Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Réunion du jeudi 18 juin 2020 à 15h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • ARS
  • EPRUS
  • commande
  • doctrine
  • ffp2
  • masque
  • stock

La réunion

Source

Mission d'information de la conférence des Présidents sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19

18 JUIN 2020

La séance est ouverte à 15 heures 45.

Présidence de Mme Brigitte Bourguignon.

La mission d'information procède à l'audition, en visioconférence, de M. Jean-Yves GRALL, directeur général de la santé de 2011 à 2013.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mes chers collègues, nous avons souhaité porter un regard rétrospectif sur l'organisation des dispositifs de réponse aux crises sanitaires. Après les auditions de MM. Jérôme Salomon et Benoît Vallet, nous allons entendre M. Jean‑Yves Grall, directeur général de la santé de 2011 à 2013.

Cette audition doit nous permettre d'aborder des questions opérationnelles, puisque vous avez occupé à plusieurs reprises le poste de directeur d'agence régionale de santé (ARS). Depuis novembre 2016, vous êtes à la tête de l'ARS Auvergne-Rhône-Alpes. Nous pourrons donc profiter de votre analyse de la gestion de la crise au niveau local, des relations que vous avez pu avoir avec les préfets et les élus locaux, ainsi que de votre retour sur les difficultés rencontrées dans votre région et les moyens que vous préconisez pour y remédier.

(M. Jean-Yves Grall prête serment.)

Permalien
Jean-Yves Grall, directeur général de la santé de 2011 à 2013

Médecin et cardiologue de formation, j'ai exercé les fonctions de directeur général de la santé du 13 mai 2011 au 30 septembre 2013, date à laquelle j'ai pris les fonctions de directeur de l'Agence régionale de santé du Nord-Pas-de-Calais. Avant d'être directeur général de la santé, j'étais directeur général de l'ARS de Lorraine.

En premier lieu, il me paraît important de revenir sur les circonstances de ma prise de fonctions. J'ai succédé à Didier Houssin, et je me souviens d'un contexte général de défiance vis-à-vis de la prévention en matière de sécurité sanitaire, en particulier au sujet des stocks stratégiques constitués à la suite des dispositions prises lors de la grippe H1N1.

Le retour d'expérience sur ce virus avait donné lieu à de nombreux rapports, issus de commission d'enquête ou de la Cour des comptes, notamment, et l'opinion la plus partagée était qu'on en avait fait beaucoup, voire un peu trop, et que ces mesures avaient été très coûteuses. Ce point de vue concernait à la fois les vaccins et les masques.

Neuf ans après mon passage à la direction générale de la santé, je résumerai mon action en matière de sécurité sanitaire en deux points. Premièrement, plusieurs textes sur la préparation et la réponse de l'État aux situations exceptionnelles en matière sanitaire ont été publiés, et la direction a participé à la constitution du plan pandémie grippale 2011. Deuxièmement, elle a mené une réflexion sur les stocks stratégiques d'État gérés par l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS), en particulier sur l'évolution concernant les masques, après la publication de l'avis du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) en juillet 2011 et de la doctrine du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) en mai 2013.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Pouvez-vous nous rappeler l'historique de l'évolution de la doctrine en matière de stocks d'équipements destinés à assurer la protection des populations et des soignants ? Nous avons entendu un certain nombre d'éléments contradictoires sur ce sujet, également évoqué avec votre successeur.

Quel regard portez-vous sur la crise en tant que directeur d'ARS ? Comment évaluez-vous les instructions qui vous ont été données ?

Permalien
Jean-Yves Grall, directeur général de la santé de 2011 à 2013

Quand je suis arrivé, il y avait dans les stocks stratégiques 560 millions de masques FFP2, 800 millions de masques chirurgicaux et environ 100 millions de masques chirurgicaux pédiatriques, soit un total de 1,4 milliard de masques.

À la suite du retour d'expérience de 2011, et dans le cadre de la programmation qui allait être transmise à l'EPRUS, le directeur général de la santé de l'époque a sollicité, en avril 2010, l'avis du Haut Conseil de la santé publique sur la nécessité de reconduire les stocks de masques FFP2 à l'identique. Au moment où une quantité importante de ces produits allait arriver à péremption, et alors que, pour des raisons techniques, les règles d'utilisation n'étaient pas toujours bien observées, il s'agissait de savoir quels types de masques renouveler, selon quel dimensionnement et pour quel type de population. Je précise que cet avis intervenait à la suite des dispositions prises dans le cadre du plan pandémie grippale de 2009.

L'objectif général, inchangé lorsque j'étais à la direction, était de 1 milliard de masques chirurgicaux. Lorsque je quitte mes fonctions en 2013 après avoir passé une commande de 100 millions d'unités, le stock s'élève à 624 millions de masques chirurgicaux, donc à 720 millions environ en 2014, et à 380 millions de masques FFP2, soit un nombre assez élevé.

Dans son avis du 1er juillet 2011, le HCSP estime qu'il faut conserver un stock à la fois de masques chirurgicaux et de masques FFP2, mais revient sur les doctrines d'utilisation de ces derniers en proposant des indications plus restrictives que dans le plan de 2009, qui prescrivait leur utilisation pour tous les soignants et toutes les personnes en lien avec le public.

Il préconise une gestion plus dynamique du stock, qui doit pouvoir être utilisé dans les établissements de santé avant la péremption des produits. La rotation doit s'accompagner d'un lissage des acquisitions dans le temps pour éviter les renouvellements par à-coups. Une commande de 100 millions d'unités par an à partir de 2013 devait permettre de conserver un stock proche de la cible de 1 milliard composé de masques aux normes et en bon état.

Avec les nouvelles indications du HCSP sur le port du masque FFP2, les besoins devenaient moindres, et il fallait donc réévaluer le niveau de stock nécessaire.

