Audition, en visioconférence, de M. Thomas Gomart, directeur de l'Institut français des relations internationales (IFRI)
La séance est ouverte à 9 h 30.
Nous avons le grand plaisir aujourd'hui de recevoir Thomas Gomart. Vous êtes historien, spécialiste des relations internationales et directeur de l'Institut français des relations internationales (IFRI). Cette audition va nous permettre de réfléchir ensemble et d'échanger sur l'impact que va avoir la pandémie sur le monde et sur son équilibre futur.
En 2019, vous aviez publié L'affolement du monde que j'avais lu et que je recommande. C'était un titre prémonitoire. Déjà, dans ce livre, vous nous décriviez la transformation des rapports de force internationaux, avec une montée en puissance de la Chine, une forme de repli américain et une fragmentation de l'Europe. Vous l'avez écrit il y a quelques semaines, cette crise est la première d'un « monde post-américain ». Vous nous direz ce que cela signifie, ce que cela veut dire pour vous. Pour chacun des grands acteurs, les États, les organisations régionales, les organisations internationales, les géants du numérique, vous nous direz quels seront, selon vous, les gagnants et les perdants de cette crise. Vous nous direz aussi comment le multilatéralisme devra se réinventer au sortir de cette crise. Comment pourra-t-on échapper à l'affrontement sino-américain que l'on sent monter en puissance aujourd'hui ? Autour de quels équilibres nouveaux les puissances du monde devront s'organiser demain ? Dans ce monde de demain, je crois, et c'est ma conviction personnelle, que l'Europe devra impérativement et vitalement se renforcer, se démocratiser pour exister pleinement avec ce qu'elle représente, ses valeurs et son projet de société, et contribuer ainsi à un meilleur équilibre du monde. Faute de quoi, nous aurons une sorte de tête à tête dans cette course à la puissance entre la Chine et les États-Unis, avec peut-être aussi un rééquilibrage vers l'Asie. Vous allez nous dire quelles sont vos convictions. C'est important de réfléchir au monde, tel qu'il sortira de cette crise et à la manière dont nous pouvons contribuer, je l'espère, à trouver un équilibre qui soit meilleur pour demain. Je vous cède la parole.
C'est évidemment un honneur pour moi de pouvoir m'exprimer devant votre commission dans cette période si singulière que nous traversons. J'espère que j'aurai le plaisir de vous accueillir, vous et vos collègues, à l'IFRI dès que les conditions seront réunies.
Vous avez eu l'amabilité, madame la présidente, de mentionner l'ouvrage que j'ai publié début 2019, L'affolement du monde. Je dois le titre à mon éditrice, Nathalie Riché, qui a trouvé le bon mot pour décrire cette impression d'emballement et de perte de contrôle que je ressentais à travers mes différents entretiens dans le cadre de mes activités. Je pense que cet affolement est une impression ou un sentiment davantage ressenti en Europe que dans d'autres régions pour des raisons sur lesquelles je vais revenir. Il y avait trois grandes causes pour cet affolement.
La première c'est la fin de ce que j'ai appelé le « mythe de la convergence », c'est-à-dire cette idée selon laquelle la convergence économique entre, pour faire simple, les émergents et l'Occident et plus précisément entre la Chine et l'Occident allait aboutir graduellement à une convergence politique. Cette idée cesse d'être portée avec la crise de 2008. De manière schématique, depuis 2008, nous sommes dans une phase de convergences économiques mais de divergences politiques. La question que je me pose est de savoir si nous n'entrons pas avec le covid-19 dans une nouvelle phase qui serait à la fois celle d'une divergence politique et d'une possible divergence économique entre systèmes.
La deuxième grande raison de cet affolement c'est la trajectoire suivie par l'Europe depuis 2008. Nous sommes très loin de la stratégie de Lisbonne. L'Union européenne subit à la fois des chocs exogènes et endogènes. Je ne vais pas en faire la liste mais on peut rappeler la crise des dettes, la crise migratoire, les attaques terroristes sur son sol, les tensions avec la Turquie et la Russie, le Brexit ou encore la dégradation de la relation transatlantique. Pour le dire de manière très synthétique, là où la stratégie de Lisbonne cherchait à présenter l'Europe comme une source de certitudes, elle est devenu un foyer d'incertitude géopolitique. Elle vit tout sur le mode de la crise, alors même que les événements que nous traversons sont davantage vus comme des aubaines ou des effets d'opportunités pour la Chine. Ceci nous place dans situation très défensive sur le plan psychologique et politique, accentuée par le covid-19. Je crains que les Européens sortent de cette crise appauvris, désunis et hébétés.
La troisième grande cause de cet affolement touchait à la tension entre environnement et technologie. Je pense que nous sommes face à une prise de conscience très largement partagée et, en particulier portée par notre jeunesse, des conséquences de la dégradation environnementale et du réchauffement climatique. Nous avons eu parallèlement la montée de tout un discours technologique, laissant croire, au fond, que la technologie allait répondre à cette dégradation environnementale. Je crois que l'illusion s'est dissipée et que cette situation pose un double problème. Nous nous rendons compte que nous avons des capacités de transformation très supérieures à nos capacités d'anticipation d'une part et, d'autre part, nous nous rendons compte à quel point notre réflexion politique sur la technologie est embryonnaire et qu'elle oscille entre fascination et rejet plus récemment.
Dans ce contexte, je crois que le covid-19 a été un catalyseur d'éléments déjà présents et sur lesquels je vais insister. Comment caractériser cette crise ? Nous sommes à mes yeux, face à une crise « technosanitaire », dans la mesure où elle est sanitaire dans ses causes et technologiques dans ses effets. Ce qui singularise cette crise, ce sont deux décalages. Le premier est un décalage entre le nombre de victimes et l'amplitude des mesures prises. Le deuxième décalage est entre la matérialité des moyens mobilisés pour juguler la crise sur le plan sanitaire – le nombre de lits, de masques, de respirateurs, etc. – et l'immatérialité des moyens mobilisés pour la traverser sur le plan politique – les réseaux sociaux, les moyens médiatiques, le télétravail, etc. Ce qui se joue à mes yeux à travers cette crise, c'est un passage d'une sorte de compétition à une confrontation cognitive pour imposer des modèles de gouvernements et de comportements si on raisonne à moyen et à long terme. Je vais essayer de l'exposé de manière très rapide et, encore une fois, trop schématique en vous proposant trois niveaux d'analyse : le niveau géopolitique, le niveau de la politique internationale et le niveau diplomatique. Pour chacun de ces niveaux, je ferai trois points succincts.
Je vais commencer par le niveau géopolitique.
Premier point. Cette crise correspond à un nouveau rendez-vous manqué entre l'Occident et l'Orient, ou pour être plus précis, à un nouveau rendez-vous manqué entre la Chine et les États-Unis. En 2008, s'est refermée la période ouverte en 1978 par les réformes de Deng Xiaoping qui, au fond, ont permis en parallèle le déploiement du néolibéralisme reaganien et thatchérien, c'est-à-dire l'ouverture d'un marché gigantesque. Toute l'interdépendance économique sino-américaine s'est nouée durant ces quatre décennies. La divergence apparaît très clairement en 2008. La crise de 2008 va avoir pour effet d'accélérer la montée en puissance de la Chine et également de renforcer de manière paradoxale le rôle économique des États-Unis vis-à-vis de l'Europe et de son système bancaire. Ce rendez-vous manqué fait que nous sommes aujourd'hui dans une escalade, pas uniquement verbale, entre la Chine et les États-Unis, j'y reviendrai. Nous avons, à mon avis, de part et d'autre, des inhibitions qui sont tombées et nous sommes dans une guerre ouverte entre la Chine et les États-Unis en ce qui concerne le cyberespace.
Deuxième point. Nous sommes face à une nouvelle récusation des valeurs occidentales. Je vais l'exprimer autrement : cette crise est en train d'accélérer la diffusion des valeurs dites « asiatiques ». Cela ne vient pas de nulle part, c'est quelque chose de très construit. Je n'ai pas le temps de développer mais Singapour a joué un rôle tout à fait décisif à cet égard. Pour le dire très rapidement, nous avons d'abord eu des valeurs occidentales que nous avons présentées comme universalistes et que nous avons cherchées à inoculer en particulier en Asie. Je pense que nous sommes dans une phase dans laquelle les valeurs asiatiques sont inoculées à l'Europe par voie informatique.
Troisième point. De mon point de vue, l'esprit de Pékin l'emporte sur l'esprit de Berlin. Je m'explique. Nous avons célébré, l'année dernière, les trente ans de la chute du mur de Berlin en novembre 1989 et mais nous avons beaucoup moins célébré la révolte de Tienanmen qui s'est passée en juin 1989. En réalité, cette crise nous rappelle de manière extrêmement brutale la nature du régime chinois et le rôle du Parti communiste chinois comme élément constitutif de l'attitude de ce pays aujourd'hui. D'une certaine manière, sans très mauvais jeu de mots, « les masques sont tombés » sur les intentions et sur la nature réelle du régime chinois.
Cela me conduit au deuxième niveau que je voulais évoquer qui est celui de la politique internationale avec, là-aussi, trois points.
