Commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire

Réunion du mercredi 4 mars 2020 à 15h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • CSM
  • conférence
  • indépendance
  • instruction
  • juridiction
  • magistrat

La réunion

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La séance est ouverte à 15 heures 30.

Présidence de M. Ugo Bernalicis, président.

La Commission d'enquête entend Mme Joëlle Munier, présidente de la Conférence nationale des présidents de TGI.

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Nous recevons à présent Mme Joëlle Munier, ainsi que MM. Benjamin Deparis et Christophe Mackowiak.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mme Joëlle Munier, puis MM. Benjamin Deparis et Christophe Mackowiak prêtent serment.)

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Joëlle Munier, présidente de la CNPTJ

Je vous remercie d'avoir sollicité notre audition dans le cadre de votre commission d'enquête. Je vais d'abord vous présenter brièvement la Conférence nationale des présidents de tribunaux judiciaires (CNPTJ), anciennement Conférence nationale des présidents de tribunaux de grande instance (CNPTGI). Cette nouvelle dénomination est effective depuis le 1er janvier 2020. Notre conférence réunira son assemblée générale modificative le 27 mars prochain. Nous modifierons officiellement le nom de notre association à cette occasion.

Créée en 2006, la conférence regroupe plus de 80 % des présidents de tribunaux judiciaires. Elle est gérée par un conseil d'administration qui comprend neuf membres élus, qui désignent parmi eux les membres du bureau et son ou sa présidente. Se tiennent à mes côtés les deux vice-présidents de la conférence, et j'ai moi-même été élue à la tête de cette association. La CNPTJ représente également les présidents des conférences régionales. Tous les membres et tout le territoire sont représentés, y compris le territoire ultramarin. Notre organisation est fonctionnelle, par nature pluraliste et sans lien politique ni syndical.

Elle intervient essentiellement par le biais de participations à de nombreux groupes de travail, de publications et d'auditions, telles que celle-ci, dans trois champs principaux : l'organisation judiciaire, les libertés individuelles et l'institution judiciaire, son indépendance, sa place au sein des pouvoirs publics et son autonomie budgétaire. Cette audition s'inscrit donc parfaitement dans le champ de notre conférence.

Je commencerai par des éléments de définition. Votre commission d'enquête porte sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire. Il me semble nécessaire de préciser le sens que nous donnons, nous, magistrats, à ces termes d'indépendance et de pouvoir judiciaire. Le terme de pouvoir judiciaire n'est pas anodin. Il ne nous heurte pas en soi, s'il s'agit de l'entendre comme ce troisième pouvoir que Montesquieu estimait indispensable de consacrer pour assurer l'équilibre des pouvoirs dans un système de gouvernement. Ce n'est pas ce qui résulte de la Constitution de 1958, qui, selon un héritage assez complexe et méfiant vis-à-vis de la justice judiciaire, a fait de celle-ci une simple autorité, même si son indépendance est reconnue et garantie par le chef de l'État, appuyé par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM).

Comme le rappelait Bertrand Louvel, premier président de la Cour de cassation, notre construction est un peu hybride. D'une part, le jugement des procès est confié à cette autorité judiciaire dont l'indépendance est garantie par le CSM, et, d'autre part, le ministère de la justice, administration appartenant à l'exécutif, a autorité sur tout ce qui est nécessaire au fonctionnement des juridictions, en termes de moyens financiers et de gestion des personnels. Cette construction hybride implique d'envisager la question posée de manière un peu différente.

À certains égards, depuis de nombreuses années, les choses ont évolué. La justice a peut-être pris les traits d'un pouvoir judiciaire, avec le développement de nouveaux droits fondés sur les droits fondamentaux, avec la pénalisation de pans importants de la vie sociale, voire politique, avec l'apparition de fonctions de régulation d'ordres juridiques non hiérarchisés – ordre constitutionnel, ordre européen et ordre international. Pour autant, la justice judiciaire n'a pas le statut de pouvoir judiciaire. Elle peine d'ailleurs à trouver une place équilibrée autour des pouvoirs législatif et exécutif.

Si l'autorité judiciaire n'est pas un pouvoir judiciaire, c'est qu'elle n'a pas d'autonomie budgétaire. Cette absence d'autonomie financière la prive de ce statut de vrai pouvoir à part entière. Nous y reviendrons, puisque qu'il s'agit d'un point essentiel de notre indépendance.

J'en viens à la définition que nous donnons de la notion d'indépendance. L'indépendance de l'autorité judiciaire est affirmée par l'article 64 de la Constitution. Le statut de la magistrature en fait de multiples applications, mais force est de constater qu'elle n'est définie par aucun texte. Le Conseil constitutionnel s'est exprimé à ce sujet, avec des formules variables. Toute la question est de savoir si l'indépendance est celle que l'on attache à l'institution, à la personne du magistrat ou à la fonction qu'il exerce.