C'est ensuite que le SGDSN qui s'empare du sujet et publie en mai 2013 une doctrine de protection des travailleurs face aux maladies hautement pathogènes à transmission respiratoire. Il y est bien évidemment fait référence à l'avis du Haut Conseil de la santé publique. Les travailleurs en contact avec le public doivent porter non plus un masque FFP2 mais un masque chirurgical. Le SGDSN rappelle le cadre du code du travail, selon lequel la protection des travailleurs est de la responsabilité des employeurs. Chaque ministère est chargé d'établir des directives adaptées à son secteur de compétence. Je lance à cette fin plusieurs travaux au sein du ministère de la santé entre cette publication et mon départ en septembre 2013.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La doctrine a évolué de façon très importante en 2011 et en 2013, mais une autre question cruciale, que nous avons posée à vos successeurs, est celle du contrôle des stocks tactiques. À qui revient-il ? Qui est en charge de la définition et de l'évaluation de ces stocks ? Sont-ce les ARS ou les établissements locaux ? Tout ceci est assez flou et nous n'avons pas encore obtenu d'éléments de réponse clairs et précis sur ce point.

Le chiffre de 1 milliard de masques chirurgicaux apparaît assez constant s'agissant des besoins. Sous votre direction générale, aviez-vous procédé à une évaluation des stocks et réfléchi au sujet des produits datant du début des années 2000 et arrivant à péremption ?

Permalien
Jean-Yves Grall, directeur général de la santé de 2011 à 2013

L'instruction du 2 novembre 2011 adressée aux ARS par le ministre de la santé de l'époque, Xavier Bertrand, un an après leur création, apporte de nombreuses précisions dans le champ de la sécurité sanitaire. Elle fixe les modalités d'organisation des ARS en lien avec les préfets en cas de situation sanitaire exceptionnelle, notamment le fonctionnement des cellules de crise. Les ARS sont chargées de coordonner le travail de l'EPRUS avec la réserve sanitaire en région. Les ARS et ARS de zones harmonisent les volets sanitaires des plans au sein des régions ou des zones de leur ressort. Elles organisent la formation des soignants aux gestes d'urgence et à l'aide médicale urgente par des établissements de référence. Elles élaborent des plans de continuité d'activité.

Si tous ces aspects sont importants, il en est un dernier sur lequel j'aimerais porter votre attention : l'actualisation de la gestion des moyens de réponse des établissements de santé aux situations exceptionnelles. C'est à ce titre qu'intervient la distinction entre les stocks stratégiques, gérés par l'EPRUS, et les stocks tactiques, appelés équipements puis moyens tactiques, dont la liste est fermée – il s'agit notamment des moyens de protection dans les situations de type NRBC, c'est-à-dire nucléaire, radiologique, biologique, chimique, tels que les unités et tenues de décontamination, des Postes sanitaires mobiles (PSM), de certains antidotes.

Ces équipements sont situés dans les établissements de santé sièges de service d'aide médicale urgente (SAMU) ou de structure mobile d'urgence et de réanimation (SMUR). L'acquisition de ces stocks est financée par des crédits relevant des missions d'intérêt général des établissements de santé versés par les ARS – ces dotations doivent correspondre à la ligne budgétaire « acquisition et renouvellement des équipements tactiques pour faire face à une situation exceptionnelle dans les établissements de santé », de mémoire. Les masques FFP2 ne sont pas sur la liste des moyens tactiques, pour lesquels a été développé un outil informatisé partagé de gestion, le Système d'information et de gestion des situations sanitaires exceptionnelles (SIGESSE), interface à l'époque entre l'EPRUS, les ARS et les établissements de santé.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Qui contrôle les moyens tactiques ? Les établissements de santé peuvent-ils en disposer librement ?

Permalien
Jean-Yves Grall, directeur général de la santé de 2011 à 2013

Avant toute chose, ce n'est ni de l'avis du HCSP ni de la doctrine du SGDSN que l'on peut préjuger d'une absence de stocks, quelle qu'elle soit.

La doctrine du SGDSN, déclinée par chaque ministère selon ses domaines de compétences, n'a jamais conduit à une remise en cause de la perpétuation d'un stock stratégique de masques FFP2. La cible d'un stock tournant de 1 milliard avec un renouvellement lissé de 100 millions par an selon les dates de péremption est demeurée inchangée.

Quand j'ai quitté la DGS, le stock de masques FFP2 était de 380 millions. En 2011, une commande ancienne a amené un abondement de 25 millions supplémentaires. Il a alors été décidé, compte tenu du niveau des stocks, proche de la cible, et du changement de doctrine, qui faisait mécaniquement baisser les besoins, de ne pas effectuer d'achats en 2012 et 2013, et d'attendre 2014 et 2015 pour passer de nouvelles commandes.

Après la publication de l'avis du HCSP et de la doctrine du SGDSN, qui s'appuyait d'ailleurs, concernant la responsabilité de l'employeur, sur des dispositions du code du travail datant de 2008 ou 2009 et déjà inscrites dans le plan pandémie grippale, la question était de déterminer le stock nécessaire de masques FFP2 compte tenu des nouvelles instructions d'utilisation. Le niveau des stocks dépend également de la capacité de renouvellement, elle-même déterminée par différents critères. J'ai par exemple sollicité l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) pour savoir avec quelle rapidité les fabricants de masques étaient capables de répondre à une commande.

En juin 2013, j'ai adressé aux ARS un document les informant du changement de doctrine et d'instructions complémentaires à venir sur sa déclinaison dans le secteur de la santé. C'est à ce moment que la question s'est posée du maintien d'un stock de masques FFP2 et de son dimensionnement ; elle n'était pas tranchée quand j'ai quitté mon poste.

Concernant le contrôle, les ARS n'ont reçu aucune instruction sur le suivi des stocks dans les établissements de santé ou médico-sociaux, du moins pas à ma connaissance, ni à mon niveau. Il appartient à chaque gestionnaire d'assurer cette tâche au sein de son organisation. En outre, l'utilisation des masques est très variable d'une structure à l'autre, notamment en raison des préconisations et routines suivies, ce qui rend difficile la détermination du stock nécessaire.