Quatrième point. On observe déjà des conséquences de cette crise au Moyen-Orient et en Méditerranée. Elle a accéléré la chute du prix du pétrole avec des effets immédiats sur les principaux producteurs de pétrole que sont la Russie, les États-Unis et l'Arabie saoudite. Ils s'étaient lancés dans une guerre des prix à l'initiative russo-saoudienne pour casser l'industrie pétrolière des schistes américains. La grande tendance géopolitique est le fait que les États-Unis avait acquis une autonomie énergétique au cours des dernières années et devaient devenir, en 2020, un exportateur net de pétrole. Ce ne sera probablement pas le cas à cause du covid-19. La conséquence de cela a été cette chute vertigineuse des prix du baril à moins de vingt dollars, qui remet en cause tout un cycle d'investissement et qui affaiblit très directement aujourd'hui l'Arabie saoudite plus que la Russie. Cela a des effets en chaîne sur d'autres pays producteurs et en particulier l'Iran. Je pense que cette situation va générer des besoins de refinancement extrêmement rapides pour un certain nombre de pays du Moyen-Orient. Je vois une accélération du rapprochement entre la Chine et l'Iran. L'Iran qui contournait les sanctions occidentales en exportant du pétrole vers la Chine avant la crise du covid-19 et qui a un certain nombre de partenariats en matière d'infrastructures avec ce pays, a subi de plein fouet la crise du covid-19. La Chine va se retrouver dans une situation de plus grande proximité avec deux frères ennemis, l'Iran et l'Arabie saoudite. Je pense qu'il faut suivre de très près également l'évolution des relations entre la Chine et l'Égypte. Cela me conduit à dire que la Chine cherche des points d'appuis en Méditerranée et que cette crise du covid-19 pourrait lui donner la possibilité d'être davantage présent en Méditerranée où l'on observe un retrait américain et une incapacité des Européens à exister en tant qu'acteur stratégique.
Cinquième point. Nous sommes à la veille, pour reprendre la formule de William Barr, procureur général des États-Unis, d'une « Blitzkrieg technologique ». L'enjeu principal qui est train de se jouer à un moment ou les Européens sont dans la situation très brièvement décrite, c'est la 5G. La 5G est une question pivot, parce qu'elle peut faire basculer les grands équilibres. J'ai été très frappé par la formule de « Blitzkrieg technologique » utilisée par William Barr début février. J'attire votre attention sur le fait qu'il a indiqué qu'il était indispensable pour les États-Unis de trouver une forme de consortium avec des acteurs industriels européens, Ericsson et Nokia. Ce n'est pas du tout quelque chose de nouveau et je pourrais y revenir dans les questions. C'est quelque chose de très construit de la part de l'administration Trump. Ce qui se joue aujourd'hui sur la 5G est à la fois un élément d'équilibre général mais aussi possiblement un élément de rupture supplémentaire au sein de l'Union européenne. En effet, la 5G se construit sur l'infrastructure 4G et un certain nombre de pays européens, pour leur 4G, avaient délibérément fait le choix d'équipementier chinois.
Sixième point sur lequel je voudrais aussi passer très rapidement. En termes très généraux, nous sommes en train d'assister au basculement d'une économie politique internationale basée sur le pétrole et ses conséquences géopolitiques vers une économie politique internationale de plus en plus basée sur la donnée. Cela veut dire que nous avons eu toute une géopolitique qui s'est articulée autour des rapports entre les sept grands Majors et les pays producteurs de pétrole ou de gaz depuis 1945, avec tous les effets de chaîne que cela a pu avoir dans les diplomaties respectives. Parmi ces sept Majors du pétrole, il y avait des groupes européens. Parmi les sept Majors du numérique, les GAFA et Baidu, Ali Baba et Tencent, il n'y a pas de groupes européens. Ce basculement est aussi extrêmement inquiétant pour l'Europe qui ne dispose tout simplement plus des outils industriels lui permettant d'être dans la compétition. Elle va se retrouver dans une situation où elle va davantage subir qu'autre chose.
Le troisième volet c'est le niveau diplomatique.
Septième point. Nous assistons à une sorte de « trumpisation » de la diplomatie chinoise et à l'adoption d'un registre de la provocation systématique du côté américain. Si j'ai utilisé ce terme de « monde post-américain » dans l'entretien que vous avez mentionné madame la présidente, c'est parce que, ce qui me frappe, c'est que, pour la première fois, les États-Unis, face à une crise majeure, refusent délibérément d'exercer le moindre leadership. Ils se recroquevillent sur eux-mêmes en période électorale et leur président se livre au spectacle que nous connaissons. Effectivement, cela a des incidences très fortes sur le système onusien dont l'appareil fait l'objet d'une prise de contrôle graduelle de la part de la Chine. Nous l'avons vu sur l'Organisation mondiale de la santé (OMS), nous allons le voir demain sur la FAO. Nous le verrons également après-demain sur les opérations de maintien de la paix. À l'inverse, les Européens sont pris dans la contradiction avec, dans le même temps, une défense du multilatéralisme et un sous-investissement chronique dans les institutions multilatérales.
Le huitième point c'est l'impérialisme d'interpénétration auquel nous allons être de plus en plus soumis et ce lien particulier qui est en train de se lier entre l'État et les plateformes numériques. Pour dire les choses très rapidement, les plateformes numériques chinoises sont complètement dans la main du pouvoir chinois. Les plateformes numériques américaines bénéficient d'une plus grande autonomie mais participent très directement au complexe militaro-numérique des Américains. Là encore, les Européens n'ont personne à mettre en face en ce qui concerne les données personnelles. C'est moins le cas en ce qui concerne les données industrielles, on y reviendra. C'est notamment une des orientations prises par la nouvelle Commission européenne qui me semble absolument indispensable à poursuivre. Sur ce plan, ce qui est en train de se passer c'est le fait que des États recourent de plus en plus souvent à des solutions privées pour extraire et exploiter des données. À l'inverse, les acteurs privés demanderont de plus en plus l'accès à des bases de données publiques pour inventer de nouveau modèle et les exploiter avec leurs algorithmes.
Le neuvième et dernier point consiste à s'arrêter sur la situation de l'Union européenne qui doit encore gérer le Brexit qui n'est toujours pas stabilisé. Je pense également à l'Italie. Il faut aussi aujourd'hui se poser la question de la stabilité de la zone euro. Je le dis avec beaucoup de prudence mais je pense que les uns et les autres nous avons beaucoup de contacts avec des collègues ou des partenaires italiens, et quelque chose s'est cassé entre l'Italie et l'Europe avec le covid-19. Cette cassure aura des conséquences : l'Italie n'est pas la Grèce.
Je finirai avec deux points de conclusion, madame la présidente. J'ai peut-être été trop focalisé ces dernières années sur la rivalité sino-américaine. C'était une volonté de ma part d'attirer l'attention des Européens sur leur provincialisation qui, à mon avis, s'accélère. Cette provincialisation n'est pas du tout synonyme d'un plus grand calme stratégique. C'est tout le contraire. Ce qui est en train de se passer c'est que cette focalisation sur le sino-américain nous détourne de la dégradation très rapide de notre environnement immédiat. Les espaces vides notamment laissés par le retrait américain ou par l'attitude chinoise permettent l'expression d'ambitions régionales. On pense notamment à la Russie avec l'annexion de la Crimée en 2014 et l'intervention en Syrie. Il faut évidemment suivre de très près ce que fait la Turquie en Libye. C'est un exemple parmi d'autres qui montre que notre environnement se dégrade et que nous n'aurons pas du tout les mêmes capacités militaires et les mêmes réflexes que jadis pour essayer d'enrayer cette dégradation. Je crois qu'il y a là un réveil qui va être extrêmement pénible. Nous entrons dans une phase, nous Européens et Français en particulier, qui verra l'importance des armées. Nous sommes au fond à la fin du cycle qui a consisté pour les Européens à désarmer depuis les années 1970, alors que d'autres puissances, comme les États-Unis, la Russie et la Chine, n'ont cessé de réarmer depuis les années 2000. C'est en train d'être visible. Dernier point, en ce qui concerne la France, le risque est d'être aujourd'hui un pays qui décroche dans une Union européenne qui décroche. À mon avis, il y a des écarts qui sont en train de se creuser notamment avec l'Allemagne, tout à fait visibles sur le plan économique et qui commencent à être problématiques sur le plan politique. Cela me conduit à revenir à un des points de conclusion de mon livre. Nous nous sommes, pour des raisons parfaitement compréhensibles, concentrés, en termes de sécurité, sur les attaques subies depuis 2015 avec des conséquences stratégiques comme notamment l'engagement au Sahel. Je pense qu'il faut comprendre que notre modèle est davantage attaqué par les transformations géoéconomiques que par ces attaques directes.
Merci pour cette introduction et pour toutes ces pistes qui sont ouvertes. Je rajoute une question. Il y a quand même quelque chose à construire en termes de renforcement de l'Europe et de ses relations avec le voisinage. Je pense, en particulier, au pourtour méditerranéen. Nous avons une grande responsabilité car si nous laissons des vides, ils seront occupés. En même temps, c'est une relation nouvelle qu'il faut construire, une relation partenariale. Je crois qu'il y a vraiment un champ à explorer pour la France et pour l'Europe dans une politique de voisinage repensée. Je livre cela rapidement à votre réflexion. Il me semble aussi que nous devons avoir des raisons d'espérer de refonder quelque chose. Nous sommes dans un environnement géographique dont nous pourrions essayer de tirer profit si on regardait différemment notre relation avec les pays du pourtour de la Méditerranée.
Je voudrais revenir sur la crise du multilatéralisme qui a notamment été accélérée par les décisions de Donald Trump : retrait de l'accord de Paris, de l'accord sur le nucléaire iranien, de l'UNESCO et annonce récemment d'arrêt des versements à l'OMS. À l'opposé, la Chine investit beaucoup dans le multilatéralisme. Elle occupe plusieurs postes stratégiques et fait reposer une partie de sa puissance sur son importance au sein de plusieurs organisations onusiennes. À titre d'illustration, huitième contributeur de l'OMS, la Chine est aussi à la tête de quatre institutions spécialisées, dont la FAO. Je me pose la question de savoir sur quelles bases de coopération faire reposer la refondation des instances du multilatéralisme là, où faute de gouvernance, elles semblent aujourd'hui être en déclin, voire en échec ?
