Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Réunion du mardi 9 novembre 2021 à 18h15

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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  • pénitentiaire
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La réunion

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Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Mardi 9 novembre 2021

La séance est ouverte à dix-huit heures quinze.

(Présidence de M. Philippe Benassaya, président de la commission)

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La présente commission d'enquête a été créée à la demande du groupe Les Républicains en vue d'identifier les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française. Nous nous sommes fixé un vaste cadre d'investigation que notre rapporteure vous rappellera dans un instant.

Cette table ronde conclut une séquence consacrée aux détenus mineurs commencée avec l'audition de la protection de la jeunesse. Notez que nous avons expressément exclu de notre champ d'investigation les établissements gérés par la protection judiciaire de la jeunesse. Il nous a en revanche semblé essentiel de vous entendre en raison de votre expertise concernant la prise en charge des mineurs incarcérés. Nous avons déjà abordé ce sujet lors de multiples auditions et visites de terrain. Les membres de la commission d'enquête s'intéressent et travaillent sur la question du monde pénitentiaire depuis de nombreuses années. Le sujet qui nous intéresse aujourd'hui revêt une grande importance étant donné l'enjeu que représente la réinsertion de cette population spécifique.

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Effectivement, cette commission s'est pourvue d'un cadre d'investigation très large. Nous avons pu évoquer des sujets en lien avec la surpopulation, le parc pénitentiaire, les ressources humaines de l'administration pénitentiaire, l'accès aux soins, aux activités, à l'éducation au fait religieux, etc. Nos collègues du groupe Les Républicains nous ont notamment demandé de travailler sur les conditions de détention et la prise en charge des mineurs en établissement carcéral. Nous avons appris que les mineurs étaient souvent incarcérés sous le régime de la détention provisoire, nous souhaiterions ainsi savoir de quelle façon vous gérez la détention de ces jeunes en fonction de leurs différents statuts. N'hésitez pas à développer les sujets qui vous semblent les plus importants, et nous reviendrons sur les questions que nous souhaiterons approfondir.

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L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

(Mme Fanny Bouchard, Mme Nathalie Jaffré, M. Michaël Gilmant Merci et Mme Anne Rouville-Drouche prêtent successivement serment.)

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Fanny Bouchard, directrice de l'établissement pour mineurs de Marseille

L'incarcération des mineurs dans des établissements pénitentiaires pour mineurs – EPM – s'inscrit dans le cadre réglementaire issu de l'ordonnance de 1945 et du code de justice pénale des mineurs entré en vigueur le 30 septembre 2021. La convention internationale des droits de l'enfant de 1989 édicte également le principe selon lequel les mineurs doivent disposer d'un traitement spécifique en détention. Le cadre de l'incarcération des mineurs est en outre explicité dans la loi d'orientation pour la justice de 2002 qui édicte la construction des EPM, lesquels sont au nombre de six depuis 2007 : outre les EPM de Marseille et de Porcheville, les établissements à vocation régionale d'Orvault, Meyzieu, Lavaur et Quiévrechain maillent le territoire national. La loi pénitentiaire de 2009 opère une évolution en mettant l'accent sur le fait que le mineur, même à l'intérieur des établissements carcéraux, doit bénéficier d'un accès prioritaire à l'éducation et aux soins ; ce droit est développé plus spécifiquement dans une circulaire d'orientation de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse au niveau des EPM ainsi que dans la circulaire du 24 mai 2013. Cette dernière représente le document fondateur sur lequel nous nous appuyons afin de définir le cadre de fonctionnement des EPM et des quartiers pour mineurs – QM. Une note de 2014 rappelle également l'importance des projets d'établissement et détaille la manière de prendre en charge les mineurs en EPM de façon pluridisciplinaire. Enfin, le guide méthodologique de 2019 sur la prise en charge sanitaire ainsi que la circulaire commune de la direction de l'administration pénitentiaire et de la direction générale de l'enseignement scolaire de 2020 viennent réaffirmer la prédominance et l'importance de l'éducation nationale dans le cadre de la prise en charge des mineurs en détention.

Au-delà de ce cadre réglementaire, les spécificités de l'incarcération en EPM tiennent à différents facteurs, le premier étant la mixité. Des jeunes filles et garçons peuvent normalement s'y côtoyer. Ce n'est toutefois pas le cas à l'EPM de Marseille, qui souffre d'un sureffectif chronique depuis son ouverture en 2007 : il a donc été totalement dédié aux garçons, et un QM pour filles de dix places a été créé au centre pénitentiaire des Baumettes.

Notez également que l'architecture des EPM est particulière : il s'agit de petits établissements. L'EPM de Marseille bénéficie d'un effectif théorique de cinquante-neuf places réparties en sept unités de dix places, et l'encellulement individuel y est normalement de mise. Tous les mineurs sont incarcérés seuls et bénéficient dans leur cellule d'un accès à une douche et au téléphone. Les repas sont pris de façon collective dans les unités de vie. Les établissements possèdent en outre de petits patios de promenade, et leur architecture en arène s'organise autour du terrain de sport central et des infrastructures sportives. Tout cela contribue à une prise en charge individualisée des mineurs en détention.

Les EPM bénéficient de moyens humains spécifiques. Compte tenu du nombre de mineurs que nous accueillons, nos organigrammes sont extrêmement riches. Ainsi, nous disposons d'à peu près quatre-vingts personnels pénitentiaires, dont cinquante de la PJJ– protection judiciaire de la jeunesse –, une quinzaine de l'éducation nationale et plus d'une dizaine à l'unité sanitaire. Un prestataire privé est également présent pour la restauration, l'entretien des espaces verts et du bâti. La prise en charge des détenus en EPM coûte en moyenne 500 euros par jour et par mineur, ce qui représente le prix moyen de prise en charge de notre public le plus élevé au niveau de l'administration pénitentiaire. Cette dernière a fourni un véritable effort dans le but d'allouer des moyens humains à la prise en charge des mineurs.

Les EPM se distinguent également par l'articulation du temps de détention autour de l'éducation nationale, colonne vertébrale de la prise en charge des mineurs dans nos établissements. Du lundi au vendredi, comme au collège ou au lycée à l'extérieur, le mineur suit un temps de scolarité qui consiste soit en une reprise d'études soit en de l'alphabétisation pour les MNA – mineurs non accompagnés. Rappelons que ces derniers représentent environ 20 % du public accueilli à l'EPM de Marseille. Chaque mineur reçoit entre dix-huit et vingt heures de cours dispensés par l'éducation nationale, auxquelles s'ajoutent le mercredi et le samedi les activités de la PJJ, les parloirs, etc. Le temps de détention des mineurs est beaucoup plus rempli que celui des détenus majeurs.

