La réunion débute à 15 heures.
Présidence de M. Jean-René Cazeneuve, président.
Les débats sont accessibles sur le portail vidéo du site de l'Assemblée nationale à l'adresse suivante :
La Délégation procède à l'audition de Mme Emmanuelle WARGON, Ministre déléguée auprès de la ministre de la Transition écologique, chargée du Logement, sur le thème de la lutte contre l'artificialisation des sols.
Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement, sur le thème de la lutte contre l'artificialisation des sols dans le cadre de l'examen du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi climat et résilience.
Lorsque vous étiez secrétaire d'État à l'écologie, vous aviez créé et copiloté avec Julien Denormandie un groupe de travail consacré à l'objectif « zéro artificialisation nette ». La réduction de l'artificialisation des sols inscrite dans le projet de loi fera, je l'espère, l'objet d'un large consensus car cet objectif me semble largement partagé. Il existe toutefois des interrogations sur la méthode à suivre, qui nous remontent via les associations d'élus.
Le projet de loi semble fixer un même objectif à toutes les régions. Toutefois, dans le cadre de leur schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET), les régions doivent travailler avec les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et prendre en considération les schémas de cohérence territoriale (SCOT) afin de répartir cet effort. Les associations se posent donc des questions sur les coûts et le calendrier de cette démarche de réduction de l'artificialisation des sols. Beaucoup de collectivités viennent de terminer leur SRADDET, leur plan local d'urbanisme (PLU) communal ou intercommunal (PLUI) et n'ont pas l'envie ou les moyens de mettre à jour ces documents. Je souhaiterais donc connaître votre avis sur le soutien qui pourrait être apporté aux collectivités territoriales à cette occasion.
La lutte contre l'artificialisation des sols est un sujet sur lequel je travaille depuis mon arrivée au Gouvernement. Avec Julien Denormandie, et lorsque j'étais secrétaire d'État à l'écologie, nous avions créé un premier groupe de travail avec des parlementaires pour essayer de dégager une vision, des outils, des objectifs et une stratégie commune.
C'est un sujet important mais aussi complexe car on artificialise l'équivalent d'un département de la taille du Vaucluse tous les dix ans et, paradoxalement, ce phénomène n'est pas corrélé à l'évolution démographique des territoires puisqu'il intervient aussi sur les territoires qui perdent le plus d'habitants.
Les travaux menés par les citoyens de la Convention citoyenne pour le climat ont montré qu'il fallait s'emparer du sujet de la désartificialisation car il est lié à la stratégie de décarbonation.
L'objectif du projet de loi est de diviser par deux le rythme de l'artificialisation. Nous avons longuement échangé, tant dans le groupe de travail que nous avions créé que dans le cadre de la Convention citoyenne pour le climat, sur la date à laquelle il faudra arriver au « zéro artificialisation nette ». Plutôt que de travailler sur la totalité de la trajectoire, nous avons fait le choix politique de nous concentrer sur une partie de celle-ci. Nous savons que les grandes trajectoires à trente, quarante ou cinquante ans sont difficiles à tenir ; c'est pourquoi nous préférons proposer une étape significative en divisant par deux le rythme de l'artificialisation en dix ans.
Par ailleurs, cette trajectoire se définira à l'échelle régionale. Une échelle plus petite aurait conduit à une réduction identique partout, quelle que soit la taille de la collectivité. Or, compte tenu de la diversité du territoire, ce n'est pas réaliste ; l'échelle de la région paraît la plus adaptée.
L'objectif est que la trajectoire soit discutée dans la stratégie régionale lors de l'élaboration des SRADDET. La mise en cohérence des documents d'urbanisme de type SCOT, PLUI et PLU avec les SRADDET permettra ensuite de la faire entrer en vigueur. Cet objectif de moins 50 % d'artificialisation ne sera pas nécessairement matérialisé dans chaque SCOT et PLU : une stratégie régionale différenciée pourra être envisagée, même si cela ne sera pas facile.
Le projet de loi prévoit une mesure de transparence avec l'obligation faite à chaque commune ou à chaque intercommunalité de présenter un rapport annuel sur la trajectoire de lutte contre l'artificialisation.