. Monsieur Gomart, c'est toujours un plaisir de vous entendre. Dans les périodes de confinement que nous vivons, vos propos sont une sorte d'oxygène pour l'esprit. Vous avez fait un constat assez implacable de la situation de l'Europe. Vous l'évoquiez dans votre livre, début 2019, dans lequel vous consacriez un chapitre à l'Europe « déboussolée ». Un peu plus d'une année après la sortie de votre livre, nous n'avons pas le sentiment que l'Europe a retrouvé sa boussole. Bien au contraire, nous avons le sentiment, vous l'avez décrit, que l'Europe joue, d'une certaine manière, une part de son destin dans cette crise. Vous avez indiqué combien les risques étaient importants en ce qui concerne la zone euro et l'absence de l'Europe dans la politique des données. Je ne reviens pas sur les différents éléments que vous avez évoqués. J'ai une question qui rejoint un peu le propos final de notre présidente. Donnez-nous, nous qui sommes pour beaucoup d'entre nous des Européens convaincus, quelque raison d'espérer. Autrement dit, de votre point de vue, quels sont les moyens pour les Européens de faire à nouveau entendre leur voix sur la scène internationale ? Comment l'Europe peut réagir ? Je crois que c'est très important que vous nous évoquiez ces différentes raisons d'espérer à la fois sur le plan économique, sur le plan de la politique industrielle de l'Europe et sur le plan de la place de l'Europe sur la scène internationale.
J'avais initialement prévu de vous interroger sur la Russie mais, au vu de tout ce que vous nous avez dit, je vais essayer de prendre une perspective plus globale. Lorsque l'on vous écoute, on est forcément très pessimiste. Pour reprendre ce qui a été dit par les intervenants précédents, il faudrait que nous, députés de la commission des affaires étrangères, puissions avoir des idées de leviers pour éviter le pire. Je voulais vous proposer une contre-analyse, en m'appuyant sur ce que vous avez dit. Vous avez parlé des valeurs. C'est vrai qu'on peut parler de « valeurs asiatiques ». Mais il existe une boussole qui est le droit : le droit international humanitaire, le droit international social, le droit international environnemental. Je pense qu'il faudrait à nouveau s'appuyer là-dessus et que ce n'est peut-être pas impossible de le faire. Je voudrais également revenir sur ce que vous avez dit sur les données. La crise du covid-19 peut nous amener à réfléchir. Des données qui seraient bien gérées et sur lesquelles nous aurions une souveraineté européenne pourraient nous permettre d'avoir une politique publique de santé et d'arbitrer entre les libertés publiques et les politiques de santé. Nous savons faire des choses dans ce domaine. Nous l'avons vu avec le règlement général sur la protection des données (RGPD). Vous avez parlé des institutions internationales. Je pense que l'Europe peut rependre une place plus importante et faire en sorte que ses institutions aient une place plus importante dans la vie du monde. Le voisinage de l'Union européenne et l'Afrique sont des champs géographiques qu'il faudrait beaucoup plus investir et sur lesquels, l'Union européenne, emmenée par la France, a un rôle à jouer.
. Merci pour la profondeur et la pertinence de vos propos monsieur Gomart. En vous écoutant, nous avons l'impression en quelque sorte que les État-continents que sont aujourd'hui la Chine, la Russie et les États-Unis se livrent une bataille pour se saisir de l'hégémonie sur le monde avec la transition d'une ère basée sur le pétrole vers une ère des données. Nous avons l'impression que cela se fait sur le dos de l'Europe, parce qu'aucun des États que je viens de citer ne veut voir une Europe unifiée. Je crois que c'est un point important. Enfin, nous autres Européens, nous ne donnons pas l'impression d'être en capacité de réagir et de se construire pour véritablement devenir un État-continent ayant la capacité d'être un acteur géostratégique et économique à la hauteur de ce que sont devenus ces États. Je voudrais vous entendre sur ce sujet. Quels sont les freins aujourd'hui en Europe qui ne nous permettent pas d'émerger et de pouvoir pleinement prendre notre part géostratégique, politique et économique dans le concert des nations ?
La pandémie du covid-19 a soulevé une question sociétale concernant la souveraineté numérique. On constate que de nombreux pays comme l'Australie, Singapour ou la Norvège, ont développé des applications de tracking afin d'alerter leurs concitoyens lorsqu'ils ont rencontré une personne infectée. En France, le déploiement de « Stop covid » fait débat à propos des libertés publiques. Il faudrait choisir entre une surveillance gouvernementale, en particulier le protocole ROBERT, et une surveillance indirecte qui relèverait des géants du numérique. Quels seraient, selon vous, les éléments de vigilance si « Stop covid » était déployé ? En outre, d'un point de vue européen, l'innovation du numérique passe par la maîtrise de l'intelligence artificielle nécessitant des investissements massifs que seuls les États-Unis et la Chine entreprennent. Comment la souveraineté numérique européenne peut-elle être renforcée ?
. Vous êtes extrêmement pessimiste mais j'entends votre message comme le lancement d'une alerte et je vous en remercie. Il y a quelques points dans votre propos qui ont attiré mon attention et je voudrais resituer le contexte. J'habite Singapour depuis quinze ans. J'observe donc ce qu'il se passe en Asie avec, je pense, beaucoup de lucidité. Je ne pense pas du tout être atteinte du syndrome de Stockholm dont on peut être parfois atteint au bout de quelques années dans un pays. Actuellement, Singapour a fermé ses frontières et refuse même que ses résidents permanents y reviennent. C'est extrêmement inquiétant car ils ne respectent même pas la convention de Vienne à l'égard de nos diplomates. Vous avez dit tout à l'heure que Singapour a joué un rôle décisif dans la récusation des valeurs occidentales. Je suis intéressée pour que vous puissiez développer un peu ce propos car je me réfère à La Fontaine : « Il faut parfois se méfier de plus petit que nous. » Vous avez également insisté sur le fait que nous avions moins célébré Tiananmen que la chute du mur de Berlin en 1989. Je voudrais attirer l'attention de tous mes collègues sur le fait qu'il y a eu un excellent documentaire sur Arte sur l'année 1989 qui met en valeur tout ce qui s'est passé dans cette année charnière. Au-delà de tout cela, j'avais une question plus précise à vous poser sur le rôle de la Chine dans cette diplomatie actuelle de la santé et sur le rôle qu'elle essaie de jouer, avec cette diplomatie de combat qu'elle est actuellement en train de mener. Vous l'avez évoqué, si cette diplomatie était payante, elle pourrait avoir pour conséquence de venir supplanter la Russie qui est actuellement plutôt enlisée en Syrie et isoler les européens dans cette région du Moyen-Orient.
J'ai deux questions. Avec une telle attitude de la Chine, comment pourrions-nous être audibles sur des dossiers aussi complexes que le nucléaire iranien ou les tensions entre Israéliens et Palestiniens ? Vous avez évoqué la présence de la Chine qui cherche sa place en Méditerranée. Est-ce que l'on n'aurait pas là l'opportunité d'un rapprochement entre la France ou les Européens et la Russie ? Ce rapprochement n'est-il pas plus que jamais d'actualité face à cette diplomatie de combat que mène la Chine ?
. J'aimerais avoir votre avis sur le spatial. Chaque pays dans le monde investit sur le spatial. Peut-on imaginer que ce secteur puisse préserver l'Europe de fractures et même peut-être voir un engouement de l'Union européenne pour ce secteur stratégique, commercial et militaire ? Au-delà, peut-on espérer que ce secteur puisse réunir avec l'Europe des pays comme la Russie et ses anciens pays satellites de l'URSS puisque vous dites que notre politique est basée sur la donnée et plus sur le pétrole ?
. Madame la présidente, vous avez utilisé le terme d'espérance. J'ai une réputation de pessimiste et je m'en excuse. En revanche, l'espérance m'anime. J'ai écrit ce livre pour ne pas céder à l'affolement du monde et je ne veux pas tenir un discours catastrophiste mais je pense qu'il faut être très lucide. La lucidité me conduit à dire très directement la chose suivante : les Européens ont pêché, pour filer la métaphore avec l'espérance, en pensant que le monde serait à leur image. L'effet de cette pensée est que ce qui a fait le succès de la construction européenne – soixante-dix ans de paix, il faut le rappeler si l'Europe a servi à quelque chose, c'est de sortir du nationalisme et du chauvinisme étroit. C'est une chose exceptionnelle au regard de l'histoire de l'Europe et du monde – qui a induit l'oubli de l'adage « si tu veux la paix, prépare la guerre ». Il faut que nous soyons à mon sens dans une logique de réarmement. Je le dis très sérieusement parce que les autres n'ont cessé de réarmer pendant que nous, nous avons désarmé. Et ce n'est pas en période de crise que l'on peut redresser la barre. D'une certaine manière, il est trop tard sur un certain nombre d'aspect et je pense qu'il faut accepter cela. L'Europe représente 7 % de la population mondiale contre 20 % de la richesse mais, en tendance, nous sommes dans une phase de rétrécissement. À partir de ce constat, quelle attitude on adopte ? Je vois tout le débat sur le vieillissement. La réalité dont la pandémie de covid a été gérée traduit tout cela, notre réalité démographique, mais il faut être tout à fait lucide sur le fait que nous sommes entrés dans une période où la seule évocation du droit ne suffira plus. Il faut être pascalien, le droit sans la force n'est rien et la force sans le droit est arbitraire. Je crois que nous avons pensé que le seul fait d'ériger des règles, de réguler suffirait à nous protéger. Nous sommes en train de découvrir que nous sommes dans un rapport de force qui s'inverse à notre détriment. Nous devons donc apprendre à vivre avec un rapport de force défavorable. Il ne faut pas noircir le tableau. Quand on représente 20 % de la richesse mondiale, on dispose de moyens. Ce rapport 20/7 montre aussi pourquoi l'Europe est convoitée. C'est un marché solvable, où il y a de la technologie, de l'innovation, de l'entreprenariat, où il se passe un tas de choses. Il faut donc comprendre que nous sommes objet de convoitise. La manière de redevenir sujet passe par la capacité de se réarmer.