L'implication de l'administration pénitentiaire dans le fonctionnement des EPM est dérogatoire à plus d'un titre. Les mineurs sont pris en charge par un binôme d'intervenants au niveau des unités de vie. Ce binôme est composé d'un surveillant pénitentiaire et d'un éducateur de la PJJ, qui travaillent ensemble tout au long du parcours de détention du mineur, pendant les temps collectifs des repas ou les activités. À l'EPM de Marseille, par exemple, certaines actions comme des courses sportives ou des activités jardin sont menées de concert par les différentes institutions qui œuvrent au sein de l'établissement.

Au moment de leur ouverture, les personnels affectés aux EPM étaient tous profilés, ce qui n'est plus le cas désormais. Les seuls postes actuellement profilés sont ceux de directeur et de chef de détention, le plus haut grade au niveau des officiers chefs de service pénitentiaire. En revanche, tous les personnels pénitentiaires affectés en EPM bénéficient d'une formation d'adaptation à la prise de fonction dispensée par l'école nationale d'administration pénitentiaire et l'École nationale de protection judiciaire de la jeunesse de Roubaix. Il s'agit d'une formation très courte de deux semaines qui ne permet pas toujours d'appréhender toutes les subtilités de la prise en charge des mineurs. Cette spécialisation est loin d'incarner notre cœur de métier, les mineurs détenus représentant environ 3 % de la population carcérale totale.

Depuis plusieurs années, la population pénale de l'EPM de Marseille est composée à 90 % de prévenus et 10 % de condamnés en moyenne. Plus de 75 % des infractions pour lesquelles les mineurs sont détenus sont délictuelles. Dans notre EPM, l'infraction à la législation sur les stupéfiants est, de loin, la plus fréquente, représentant en effet plus de 50 % des infractions délictuelles. Les mineurs incarcérés sont souvent des mineurs marseillais impliqués dans le narcotrafic, dans les mêmes proportions que chez les majeurs. Un grand nombre d'entre eux sont issus des quartiers nord de Marseille. Ils se regroupent à l'intérieur de l'établissement et retrouvent le fonctionnement qu'ils pouvaient adopter à l'extérieur.

Les MNA représentent 20 à 25 % des jeunes accueillis dans notre EPM. Cela nous oblige à réfléchir à des modalités de prise en charge adaptée, tant au niveau pénitentiaire pour l'accès à la langue, qu'au niveau de la PJJ ou de l'éducation nationale avec la mise en place de modules d'apprentissage spécifiques.

Je terminerai en soulignant les conséquences que le CJPM risque d'entraîner sur l'incarcération des mineurs. Depuis l'entrée en vigueur de la réforme, le 30 septembre dernier, nous observons une recrudescence des détentions provisoires. Ces dernières sont beaucoup plus courtes, les mineurs étant renvoyés en jugement entre dix jours et un mois après leur incarcération, ce qui nous oblige à repenser la façon dont nous les prenons en charge. Auparavant, une incarcération durait en moyenne quatre mois. Les EPM sont-ils amenés à devenir des établissements pour peine comme il en existe pour les majeurs, et les QM des maisons d'arrêt ? Il s'agit d'une réflexion à mener autour du CJPM.

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Nathalie Jaffré, directrice de l'établissement pour mineurs de Porcheville

L'établissement de Porcheville fait partie des derniers EPM à avoir ouvert en 2008. Il est le seul en Île-de-France. Les établissements de Villepinte, Nanterre et Fleury-Mérogis disposent de QM. Le plus important est celui de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis, qui dispose de quatre-vingt-dix places, quand un EPM en offre soixante. À Porcheville, notre effectif théorique est de cinquante-neuf places, notre dernière cellule ayant été aménagée en cellule de protection d'urgence. Comme à Marseille, nous accueillons exclusivement des garçons. En Île-de-France, les jeunes filles sont incarcérées dans le QM de la maison d'arrêt des femmes de Fleury-Mérogis.

Notre établissement dispose de sept unités de vie fonctionnant sous la forme de régimes différenciés, tel que préconisé par la circulaire de 2013. Ainsi, l'unité de vie du quartier arrivant est composée de six places. Nous disposons également de quatre unités de vie de dix places en régime de détention classique, d'une unité de dix places en régime de responsabilité et d'une unité de vie de trois places en régime à prise en charge renforcée. Enfin, l'établissement possède également un quartier disciplinaire de quatre places. Chaque unité de vie dispose d'entre trois et dix cellules, toutes équipées d'une douche, de sanitaires et d'un téléphone. Les unités de vie possèdent également une salle de détente, une cuisine ainsi qu'une cour de promenade centrale constituée d'un petit patio.

Le pôle sportif est pour sa part constitué d'un gymnase, d'une salle de musculation, d'une salle de renforcement musculaire et d'un terrain de sport extérieur. Nous disposons aussi d'une unité sanitaire dont l'équipement est tout à fait satisfaisant. Elle se compose d'une salle de soin, d'une salle de consultation pour le généraliste, d'une salle pour le dentiste, d'une salle pour le psychologue et d'une salle pour le pédopsychiatre. D'autres salles sont également disponibles en cas de besoin. Nous disposons également d'un centre scolaire composé d'une dizaine de salles de classe, d'une médiathèque, d'une salle polyvalente ainsi que d'une salle polycultuelle.

Contrairement aux établissements pour majeurs, les visites n'ont pas lieu dans des boxes, mais dans une salle des parloirs commune à tous.

Enfin, nous disposons de deux ateliers permettant de mettre en place des actions autour de la découverte professionnelle. Ainsi, notre infrastructure est tout à fait adaptée à la prise en charge de notre public. Nous ne rencontrons pas les mêmes difficultés que les QM qui doivent par exemple partager leurs salles avec les quartiers majeurs. Nous jouissons de toute la latitude possible pour organiser les activités correspondant à nos besoins.

