COMMISSION D'ENQUÊTE relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intÉRÊts privés et ses conséquences
Jeudi 25 mars 2021
La séance est ouverte à dix heures.
(Présidence de Mme Mathilde Panot, présidente de la commission)
La commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences, procède à l'audition de M. Jean-Pierre Rideau, ancien adjoint du sous-directeur de l'eau à la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (2000 – 2014).
Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux avec l'audition de M. Jean-Pierre Rideau, ancien adjoint du sous-directeur de l'eau à la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature entre 2000 et 2014, qui a contribué en 2015 à la rédaction de l'ouvrage La loi sur l'eau de 1964, bilan et perspectives.
Je vous remercie de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations. Auparavant, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
M. Jean-Pierre Rideau prête serment.
Je vous remercie de m'accueillir au sein de votre commission d'enquête. En premier lieu, je tiens à souligner que mes propos ne pourront que témoigner de mon expérience passée au sein d'une agence de l'eau, puis au ministère chargé de l'environnement jusqu'en 2014.
Bien essentiel à la vie, l'eau est également un élément de salubrité et de confort des logements, mais aussi un élément de dignité humaine. Vous avez évoqué dans vos travaux l'importance de l'accès à l'eau dans les pays émergents. En mettant fin à la corvée d'eau, il s'agit également dans ces pays d'une contribution à l'émancipation des femmes, à leurs droits et à leur liberté d'entreprendre, mais aussi à l'éducation des plus jeunes. Les programmes solidarité eau y sont essentiels pour le développement humain.
Dans notre pays, la ressource que constituent les eaux courantes est ce que le code civil désigne depuis 1803 : « des choses qui n'appartiennent à personne et dont l'usage est commun à tous ». La ressource en eau est parfois qualifiée par des juristes de chose commune dont l'usage est encadré par la puissance publique. Prélever de l'eau, la traiter, l'enfermer dans des tuyaux pour l'apporter dans chaque logement, c'est le service de l'eau. Le prix du service de l'eau, ce sont des coûts d'investissements et des frais de fonctionnement qui impliquent un prix pour l'usager domestique ou économique. Ce service va imposer la construction de réseaux en domaine public, ce qui sera à l'origine de la compétence des communes dans l'organisation des services d'eau et d'assainissement.
Il n'est pas possible d'examiner l'organisation des services de l'eau sans analyse du temps long. Il convient à cet égard de signaler deux ouvrages. Tout d'abord, La conquête de l'eau, de Jean-Pierre Goubert. Plus récemment, la thèse de Christiane Bezon au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), qui explique que, durant les trente glorieuses, pour contourner l'insuffisance de la coopération intercommunale et équiper rapidement le territoire, les services d'ingénierie de l'État ont fait la promotion de la délégation de service pour constituer des pôles territoriaux d'exploitation regroupant les personnels et les moyens spécialisés pour un secteur géographique incluant de nombreux syndicats ou collectivités pouvant tous conserver leur autonomie.
Cette solution la plus immédiate à l'époque peut impliquer des difficultés lors de la remise en concurrence des contrats. En effet, un nouvel entrant devra mettre en place des équipes et du matériel sans avoir nécessairement l'assiette suffisante. Par ailleurs, la zone géographique du centre de gestion du délégataire en place peut devenir trop grande, avec trop peu de contrats.
Si la distribution d'eau fut à l'initiative des communes, la gestion des services fut considérée au XIXe siècle comme devant être une activité privée, car présentant des risques financiers. Ce ne fut qu'à la fin du XIXe siècle que les retards d'investissement par le privé, couplé aux objectifs sanitaires, rendirent incontournable la création de régies.
Cette distinction entre l'entité organisatrice publique et le gestionnaire – public ou privé – est un élément fondamental et spécifique du modèle français de gestion de l'eau. Elle a constitué un point de débat entre différents pays lors de la transposition en normes internationales de l'Organisation internationale de normalisation (ISO) des normes de l'Agence française de normalisation (AFNOR) de qualité de service à l'usager.