La Commission européenne pour l'efficacité de la justice (Cepej), émanation du Conseil de l'Europe, distingue l'indépendance interne, indépendance de chaque juge dans sa fonction de juger, de l'indépendance externe. Au cours de nos échanges, il est important que nous abordions cette indépendance selon une vision large, qui ne soit pas seulement la liberté de l'acte de juger, mais aussi une notion d'indépendance enrichie de plusieurs regards, le regard que les magistrats portent sur eux-mêmes et celui que les tiers extérieurs à l'institution portent sur l'institution judiciaire. Nous nous intéresserons donc à l'indépendance dans l'acte de juger, l'indépendance dans le fonctionnement des tribunaux, l'indépendance vue par les magistrats et l'indépendance d'un point de vue extérieur.

Les thèmes de votre commission sont vastes. En tant que présidents chargés de d'appliquer la justice et de permettre aux juges d'exercer leurs missions, il nous semble crucial de nous intéresser d'abord aux aspects budgétaires.

Rappelons quelques principes dégagés sur le plan européen. Le Comité des ministres du Conseil de l'Europe a affirmé, dans sa recommandation CM/Rec(2010)12 : « Chaque État devrait allouer aux tribunaux les ressources, les installations et les équipements adéquats pour leur permettre de fonctionner dans le respect des exigences énoncées à l'article 6 de la Convention [européenne de sauvegarde des droits de l'homme] et pour permettre aux juges de travailler efficacement. […] Le pouvoir d'un juge de statuer dans une affaire ne devrait pas être uniquement limité par la contrainte d'une utilisation efficace des ressources ». Parmi les critères adoptés par la Commission européenne pour la démocratie par le droit, dite Commission de Venise, pour déterminer si un État peut être qualifié d'État de droit, figure la question de savoir si l'autonomie budgétaire et l'autonomie financière de la justice sont garantis. La Commission de Venise pose la question suivante : «… le budget comporte-t-il une rubrique spéciale pour la justice, avec interdiction à l'exécutif de la réduire […] ? ».

Une fois rappelés ces points définis sur le plan européen, examinons notre système et notre fonctionnement. Nous ne pouvons pas dire que la justice judiciaire – je ne parle que de la justice judiciaire – dispose d'un fonctionnement sur le plan budgétaire entièrement conforme à ces prescriptions.

Voici un exemple concret. Les standards européens et la Commission européenne pour la démocratie par le droit indiquent que le budget doit comporter une rubrique spéciale pour la justice, avec interdiction à l'exécutif de la réduire. Or, voyez la situation des magistrats à titre temporaire (MTT). Ces magistrats sont parfaitement intégrés au sein du corps de la magistrature et figurent désormais en tant que tels dans le statut de la magistrature, dans l'ordonnance de 1958. Des dispositions budgétaires les concernent et ils peuvent intervenir dans nos juridictions, selon le texte, « dans la limite de 300 vacations par an », leur salaire étant en effet constitué de vacations. Au milieu de l'année 2018, voilà un peu moins de deux ans, alors que tous les présidents avaient organisé leur juridiction avec la participation des MTT, conformément aux décisions prises en assemblée générale d'attribution des moyens aux services, il nous a été annoncé que les 300 vacations par an ne pourraient pas être financées. Ces magistrats sont, je le répète, des magistrats relevant du statut de la magistrature. Quant à nous, présidents, nous ne pouvons pas opposer cette interdiction, définie par les textes européens, aux préconisations de l'exécutif de réduire la ligne budgétaire des MTT. Je ne développerai pas toutes les conséquences de cette mesure sur notre organisation et sur nos délais de traitement des dossiers.

Cette réduction a conduit la CNPTJ, qui intervient dans de nombreux groupes de travail, notamment celui que présidait le professeur Bouvier, et qui était intitulé « Quelle indépendance financière pour l'autorité judiciaire ? », à soutenir la création de mécanismes budgétaires permettant, a minima, d'interdire le gel de crédits. Il s'agit de consacrer la spécificité du budget de l'autorité judiciaire, votée par le Parlement dans la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), et de l'exonérer de mesures de gel budgétaire décidées par l'exécutif en cours d'exécution.

Ce gel des crédits et ces difficultés budgétaires sont particulièrement prégnants pour l'autorité judiciaire. Ils n'existent pas pour la justice administrative. Votre commission, même si elle porte sur le pouvoir judiciaire, s'intéresse aussi à la justice administrative, comme le montre l'audition à venir de membres du Conseil d'État. La juridiction administrative et financière, notamment depuis 2006, avec la création de la mission « Conseil et contrôle de l'État », est détachée de la mission « Justice », et n'est pas frappée par ces possibilités de gel.

A minima, la conférence avait demandé d'interdire le gel de crédits. J'insiste sur le fait que ce gel constitue une atteinte au fonctionnement de nos juridictions et au délai des jugements rendus. Les délais s'allongent, parce que nous sommes obligés de retirer des magistrats de nos services.

Les moyens mis à disposition de l'autorité judiciaire pour son fonctionnement sont aussi impactés par ceux légitimement mis à disposition d'autres programmes, notamment de l'administration pénitentiaire. La mission « Justice » contient six programmes : « Justice judiciaire », « Administration pénitentiaire », « Protection judiciaire de la jeunesse », « Accès au droit et à la justice », etc. L'administration pénitentiaire constitue une part importante de la mission. En sus, une part substantielle des crédits sont fléchés. Du moment où les crédits sont fléchés, ils lient les chefs de cour et de juridiction. Voilà pour notre fonctionnement interne.

