Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Réunion du mercredi 24 juin 2020 à 15h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Mission d'information de la conférence des Présidents sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19

Présidence de Mme Brigitte Bourguignon.

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Monsieur le professeur, je rappelle que vous avez été DGS de 2005 à 2011. Depuis le 22 janvier 2020, vous présidez le comité d'urgence de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) sur le covid-19, instance qui rassemble une quinzaine d'experts indépendants. Vous avez également été membre de la mission conduite par Jean Castex, chargée de préparer la sortie du confinement.

À tous ces titres, nous souhaitons vous entendre sur l'état de préparation dans lequel nous nous trouvions au moment où l'épidémie de covid-19 a brutalement touché la France.

(M. Didier Houssin prête serment)

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Didier Houssin, ancien directeur général de la santé

J'ai en effet une certaine expérience en matière de risque pandémique, puisque j'ai été directeur général de la santé de 2005 à 2011 et délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire. J'ai d'ailleurs évoqué cette expérience dans un ouvrage, publié en 2014.

De 2011 à 2020, j'ai conseillé l'OMS en matière de sécurité sanitaire face au risque pandémique, et mon rôle l'égard du covid-19 s'est donc joué à deux niveaux : celui de l'OMS et celui de la mission Castex. En outre, en tant que membre de l'Académie nationale de médecine, j'ai assuré, depuis la mi-mars, la fonction de secrétaire de la cellule covid-19. Je ne sais pas si M. Jean-Christophe Lagarde est présent, mais il sera sans doute heureux de savoir que sa demande, relative au rôle que pourrait jouer l'Académie nationale de médecine, lors de la commission d'enquête de 2010, a reçu une suite favorable même si c'est peut-être un peu tardivement.

Mon propos liminaire sera centré autour de la notion de préparation au risque pandémique, avec trois approches : le regret qu'elle ait été critiquée en 2010 ; le constat que le défaut de préparation a eu des conséquences graves ; et l'espoir que la préparation à ce risque devienne une obligation en France.

D'abord, un regret. Entre 2005 et 2009, sous la menace du virus H5N1, la préparation de la France au risque pandémique lié à un virus émergent à transmission respiratoire a été intense. Elle a conduit à un travail interministériel inédit pour développer, décliner puis perfectionner un plan national : préparer notre société à la continuité d'activité en situation de pandémie, s'exercer, constituer des stocks de produits de santé – masques, antiviraux respirateurs –, préparer les organisations logistiques, préparer la production d'un vaccin et organiser l'action de l'État. Et c'est alors, en 2007, que l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS), a été créé.

En 2010, au décours de la pandémie de 2009, due au virus H1N1, moins grave que redouté, cette préparation a été critiquée. Au lieu d'être félicités pour avoir limité le nombre de décès, nous avons été critiqués pour avoir trop dépensé. Je vous renvoie notamment aux commissions d'enquête, devant lesquelles j'ai eu l'honneur d'être convoqué.

Dix ans ont passé. La violente critique de 2010 a, selon moi, joué un rôle majeur dans l'affaiblissement en France de la préparation au risque pandémique. Affaiblissement qui s'est révélé de façon dramatique, fin janvier 2020, lorsque l'OMS a déclaré que le covid-19 était une urgence de santé publique de portée internationale (USPPI).

Ensuite, un constat. En dépit du travail admirable des hospitaliers et du civisme de la population, 30 000 décès sont à déplorer à ce jour, et l'impact économique et social dans notre pays est majeur. Notre défaut de préparation est l'une des raisons de ces graves conséquences. Face à un virus d'autant plus dangereux qu'il est excrété avant les signes cliniques, l'absence de traitement et de vaccin et la rareté des tests virologiques disponibles imposaient de recourir aux méthodes rustiques de prévention, sinon la fuite du moins la distanciation, l'hygiène des mains et le port du masque.

J'avoue avoir été sidéré d'apprendre que le stock de masques de la France s'était évaporé. À partir de 2005, nous avions décidé la constitution d'un important stock de masques, précisément parce que nous redoutions, face au virus H5N1, la terrible situation dans laquelle nous nous sommes trouvés ces derniers mois. Nous estimions alors, qu'en l'absence de vaccin et de traitement, le minimum que l'État pouvait faire pour protéger les professionnels les plus exposés et la population était de leur donner des masques afin de réduire le risque de transmission du virus.