Comme le disait Mme Bouchard, toute la vie de l'établissement est organisée autour du temps scolaire. Nous nous adaptons à l'emploi du temps établi par l'éducation nationale, et ne proposons pas d'activités sur les heures de cours. Toute la matinée et le début d'après-midi sont consacrés au temps scolaire. Les activités sportives, culturelles et d'insertion ne sont proposées qu'à partir de seize heures. Les mineurs se rendent à l'école au quotidien, les groupes classes étant composés de cinq mineurs maximum. Notre équipe est composée de dix enseignants et d'un proviseur. Les temps scolaires varient selon la situation des mineurs. Globalement, les jeunes que nous accueillons sont scolarisés, et les cas de déscolarisation que nous rencontrons sont récents, remontant à un an maximum et souvent liés à des problèmes d'orientation. Nous rencontrons peu de cas de non-alphabétisation, à l'exception des MNA. Les jeunes présentent un bon niveau scolaire et l'enseignement dispensé relève bien du niveau collège-lycée, et non du premier degré. Les mineurs qui étaient peu scolarisés suivent souvent environ douze heures de cours par semaine, les niveaux lycée pouvant suivre jusqu'à vingt-deux heures de cours hebdomadaire.

Le code de procédure pénale prévoit qu'un mineur peut être maintenu en EPM ou en QM jusqu'à six mois après sa majorité. Or les effectifs de l'établissement ne nous permettent pas toujours de garder les mineurs devenus majeurs. Nous ne souffrons certes pas de surpopulation, mais nous rencontrons parfois des problèmes d'encombrement nous menant à la limite du maximum. Si les effectifs ont aujourd'hui largement baissé, c'était notamment le cas avant la crise sanitaire. Notre effectif moyen était de cinquante-trois mineurs, alors que, pour l'année 2020, il est descendu à quarante-quatre.

Il est difficile de garder un mineur devenu majeur lorsqu'on atteint des effectifs aussi élevés. Nous le faisons quand il s'agit d'un souhait du jeune ou que la situation le nécessite. Un mineur peut devenir majeur en mars ou avril alors qu'il doit passer un examen en juin, notamment le bac. Nous pouvons aussi garder un majeur si nous savons que sa détention prendra fin et que nous souhaitons éviter un passage en maison d'arrêt.

Si, au contraire, nous savons que la durée de détention se prolongera et que le passage en détention majeure est inévitable, nous y procédons. L'arrivée en détention majeure peut donner lieu à un second choc carcéral. Les éducateurs de la PJJ accompagnent alors les mineurs détenus pour les préparer à la transition de la structure très protectrice de l'EPM au contexte de la détention majeure. À Porcheville, les éducateurs de la PJJ continuent parfois à les suivre en maison d'arrêt.

Comme à Marseille, 92 % des détenus de l'EPM de Porcheville sont des prévenus. Ce taux est stable depuis plusieurs années. Il convient de noter une évolution du rapport entre les procédures correctionnelles et criminelles : 38 % des mineurs sont placés sous le coup de procédures criminelles et 62 % de procédures correctionnelles, alors que ces pourcentages étaient de 25 % et 75 % respectivement il y a quelques années. Analyser ces données demanderait de connaître les chiffres à l'échelle nationale. Il peut s'agir d'un choix des magistrats parisiens d'orienter davantage les procédures criminelles vers l'EPM. L'établissement de Porcheville a une vocation très régionale. Nous recevons des jeunes de toute l'Île-de-France. Nous savons que les magistrats font parfois le choix de placer un mineur à l'EPM plutôt qu'au QM en fonction de son profil et au regard de la prise en charge proposée. Ce changement de profil peut être analysé de deux façons.

En 2020, la durée moyenne des séjours était de quatre mois, contre trois mois les années précédentes ; la crise sanitaire est peut-être responsable de cet allongement.

Par ailleurs, 15 % des mineurs accueillis ont moins de 16 ans, et 85 % plus de 16 ans. Nous avons enregistré une forte augmentation du nombre de MNA écroués sur l'année 2020, avant que ce nombre diminue à nouveau en 2021. Nous accueillons régulièrement des mineurs écroués dans le cadre d'affaires de terrorisme, notamment trois en 2020 et deux en 2021. C'est un profil que nous suivons régulièrement sans qu'un problème de prosélytisme soit constaté chez ces mineurs.

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Michaël Gilmant Merci, directeur de la maison d'arrêt de Villepinte

Les QM tels que ceux de Villepinte ou Nanterre ne bénéficient pas des mêmes ressources qu'un EPM totalement dédié aux mineurs. La maison d'arrêt de Villepinte ouverte en 1991 dispose de 587 places, occupées par 978 personnes détenues, 40 places étant dédiées aux mineurs et occupées aujourd'hui par 26 jeunes hommes. Au 1er octobre 2021, nous accueillons au niveau national 733 mineurs pour 69 000 personnes détenues au total.

Un QM est inséré dans un établissement majoritairement occupé par les majeurs. Nous devons nous adapter à la prise en charge des majeurs, et non l'inverse. Nous parlions d'un coût de 500 euros par jour et par mineur en EPM. Dans un établissement comme celui de Villepinte, il est de 100 euros, soit cinq fois moins. Cela se traduit au niveau des moyens alloués, notamment en matière de ressources humaines, de prise en charge et d'immobilier. À Villepinte, les mineurs se trouvent dans un bâtiment éloigné de la détention pour les majeurs, qui abrite toutefois le quartier arrivant des majeurs, ainsi que des majeurs dits « spécifiques », présentant une pathologie psychologique. Deux unités de vie sont dédiées aux mineurs, qui ne croisent jamais les majeurs. Néanmoins, en matière de prise en charge, de bruit et d'ambiance au sein du bâtiment, nous sommes aux antipodes de ce que peut offrir un EPM.

La maison d'arrêt de la Seine-Saint-Denis dispose de sept surveillants dédiés aux quarante mineurs lorsque l'effectif est complet, mais il faut savoir que nous n'atteignons jamais ce chiffre. En effet, dès lors que nous arrivons à trente-cinq détenus, nous envoyons un courrier aux magistrats pour les prévenir et qu'ils puissent orienter les mineurs sur d'autres structures. Cela nous permet d'éviter d'être complets et de conserver une souplesse de gestion sur notre public. Contrairement au reste de l'établissement, l'encellulement individuel est effectivement assuré chez les mineurs, ce qui n'était pas le cas lors de mon expérience en outremer, à Mayotte, où, pour quarante places, nous accueillions cinquante mineurs.