Entité organisatrice, la commune est de fait l'autorité de régulation du service. L'organisation de services d'eau et d'assainissement en France est une compétence décentralisée des communes, sans régulateur national. Et le principe constitutionnel de libre organisation des communes conduit à être plus que circonspect quant à l'hypothèse d'un régulateur national ayant pouvoir d'injonction, d'autant que des systèmes de contrôle existent.
Dans un système en réseau en situation de monopole naturel, l'usager n'a pas le choix du fournisseur et a même l'obligation de se raccorder pour l'assainissement. Cette mission de régulation est essentielle.
La commune passe un contrat d'affermage pour quelques décennies. Ce fût pour vingt, trente, voire cinquante ans, avant la limitation de cette durée à vingt ans par la loi Barnier. Face à elle, un major gère plusieurs milliers de contrats, dispose de services juridiques et techniques, de bases de données sur les prix et les caractéristiques des services. Face à cette dissymétrie d'informations, des dérives ont inévitablement eu lieu. Des exploitants ont facturé des provisions sans pleinement les utiliser et en s'appropriant les excédents en fin de contrat.
Mais il ne faut pas passer sous silence les dérives liées à des demandes de collectivités organisatrices, parfois suggérées, il est vrai. Ce fut la demande de versement d'un droit d'entrée, qui est bien entendu était couvert par un prêt remboursé par les abonnés du service avec taux majoré par la maison-mère pour ses frais de gestion. Après l'interdiction de ce droit d'entrée par la loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement, dite « loi Barnier », les communes trouvèrent le biais d'appliquer des redevances d'occupation du domaine public d'un montant disproportionné par rapport aux autres services en réseau.
La loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques demandait à l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA), aujourd'hui partie de l'Office français de la biodiversité (OFB), de construire un réseau de données sur les services d'eau et d'assainissement, point de départ d'une régulation comparative par la performance. Ceci implique des moyens humains et financiers pour les services régionaux et nationaux. Mais je crains que cette mission essentielle pour la maîtrise du prix et de la qualité des services soit de plus en plus soluble dans la biodiversité. Cet observatoire rendrait service aux collectivités d'usagers consommateurs, mais également aux délégataires. Il constituerait un outil exportable confortant la crédibilité et l'équilibre du système français de gestion de l'eau.
La loi du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques introduit également dans son article 1er le droit à l'eau pour chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, dans des conditions économiquement acceptables par tous. Ce n'est donc pas un droit à la desserte de tous par un réseau public. Le raccordement d'un habitat éloigné du réseau est financièrement très onéreux, mais également techniquement critiquable. Les normes de potabilité au robinet ne pouvant pas être garanties, compte tenu des temps de séjour de l'eau dans les réseaux.
Le service ayant un coût, l'introduction du droit à l'eau impliquait une intervention en faveur des personnes en situation de précarité. La loi n° 2013-312 du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes, dite « loi Brottes », a permis d'engager une expérimentation. Je pense que nous y reviendrons lors des échanges.
Dans vos questions, vous évoquez des différences de prix entre gestion privée et gestion publique. Il faut être très prudent à cet égard. Rien n'est plus facile que d'avoir un prix de l'eau plus bas en abdiquant une capacité d'autofinancement, et donc de renouvellement des ouvrages, ou en reportant des travaux d'épuration. On peut également rappeler que des délégataires ont mis en place des structures d'appui en cas d'accident majeur et de catastrophes naturelles, avec des unités de traitement mobiles, des unités d'embouteillage et des groupes électrogènes mobiles. Il conviendrait ici que les régies se regroupent et investissent pour disposer de moyens de secours mutualisés pour un maillage du territoire complétant les moyens de la sécurité civile.
Une autre explication de la différence de prix correspond à la qualité de la ressource et à sa dégradation en raison des pollutions diffuses. C'est le principe pollueur payeur : payeur pour traiter davantage la ressource ou pour aller parfois la chercher à des dizaines de kilomètres, payeur des plans successifs de réduction des usages de produits phytosanitaires, payeur pour reconstituer des milieux aquatiques et de la biodiversité abîmés par des pratiques excessives de remembrement et d'assèchement de terres dans des aires d'alimentation des captages.