Notre approche du fonctionnement de la justice judiciaire doit être plus large et complète. Elle ne peut faire l'économie d'une analyse des interactions budgétaires avec les moyens consacrés aux différents programmes de la mission « Justice », mais aussi avec ceux des collectivités territoriales, du moins ceux des autres instances. La justice ne doit pas être examinée seule ou faire l'objet d'analyses en silo. Sa place doit être analysée au sein de l'État et, par conséquent, au sein de notre démocratie. Nous devons percevoir les possibles atteintes à l'indépendance tant en amont de la décision judiciaire – prévention, frais de justice, police judiciaire – qu'en aval, sur l'exécution. Le spectre d'analyse devrait être plus large.

Voici quelques exemples très concrets. Les juges des enfants travaillent aussi bien sur l'enfance en danger que sur les mineurs délinquants. Prenons le cas des mineurs délinquants. Un mineur est présenté pour des faits dans lesquels le parquet va peut-être requérir un mandat de dépôt, donc une incarcération. Le juge va solliciter les services de la protection judiciaire de la jeunesse pour rechercher des solutions alternatives à l'incarcération, au vu de la personnalité du mineur. Les moyens des lieux d'accueil possibles dépendent du financement de la protection judiciaire, donc du programme « Protection judiciaire de la jeunesse ». Il arrive que les services de la protection judiciaire indiquent au juge des enfants qu'ils n'ont pas de solution alternative, non pas parce qu'il n'y en a pas correspondant à la personnalité de ce mineur, aux faits commis ou au parcours établi, mais parce qu'il n'y a pas de place ; et il n'y a pas de place parce qu'il n'y a pas de financements suffisants, à hauteur du nombre de places nécessaires. Voilà une atteinte à la décision juridictionnelle, donc à l'acte de juger du juge des enfants, qui, ne pouvant prendre une décision alternative à l'incarcération, va décider l'incarcération. Ces faits concernent bien le budget de la mission « Justice ».

Le juge des enfants travaille aussi sur les mineurs en assistance éducative, les mineurs en danger. Les mesures de placement et d'assistance éducative en milieu ouvert, comme le nombre de places disponibles, relèvent du budget des conseils départementaux. Pour une situation donnée de danger pour un mineur, le juge des enfants peut faire le choix d'orienter ce mineur vers une mesure d'assistance éducative. La famille apprend que cette mesure ne sera exécutée que dans trois, quatre ou six mois ; or, le danger est bien réel et immédiat. Une association avertira alors le juge qu'elle peut proposer de mettre en œuvre une mesure plus rapide, mais moins adaptée. Que fait le juge des enfants face à ce dilemme ? Prendre la bonne mesure, qui sera exécutée dans les six mois, ou prendre une mesure moins adaptée, mais immédiate ? Voilà qui ne relève pas du budget de la mission « Justice », mais des conseils départementaux.

Je pourrais multiplier les exemples. Les points de rencontre, donc les visites médiatisées organisées par les juges aux affaires familiales, sont en grande partie financés par les caisses des affaires familiales (CAF), qui ne dépendent pas du budget de la mission « Justice ». Il en va de même pour des décisions juridictionnelles de juges d'instruction, qui peuvent être modifiées en fonction des possibilités ou non d'exécution d'une commission rogatoire par un service d'enquête, ou en fonction des possibilités d'extraction des mis en examen. Un juge d'instruction, dans un dossier de stupéfiants avec quatre ou cinq mis en examen et des détentions dans des maisons d'arrêt différentes pour éviter les concertations, doit organiser des confrontations. Il doit solliciter l'administration pénitentiaire, qui est maintenant chargée des extractions judiciaires sur l'ensemble du territoire national. Il peut se voir opposé des refus d'extraction, car trois personnes peuvent être extraites et deux autres non, le même jour à la même heure. Il ne peut organiser de confrontation générale. Est-ce une atteinte à l'indépendance de la justice et au pouvoir juridictionnel des magistrats ?

La conférence appelle à une vraie analyse budgétaire transversale. Il ne s'agit pas de se limiter au programme « Justice judiciaire » et à la mission « Justice », mais d'envisager, d'une façon générale, la place du budget de la justice judiciaire au sein de l'État. Nous appelons donc à une réflexion sur un rééquilibrage, voire une institutionnalisation d'un dialogue entre le Parlement et l'autorité judiciaire sur ces aspects budgétaires. Le Parlement pourrait être mieux informé, notamment lors de la présentation de la demande budgétaire par les ministres. Le CSM pourrait être notre voix et pourrait adresser des observations ou des mises en garde au Parlement sur l'adéquation ou l'inadéquation éventuelle des demandes avec les besoins.

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Le rapporteur m'indique que nous n'avons plus qu'une demi-heure devant nous. Vos propos sont très intéressants, je vous laisse aller vers votre conclusion, sans difficulté. Nous souhaiterions ensuite vous poser des questions.

