Commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences

Réunion du jeudi 20 mai 2021 à 16h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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COMMISSION D'ENQUÊTE relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intÉRÊts privés et ses conséquences

Jeudi 20 mai 2021

La séance est ouverte à seize heures.

(Présidence de Mme Mathilde Panot, présidente de la commission)

La commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences, procède à la table ronde réunissant les gestionnaires de barrages hydroélectriques en France : M. Yves Giraud, directeur d'Électricité de France (EDF) Hydro ; M. Cyrille Delprat, directeur général de la Société hydro-électrique du Midi ; Mme Élisabeth Ayrault, présidente, et Mme Bernadette Laclais, responsable des relations institutionnelles de la Compagnie nationale du Rhône

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Nous poursuivons les auditions de la commission d'enquête en auditionnant en table ronde les trois acteurs de la concession de barrages hydroélectriques : M. Yves Giraud, Directeur d'Electricité de France (EDF) Hydro, M. Cyrille Delprat, directeur général de la Société hydroélectrique du Midi (SHEM), détenue par le Groupe Engie, et Mme Élisabeth Ayrault, présidente de la Compagnie nationale du Rhône (CNR), Mme Bernadette Laclay, responsable des relations institutionnelles de la Compagnie nationale du Rhône, détenue à parité par Engie et des acteurs publics. Mesdames et messieurs, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de prendre le temps de répondre à notre invitation. Vous pourrez bien évidemment compléter vos déclarations par écrit. Je vous remercie de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations. Je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, mesdames et messieurs, à lever la main droite et à dire « je le jure ».

Les personnes auditionnées prêtent successivement serment.

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élisabeth Ayrault, présidente de la Compagnie nationale du Rhône (CNR)

En tant que présidente de CNR, je me permets de rectifier un point évoqué par Mme Panot, à savoir que la composition de notre capital n'est pas paritaire mais s'établit à 50,03 % de capitaux publics et 49,97 % détenus par Engie. La CNR est une entreprise extrêmement ancienne, sa création datant de 1933 et de même extrêmement récente, puisque sa situation actuelle remonte à l'ouverture des marchés de l'électricité. La CNR est une concession d'aménagement faisant l'objet de spécificités, notamment la loi du 27 mai 1921 approuvant le programme des travaux d'aménagement du Rhône, différente de la loi régissant l'usage de l'eau pour les concessions hydroélectriques.

Ce contrat de concession emporte trois missions : la navigation, l'irrigation et la production d'hydroélectricité, s'y ajoutant la mission relative à l'environnement et la biodiversité. Par ailleurs, la gouvernance de la CNR est de même particulière, avec 50,03 % de capitaux publics, détenus par la Caisse des dépôts et consignations et 183 collectivités territoriales. Sur 18 membres du conseil de surveillance, quatre sont issues des collectivités, au même titre que ceux de la Caisse des dépôts, Engie en ayant pour sa part cinq. La gouvernance en est ainsi relativement équilibrée. Enfin, la CNR étant une entreprise gérant un fleuve de façon intégrée, elle est aux premières loges pour constater les impacts du changement climatique sur le débit du fleuve et la biodiversité.

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Yves Giraud, Directeur d'Electricité de France (EDF) Hydro

Je suis honoré de faire entendre notre point de vue au nom d'EDF, en tant que directeur d'EDF Hydro. EDF exploite environ 500 ouvrages hydroélectriques en France, filiales comprises. Ces barrages sont très divers, du plus petit installé sur une rivière, au plus grand constituant d'immenses réservoirs d'eau. Ils peuvent retenir des centaines de millions de mètres cubes d'eau. Les barrages ont tous en commun de produire de l'électricité, mais la majorité des barrages sont construits pour d'autres raisons : le stockage d'eau, la régulation des cours d'eau, etc. Ils sont exploités soit sous un régime d'autorisation pour les plus petits, soit sous concession hydroélectrique dès lors que la puissance dépasse 4,5 MW, dans les conditions de la loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique. Nous ne sommes pas à l'image de la CNR sur une gestion multi-usage, mais uniquement sur une production d'hydroélectricité, à laquelle s'ajoutent parfois quelques contraintes.