Concernant les politiques de voisinage à réinventer, on a conduit une politique de voisinage, notamment après 2004 et l'élargissement, en ne cessant de répéter que nous ne faisions pas de géopolitique quand la Russie nous disait, vous faites de la géopolitique. Ce pays raisonnait en termes de géopolitique, c'est-à-dire en termes d'organisation spatiale. Nous, nous avons eu un discours ultra technocratique qui s'est fracassé sur la réalité en Ukraine parce que, pour la Russie, l'Ukraine représente tout son glacis. La première chose à faire concernant la politique de voisinage, c'est d'accepter la géographie et de prendre acte du fait que les relations les plus difficiles que nous avons sont avec deux anciens empires, la Turquie d'un côté, la Russie de l'autre. On ne peut pas parler à la Turquie et à la Russie avec le langage de Bruxelles. C'est un peu schématique mais vous voyez l'idée que je veux exprimer.
La Méditerranée, la relation entre l'Afrique et l'Europe, est le grand sujet. C'est là-dessus qu'il faut mobiliser des efforts stratégiques, politiques et économiques. Mais sur la Méditerranée, il faut aussi comprendre pourquoi nous avons raté certaines choses. Revenons douze ans en arrière avec l'Union pour la Méditerranée du président Sarkozy. Qu'est-ce que se joue à ce moment-là. L'important n'est pas le fait que le président Sarkozy soit flanqué de Bachar el Assad et d'Hosni Moubarak mais plutôt que sur la photo des quarante-quatre dirigeants présents, il y a deux absents : la Russie et l'Iran. Or, ce sont les deux pays qui ont fait une percée en Méditerranée au cours de la dernière décennie de manière très spectaculaire. Aujourd'hui, lorsqu'on parle de la Méditerranée, on ne peut pas non plus ignorer la Chine. Je me réfère au chef d'état-major de la marine, qui a révélé qu'il y avait plus de bateaux de guerre chinois en Méditerranée en juillet 2017 que de bateaux de guerre français. Nous en sommes là. Il faut bien comprendre que sur des aspects à la fois symbolique, militaire ou de la capacité à mobiliser des ressources, nous sommes défaillants. La Méditerranée est une piste majeure si on repart de 2008 mais on pourrait repartir de plus loin. Après 2008, il y a eu 2011 et l'intervention franco-britannique en Libye. Aujourd'hui, la Turquie est en train d'y faire une démonstration militaire comme elle a pu le faire préalablement en Syrie. Cela inquiète nos militaires car d'un point de vue quantitatif, ils sont capables de mettre 80 000 hommes sur le terrain. Ce sont des éléments de transformation que l'on a pas voulu voir, qu'on ne veut pas voir et on ne pourra pas les aborder en évoquant le droit international, parce que nous sommes face à des acteurs qui considèrent fondamentalement que le droit international tel qu'il a été conçu est un alibi pour les Occidentaux. Je suis un peu caricatural. Cela mériterait plus de nuances, de développement mais fondamentalement lorsque je parlais de récusation de valeurs occidentales, il y a une sorte de rejet qui s'est exprimé – sans revenir au débat Fukuyama-Huntington – du fait que nous sommes perçus par le reste du monde comme fondamentalement hypocrites.
Sur la crise du multilatéralisme, j'ai participé aux travaux de la revue stratégique de 2017, c'est la première fois que, dans un document officielle français, il est écrit que le multilatéralisme est directement et simultanément attaqué par les trois grands que sont la Chine, la Russie et les États-Unis, principal allié des Européens. C'est très problématique car nous avons tous anticipé un monde multipolaire, il est en train d'advenir mais c'est une multipolarité sans multilatéralisme. Depuis 2017, il y a eu certes un infléchissement du côté français où l'on considère que la Russie est moins dangereuse en 2020 qu'elle ne l'était en 2017. Mais, en tendance, l'attitude des États-Unis a été de détricoter méthodiquement, et en ce sens le président Trump est cohérent dès lors qu'il met en place ce qu'il a annoncé, le multilatéralisme, à commencer par l'accord de Paris sur le climat. Quant à la Chine, on a un double aspect. Une prise de contrôle graduel de l'appareil multilatéral et en même temps une conception très directe du rapport de force qui s'est exprimée pour la première fois de manière aussi brutale avec la crise du covid. Dernière point sur le système onusien, la tour de contrôle, c'est le Conseil de sécurité et ses membres permanents. Le Conseil de sécurité est complétement bloqué depuis la crise syrienne et les veto russes. Il n'arrive même plus à se réunir. C'est un des enjeux de la diplomatie française en période de crise sanitaire, arriver à réunir une session du Conseil de sécurité. Donc, continuer à miser autant sur le multilatéralisme, si c'est parfaitement compréhensible du point de vue politique car la plupart des pays du monde ne veulent pas être piégés par la rivalité sino-américaine et je pense qu'il faut continuer dans cette voie, cela ne peut pas suffire. Il faut aussi se préparer à ce que cela ne puisse pas fonctionner. Il faut préparer les deux. Il faut être chinois de ce point de vue-là. Investir sur le multilatéralisme mais aussi se préparer à des échecs du multilatéralisme.
Concernant l'Europe et les raisons d'espérer, il faut rappeler l'aspect espace de paix. Si on raisonne à l'échelle nationale, la France représente 1 % de la population mondiale contre 2 % de la richesse. Ce sont des ordres de grandeur qu'il faut garder en tête et c'est pour cela que, d'un strict point de vue géopolitique, on peut ne pas raisonner sur une échelle européenne. Si on envisage des solutions à une échelle strictement nationale, nous serons rapidement relégués dans les divisions inférieures. Sur les aspects positifs, que se passe-t-il depuis vingt ans ? Nous avons l'euro qui fait l'objet de beaucoup de débats mais qui a été, dans sa conception, une des réponses les plus symboliques à l'hégémonie américaine. C'était une manière, et cela continue à l'être même si ce n'est pas suffisamment mis en avant, de combattre l'hégémonie du dollar. Nous étions dans un système depuis 1971 où la matrice était la destruction délibérée par l'administration Nixon des accords de Bretton Woods. Ce n'est pas pour magnifier ces accords qui avaient été imposés par les Américains dans le cadre de la reconstruction mais c'est juste pour rappeler que, parmi les critiques qui sont formulées à l'égard de l'euro, il faut se demander quel serait le rôle des monnaies nationales face au dollar aujourd'hui. Nous avons une union monétaire qui a tous les défauts que l'on connaît et qui a pour principal défaut de ne pas être assise sur une union politique. Helmut Kohl, dès 1991, avait souligné que ce hiatus ne serait pas tenable.
Il y a un deuxième point. Nous sommes générateurs de technologie. Nous possédons un tissu technologique de tout premier plan. La difficulté est de transformer des innovations technologiques en succès industriels. Nous sommes victimes de plusieurs choses. En termes de numérique, la taille du marché est absolument essentielle, c'est-à-dire la capacité de maîtriser un nombre important de données. Elle est sans limite en Chine parce qu'il n'y a aucune forme de réserve réglementaire et elle est très grande aux États-Unis. En Europe, elle est moins grande et elle est fractionnée par les législations nationales. Nous avons progressé avec le RGPD. La prise de conscience est là concernant les données industrielles pour la raison suivante, nous avons des acteurs industriels de premier plan capables de gérer les données industrielles. Il faut comprendre la concomitance entre déploiement de la 5G, internet des objets et enjeux industriels. Si ce n'est pas maîtrisé, cela va devenir compliqué en termes de capacité à ne pas subir.
Enfin, l'Europe souffre d'un déficit d'incarnation. Quels sont les personnalités qui incarnent l'Europe en dehors des frontières européennes ? Elles sont très rares ou alors elles sont très vite rattachées à leur identité nationale. De ce point de vue-là, l'expérience européenne, le laboratoire que cela représente avec tous ses défauts, est suivie dans le monde. Tout le monde se rend bien compte que, par rapport aux problématiques de bien commun, par rapport aux questions environnementales, la manière de faire des Européens a tout à fait vocation à faire école. De ce point de vue-là, on peut regretter la lenteur, les ambiguïtés toutefois, l'accord de Paris est un exemple de ce que les Européens peuvent générer et diffuser au monde. Cela peut rendre optimiste.
Sur les valeurs asiatiques, pourquoi Singapour a été très important ? J'ai relu les déclarations de Lee Kuan Yew, le fameux Premier ministre de Singapour dans un entretien qu'il avait accordé à Fareed Zakaria dans Foreign Affairs en avril 1994. Le traçage apparaît dans sa logique. Il dit que fondamentalement les valeurs asiatiques veulent que, premier élément, le groupe prime sur l'individu pour faire simple. Deuxième élément, nous, nous avons un problème avec nos drogués à Singapour. Les États-Unis avec les leurs. La manière pour les Américains de traiter le problème est de faire une intervention à Panama et de capturer Daniel Ortega. Nous, notre manière est d'arrêter les drogués qu'ils le veuillent ou non et de les traiter qu'ils le veuillent ou non. Cela traduit des différences d'approche sur ce qu'est l'individu, sur ce qu'est la famille. Effectivement, nous sommes dans des registres différents, sans aucun jugement de valeur. De ce point du vue, le discours sur le covid-19 inocule ce thème de l'efficacité systématique au détriment de l'autre versant qui devrait accompagner la question de l'efficacité qui est celui de la dignité. Oui, nous aurons des approches fondamentalement différentes entre Européens, Américains, Chinois et quand je parle de valeurs asiatiques, c'est évidemment très caricatural et cela ne rend pas justice à toute la diversité de l'Asie. Nous n'avons pas parlé de Taïwan mais le grand sujet géopolitique, à la fois sur le covid et les relations avec la Chine continentale, c'est évidemment Taïwan.