La deuxième mesure, la plus emblématique et celle qui sera le plus discutée, concerne les nouvelles surfaces commerciales. Le projet de loi propose d'interdire, et c'est une demande très forte des citoyens, la construction de nouvelles surfaces commerciales qui artificialisent. Le seuil est porté à 10 000 mètres carrés : au-dessus de ce seuil, cette interdiction ne souffre aucune exception ; en dessous, des dérogations sont possibles. Les conditions devront être précisées ; il sera notamment nécessaire de compenser si l'on est amené à artificialiser, par exemple lorsqu'il existe un réel besoin de surfaces commerciales en périphérie.
Nous proposons que les zones d'activités économiques devenues des zones de déqualification urbaine, à l'urbanisme anarchique, soient inventoriées par les intercommunalités afin de les traiter et d'engager la requalification.
Enfin, nous demandons que les maîtres d'ouvrage évaluent le potentiel de réversibilité des bâtiments, au stade de la construction et avant la démolition, afin d'avoir une alternative entre construction ou destruction, d'une part, et requalification, d'autre part.
Certaines mesures du plan de relance, bien que convergeant vers nos objectifs de désartificialisation, ne figurent pas dans le projet de loi climat et résilience. Il s'agit notamment du fonds que nous avons créé pour la requalification des friches. C'est un point important car si l'on artificialise moins, il faudra construire davantage sur des terrains déjà artificialisés. Il peut s'agir de friches industrielles, commerciales ou urbaines. Souvent les porteurs de projets d'aménagement ne parviennent pas à boucler des opérations qui nécessitent de la dépollution, de la déconstruction-reconstruction, de l'excavation ou de la réalisation de fondations car il manque plusieurs millions. C'est à cela que servira ce fonds friches de 300 millions d'euros. L'Agence de la transition écologique (ADEME) conserve 40 millions d'euros au niveau national pour des appels à projets. Le reste est contractualisé avec les régions, dans le cadre des contrats de plan État-Région (CPER) qui peuvent aussi intégrer des crédits communautaires. En effet, certaines régions, comme les Hauts-de-France, souhaitent aller chercher des fonds communautaires tels le Fonds européen de développement régional (FEDER). Le fonds friches fait une vraie différence et permet, comme j'ai pu le constater en Île-de-France, de boucler des projets.
Enfin, le financement des équipements en faveur des communes qui acceptent une densité sur leur territoire devra être précisé. Il existe déjà une aide dédiée aux maires densificateurs dans le plan de relance : dotée de 350 millions d'euros, elle est versée automatiquement, sans demande préalable, au fur et à mesure de l'octroi des permis de construire. Cela permet de cofinancer les équipements. Toutefois, la question du modèle économique du point de vue des collectivités locales, de la construction, de la réhabilitation, de la construction de la ville sur la ville doit être reposée. Cela permet de s'assurer que des incohérences économiques ne bloquent pas la volonté de faire.
Nous devons avoir une approche pragmatique et affirmer notre volonté de protéger les communes et les territoires ruraux face à l'effacement et à la dévitalisation des zones rurales. Il faut réaffirmer le besoin de décentraliser la vie pour éviter l'étalement urbain. Je suis député d'une circonscription composée de villes moyennes comme Dieppe et Le Tréport, de petites villes et de nombreuses petites communes rurales. Ces dernières sont confrontées à un schéma départemental de couverture des risques incendie qui rend de plus en plus difficile la construction d'habitats, et à une vision technocratique très verticale de la part des services de l'État. Le discours du Gouvernement sur les petites villes de demain, sur la nécessité de préserver la ruralité, sur l'aménagement équilibré du territoire, sur la répartition plus juste de la démographie prend la forme d'un slogan éloigné de la réalité. En effet, l'inconstructibilité devient la règle, et la constructibilité, y compris pour combler des « dents creuses », dans les hameaux, la difficile exception.