S'il est normal que les redevances des agences de l'eau dues par les pollueurs et les préleveurs couvrent les coûts de connaissance et d'administration de la ressource, donc de la police de l'eau, on ne peut que se poser la question des limites de financement par le buveur d'eau de la biodiversité et de l'amélioration des pratiques agricoles. La directive-cadre 2000/60/CE du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau demande d'ailleurs sur ce point de publier pour chaque grand bassin hydrographique les coûts supportés par chaque catégorie d'usagers. Elle demande de rendre compte de l'application du principe pollueur-payeur pour la récupération sur les pollueurs des coûts des dégradations de la ressource dont ils sont à l'origine. Ce sont des éléments essentiels de transparence de la politique de l'eau et d'évaluation de son efficacité, mais également d'aménagement des territoires. J'aurais pu inviter votre commission à consulter les évaluations réalisées par les bassins pour la mise à jour des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) et des synthèses de l'OFB.
À ce jour, en métropole, l'équipement de desserte du territoire en eau et en assainissement collectif est pratiquement achevé. Il s'agit d'un élément important de l'attractivité et de la compétitivité des territoires. Si le service rendu était très perceptible par l'usager lors de l'arrivée de l'eau au robinet ou lors du raccordement au réseau d'égouts, le service va aujourd'hui de soi. Une large proportion des consommateurs usagers ignorent les équipements techniques et les moyens humains nécessaires. Ceci porte en germe le risque d'une remise en cause du financement de ces infrastructures par des usagers qui n'en connaissent ni le fonctionnement, ni les coûts, ni les besoins de financement. Or le maintien de la qualité du service dépendra de plus en plus de l'entretien et du renouvellement des infrastructures. La construction des liens entre le service et les consommateurs est un enjeu majeur pour les services locaux.
Cet enjeu est d'autant plus important que le changement climatique imposera des investissements significatifs en cas d'intrusion d'eau salée en zone littorale ou d'étiage plus prononcé des cours d'eau. C'est aujourd'hui qu'il faut définir les risques, car ce sont des investissements, mais aussi des modifications dans les utilisations de l'eau, qu'il nous faut définir, programmer et assurer dans les deux prochaines décennies. Les projets de SDAGE actuellement soumis à la consultation du public doivent constituer les premiers jalons de cette nécessaire adaptation au changement climatique.
Quel est votre avis sur les autocontrôles réalisés par des producteurs d'eau minérale qui prélèvent dans la nappe phréatique ? Par ailleurs, que pensez-vous de l'interdiction de délivrer des permis de construire sur les hauteurs de Volvic ?
Je ne dispose pas de connaissances particulières concernant les autocontrôles réalisés par les producteurs d'eau minérale. Cependant, ces autocontrôles sont encadrés par la réglementation et sont vérifiés par un organisme agréé. Il convient donc simplement de s'assurer que ces vérifications sont bien réalisées et dans quelles conditions.
Je signale par ailleurs que le captage sur les hauteurs de Volvic est non seulement destiné à la mise en bouteille, mais aussi à l'alimentation en eau potable de nombreux habitants du secteur. À ce titre, il existe des périmètres de protection des captages et des travaux ont été réalisés afin de prévenir certaines pollutions.
Dans la mesure où vous avez contribué à la rédaction de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation de la République, dite « loi NOTRe », pourriez-vous nous expliquer les choix réalisés en matière de transfert de compétence dans le secteur de l'eau ? Où en sont ces transferts de compétence ?
Ayant quitté mes fonctions en 2014, je ne dispose pas d'informations concernant l'état d'avancement et l'évaluation de ces transferts de compétence.
En revanche, le premier objectif de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation de la République, dite « loi NOTRe », était d'organiser la distribution de l'eau et l'assainissement autour des bassins de vie, afin de relier les usagers dans une aire géographique et d'y créer un premier cercle de solidarité.