Concernant les freins qui ne permettent pas aux Européens d'émerger, c'est assez simple. Nous avons déjà émergé. Les autres sont dans une logique de rattrapage. Quand on regarde la tendance, la Chine revient à son étiage historique antérieur au XIXe siècle qui était de représenter un tiers de l'économie mondiale. C'est ce qui est en train de se passer. Ce qui est en train de se terminer, c'est la fin de l'exception européenne avec ce décalage très fort entre la population et la richesse accumulée. Je n'ai pas le temps de développer car c'est aussi lié à la relation transatlantique mais nous ne pouvons pas raisonner comme si nous étions des émergents. Nous sommes rattrapés.
Sur les applications de tracking, j'en ai déjà dit un mot en répondant sur Singapour. Je me permets de vous retourner la question en tant que parlementaires. Je pense qu'il y trois choses sur lesquelles il faut être extrêmement attentifs si nous raisonnons en termes d'une Europe qui se voudrait, à défaut d'être géopolitique, au moins un peu plus géoéconomique. C'est d'abord cette focalisation des autorités américaines sur Ericsson et Nokia. Je rappelle que Nokia a racheté Alcatel Lucent. Ce qui va se jouer dans les semaines qui viennent sera tout à fait décisif. Je voudrais également attirer votre attention sur les évolutions des marchés de la télémédecine et de la télé-éducation. Les solutions proposées en période de confinement sont évidemment pléthoriques. Il va donc y avoir plusieurs disparitions et, comme très souvent, un ou deux seuls très grands vainqueurs avec une très forte concentration de pouvoir. Si les Européens veulent conserver leur autonomie de pensée, il faut d'ores et déjà être extrêmement actifs sur ces sujets.
Sur le débat autour de « Stop covid », je n'ai pas suffisamment travaillé. Je sens que c'est un sujet évidemment très important pour le Parlement mais je n'ai pas du tout d'avis, par méconnaissances techniques. Ce que j'observe, c'est la facilité avec laquelle d'autres pays, je pense au Royaume Uni, sont en train de basculer vers des solutions proposées, clé en main par des grands acteurs, par des grandes plateformes. Ces grands acteurs se caractérisent d'ailleurs, en termes de modèle économique par rapport au major du pétrole, par la chose suivante qu'il faut toujours avoir à l'esprit : ce sont des entreprises qui distribuent très peu de dividendes mais qui réinvestissent très massivement. C'est aussi un élément de changement très important en termes d'économie et de politique internationale. Ces grandes plateformes numériques ont, en réalité, des capacités d'investissement largement supérieures à celles des États.
Sur la politique spatiale, j'en ai fait un élément de ma réponse sur l'aspect technologique. Là aussi, les prochains mois seront décisifs car nous sommes dans une « arsenalisation » de l'espace avec un investissement extrêmement puissant des États-Unis qui ont une avance considérable sur les autres, en particulier sur la Chine. Si l'administration Trump laisse une trace, ce sera très probablement dans ce domaine parce qu'elle a réinvesti encore plus que les autres, faisant de la politique spatiale une prérogative du vice-président Pence. Cela se traduit à la fois par des investissements fédéraux et par tout ce discours sur le New space très bien « markété » qui essaie de nous faire croire que c'est important d'avoir des services spatiaux avant d'avoir un accès à l'espace. Ne commettons pas à nouveau l'erreur que nous avons commise sur le numérique. L'enjeu essentiel pour les Européens est évidemment de maintenir un accès autonome à l'espace. Cela a évidemment des conséquences qui vont se jouer dans les semaines qui viennent. Il y a peu, mais de très bons, rapports parlementaires, sur Ariane 6 notamment. C'est décisif. Le problème c'est que nous entrons dans ce sujet avec une filière aéronautique et par voie de conséquence aérospatiale directement touchée par la crise du covid. Je pense que ce qui doit être parfaitement clair en termes de priorités, c'est de conserver un accès autonome européen à l'espace. Si cet accès était perdu, ce serait fini car la capacité d'être dans l'espace a des incidences complètement décisives en termes militaire et économique. Sur le rapprochement avec d'autres acteurs dans ce domaine, il y a déjà des coopérations qui peuvent exister, avec la Russie notamment. Est-ce que cela peut être fondateur ? Très franchement, ce que j'observe plutôt c'est une tendance à la renationalisation des politiques spatiales que ce soit de la part de la Russie, de la part de l'Inde, de la part d'Israël, de la part de l'Iran. Je pense qu'il y a des coopérations très probablement ponctuelles mais que les Européens ont déjà suffisamment à faire pour s'entendre entre eux et pour essayer de progresser.
. Je voudrai vous demander un peu de prospective concernant l'élection américaine de novembre 2020 et vous demander comment vous sentiez les choses par rapport à cette élection. D'autre part, vous avez parlé de spectacle pour qualifier le comportement du président des États-Unis mais on remarque malgré tout que, avant cette crise du covid, Donald Trump avait une cote de popularité relativement élevée dans son pays quand on le compare avec le président précédent. Il est plutôt haï à l'étranger mais pas forcément chez lui. Comment voyez-vous dans ce contexte les élections américaines ? Par ailleurs, quelles seraient les conséquences d'une victoire démocrate sur les relations avec l'Europe et le monde en général ?
. Vous avez tout à l'heure avoué que vous aviez un pêché mignon qui était le pessimiste. C'est un péché que nous avons en commun. Je me reconnais dans vos propos mais je crois qu'il faut se méfier un peu de nous. Cela dit, je suis parfaitement d'accord avec votre analyse sur le risque d'une marginalisation relative de la France en Europe et d'une marginalisation assez forte de l'Europe dans le monde. Ce qui est extrêmement grave. Il est clair lorsqu'on vous entend que le pacte européen – je ne dis pas le couple franco-allemand – ne se refondera pas, si l'entente entre Européens ne se ressoude pas, nous sommes effectivement très mal partis. Je voudrais vous interroger sur la façon dont vous percevez la possibilité de renouer un lien européen fort. Je pense évidemment à l'Allemagne. Il y a dans ce pays une sorte de contradiction. D'un côté, l'opinion allemande évolue vers plus de solidarité. On retrouve un peu les grands accents solidaires présents dans le discours testamentaire d'Helmut Schmidt sur la place de l'Allemagne en Europe. Je crois que c'est très positif. Le regard sur l'Italie est notamment légèrement modifié. En même temps, malgré la cour de Karlsruhe, qui est de ce point de vue-là un peu à part des évolutions allemandes actuelles, les exigences de solidarité européenne ont tellement augmenté, elles demandent tellement plus d'efforts, qu'il y a un risque d'éclatement. Je voudrais vraiment que vous nous disiez sur quelle base – technologie, verdissement, solidarité humaine, défense des valeurs – peut se reconstituer un pacte entre l'Allemagne fédérale et le reste de l'Europe car c'est de cela qu'il s'agit plus encore que d'une reconstitution du couple franco-allemand.
. Merci pour vos explications très intéressantes. Je voudrais revenir sur la guerre sino-américaine, cette bataille de titans où tous les armes sont autorisées, politique, économique et bientôt peut-être militaire. Est-ce que l'Europe ne va pas être la victime collatérale de cette guerre ? Pensez-vous qu'il y a un risque que cette guerre éclate, y compris sur le plan militaire, et que l'Europe en fasse les frais ? Je voudrais revenir sur un point que vous avez évoqué concernant la souveraineté sur la 5G, celle-ci étant un élément de la souveraineté technologique dans les années à venir. On parle depuis des mois du risque de travailler avec du matériel chinois. Un risque technique dès lors que personne n'est capable d'assurer une sécurité à 100 % sur le plan matériel. Cela veut dire aussi que, si nous prenons demain du matériel Ericsson ou Sisco, nous avons également un risque. Est-ce que si nous faisons le choix de nos alliés, nous ne serons pas demain tributaires des États-Unis et dépendre finalement d'une autre puissance qu'est la Chine. Je voudrais votre avis là-dessus.
. J'apprécie votre discours parce que je pense que le réalisme n'est pas du tout un pessimisme et souvent le déni empêche l'action. Le réalisme permet d'agir. Si nous voulons inverser la tendance, ce sera difficile. Il y a des domaines dans lesquels nous sommes rattrapés. Vous avez mis en avant le caractère non opérationnel de ce discours français technocratique et souvent arrogant, c'est comme cela que nous sommes perçus dans le jeu européen et dans le jeu mondial, avec en plus une forme d'hypocrisie qui est perçue et qui est en partie réelle. Il faut qu'on l'assume pour pouvoir dépasser tout cela. Sur le fait que nous passons de l'ère du pétrole à l'ère des données, je partage cette analyse. Je pense tout de même que l'énergie restera une donnée même si ce n'est pas le pétrole. Je suis fidèle à Jeremy Rifkin et à son livre La fin du pétrole. Je pense que l'énergie, même si elle n'est plus centralisée, jouera un rôle au XXIe siècle. Comme cela va être compliqué de redonner à la France une souveraineté industrielle et technologique sur les données, est-ce qu'un des chemins qui pourraient se dessiner – vous avez parlé du droit sans la force qui ne serait rien et de la force sans le droit qui serait arbitraire – serait d'agir au niveau européen sur la régulation ? Il y a une discussion autour de Thierry Breton sur le digital service act pour s'attaquer au cœur des modèles d'affaire, que ce soit la viralité, l'interopérabilité, l'intégration verticale. Il peut y avoir un pont avec les Américains qui y ont aussi intérêt. Je mets la Chine de côté qui est à la fois le réseau et la régulation. Peut-être pouvons-nous peser à travers d'une régulation qui casserait cette apparente force. Nous n'aurions pas les outils industriels mais nous casserions une partie de la force. Y croyez-vous ? Je suis assez sensible à votre approche sur le traçage et autres, de mettre en avant la dignité face à l'efficacité qui n'est par ailleurs pas toujours avérée. Sur l'application « Stop covid », la discussion porte beaucoup sur le fait que l'application aura un serveur centralisé, avec ce que cela suppose en termes de cyber attaque, ce qui n'est pas le cas des autres propositions, notamment celles qui sont liées aux grandes plateformes et qui sont décentralisées.