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Joëlle Munier, présidente de la CNPTJ

Les aspects budgétaires nous paraissent prégnants, mais vous vous interrogez également sur les garanties statutaires. Les positions de la conférence ont pu évoluer. Se dégage une vision globalement unanime et consensuelle sur une base minimale d'alignement du statut du parquet sur celui du siège, avec au moins un avis conforme du CSM et l'alignement de la procédure disciplinaire. Nous pourrions ainsi répondre aux standards internationaux, favoriser une approche de l'indépendance vue de l'extérieur et protéger la nomination des magistrats du parquet de toute suspicion.

Cette évolution est nécessaire, mais certainement pas suffisante. Comme en matière budgétaire, l'idée de la conférence serait de s'interroger réellement sur le rôle que l'on veut donner au CSM, notamment sur son rôle dans la gestion du corps. J'avais repris les propos du premier président Louvel, qui parlait de statut et de fonctionnement « hybrides ». N'y aurait-il pas une réflexion à mener sur l'opportunité de confier au CSM de véritables fonctions de gestion du corps, outre celles de contrôle et de suivi des moyens financiers ? Cela nécessiterait d'ériger le CSM en conseil de justice, en le reconnaissant en tant que tel et en lui assurant, aussi, une autonomie budgétaire. Telle était l'une des propositions du rapport du professeur Bouvier, à laquelle le CSM, à l'époque, a adhéré.

La conférence souhaite aborder l'indépendance de manière large. Dans l'acte de juger au quotidien, certaines améliorations seraient certes possibles, mais nous ne constatons pas de réelles difficultés, excepté les problèmes budgétaires dont j'ai parlé. Ensuite, il nous faut nous interroger sur cette indépendance d'un point de vue extérieur, et donc sur les questions de statut. Faut-il maintenir le caractère hybride de notre fonctionnement ? Jean-Louis Debré a publié un texte rappelant ce qu'avaient été les volontés de son père en 1958, qui disait envisager que le ministre de la justice, bien que désigné par le chef de l'État, ne soit pas un membre du Gouvernement, mais un ministre autonome, détaché, pour pouvoir porter différemment la parole de la justice judiciaire.

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Madame, je vous remercie. Vous pouvez nous transmettre par voie écrite toutes les réponses aux questions qui vous ont été adressées par le rapporteur.

Madame, messieurs, avez-vous, dans vos fonctions respectives, eu à connaître des manquements à l'indépendance, qu'il s'agisse de l'indépendance des tribunaux que vous dirigez ou de pressions sur vos personnes ou sur vos fonctions ? Il n'est pas nécessaire de revenir aux exemples que vous avez pu donner à l'instant en matière budgétaire.

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Christophe Mackowiak, vice-président de la CNPTJ

Dans la prise de décision dans un dossier juridictionnel, non. Les principaux obstacles rencontrés sont effectivement des obstacles de ressources humaines ou budgétaires. Dans l'étude d'un dossier ou dans la prise de décision, je ne subis aucune influence autre que celle liée à ma propre personnalité, avec laquelle je suis bien obligé de travailler.

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Benjamin Deparis, vice-président de la CNPTJ

Je n'ai jamais eu à subir la moindre influence ou à recevoir la moindre directive, encore moins d'un quelconque pouvoir exécutif. Je suis président depuis quatorze ans et j'ai présidé quatre juridictions. Il en va de même pour mes collègues. En tant que magistrat, je n'ai pas eu non plus a connaître de pressions ; ce point mérite d'être souligné, car voilà un fait très positif dans notre pays. Pour autant, il ne faut pas être naïf, des affaires sont plus sensibles que d'autres. Évidemment, un environnement de pression peut exister, mais une pression n'est pas une directive, et il revient au magistrat de savoir résister. Cela fait partie des valeurs de son métier : courage et intériorisation de l'ensemble des dimensions de la décision juridictionnelle. Une dimension collective des affaires peut toucher non seulement l'exécutif, mais aussi des entités publiques ou des lobbies privés. Il a pu m'arriver de sentir une pression, mais qui n'a eu aucune influence sur la décision juridictionnelle. En ce qui concerne mes collègues, je n'ai également jamais eu de retour au sujet d'une prise de parole d'un quelconque pouvoir public qui ait pu influencer une décision judiciaire. Voilà qui est très positif.

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Christophe Mackowiak, vice-président de la CNPTJ

On a fait le reproche aux magistrats d'être dans une tour d'ivoire, coupés de la société. Ce n'est pas le cas. Le magistrat est, comme tout citoyen, sensible à son environnement. Il ne peut pas s'en extraire complètement, et il doit prendre la distance nécessaire par rapport à l'évolution et aux mouvements de la société.

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Joëlle Munier, présidente de la CNPTJ

Il appartient aux présidents de juridiction de veiller à ce que les magistrats respectent l'ensemble des obligations déontologiques et des exigences d'impartialité de la justice. Nous pouvons noter des évolutions importantes, qui viennent non pas d'une exigence au sein du corps, mais du souhait de répondre aux attentes de la société. Les entretiens de déontologie avec le président de la juridiction et la déclaration d'intérêts, imposés à tous les magistrats, ont été institutionnalisés. Ainsi, le président a l'obligation d'organiser les services de manière à éviter les conflits d'intérêts ou de possibles pressions. Cette évolution est très positive.