Il serait utile de réfléchir également à la densification de l'habitat social en zone rurale, à la réquisition, à la rénovation du parc de logements et aux adaptations liées à la perte d'autonomie des personnes âgées. Dans les ruralités et dans les villes moyenne, la décentralisation des services et des équipements publics permettrait de renforcer l'attractivité de ces territoires face au phénomène de métropolisation, notamment d'un point de vue environnemental.
Je serai attentif à ces sujets lors de la discussion parlementaire, avec pour grille de lecture le principe de libre administration des collectivités locales. Si demain le SRADDET devenait pour les communes ce que les traités européens sont à la Constitution, l'article 72 de la Constitution sur la libre administration des collectivités locales serait fragilisé. Le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) a appelé notre attention sur le sujet.
La capacité des communes rurales à vivre, à préserver leur école et leurs services publics représente un enjeu politique majeur.
En Bretagne, notamment dans le Finistère, nous sommes en avance sur la rédaction des documents d'urbanisme ainsi que sur les questions d'artificialisation des terres ; c'est pourquoi nous sommes plutôt inquiets. L'objectif de diviser par deux l'artificialisation pénalisera les territoires les plus vertueux. En effet, il est plus facile de réduire de 50 % l'artificialisation des terres lorsque les efforts ont été mesurés, voire inexistants. Nous, nous avons déjà fait ce travail et les SRADDET, PLUI et SCOT sont en place depuis longtemps.
Notre deuxième crainte est liée au délai de trois ans pour la transposition en cascade : une durée de cinq ou six ans serait une estimation plus réaliste.
Nous devrons enfin définir plus précisément la notion d'artificialisation nette, sous peine de voir apparaître de nombreux contentieux.
L'article 52 du projet de loi climat et résilience interdit la création d'une nouvelle surface commerciale dans les espaces naturels ou agricoles. Ce principe général va dans le bon sens. Néanmoins, ce dispositif n'acte rien concernant les entrepôts de stockage pour la vente en ligne. Or, il semble important d'intégrer les entrepôts du e-commerce au dispositif. Cette mesure défendue par la Convention citoyenne était largement soutenue par les Français, soit sept citoyens sur dix. Par ailleurs, l'expansion rapide des géants de la vente en ligne a déjà détruit 81 000 emplois en solde net en France, alors même que les commerçants qui animent nos communes sont fragilisés par la crise sanitaire et économique. Plus de 150 000 emplois sont menacés dans le commerce physique à court terme. Dans ces conditions, ce projet de loi ambitieux et unique doit répondre à la demande commune des Français et des petits commerces en intégrant les entrepôts d'e-commerce au dispositif prévu à l'article 52. Ce point a été soulevé par le Conseil économique, social et environnemental (CESE) dans son avis rendu public il y a quelques semaines. L'une des solutions serait donc d'assujettir ces entrepôts au minimum à une autorisation commerciale pour répondre au principe d'équité entre tous les commerces, physiques ou en ligne, et lutter contre l'artificialisation du sol. J'aimerais connaître votre position sur ce sujet.
La sauvegarde des espaces agricoles et naturels me préoccupe car ma circonscription abrite 343 communes ainsi que le onzième parc national. Or, étrangement, c'est dans les espaces ruraux que l'on artificialise le plus – il y a tellement d'espace que l'on se dit qu'on peut y aller ! Il semblerait que les plus-values réalisées par les promoteurs immobiliers et entreprises du bâtiment et travaux publics soient particulièrement élevées. Pensez-vous que l'on taxe suffisamment la conversion des terres agricoles en terrains constructibles ?
Concernant l'habitat rural, les constructions typiques, faites de pierres, de lave, de briques ou même de terre sont plus difficiles à rénover en raison du coût élevé des travaux. Les gens ont donc tendance à délaisser les cœurs de village et à construire plus loin, contribuant ainsi au mitage. Comment faire pour favoriser la rénovation de l'habitat traditionnel, qui compte de nombreuses passoires énergétiques et même des taudis, et où vivent nombre de personnes âgées ?
Pour limiter l'artificialisation des sols, il faudrait reconsidérer l'habitat rural et repenser le calcul de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), qui repose uniquement sur le nombre d'habitants, en y intégrant l'espace.