L'hydroélectricité est pour rappel la première énergie renouvelable dans le monde et en France. En 2020, 75 TWh ont été produits en France, soit plus de la moitié de la production d'électricité renouvelable, couvrant ainsi 13,5 % de la consommation nationale. Cette énergie renouvelable est en outre flexible et stockable, ces particularités lui conférant un rôle stratégique singulier et essentiel dans la transition énergétique. Ces ouvrages jouent par ailleurs un rôle majeur dans la gestion de l'eau, plusieurs étant conçus à cet effet, et parfois même financés par le ministère de l'Agriculture, à l'image du barrage sur la Durance. Ce rôle est d'ailleurs appelé à croître avec le changement climatique, car ce dernier ne génère pas moins d'eau, mais la répartit différemment dans l'espace et dans le temps. L'hydroélectricité avec ses barrages et ses retenues contribue activement à la gestion de ces ressources.

EDF gère une capacité de 7 milliards de mètres cubes d'eau, 70 % des concessions ayant des obligations réglementaires ou contractuelles sur la gestion de l'eau. En moyenne sur les cinq dernières années, 780 millions de mètres cubes ont été relâchés pendant l'étiage, par exemple sur la Durance où les réservoirs permettent d'assurer l'irrigation et la fourniture en eau potable à la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Les réservoirs sont gérés en hiver grâce à des mesures des stations météorologiques de montagne permettant de mesurer l'enneigement. Un niveau d'eau maximal est ainsi visé afin d'assurer le soutien d'étiage pour la saison estivale. Le bassin Adour-Garonne est de même intéressant, un nouveau contrat de coopération ayant été signé en 2020 pour le soutien à l'étiage afin de répondre aux pics de besoins en période de sécheresse ou de canicule. L'étiage soutient pour rappel de même le niveau des nappes phréatiques proches de la rivière et donc indirectement la fourniture d'eau potable.

La gouvernance de cette gestion de l'eau est assurée de manière responsable par l'entreprise, qui est publique, en ayant conscience des enjeux qualitatifs et quantitatifs. En tant que concessionnaires d'hydroélectricité, nous assurons cette mission de manière bénévole, au contraire de la CNR. Des conventions sont ainsi passées avec des pécheurs, des agriculteurs, des responsables de sites touristiques et des responsables industriels, et nous demandons des indemnisations dans certains cas pour notre action en faveur de ces usages.

La gestion de l'eau est par ailleurs assurée en concertation avec les différentes parties prenantes. Nous prenons notre part dans la gouvernance de la gestion de l'eau dans les territoires et les instances afférentes, soit en direct, soit pour le compte de l'Union française de l'électricité (UFE). Chacun y défend ses intérêts, mais ce modèle de gouvernance reste pertinent, car il permet de régler nombre de conflits d'usages au niveau le plus local tout en tenant compte des équilibres à l'échelle du bassin hydrographique. À notre sens, il est nécessaire de progresser dans l'économie de cette gestion de l'eau. En tant qu'hydroélectricien, nous devons veiller à l'équilibre entre la production hydroélectrique et la gestion de l'eau.

Ces ouvrages ont un rôle majeur à jouer dans la transition écologique, car ils permettent d'intégrer davantage d'éolien et de photovoltaïque sur le réseau. Gardons-nous de privilégier l'usage de l'eau pour d'autres besoins que celui de l'hydroélectricité, en cherchant un juste équilibre. À ce propos, le gouvernement porte un projet de quasi-régie pour ces ouvrages hydroélectriques, celui-ci consistant à rendre l'entité EDF Hydro à 100 % publique.

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Cyrille Delprat, directeur général de la Société hydroélectrique du Midi (SHEM)

La SHEM est une petite et moyenne entreprise (PME) régionale de plus de 300 salariés qui opère essentiellement sur les barrages d'altitude, et donc de stockage. Nous sommes concessionnaires de l'État pour l'exploitation d'ouvrages dans le massif des Pyrénées et le Massif central, pour près de 3 % du marché en termes de puissance. Nous sommes présents sur tous les métiers de la profession : gestion de la sûreté des barrages, gestion des questions environnementales, etc.

La SHEM est issue de compagnies de chemin de fer privées qui ont débuté l'électrification des lignes ferroviaires grâce aux barrages hydroélectriques au tout début du XXe siècle. La SHEM a intégré la SNCF à sa création et est restée en son sein jusqu'en 2006, avant de basculer progressivement chez Engie. La SHEM est cependant une société anonyme depuis 1992. Notre histoire s'inscrit dans les virages nombreux du renouvellement des concessions hydroélectriques. Plusieurs vallées ont ainsi des concessions échues, sans visibilités sur leur avenir, ce qui est contraignant pour les industriels et leurs salariés.