Un contrôle et un suivi sont en revanche assurés sur le circuit de distribution des stocks stratégiques. À cet égard, je cosigne en juillet ou août 2013 avec le directeur de la sécurité civile une circulaire interministérielle dans laquelle est précisé le circuit de stockage et de distribution des produits des stocks stratégiques.

Les stocks stratégiques d'État se divisent entre un stock national, désormais centralisé à Vitry-le-François, et des stocks zonaux. Dans chaque zone de défense, un plan zonal de mobilisation organise les relations entre le préfet de zone, préfet de région, et le directeur de l'ARS et le déploiement du stock zonal vers les départements ou l'échelon infrazonal. Pour les comprimés d'iode, par exemple, le plan zonal se décline en plan départemental et jusqu'au niveau des communes. Dans le cadre de ce plan, un suivi de la nature et du nombre de produits en stock est effectué deux fois par an au sein de la zone par l'ARS de zone, en lien avec l'EPRUS, aujourd'hui la direction alerte et crises. Ce niveau est relativement stable. En 2018, l'ARS Auvergne-Rhône-Alpes a décompté 1,8 million de masques FFP2 en stock zonal et 18 millions de masques chirurgicaux, qui n'apparaissaient plus en 2019.

En revanche, il n'existe pas de contrôle ad hoc des stocks des établissements de santé et des établissements médico-sociaux ; nous n'avons pas reçu d'instructions à ce sujet.

Permalien
Jean-Yves Grall, directeur général de la santé de 2011 à 2013

Je ne sais pas. Il me semble que le dispositif devra être resserré pour être plus lisible. Il est très difficile d'évaluer les stocks, compte tenu de la diversité des interventions, des activités et des pratiques. Dans certains établissements, par exemple, on utilise le masque larga manu alors que, dans d'autres, on l'utilise beaucoup moins.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vos explications sont claires : concernant les masques, la doctrine n'a été modifiée ni dans l'instruction, ni dans la circulaire de novembre 2011. Vous avez également distingué, et c'est un point important, les stocks stratégiques des stocks tactiques, en précisant ce que sont les moyens tactiques.

Pouvez-vous nous dire ce que vous avez fait entre 2011 et 2013 pour maintenir à flot les stocks de masques, notamment FFP2 ? Avez-vous le sentiment que l'EPRUS était utile dans ce domaine et estimez-vous que son évolution ultérieure a pu entraver le processus d'achat de masques ? Enfin, comment la question des tests a-t-elle été abordée sur le terrain, notamment par vous ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vais être brutale – et je vous prie de m'en excuser car on me dit que vous êtes, dans le domaine de la santé, un acteur très efficace – mais, du point de vue de la gestion des stocks, qu'ils soient stratégiques ou tactiques, il ne me paraît pas concevable que l'on puisse détruire 600 millions de masques. Si cela se produisait dans une entreprise privée, le directeur de la logistique serait viré dès le lendemain ! Le problème, c'est qu'en l'espèce, la sanction de l'incompétence est d'ordre politique : ce sont les politiques – le Président de la République, les parlementaires –, qui ont pourtant été dociles, qui en subiront les conséquences lors des élections. Je souhaiterais donc que vous m'expliquiez comment on peut laisser détruire 600 millions de masques.

Je pense que nous avons été confinés trop longtemps, précisément parce que nous avons manqué de masques, de sorte que la covid-19 fera davantage de victimes économiques que de victimes sanitaires.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Cardiologue de formation, vous avez été médecin libéral, vous avez également exercé au centre hospitalier de Châteaubriant et vous avez participé à la préfiguration des ARS et des ARH. Vous connaissez donc parfaitement l'ensemble du système. Pouvez-vous nous dire ce qui ne fonctionne pas dans les ARS pour que les réponses aient été aussi différentes sur le terrain ?

Dans n'importe quelle officine, la gestion des stocks permet de connaître précisément la date de péremption d'un médicament et de commander automatiquement une spécialité pharmaceutique lorsqu'il n'en reste plus que trois boîtes. Comment se fait-il qu'en France, en 2020, on ne parvienne pas à appliquer une gestion de ce type ? Vous le savez mieux que moi, chaque établissement avait sa réserve secrète et se débrouillait dans son coin : partout, on a recouru au système D. Je ne vous en fais pas le reproche, mais nous devons sortir plus forts de cette crise.

Par ailleurs, j'ai lu vos publications, très intéressantes, sur les prévisions et la stratégie. Avez-vous écrit au ministre de la santé pour l'alerter sur de possibles dysfonctionnements en cas de pandémie ?

Enfin, êtes-vous de ceux qui pensent qu'il nous faudra porter encore longtemps un masque, comme c'est le cas dans les pays asiatiques, pour nous protéger contre ce virus ou contre d'autres, à venir ?

Permalien
Jean-Yves Grall, directeur général de la santé de 2011 à 2013

Soyons clairs : il n'existe pas de stocks tactiques de masques. Ceux-ci font l'objet d'un stock stratégique. Quant aux masques stockés dans les établissements, ils n'appartiennent pas aux stocks tactiques que j'évoquais tout à l'heure. Les stocks qui existent se trouvent – doivent se trouver, en tout cas – sur la plateforme zonale et sont mobilisables en cas de besoin dans le cadre du plan zonal de mobilisation.

Entre 2011 et 2013, j'ai passé une commande de 100 millions de masques chirurgicaux, dans l'objectif de parvenir au milliard et dans l'optique d'un lissage des acquisitions – afin d'éviter de se retrouver en rupture du jour au lendemain – et de la constitution d'un stock tournant, afin que ces masques puissent être utilisés. Je n'ai pas commandé de masques FFP2 au cours de cette période, car leurs conditions d'utilisation venaient d'être restreintes par le HCSP, de sorte que nous étions près d'atteindre la cible – 580 ou 600 millions d'unités – et que rien ne justifiait, compte tenu des durées de validité, que nous en rachetions d'autres dans l'immédiat. Lorsque je suis parti, il y avait 380 millions de masques FFP2, auxquels s'ajoutaient 620 millions de masques chirurgicaux plus les 100 millions dont j'avais passé commande.