L'objectif de la gestion économe des sols est partagé par tous. Il est inscrit depuis longtemps dans le code de l'urbanisme, mais nous devons être vigilants.
La régulation de l'artificialisation des sols au niveau national pourrait être contre-productive, en particulier dans les zones rurales. Le risque serait d'accentuer la fracture territoriale en poursuivant l'extension des villes. Dans ma circonscription, nous avons un souci avec l'extension des zones industrielles dont nous avons besoin pour conserver de l'emploi. Si nous n'obtenons pas ces extensions de zones, nous perdrons des emplois puis des habitants et nous serons amenés à fermer les écoles et des services publics. Toute l'économie de la ville et des villages repose sur ces entreprises. Comment peut-on gérer les zones industrielles et le développement économique dans nos zones rurales, sans trop artificialiser ?
Aujourd'hui, les friches industrielles ne servent à rien. Ce sont des fardeaux pour nos collectivités et il existe un intérêt à les réhabiliter. Toutefois, leur dépollution coûte cher et si des crédits sont prévus dans le plan de relance pour accompagner les collectivités, il faudra trouver des fonds pour aider les collectivités à réhabiliter l'ensemble des friches commerciales et industrielles.
Je partage les propos de Sébastien Jumel relatifs à la liberté donnée aux collectivités pour s'organiser et trouver leur propre équilibre dans l'organisation territoriale.
Nous avons fait le choix de placer la définition de la trajectoire de la désartificialisation à l'échelle régionale. Nous avons cherché un point d'équilibre entre les demandes de la Convention citoyenne et le respect de la libre administration des collectivités locales. L'idée est d'en rester à ce qui existe dans le droit commun, à savoir la cohérence entre les différents documents, et non d'imposer leur conformité. Je suis en revanche ouverte à l'idée d'allonger les délais de transposition : il serait en effet trop ambitieux de la faire en trois ans, alors que certaines collectivités sont sur le point d'adopter leur SCOT ou leur PLUI.
Nous avons réfléchi à une différenciation selon les régions, mais nous ne disposions pas de critères qui pourraient être acceptés par tous. De plus, les régions sont désormais suffisamment grandes pour que l'objectif de 50 % soit atteint partout. Pour la région Île-de-France et les outre-mer, toutefois, ce taux sera fixé dans la négociation locale car ces deux cas sont particuliers.
Le projet de loi définit l'artificialisation et le net, mais renvoie au décret pour préciser ces notions. Il faudra trouver un équilibre entre le net d'un côté et la renaturation de l'autre. Il est important de conserver cette soupape car nous aurons toujours besoin d'utiliser des terres naturelles, notamment en cas d'extension de villes, d'activités économiques ou industrielles. À l'inverse, nous devons être en mesure de rendre des terres à la nature, et malheureusement beaucoup de terres sont devenues des no man's lands.
Les surfaces commerciales et les entrepôts se situent sur des plans différents. Le choix du commerce physique conduit à se déplacer, tandis que l'e-commerce permet de se faire livrer sans se déplacer. C'est un choix de société. La localisation des entrepôts n'empêchera pas les gens de se faire livrer : s'il n'y avait plus d'entrepôts en France, l'e-commerce continuerait de fonctionner avec des entrepôts situés en périphérie, en Belgique ou en Allemagne. Il y aurait davantage de camions sur les routes et les délais de livraisons seraient un peu plus longs, mais le commerce à distance en France existerait toujours.
Néanmoins, ces entrepôts consomment beaucoup d'espaces. Le ratio espace consommé-emplois créés est extrêmement bas et la valeur ajoutée pour les territoires est faible. Face à cette difficulté, nous avons décidé de procéder différemment. Tout d'abord, une mission inter-inspections a été créée et nous attendons ses conclusions. Ensuite, l'installation d'un entrepôt sur une terre naturelle ou agricole crée une artificialisation brute importante, ce qui nécessitera une compensation. Ce mécanisme aura un impact sur l'installation des entrepôts sur des terres naturelles. Nous aurons vraisemblablement à traiter les entrepôts d'e‑commerce avec le tout-venant des installations, et non pas avec les surfaces commerciales, car ils ne sont pas tout à fait de même nature.