S'agissant de la gestion de l'eau, cette question est essentielle tant pour la production d'hydroélectricité que pour la gestion du stress hydrique des cours d'eau à destination de l'agriculture, des industriels et des usagers. Nous avons la conviction que l'opérateur hydroélectrique à un rôle majeur a joué tant sur l'enjeu de la production d'énergie que sur l'enjeu de la gestion de l'eau. La SHEM y contribue principalement de juin à octobre, par exemple sur le plateau gascon, une enclave hydrique, avec près de 50 millions de mètres cubes d'eau libérés en période de sécheresse. La SHEM est donc une société privée qui assume pourtant ces missions d'intérêt commun sans subvention associée.

En tant qu'acteur centenaire, nous avons la conviction qu'il est impossible, comme le soulignait l'un de nos fondateurs, de développer de manière satisfaisante notre entreprise sans développement satisfaisant du territoire associé. La SHEM a à cœur depuis sa création d'assurer cette contribution économique pour les territoires, que ce soit par une aide à la création d'emploi ou par des sujets d'intégration.

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Il m'a été rapporté par des syndicalistes que des études avaient été lancées par EDF afin de chiffrer le coût de la multiplication des opérateurs sur une vallée. Est-ce le cas et, si oui, pouvez-vous nous en donner les résultats ? En cas d'échec du projet Hercule, maintenant nommé projet Grand EDF, quel serait le plan B pour éviter l'ouverture à la concurrence des barrages ? Quels risques voyez-vous sur la question de la gestion des réserves en eau et en énergie, sur les niveaux d'investissement, les barrages étant des ouvrages hautement stratégiques, sur les redevances et sur le prix de l'énergie ?

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Yves Giraud, Directeur d'Electricité de France (EDF) Hydro

Aucune étude n'a à ma connaissance été produite. Nous avons bien évidemment étudié chacune des vallées afin d'évaluer les conséquences en cas de mise en concurrence des concessions. Je ne vous cache pas que ce serait alors très complexe. Les Suisses sont organisés sur une succession d'ouvrages. Nous en connaissons les mécanismes et la complexité afférente.

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Yves Giraud, Directeur d'Electricité de France (EDF) Hydro

Ces enchaînements sont complexes, avec un barrage en amont, le réservoir de tête qui constitue parfois le grand réservoir de la vallée, puis une succession d'ouvrages. Ouvrir le robinet à la tête impacte les autres ouvrages qui voient l'eau passer. Des vallées comportent par ailleurs des réservoirs qui pompent l'eau de vallées adjacentes, par exemple dans les Pyrénées, avec le phénomène la direction de la « cueillette de l'eau ». Or, les concessions n'ont pas été prévues pour se faire, mais sur un principe de bien public. Avant 1919, pour rappel, l'eau était un bien du royaume encadré par l'édit de Moulins de 1566. Aujourd'hui, nous sommes concessionnaires sans visibilité, car le droit européen et le droit français, l'un comme l'autre, obligent à la remise en concurrence de ces concessions alors que d'autres pays sont moins empêchés, car ils fonctionnent avec de simples autorisations.

Pour ce qui est de la gestion de l'eau, il est complexe de mettre en concurrence les concessions, car les problématiques de gestion de l'eau et de soutien à l'étiage entreraient en conflit avec l'objectif premier de rémunération par le biais de la production d'électricité. L'eau est un bien vital dont le concessionnaire n'est pas propriétaire. Les volumes d'eau libérés intéressent les agriculteurs, les industriels, les activités sportives et touristiques, etc. La plupart des politiques ne souhaitent pas la mise en concurrence des concessions pour toutes ces raisons, mais pour autant, le droit s'applique.

Avec le gouvernement français, nous avons trouvé cette solution dite de quasi-régie, la seule et unique solution juridique fonctionnant dans le droit actuel, contrairement à ce qu'y peut être dit. Elle suppose évidemment de se raccrocher à une tête de groupe 100 % publique. Sans mise en place d'une quasi-régie, il n'est pas possible de régler ce problème de mise en concurrence. En cas d'échec du Grand EDF, il conviendra d'ouvrir à la concurrence les concessions ou prendre d'autres dispositions qui seront de nature à satisfaire les demandes de la commission.

