en faveur de la presse et de la sauvegarde des contenus. Dans le cas contraire, nos contenus culturels et de presse continueront d'être pillés et amoindris, nous perdrons en indépendance et en qualité. Nous ne pouvons pas nous le permettre.

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Jean-Marie Cavada, président de l'IDFR et ancien député européen

Puisque nous nous trouvons devant le législateur, je souhaite ajouter un point qui me réjouit. Quand un État veut mettre en chantier une action, soit il le fait directement en faisant adopter une loi par son parlement, soit il fait appel à des agences indépendantes. Or, deux d'entre elles sont en train d'acquérir un rôle très important en France, en aidant les plaignants à obtenir ce à quoi ils ont droit : la CNIL et l'Autorité de la concurrence.

La CNIL gagne une nouvelle autorité, depuis quelques mois, avec une équipe renforcée sous sa nouvelle présidence. Quant à l'Autorité de la concurrence, elle vient de démontrer toute son envergure et nous ne saurions nous passer de son contrôle, puisqu'elle sera destinataire des pièces qui serviront de base à nos négociations. C'est une excellente chose que le Gouvernement, le Parlement et les autorités administratives indépendantes veillent au respect de la loi. Il arrive que certaines autorités se montrent un peu passives, ou un peu molles, ou disposent de moyens insuffisants pour remplir leur rôle. Dans le cas de la France, il existera une représentation de l'autorité de la loi et de la vérification de son respect. La CNIL et l'Autorité de la concurrence constitueront à cet égard un apport tout à fait considérable.

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Je vous remercie d'avoir insisté sur l'existence des crawlers car, au-delà du droit voisin, la captation des données est également à l'origine d'une grande richesse. Leur audition est prévue. Nous vous remercions et vous souhaitons une pleine réussite dans votre tâche, essentielle et passionnante, de présidence de ce nouvel OGC.

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Jean-Marie Cavada, président de l'IDFR et ancien député européen

C'est nous qui vous remercions, car, depuis un certain temps, nous avions l'impression que les pouvoirs démocratiques français ne savaient pas comment traiter le problème. Puis, sont arrivées les deux transpositions. La transposition des droits voisins pourra faire l'objet d'un complément, car il subsiste quelques trous dans la raquette qui font la joie des plateformes. Nous sommes à votre disposition, soit par le biais d'une note d'information confidentielle, soit lors d'une nouvelle rencontre, pour vous proposer de nouvelles actions. Je pense que madame Bouckaert et moi-même vous adresserons une note, dans les jours qui viennent, pour présenter la prochaine étape d'amélioration.

La transposition a été très rapide dans notre pays et la raison pour laquelle je tiens tant à cet OGC, c'est qu'il constitue un exemple en Europe. Cela n'est pas anodin, au moment où la France doit prendre la présidence de l'Union. Bruno Le Maire et Jean-Yves Le Drian s'apprêtent à lancer un événement (que j'espère considérable, et nous les y aiderons) sur la question de l'économie numérique versus la presse. Mais nous devons déjà penser à l'étape suivante, en engrangeant dès aujourd'hui le fruit de négociations. Le droit voisin doit être complété, car la réplique des GAFA et autres plateformes est toujours rapide, implacable, et soutenue par des moyens extraordinaires. Il faut que les tentatives de monopole d'un côté, et le respect de la loi et de l'intérêt général de l'autre, avancent à peu près au même rythme. Je dois donc pouvoir compter sur vous et vous remercie infiniment.

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Nous sommes preneurs de cette note. Quant à la transposition de la directive, avez-vous suivi la façon dont elle a été menée dans d'autres pays ?

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Colette Bouckaert, secrétaire générale de l'IDFR

La ligne de conduite est la même que celle de la France : les États sont restés au plus près du texte voté par le Parlement européen, sauf en Allemagne, qui rencontre de véritables problèmes de transposition.

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Jean-Marie Cavada, président de l'IDFR et ancien député européen

L'Allemagne est un terrain singulier, car les entreprises de presse y sont énormes par rapport aux nôtres. Leur migration vers le numérique a commencé plus tôt qu'en France. Mais, sans médisance, l'attitude allemande repose toujours sur une double préoccupation : le respect démocratique de la santé économique de la presse, et le souci de l'intérêt général de l'économie allemande et de sa balance exportatrice. L'Allemagne joue parfois deux cartes à la fois dans ses négociations, ce qui constitue un problème.

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Colette Bouckaert, secrétaire générale de l'IDFR

En outre, ce n'est pas le ministère de la culture qui gère ces dossiers, mais le ministère fédéral allemand de la justice, qui peut être qualifié de compliqué.

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Jean-Marie Cavada, président de l'IDFR et ancien député européen

Il est compliqué et n'est « que » fédéral : il est soumis aux ministères de la justice des Länder. Nous entrons par ailleurs dans une période où le pouvoir est instable, avec le départ de madame Merkel. Quelques mois seront nécessaires pour établir un contrat de gouvernement, ce qui engendrera une sorte de ventre mou et d'incertitude. C'est pourquoi, dès que nous serons en place, nous tendrons la main à d'autres acteurs européens.

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Je vous remercie tous deux, ainsi que Laurent Garcia pour avoir assuré le relais en début d'audition.

La réunion se termine à dix heures trente-cinq.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'application du droit voisin au bénéfice des agences, éditeurs et professionnels du secteur de la presse

Réunion du jeudi 16 septembre 2021 à 9 h 30

Présents. – Mme Émilie Cariou, Mme Virginie Duby-Muller, M. Laurent Garcia, Mme Constance Le Grip, Mme Michèle Victory

Excusé. - M. Jean-Michel Mis