En avril 2010, après la pandémie grippale due au virus H1N1, il restait un milliard de masques chirurgicaux anti-projections pour la population et les malades, soit 100 % du besoin alors estimé, et 700 millions de masques FFP2 à haute capacité de filtration, pour les professionnels exposés, soit 80 % du besoin estimé.

J'insisterai sur deux points. D'abord, le calcul des besoins de la population était fondé sur un certain nombre de masques par jour – pour une vague pandémique de 12 semaines – et sur le volume de population à couvrir par catégorie professionnelle.

La doctrine concernant les masques FFP2 s'inscrivait dans un plan plus vaste, centré sur la préparation du plan de continuité d'activité (PCA) à tous les niveaux – secteurs public et privé. À partir du document unique d'évaluation des risques du ministère du travail, qui a alors joué un rôle très important, les masques dont devaient se doter les acteurs économiques et les collectivités territoriales représentaient l'outil contribuant à la continuité d'activité.

Mon travail de délégué interministériel avait alors consisté à rencontrer, dans le cadre de réunions organisées chaque semaine, tous les secteurs – banque, assurance, boulanger, médias, agroalimentaire, funéraire, etc. – pour les inciter, non seulement à préparer leur plan de continuité d'activité, mais aussi à acheter des masques. Si notre stock de masques ne s'était pas évaporé, nous aurions certainement pu organiser autrement le confinement, dans le sens d'une meilleure préservation de la continuité d'activité.

En lisant le rapport du sénateur Delattre, j'ai compris qu'en 2015, ce stock avait commencé à se déliter. En 2020, il avait fini par quasiment s'évaporer au point de nous mettre en situation de pénurie. Comment cela a-t-il pu arriver ?

C'est une situation particulièrement grave concernant les masques FFP2 pour les professionnels de santé. La lecture de la doctrine d'emploi de ces masques, produite par le Haut Conseil de la santé publique (HCSP), le 1er juillet 2011, qui les limitait aux actes les plus invasifs, me paraît discutable. Il me semble, même à ce moment-là, qu'il convenait de protéger au maximum les soignants exposés, quel que soit le secteur d'activité.

Les masques ne seraient-ils qu'un marqueur parmi d'autres du défaut de préparation au risque pandémique ? Qu'en a-t-il été de la mise à jour de la planification des actions, de la coordination interministérielle, de la préparation de la continuité des activités, des exercices, de l'anticipation de la recherche et du développement et, enfin, de la coordination européenne et nationale des essais cliniques ?

S'il est vrai que la France n'a pas été le seul pays à se retrouver dans cette situation, ce ne peut être une consolation. Elle était reconnue pour être l'un des pays les mieux préparés, et pourtant, comme d'autres, elle s'est retrouvée à subir et à improviser. Or l'improvisation ne s'improvise pas, elle se planifie.

Face au covid-19, le Gouvernement a dû activer le plan Pandémie grippale qui avait le mérite d'exister, mais qui datait de 2011. Alors que l'unité d'action reste une règle de la gestion de crise, il a fallu attendre de longues semaines pour qu'un centre interministériel de crise unique gère la situation liée au covid-19. Une préparation plus active et la répétition d'exercices dans les années précédentes auraient peut-être permis d'éviter cela.

Concernant l'expertise scientifique, un paysage complexe a été établi, de façon inattendue, avec la création de deux conseils, le conseil scientifique et le comité analyse, recherche et expertise (CARE), alors que notre pays dispose d'instances expérimentées, composées avec soin et compétence : d'une part, en matière d'analyse du risque, Santé publique France, notre vigie et source de données, qui a su s'appuyer sur des équipes de modélisation et d'épidémiologie de qualité ; d'autre part, en matière d'expertise pour la gestion des risques, le Haut Conseil de la santé publique, qui avait préparé la doctrine sanitaire. Heureusement, la qualité de leurs membres a permis d'éviter que la complexité ne se transforme en confusion.

Il a fallu cependant attendre la mise en place de la mission Castex, pour que la notion d'anticipation et de préparation prenne enfin sa place – à partir du 9 avril.

Enfin, un espoir. Un triste espoir que l'impact sanitaire, social et économique de la pandémie covid-19 laisse des traces telles que nous prenions enfin au sérieux, dans la durée, la préparation au risque pandémique.