Parmi les sept surveillants alloués à notre QM, deux sont cadres et un officier. Nous disposons également de huit éducateurs de la PJJ à plein temps sur la structure et d'une psychologue dédiée. Évidemment, les ressources humaines sont très différentes des EPM. Toutefois, en dépit de ce nombre d'acteurs plus restreint, notre fonctionnement en binômes permet une véritable richesse de la prise en charge. Les QM ont tendance à se rapprocher de la prise en charge proposée par les EPM. Ainsi, les surveillants travaillent en binôme avec les éducateurs, et un surveillant référent est affecté à chaque mineur afin qu'il dispose d'une facilité de dialogue avec lui en cas de difficulté.

Comme dans les EPM, la primauté de l'éducatif est inscrite dans la prise en charge des mineurs. L'éducation nationale est au centre de la prise en charge du mineur, et douze heures hebdomadaires sont dédiées à l'enseignement. Quatre professeurs interviennent à temps plein dans l'établissement. Hormis les vacataires, ils s'occupent également des détenus majeurs. De fait, les heures de cours allouées aux mineurs sont autant d'heures dont ne bénéficient pas les majeurs, lesquels rencontrent souvent des problématiques similaires aux mineurs en matière d'éloignement de l'enseignement scolaire, voire d'analphabétisme. Il s'agit là d'un véritable problème. La prise en charge des mineurs au niveau de l'éducation nationale mange la majeure partie du quota horaire attribué à l'établissement. En plus de ces quatre professeurs titulaires dédiés à la structure, des vacataires interviennent pour tous les enseignements de spécialité, notamment lorsque certaines personnes de l'établissement, majeures ou mineures, doivent passer des diplômes comme le diplôme d'accès aux études universitaires, les diplômes universitaires, etc.

Notre établissement n'accueille ni femmes ni jeunes filles. Au regard de la spécificité et de la présence majoritaire des majeurs dans la structure, il est difficile d'assurer une prise en charge entièrement dédiée dans les salles d'activités et dans les locaux mis à disposition des détenus. La maison d'arrêt de Villepinte ne compte par exemple qu'une seule salle de sport, utilisée par un peu plus de 900 majeurs, le service pénitentiaire d'insertion et de probation – SPIP –, organisateur des activités, la PJJ, les moniteurs de sport et parfois l'éducation nationale. Cette forte fréquentation ne laisse que deux créneaux par semaine pour les mineurs.

Je tiens à souligner le travail réalisé par les équipes pénitentiaires et de la PJJ dans cet établissement plus ancien que les structures datant des années 2000, ainsi que l'investissement quotidien que cela représente. En 2021, nous avons enregistré quatre-vingt-dix-sept écrous, dont un certain nombre de transferts ou d'exclusions d'autres établissements, quand nous n'avons exclu que trois jeunes mineurs en raison d'incidents. La prise en charge assurée dans l'établissement nous permet de désaxer la violence. Nous avons vécu une année 2020 assez compliquée. Nous avons donc mis en place des politiques de prise en charge de la violence qui ont abouti aux dispositifs de binômage et de surveillant référent que j'ai déjà mentionnés, ainsi qu'à une prise en charge pluridisciplinaire encore plus riche que celle qui existait auparavant.

En 2018, les MNA représentaient 15 % de notre public, contre 38 % en 2020. Toutefois, en 2021, seuls quatre des vingt-six détenus mineurs à Villepinte sont des MNA. Ce nombre est donc très variable. Jusqu'à l'année dernière, nous observions que ce nombre avait tendance à augmenter, apportant un cortège de difficultés propres à ce public, comme la désocialisation ou la polytoxicomanie.

Contrairement aux EPM, le vol représente 60 % des motifs d'incarcération, ce qui est sans doute lié à la proportion de MNA accueillis en 2020. Il s'agit de vols sous différentes formes, accompagnés de circonstances aggravantes ou d'agressions. Le second motif est lié aux infractions à la législation des stupéfiants, ce qui s'explique au regard de la structure délinquantielle du département où nous nous trouvons.

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Anne Rouville-Drouche, directrice de la maison d'arrêt de Nanterre

Comme l'établissement de Villepinte, le centre pénitentiaire de Nanterre date de 1991. Cette maison d'arrêt comporte 592 places. Un QM de 18 places y a été installé dans les années 2000. À ce jour, 17 places sont occupées. L'encellulement individuel y est garanti sauf exception, par exemple lorsque nous lançons un « stop écrou » ou que les juridictions ont besoin d'incarcérer des mineurs, notamment la nuit. Cela tombe régulièrement le vendredi soir, lorsqu'il est compliqué de trouver une place dans un établissement puisque tous sont surencombrés.

Le quartier mineur du centre pénitentiaire de Nanterre pourrait sembler un peu anecdotique. En 2018, nous accueillions par exemple 1 100 détenus majeurs, les 18 mineurs ne concentrent donc forcément pas toute notre attention. Nous avons ouvert un quartier de semi-liberté en 2019 dans un nouveau bâtiment. Aucune place n'y a été prévue pour les mineurs. Cela peut paraître surprenant, mais nous proposons plutôt des alternatives à l'incarcération en lien avec des projets montés par la PJJ en ce qui concerne les mineurs.

Actuellement, nous accueillons trois MNA. Comme l'expliquaient mes collègues, ce nombre est très fluctuant.

La scolarité est au cœur du projet de détention, les mineurs suivant douze heures de cours par semaine. Comparés aux autres établissements représentés ce soir, nous sommes une toute petite structure, et accueillons de fait des profils plus particuliers. Régulièrement, nous recevons des jeunes qui ont fait l'objet d'une mesure d'ordre, par exemple lorsqu'ils sont arrivés au bout de la chaîne de gestion proposée par l'établissement précédent. Nous accueillons également des jeunes qu'il a parfois fallu séparer d'un environnement où ils étaient trop connus, ou encore où les faits commis ont été médiatisés, générant de la dangerosité pour leur intégrité physique. Ainsi, nous essayons d'adopter une approche pédagogique pointue.

Quatre éducateurs de la PJJ interviennent auprès de notre public dans le cadre d'une mission, et non d'un service. Cela signifie qu'ils sont rattachés à l'action éducative en milieu ouvert – AEMO – de proximité, et que l'équipe se renouvelle tous les trois ans. La prise en charge des mineurs n'étant jamais très longue, ce renouvellement permet d'éviter l'habitude et la monotonie et de proposer de nouveaux projets dynamiques à chaque changement d'équipe, ce qui est important dans un petit secteur comme celui-là. Nous disposons de cinq personnels de surveillance.