Sur l'EPRUS, je n'ai pas d'avis particulier. C'est un instrument extrêmement utile dans les domaines qui sont les siens, notamment la gestion des stocks stratégiques et la réserve sanitaire. L'essentiel n'est pas, selon moi, l'étiquette ou la structure, mais le fait que les fonctions attribuées soient remplies, et elles l'ont été, peu importe que ce soit par l'EPRUS ou par Santé publique France.

En ce qui concerne les tests, l'augmentation a été progressive. Lorsqu'en tant que directeur d'ARS, j'ai commencé à m'occuper du covid-19, le 7 février, c'est-à-dire lors de l'apparition du cluster des Contamines – que nous n'avons pas trop mal géré, je crois –, seul le Centre national de référence de Lyon, dirigé par M. Lina, effectuait des tests. Puis, le nombre de centres a été progressivement porté, par diffusion de la technique, à six, dont de gros établissements. Dans un second temps, les laboratoires médicaux, les laboratoires départementaux et vétérinaires ont pu à leur tour réaliser des tests, si bien que le nombre de sites concourant au diagnostic est actuellement de 45 ou 48, les sites de prélèvement étant au nombre de 317. L'une des questions qui se posaient au départ était celle de la montée en puissance et de la possibilité pour les sites de réaliser de plus en plus de tests.

Par ailleurs, en Auvergne-Rhône-Alpes en tout cas, le suivi du contact tracing a été très rigoureux. Puisque nous avions connaissance des résultats des tests PCR, je peux vous dire que, le 5 mars, 61 ou 62 cas étaient suivis ; puis, avec la dissémination du cluster de Mulhouse sur l'ensemble du territoire, en une semaine, ce nombre a quintuplé et les douze départements de la région ont été touchés, contre trois ou quatre quelques jours auparavant. À ma connaissance, les capacités de tests diagnostic sont montées en puissance progressivement, de sorte que nous n'avons pas, à ma connaissance, rencontré de problèmes pour tester les suspicions ou les malades.

Quant à la gestion des stocks, je tiens à préciser qu'aux termes des règles régissant l'organisation de l'État, elle relève, non pas des agences régionales de santé, mais de l'EPRUS, notamment de ses pharmaciens. Pour autant que je m'en souvienne, je n'ai jamais été alerté, entre 2011 et 2013, sur un problème de qualité intrinsèque des stocks. Mais je considère qu'il appartient à ceux qui sont chargés de les gérer de veiller à ce qu'ils soient toujours utilisables.

Il faut distinguer la question de la doctrine – manifestement, on n'a pas commandé de nouveaux masques – et celle de l'organisation. À cet égard, il me semble important de revenir sur la circulaire que j'avais cosignée. Celle-ci précise bien que l'envoi des produits de santé, dont les masques, à partir des stocks stratégiques se fait selon un mode opératoire très simple : les produits partent du stock central vers les plateformes zonales, au nombre de sept ou neuf, d'où ils sont redistribués vers les établissements de santé, soit par les grossistes-répartiteurs, soit par les logisticiens, dans le cadre de contrats conclus avec l'EPRUS et Santé publique France. Telle était la doctrine et, à ma connaissance, elle n'a pas varié depuis. Quant au suivi des masques, il se fait au niveau du stock national.

S'agissant des agences régionales de santé, je ne veux pas me défausser mais je me permets de vous suggérer de les interroger, dans le cadre d'une audition, sur leur action durant la crise. En ce qui concerne les masques, elles ont, me semble-t-il, colmaté les brèches un peu partout. Nous avions en effet à notre disposition un stock tampon que nous avions nous-mêmes constitué, en lien avec la préfecture, grâce à des dons ou en récupérant des masques FFP2 auprès des administrations, par exemple. Nous n'avions pas de vue sur les approvisionnements en provenance de Paris, puisqu'ils ne passaient pas par la plateforme zonale. De ce fait, nous n'avons pas cessé de chercher à obtenir des informations pour tenter de savoir où se trouvaient les masques et identifier les manques. Avec mes équipes, qui ont été admirables, nous nous sommes ainsi efforcés, dès le 7 février, de colmater les brèches sous les lazzis ou les reproches permanents. Les ARS ont sans cesse contacté les EHPAD, les médecins libéraux, pour essayer de leur fournir des masques, dont on nous disait par ailleurs qu'ils n'arrivaient pas à destination. De fait, les masques de Charente-Maritime arrivaient dans la Loire et ceux du Rhône dans le Maine-et-Loire…

Permalien
Jean-Yves Grall, directeur général de la santé de 2011 à 2013

Qui plus est, on constatait un important coulage dans le circuit – beaucoup de gens portaient des masques FFP2 dans la rue… Et les pharmaciens nous disaient souvent qu'ils avaient du mal à faire le rapprochement entre le nombre de masques initialement partis et ceux qui leur parvenaient – il n'était pas rare que des cartons soient déchirés.

Pour ce qui est des données épidémiologiques, nous avons, en région, un double système. Le premier est celui des épidémiologistes, c'est-à-dire les Cellules d'intervention en région (CIRE) de Santé publique France, qui ne sont pas sous l'autorité du directeur général de l'ARS. Celui-ci doit ainsi, avec le préfet, rendre compte aux élus, aux médias, à la population et aux professionnels sur la base de chiffres qui ne sont pas les siens. Car ceux qui remontent de l'hôpital, par le système SI-VIC (Système d'information pour le suivi des victimes d'attentats et de situations sanitaires exceptionnelles), et ceux qui remontent des EHPAD, par un système « vous à nous », ne sont pas ceux de l'ARS.