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Au fil des auditions, nous constatons que l'indépendance de la fonction tient beaucoup à la personne qui l'exerce et à sa faculté, à un moment donné, à ne pas se laisser influencer par des pressions directes ou indirectes. Visiblement, les pressions directes sont rares – tant mieux – d'après les témoignages reçus. Elles ne sont pas non plus inexistantes, mais restent assez marginales.

La collégialité ne permet-elle pas une meilleure indépendance ? La collégialité a été restreinte dans un certain nombre de lois successives, selon l'idée que le juge, seul dans son coin, pouvait tout à fait prendre des décisions indépendantes. Je pense que cela est effectivement possible, mais est-ce que ce n'est pas plus rassurant, pour le juge lui-même, de se savoir intégré à un collège, que ce soit à l'instruction ou dans les formations de jugement en tant que telles ?

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Benjamin Deparis, vice-président de la CNPTJ

Tout à fait. Toutes les affaires les plus sensibles, qui pourraient prêter le flanc à une critique de partialité font l'objet d'une décision collégiale, compte tenu soit des peines encourues au pénal, soit des enjeux en matière civile. La collégialité est clairement une garantie pour le contenu de la décision, pour la protection du juge lui-même et pour sa vision du dossier. Cela vaut également en matière d'instruction : tous les dossiers les plus sensibles et les plus complexes, que ce soit au tribunal de Paris, mais aussi en province, dans les juridictions interrégionales spécialisés, sont examinées en co-saisine et en collégialité dans les phases de jugement. Cela n'empêche pas que certaines affaires locales, d'une certaine sensibilité, puissent être jugées par un juge unique. La collégialité est un garde-fou, c'est notre ADN premier, ce qui n'empêche pas que des fonctions à juge unique viennent également mettre le magistrat face à ses responsabilités dans des affaires de moindre importance.

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Christophe Mackowiak, vice-président de la CNPTJ

Dans l'ensemble, nous sommes tous favorables à la collégialité. C'est une garantie, pour le citoyen, que son dossier soit examiné avec plusieurs regards. Pourquoi n'a-t-on pas suffisamment de collégialité ? Je pense que ma collègue vous a expliqué tout à l'heure les difficultés budgétaires que connaît la justice, et qui résultent du choix du législateur. Le législateur nous permet de fonctionner à juge unique dans certains contentieux : en appel de certaines décisions correctionnelles, vous pouvez maintenant être jugé par un juge unique.

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Joëlle Munier, présidente de la CNPTJ

Je confirme bien évidemment les propos de mes collègues. Cette collégialité est importante. Nous voyons toujours les atteintes à l'indépendance sous le prisme pénal, or, 70 % de notre activité n'a rien à voir avec le pénal, ce qui n'empêche pas que la collégialité soit une garantie. La conférence participe a beaucoup de groupes de travail. Nous avons participé dernièrement au groupe de travail présidée par Henri Nallet sur la réflexion autour du pourvoi en cassation et sur un éventuel filtrage Dans cette instance, nous avons porté la voix des juridictions de première instance, en disant qu'il était important que la collégialité soit mise en œuvre dès le jugement en première instance.

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J'en viens à un élément récent. La presse s'est fait l'écho d'un courriel envoyé par le directeur-adjoint du cabinet de la garde des Sceaux concernant le débat actuel sur les retraites, courriel qui aurait été envoyé à toutes les conférences de magistrats, donc a priori à la vôtre. Avez-vous reçu ce message du directeur-adjoint de cabinet de la garde des sceaux ? Pensez-vous que recevoir ce genre de communication soit bienvenu, étant donné qu'elle ne vous est pas adressée au titre de magistrats ou présidents de tribunaux, mais qu'elle est adressée à une association, qui n'est pas l'institution en tant que telle. Nous voyez-vous pas une certaine confusion dans le rôle respectif des uns et des autres ?

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Joëlle Munier, présidente de la CNPTJ

Je ne sais pas de quel courriel ou de quel document vous parlez exactement. Il m'est donc difficile de vous répondre précisément. L'ensemble des conférences entretiennent des relations institutionnelles avec la chancellerie, au sens large, que ce soit avec la ministre, son cabinet ou les directions. Les communications avec les conférences sont institutionnelles : nous avons notamment reçu les communiqués de la garde des Sceaux sur les retraites et nous les diffusons, ou pas, aux différents membres de notre conférence, sans apporter un quelconque commentaire.

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Christophe Mackowiak, vice-président de la CNPTJ

La conférence n'est pas le représentant de la chancellerie.

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Christophe Mackowiak, vice-président de la CNPTJ

La conférence est une association qui représente uniquement ses membres, conformément à son propre ordre du jour. Ensuite, dans la société, je ne trouve pas anormal qu'une communication existe. Nous recevons des informations des syndicats. Nous recevons un très grand nombre de communications par courriel. Toutefois, nous ne sommes les porte-parole que de nos membres.

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Je suis très heureux de vous l'entendre dire. Je n'en doutais absolument pas. Je vous parlais simplement du courriel que j'ai sous les yeux et qui a circulé sur les réseaux sociaux, proposant une sorte de vrai-faux sur la réforme des retraites et invitant les chefs de juridiction à l'utiliser pour répondre aux sollicitations des avocats. Si vous ne l'avez ni reçu ni utilisé, voilà qui respecte mieux le rôle de chacun.