J'ai envie de poser une question qui va un peu nous relier à notre relation Europe-États-Unis, Europe-Royaume-Uni, Europe-Russie, Europe-Afrique, Europe-Golfe, Europe-Chine. Nous avons tendance à nous comporter avec tous ces pays en disant que nous avons toujours raisons. Nous avons raison quand nous parlons avec la Chine, nous avons raison quand nous parlons avec tous ces partenaires-là. Il y a quelque chose qui me dérange dans cela. J'ai beaucoup travaillé sur les pays arabes et j'ai beaucoup travaillé sur la cassure de Sayyid Qutb dans les années 1920 et la création des Frères Musulmans. Il disait à l'époque : « Ils n'ont pas les mêmes socles de valeurs que nous et nous ne partageons pas leurs socles de valeurs. Ils mettent leurs grands-parents dans des maisons bizarres. » J'ai entendu le même discours chez nos jeunes qui sont partis vers la Syrie en disant « le monde européen devient trop complexe pour moi. Je cherche quelque chose de simple ». Comme nous, politiques, nous avons notre légitimité de ce peuple-là, le peuple aspire beaucoup à des choses de plus en plus simples : l'amour, l'amitié, la trahison, les amis, la maison. Avec le covid, nous avons vu qu'il y a un retour vers ce monde simple. Nous le voyons même dans la parole politique, elle est très politicienne et très forte quand elle est portée par des « politicards » parce qu'il est beaucoup plus simple de dire « c'est blanc ou noir » que de passer son temps à dire « le RGPD, les valeurs ». Sinon, à force d'être très complexes et d'être entre nous en train de se dire « on a tout le temps raison », nous allons nous retrouver balayés par des mouvements, et on le voit en Europe, beaucoup plus extrêmes. Dès lors, comment faire, dans notre constitution européenne, pour dire que l'on peut douter ? Le doute est le début de la sagesse. On peut, on a le droit de douter. On a le droit de repenser même si on a les meilleures technologies, mêmes si on a les meilleurs États de droit, quelque chose de simple. Einstein dit que si vous n'arrivez pas à l'expliquer à quelqu'un qui a six ans, c'est que vous-même vous n'avez rien compris. Dès lors, comment faire cela dans notre système multilatéral, intégrer ces échecs, intégrer ces doutes, sans être taxé de « bisounours » d'un côté et de trop arrogant de l'autre ? Ce n'est pas une invitation au nihilisme, du tout.
Vous avez évoqué un monde multipolaire sans multilatéralisme post-américain. Face à cela, France, Allemagne, Canada et Mexique, impulsent un multilatéralisme d'équilibre, certes, basé sur le droit international, ce qui, comme vous l'avez souligné, semble un petit peu hypocrite pour le reste du monde. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette alliance informelle ? Vous nous avez aussi parlé de la 5G, des données, notamment industrielles, qui sont aujourd'hui au cœur des relations internationales. Pensez-vous que, stratégiquement, pour peser avec nos valeurs dans le nouvel ordre mondial, nous devons, par intérêt, laisser des normes sociales et environnementales basses motiver nos alliances ?
. La perception, effectivement, que les pays du Sud ont de la France a beaucoup changé et j'aurais voulu vous entendre un petit peu sur ces changements. Moi je viens d'une circonscription en Afrique, Maghreb-Afrique de l'Ouest, où le sentiment de francophobie se développe petit à petit, la haine pour la France, le sentiment anti-français, etc. Comment expliquez-vous cela et comment peut-on faire, à l'heure où l'on est en train de de promouvoir l'effacement des dettes africaines, pour contrecarrer cela ?
. Je voudrais avoir votre avis dans cette crise tout à fait inédite et majeure, sur l'équilibre nucléaire dans le monde. Au moment où se renégocie le traité de non-prolifération des armes nucléaires, c'est quelque chose qui peut être manifestement remis en cause. Concernant la France plus spécifiquement, et sa doctrine de stricte autosuffisance, peut-elle se réarmer dans ce contexte ? Vous en avez parlé un peu tout à l'heure.
Juste un mot. Je ne reproche pas du tout à Thomas Gomart d'être pessimiste, ce n'est pas le sujet. Il est lucide et il nous donne beaucoup de lucidité. Je le remercie. On connaît la fameuse phrase « le pessimisme est d'humeur et l'optimisme est de volonté ». Je veux simplement dire que, dans sa réponse, il ne m'a pas donné des raisons d'espérer. Ce n'est pas un espoir sous forme incantatoire. Ce qui m'intéresse est ce qui nous permet, quels sont les voies et moyens de l'Europe, pour réexister sur le plan international ? Parce que d'un mot, vous dites que les raisons d'espérer c'est la paix. Vous savez que les jeunes générations ne sont absolument pas sensibles à cela, hélas. En tout cas, beaucoup moins que les anciennes générations. Vous dites « on a l'euro ». Oui, certes, mais en même temps vous avez indiqué le risque d'une crise de l'euro avec la cassure qu'il y a eu entre l'Italie et l'Europe. Quant au fait que nous sommes générateurs de technologie, c'est bien, mais vous dites que nous sommes incapables de le transformer en succès économiques et en succès commerciaux. Je voudrais que vous reveniez sur les voies et moyens pour refonder l'Europe, véritablement, et pour qu'elle existe sur le plan international.
Trois ou quatre questions très rapides.
Sur la Chine, est-ce que vous iriez jusqu'à dire qu'aujourd'hui la Chine est la vraie puissance impérialiste ? Pourquoi j'emploie ce terme ? Parce que tout impérialisme suscite un anti-impérialisme. Est-ce que le paradoxe serait que, malgré ses valeurs asiatiques, les plus grands adversaires de cet impérialisme chinois ne se trouveraient pas précisément dans le Nord-Est et le Sud-Est asiatique ? Je pense au Japon, à Taïwan, à Singapour, au Vietnam et bien sûr à bien d'autres pays.
Deuxième question sur les États-Unis. Cela a déjà été évoqué par notre collègue Cordier. Vous parliez de recroquevillement, d'effacement dû à la politique de Trump. Est-ce que l'on sait ce que sont les idées du candidat Biden sur l'avenir des relations internationales ?
Troisième question, Anne Genetet a parlé du syndrome de Stockholm, moi je serais tenté d'évoquer le discours de Stockholm d'Albert Camus disant que « chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde ». Le problème de la nôtre c'est qu'elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse, mais que faire pour que cette Union européenne ne se défasse pas ?
Enfin, pour votre « pari de Pascal » si je puis dire, cette logique de réarmement, compte tenu des conséquences économiques qui seront celles de la covid-19, comment peut-on se lancer dans cette logique de réarmement alors qu'il y aura des sommes considérables à consacrer à la relance économique ? Si cette relance peut passer par un effort militaire, je dois dire que j'en doute un peu compte tenu de l'état des opinions à ce sujet.
. Vous entendez dans toutes ces questions, auxquelles vous allez répondre bien sûr, cette envie, cette nécessité au fond, de trouver, parce que la vie est ainsi faite, des raisons d'espérer et c'est très important. Moi je crois que nous pouvons avoir un sursaut européen. Je crois qu'il faut simplement prendre conscience du monde tel qu'il est, prendre conscience de nos points forts tels qu'ils sont et que probablement nous ne valorisons jamais assez. Dès lors, la lucidité qui est la vôtre doit, à mon avis, ne pas nous empêcher d'avoir des raisons d'espérer et peut-être qu'on vous attend plus dans cette deuxième partie de réponse sur quelques raisons d'espérer.
. C'est pourquoi cette deuxième partie de questions est encore plus difficile que la première. Cela va me permettre de tempérer mon pessimisme. Merci encore pour toutes ces questions très stimulantes. Je vais en regrouper certaines comme dans le premier temps.
Je suis très mauvais sur les pronostics électoraux aux États-Unis plus qu'ailleurs. Très franchement je ne sais pas quoi vous dire sur qui sera élu au mois de novembre. Ce que j'observe c'est qu'il n'y a plus de campagne par la force des choses et que le candidat Biden a maintenant un scandale personnel à gérer. Il n'a pas pu faire campagne comme il aurait pu le faire en temps normal. À l'inverse, le président Trump se livre à un « spectacle », oui j'ai utilisé ce terme parce qu'il y a quelque chose de triste, je trouve, dans cette attitude, et il utilise le covid pour être présent tous les jours. Cependant, en agissant de la sorte, il illustre, à mon avis, son incompétence tous les jours. Comment cela traduira-t-il dans les urnes, je l'ignore très franchement. En revanche, ce qui me semble beaucoup plus sûr c'est qu'il ne faut pas s'attendre, si Biden ou un autre démocrate était élu, à mon avis, à un retour à la relation transatlantique de « papa », si j'ose dire. Cela parce que Biden était vice-président de Barack Obama et qu'un certain nombre de choix faits par l'administration Trump, très amplifiés par l'administration Trump, étaient déjà présents dans l'administration Obama, et même, au fond, dans l'administration Bush. Si on essaie de raisonner un peu en tendance ou en cycle, je pense important pour essayer d'anticiper la suite de répondre à la question : qu'est-ce qu'au fond a vraiment changé Trump ? À mes yeux, il s'agit de deux choses. Il a mis fin au cycle d'interventions militaires américaines. Pour les interventions militaires, il faut toujours raisonner à une génération, ce que cela produit à l'effet d'une génération. Nous allons bientôt être à vingt ans après l'intervention anglo-américaine en Irak. Nous approchons des dix ans de l'intervention franco-anglaise en Libye. Avec Trump, ce qui a été le plus spectaculaire, c'est le retrait du jour au lendemain, et qui nous a mis d'ailleurs dans un embarras extrêmement fort, nous, Français, de Syrie. Cela a montré aussi aux Européens qu'ils étaient tout simplement incapables d'opérer sur un terrain trop proche, la Syrie, le théâtre méditerranéen, sans être imbriqués aux Américains. C'est quand même quelque chose qu'il faut garder à l'esprit, au regard de tout ce que j'avais déjà indiqué.
