La réunion débute à seize heures quinze.
Madame, Messieurs, l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
Mme Marélie Arrighi, M. Guillaume Rossignol et M. Pierre Nicolas prêtent serment.
L'association Forum réfugiés-Cosi aura bientôt quarante ans. Elle est implantée dans une quinzaine de départements en France et assure l'accompagnement de plus de trente mille étrangers chaque année. Nous intervenons sur l'ensemble du parcours migratoire, non seulement dans le cadre des dispositifs de premier accueil et d'hébergement des demandeurs d'asile, mais également sur le dispositif d'intégration des personnes bénéficiant d'une protection internationale. Nous sommes également présents dans les centres de rétention administrative et nous avons des projets internationaux de sorte à disposer d'une vision plus fine des enjeux des pays d'origine des publics accompagnés. Une des spécificités de notre association réside dans ses actions de plaidoyers. En 2021, l'association emploie près de cinq cents salariés.
J'interviens aujourd'hui sur la thématique de l'accès des migrants à la formation professionnelle et à l'emploi et plus spécifiquement sur l'accès à la formation professionnelle et à l'emploi des personnes bénéficiant d'une protection internationale, c'est-à-dire des personnes réfugiées, apatrides ou bénéficiaires d'une protection subsidiaire. Il s'agit de personnes qui, à l'issue d'un parcours d'exil et de migration, sont arrivées sur le territoire français et ont sollicité et obtenu une protection, notamment en raison de craintes fondées de persécution dans leur pays d'origine. Lorsqu'ils ont obtenu ce statut, ces réfugiés ont le droit de travailler en France sans restriction et peuvent accéder à l'emploi comme n'importe quel citoyen français.
Ce statut recouvre un très grand nombre de réalités différentes et des profils très hétérogènes. En bénéficient des personnes provenant des quatre coins du monde, mais l'Afghanistan, l'Albanie, le Soudan, la Syrie et la Guinée constituent les principaux pays d'origine des migrants suivant nos programmes. Le plus souvent, ces personnes ont déjà travaillé dans leur pays d'origine et elles disposent alors d'un statut protecteur qui leur permet d'engager un parcours d'intégration sur le territoire français.
Forum réfugiés-Cosi est investi sur l'enjeu de l'intégration des bénéficiaires d'une protection internationale depuis de nombreuses années et notamment, depuis 2002, année du déploiement dans le Rhône du programme Accelair. Depuis, neuf autres programmes d'intégration ont été développés dans dix départements différents et deux régions, Auvergne-Rhône-Alpes et Occitanie. Dans ce cadre, nous accompagnons le public bénéficiaire d'un statut de protection internationale dans l'ouverture des droits, l'accès à la formation, l'emploi et l'accès au logement.
L'ensemble des programmes d'intégration fonctionne selon des principes fondamentaux identiques, mais ils sont tous différents afin de se déployer au plus près des réalités locales et des besoins des publics concernés. Le déploiement de chaque programme est systématiquement précédé d'une démarche de diagnostic territorial de sorte à identifier les besoins et les attentes des acteurs institutionnels et associatifs locaux ainsi que ceux des personnes accompagnées.
Les programmes d'intégration se déclinent selon quatre principes fondamentaux :
- une approche d'accompagnement global : l'insertion professionnelle et les questions d'hébergement, de logement, d'ouverture de droits, etc., seront traitées en parallèle de sorte à concrétiser véritablement le parcours d'intégration ;
- l'expertise de l'accompagnement réalisé par des professionnels qui disposent d'une connaissance très fine du public concerné, des spécificités liées au statut et des enjeux de l'interculturalité ;
- le travail en réseau : les partenariats institutionnels, associatifs ou de droit commun, avec des acteurs spécialisés représentent le cœur des programmes Accelair ;
- un accompagnement individuel et personnalisé : les profils du public sont variés, entre celui qui n'a jamais été scolarisé et celui qui est titulaire d'un doctorat dans son pays d'origine, par exemple.
En 2020, nous avons accompagné près de trois mille ménages dans le périmètre des dix départements, soit environ quatre mille cinq cent cinquante personnes. Mille cent contrats de travail ont été signés et neuf cent quatre-vingts adultes ont intégré une formation. Par ailleurs, nous avons facilité l'accès au logement autonome pour plus de six cents ménages qui ont signé des baux.
Le travail d'accompagnement à l'insertion professionnelle se déroule sur plusieurs niveaux. Il s'agit prioritairement d'expliquer et de familiariser le public aux techniques de recherche emploi en France.
Parallèlement, le travail de mobilisation des réseaux d'employeurs, de sensibilisation des acteurs du droit commun sur le public et de mobilisation de l'offre de droit commun est également essentiel.
Enfin, il conviendra de développer des actions spécifiques afin de combler les lacunes identifiées dans la levée des freins spécifiques à ce public. À titre d'exemple, la question de la langue est prégnante. En effet, à l'obtention du statut, 80 % des bénéficiaires d'une protection internationale présentent un niveau en français qualifié classiquement « de survie » qui ne leur permet pas d'accéder directement à l'emploi. Le parcours de langue est rarement initié au moment de la demande d'asile et il constitue un des enjeux des politiques d'accueil.
La question de la mobilité est également importante. En effet, certains pays, tels que l'Afghanistan, ont disparu de la liste des accords de réciprocité qui permettent, par exemple, un échange automatique du permis de conduire. L'enjeu de la mobilité est particulièrement crucial dans les territoires ruraux.
La reconnaissance des diplômes obtenus dans le pays d'origine constitue un véritable problème puisque 42 % du public présentent un niveau d'études supérieur au Baccalauréat et souhaitent une reconnaissance des diplômes obtenus dans leur pays d'origine.