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Tant mieux ou tant pis ! Les magistrats ne sont pas hors-sol. Madame la présidente, vous avez beaucoup insisté sur l'aspect budgétaire ; je vous en remercie. Contrairement, peut-être, à d'autres témoignages, vous avez émaillé votre propos d'exemples précis. En vous écoutant avec attention, je me demandais si, dans votre esprit, l'indépendance du monde judiciaire exigeait qu'il soit financièrement autonome ? Quel est le prix de l'indépendance ? Jusqu'où faudrait-il aller pour que les moyens vous paraissent suffisants, afin de vous considérer indépendants ? Je serais assez agréablement surpris si vous pouviez nous donner l'exemple d'un État, en Europe ou ailleurs, qui assure une indépendance complète de sa justice au plan financier, pour que nous puissions aller le visiter.

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Christophe Mackowiak, vice-président de la CNPTJ

Pour la réponse budgétaire, vos regards devraient se tourner vers l'Autriche.

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Christophe Mackowiak, vice-président de la CNPTJ

Vos regards devraient se tourner vers l'Autriche !

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Les Autrichiens mettent 100 % de leur budget dans la justice ?

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Christophe Mackowiak, vice-président de la CNPTJ

La lecture du dernier rapport de la Cepej montre que les juges autrichiens ne connaissent pas de difficultés financières ; toutefois, ils ont d'autres modes de financement.

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Joëlle Munier, présidente de la CNPTJ

Nous avons examiné la situation d'autres pays, essentiellement à travers l'Europe. La question porte sur la dotation de ressources propres à l'autorité judiciaire. En Autriche, l'autorité judiciaire dispose de telles dotations.

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Je vais préciser ma question. S'agit-il d'une question de moyens globaux, qui ne sont jamais suffisants, quoi qu'il arrive ? Ou s'agit-il d'une question liée aux moyens d'exécution du budget, par exemple à une dose d'autonomie que vous n'avez pas ? Soyez plus précis, s'il vous plaît, et toujours en gardant à l'esprit le prisme de l'indépendance, sur laquelle porte la commission. Il ne s'agit pas d'un débat général sur la justice.

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Joëlle Munier, présidente de la CNPTJ

Nous pourrions souhaiter disposer de moyens toujours plus importants, et qui ne seraient jamais suffisants. Il s'agit en fait d'une question d'équilibre au sein des différents budgets et de la fiabilité des prévisions quant aux moyens qui nous sont alloués. L'exemple des magistrats à titre temporaire, que j'ai développé tout à l'heure, est parlant. Il nous est dit : « dans la limite de 300 vacations par an ». Nous préfèrerions savoir dès le début d'année que nous n'aurons à disposition que 200 vacations par magistrat, ce qui nous permettrait d'organiser nos services et de prévoir nos délais de traitement des dossiers et nos audiences en conséquence. Il en va de même pour toutes les questions liées aux ressources humaines et au nombre de magistrats ou de greffiers. Nous pourrions enfin planifier notre travail correctement.

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Y voyez-vous une différence sensible avec la justice administrative ?

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Benjamin Deparis, vice-président de la CNPTJ

Oui. Le système du gel et du dégel budgétaire n'existe pas en matière de justice administrative. La lettre de cadrage du Premier ministre, à l'ouverture des crédits, sanctuarise les crédits pour l'année complète. Pour la justice judiciaire, nous souhaiterions a minima l'association d'un conseil de justice ou du CSM à un dialogue avec le Parlement, en amont et en aval, avec des pouvoirs de recommandation budgétaire.

Surtout, nous souhaitons un décloisonnement des budgets opérationnels de programme pour disposer d'une vraie transversalité. Est-ce acceptable qu'un juge aux affaires familiales ne puisse pas prendre une décision parce qu'elle ne peut être exécutée, parce que tout simplement elle relève d'un programme de financement de la politique associative ? Ces mesures devraient figurer au rang des frais de justice, malgré la complexité que cela implique. Nous vous avons donné des exemples. Des mesures relèvent d'autres entités publiques, comme les collectivités locales, ou du financement de la vie associative, via le programme « Accès au droit et à la justice », via les comités de financeurs, qui réunissent la CAF, les associations, etc. La question est de savoir comment sanctuariser les crédits, comment rendre ces crédits transversaux et comment disposer d'une véritable comptabilité analytique, qui sera aussi très utile au contrôle parlementaire.

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Je n'ai pas très bien compris quelle solution vous proposiez pour définir le rôle du CSM dans la gestion du corps. Dans le cadre de nos institutions, le CSM, actuellement, n'est pas un conseil de justice qui garantirait une indépendance parfaite, y compris fonctionnelle, par rapport au ministère de la justice. En restant dans le cadre de nos institutions, quelles sont les préconisations de la conférence des présidents ? Jusqu'où aimeriez-vous aller ?