J'ajoute qu'à l'heure actuelle, nous sommes incapables de connaître au jour le jour le nombre de décès qui surviennent dans ce pays. Pourquoi ? Parce que le dispositif de déclaration passe encore par les mairies. Il faudrait donc sans doute réfléchir à une déclaration instantanée et obligatoire, qui nous permettrait d'obtenir ce type d'informations basiques. Si vous nous convoquez à nouveau, nous pourrons peut-être explorer le sujet en examinant toutes les facettes de l'ARS.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Avez-vous écrit aux ministres de la santé successifs pour leur adresser des préconisations, compte tenu de l'insuffisante préparation du pays face aux risques de pandémie ?

Permalien
Jean-Yves Grall, directeur général de la santé de 2011 à 2013

Non. En revanche, puisque j'ai eu la chance de disposer d'un inspecteur de l'IGAS, j'ai organisé, dans mon agence, un retour d'expérience instantané ; je le ferai remonter à l'occasion, mais je n'ai pas formulé de préconisations.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Il serait en effet intéressant d'auditionner les directeurs d'ARS, car se pose la question de savoir si une organisation avait été prévue pour envisager la prise en charge d'une épidémie au niveau régional.

Je m'interroge sur le nombre de masques utilisables dont nous disposions à l'instant T. En effet, vous nous avez déclaré que, lorsque vous êtes arrivé à la DGS, en 2011, il y avait 1,4 milliard de masques, dont 850 millions de masques chirurgicaux. Toutefois, votre successeur nous a indiqué qu'une date de péremption avait été imposée à partir de 2010. Peut-on considérer que les masques stockés avant 2010 étaient encore utilisables après 2010 ? Nous ne savons pas vraiment ce qu'il en est, d'où la destruction d'environ 600 millions de masques.

Par ailleurs, je n'ai encore eu aucune réponse à la question suivante : des préconisations étaient-elles prévues pour les soignants de ville ? Aurions-nous pu leur proposer un stock de masques personnel ?

Enfin, on a beaucoup entendu dire, au début de la crise, que les médecins n'avaient pas eu accès aux masques FFP2. Or, si, comme M. Vallet nous l'a indiqué, ce type de masques n'est recommandé que pour des actes médicaux très spécifiques – ceux pratiqués notamment par les anesthésistes-réanimateurs, gastro-entérologues, pneumologues… –, très peu de médecins en avaient besoin. En définitive, pour les soignants de ville, les masques chirurgicaux suffisaient.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mettons que 600 millions de masques soient périmés ; si leur coût unitaire est de 5 centimes, cela représente une somme de 30 millions d'euros. Mais s'il faut les racheter en période de crise, leur coût a quasiment décuplé et il faut débourser 250 millions. S'il s'agit d'une entreprise, elle s'effondre !

On sait que les entreprises qui fabriquent et distribuent les dispositifs médicaux sont certifiées et soumises à une matériovigilance ; or, celle-ci n'existe pas au niveau de l'État. N'est-ce pas là que se situe le point faible ? Par ailleurs, ne croyez-vous pas que c'est parce que les masques FFP2 sont soumis à une norme spécifique et que leur coût unitaire est plus important, qu'ils n'ont jamais été considérés comme capitaux dans un stock stratégique ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Il ressort de nos auditions qu'en matière de protection, le péché originel réside dans l'absence de stock de masques au début de la crise. Vous avez rappelé que votre objectif était la constitution d'un stock d'1 milliard de masques, et il été atteint. Puis, une nouvelle norme est imposée en 2014. On découvre alors que 600 millions de masques ne sont plus utilisables, on les détruit mais on ne reconstitue pas le stock.

S'agissant du stock central, vous nous avez dit que, deux fois par an, on vérifiait le « droit de tirage » de chaque ARS. Mais, si tel était le cas, nous n'aurions pas dû rencontrer de problèmes. Existe-t-il des stocks pré-affectés par région ?

Enfin, j'ai observé que, pendant la crise, dans le Grand Est en tout cas, l'ARS a été très efficace bien qu'elle ait dû gérer la pénurie. Cependant, on s'est aperçu que, dans un département comme la Meuse, par exemple, il n'existe pas de fichier des infirmières ; il faut mettre en œuvre de tels fichiers pour mieux identifier les professionnels de santé.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je considère que les ARS auraient pu être un outil très intéressant de gestion territoriale de la santé. Mais, une fois de plus, on s'est arrêté au milieu du gué : elles sont des « préfets bis », sans autonomie ni pouvoir. Or, elles seraient bien plus efficaces si elles pouvaient agir librement dans le cadre d'une déconcentration ou d'une décentralisation réelle, car la santé ne peut pas être appréhendée de la même façon dans les Hauts-de-France et en Corse, en Bretagne et dans le Grand Est.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Quelle était la doctrine concernant le port du masque entre 2011 et 2013 ? Ce sujet a fait débat et ne fait toujours pas l'unanimité aujourd'hui, puisque certains considèrent qu'il n'est pas nécessaire en toutes circonstances – le professeur Delfraissy expliquait que le masque était utile en particulier dans les milieux confinés, où le virus est fortement présent. Existait-il alors une doctrine claire à ce propos, sachant qu'il y a une différence de culture entre notre pays et d'autres ?

Nous aurons l'occasion de revenir sur le fonctionnement des ARS au cours d'autres auditions, mais pouvez-vous nous dire si, à la suite du match qui a opposé l'Olympique lyonnais (OL) et la Juventus de Turin juste avant le déclenchement de l'épidémie de covid-19 sur le territoire national, vous avez constaté dans les hôpitaux de Lyon et de sa région un surcroît de cas, de contaminations et d'hospitalisations ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Lorsqu'il s'est avéré que nous manquions de matériel sur les territoires – nous l'avons tous constaté à un moment ou à un autre –, nous avons fait face à une profusion de messages contradictoires à propos des masques, d'autant que les masques grand public n'étaient pas ceux dont avaient besoin les établissements hospitaliers. Une certaine confusion autour de cette question s'est trouvée très médiatisée et amplifiée par le contexte de confinement. Le fait que de nombreux donneurs d'ordre aient passé commande à ce moment-là a-t-il pu contribuer à contrarier encore davantage la répartition du matériel dont avaient besoin les établissements et les ARS ?