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élisabeth Ayrault, présidente de la Compagnie nationale du Rhône (CNR)

La question n'est pas le coût de la multiplication des acteurs sur une vallée, car ce coût n'a aucune limite dans le cadre du changement climatique. Nous gérons 19 usines et barrage sur le Rhône, la qualité de la gestion étant permise par la coordination des usages de l'eau. Comme souligné précédemment, la loi sur la transition énergétique et la croissance verte en France a prévu de regrouper des concessions hydrauliquement liées dans une même vallée, de façon à créer des ensembles homogènes et donc des opérateurs uniques. Il semble que ce soit la seule solution pour gérer au mieux l'eau et plus globalement l'écosystème d‘une vallée ou d'un fleuve.

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Cyrille Delprat, directeur général de la Société hydroélectrique du Midi (SHEM)

J'ajouterai sur le premier point que nous sommes également concernés par la complexification de la présence de plusieurs opérateurs sur une même vallée. Sans avoir besoin d'étude, il est clair et évident que ce fonctionnement, fruit de l'histoire, n'est pas optimal pour la production électrique et la gestion des relâchements d'eau. Une réorganisation du secteur devra embarquer ces réflexions. S'agissant des risques associés à une ouverture à la concurrence, la démarche n'a jamais été mise en œuvre en France et porte donc son lot d'inconnues. Elle serait sans doute complexe et passerait par un cahier des charges à la main de l'État. Certains points sont déjà encadrés par les services de l'État à ce jour : gestion des ouvrages, sujets environnementaux, suivi des lâchers d'eau. Les enjeux locaux sont en revanche plus complexes à encadrer dans un cahier des charges, par exemple les contraintes de cote, leur intégration au cahier des charges représentant un travail conséquent à mener.

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Avec accord du rapporteur, notre collègue Marie-Noëlle Battistel souhaite vous poser immédiatement une question.

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Je salue les personnes auditionnées ce jour et rappelle l'importance de l'hydroélectricité pour l'équilibre du système électrique français, notamment en termes de stockage. L'hydroélectrique doit être vue aujourd'hui comme un outil de gestion de l'eau, des multi-usages, de la gestion des crues et de l'aménagement des territoires. Ce sujet est primordial, notamment dans le cadre évoqué de la menace d'une remise en concurrence des concessions électriques suite au non-aboutissement du projet Hercule. Le schéma de la quasi-régie ne peut en effet être adossé qu'à un établissement 100 % public. La nationalisation d'une partie d'EDF est donc un prérequis à la création de cette quasi-régie. Les opérateurs sont une fois de plus exposés à un manque de visibilité et de perspectives. Un cahier des charges devra insister sur ces questions annexes à la production, notamment dans le cadre du changement climatique qui nous expose chaque jour à de nouveaux aléas et de nouvelles missions. Quel que soit l'avenir, il me semble que la priorité doive être donnée au confortement et au maintien de nos opérateurs historiques sur l'exploitation de nos ouvrages, car nous ne pouvons accepter une gestion extérieure. Les parlementaires doivent en avoir conscience.

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élisabeth Ayrault, présidente de la Compagnie nationale du Rhône (CNR)

Je partage pleinement ces propos. La France a mis trop de temps à comprendre que les concessions hydroélectriques étaient un petit morceau de l'usage de l'eau. Une concession hydroélectrique seule n'a de fait que peu de sens. Nous devons penser en termes de concession d'aménagement des territoires avec une vision plus large que la simple production d'hydroélectricité.

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Quelles ont été les conséquences dans l'approche et la gestion des concessions hydroélectriques de la mise en minorité de l'État au sein du capital de Gaz de France (GDF) devenu Engie, à compter de la fusion de Suez en 2008 ?

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Cyrille Delprat, directeur général de la Société hydroélectrique du Midi (SHEM)

L'évolution du capital de GDF date en effet de 2008. La SHEM a rejoint Engie en 2006. Nous manquons donc de recul sur l'avant et l'après. De notre avis, sur la période, des événements ont impacté le fonctionnement de l'entreprise : d'une part, rejoindre Engie, un groupe industriel de l'énergie, ce qui a permis de consolider les acquis et d'investir. Sur les 10 dernières années, les investissements ont été les plus massifs depuis la création des ouvrages, et ce grâce au groupe ; d'autre part, l'ouverture à la concurrence des concessions, plusieurs vallées ayant des concessions échues, ce qui impacte la vie de l'entreprise, sans commune mesure avec le changement de proportion de l'actionnariat au sein du capital.