Notez que les établissements parisiens présentent la particularité d'employer une majorité de jeunes professionnels tout juste sortis de l'école. Il s'agit souvent de ceux qui ne sont pas rétifs à l'idée de travailler en région parisienne. Il est en effet difficile de devoir encadrer un mineur de 17 ans faisant la même taille que soi et qui maîtrise l'art de provoquer et de trouver ce qui nous pique au vif lorsqu'on a soi-même entre 20 et 25 ans et qu'on embrasse une carrière de sécurité publique. Nous avons la chance de pouvoir compter sur des surveillants sportifs et calmes au regard de leur parcours personnel. Cette équipe se renouvelle également régulièrement. Nous travaillons actuellement avec cinq personnels masculins, mais nous employons aussi régulièrement des femmes et nous attendons de nouvelles candidatures féminines. Cette attente participe à la reconnaissance de la mixité, sachant qu'une femme ne fouillera pas un jeune homme au même titre qu'elle ne fouillerait pas un homme adulte. Pour autant, elle permettra une complémentarité avec ses collègues en matière de qualité de la prise en charge et d'accompagnement. Nous choisissons des personnels présentant un état d'esprit constructif. Il est impossible de se concentrer uniquement sur la sécurité avec un public mineur, il faut bien sûr prendre en compte les questions éducatives et liées à l'accompagnement.

Dans les établissements accueillant à la fois des majeurs et des mineurs, les commissions de discipline imposent au président, aux assesseurs et aux membres de la commission de connaître la discipline spécifique aux mineurs. À Nanterre, nous considérons que l'objectif est le même pour les majeurs et les mineurs, et qu'il est avant tout pédagogique. Les quantums décidés sont évidemment différents. Nous avons la chance de pouvoir compter sur une équipe d'assesseurs civils comprenant un personnel de l'éducation nationale, qui nous aide notamment lors des commissions des mineurs, un personnel de direction plutôt dédié au QM et qui vient régulièrement présider les commissions de discipline des mineurs. Il s'agit de présidences dédiées en présence d'avocats spécialisés. Cela permet de respecter les droits de l'enfant et de mieux comprendre le contexte.

Deux professeurs spécialisés de l'éducation nationale interviennent dans un centre scolaire consacré aux majeurs, et deux autres interviennent dans les locaux du QM. Nous disposons de toute une zone d'activité dédiée exclusivement au QM. Elle se compose d'une salle de musculation, d'une cour de promenade, de locaux ludiques et éducatifs. Il est possible de mélanger les mineurs avec des adultes dans la mesure où le respect de leurs droits et donc de leur intérêt est garanti. Nous nous sommes prêtés à l'exercice et avons constaté qu'il s'agissait d'une situation difficile à maintenir, l'expérience est ainsi restée anecdotique.

Pour le mineur, l'accès à la majorité dans un établissement comme celui de Villepinte ou de Nanterre signifie qu'il aura accès au tabac, et qu'il aura officiellement le droit de fumer et de cantiner des cigarettes. Le tabac représente un véritable enjeu de prise en charge. Il n'est normalement pas prévu que des patchs de nicotine soient prescrits à un mineur. Toutefois, il me semble que l'unité sanitaire leur en prescrive malgré tout et les accompagne pour arrêter de fumer. Il s'agit d'une question qui mériterait d'être approfondie. L'unité de soins se doit avant tout de prendre en charge les majeurs. Le QM de Nanterre ne dispose d'ailleurs pas de pédopsychiatre, et le psychiatre n'intervient pas auprès des mineurs de moins de 16 ans, ce qui peut considérablement compliquer leur prise en charge. Bien sûr, notre objet ici n'est pas de faire le procès de la psychiatrie. Nous avons des besoins, et des moyens sont développés en partenariat avec l'hôpital et l'ARS – agence régionale de santé. Il s'agit en effet d'une problématique cruciale de la prise en charge des MNA et des personnes détenues mineures criminelles.

Au niveau de l'établissement, il est très difficile de mettre le « stop écrou » en place et d'obtenir des résultats. Notre « stop écrou » se situe à quinze détenus, mais une cellule peut facilement se retrouver hors d'usage et nous faisons parfois face à une arrivée massive provoquée par une affaire impliquant de multiples personnes. Il nous est arrivé ponctuellement d'accueillir une dix-neuvième personne. L'établissement où je travaillais avant, à Perpignan, possédait un QM de la même taille, et servait de structure de désencombrement pour les mineurs. Les jeunes aiment être à deux, mais cela génère des tensions. Pour nous, le QM offre également la possibilité de travailler avec les familles, que la PJJ rencontre régulièrement en vue de faire le point en associant les enseignants.

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M. Gilmant Merci a précisé que la majorité des mineurs de son établissement étaient incarcérés pour des faits de vol. Est-ce également le cas des autres établissements ?

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Fanny Bouchard, directrice de l'établissement pour mineurs de Marseille

Les infractions à la législation sur les stupéfiants constituent clairement la première cause d'incarcération à l'EPM de Marseille.

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Nathalie Jaffré, directrice de l'établissement pour mineurs de Porcheville

À l'EPM de Porcheville, il s'agit du vol et des vols qualifiés.

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Anne Rouville-Drouche, directrice de la maison d'arrêt de Nanterre

Je ne voudrais pas me tromper, mais au QM de Nanterre, beaucoup sont incarcérés pour des faits de vols ou dans le cadre de procédures criminelles pour atteinte aux personnes.

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Quelle est la durée de détention moyenne ? Que peut-on entreprendre lors d'une détention courte ?

La détention provisoire étant majoritaire, il me semble que le jugement intervient pour libérer le détenu, dans une logique allant souvent à l'encontre de ce qu'on aurait voulu qu'il retienne de son parcours judiciaire.

Comment les familles s'impliquent-elles ? Comment faites-vous pour les impliquer ?

Si les mineurs aiment souvent être à deux en cellule, l'encellulement individuel est-il vécu comme une punition supplémentaire ?