Permalien
Jean-Yves Grall, directeur général de la santé de 2011 à 2013

La doctrine sur les masques était celle exprimée par le HCSP. Son avis, qui n'a jusqu'à présent jamais été remis en cause, distinguait plusieurs types de masques en fonction des populations auxquelles ils s'adressaient. Les FFP2 étaient destinés aux soignants les plus exposés, en particulier ceux qui effectuent des investigations invasives, et aux personnes intervenant dans les filières animales, alors que les masques chirurgicaux l'étaient aux personnels en lien avec le public. Cet avis indiquait également qu'en période épidémique, le port du masque est recommandé dans les transports en commun et dans les lieux recevant du public.

À cette époque, la question de la doctrine ne se posait pas vraiment – certes, j'ai eu quelques crises à gérer, mais j'ai été un DGS en temps de paix. Le masque était alors considéré comme un élément clé de l'arsenal des mesures barrières contre les transmissions virales, dont on ne soulignera jamais assez l'importance. Il fallait toutefois qu'il soit mis et porté de manière adéquate pour être efficace, et accompagné de ces gestes que la crise aura au moins permis à la population de s'approprier, et qui valent pour toutes les épidémies de grippe auxquelles nous sommes régulièrement confrontés.

Le match OL-Juventus n'a pas entraîné un bond des cas détectés et des hospitalisations. Au moment du match, dont le maintien avait donné lieu à débat mais a été décidé, Turin ne faisait pas partie des zones atteintes par le coronavirus.

Le suivi de la qualité intrinsèque des masques et donc de leur caractère efficient – il faut qu'ils soient utiles au moment où on en a besoin – était confié aux pharmaciens de l'EPRUS. En tant que directeur général de la santé, je n'ai jamais reçu d'alerte concernant ces vérifications ni quant au fait que les stocks étaient inutilisables. Je n'ai pas formulé de demande spécifique sur le sujet, en partie parce que les acquisitions, réalisées entre 2009 et 2011, étaient relativement récentes.

Pendant la crise, nous tenions, tous les mercredis entre treize heures trente et quatorze heures trente, une réunion hebdomadaire avec l'ensemble des professionnels de santé libéraux – et pas uniquement les médecins de ville –, au niveau des ordres et des unions régionales des professionnels de santé (URPS). Nous faisions un point séquencé d'une heure, de façon à passer en revue les difficultés qui se présentaient à eux. Grâce au stock tampon que nous avions réussi à constituer en lien avec la préfecture, nous avons régulièrement affecté aux conseils de l'ordre des différents départements un certain nombre de masques pour essayer de les soulager. Ils pouvaient également s'approvisionner dans les pharmacies, livrées par les grossistes répartiteurs et, en l'espèce, par l'entreprise Geodis.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ma question ne portait pas sur la période de crise que nous vivons actuellement, même s'il était important d'en parler – notamment de Geodis, qui a bénéficié du contrat-cadre avec Santé publique France –, mais sur celle qui l'a précédée. Depuis que la nouvelle doctrine sur les masques a été énoncée, a-t-on cherché à accompagner les professionnels de santé en ville, par exemple en leur permettant de se constituer un stock personnel ?

Permalien
Jean-Yves Grall, directeur général de la santé de 2011 à 2013

Je ne me souviens pas qu'il y ait eu à l'époque une réflexion particulière à ce sujet. La doctrine invitait à une utilisation restrictive du masque FFP2, réservé essentiellement aux personnels soignants à risque, effectuant des explorations et des prélèvements.

Concernant l'absence de stocks, une rupture est intervenue en 2018, lorsque la doctrine a été revue – Jérôme Salomon en a parlé – pour permettre une gestion plus dynamique des stocks, alors que nous disposions de 100 millions de masques. Le déstockage et la destruction ont été décidés au niveau national : c'est Santé publique France qui détermine la péremption et le caractère inutilisable des masques, et en tire les conséquences qui s'imposent ; c'est ensuite la direction générale de la santé qui est chargée de donner l'ordre de destruction, et de passer éventuellement commande de nouveaux masques. Les choses ont toujours fonctionné de cette manière.

Parmi les éléments à revoir, il faudra engager la mise à jour de l'ensemble des fichiers permettant d'identifier à la fois les professionnels de santé et les pharmacies – j'ai souvenir d'une pharmacie qui, n'étant pas sur la liste nationale, ne pouvait être approvisionnée par le circuit classique, et que nous avons aidée.

Les ARS ont vocation à déployer la politique nationale sur l'ensemble du territoire dont elles ont la charge, en l'adaptant aux réalités locales à l'aide du cadre d'orientation stratégique. À l'échelle de chaque département, les directeurs territoriaux (DT) travaillent en lien direct avec le directeur général de l'ARS pour mettre en œuvre la doctrine et organiser la politique de santé sur leur territoire ; ils sont aussi en relation avec les préfets et les élus. Tout l'enjeu pour nous est de pouvoir disposer de personnes de qualité. J'ai la chance, en Auvergne-Rhône-Alpes, que les DT de mon équipe aient été renforcés par les dispositions prises très récemment par le ministre, qui leur ont donné un statut, une rémunération et un cadre d'emploi spécifique, de façon que les personnes les mieux adaptées à la tâche soient recrutées.

Pendant la crise, en Auvergne-Rhône-Alpes, j'avais tous les matins à huit heures trente une réunion avec le préfet de région et le recteur de la région académique, ainsi que leurs équipes. Dans chaque département, chaque DT avait aussi pour consigne de faire un point tous les matins avec son préfet de département. Le temps passé à échanger de cette manière a permis de mettre en œuvre une approche très intégrée, et cette interministérialité de terrain a été une vraie réussite. Une coordination très efficace s'est développée sous l'autorité des préfets ; c'est ainsi que s'est faite l'action de l'État dans les territoires, en lien avec les ARS pour le secteur santé.