Le deuxième objectif était de constituer des services de taille suffisante pour se doter de l'ingénierie et des moyens permettant de gérer les équipements. Cependant, si le lien est évident entre une agglomération et l'entité en charge de son assainissement, la problématique de l'eau potable impose de prendre en compte la gestion du bassin versant, donc la gestion de la ressource en eau. Or la solidarité entre la zone rurale d'alimentation et la zone urbaine de consommation reste à trouver. Un autre travers a été le regroupement de certaines collectivités urbaines et périurbaines, en écartant une zone rurale. Dans ce cas de figure, cette dernière supporte des coûts très élevés de gestion par habitant desservi. Il convient donc d'instituer plus de solidarité au niveau des structures mises en place.
Le troisième volet concernait les relations entre les syndicats départementaux et les communes, les intercommunalités, mais aussi avec les usagers domestiques ou économiques. Certaines expériences de commissions consultatives de services publics locaux devraient être mieux connues. L'OFB pourrait enquêter à ce sujet.
Quelles différences faites-vous entre une gestion déléguée et une gestion en régie publique de l'eau ? Pensez-vous qu'il faille privilégier l'un de ces deux modèles ?
Ces deux modes de gestion sont soumis aux mêmes obligations de résultat et d'évaluation de la performance par l'autorité organisatrice. En effet, déléguer un service ne doit pas revenir à pas à confier l'ensemble du dispositif durant dix ans à un délégataire. Malheureusement, certaines collectivités ont choisi de transférer toute leur ingénierie à un délégataire, y compris ses services de contrôle, ce qu'il ne faut pas faire. Je précise que les collectivités doivent également conserver une certaine autonomie en matière d'expertise et d'évaluation à l'égard d'une régie. Dans tous les cas de figure, les choix doivent tenir compte des caractéristiques du service à affermer.
En particulier, le contrôle de la performance doit porter sur la sûreté du service, les interventions d'urgence et les astreintes, afin de répondre au quotidien aux besoins des usagers.
Constatez-vous une différence de qualité entre les services en régie et en délégation de service public ?
J'ai rappelé que la loi du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques demandait à l'ONEMA de constituer un réseau de données. L'objectif était de disposer d'éléments permettant de répondre à votre question. En particulier, il convient d'analyser la nature de la ressource, notamment du linéaire de réseau par abonné. En effet, les données relatives à l'entretien, à l'amortissement et au renouvellement sont très différentes selon que le linéaire de réseau par abonné est de 10 mètres ou de 500 mètres.
Au cours des années 1990, des travaux ont été menés avec l'école des travaux ruraux et l'université de Strasbourg, afin de vérifier la corrélation entre la caractéristique des services, notamment le linéaire de réseau par abonné, et le prix. Malheureusement, cette démarche est restée sans suite et il conviendrait de la renouveler.
Pour sa part, l'Union fédérale des consommateurs (UFC) – Que choisir avait réalisé un travail de qualité sur ce sujet vers 2005 ; la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) réalise actuellement des études en lien avec les collectivités.
Pouvez-vous préciser pourquoi il convient d'améliorer le contrôle de la gestion déléguée ? Est-il nécessaire de créer une agence de l'eau en charge du contrôle des délégations ?
Un certain nombre de dispositions existent déjà en matière de contrôle des performances environnementales, de la potabilité de l'eau, de légalité et des comptes. Il convient également de ne pas omettre le questionnement et l'analyse des commissions consultatives des services publics locaux. Il convient donc déjà d'utiliser et d'améliorer les outils existants.
Par ailleurs, les agences de l'eau ont déjà assuré le contrôle des redevances perçues. À ce sujet, les redevances de prélèvement sont fréquemment répercutées à l'usager sous forme d'une contre-valeur, à savoir une majoration en raison des pertes en réseau. La différence entre le taux de la redevance prélèvement sur la ressource et le taux de la redevance prélèvement appliqué à la facture d'eau est d'ailleurs un indicateur très intéressant.
Les agences de l'eau disposent également d'une mission d'appui et de partage des connaissances auprès des collectivités. Cependant, tout en évitant le mélange des genres entre une mission de conseilleur et de contrôleur des agences de l'eau, il pourrait être envisagé que les agences de l'eau apportent leur aide aux bureaux spécialisés chargés par les collectivités de réaliser des audits.