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Nathalie Jaffré, directrice de l'établissement pour mineurs de Porcheville

En 2020, la durée moyenne de détention à l'EPM de Porcheville était de quatre mois et sept jours. 8 % des détenus sont restés moins de quinze jours, 11 % entre quinze et trente jours, 20 % entre trente et soixante jours. En tout, 40 % des détentions ont duré moins de soixante jours. Ainsi, 60 % des détenus sont incarcérés plus de soixante jours, 16 % entre soixante et quatre-vingt-dix jours, 19 % entre quatre-vingt-dix jours et six mois, et 23 % au-delà de six mois. Cette durée moyenne de quatre mois n'illustre donc pas vraiment la réalité. Quand un jeune reste moins de quinze jours, nous ne pouvons pas mettre en place de réelle prise en charge. D'autres restent parfois très longtemps, notamment dans le cadre de procédures criminelles. Ils sont jugés et condamnés en étant encore mineurs, mais ils atteindront souvent la majorité lors de leur détention, et devront alors être transférés en détention majeure.

Parmi les mineurs accueillis, 92 % sont des prévenus. Il est très fréquent que le jugement intervienne et entraîne leur libération. De fait, les mineurs restent souvent dans l'espoir d'une libération et peuvent se retrouver à sortir du jour au lendemain lorsqu'ils posent une demande de mise en liberté. L'absence de visibilité sur la date de sortie des détenus complique considérablement le travail des équipes. Les jeunes peuvent être libérés avant la fin du mandat de dépôt, ou après si ce dernier est prolongé. Le statut de prévenu complexifie toutes les questions d'alternatives à l'incarcération et de rescolarisation.

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Fanny Bouchard, directrice de l'établissement pour mineurs de Marseille

Cette durée moyenne de détention de quatre mois recouvre des réalités différentes à l'EPM de Marseille. La question met en relief tout l'enjeu de l'entrée en vigueur du CJPM qui devrait totalement inverser la tendance. Grâce aux audiences à un mois, nous accueillerons plus de condamnés que de prévenus, et nous connaîtrons ainsi la date de la fin de peine, ce qui nous permettra de travailler différemment. La proportion entre prévenus et condamnés n'est pas du tout la même chez les majeurs, et fait la spécificité de la gestion de la population pénale mineure. Son inversion va également transformer le travail de l'ensemble des personnels.

Pour les professionnels intervenant dans les EPM, ces quatre mois de détention représentent souvent un temps de bilan et d'analyse. Au niveau de la PJJ, cette période permet de reconstruire le parcours du mineur qui est souvent morcelé, entre suivis en milieu ouvert, aide sociale à l'enfance, PJJ, passages en centre éducatif fermé ou en centre éducatif renforcé. La détention offre également l'occasion à l'éducation nationale de reconstruire le parcours scolaire du mineur. Certains sont déscolarisés depuis l'école primaire, ou sont passés par des cursus spécifiques, en institut thérapeutique éducatif et pédagogique – ITEP – et autre. Sur le plan de la santé, ce temps permet aussi de dresser un vrai bilan somatique et psychiatrique, même si assez peu de mineurs sont suivis pour des troubles psy. Enfin, ces quatre mois permettent d'établir un bilan au niveau pénitentiaire. Ils offrent la possibilité aux jeunes de se poser.

Normalement, l'encellulement individuel est la règle. Toutefois, le « stop écrou » n'existe pas à la direction interrégionale de Marseille – j'en découvre l'existence aujourd'hui. Ainsi, en 2019, l'EPM s'est régulièrement retrouvé en sureffectif, accueillant jusqu'à soixante-sept mineurs contraints d'occuper des matelas à même le sol. En EPM, les cellules ne sont pas doublées. L'encellulement individuel offre au jeune la possibilité de se poser, souvent pour la première fois. Ils ne parlent d'ailleurs parfois plus de cellule, mais de chambre. Ils n'ont plus à faire le guet dans des points de deal, la détention représente ainsi un moment d'apaisement dans leur parcours de vie.

Nous essayons de valoriser le parcours des mineurs détenus. De façon générale les familles ne sont approchées par la justice qu'à travers le prisme des travers de leurs enfants. Nous cherchons à les toucher en valorisant le travail des jeunes, notamment grâce à l'éducation nationale et aux diplômes qu'ils sont amenés à passer. Nous essayons de montrer aux familles qu'ils sont capables d'autre chose que de délinquance.

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Michaël Gilmant Merci, directeur de la maison d'arrêt de Villepinte

La durée des peines du QM de Villepinte est étonnamment similaire à celle des EPM de Porcheville et Marseille. La question du bilan est effectivement essentielle, tant au niveau de l'éducation nationale que de la santé. Contrairement au QM de Nanterre, nous accueillons un pédopsychiatre en mesure de réaliser un bilan santé approfondi. Notre unité de soin prend en charge la polytoxicomanie et les nombreuses carences rencontrées par nos jeunes. Notre politique vise également à raccrocher les jeunes à l'école, et nous tentons d'imposer l'obligation scolaire jusqu'à 18 ans.

Concernant l'encellulement individuel, j'ai connu deux situations très différentes entre l'outre-mer et la métropole. À Mayotte, il était plus simple et souvent demandé de doubler les cellules pour des raisons culturelles. À Villepinte, lorsque certains jeunes souhaitent être doublés en cellule nous le refusons. Se retrouver seuls pour la première fois constitue un véritable choc pour eux. Ils viennent d'appartements très étroits, d'un environnement toujours occupé par de nombreuses personnes, qu'il soit délinquantiel, familial ou, s'ils vivent dans la rue, social. Nous travaillons avec eux sur l'appropriation de cet espace, en les amenant à s'occuper de leur lit, de leur cellule. Contrairement aux EPM, les liens entre les familles et l'équipe de direction et d'encadrement sont inexistants.

Dans l'établissement où je travaillais précédemment, nous rencontrions les familles des jeunes présentant un certain profil, mais ce n'était pas systématisé. Nous aimerions faire évoluer cette situation à Villepinte, mais cela nous paraît très difficile au regard de la durée de la détention, du travail engagé auprès de nos jeunes et des moyens dont nous disposons. Lorsque la famille existe, le lien est assuré par la PJJ. De nombreux jeunes sont totalement désocialisés et viennent de familles d'accueil, de structures de prise en charge ou vivent dans la rue. Nous travaillons actuellement sur des parloirs médiatisés. Je pense notamment à un jeune qui a pour projet de sortie de s'installer chez son père qu'il n'a pas vu depuis des années. Cela implique nécessairement que ce dernier se rende à l'établissement et que nous permettions des retrouvailles progressives. Ces enjeux sont très importants et demandent beaucoup d'investissement, tant dans le milieu ouvert que dans le milieu fermé en liaison avec les médecins et les psychologues. Nous tentons de réaliser ce travail au quotidien, même s'il ne peut pas être systématique.