La problématique de la garde d'enfants, notamment pour les ménages monoparentaux, peut constituer un frein à l'accession à un parcours linguistique, de formation ou d'emploi.
Enfin, certaines vulnérabilités constitue également un point essentiel, notamment les enjeux de santé mentale liés à des parcours d'exil.
Nous adhérons aux propos tenus par Forum réfugiés, sachant que JRS France a un positionnement un peu différent. JRS agit en France depuis douze ans auprès des personnes en demande d'asile et réfugiés. JRS est d'abord un réseau de familles d'accueil qui propose une hospitalité aux demandeurs d'asile qui ne sont pas pris en charge dans le dispositif national d'accueil (DNA). Notre réseau est présent dans une quarantaine de villes et a offert, depuis sa création, environ quatre cent mille nuitées à des demandeurs d'asile. Nous hébergeons environ quatre à six cents demandeurs d'asile chaque année pendant une période de six à neuf mois. Pour ce faire, nous nous appuyons sur un réseau d'environ cinq mille bénévoles.
Au-delà de ce programme d'hébergement et d'hospitalité, JRS Welcome, JRS a développé un programme interculturel, JRS Jeunes, auquel participent environ mille cinq cents jeunes exilés et français.
Les personnes accueillies à JRS sont majoritairement des hommes d'âge compris entre dix-huit et trente-cinq ans, qui ne sont pas pris en charge dans le DNA, et donc considérés peut-être comme moins prioritaires. Nous n'accueillons pas de familles et peu de femmes.
Notre programme d'accompagnement vers l'emploi et la formation est évidemment plus modeste que celui de Forum réfugiés. En moyenne, nous accueillons et accompagnons individuellement environ deux cents personnes par an, sur l'ensemble du territoire et principalement en Île-de-France. Nous proposons un accompagnement individuel d'orientation et d'information en vue d'une reprise d'études ou de formation universitaire, d'une recherche d'équivalence de diplôme ou d'emploi.
Cet accompagnement est dispensé dans le cadre de permanences d'accueil hebdomadaires ouvertes et d'un suivi individuel personnalisé sur rendez-vous, également hebdomadaire. Pour ce faire, nous nous appuyons sur des bénévoles, formés et outillés par l'association, et sur d'autres associations et d'autres acteurs avec lesquels nous travaillons en étroite collaboration.
Au-delà de ses actions de terrain, JRS a souhaité réfléchir et travailler sur des améliorations plus structurelles. Nous insistons donc particulièrement sur la recherche de solutions et de bonnes pratiques. Dans ce cadre, nous avons publié cette année un rapport axé sur la valorisation des compétences, la formation et le travail. Il vient en complément du précédent rapport que nous avions publié en 2018, consécutivement à la promulgation de la loi « asile immigration ».
Nous vous proposons de partager nos constats et recommandations qui concernent plus spécifiquement l'accès au travail des demandeurs d'asile et réfugiés, et de vous présenter des axes d'amélioration sur le travail en synergie des acteurs pour une meilleure valorisation des compétences et un accès plus ouvert à certaines professions et formations.
Dans le domaine de l'accès au travail des demandeurs d'asile, force est de constater que la France partage, avec la Hongrie, la dernière place des pays de l'Union européenne. Afin de comprendre la situation, il convient de revenir en 1991, il y a donc exactement trente ans, au moment de la circulaire Cresson. Jusqu'alors, les demandeurs d'asile avaient un accès libre au marché du travail, leur récépissé de demande d'asile valant autorisation de travail, comme c'est d'ailleurs le cas actuellement de quasiment tous les étrangers présents sur le territoire. La circulaire Cresson a inversé cette situation en imposant aux demandeurs d'asile de bénéficier d'une autorisation préalable de travail, demandée par l'employeur, privant ainsi les demandeurs d'asile de l'accès au marché du travail. L'introduction de cette circulaire stipule : « Une demande d'asile reçoit désormais une réponse sous deux mois en moyenne et, en cas de recours, le délai total de traitement ne dépasse pas six mois. Dans ce contexte où les demandes d'asile sont examinées dans des délais très courts, il est apparu désormais possible de revoir les conditions d'accès au marché du travail ». Le gouvernement de l'époque considérait que, l'intégralité des demandes d'asile étant traitée dans un délai de six mois, l'accès au marché du travail n'était pas utile.
La situation actuelle est très différente et les demandeurs d'asile ne peuvent pas travailler pendant une durée beaucoup plus longue. En effet, ils n'ont pas le droit de travailler ni de solliciter une autorisation de travail pendant six mois. Passé ce délai, ils doivent chercher un employeur, mais ils n'ont accès ni à Pôle Emploi ou ni à aucun service public et sont donc livrés à eux-mêmes. S'ils trouvent un employeur, ce dernier doit remplir un dossier administratif qui, bien qu'il se soit amélioré et dématérialisé, reste très lourd. Dès lors, en pratique, très peu de demandeurs d'asile ont accès au marché du travail.
Par ailleurs, la France adopte une interprétation très restrictive puisqu'elle considère qu'un demandeur d'asile en instance d'appel devant la Cour nationale du droit d'asile ne peut pas obtenir une autorisation de travail s'il ne l'avait pas obtenue en première instance. Ainsi le demandeur d'asile est-il confronté à des délais extrêmement courts et à une procédure administrative que le Conseil d'État lui-même et de nombreux représentants politiques considèrent comme rédhibitoires pour l'accès au marché du travail.
Cette situation n'est pas complètement conforme aux engagements internationaux de la France. La position de la France ne nous semble pas en conformité avec la directive accueil qui, certes, permet aux États de définir les conditions d'accès au marché du travail, mais qui leur impose de garantir l'effectivité de cet accès. Force est de constater que ce n'est pas du tout le cas.