Les ARS ont beaucoup de pouvoir, des moyens et des possibilités d'action. Il faut revoir un certain nombre de choses, mais à mon sens il ne faut pas moins d'ARS ; il en faut même davantage.

Permalien
Jean-Yves Grall, directeur général de la santé de 2011 à 2013

Dans ma région, tout s'est très bien passé avec l'ensemble des préfets, même si certains vous diront peut-être l'inverse, et nous avons conduit les opérations de manière bien coordonnée.

Permalien
Jean-Yves Grall, directeur général de la santé de 2011 à 2013

Avec les élus, nous essayons d'avoir un lien très régulier, que ce soit les DT ou le directeur général de l'ARS, et nous sommes entrés en contact dès que le besoin s'en faisait sentir.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ça dépend des ARS ! Ce n'est pas partout pareil !

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je peux témoigner du fait qu'une dynamique semblable s'est fait jour dans les Hauts-de-France : l'ARS a entretenu des contacts étroits, chaque semaine, avec le préfet de région, les préfets de département et les élus, maires et parlementaires. Il faut leur rendre hommage car les choses ont bien fonctionné.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Une réflexion a été lancée pour savoir s'il faudrait aller jusqu'à intégrer des élus départementaux et régionaux au sein des conseils d'administration des ARS.

Permalien
Jean-Yves Grall, directeur général de la santé de 2011 à 2013

M. Vigier me demandait tout à l'heure si j'avais écrit au ministre ; je ne l'ai pas fait mais, en tant que directeur d'ARS, j'ai avec mes collègues fait remonter des demandes nourries de tous ces constats. Les ARS sont une structure jeune de dix ans qui apprend et évolue en permanence. Nous avons ainsi fait des propositions pour mieux intégrer les élus à nos côtés sur le mode d'un conseil d'administration et non plus d'un conseil de surveillance ; l'idée d'intégrer chaque président de conseil départemental, en particulier, a été entendue.

Nous avons vu combien ce travail était important ; l'apport de chacun a été précieux et a permis d'avancer de manière complémentaire. S'agissant par exemple des masques, un certain nombre de collectivités territoriales en ont commandé, et certaines ont pu en obtenir grâce à des jumelages ; Lyon qui est jumelée à une ville chinoise a pu mettre en place des circuits d'importation. Ceci étant, nous avons connu beaucoup de difficultés pour constituer des stocks de masques, car la tension a été très forte et il a été difficile de s'en procurer. Cependant, je ne crois pas qu'il y ait eu en Auvergne-Rhône-Alpes des établissements de santé qui se soient retrouvés sans masques. C'est peut-être un peu moins le cas dans le secteur médico-social, mais il faudrait vérifier ; c'est surtout pour la médecine de ville que nous avons connu des difficultés, du fait de problèmes d'approvisionnement dont j'ai déjà parlé.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je confirme qu'il y a eu une bonne communication entre l'ARS et les élus en Auvergne-Rhône-Alpes, y compris s'agissant des problèmes liés à la médecine de ville, qui ont été avant tout logistiques.

Les arrivées de masques consécutives à des commandes locales ont parfois posé problème, en particulier aux douanes ; celles-ci ont été beaucoup sollicitées pour vérifier que des masques commandés en marge du circuit étatique étaient bien aux normes.

Les conseils d'administration ou de surveillance des ARS ont été évoqués, mais des élus locaux siègent dans ceux des hôpitaux ou des EHPAD. Certains se sont d'ailleurs rapidement émus du fait que l'État n'avait pas fourni assez de masques au moment où la demande s'est emballée, alors que leurs responsabilités au sein de ces conseils leur auraient permis de passer des commandes. Ne faudrait-il pas augmenter leur pouvoir ?

Permalien
Jean-Yves Grall, directeur général de la santé de 2011 à 2013

Les établissements de santé gèrent leurs commandes pour leur propre compte. Au sein des ARS, nous avons proposé de passer d'un conseil de surveillance à un conseil d'administration ; peut-être faudrait-il à nouveau poser cette question à propos des établissements de santé, même s'il s'agit d'un vieux débat qui a été tranché il y a quelques années.

Chaque collectivité a pris des initiatives et essayé d'emprunter ses propres circuits pour passer commande. Je peux témoigner du fait qu'il y a eu là aussi avec le préfet de région, les préfets de département et leurs services une bonne coordination pour permettre aux douanes de faire arriver les masques dans le cadre de la réquisition. Les masques envoyés par la ville de Canton ont ainsi bien été acheminés jusqu'à Lyon, à laquelle ils étaient spécifiquement adressés dans le cadre du partenariat lié au jumelage. Un travail étroit a été réalisé en commun avec les services de la préfecture de région et le préfet lui-même ; compte tenu du contexte qui était très tendu à l'époque – il l'est beaucoup moins aujourd'hui –, cet effort a été formidable.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Lorsque vous étiez DGS, vous avez travaillé avec l'EPRUS, qui a ensuite été intégré à Santé publique France. Cette réorganisation a-t-elle été selon vous préjudiciable à la capacité de cet établissement public ? Celui-ci était à l'origine une administration resserrée ; en augmentant le nombre de ses missions, peut-être a-t-on contribué à les diluer. En matière de réactivité et de capacité à anticiper et à passer commande – notamment de masques – en période de crise, cette structure élargie a-t-elle été un avantage ou un inconvénient ?

Lorsque vous étiez en responsabilité, les stocks stratégiques étaient bien tenus, et vous avez fait en sorte que le niveau de 1 milliard recommandé par le Haut Conseil de la santé publique soit atteint – c'est la dernière fois où il a été garanti. Cependant, les manques observés dans les établissements médico-sociaux et dans les établissements hospitaliers me donnent un sentiment d'impréparation, et j'ai fait le même constat en tant qu'acteur de terrain. Vous avez très longuement expliqué, et de manière très claire, que ces difficultés relevaient de leur responsabilité propre. Quoi qu'il en soit, les choses n'ont pas fonctionné et cela a eu des conséquences très graves, tant dans les établissements hospitaliers que dans les EHPAD, qu'ils soient publics ou privés – c'est encore plus étonnant dans ce dernier cas, car on aurait pu attendre des grands groupes qu'ils soient particulièrement réactifs pour disposer de ces stocks de masques et d'autres équipements de protection tels que le gel hydroalcoolique ou les surblouses.