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Entre le statut d'établissement industriel et commercial (EPIC) et le statut de société anonyme, lequel vous semble-t-il le plus adapté à la gestion des concessions hydroélectriques et pourquoi ?

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Yves Giraud, Directeur d'Electricité de France (EDF) Hydro

Avant 2004, EDF était effectivement un EPIC et bénéficiait à ce titre d'une exception à la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, dite loi Sapin, ce qui permettait de ne pas mettre en concurrence les concessions.

Un retour à l'EPIC ne réglerait en aucune manière la problématique de mise en concurrence. Aujourd'hui, l'EPIC EDF ne permettrait pas d'échapper à la mise en concurrence des concessions, je tiens à le redire. Cette mise en concurrence est rendue obligatoire par la directive 2014/23/UE du 26 février 2014 sur l'attribution de contrats de concession. L'article 17 de cette directive, permettant d'y échapper en confiant ces concessions à des opérateurs publics, est extrêmement clair. Trois conditions sont requises : une entité à 100 % publique ; une entité s'occupant à 80 % des objets confiés par l'autorité adjudicatrice, ce qui impose une filialisation de l'hydraulique ; un contrôle. L'EPIC est en outre un objet spécifiquement français, qui mettrait EDF en position difficile sur la question de la vente de sa production sur le marché concurrentiel de l'électricité. Je le répète, car des expressions politiques et syndicales poussent dans ce sens, alors que l'EPIC n'est en aucune manière une solution, qui serait de surcroît refusée par Bruxelles. La seule solution est de créer une société à 100 % publique, avec une filiale hydroélectrique à 100 % publique.

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La mise en concurrence pour le renouvellement des concessions permettrait-elle d'optimiser les concessions et d'augmenter la capacité de production hydroélectrique ?

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élisabeth Ayrault, présidente de la Compagnie nationale du Rhône (CNR)

Je tiens à rappeler que nous ne sommes pas propriétaires des ouvrages et des biens communs que constituent les rivières, les fleuves, les lacs. Nous n'en sommes que les occupants. Nous ne sommes pas propriétaires des ouvrages que nous exploitons. Celui qui reste responsable de la bonne gestion des indicateurs de suivi des concessions et des impositions est l'État. En 2003, il n'a pas eu besoin d'une remise en concurrence pour imposer des actions à réaliser sur le Rhône. Je ne pense pas que la mise en concurrence soit la seule solution pour modifier le cours des choses sur les concessions françaises.

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Cyrille Delprat, directeur général de la Société hydroélectrique du Midi (SHEM)

Pour augmenter la production, nous avons besoin de visibilité, comme je l'ai déjà évoqué. Aucun industriel ne peut investir pour moderniser son outil sans visibilité. L'organisation en vallée est de même une clé pour améliorer la production et la gestion de l'eau.

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Yves Giraud, Directeur d'Electricité de France (EDF) Hydro

Je rejoins pleinement ces propos.

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Quels seraient les risques d'une mise en concurrence du renouvellement des concessions hydroélectriques et d'une éventuelle gestion privée des concessions en matière de gestion des réserves en eau et énergie, de niveau d'investissement, de redevance, de prix de l'électricité ?

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Cyrille Delprat, directeur général de la Société hydroélectrique du Midi (SHEM)

Je doute que la question se résume simplement à une opposition privé-public sur les risques liés à la gestion de notre activité qui a des contraintes et des obligations que nous assurons depuis longtemps. La SHEM a connu différentes époques, en passant du public au privé, sans que les contraintes n'en soient pour autant changées. Nous restons des industriels responsables. Pour ce qui est des risques, ils doivent être encadrés par un cahier des charges.

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élisabeth Ayrault, présidente de la Compagnie nationale du Rhône (CNR)

Je rappelle que cette table ronde regroupe trois entreprises du secteur privé, à capital public pour certaines, la CNR et EDF, le SHEM ayant quant à elle un actionnaire disposant également de fonds publics minoritaires. La question porte avant tout sur l'intérêt général, sur ce que l'État fait de ce qui lui appartient. Nous gérons des biens qui ne nous appartiennent pas, ce qui impose un État fort, un État qui fixe les règles du jeu et les conditions d'investissement et de développement de ce bien appartenant à la nation. La question du privé et du public ne se pose pas, tant que l'État est décideur. Je le répète, EDF est une entreprise de droit privé. De même, la CNR est une société anonyme d'intérêt général. C'est peut-être là une solution à explorer.