Il existe deux taxes sur la conversion des terres agricoles : une taxe d'État peu élevée et une taxe locale qui n'est pas toujours activée. Nous intervenons davantage sur les autorisations que sur la taxation, c'est-à-dire sur la restriction des zones à urbaniser ou déjà urbanisées et non utilisées.
Concernant les cœurs de ville et de village, nous avons ouvert des aides à la rénovation thermique. Toutefois, si la rénovation du patrimoine bâti des centres de village nécessite un financement exceptionnel, cofinancé par l'État et les collectivités, cela peut être étudié. L'envie de faire revivre des cœurs de bourg et de village est très cohérente avec la lutte contre l'artificialisation et le besoin de proximité. S'il manque un outil plus ciblé sur le patrimoine de cœur de ville et de village, je veux bien y retravailler avec vous et avec le ministère des collectivités territoriales.
Nous continuerons à avoir besoin de zones industrielles. C'est la raison pour laquelle nous nous orientons vers une réduction et non une suppression de l'artificialisation nette. C'est aussi pour cela que nous réfléchissons en net et non en brut. Nous continuerons à artificialiser – il est en effet illusoire de penser que nous ne le ferons plus jamais – mais nous le ferons moins et nous le compenserons.
Quant à la requalification des friches, c'est la première fois que l'on y consacre des crédits dans un fonds national. Ce n'est sans doute pas suffisant et je suis convaincue que les 300 millions d'euros seront consommés rapidement. Cet argent, qui provient du plan de relance, nous octroie un peu de marge de manœuvre. Il permet de payer la dépollution, notamment dans les cas où la recherche de responsabilité est vaine. C'est à cela que ce fonds sert.
Je partage la nécessité de diviser par deux le rythme de l'artificialisation.
Le projet de loi prévoit un système de compensation pour les zones commerciales. Y aura-t-il un système similaire pour les territoires et filières industrielles ?
Je suis favorable à une division par deux du rythme de l'artificialisation ; l'échelon régional, avec le SRADDET, est la meilleure approche. En revanche, certaines collectivités ont déjà adopté une démarche vertueuse et se sont engagées dans des processus SCOT ou PLUI. La possibilité de différencier les collectivités ou les territoires vertueux doit être affirmée lors des débats ou dans la loi. Les bons élèves doivent être reconnus, l'effort demandé ainsi que le rythme de revoyure des différents documents d'urbanisme, SCOT ou PLUI, adaptés aux efforts déjà fournis.
Je travaille sur ce sujet depuis longtemps, et ce texte m'inquiète. Si j'adhère à l'objectif de 50 %, sa mise en œuvre posera des problèmes. L'État imposera ce rythme aux régions ; il sera ensuite décliné dans les SCOT, lesquels devront être pris en compte par les communes. Chaque autorité habilitée à signer les permis de construire se retrouvera avec des mètres carrés de surfaces à artificialiser ces dix prochaines années. Moi, j'ai été maire et je ne sais pas le faire, madame la ministre : je ne sais pas comment refuser un permis de construire à quelqu'un qui veut construire un garage de 30 mètres carrés au fond de son jardin ; je ne sais pas comment faire pour accorder un permis de construire à une entreprise qui vient s'installer dans ma commune si cela m'empêche ensuite d'accorder de permis de construire à d'autres habitants de mon village. Loin de s'arrêter à la région, cette disposition s'appliquera à chaque mètre carré de notre pays.
Ensuite, le projet de loi renvoie la définition de certaines notions à un décret. Le sol est le bien commun de la nation : si les parlementaires ne s'interrogent pas sur les définitions, cela posera problème. Or, dans son avis, le Conseil d'État évoque une trajectoire permettant d'aboutir à l'absence de toute artificialisation nette, ce qui est contraire à notre stratégie « zéro artificialisation nette ». Nous devons donc travailler sur le contenu de cette définition, même si elle doit relever du décret, avant de voter la loi.
Enfin, je pense que nous allons créer un entonnoir économique catastrophique dans notre pays. En réduisant l'artificialisation des sols selon les modalités proposées et en excluant des logements pour des problèmes de rénovation thermique, nous allons vers une crise majeure du logement dans notre pays. Nous avons peu de temps ; c'est pourquoi nous devons travailler, madame la ministre !