Quelles réformes faut-il mettre en œuvre pour éviter qu'un tel échec collectif se répète ? Ces établissements n'ont pas disposé des équipements nécessaires ; est-ce parce qu'il aurait fallu constituer un stock de manière plus globale et centralisée, pour mettre en œuvre une répartition plus efficace ? Quelles propositions pourriez-vous formuler pour que demain, si une deuxième vague survenait, ces établissements puissent se doter de manière efficace ? Faut-il donner à chacun la capacité de passer commande, ou bien recentraliser la commande publique ? Quelle stratégie recommandez-vous pour que nous ne soyons plus jamais aussi dépourvus ? Je l'ai vécu en tant que président du département, puis conseiller départemental : les Alpes-Maritimes disposaient de 800 000 masques qui dataient d'avant 2009 ; ils ont dans un premier temps été jugés inutilisables, mais ont fini par être validés par le délégué territorial de l'ARS pour être distribués aux EHPAD et, pour une partie d'entre eux, au CHU de Nice. Comment pourrions-nous gagner en efficacité ?

Permalien
Jean-Yves Grall, directeur général de la santé de 2011 à 2013

Je n'ai pas d'avis sur l'intégration de l'EPRUS au sein de l'Agence nationale de santé publique (ANSP) à sa création, en 2016 ; j'étais alors en poste en région, et je n'ai pas vécu suffisamment de situations délicates pour dresser un constat à ce sujet. Il était toutefois nécessaire que les missions initiales de l'établissement pharmaceutique se retrouvent intégralement dans la nouvelle agence et y soient effectuées de la même manière ; il me semble que c'est le cas.

Concernant les réformes à mener, nous avons collectivement découvert l'importance des autres équipements de protection – notamment les blouses, surblouses et charlottes – qui, contrairement aux masques, ne sont pas intégrés dans les stocks stratégiques nationaux, et qui ont constitué un sujet de préoccupation pour les personnels, en particulier dans les EHPAD. Dans certains hôpitaux, on a dû revenir à l'utilisation d'équipements en tissu, voire de sacs poubelle. Il faut tirer la leçon de ce que nous avons vécu pour lancer une réflexion au sujet de ces équipements indispensables dont on ne parle jamais.

Sur un plan plus structurel, au-delà de la question d'une deuxième vague, il ne faudra pas attendre trop longtemps pour revoir le circuit de distribution des stocks. Ce n'est pas un travail considérable ; il s'agit d'assembler des éléments existants et de régénérer la doctrine pour la moderniser et l'adapter aux réalités du terrain. Heureusement, on ne voit que très rarement une crise de cette envergure ; mais c'est entre les crises qu'il faut agir pour faire évoluer les dispositifs. Souvenons-nous de 2010 : à la suite de la pandémie de H1N1, le pays trouvait qu'on en avait fait beaucoup, et qu'il était peut-être inutile de continuer à entasser trop de matériel ; une réflexion avait été engagée en ce sens par la représentation parlementaire.

À l'aune de ce que nous venons de vivre, nous devons à nouveau réfléchir à nos méthodes pour les rendre plus modernes, plus adaptées et plus structurées, et revoir nos procédures de façon à les clarifier et à les simplifier. Il ne faut pas attendre, et nous devrons nous y plonger dès la rentrée, en gardant à l'esprit que ce qui était bon à une époque ne l'est plus forcément par la suite, et que nous devons donc rester vigilants.

Il faut aussi que chaque année, lors des discussions du PLFSS, l'état des stocks soit affiché. Vous conviendrez avec moi que ce sujet n'intervient pas souvent dans vos débats.

Enfin, il faut revoir l'organisation structurelle du système de santé dans les territoires. Je suis peut-être à contre-courant, mais je pense qu'il ne doit y avoir qu'une autorité sanitaire en région ; le positionnement des cellules d'intervention en région (CIRE) au sein des ARS doit être revu pour que ne subsiste plus qu'un interlocuteur. Une structure comme la Haute Autorité de santé (HAS), totalement indépendante en matière d'expertise mais reliée à l'État par un contrat d'objectifs et de performance (COP), pourrait remplir cette fonction. Une telle réorganisation permettrait une gestion des stocks coordonnée entre SPF et les ARS et une harmonisation de l'ensemble des dispositifs.

Dans notre région, le contact-tracing a été remarquablement effectué par le personnel de SPF, jusqu'à ce que mes équipes prennent le relais, partiellement puis totalement, alors que cette mission ne faisait initialement pas partie de leurs prérogatives. Il serait plus cohérent que toutes les personnes chargées d'un même type de mission soient regroupées dans une même entité. Sur le terrain, et surtout en temps de crise, il ne doit pas y avoir trop de responsables – trois, c'est un nombre impair et c'est beaucoup trop. Il faut donc revoir l'organisation pour pouvoir travailler plus efficacement, comme nous avons su le faire sous l'autorité du préfet ou même s'agissant du contact-tracing, pour lequel nous avons associé dans un point quotidien au niveau départemental le dirigeant de la caisse primaire d'assurance-maladie (CPAM), le DT de l'ARS et le préfet de département, de façon à ce que l'information circule.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19

Réunion du jeudi 18 juin 2020 à 15 heures 30

Présents. - M. Damien Abad, Mme Sophie Auconie, M. Julien Borowczyk, Mme Brigitte Bourguignon, M. Éric Ciotti, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Bertrand Pancher, M. Joachim Son-Forget, M. Boris Vallaud, M. Philippe Vigier, Mme Martine Wonner

Assistait également à la réunion. - M. Guillaume Gouffier-Cha