Depuis dix ans que j'accompagne des demandeurs d'asile, quelques personnes ont réussi à déposer des dossiers de demande d'autorisation de travail après avoir trouvé un employeur prêt à les embaucher. Cependant, aucune de ces demandes n'a abouti, la préfecture les ayant systématiquement rejetées. D'autres personnes souhaitent travailler, mais ne disposent d'aucun réseau qui leur permettrait d'identifier un employeur qui déposerait la demande. L'accès au marché du travail reste donc un droit théorique. Dans la pratique, il n'est pas appliqué.
Depuis dix ans, dans le cadre de plaidoyers, à l'occasion de chaque loi « asile », nous intervenons auprès du pouvoir exécutif et législatif afin de solliciter un assouplissement de ce droit au travail pour les demandeurs d'asile pour le rendre effectif. La plupart du temps, nous nous voyons opposer deux arguments.
Le premier consiste à affirmer que la libéralisation de l'accès effectif au marché du travail pour les demandeurs d'asile générerait un appel d'air. Nous avons analysé les études publiées sur ce thème et complété cette analyse par des entretiens avec les demandeurs d'asile quant aux motivations de leur venue en Europe. La première d'entre elles consiste à fuir une situation dans leur pays d'origine, pour cause de guerre ou de craintes personnelles de menaces. Les demandeurs d'asile recherchent avant tout une protection. D'ailleurs, souvent, ce sont des personnes des classes moyennes ou aisées qui quittent leur pays pour venir en Europe, pas les plus pauvres.
Un autre argument consiste à affirmer que les personnes à qui la demande d'asile serait refusée resteraient en France et ne seraient pas reconduites dans leur pays au motif qu'elles travaillent. Or, quelle que soit sa situation, le refus opposé à un demandeur d'asile ferait l'objet d'une mesure d'expulsion qui serait validée par un juge administratif. Le travail ne légalise pas la présence en France et ne permet pas d'obtenir un titre de séjour en préfecture. Cet argument ne nous paraît donc pas convaincant.
En revanche, les difficultés sont bien réelles et nous les constatons au quotidien. Elles sont de plusieurs ordres.
La première difficulté est d'ordre juridique et relève du respect par la France de ses engagements.
La seconde est d'ordre matériel. Les demandeurs d'asile, notamment ceux que nous accompagnons, ne sont pas dans le dispositif national d'accueil et ils vivent uniquement avec l'allocation de demandeur d'asile (ADA) qui est extrêmement réduite. La procédure étant très longue, l'ADA ne leur donne pas les moyens de survivre, notamment pour ceux qui ne bénéficient pas des conditions matérielles d'accueil. Cela pose un réel problème de respect de la dignité humaine.
Le travail constitue donc un vecteur essentiel d'intégration, bien au-delà du fait qu'il procure des moyens de survivre ou de vivre. Nous nous interrogeons quant à l'efficacité de notre politique d'intégration, dès lors qu'une personne arrivant en France est accueillie de cette manière et que l'accès au travail lui est interdit pendant de longs mois. L'OCDE, avec lequel nous avons travaillé, a publié des études et notamment, celle de Thomas Liebig, l'administrateur de l'OCDE, en charge des migrations et de l'intégration (je cite) : « L'un des enseignements les plus importants de l'expérience des pays de l'OCDE en matière d'intégration des réfugiés est qu'une intervention précoce est cruciale. Les demandeurs d'asile doivent souvent attendre de nombreux mois, voire des années, avant de pouvoir bénéficier d'une formation linguistique et d'autres aides à l'intégration et lorsqu'ils obtiennent enfin un statut de réfugié, cette attente risque de compromettre leur capacité à s'intégrer ». Tout est dit.
Concrètement, nos recommandations sont simples et directes. Il convient de permettre l'accès au travail des demandeurs d'asile en rétablissant la validité de leur titre de séjour au-delà de six mois comme autorisation de travail.
Plus généralement, nous souhaiterions la mise en œuvre d'une politique qui mette à profit cette période initiale d'asile pour se former, accéder aux formations professionnelles et accéder à l'emploi.
Nous préconisons également une ouverture plus large des formations et des professions aux personnes réfugiées. Un rapport de l'Assemblée nationale, publié par Stella Dupont et Jean-Noël Barrot, mentionnait que 20 % des emplois sont fermés aux personnes étrangères, et aux réfugiés en particulier, ce qui représente environ cinq millions d'emplois, essentiellement dans la fonction publique qui est totalement fermée aux personnes réfugiées. La France fait figure d'exception au sein de l'Union européenne à ce sujet. En outre, la France est leader des professions réglementées. Dans ces domaines, la France se situe en queue du peloton européen avec la Roumanie et la Lettonie. Un enjeu important réside dans la capacité de mettre en place un dispositif qui permette de reconnaître les compétences et les qualifications. Un guichet unique de reconnaissance des qualifications existe pour les citoyens européens. Il serait possible d'étendre ce dispositif aux personnes réfugiées, ce qui permettrait de reconnaître les qualifications obtenues dans leur pays, notamment les qualifications partielles, de mettre en place des formations complémentaires et de leur ouvrir ainsi l'accès à ces professions.
La synergie de l'ensemble des acteurs de l'intégration est essentielle de sorte à favoriser cet accès tant aux formations qu'aux emplois. La France a mis en place des dispositifs très efficaces, notamment les diplômes universitaires passerelles. Nous proposons d'étendre ce dispositif à la formation professionnelle. Il serait également souhaitable d'universaliser à l'ensemble des acteurs de l'intégration les actions menées par Forum réfugiés en faveur de l'accès des personnes réfugiées à l'emploi.