Ce qui ne changera pas, à mon sens, c'est la pression exercée par les États-Unis sur les Européens via l'OTAN. Il y avait, dans ce que reprochait l'administration Trump aux Européens, ce paradoxe suivant : « Vous ne dépensez pas assez pour votre défense et votre sécurité et vous n'achetez pas assez de matériel américain. » Cela ne changera pas parce que c'est tout à fait constitutif de l'organisation transatlantique depuis 1945. Si un démocrate était élu, cela dépend d'où il vient. Si c'est de la même matrice que celle de Biden, on peut tout à fait s'attendre à, sur le plan symbolique et déjà dans le style, une attitude beaucoup plus, je dirais, favorable et ouverte à l'égard des Européens. C'est très probable. Cela ne se traduira pas, à mon sens, par une sorte de relance transatlantique extrêmement profonde, parce que, encore une fois, je pense que le vrai sujet pour l'ensemble des présidents américains actuels et futurs, c'est la Chine. Le vrai sujet, au fond, c'est comment utiliser l'Europe dans la confrontation avec la Chine. C'est comme cela, à mon avis, que se posera la relation transatlantique. Si le président Trump était réélu, on a pu voir ce qu'ont provoqué quatre ans de sa présidence. Avec huit ans, il ne faut pas s'attendre à une conversion au multilatéralisme, il faut probablement s'attendre à une dégradation très rapide de la relation avec la Chine. Ce que l'on peut espérer avec un nouveau président américain c'est une capacité à calmer le jeu. Est-ce que quelqu'un comme Biden a la capacité politique, intellectuelle, de reconfigurer la relation avec la Chine ? Très franchement je ne sais pas répondre à cette question mais ce que l'on peut espérer, effectivement, c'est une sorte de phase de plateau avec la Chine et de calme généralisé.
La question de Jean-Louis Bourlanges me met évidemment dans l'embarras puisque Jean-Louis Bourlanges est un de mes administrateurs donc je suis encore plus prudent dans la réponse que je vais lui apporter. J'ai lu évidemment ce que vous avez écrit, monsieur le député, dans Le Figaro hier, je partage votre analyse consistant à dire que, si la solidarité européenne ne consiste qu'à faire du rachat de dette, c'est fini. Sur le fait que ce débat soit extrêmement sensible en Italie, je vous rejoins entièrement. Sur le débat en Allemagne, comme vous le savez, nous avons produit des travaux très réguliers à l'IFRI sur ce sujet. Effectivement dans la sphère dans laquelle j'évolue mais qui n'est pas forcément représentative parce que je suis beaucoup plus dans la sphère d'expertise que dans la sphère politique, j'ai le discours que vous indiquez, c'est-à-dire ce discours d'une Allemagne qui ne se conçoit que dans la construction européenne, qui ne se voit que dans la construction européenne. Jusqu'à quel point observe-t-on la même déconnexion en Allemagne – à mon avis elle est moins prononcée en Allemagne qu'en France –, entre ce qu'on appelle peut-être trop rapidement les élites et les opinions ?
Concernant les exigences de solidarité, les risques d'éclatement et le nouveau pacte européen, j'insiste beaucoup sur la 5G, parce que, pour le dire très rapidement, je pense que le sujet de la 5G sera un sujet de tension extrêmement fort entre la France et l'Allemagne. Je m'explique. Vous avez 80 % de l'infrastructure 4G – je l'ai dit – en Allemagne qui est assuré par des équipementiers chinois. C'est 20 % en France. Cela a des effets évidemment immédiats parce qu'en fait on a, à mon avis, un décalage de plus en plus visible entre Paris et Berlin, non seulement dans la relation avec Pékin mais aussi dans la relation avec Washington. Le premier élément de réponse c'est à mon avis déjà de beaucoup travailler en franco-italo-allemand sur les relations respectives avec Washington et Pékin. Cependant cela est très lié, évidemment, au modèle économique de l'Allemagne qui est probablement aussi en fin de cycle. Nous verrons en effet comment la filière automobile européenne sort de cette crise du covid-19 mais, à mon avis, elle n'en sortira pas en très bon état, et dans sa composante allemande en particulier.
Sur la question concernant l'Europe en tant que victime collatérale de la confrontation sino-américaine, et le choix de la fiabilité de nos alliés. Quand on parle en termes militaires c'est toujours important, je pense, de rappeler des chiffres et des niveaux de perte. Je vais juste faire cette comparaison pour essayer d'illustrer ce que j'ai en tête. Nous avons oublié que la guerre de Syrie c'est plus de 300 000 morts, c'est-à-dire plus de morts que les victimes mondiales du covid. Cela n'a évidemment pas mobilisé les mêmes mesures ou les mêmes ressources. Il y a aussi, en termes de comparaison et d'ordre de grandeur par rapport à des phénomènes majeurs, à mon avis, des choses à interroger. Sur le choix de la fidélité des alliés, vous avez entièrement raison de dire que les solutions américaines ont aussi montré, que cela soit l'affaire Snowden ou jadis l'affaire Echelon dans les années 1990, la puissance du Five Eyes qui réunit outre les États-Unis, l'Australie, le Canada, le Royaume-Uni et la Nouvelle-Zélande. C'est un dispositif parfaitement intégré, parfaitement organisé et qui s'exerce notamment aux dépens des Européens. Il y a un élément de réponse qui est plus délicat. Nous avons fait des travaux à l'IFRI sur la géopolitique des données – ce que je dis là est vraiment très échantillonnaire parce qu'il s'agit du fruit d'une vingtaine d'entretiens, uniquement à Paris, avec des responsables de la sphère stratégique. Vous sentez que le vieux débat sur le numérique, que je comparerais au vieux débat sur le nucléaire militaire, a lieu entre ceux qui considèrent qu'il faut faire du P3, c'est-à-dire Londres, Washington, Paris, et ceux qui considèrent qu'il faut faire du franco-allemand. Cela nous renvoie au vieux débat nucléaire, je n'ai pas le temps de l'évoquer. La position la plus construite que j'ai lue a été exprimée par le directeur général de l'Agence nationale de sécurité des systèmes informatiques (ANSSI) sur ces questions-là. Il s'agit d'une position très réaliste sur nos forces réelles, parce qu'il ne faut pas non plus se dévaloriser, je pense que nous avons, en matière cyber, en particulier en France et en Allemagne, et aussi effectivement au Royaume-Uni, des capacités tout à fait exceptionnelles. La question c'est comment les démultiplier ? Quand vous voyez le travail fait par l'ANSSI, nous avons des gens vraiment de niveau tout à fait remarquable et clairement de niveau mondial. La position construite sur l'ANSSI est une position partant de la nécessité, au fond, d'exiger davantage d'éléments d'appréciation de la part des équipementiers. Il ne s'agit pas d'un refus des équipementiers chinois d'emblée mais c'est de soumettre ces équipementiers à – excusez la formule qui me vient à l'esprit mais c'est la seule que j'ai – un screening systématique et renouvelable. Compte tenu des forces dont on dispose, compte tenu de notre organisation, compte tenu du besoin industriel, cela me semble être, encore une fois, la position la plus construite de ce que j'ai pu lire en Europe. Pour finir de répondre à votre question, que faut-il faire en matière numérique pour les Européens ? Le modèle c'est le modèle spatial, c'est-à-dire que les Européens ont réussi à la fois avec des coopérations, on en a dit un mot précédemment, que ce soit avec les États-Unis, que ce soit avec la Russie dans certains domaines, et à être autonomes. Il n'y a pas de raison, je pense que nous sommes tout à fait capables d'être autonome sur le plan numérique. Ce qu'il faut, c'est combiner une claire vision politique et stratégique et une mobilisation des acteurs industriels. Ces acteurs industriels sont beaucoup plus robustes et beaucoup plus puissants en ce qui concerne les données industrielles, c'est tout l'agenda Breton, que par rapport aux données individuelles. Cela est pour moi un facteur, même pas d'espérance, mais d'optimisme.
Pour la différence entre l'ère du pétrole et l'ère de la donnée, je ne reprends pas l'expression très utilisée dans les médias disant que la donnée est le nouveau pétrole. Je ne la reprends pas pour la raison suivante c'est que le pétrole, par définition, est une ressource limitée et que les valorisations se font en fonction des réserves prouvées ou des découvertes à faire, ce n'est évidemment pas le cas de la donnée. La particularité de la donnée c'est d'être en croissance exponentielle. Ce que cela invite à penser c'est, pour reprendre les termes du livre blanc de l'Union européenne sur l'intelligence artificielle, la constitution de « réserves de données », parce que, là encore, l'aspect démographique est très important tout simplement dans la capacité à générer des données, à les stocker et à les exploiter. Juste un chiffre pour avoir une idée de ce qui est en train de se passer. L'application WeChat chinoise est utilisée par 900 millions d'utilisateurs et elle permet le paiement, les virements, c'est-à-dire qu'elle est en train de complètement dématérialiser tout ce qui est retrait en cash. L'utilisation de paiement proposée par Apple c'est 22 millions d'utilisateurs. Ces deux chiffres montrent en fait l'aspect extrêmement important du quantitatif en matière numérique.