Dans ma région, nombre de bourgs ruraux comportent des verrues en centre-ville – souvent des anciens garages automobiles –, détenues par des propriétaires privés. Aujourd'hui, ils font de la résistance. Quels moyens de pression ce projet de loi propose-t-il pour éliminer ces verrues en centre-ville ?
Certaines zones industrielles, obsolètes et devenues des zones grises, ont besoin d'être « relookées ». Ne serait-ce pas l'occasion de les réutiliser, avec de nouveaux matériaux et une nouvelle architecture adaptée, comme cela se fait aux Pays-Bas, afin de réimplanter des commerces ou des activités ?
Nous sommes nombreux à souligner les spécificités des zones rurales. La consommation foncière des infrastructures routières, ferroviaires ou aéroportuaires est colossale. Les surfaces imperméabilisées ne peuvent être traitées de la même manière.
Nous devons être intransigeants avec les zones commerciales. En revanche, il faut prévoir une spécificité pour les territoires ruraux concernant les zones industrielles et les zones d'habitat. Dans un PLUI en zone rurale, 50 % des zones proposées à l'urbanisation font l'objet de rétention foncière.
La compensation diffère entre les zones commerciales et les territoires d'industrie. Dans le premier cas, il y a une interdiction qui n'existe pas dans le second. Pour les zones commerciales, nous assumons une interdiction d'installation au-dessus de 10 000 m2 et une interdiction de principe pour les surfaces inférieures, avec toutefois la possibilité d'une dérogation soumise à compensation. Pour le reste, l'activité industrielle en particulier mais aussi les infrastructures, l'idée est de consommer le moins de nouvelles terres possible et, quand on en consomme, de les compenser ailleurs. Cela redonne de la marge de manœuvre sur la trajectoire d'artificialisation, à l'échelle locale et régionale. Cependant, la loi ne prévoit pas d'interdire l'installation de nouvelles zones industrielles qui artificialisent. L'interdiction concerne uniquement les zones commerciales. Pour les autres activités, l'objectif est de réduire l'artificialisation et de parvenir à la sobriété foncière en implantant sur des terres déjà artificialisées. Quand cela n'est pas possible, l'artificialisation doit être compensée afin de parvenir à la diviser par deux.
La différenciation à l'échelle régionale sera délicate, mais importante. Réduire l'artificialisation de 50 % dans chaque région en dix ans ne signifie pas moins 50 % dans chaque document d'urbanisme, SCOT ou PLUI. Ces 50 % sont attendus à l'échelle de la région. Une méthodologie devra être élaborée avec les parlementaires et les associations d'élus locaux. Certaines régions ont commencé à travailler sur des visions et des stratégies. À ma connaissance, les PLUI comportent eux-mêmes un objectif d'économie et de sobriété foncière, même s'il n'est pas quantifié. Les préfets veillent désormais, dans les processus d'adoption des PLUI, à la nécessaire limitation de l'artificialisation lors de la définition des zones à aménager et des zones constructibles. Dans chaque région, les collectivités devront préciser comment elles parviennent à diviser de moitié l'artificialisation. Cela s'inscrit plus largement dans une volonté d'aménagement du territoire, qui nous amène à identifier les forces stratégiques. Certaines activités consomment de l'espace, comme la Cosmetic Valley, la Plastics Vallée ou encore l'aéronautique. On doit s'interroger sur la meilleure façon de faire, déterminer la meilleure localisation, veiller à consommer le moins d'espace possible, évaluer où se situent les marges de manœuvre. Cela tient davantage du pilotage et de l'animation que du prescriptif, mais les visions locales doivent être mises en cohérence avec la vision régionale. C'est ce que nous devons apprendre à faire, même si c'est compliqué.