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Anne Rouville-Drouche, directrice de la maison d'arrêt de Nanterre

À Nanterre, la durée moyenne des séjours tourne autour de quatre mois. L'encellulement individuel y est perçu différemment. Nous l'imposons aux personnes détenues même si nous disposons de deux cellules équipées de lits doubles et aménagées pour supporter un encellulement supérieur. Dans un QM aussi petit que celui de Nanterre, la place de l'adulte est très importante. De nombreux jeunes viennent de familles structurées et ont reçu une bonne éducation, ils fréquentent le lycée, suivent des études. D'autres viennent de pays étrangers et ont connu un parcours très chaotique. Nous rencontrons tous les cas de figure.

Notre avantage réside dans notre capacité à stabiliser le jeune en l'entourant d'une présence adulte importante qui tient le même discours. Nous n'oublions pas que nous avons affaire à des enfants à qui il reste beaucoup à apprendre. Nous revenons avec eux sur des fondamentaux. Nous travaillons par exemple depuis deux ans sur le service du petit-déjeuner avec notre partenaire privé. Auparavant, les mineurs se contentaient de boire un peu d'eau chaude, de se préparer un chocolat avec du lait en poudre, et c'est tout. Notre établissement ne comprend pas de douches en cellule. Nous souhaitions rythmer la journée des jeunes et leur expliquer qu'ils devaient se lever le matin, même s'ils s'étaient couchés tard, prendre leur petit-déjeuner puis une douche et aller à l'école. La prise en charge d'un mineur consiste aussi à lui réapprendre ces bases.

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Merci pour vos présentations, qui nous permettent de prendre la mesure de la difficulté et de l'exigence de votre métier. Nous comprenons qu'un EPM fait figure d'hôtel cinq étoiles à côté d'un QM. Savez-vous pourquoi un mineur est envoyé en EPM plutôt qu'en QM ? S'agit-il d'un choix aléatoire, ou est-il lié à la proximité avec la famille ? Le sujet de la parentalité étant bien sûr essentiel et méritant d'être travaillé.

Comment les 90 % de prévenus et les 10 % de condamnés coexistent-ils ? Obéissent-ils aux mêmes règles ?

Le centre pénitentiaire de Varennes-le-Grand fonctionne très bien, son QM est de grande qualité, les surveillants et la PJJ ayant le souci d'entourer les enfants. Toutefois, l'unité de vie dédiée aux adultes et censée leur permettre d'entretenir un contact avec leur famille dans le but de préparer leur sortie ne fonctionne pas, en raison d'un manque de personnel. Rencontrez-vous ce même problème de dispositifs à l'arrêt en raison d'effectifs trop faibles dans vos EPM ?

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Anne Rouville-Drouche, directrice de la maison d'arrêt de Nanterre

Je pense que l'on peut rester parent tout en étant éloigné de son enfant, l'Île-de-France ne reflétant pas la réalité des régions. Il est possible que le mineur soit incarcéré à 300 kilomètres de sa famille. Dans ce cas, la PJJ est mandatée pour faciliter le déplacement des proches et les accompagner, voire les véhiculer. En outre, la famille n'est pas toujours structurante, et, s'il est vrai que l'on a besoin d'un parent, le magistrat n'a parfois pas d'autre choix que d'incarcérer le mineur plus loin, simplement parce qu'il est nécessaire de le couper de son environnement. Il arrive que des faits soient extrêmement médiatisés et ne permettent pas au mineur de vivre les premiers jours de sa détention de façon apaisée. Bien sûr, il est important que les jeunes puissent voir leur famille s'ils entretiennent de bonnes relations avec leurs parents.

À Nanterre, nous rencontrons parfois des difficultés à obtenir l'éloignement d'un mineur détenu. Nous le sollicitons lorsque l'affaire pour laquelle il a été incarcéré se retrouve dans les médias ou que le mineur en a fait étalage lui-même sans penser que l'information se retournerait contre lui. Les magistrats ont souvent le souhait de préserver la proximité avec la famille. Il m'est arrivé encore récemment de m'interroger sur cette décision de maintien, qui en fin de compte menace l'équilibre du jeune. Tout est affaire de circonstances, même s'il est vrai qu'à Nanterre, nous n'avons que dix-huit situations à gérer contrairement à mes collègues.

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Michaël Gilmant Merci, directeur de la maison d'arrêt de Villepinte

Le caractère structurant de la famille est envisagé par principe. Les parents sont structurants, mais nous pourrions tous citer de nombreux exemples de visites parentales, de liens parentaux, de refus de la réalité de l'incarcération par les parents qui rendent très difficile la prise en charge du jeune par nos équipes. Nos intervenants tentent au quotidien de recréer un cadre qui n'existe pas ou plus à l'extérieur.

Lorsqu'on atteint 90 %, voire 98 % de prévenus pour 2 % de condamnés, comme c'était le cas à Villepinte en 2020, la question de la cohabitation se pose peu. Les quelques condamnés présentent souvent le même profil que les prévenus. Nous constituons des groupes de vie en fonction de l'âge, du profil, du comportement, des intérêts, etc. La séparation entre les prévenus et les condamnés strictement respectée chez les majeurs est envisagée différemment chez les mineurs, en raison des effectifs. Nous ne pourrions pas travailler avec des groupes dédiés aux condamnés et d'autres aux prévenus, dont les profils et les besoins sont par ailleurs similaires. En effet, le besoin éducatif, social et médical du jeune nous importe plus que son statut de condamné ou de prévenu.

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Nathalie Jaffré, directrice de l'établissement pour mineurs de Porcheville

J'exerce dans un établissement assez éloigné des centres urbains. Les mineurs que nous accueillons venant de l'ensemble de l'Île-de-France, nous rencontrons une problématique liée à l'éloignement non négligeable ; il s'agit d'une conséquence des choix d'implantation des établissements pénitentiaires. Nous sommes intégrés à l'agglomération de Mantes-la-Jolie, et très peu des jeunes que nous hébergeons sont originaires de cette agglomération. Lorsqu'on vient des Yvelines, il est très compliqué de se rendre à Porcheville. La gare la plus proche se trouve à vingt minutes à pied de l'établissement.