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Est-il correct de dire que le mode de gestion résultant du projet Hercule serait une quasi-régie ? Permettrait-il à EDF d'éviter une mise en concurrence dans le renouvellement de ses concessions hydroélectriques ?

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Yves Giraud, Directeur d'Electricité de France (EDF) Hydro

Tout à fait, encore une fois, je le confirme. Le gouvernement a clairement exprimé sa volonté d'éviter la mise en concurrence des concessions et pour se faire, à trouver la solution de la quasi-régie, prévue à l'article 17 de la directive de 2014. Cette solution est en outre la seule dans le droit actuel. Les barrages sont de fait déjà exposés à la concurrence puisque nous vendons l'électricité produite sur des marchés ultra-concurrentiels de l'énergie français et européens. La problématique de cette mise en concurrence des concessions est qu'elle porte sur les actifs.

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Pourriez-vous expliquer les raisons poussant l'État à vouloir prolonger de 18 années la concession d'aménagement et d'exploitation du Rhône confiée à la compagnie nationale du Rhône ?

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élisabeth Ayrault, présidente de la Compagnie nationale du Rhône (CNR)

Je ne peux parler au nom de l'État, seul décideur. Nous avons de notre côté argumenté et apporté un certain nombre d'éléments pouvant conforter cette décision. Pour rappel, la loi nᵒ 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte porte en son sein un article permettant aux concessionnaires en France d'obtenir des prolongations. Comme évoqué lors de mon propos liminaire, nous ne sommes pas une concession hydroélectrique, mais une concession d'aménagement qui emporte de fait une vallée entière et son fleuve, des spécificités d'aménagement en lien avec la navigation et l'irrigation, sans oublier l'environnement, les missions d'intérêt général, etc. L'État a considéré que cette concession était à part, et qu'elle méritait de par son histoire d'être traitée à part. Je rappelle par ailleurs que le processus a été long, les discussions débutant en 2014. Deux étapes importantes ont été franchies, la consultation pilotée par la Commission nationale du débat public (CNDP) et la consultation de toutes les parties prenantes du Rhône, avec près de 300 organismes concernés, ainsi que le public. L'ensemble des partenaires, soit plus de 1 500 personnes, à l'exception de quelques cas, a considéré qu'il n'était pas souhaitable de nous mettre en concurrence. Cette concession d'aménagements pilotés par les collectivités a du sens. Cette façon de considérer le rassemblement de différents ouvrages hydroélectriques dans un écosystème plus large que la simple production d'hydroélectricité fait également sens. J'ajouterai qu'EDF a un rôle bien plus important à jouer que celui de simple énergéticien. La gestion de l'eau, de l'eau potable, de l'agriculture, de loisirs, de la biodiversité, ne peut se contenter d'une simple gestion des ouvrages. EDF pourrait un jour se retrouver dans une situation proche de celle de la CNR. Or, cet outil d'aménagement des territoires ne peut être mis en concurrence, comme l'État l'a souhaité.

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Avez-vous une vision sur les petits barrages hydroélectriques et leurs effets sur les cours d'eau ? Souhaitez-vous les développer ou est-ce à bannir ?

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Yves Giraud, Directeur d'Electricité de France (EDF) Hydro

La petite hydraulique est un segment intéressant, car il s'agit de petits ouvrages intégrés à leur environnement et aux collectivités territoriales, à l'impact environnemental faible. Cette énergie est en outre verte et de proximité. Ces ouvrages sont attaqués au nom de la continuité écologique, qui doit bien sûr être assurée et faire l'objet d'une attention particulière. Nous souhaitons cependant développer cette énergie, EDF n'étant qu'un des multiples acteurs de ce secteur.

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élisabeth Ayrault, présidente de la Compagnie nationale du Rhône (CNR)

La CNR a fait le choix de ne pas développer la petite hydroélectricité, car nous avons estimé que nous ne disposions pas des compétences nécessaires. À ce propos, je rappelle que l'hydroélectricité est multiple : hydroélectricité de haute chute, au fil de l'eau, d'écluses, petites installations, concessions, autorisations, etc.

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Cyrille Delprat, directeur général de la Société hydroélectrique du Midi (SHEM)

Aujourd'hui, le développement de la grande hydroélectricité en France est limité. Le développement passe donc par la petite hydroélectricité. Les systèmes doivent cependant impacter au minimum les flux piscicoles, ce que nous savons faire. À mon sens, la petite hydroélectricité a sa place dans le paysage du développement de l'énergie renouvelable en France.