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Christophe Mackowiak, vice-président de la CNPTJ

À périmètre quasiment constant – je précise – nous souhaiterions des évolutions…

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Christophe Mackowiak, vice-président de la CNPTJ

Nous revenons à la question budgétaire. Nous ne sommes pas naïfs : un budget, cela se discute. Il faut convaincre. Que souhaitons-nous ? Par exemple, dans ma juridiction, je dois disposer de 75 magistrats au siège. Que l'on me donne 75 magistrats au siège ! S'il en faut plus, à moi de convaincre de la nécessité de disposer de plus de magistrats. Si l'on me dit que j'ai besoin de 312 fonctionnaires, n'en disposer que de 280 crée des difficultés de fonctionnement.

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C'est le fonctionnement normal du débat budgétaire !

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Christophe Mackowiak, vice-président de la CNPTJ

Certes, sauf que l'on me dit que, pour mon fonctionnement normal, avec des délais raisonnables, je dois disposer de 75 magistrats et 312 fonctionnaires. Nous souhaiterions que le CSM puisse au moins porter un regard sur le budget. Notre budget est globalisé, or, lors de la répartition de ce budget, des services judiciaires ne sont, actuellement, pas suffisamment dotés. L'administration pénitentiaire est mieux dotée – elle en a besoin, nous ne le contestons pas. Nous souhaitons que le CSM puisse alerter quant aux conséquences des votes budgétaires sur le fonctionnement de la justice et sur son indépendance, qui est liée à son fonctionnement. L'inspection de la justice doit-elle être sous l'autorité du CSM ou de l'exécutif ? Voilà une question pertinente.

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Si j'étais taquin – ce que je ne suis évidemment pas pour ceux qui ne connaissent – je dirais que, finalement, il ne devrait pas y avoir de problème, puisque la plupart des membres de la direction des services judiciaires, donc de l'administration centrale, sont des magistrats, qui gardent leur qualité de magistrat, et qui ont à cœur, j'imagine, de préserver l'indépendance de l'institution judiciaire et ses moyens de fonctionnement. Cette position administrative de magistrats en administration centrale fait-elle débat ? Ne les empêche-t-elle pas d'assurer le plein exercice de leur statut, pour garantir votre indépendance ? Cette présence de magistrats en administration centrale devrait permettre de prendre les décisions adéquates pour la bonne allocation des crédits et pour un bon conseil de la ministre, afin qu'elle puisse rendre compte à l'Assemblée nationale des besoins nécessaires dans la juridiction. Voulez-vous transférer ces prérogatives au CSM ? N'est-ce pas faire offense à vos collègues qui sont en administration centrale ?

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Joëlle Munier, présidente de la CNPTJ

Ce n'est pas une question de personnes. La présence de magistrats est bénéfique, car nos collègues connaissent le fonctionnement des juridictions et le terrain. Le point qui pèche est la conception et l'organisation actuelle de ce système hybride, certainement pas les personnes qui y prennent part.

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Benjamin Deparis, vice-président de la CNPTJ

Une question de vision est en jeu. Ceux qui exercent ces responsabilités relèvent à juste titre que le système peut être bon pour les juridictions, parce qu'il crée une fongibilité entre tous les programmes de la mission « Justice ». Cette organisation peut être positive sur des fenêtres de tir budgétaires : des services judiciaires peuvent se voir attribuer des moyens qui étaient prévus pour d'autres directions. Dans l'ensemble, l'urgence en cette matière se tourne vers l'administration pénitentiaire. Il s'agit plus d'une question de principe et de ne pas déplacer le problème ; il s'agit de savoir comment nous pouvons mieux associer l'expression des besoins des juridictions aux discussions budgétaires.

Monsieur le rapporteur, vous avez exercé bien avant moi dans une juridiction que j'ai présidée, frontalière de la Suisse. Vous parliez tout-à-l'heure des systèmes européens. En Suisse, l'expression des besoins par la juridiction se fait de la manière suivante : elle a lieu directement, en fonction de chaque système cantonal, devant l'autorité délégataire du pouvoir financier, qu'elle soit législative ou exécutive. Trouver le meilleur système possible ne relève pas d'un coup de baguette magique, mais à nous de trouver une formule adéquate. En Europe, d'ailleurs, les systèmes sont très différents.

Il ne s'agit pas de déplacer le problème, mais de trouver comment sanctuariser des crédits dans la continuité, a minima sur une année, et comment permettre l'expression et l'entente des besoins. Les conférences des présidents, comme la conférence des premiers présidents que vous entendrez, l'avaient déjà dit par le passé. Tout a été dit dans le rapport Bouvier. Certaines de nos délibérations et celles de la conférence des premiers présidents sont incluses dans ce rapport. La question est de savoir comment entendre l'expression des besoins et comment les satisfaire, dans un monde qui ne sera évidemment jamais idéal.

Vous parliez aussi, tout à l'heure, d'objectivation. Nous disposons de quelques éléments européens de comparaison, grâce à la Cepej. Le déficit de magistrats, en France, est de 50 % par rapport à la moyenne des pays avancés européens.

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Benjamin Deparis, vice-président de la CNPTJ

Certes, ces données doivent toujours être relativisées, mais trouver la juste allocation des moyens des juridictions passe par, a minima, un avis en amont et en aval d'un conseil de justice, qui puisse s'exprimer publiquement dans un dialogue sain, démocratique et adulte, au sein d'une démocratie ancienne.