Pour les réfugiés qui ne bénéficient pas du dispositif national d'accueil et qui n'ont pas été pris en charge d'une manière ou d'une autre (c'est-à-dire environ 50 % des demandeurs d'asile), il est extrêmement complexe d'accéder aux dispositifs en vigueur. La synergie entre les acteurs le permettrait, en particulier celle entre les centres de formation et les employeurs pour la valorisation des compétences. Notre collègue a évoqué la valorisation des diplômes et des compétences formelles, il existe également un enjeu de valorisation des compétences informelles. De nombreux demandeurs d'asile ne disposent d'aucun diplôme - en tout cas, ils n'en possèdent aucune trace. À titre d'exemple, nous avons accompagné un Soudanais, soudeur dans son pays, qui disposait d'une très grande expérience dans ce domaine, mais d'aucun diplôme. Nous ne pouvions lui proposer aucun emploi. Nous avons demandé à des employeurs et à un centre de formation de l'accueillir sur leurs sites pendant trois jours de sorte à tester ses compétences. Il a été accueilli et s'est révélé un excellent soudeur. Il a obtenu son CAP en deux mois. Nous n'avons pas les moyens de mener ce type d'actions à grande échelle. Elles seraient réalisables dans le cadre d'une politique plus concertée beaucoup plus massive. Il nous semble que les employeurs et les branches professionnelles pourraient s'acquitter de telles missions s'ils disposaient d'un cadre juridique clair et adapté. Actuellement, la législation n'autorise pas l'accueil d'un demandeur d'asile ou même d'un réfugié en entreprise pour une période d'observation, de mise en situation ou pour un stage. Il serait nécessaire de faire évoluer cette situation et de créer des réseaux entre les employeurs et les centres de formation dans le cadre d'un schéma clair et unifié de cartographie des compétences.
Certaines personnes réfugiées qui, elles, ont le droit de travailler, rencontrent des difficultés en raison de dysfonctionnements qui pourraient être réglés simplement.
De nombreux demandeurs d'asile ne disposent plus des conditions matérielles d'accueil. Actuellement, bien que nous ne connaissions pas les chiffres précis, nous savons que des dizaines de milliers de personnes n'ont rien pour vivre et la question du droit au travail est prégnante. Par définition, il n'est pas possible d'anticiper l'arrivée d'un réfugié. À son arrivée, il est demandeur d'asile et s'il en obtient le statut, il deviendra réfugié, mais sa vie ne changera pas pour autant, car la suite du processus est très longue.
La dématérialisation des demandes de titres de séjour, mise en place par les préfectures, notamment lors de la crise sanitaire, s'avère très contraignante pour ces personnes qui rencontrent alors des difficultés pour obtenir très rapidement, soit un récépissé portant la mention « droit de travailler », soit une carte de séjour qui leur permettrait de travailler. La délivrance d'une carte de séjour par les préfectures peut prendre des mois, voire des années. Je vous cite l'exemple d'une personne protégée depuis plusieurs années qui, au mois de décembre 2020, a demandé à la préfecture de Nanterre le renouvellement de sa carte de séjour qui expirait au mois d'avril 2021. Nous sommes au mois de juillet et cette personne n'a toujours pas de titre de séjour. Sur le site de la préfecture, il est possible de télécharger un document attestant que la demande est en cours. En principe, ce document doit être reconnu par un employeur, mais le plus souvent, il exige la carte de séjour.
Je crains que ces difficultés augmentent au cours des prochaines années.
Madame, messieurs, je vous félicite pour tout ce que vous faites sur le terrain. JRS international est une association reconnue et nous avons suivi vos derniers travaux au Tchad, au Liban, etc. Vous êtes un acteur incontournable depuis une quarantaine d'années. Mes compliments vont également à Forum réfugiés pour cette capacité d'accompagnement que vous portez dans des conditions qui ne sont pas toujours simples.
Ce matin, nous recevions des membres du Collectif Schaeffer, créé en 2016 à la suite d'une expulsion et qui regroupe des sans-papiers. Ils nous ont détaillé les difficultés qu'ils rencontrent en raison de la dématérialisation, notamment, très problématique pour eux. Depuis le mois de juin, les démarches de la CPAM sont aussi dématérialisées ce qui complexifie l'obtention de l'aide médicale de l'État qui est devenue aussi complexe que l'accès aux titres de séjour. La situation est très grave. L'accès nous semble donc devenu un point crucial à privilégier dans nos recommandations de sorte que les demandeurs d'asile puissent bénéficier d'un accueil physique.
Pour accéder à un emploi, il faut avoir des papiers ; pour avoir des papiers, il faut une adresse. Nous constatons que les CCAS n'appliquent pas toujours la loi. Une des missions de notre commission d'enquête consistera à demander des explications en ce sens à l'ensemble des maires de France, patrons des CCAS. Je constate que, malgré les beaux discours de gauche que nous entendons à longueur de journée, lorsqu'un préfet lance des appels pour l'accueil de demandeurs d'asile, il n'obtient aucune réponse. Force est de constater que de nombreux maires de France - et c'est une commission d'enquête parlementaire qui l'affirme et le porte -, de gauche comme de droite, ne respectent pas la loi, parce qu'ils ne domicilient pas systématiquement les personnes sans domicile fixe (SDF), immigrées ou autres, qui demandent à être prises en charge chez eux.
La circulaire Cresson a-t-elle été suivie par une loi ? Comment une simple circulaire peut produire un effet aussi désastreux, bien que la suppression de l'autorisation automatique de travail ait pu engendrer un impact direct.