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Des députés m'indiquaient qu'au regard de l'impact sur l'environnement, la petite hydroélectricité devrait être bannie des pratiques de production d'électricité. Ce n'est visiblement pas votre avis.

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Yves Giraud, Directeur d'Electricité de France (EDF) Hydro

Sur la petite hydraulique, tout un réseau de petites PME travaille sur des équipements de type Very low head (VLH), des turbines de très basse chute qui laissent passer les poissons.

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Que pensez-vous de ceux qui affirment que cette petite hydroélectricité devrait être bannie, car elle défigure l'environnement ?

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élisabeth Ayrault, présidente de la Compagnie nationale du Rhône (CNR)

L'Homme impacte son environnement quoi qu'il fasse. Le sujet n'est pas de savoir si l'environnement est impacté, mais de veiller à ce que cet impact soit maîtrisé. Je rapproche cela des polémiques sur le vaccin. Quel est l'équilibre entre les bénéfices et les risques encourus ? Le Rhône a été aménagé par nos anciens qui y ont laissé leur santé et leur vie pour certains. J'ai beaucoup de respect pour ceux qui ont permis d'utiliser les bienfaits de la nature. La question est à mon sens : est-il possible d'aménager des cours d'eau avec une petite hydroélectricité tout en respectant l'environnement autour de cet aménagement ? Comment peut-on accompagner ces installations utiles à l'ensemble de la nation ?

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Cyrille Delprat, directeur général de la Société hydroélectrique du Midi (SHEM)

J'ajouterai que dans nombre de cas nous aménageons des ouvrages existants, comme des moulins. Nous optimisons l'existant avec un impact modéré sur l'environnement.

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Quelles sont vos activités et vos stratégies guadeloupéennes ?

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élisabeth Ayrault, présidente de la Compagnie nationale du Rhône (CNR)

Depuis quelques années, la CNR se développe sur toutes les énergies renouvelables. Nous avons répondu à un appel à projet sur les villes durables, et avons gagné sur le projet de Marie-Galante, avec un concept d'île durable. Nous travaillons sur l'idée de rendre l'île autonome en énergie grâce à l'éolien et au photovoltaïque, avec des capacités de stockage importantes. Je crois dans le système français métropolitain, mais les quelque 12 000 îles au monde pourraient être alimentées en autonomie sans être reliées à d'autres îles ou au continent. L'Union européenne nous soutient dans ce projet, de même que le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives.

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Je reviens sur le sujet de la petite hydroélectricité. Dans mon département, nous subissons les épisodes cévenols et des périodes de sécheresse importantes avec des lits de rivières à sec quatre à six mois par an. Cependant, des prestataires privés démarchent systématiquement les petites communes et proposent d'installer des ouvrages de petite hydroélectricité, ce qui interroge beaucoup les populations. Des associations se créent dans chaque village pour s'y opposer, et pas uniquement d'un point de vue environnemental, mais également au regard de la pertinence de ces installations. Ces ouvrages sont vendus comme étant ichtyocompatibles, de petite taille et apportant des revenus aux communes. Nous manquons cependant de retours d'expérience pour déterminer l'intérêt économique pour la commune. J'aimerais vous entendre sur le fait que des prestataires privés démarchent ces communes, sans approche globale.

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Yves Giraud, Directeur d'Electricité de France (EDF) Hydro

Je n'ai pas connaissance de ces cas. De multiples acteurs interviennent dans ce domaine de la petite hydroélectricité. Chacun d'entre eux a le souci de l'environnement et de bien faire son travail. Comme évoqué précédemment, parfois, les populations se crispent sur des sujets qui ne le méritent pas. Il s'agit bien d'une énergie renouvelable, prévisible et souvent flexible. Cette production ne devrait pas être bannie, car nombre de projets ciblent des sites existants et les modernisent, notamment avec des ouvrages de franchissement piscicoles. Il est intéressant d'entraîner les communes dans ces projets d'aménagement du territoire. Nous ne pouvons exclure que certains projets soient mal menés, mais ce n'est pas la majorité.