Il convient de se concentrer sans faiblir sur les risques avérés, douloureusement éprouvés en France depuis des siècles et qui sont les plus lourds : la guerre et l'épidémie. Sachons faire le tri entre ce qui est prioritaire et ce qui l'est moins, et ne laissons pas les événements intercurrents, même s'ils sont importants et réclament une réponse adaptée, nous détourner des grandes priorités.

Pour le risque de guerre, nous avons une armée. Elle se prépare, elle s'équipe et s'entraîne. Il devrait en être de même pour le risque pandémique, car tout incite à s'y préparer : la densification de l'espèce humaine et des espèces animales ; l'accroissement des interactions entre les espèces animales et l'espèce humaine ; la multiplication des échanges de personnes et de biens par les migrations, le tourisme et le commerce ; les pratiques d'élevage des animaux ; et les conditions de vie des êtres humains dans les grandes villes.

À tous les échelons – local, régional, national, européen et mondial – faisons de cette préparation au risque pandémique une priorité qui dure et que nous organisons pour résister à l'oublieuse Mémoire.

Je conclurai mes propos en vous livrant quelques suggestions :

– une obligation de préparation au risque pandémique ;

– une planification mise à jour, déclinée, testée et évaluée ;

– une coordination interministérielle – peut-être la suggestion la plus importante ;

– des contre-mesures – masques, solutions hydro-alcooliques, un traitement ou un vaccin – sous la responsabilité de l'État, avec un contrôle parlementaire, comme, je l'imagine, votre commission de la défense nationale l'exerce pour la défense ;

– un effort européen pour qu'une Europe de la sécurité sanitaire se crée, dont le volet de préparation au risque pandémique serait le pivot ;

– une stratégie de recherche et de développement, sous le contrôle de l'Organisation européenne de la santé (OES).

Sur ce dernier point, je ne peux que vous alerter sur la grave situation de la recherche en France. Puisque vous allez bientôt débattre d'une loi de programmation en la matière, je soulignerai que si, bien entendu, des aspects budgétaires sont à traiter, une simplification extrême serait de rigueur. L'université devrait être le cœur des activités de recherche, comme c'est le cas dans la plupart des pays développés. De sorte qu'il conviendrait d'unifier le corps des enseignants chercheurs et celui des chercheurs, et de revoir profondément les missions des organismes, tels que le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ou l'Institut national de la santé et de la recheche médicale (INSERM), dont la création a été très utile après la guerre, mais dont la valeur ajoutée est aujourd'hui discutable. Je vous remercie de votre attention.

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Vous avez exercé des responsabilités importantes et vous venez de porter un regard critique, voire sévère, sur le manque de préparation qui a marqué la gestion de cette crise sanitaire et ses conséquences.

Je vous interrogerai tout d'abord sur votre présidence du comité d'urgence de l'OMS. Quel regard comparatif pouvez-vous porter sur ce qui s'est passé dans les autres pays ? Comment ce diagnostic sévère que vous dressez a-t-il pu se produire en France, alors que des pays, notamment dans le sud-est asiatique, ont su faire face à la pandémie ? Plusieurs personnes auditionnées ont fait mention d'un retard dans les prises de décision ; aurions-nous pu l'éviter, notamment par rapport aux informations de l'OMS ?

Mes interrogations porteront ensuite sur la coordination. Nous avons été frappés par la multiplicité des instances créées. Elles ont participé à véhiculer l'image d'une confusion et d'un défaut de pilotage. Hier, vos successeurs ont évoqué la nécessité d'un maréchal de guerre à la tête de toutes ses armées.

Au-delà de la coordination nationale, revenons sur la coordination locale, sur la déclinaison de la stratégie nationale sur les territoires. Nous avons assisté à un double pilotage des préfets de département et des agences régionales de santé (ARS). Quel est votre avis sur cette question ?