Pouvez-vous préciser vos propos relatifs aux métiers réglementés ? Certains de ces métiers sont-ils plus concernés que d'autres ? Je pense notamment aux médecins. En effet, à Cherbourg, j'ai rencontré des anesthésistes et des radiologues syriens et irakiens qui tentent de faire reconnaître leurs diplômes en France depuis de nombreuses années et qui ne peuvent même pas obtenir un poste d'infirmier. Je porte ce combat avec eux parce que je les connais. Cependant, je pense également aux chauffeurs de taxi, une profession réglementée qui compte de nombreux étrangers. Est-ce que certains n'ont pas de papiers ? Comment s'en sortent-ils ?
Le service d'insertion des réfugiés (SIR) fonctionne-t-il correctement ? La langue constitue un moyen d'intégration. Qu'est-ce qui a changé au cours de ces dernières années ?
Enfin, une autre question que je pose à chaque fois : quid d'avant 2007 et après 2007 ? L'immigration était une compétence partagée entre plusieurs ministères et j'appartiens à la catégorie de ceux qui sont convaincus aujourd'hui qu'il importe de mettre des médecins face aux médecins, des travailleurs face aux travailleurs ; que le ministère du Travail soit dédié au travail, le ministère du Logement au logement, etc. Dès lors, quid de cette concentration de l'ensemble des compétences de ministre de l'Immigration dans un seul ministère, le ministère de l'Intérieur, dont le rôle est actuellement entièrement sécuritaire et qui, selon moi, ne prend pas en charge les autres aspects de l'immigration ?
S'agissant du SIR, à la suite des recommandations du député Aurélien Taché, une réforme a permis, dans une certaine mesure, de prendre en compte certains enjeux essentiels du contrat d'intégration républicaine et, notamment, la dimension linguistique. En effet, le parcours de formation linguistique, initialement de deux cents heures maximum, a été étendu jusqu'à six cents heures et offre la possibilité de suivre différents parcours de deux cents, quatre cents ou six cents heures, notamment pour les personnes en situation d'illettrisme, qui ne savent ni lire ni écrire. Cette extension constitue un progrès majeur parce qu'il prend en compte les demandeurs d'asile non-scripteurs et non-lecteurs, ce qui est essentiel. Nous nous en réjouissons d'autant plus que cela permettra aux personnes présentant un faible niveau d'accéder, à l'issue d'une évaluation initiale, au parcours de formation linguistique.
Pour autant, nous sommes conscients que cela ne répond pas entièrement aux besoins, et ce, à plusieurs titres.
Je rappelle que seulement 50 % des demandeurs d'asile bénéficient d'un hébergement dans le cadre du DNA. Dès lors, une personne sur deux n'a pas accès à l'accompagnement professionnel proposé par les structures d'accueil. Or il serait souhaitable que l'apprentissage linguistique démarre dès le dépôt de la demande d'asile, démarche qui est susceptible de prendre plusieurs années. Ce sont autant d'années de perdues dans le parcours d'intégration. Ces personnes sont prises en charge par le SIR après plusieurs années de présence sur le territoire.
Par ailleurs, les parcours classiques de formation linguistique visent l'acquisition des bases de français. Il serait souhaitable d'étendre ces formations à des objectifs plus professionnels par l'acquisition d'un vocabulaire technique spécifique.
En outre, les personnes qui n'ont jamais été scolarisées dans leur pays d'origine rencontrent des difficultés à passer des heures devant un formateur à prendre des notes. Il existe donc un enjeu d'immersion et d'acquisition du français par l'interaction, par l'accès à la culture, à des interactions citoyennes et sociales.
Le SIR propose désormais un bilan professionnel qui, réalisé avec un auditeur, permet une orientation vers le service public de l'emploi. Pour autant, bien que ce bilan représente un progrès, un rendez-vous d'une heure avec un auditeur ne constitue pas un accompagnement à l'insertion professionnelle. Dans ce cadre, nous prônons le déploiement de dispositifs d'intégration structurants, à l'échelle de chaque territoire, de type Accelair, qui permet véritablement, sur une durée qui fait sens en termes d'intégration (vingt-quatre mois), un parcours d'accompagnement. Il s'agit d'un premier pas vers le droit commun.
Le parcours au sein du SIR a progressé vers des évolutions intéressantes, mais qu'il serait souhaitable d'assortir de dispositifs parallèles, non seulement au niveau de l'accueil des demandeurs d'asile, mais également, en complément, avec des dispositifs structurants pour l'intégration des personnes bénéficiant d'une protection internationale.
Les compétences ministérielles n'entrent pas dans mon domaine d'expertise. Je rappelle néanmoins que d'importants efforts ont été accomplis dans le domaine de l'intégration. Le parcours de demande d'asile est interdépendant du parcours d'intégration puisque, bien que son statut ait changé, il s'agit toujours de la même personne. L'effort porte surtout sur les parcours d'intégration, mais il serait souhaitable de le renforcer en amont, en termes de politique d'accueil, de conditions matérielles d'accueil, d'accès à un hébergement, de mobilisation de dispositifs, etc. Il importe d'aborder la démarche dans sa globalité.
La direction générale des étrangers en France (DGEF) déploie ses programmes « Agir », très largement inspirés du programme Accelair, et qui, à partir de janvier 2022, permettront d'apporter des réponses structurantes au public.
L'accès à la langue et au français est essentiel dès la demande d'asile. Il est donc regrettable d'attendre que les personnes soient réfugiées pour constater que 80 % d'entre elles ne possèdent pas la langue. À une période où l'on vote des lois relatives au communautarisme, etc., il paraît vraiment étonnant que la question de l'apprentissage de la langue ne soit pas abordée dès l'arrivée sur le territoire. Il constitue un bagage essentiel, soit pour l'intégration, si ces personnes restent en France, soit pour le retour au pays, si elles repartent.