Nous souhaitons évidemment éviter une crise du logement. Nous essaierons de trouver le bon équilibre, à la fois sur l'artificialisation et sur la rénovation. Sur ce dernier point, nous proposons des mesures incitatives, notamment l'amélioration des aides et des parcours usagers, le diagnostic de performance énergétique et le renforcement du service public de l'efficacité énergétique. En 2028, il sera interdit d'octroyer des allocations aux propriétaires de passoire thermique. Mon objectif, c'est de ne sortir aucune passoire du marché et de faire en sorte qu'elles soient toutes rénovées d'ici là. Cela nécessitera un travail de prospection et d'accompagnement exhaustif à l'échelle des EPCI, avec le soutien des régions, de l'État et des départements pour identifier les propriétaires concernés et leur proposer les aides existantes pour les travaux. Une crise du logement n'est donc pas une fatalité. En revanche, ce qui est sûr, c'est qu'il faut travailler les mesures d'accompagnement pour l'éviter.
Concernant, les baux ruraux, j'ignore quelles incitations et mesures coercitives pourraient inciter les propriétaires à céder des dents creuses. Toutefois, la pression va augmenter sur eux, et peut-être aussi le prix du terrain. Il est donc possible que l'équation économique s'améliore.
Nous devons nous pencher sur le sujet des zones grises situées sur des plans de prévention des risques d'inondation (PPRI). Nous avons connu trop de drames causés par des constructions en zones inondables. Je reste donc prudente sur la possibilité de réinstaller des logements et des commerces dans de telles zones : cela doit faire l'objet d'un travail complémentaire.
Je suis favorable à une différenciation car imposer une réduction de 50 % à tout le monde n'aurait pas de sens. À l'échelle de chaque région, on doit parvenir à définir une stratégie territoriale. Cela nous contraint à refaire de l'aménagement du territoire, comme lors de la grande période de la délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR). Comment imagine-t-on les lieux de vie, de travail et de production dans la France de demain, région par région ? Cette réflexion est indispensable, sinon le grignotage des terres naturelles et agricoles se poursuivra.
La question de la surélévation est importante. Ma circonscription se situe dans une zone très dense ; dans nos communes, où beaucoup de constructions verticales en R+6, voire plus, ont été construits, il existe des rez-de-chaussée avec des commerces en bas et rien au-dessus. Certes, la loi Pinel existe, mais on n'utilise pas assez le levier de l'incitation pour densifier davantage. Peut-on initier des politiques plus incitatives en faveur de la surélévation ?
Si l'on veut remédier aux carences économiques de certains territoires, comme la Seine-Saint-Denis, il faut développer une vision globale qui résolve les problèmes de mobilité. Pour cela, l'emploi doit se situer à côté de l'habitat. Il faudrait donc inclure la dimension économique dans les SRADDET.
Beaucoup de maires n'ont plus assez de mètres carrés pour construire des écoles et des collèges. Comment peut-on aider les maires à racheter des mètres carrés ?
Lutter contre l'artificialisation des sols en faisant abstraction du bien-être, du bien vivre, constitue une faute. Encourager la densification à tout prix, sans mesurer les inconvénients qu'elle engendre, c'est vraiment dommage. Tout le monde travaille en silo, votre ministère comme les autres. Hier, un commandant de police m'expliquait que les grands ensembles étaient une plaie et déplorait que l'on consacre de l'argent à les réparer sans s'interroger sur ce qu'il faudrait faire pour vivre bien ensemble à l'échelle du territoire. C'est une question d'aménagement du territoire. Le Haut-Commissaire au plan est-il associé à vos travaux ? Nous devrions également travailler sur ce projet avec le ministère de l'intérieur, le ministère des collectivités locales et le ministère concerné par les transports.
Ma circonscription est à la fois rurale et urbaine, et je pense qu'il y a de la place pour tout le monde, qu'il ne faut pas opposer les uns aux autres. Cependant, les maires ruraux me disent en avoir assez de devoir se battre pour obtenir ne serait-ce qu'un seul permis dans l'année.
Je suis favorable à ce que l'on redonne de la souplesse aux territoires ruraux. Trouver des solutions pour accorder une sorte d'enveloppe réservataire aux maires en termes de construction par période de dix ans, dans les zones de revitalisation rurale, répondrait réellement à des attentes de terrain.