Constatez-vous une différence significative du prix de l'eau facturé entre les communes gérant directement le service de l'eau et celles qui le concèdent ? Le mode de gestion est-il le principal facteur explicatif des différences de prix ? Les régies disposent-elles d'un régime fiscal plus favorable que les délégations de service public ?
Je vous renvoie aux données précises de l'Observatoire des services publics de l'eau et de l'assainissement, actuellement géré par l'Office français de la biodiversité.
Il existe visiblement un écart de 6 % concernant le prix de l'eau facturé par les régies et les délégations de service public.
Je vous appelle à la prudence en la matière, car une telle comparaison implique de prendre également en compte des indicateurs de description des services. En effet, certaines collectivités ont pu choisir de faire appel à l'expertise des délégataires afin de se doter de stations de traitement d'eau potable complexes, reposant sur une haute technicité, mais induisant des coûts de fonctionnement élevés. Leur situation n'est en rien comparable aux collectivités se contentant de prélever l'eau potable dans une nappe phréatique disposant de puits filtrants.
En réalité, l'enjeu consiste à imposer des mesures préventives permettant de limiter la pollution en amont, donc d'éviter de multiplier les traitements pesant sur le prix de l'eau.
Les collectivités obligées de mettre en œuvre un traitement complexe de leur ressource choisissent-elles systématiquement de faire appel à une entreprise privée dont l'expertise serait supérieure à celle du secteur public ?
La délégation de service public a initialement conduit à faire appel à une expertise technique supérieure. Cependant, la loi NOTRe a permis de constituer des régies publiques d'une taille suffisante pour dégager les moyens humains et techniques nécessaires pour gérer des équipements de haute technicité.
Les régies disposent-elles d'un régime fiscal plus favorable que celui appliqué aux délégations de service public ?
Cet argument est souvent mis en avant par les délégataires, mais je ne dispose pas d'éléments prouvant cet élément.
Concernant la tarification sociale de l'eau mise en place depuis 2013, entre l'attribution d'un « chèque eau », une tarification progressive, un plafonnement de la facture en fonction du revenu, ou encore la suppression de l'abonnement, quel dispositif vous semble le plus pertinent ?
Depuis mon départ en retraite, je n'ai pas suivi dans le détail les expérimentations menées dans une quarantaine de collectivités. Le bilan en sera réalisé par le Comité national de l'eau (CNE) en 2021. Une enveloppe avait été inscrite au budget de l'ONEMA pour analyser dans le détail ces différentes expérimentations.
En réalité, les enjeux varient d'une commune à l'autre, selon les caractéristiques de la population et les configurations de l'habitat. Les aides destinées à favoriser l'accès à l'eau doivent donc être définies au niveau du bassin de vie par la collectivité locale en charge du service. En revanche, dans la mesure où la solidarité entre pauvres au sein d'un même bassin de vie va rapidement trouver ses limites, l'une des hypothèses envisagées en 2013 était d'instituer une solidarité entre usagers domestiques de l'eau dans un cadre plus large à travers la redevance des agences de l'eau.
Surtout, il existe certains points de vigilance en matière de tarification sociale. Ainsi, le principe de la tarification dégressive pose problème au sein des immeubles résidentiels dont l'abonné est la copropriété. Par ailleurs, il ne faut pas enfermer les bénéficiaires d'une tarification sociale dans des procédures administratives complexes, notamment en évitant d'instituer des circuits spécifiques d'instruction des aides pour chaque catégorie de services en réseaux. La solution pourrait consister à confier le pilotage à l'un des services concernés, ou au centre d'aide sociale. Par ailleurs, l'aide du fonds logement pour le paiement des charges pourrait être alimenté pour les charges d'eau.
Cet élément explique pourquoi, dans le cadre de l'expérimentation, au regard d'un important risque de dérive, il avait été demandé d'évaluer les coûts de gestion de la tarification sociale. À titre d'exemple, lorsque des abandons de créance étaient pratiqués, les coûts de gestion représentaient un montant équivalent au montant des remises de créances. Le dispositif retenu devra sans doute correspondre à une gestion descendante, répondant prioritairement au besoin des populations concernées.