JRS possède une école de français dédiée aux demandeurs d'asile à Paris qui accueille et accompagne chaque année une centaine de demandeurs d'asile. Nous constatons très concrètement les effets positifs de l'apprentissage du français, la joie d'apprendre, dès l'arrivée sur le territoire.
Le service d'insertion des réfugiés intervient à une période qui est complexe pour les personnes. En effet, alors que l'obtention du statut de réfugié représente un grand moment de joie, la situation n'évolue pas vraiment positivement puisque le droit à l'ADA est aboli et le réfugié doit alors se rendre au SIR, sans pouvoir travailler. Le SIR n'est donc pas toujours appréhendé comme un atout. Pour autant, nous reconnaissons les évolutions positives du SIR.
La circulaire Cresson a modifié la partie réglementaire du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), en vigueur à l'époque. Ensuite, des évolutions législatives, liées à la transposition dans le droit français de directives européennes successives, ont conduit à intégrer dans le système législatif français un mécanisme qui, de fait, ferme l'accès au marché du travail des demandeurs d'asile. Ce dispositif soumet l'accès à une autorisation préalable, ce qui ne relève pas du droit commun des étrangers présents sur le territoire. Les demandeurs d'asile sont traités comme des étrangers hors de France alors qu'ils sont déjà présents sur le territoire. Je vous renvoie à notre rapport qui décrit l'ensemble de ces étapes fastidieuses.
S'agissant des professions réglementées, en annexe de notre rapport, page 74, figure un tableau qui liste les professions ouvertes et fermées. À titre d'exemple, pendant la crise sanitaire, l'accès aux professions médicales a été extrêmement facilité et des médecins ont pu exercer dans des conditions très efficaces. Cependant, cet accès a été fermé, une fois que l'urgence a été moindre. Les professions d'enseignant sont totalement fermées alors qu'en Suède, par exemple, il existe des dispositifs qui permettent aux enseignants, très rapidement, dès leur arrivée sur le territoire, d'être mis au service des communautés qui arrivent, d'enseigner dans leur langue et, progressivement, d'apprendre la langue du pays et d'enseigner dans la langue du pays. Il serait utile de reprendre ou de s'inspirer de ce type de dispositifs.
Plus généralement, il nous paraît essentiel d'éviter le déclassement professionnel des personnes. Elles ont envie de réussir ou de rendre ce qui leur est donné et viennent enrichir de leur talent la communauté ou le pays d'accueil.
S'agissant de l'aspect interministériel, nous abondons dans votre sens. Notre rapport recommande que la politique d'intégration soit beaucoup plus interministérielle. Le ministère de l'Éducation nationale et le ministère de la Culture devraient intervenir davantage dans la définition de ces politiques. Nous louons le travail de la Délégation interministérielle à l'accueil et à l'intégration des réfugiés (DIAIR), avec laquelle nous avons collaboré sur plusieurs sujets, notamment sur leur plateforme « Réfugiés.info ». Nous contribuons à l'écriture de fiches, notamment pour l'accès aux professions réglementées. À la rentrée prochaine, nous souhaiterions mettre en place un atelier d'accès aux professions réglementées en collaboration avec la DIAIR, avec le CIDJ, etc. Bref, nous tenons à souligner l'importance du travail interministériel.
Vos recommandations vont dans le sens des besoins exprimés par de nombreuses associations qui accompagnent les demandeurs d'asile et les réfugiés.
S'agissant de l'intégration par le travail, je souhaiterais des précisions quant à la valorisation des compétences informelles. De nombreux demandeurs d'asile disposent de compétences et de savoir-faire recherchés par des employeurs. Je viens d'un milieu rural, et je suis étonnée de constater que des employeurs viennent nous demander si nous ne connaissons pas quelqu'un qui pourrait répondre à leur besoin, en pensant effectivement à des demandeurs d'asile. Vous suggérez que les professions s'organisent pour faire reconnaître ces compétences. Techniquement, quelles seraient vos propositions pour y parvenir ?
Vous avez évoqué un programme interculturel que vous développiez au sein de JRS. Pourriez-vous nous en détailler les aspects spécifiques ? Comment parvenez-vous dans ce cadre à favoriser l'intégration d'un public qui présente des différences culturelles ? Je suppose que l'accueil de différentes ethnies pose parfois des problèmes.
Étant moi-même famille d'accueil pour des demandeurs d'asile, je peux témoigner de cette reconnaissance qu'ils manifestent d'être accueillis en France. Nous avons accueilli dix-huit demandeurs d'asile, quatre jeunes filles et quatorze hommes. Un seul d'entre eux a manifesté un comportement très machiste et complexe envers les femmes sur lequel nous avons travaillé ensemble. Les treize autres ont manifesté leur volonté de comprendre notre fonctionnement et, d'ailleurs, plusieurs d'entre eux ont observé que les femmes françaises travaillaient beaucoup, jonglant entre le travail et les enfants. En outre, ils manifestaient une volonté de participer à l'ensemble des tâches de la famille.
M'adressant à Forum réfugiés, pourriez-vous nous apporter des précisions quant au travail que vous menez avec les différents acteurs et, notamment, dans l'accès à l'emploi et au logement ? Entretenez-vous des contacts particuliers avec des bailleurs sociaux ? Est-ce que les réfugiés sont accompagnés dans leur accès au logement ? Avez-vous élaboré des programmes adaptés aux demandeurs d'asile avec Pôle Emploi ?
S'agissant des très jeunes réfugiés, travaillez-vous avec les missions locales ?