Il s'agit d'un vrai frein aux liens familiaux. Nous constatons que les familles qui souhaitent maintenir le lien font d'immenses efforts pour venir voir leurs enfants. Certaines sont très investies et passent parfois des heures dans les transports en commun afin de se rendre au parloir trois fois par semaine. Il s'agit de familles structurantes pour l'enfant. D'autres familles étaient abandonniques avant l'incarcération et le restent après. La PJJ fournit un travail considérable dans le but d'essayer de recréer du lien familial, en cherchant notamment à remettre à sa place l'autorité parentale dans son entièreté. Beaucoup de jeunes sont issus de familles monoparentales, où le père a délaissé sa place par habitude. La PJJ essaye de le remobiliser et de le remettre dans son rôle, ce qui ne fonctionne pas toujours.

Nous disposons également de certains dispositifs permettant de valoriser les mineurs auprès de leur famille. Nous organisons des journées familles qui se déroulent dans l'abri-famille, à l'extérieur de l'établissement. Cette mesure permet aux familles de venir rencontrer les professionnels qui encadrent leurs enfants, même lorsqu'elles ne disposent pas de permis de visite.

L'éducation nationale participe chaque trimestre à ces journées-famille, en remettant les bulletins scolaires. Il s'agit d'un moment valorisant, c'est en effet souvent la première fois que les familles reçoivent un bulletin scolaire positif, la qualité de l'enseignement et l'individualisation mise en place permettant d'obtenir de bons résultats. Nous disposons également d'une salle de parloir médiatisée où nous organisons des temps d'échanges entre les parents, l'enfant, les éducateurs de milieu ouvert et de milieu fermé de la PJJ, pour préparer les alternatives à l'incarcération en présence de tous. Nous essayons également de valoriser certaines activités mises en place. Nous avons par exemple organisé un atelier slam et avons invité les parents à venir assister à la restitution de cette activité.

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Fanny Bouchard, directrice de l'établissement pour mineurs de Marseille

En ce qui concerne la direction interrégionale de Marseille, nous nous appuyons sur le schéma territorial d'affectation défini en lien avec la cour d'appel d'Aix-en-Provence, la DAP et la PJJ. Il définit les critères d'affectation entre l'EPM de Marseille et le QM d'Aix-en-Provence.

Théoriquement, l'EPM a plutôt vocation à accueillir les mineurs de moins de 16 ans, les primo incarcérés et les mineurs sous le coup de procédures criminelles. Quant au QM, il aurait plutôt vocation à accueillir les plus de 16 ans, les jeunes relevant de procédures correctionnelles et les multirécidivistes. Dans la pratique, nous accueillons une majorité de jeunes de plus de 16 ans, les mineurs de moins de 16 ans ne représentant que 10 à 15 % des incarcérations.

L'individualisation de la prise en charge et le rôle du collectif font partie des principes édictés pour l'EPM. Les mineurs doivent être capables de se trouver en dehors de la cellule et en collectivité presque toute la journée, en présence des professionnels des différentes institutions.

La séparation des prévenus et des condamnés n'existe pas en EPM. En revanche, les condamnations très longues peuvent poser des difficultés dans la gestion de la détention. Il arrive en effet qu'ils soient condamnés à huit ou dix ans de détention. Il est très compliqué de gérer un mineur de 15 ans condamné aussi longtemps, alors qu'il a déjà du mal à se projeter au lendemain. Ces situations nous obligent à revoir nos modalités de gestion.

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Si je comprends bien, le « stop écrou » n'existe pas dans toutes les structures. Pourquoi ? Comment se met-il en place et comment font les magistrats quand tous les établissements sont pleins, par exemple en Île-de-France ?

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Nathalie Jaffré, directrice de l'établissement pour mineurs de Porcheville

Je suis à l'origine du « stop écrou ». En Île-de-France, nous avons connu des épisodes de pic d'incarcération des mineurs durant lesquels nos QM et notre EPM approchaient régulièrement de la saturation. Nous avons cherché un moyen d'informer les magistrats de la situation des effectifs dans chaque établissement afin qu'ils sachent où des places étaient disponibles. Cette situation n'existe plus, même si les chiffres du QM de Nanterre restent élevés. L'idée était de prévenir les juridictions que nos établissements avaient atteint un certain seuil : cinquante-cinq détenus pour l'EPM de Porcheville, trente-cinq pour Villepinte et quinze pour Nanterre. Nous les informions qu'en incarcérant davantage de mineurs dans nos établissements, nous risquions de rencontrer des difficultés de gestion, voire de nous retrouver en situation de surencombrement.

J'estime que le bilan est plutôt positif. En effet, la régulation des effectifs s'est améliorée. Il nous évite d'avoir à réaliser des transferts en désencombrement, peu adaptés à la prise en charge des mineurs. Nous choisissions le mineur avec le moins de liens familiaux et le placions plus loin, entraînant une rupture complète de sa prise en charge. Grâce au « stop écrou », nous arrivons à éviter ces transferts. Le mineur est pris en charge de A à Z par la structure qui l'accueille. Cet outil est propre à l'Île-de-France, et nous a permis d'obtenir une régulation des effectifs sur la région.

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Ce « stop écrou » est une sorte de numerus clausus très intéressant, un équivalent a d'ailleurs été envisagé pour les adultes. Par quelle forme juridique ou réglementaire se traduit-il ?

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Nathalie Jaffré, directrice de l'établissement pour mineurs de Porcheville

Il s'agit d'une bonne pratique. Le chef de l'établissement concerné adresse une note par mail aux magistrats des juridictions.

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Michaël Gilmant Merci, directeur de la maison d'arrêt de Villepinte

Le « stop écrou » n'a pas d'existence réglementaire ; c'est entre nous que nous appelons cette procédure ainsi. Il est le fruit d'une collaboration active avec l'autorité judiciaire qui est partie prenante sur ce dispositif. C'est grâce à elle que nous régulons nos effectifs.

La réunion se termine à dix-neuf heures trente-cinq

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Présents. – Mme Caroline Abadie, M. Philippe Benassaya, M. Sacha Houlié, Mme Cécile Untermaier

Excusés. - M. Alain Bruneel, Mme Séverine Gipson, M. Jacques Krabal, M. Stéphane Trompille