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Joëlle Munier, présidente de la CNPTJ

Nous souhaiterions que ce dialogue puisse avoir lieu dans le cadre d'une loi de programmation.

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En tant que présidents de juridiction, c'est vous qui orientez les dossiers dans les cabinets d'instruction. Une clarification est-elle nécessaire, pour lever certains soupçons – qui n'ont sans doute pas lieu d'être – quant à l'impartialité de la répartition ?

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Benjamin Deparis, vice-président de la CNPTJ

Je me permets de répéter certains propos que j'ai tenus à M. le rapporteur, dans un autre cadre, au cours d'une mission d'information. Alors que nous sommes les supérieurs hiérarchiques administratifs des juges d'instruction, nous sommes les seuls à ne pas avoir accès au dossier d'information. Pourtant, nous devons proposer des évaluations. Nous ne connaissons pas le travail des instructions. Comment faire pour désigner quand on ne connaît pas ? Dès lors, que se passe-t-il ? Le tableau de roulement est mis en œuvre pour les affaires avec présentation ordinaire. Les désignations spéciales concernent les dossiers contre X, les personnes qui ne se sont pas présentées, les demandes de co-saisine ou les co-saisines d'initiative. La désignation est alors très compliquée.

N'importe quel substitut du procureur a accès au dossier, parce que le parquet est indivisible. Le président du tribunal, lui, n'y a pas accès. Il faudrait ouvrir la notion de secret partagé, ne serait-ce qu'au regard du rôle déontologique du président. Le CSM l'a rappelé à plusieurs reprises, les présidents ont un devoir de veille sur les cabinets d'instruction, non pas sur ce qui s'y passe substantiellement, mais sur le fait que les personnes sont bien entendues régulièrement et sur les garanties que peuvent offrir les collègues dans l'instruction. À certains moments, des incompatibilités ou des situations qui ne seraient pas adaptées à certaines désignations peuvent survenir. Comment le président fait-il ? Il veille par la voie du palais, c'est-à-dire selon l'idée qu'il peut se faire de la situation.

Certains faits sont objectivés, puisque nous arrivons à obtenir des informations grâce à l'évaluation des premiers présidents, qui eux-mêmes reçoivent des présidents de chambre d'instruction l'annexe no 3 de la fiche d'évaluation et les notices que les juges d'instruction envoient aux présidents des chambres. Ce processus reste toutefois très indirect, ce qui doit nous amener à réfléchir à ce sujet, qui cependant ne pose pas de problème dans 99 % des cas, puisque les juges d'instruction sont désignés par une ordonnance de roulement, réalisée six mois à l'avance, pour le tout-venant des affaires déférées le jour même.

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Joëlle Munier, présidente de la CNPTJ

Nous tenons des assemblées générales et des commissions restreintes.

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Les modes de désignation sont-ils évoqués en assemblée générale ?

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Joëlle Munier, présidente de la CNPTJ

Tout à fait. Les juges d'instruction sont statutairement nommés dans notre juridiction. Ensuite, nous devons désigner, en assemblée générale, les magistrats qui vont remplacer les juges d'instruction en cas d'indisponibilité, de vacance, de stage, etc. Il ne s'agit en rien d'un pouvoir discrétionnaire du président. Dans l'ensemble, un tour de rôle est appliqué pour tous les déferrements, c'est-à-dire les affaires qui arrivent à la permanence avec des déferrements des personnes sur l'instant, devant le juge d'instruction. Il n'y a pas de décision dossier par dossier. Même quand des dossiers sont médiatisés, ouverts à l'instruction, le président n'est pas sollicité pour effectuer une désignation. Le tour de rôle s'applique. Voilà ce que nous appelons le « juge naturel » : il revient au magistrat désigné dans le tour de rôle de prendre ce dossier, sauf incompatibilité, c'est-à-dire sauf si le dossier concerne son voisin de palier, qu'il rencontre tous les jours.

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Pourrions-nous imaginer qu'un procureur ou un service enquêteur ne sorte une information conduisant à une instruction qu'au moment où, dans le tour de rôle, tel ou tel juge d'instruction serait désigné ?

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Joëlle Munier, présidente de la CNPTJ

Oui.

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Christophe Mackowiak, vice-président de la CNPTJ

Tout à fait. C'est la vie de tous les jours ! Pour désigner, nous tenons aussi compte des compétences. Tout le monde n'est pas capable de gérer un dossier économique et financier. Des spécialités existent, par exemple pour les mineurs. La charge des cabinets est aussi prise en compte. Un président examine l'équilibre de ses cabinets d'instruction et veille à répartir convenablement la charge de travail. Plusieurs éléments sont pris en compte.

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Je vous remercie pour vos réponses très instructives, notamment sur l'aspect budgétaire, qui m'intéresse particulièrement.

La séance est levée à 17 heures 30.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Ugo Bernalicis, Mme Émilie Guerel, M. Guillaume Larrivé, Mme Naïma Moutchou, M. Didier Paris

Excusé. - M. Ian Boucard