Forum réfugiés travaille en partenariat avec de nombreux acteurs dans les domaines de l'accès à l'emploi ou au logement.
S'agissant du logement, dans la région Occitanie, nous intervenons en partenariat avec une quinzaine de bailleurs sociaux sur les territoires de la Haute-Garonne, de l'Hérault, de l'Ariège, du Tarn-et-Garonne, notamment dans le cadre du fonds national d'accompagnement vers et dans le logement (FNAVDL). La grande majorité des publics bénéficiant de la protection internationale sont éligibles au parc social. Néanmoins, sur nos territoires, l'accès au parc social est extrêmement tendu avec des délais compris entre deux et quatre ans. À titre d'exemple, l'Hérault attribue un logement social sur sept demandes. Ces partenariats avec les bailleurs sociaux s'avèrent donc essentiels.
Nous avons également noué des partenariats avec les collectivités et avec l'État, notamment pour ce qui concerne l'accès au système de priorisation des logements (SYPLO).
En outre, s'agissant plus spécifiquement de l'hébergement, nous travaillons également en étroite collaboration avec les Services intégrés de l'accueil et de l'orientation (SIAO) et avec d'autres acteurs qui, sur de petits volumes, participent à l'accueil de personnes le temps d'accéder à des solutions de logements pérennes.
Dans le Rhône, un programme spécifique est déployé depuis une vingtaine d'années dans le cadre de conventions inter-institutionnelles et bailleurs sociaux. Chaque année, six cents logements sont réservés aux programmes Accelair de sorte à faciliter le relogement des publics réfugiés.
Chaque territoire agit différemment en fonction de l'ancienneté des programmes mis en œuvre, des relations et des partenariats qu'il a développés. Cette dimension partenariale s'avère cruciale, car on ne peut rien faire tout seul. Dans le cadre de partenariats avec le droit commun et avec différentes structures, il est possible d'apporter des réponses au public accompagné.
Il en est de même pour ce qui concerne l'emploi. Nous intervenons évidemment en partenariat rapproché avec le service public de l'emploi et Pôle Emploi. À titre d'exemple, en Occitanie, cette année, nous avons conventionné, à destination des publics jeunes de moins de vingt-cinq ans, avec l'association régionale des missions locales et avec quatorze missions locales sur le territoire occitan, notamment dans le cadre du plan investissement compétences. Nous n'avons pas vocation à nous substituer au droit commun, mais à représenter un levier d'accès au droit commun.
Nous avons notamment mis en place une garantie jeunes réfugiés, dispositif d'accompagnement renforcé qui permet aux jeunes de moins de vingt-cinq ans d'accéder à des ressources et à un accompagnement à l'insertion socioprofessionnelle. Nous avons constaté qu'il était extrêmement complexe de mobiliser ce dispositif pour des personnes de niveau infra A2 et nous proposons d'intégrer du français langue étrangère (FLE) au module des garanties jeunes.
Nous avons développé des projets intitulés « promesse d'embauche » pour des personnes qui sont presque prêtes pour accéder à l'emploi, mais pour lesquelles il est nécessaire de renforcer les compétences techniques spécifiques sur des enjeux linguistiques. Nous mobilisons alors les branches professionnelles et les entreprises pour abonder une enveloppe de cofinancement, en supplément des financements proposés par Pôle Emploi, de formations spécifiques, au plus près des besoins des employeurs et des besoins des publics accompagnés.
Nous avons développé de nombreuses modalités partenariales sur chaque territoire : avec les groupements d'employeurs de la construction (GEC), avec le secteur de l'insertion par l'activité économique (IAE), avec les directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS) avec lesquelles nous avons monté des projets et des programmes, etc.
Grâce aux partenariats, nous parvenons à mobiliser l'offre de droit commun et à répondre aux besoins précis des personnes que nous accompagnons.
En conclusion, s'agissant de la reconnaissance des compétences informelles, je confirme que les employeurs insistent non seulement sur les savoir-faire, mais encore et de plus en plus sur les savoir-être. Les publics bénéficiant d'une protection internationale sont connus pour leurs qualités de motivation, de ponctualité, pour leurs compétences autres que celles qui ont pu être acquises dans le milieu professionnel classique. Il s'avère donc vraiment essentiel de pouvoir les valoriser et cela constitue une des dimensions de notre travail d'accompagnement.
Je m'adresse aux intervenants de JRS. Je suis surpris et intrigué que vous ne mentionniez jamais Pôle Emploi et l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), alors que vous évoquez souvent le travail en synergie. Quel est votre avis quant à ces organismes ? Quelles relations entretenez-vous avec eux ?
J'adhère aux propos tenus par Mme Arrighi s'agissant des compétences informelles. L'action menée par Forum réfugiés est plus étendue que la nôtre, puisque nous nous limitons à une action très unitaire, au cas par cas. J'ajouterais néanmoins que la mobilisation de l'artisanat constitue également un enjeu important. Nous avons développé un programme JRS Ruralité qui agit essentiellement en zone rurale. Nous constatons que les entrepreneurs ou les artisans de petite taille représentent un vivier extrêmement important d'emplois. Il serait souhaitable que les politiques publiques réfléchissent à leur mobilisation. La clarification du régime juridique applicable à l'ouverture de stages, de périodes d'observation, de mises en situation, etc., serait un élément favorisant.