Concrètement, quel dispositif devrait être privilégié en matière de tarification sociale de l'eau ?
Les expérimentations en cours permettront d'identifier ce qu'il est possible de faire. Il convient sans doute d'établir une grille d'analyse prenant en compte l'adaptabilité au plan local et évitant d'enfermer les personnes précaires dans des démarches multiples et chronophages.
Votre expérience vous a conduit à dénoncer certaines dérives, par exemple concernant la gratuité ou les tarifs réduits appliqués à l'eau destinés aux espaces verts des bâtiments municipaux.
Le Parlement a introduit dans la loi du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques un article stipulant que toute livraison d'eau doit faire l'objet d'une facturation, qui bien évidemment doit respecter le principe constitutionnel d'égalité de traitement des usagers dans le cadre d'un service public. Pour le reste, les usages doivent être un point de vigilance pour les commissions consultatives des services publics locaux, et l'OFB pourra réaliser une enquête en la matière.
Pouvez-vous évoquer le droit d'entrée en délégation de service public et le rachat des immobilisations ?
La loi interdit désormais cette pratique.
Pouvez-vous évoquer la pratique du versement des excédents d'une régie au budget général ?
Certains indicateurs peuvent donner le sentiment que certains excédents ne sont pas justifiés. Tel est le cas lorsqu'ils mettent en évidence des fuites excessives dans le réseau, le fait qu'une station n'est pas aux normes ou encore le fait que la potabilité de l'eau n'est pas garantie.
Pouvez-vous préciser votre pensée concernant les dérives des redevances d'occupation du domaine public non encadrées par la loi ?
La loi du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques encadre les redevances d'occupation du domaine public dues par les services d'eau et d'assainissement. Des enquêtes pourraient vérifier le respect de ces règles et attirer l'attention du contrôle de légalité sur ce point. Pour ma part, je ne dispose pas d'éléments relatifs à de telles dérives.
Auriez-vous connaissance de faits spécifiques et précis constitutifs de corruption, prédation ou financiarisation ?
Je ne dispose pas d'éléments relatifs à des cas de corruption ou de prédation. En revanche, l'offre publique d'achat (OPA) en cours de Veolia sur Suez renvoie à la thématique de la financiarisation. Cette opération pose un certain nombre de questions, alors que ces deux entreprises à mission gèrent au quotidien l'eau de milliers d'acteurs économiques et de millions d'habitants. L'État doit s'interroger concernant cette opération impliquant deux entreprises détenant des éléments d'information relatifs à la sécurité des équipements. Par ailleurs, la constitution d'un géant mondial ne fait-elle pas courir un risque de démantèlement à terme en application du droit de suite ?
Enfin, cette opération risque fait courir un risque au niveau de la recherche et de l'indépendance nationale, alors que la filiale de Suez, Degrémont, est un acteur reconnu au niveau mondial et que son mémento technique est une référence traduite dans de nombreuses langues. Or cette recherche peut se développer uniquement si les ingénieurs connaissent l'exploitation des ouvrages.
Vous vous êtes interrogé concernant le fait que le prix payé par les usagers finance la préservation de la biodiversité. Désormais, une partie du budget du 11e programme des agences de l'eau est prélevé pour alimenter le budget général de l'État. Est-ce la fin du principe qui veut que l'eau paie l'eau ?
Effectivement, nous observons un accroissement des prélèvements depuis plusieurs années. Pour ma part, je trouve parfaitement logique que des redevances renvoyant au principe du pollueur payeur supportent les frais induits pour mieux évaluer la ressource en eau, mais aussi les frais induits par la police de l'eau. Il est également normal que les redevances prélevées sur les pollueurs et sur les préleveurs soient affectées à des actions de prévention de la qualité de l'eau, notamment à travers la restauration de pratiques agricoles adaptées dans les aires d'alimentation des captages. Cependant, les consommateurs ne devraient pas à eux seuls supporter les conséquences d'autres éléments dégradant la biodiversité, tels l'imperméabilisation des sols ou les drainages excessifs.
L'audition s'achève à dix heures cinquante.