Le projet de loi propose un droit d'artificialisation pour les dix prochaines années équivalent à un demi-département. Il existe donc de la marge pour faire des choses, y compris dans les territoires ruraux, qu'il ne faut pas stigmatiser. Beaucoup de logements sont vides alors que de nombreux centres-villes sont réaménagés. Nous devons donc rendre ces centres-villes encore plus attractifs.
En effet, il ne s'agit pas d'un arrêt de l'artificialisation, mais d'une poursuite deux fois moins rapide, et qui représente un demi-département.
La surélévation dans les zones très denses est un sujet que nous traiterons. Le projet de loi comporte une habilitation à légiférer par ordonnance pour simplifier la procédure. Pour l'instant, les communes ou les intercommunalités peuvent décider de règles favorables à la surélévation, mais cela doit être pris en compte dans les PLUI, dont la modification est très lourde. Nous allons donc inverser les choses : ce sera désormais de droit, sauf si la commune ou l'intercommunalité décide expressément d'y renoncer.
Les sujets de l'emploi et de l'activité économique conduisent à s'interroger sur la stratégie d'aménagement du territoire. La région a par définition la compétence économique. Quand elle élabore un SRADDET, elle traite d'aménagement mais aussi d'implantation des différentes activités, de préservation de la nature et d'activités économiques. Nous pensons donc que la région est le bon échelon, en raison de sa taille et de ses compétences.
Concernant le bien-être, on ne peut pas être à la fois tous d'accord sur l'objectif et refuser pour autant d'avancer. Dans la vie, nous avons tous – élus locaux, parlementaires, ministres – des objectifs difficiles à concilier. L'artificialisation du territoire est une préoccupation qui doit être traitée au même niveau que les autres. On ne peut pas durablement continuer à artificialiser de l'espace, agricole ou naturel, sans se demander s'il y a une alternative. Entre la charmante maison individuelle et le grand ensemble que l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) essaie désespérément de rénover depuis vingt ans, il y a, évidemment et heureusement, des solutions intermédiaires. L'un des grands enjeux est d'ailleurs la densification du tissu périphérique, avec la construction de quelques immeubles de quatre étages dans des zones où il n'y a que des pavillons. Si l'on parvient à faire un peu de logements dans les entrées de ville, largement défigurées par des zones commerciales en train de péricliter, on pourra recréer un tissu urbain, et créer aussi des espaces naturels et des circulations douces, qui favoriseront le bien-être.
Tous les ministères ont contribué à ce texte – le ministère de l'intérieur, le ministère des collectivités territoriales, le ministère de la transition écologique qui inclut le logement et les transports. En outre, et parce qu'il s'agit de la planification, nous avons travaillé avec l'équipe du Haut-Commissaire au plan.
C'est un chemin difficile, mais nous pourrons récupérer des logements vacants, et transformer des bureaux en logements – la crise du bureau qui se profile nous en donnera l'occasion. Avec l'équivalent d'un demi-département par décennie, nous pourrons recréer des activités économiques dans des zones en déshérence qui ont été artificialisées il y a bien longtemps.
La réunion s'est achevée à 16 heures 10.
Membres présents ou excusés
Présents. – M. Stéphane Baudu, Mme Anne Blanc, M. Jean-René Cazeneuve, Mme Yolaine de Courson, Mme Stella Dupont, M. Sébastien Jumel, Mme Laurence Gayte, M. Jean-Claude Leclabart, M. Didier Le Gac, Mme Monique Limon, Mme Monica Michel, M. Bruno Millienne, M. Bernard Perrut, Mme Christine Pires Beaune, Mme Laurianne Rossi, Mme Isabelle Valentin.
Assistaient également à la réunion. – Mme Danielle Brulebois, Mme Sylvie Charrière, M. Yannick Kerlogot, Mme Frédérique Lardet, Mme Marie Lebec, Mme Nicole Le Peih, Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, Mme Cendra Motin, M. Mickaël Nogal, M. Alain Perea, Mme Bénédicte Peyrol, Mme Véronique Riotton, M. Vincent Thiébaut, Mme Huguette Tiegna, M. Pierre Venteau, M. Jean-Marc Zulesi.