S'agissant de l'interculturalité, le programme JRS Jeunes est basé sur plusieurs principes. Le premier réside dans la co-construction, à savoir le travail collectif des personnes exilées et des personnes locales en vue de construire ensemble des activités. Le programme s'appuie sur les talents des personnes qui y participent afin d'offrir des activités et les développer au profit de tous. JRS a ouvert une « école d'été » à laquelle assistent quotidiennement entre quatre-vingts et cent personnes. L'après-midi, les personnes exilées organisent ensemble leurs activités et en assument la responsabilité. Elles retrouvent ainsi de l'estime d'elles-mêmes et déploient leurs talents. Bien sûr, nous rencontrons des difficultés et nous travaillons beaucoup sur la logique interculturelle en constituant des groupes de dix à quinze personnes avec lesquels nous traitons de thématiques diverses (le rapport au temps, au travail, la relation homme-femme, etc.). C'est essentiel notamment dans le cadre d'un dispositif d'hospitalité citoyenne.
L'AFPA procède à des expérimentations relatives à la valorisation des acquis d'expérience (VAE). Ces programmes nous semblent très efficaces. Nous entretenons des relations avec le CNAM, qui a soutenu notre rapport, et nous menons des expérimentations au niveau micro. Nous souhaitons l'universalisation la VAE. Actuellement, moins de 10 % des personnes étrangères accèdent à ce dispositif et le pourcentage de réfugiés est encore plus faible. Actuellement, ces dispositifs imposent de justifier d'un diplôme ou d'une antériorité d'expérience. Ces conditions, peu adaptées au public réfugié, s'assouplissent sensiblement.
Nous essayons de travailler en subsidiarité avec Pôle Emploi. Lorsque nous accueillons une personne à JRS, nous nous assurons que ses droits communs sont ouverts et qu'elle est en relation avec un conseiller de Pôle Emploi. Certains conseillers de Pôle Emploi sont ouverts et volontaires dans l'accompagnement. Toutefois, force est de constater que les personnes qui ne maîtrisent pas très bien le français ne sont pas prises en charge de manière satisfaisante par le droit commun de Pôle Emploi. Elles ne comprennent pas ce qui leur est demandé, elles n'ont pas accès, notamment dans le cadre des rendez-vous à distance imposés par la situation sanitaire, à une compréhension fine de leurs droits. Dès lors, elles ne bénéficient d'aucun accompagnement dédié. Il serait souhaitable de disposer d'ingénieurs d'intégration dans nos services publics, non seulement à Pôle Emploi, mais également à la caisse d'allocations familiales (CAF) et ailleurs, qui connaissent les particularités de ces publics. Néanmoins, nous avons également mené des expériences très positives avec certaines CAF et certains Pôles Emploi, en fonction des relations individuelles que nous parvenons à nouer.
Il y a un peu plus d'un an, la France était condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) pour la violation de l'article 3 « traitements inhumains et dégradants ». Des dizaines de milliers de demandeurs d'asile sont privés des conditions matérielles d'accueil. Votre commission d'enquête envisage-t-elle d'investiguer sur cette question-là ? Nous avons saisi le comité de suivi du Conseil de l'Europe par rapport aux observations émises par la France, nous n'en savons pas plus. Pourtant, l'enjeu est réel puisque les demandeurs d'asile présents sur le territoire depuis plusieurs années n'ont aucun moyen de subvenir à leurs besoins parce que l'accès au travail leur est interdit et qu'ils ne reçoivent aucune aide financière ni aucune assistance. On les retrouve alors, exténués, dans les campements, notamment en région parisienne.
J'ajoute que l'AFPA et Pôle Emploi représentent des acteurs clés avec lesquels nous travaillons. La VAE reste difficilement accessible au moment précisément de la reconnaissance du statut et dans les délais de notre accompagnement. Pour autant, nous collaborons avec l'AFPA dans ses missions d'organisme de formation de droit commun.
Nous avons mis en place des partenariats de cofinancements avec Pôle Emploi, notamment de l'action « Promesse d'embauche ». Nous les mobilisons également sur des périodes de mise en situation en milieu professionnel (PMSMP). Nous avons conclu des partenariats non seulement avec les directions territoriales, mais également avec des agences, sur la dimension d'ouverture des droits et d'identification des conseillers.
La France a, en effet, été attaquée par la CEDH. Il est certain que nous déplorons des vides juridiques. La commission d'enquête a pour objectif de rédiger une proposition de loi afin de déverrouiller les problématiques auxquelles nous sommes confrontés. Bien sûr, nous ne convaincrons pas tout le monde, mais nous œuvrerons en ce sens. J'ai beaucoup travaillé sur le sujet des mineurs et notamment sur les mineurs placés en centres de rétention. La France a été condamnée à plusieurs reprises dans ce cadre, jusqu'en 2017-2018. La France n'en demeure pas moins un pays qui porte des débats et des positions très honorables sur de nombreux sujets dans le monde. L'Histoire retiendra les pays qui ont tendu la main et la France tend beaucoup la main à l'international.
Cependant, je reconnais que, parfois voire souvent, en France, des points qui paraissent mineurs pour des administrations, sont majeurs pour la vie des femmes et des hommes qui souffrent et qui sont délaissés. Cette commission d'enquête est une réponse non seulement à ceux qui accusent la France de ne pas porter une assistance suffisante aux demandeurs d'asile en rupture de droits, mais également au constat du vide juridique en la matière.
Nous avons apprécié que vous évoquiez le travail en synergie, la mise au service de l'autre, etc. S'agissant des condamnations de la France par la CEDH, nous avons effectué des visites de terrain, qui ne nécessitent pas davantage qu'une alerte de la CEDH. Nous avons constaté de graves manquements actuellement en France en matière de droits des étrangers. Qu'ils soient en situation irrégulière ou non, les étrangers ont des droits qui ne sont pas actuellement suffisamment respectés dans notre pays. C'est bien l'objet de cette commission d'enquête et des suites qui lui seront apportées.
La réunion se termine à dix-sept heures trente.