Ensuite, peut-on agir au niveau de la régulation, qui permettrait de casser les outils de la force ? Ecoutez, je ne pense pas. Je pense que, si l'on s'en tient à la régulation, c'est perdu. Il faut de la régulation et de l'industrialisation. Cela rejoint un peu la formule sur Pascal. Si l'on considère que l'on obtiendra uniquement des modifications par de la régulation et par l'accès à notre marché, c'est un élément de réponse, ce n'est pas rien, mais ce n'est pas, à mon avis, à la hauteur de ce qui est en train de se passer, d'autant que ce marché, en tendance, est en train de rétrécir.
La question sur le fait qu'« on a toujours raison » et le débat, très intéressant, entre complexité et simplicité. Il est très difficile d'être simple, les designers vous le diront. En même temps – là je suis dans une position très différente de la vôtre – je pense que c'est le rôle de l'expertise d'essayer d'expliquer la complexité et précisément d'insister sur cette complexité, non pas pour s'y réfugier mais quand on parle de questions comme la 5G il faut, à mon avis, entrer dans le cœur du sujet, savoir comment cela fonctionne techniquement, quels sont les grands acteurs, etc. Il faut être capable de l'expliquer. Cela me semble extrêmement important de ne pas renoncer à cette complexité par, je dirais, posture initiale. Pendant que vous me posiez la question je cherchais un livre que je vous recommande, c'est le livre de Pankaj Mishra, From the Ruins of Empire. Ce qui est très intéressant avec Mishra c'est qu'il participe de ce courant de la « world history » qui considère qu'au fond, les Occidentaux expliquent le XXe siècle fondamentalement par les deux guerres mondiales, alors que pour les Orientaux – définition je n'ai pas le temps d'élaborer mais il inclut dans l'Orient, le monde arabe et l'Asie – le XXe siècle se traduit par le réveil politique de l'Orient par rapport à l'Occident. Cette différence de perspective est, à mon avis, un élément à portée tout à fait importante dans le débat. C'est vrai que nous avons une lecture de notre propre histoire ou de l'histoire mondiale très euro-centrée et qui devient de plus en plus difficile à accepter par d'autres qui sont maintenant en mesure de produire une historiographie, un discours, et donc un discours géopolitique. C'est tout cet enjeu sur ce qu'on appelle le récit. Le récit, et cela je pense être très bien placé dans un think tank pour le dire, le récit sur les affaires mondiales est en train de changer de mains. Nous allons être dans les années à venir, en particulier, nous think tankers, en première ligne par rapport à des collègues chinois, d'autres pays, qui n'ont pas attendu le covid-19 pour le dire, pour nous dire que nous sommes minoritaires. C'est cela qu'il faut effectivement avoir à l'esprit et je vous rejoins entièrement, s'adapter à cela, s'adapter à ces rapports de force et ne pas continuer à faire comme si nous étions majoritaires.
La question sur la Chine, les États-Unis, le discours de Stockholm et le pari de Pascal. Je suis en train de relire Schumpeter, Impérialisme et classes sociales. Lecture très intéressante par rapport à la question de savoir si la Chine est impérialiste ou pas. Je ne sais pas encore y répondre mais ce qui me paraît évident, c'est que la Chine a une volonté de puissance. Il y a probablement une distinction entre impérialisme et volonté de puissance. C'est peut-être ce qui distingue l'impérialisme américain de l'impérialisme chinois. L'attitude chinoise est très, ou était très jusqu'à la crise du covid, adoucie par la diplomatie chinoise expliquant l'harmonie et mettant en avant que la Chine n'a jamais conquis quiconque. Les Ouïghours diront autre chose. Le Tibet dira autre chose. Taïwan dira autre chose. En réalité, l'harmonie, en matière de politique internationale, est une pure illusion. L'hégémonie n'a jamais empêché la coopération. On peut être dans des systèmes de rapports de force qui génèrent de la coopération par nécessité. J'avoue que tout le discours chinois sur le même monde est en train de se dissiper avec le covid-19.
Sur le pari de Pascal, le réarmement, la relance économique et l'effort militaire et notamment le réarmement nucléaire, pour répondre très directement, je ne pense pas que pour un pays comme la France, il soit nécessaire de faire du réarmement nucléaire. Cela est très construit. La stricte suffisance me semble acceptée. Il faut continuer à l'expliquer dans l'opinion. En revanche, oui il faut du réarmement. Je le maintiens. Si, au fond, le discours est de dire que la relance économique sera telle, qu'elle se fera au détriment de la relance militaire, ce sera l'accélération du retrait européen qui se privera, non pas seulement d'agir à l'extérieur, ce qui peut être une très bonne chose dans certains cas, mais même de se défendre. Quand on voit ce que l'on a subi en 2015 et ce que cela a provoqué dans notre droit en termes de mesure d'exception, il faut être extrêmement vigilant sur la réalité de notre environnement stratégique. La réponse synthétique est de dire qu'il faut que l'effort de défense participe de l'effort de relance.
La question sur le sentiment anti-français et même le terme très fort de haine, comment le corriger ? Je n'ai pas de réponses générales là-dessus. L'IFRI a mis en place un dialogue entre quatre think tanks européens et quatre africains et ce que vous disiez de manière directe, monsieur El Guerrab, apparaît très clairement de manière plus polie. Je ne sais pas comment corriger cela. C'est une question complexe qui nous renvoie à la fondation de la Ve République. Je fais ce rappel parce que la Ve République est aussi le fruit de la guerre d'Algérie. Je n'ai pas de réponse synthétique à apporter mais je suis tout à fait près à réfléchir sur le sujet à l'avenir.
Pour aller plus loin dans les voies et moyens pour assurer notre rôle dans le monde puisque Michel Herbillon ne se satisfait ni de la paix, ni l'euro, ni d'être générateur de technologie, mais il n'a pas repris mon point sur l'incarnation. Il y a là un vrai sujet. A-t-on des hommes d'État aujourd'hui en Europe ? Je le formulerai aussi simplement et peut-être impoliment que cela.
La question sur le multilatéralisme d'équilibre. Tout le monde est d'accord sur le fait que les Européens ont un rôle à avoir sur le multilatéralisme pour ne pas être piégés par le silo américain. Cela va être très difficile mais il y a un espace. Cela correspond à l'initiative prise par la France, l'Allemagne, le Canada et le Japon sur cette alliance autour du multilatéralisme qui en terme diplomatique a marqué un certain nombre de points. Après comment le traduire en structuration du système international, je pense que la question est de savoir comment on passe du niveau diplomatique au niveau de la politique internationale. Cela passe par beaucoup de volonté politique et par des outils. J'en reviens à la nécessité d'être pris au sérieux en termes militaires, d'être pris au sérieux en termes industriels et de le faire, non pas avec arrogance ou d'avoir toujours raison, mais avec le sentiment que les Européens ont aussi vocation à participer aux affaires mondiales.
. Cette réunion a suscité un grand intérêt et aussi quelques remarques. C'est tout l'intérêt. Moi, je suis peut-être plus optimiste. Mais je suis persuadé que nous n'avons pas le choix. Je suis convaincu que l'Europe doit enfin se décider à exister, à faire davantage de politique, à se réinventer, à se rénover, à se démocratiser, à détechnocratiser, pour refaire ce qu'elle savait le mieux faire, c'est-à-dire de la politique. Je pense que c'est absolument vital pour l'équilibre du monde. Nous aurons un monde déséquilibré si cette puissance européenne ne se raffermit pas et n'y est pas présente. Ce qui est important, c'est cet horizon. Je ne dis pas qu'il sera aisé de l'atteindre. Je ne dis pas que cela ne nécessitera pas un chemin difficile, de réforme de culture sur la façon dont nous devrions agir sur le plan européen en simplifiant ce que nous avons apporté et en même temps en le densifiant. Nous ne faisons plus de politique en Europe et c'est une grande question. La description que vous nous avez faite du monde, de ce qu'il peut s'y passer demain, doit nous encourager plus encore à remettre en question ce qui doit l'être pour pouvoir avancer demain.
. Pour résumer la discussion, madame la présidente, c'est la différence entre les optimistes et les pessimistes. Les optimistes comme vous disent que nous n'avons pas le choix et les pessimistes comme moi disent que nous n'avons pas de choix.
La séance est levée à 11 h 20.
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Aude Amadou, M. Frédéric Barbier, M. Jean-Claude Bouchet, M. Jean-Louis Bourlanges, Mme Valérie Boyer, M. Pierre Cabaré, Mme Samantha Cazebonne, Mme Annie Chapelier, Mme Mireille Clapot, M. Pierre Cordier, M. Alain David, M. Christophe Di Pompeo, Mme Frédérique Dumas, M. Pierre-Henri Dumont, M. M'jid El Guerrab, M. Michel Fanget, Mme Anne Genetet, M. Éric Girardin, M. Michel Herbillon, M. Bruno Joncour, M. Hubert Julien-Laferrière, M. Rodrigue Kokouendo, Mme Sonia Krimi, Mme Aina Kuric, M. Mustapha Laabid, Mme Martine Leguille-Balloy, Mme Marion Lenne, Mme Brigitte Liso, M. Jacques Maire, M. Frédéric Petit, M. Didier Quentin, Mme Isabelle Rauch, Mme Laetitia Saint-Paul, Mme Marielle de Sarnez, Mme Sira Sylla, M. Buon Tan, M. Sylvain Waserman
Excusés. - M. Claude Goasguen, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Nicole Le Peih, Mme Bérengère Poletti, M. Jean-Luc Reitzer, Mme Liliana Tanguy