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Aujourd'hui, nous essayons de trouver des combinaisons entre l'énergie pilotable et l'énergie intermittente. Comment travaillez-vous avec ces filières ? En effet, la question principale est à mon sens : comment pallier la production hydroélectrique en cas de sécheresse et de nappes d'eau basses ? Le barrage d'irrigation crée un cercle vicieux, car il habitue les agriculteurs à utiliser plus d'eau que la nature ne peut en livrer. Quand les barrages ne se remplissent plus du fait de la sécheresse, la demande devient justement plus forte. Le barrage donne finalement l'illusion d'une sécurité alors que les quantités d'eau ne sont pas au niveau des besoins à l'instant T. Comment réglez-vous ce sujet et comment utilisez-vous ce mix énergétique pour combler ce manque d'énergie intermittente ?

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Yves Giraud, Directeur d'Electricité de France (EDF) Hydro

L'aléa hydraulique est de fait annuel, avec des variations entre les années. En revanche, dans une même année, le risque n'est pas comparable au risque éolien et au risque photovoltaïque qui subissent bien plus de variations. Par ailleurs, une partie de l'hydroélectricité est pilotable, ce qui permet d'intégrer davantage d'éolien et de photovoltaïque. Une semaine sans vent est par exemple très impactante, et un réservoir permet justement de produire sur ces moments de creux. Pour ce qui est des périodes de sécheresse, je rappelle que le changement climatique active le cycle de l'eau. Si des périodes d'intense sécheresse et de crues sont attendues, une des manières de minimiser les impacts est justement d'utiliser les réservoirs existants qui permettent de tamponner les crues et de soutenir l'étiage des rivières, ce qui soutient de plus la biodiversité. Bien évidemment, lors de grandes crues, l'ouvrage ne permet pas de résoudre à lui seul le problème.

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Cyrille Delprat, directeur général de la Société hydroélectrique du Midi (SHEM)

Je rejoins pleinement cette idée. Les opérateurs hydroélectriques ne peuvent répondre seuls aux tensions hydriques. L'opérateur a un rôle majeur dans l'épisode de changement climatique, mais ne peut être la seule réponse qui devra passer par une évolution des consommations. En outre, les groupes énergétiques comme Engie travaillent sur ces différents aspects en s'intéressant aux énergies renouvelables dans une logique ou l'hydroélectrique comble les creux de production des autres énergies renouvelables et non l'inverse.

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élisabeth Ayrault, présidente de la Compagnie nationale du Rhône (CNR)

J'ajouterai qu'une concession intégrée permet par exemple à la CNR de travailler efficacement avec le monde agricole. Les retenues peuvent être une solution, mais ne doivent pas être la seule. Nous accompagnons également une démarche de changement des pratiques culturales. Le monde agricole reconnaît de plus en plus qu'une partie des sols sont artificialisés par les pratiques actuelles. Un goutte-à-goutte s'intéresse par exemple uniquement au pied de la plante et ne s'intéresse plus à la culture de la terre. Lorsque l'eau tombe du ciel sur les bassins versants, elle devrait pouvoir pénétrer les sols et recharger les nappes tout en permettant aux plantes de pomper dans le sol leurs besoins. Or, comme les sols deviennent durs à cause de ce goutte-à-goutte, l'eau ruisselle et ravine les sols, engendrant qui plus est des crues plus violentes que par le passé. Les dernières années sont toujours extrêmes, le mois d'avril 2021 étant par exemple le plus sec des 10 dernières années. L'accélération de ces phénomènes est de fait inquiétant et nous impose de sortir du simple constat de la gestion de l'eau et d'englober les bassins versants afin d'aider le monde agricole.

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Yves Giraud, Directeur d'Electricité de France (EDF) Hydro

En effet. Sur la Provence, nous parvenons à des solutions gagnant-gagnant d'économies d'eau et de financement aux agriculteurs afin qu'ils s'équipent en moyens économisant l'eau. Nous y parvenons en mettant les différents acteurs autour d'une même table, car nous sommes attachés à cette gestion de l'eau au sens large et intégrant du terme.

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Cyrille Delprat, directeur général de la Société hydroélectrique du Midi (SHEM)

J'attire votre attention sur le fait que la mise en œuvre d'une quasi-régie et d'une mise en concurrence pourrait mener la SHEM à être la seule entité mise en concurrence, ce qui nous inquiète fortement. Nous serions probablement exposés à des pertes de concessions et des pertes d'emploi.

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Merci à vous pour vos réponses que vous pourrez compléter par écrit en répondant au questionnaire.

La réunion se termine à dix-sept heures trente.