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Didier Houssin, ancien directeur général de la santé

Le comité d'urgence de l'OMS est, non pas un comité permanent, mais un instrument qui s'inscrit dans le cadre du Règlement sanitaire international. Il est convoqué par le directeur général de l'OMS quand ce dernier a besoin d'une réponse à la question suivante : ce qui est en train de se passer est-il une urgence de santé publique de portée internationale ? Une réponse positive ouvre des droits et devoirs aux États membres et à l'OMS. Or la convocation du directeur général – j'ai reçu son appel le dimanche 19 janvier – était une convocation précoce, comparativement à ce qui s'est passé pour les virus Ebola ou H1N1. L'OMS a donc fait preuve de célérité. Au point que la première réunion du comité d'urgence, les 22 et 23 janvier, a abouti à un avis très partagé, au motif que seuls quatre cas avaient été recensés à l'étranger. Ce comité fonctionne par consensus. J'ai donc invité le directeur général à nous reconvoquer quelques jours plus tard, si la situation le nécessitait. Ce qu'il a fait. Nous avons été convoqués le 30 janvier, la situation ayant évolué : de 400 cas en Chine, nous étions passés à plusieurs milliers et à près de 80 cas à l'étranger – sans décès. Ce jour-là, l'OMS a déclaré que la situation était une urgence de santé publique de portée internationale. Tous les pays auraient alors dû poser le crayon et ne s'occuper que de gérer l'urgence.

Quelle décision a été prise le 30 janvier au soir, en France ? Je ne puis répondre, car je n'ai plus de fonction au niveau national, mais il est important d'analyser ce qui s'est passé en février et en mars dernier. Quelles décisions ont été prises ? Quels plans ont été activés ?

Monsieur le rapporteur, vous avez ensuite évoqué la coordination au niveau national. Un pays qui n'est pas préparé à une telle crise est obligé d'improviser. Parfois avec génie, et des décisions intéressantes ont dû être prises, mais parfois aussi des actes sont pris entraînant plus de difficulté que davantages.

J'ai été supris par la création des deux conseils scientifiques, ainsi que par le fait qu'un centre de gestion de crise unique ne soit pas instauré, comme cela était prévu dans le plan Pandémie grippale, plan qui avait le mérite d'exister – il n'a été mis en place qu'au début du mois de juin. Tout cela résulte d'un défaut de préparation, de répétition d'exercices réunissant à la même table les ministères de la santé, de l'intérieur, des affaires étrangères…

S'agissant du niveau local, je ne pas puis que vous livrer mon avis personnel. En France, d'une façon générale, en cas de crise grave, le préfet doit être aux manettes. D'une part, parce qu'il s'agit d'un acteur interministériel et, d'autre part, parce que le ministère de l'intérieur n'est pas toujours désireux de piloter une crise sanitaire, une question extrêmement technique pour laquelle l'expertise en matière d'analyse du risque est très importante.

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Quelles ont été les relations entre les ministères de la santé et de l'intérieur, lors de la crise H1N1 ?

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Didier Houssin, ancien directeur général de la santé

En tant que DGS, j'étais favorable à ce que le ministère de l'intérieur soit le pilote de cette crise, ce qui n'avait d'ailleurs pas plu à Roselyne Bachelot.

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L'OMS avait conseillé au mois de janvier de « tester, tester, tester ». Ce message s'adressait-il aussi à la France ou simplement aux pays ne disposant d'aucune capacité de test ?

Ensuite, en tant que membre de la mission Castex, auriez-vous été favorable à un confinement plus régionalisé ?

Enfin, il est indiqué, dans le plan de prévention et de lutte contre une pandémie grippale, de 2009, que le port d'un masque anti-projection peut être préconisé dans les espaces publics à titre de précaution et que le grand public est encouragé à en faire l'acquisition. Or en France, le stock de masques s'est évaporé. Quel regard portez-vous sur l'usage du masque, notamment si nous sommes confrontés à une seconde vague, ainsi que sur l'évolution des doctrines intervenues en 2011 et 2013 en matière de stocks d'équipements stratégiques ?

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S'agissant de l'OMS, les informations qui vous ont été données pour que vous puissiez vous prononcer, provenaient-elles de l'État Chinois ou disposiez-vous d'autres sources ?

Par ailleurs, vous avez été très clair sur le fait que notre pays était prêt à affronter une telle épidémie, au début des années 2010. En revanche, vous avez été lapidaire sur le processus de décision qui a conduit à changer de doctrine ; quand et comment cela s'est-il passé ? Les parlementaires ont-ils été consultés ?

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Je reviendrai également sur la question de l'OMS. Nous avons cru comprendre que les membres du comité d'urgence avaient eu des divergences sur l'appréciation de l'évolution de la crise et s'étaient vus reprocher leur réponse tardive. Il a également été dit que l'OMS avait été influencée par les informations que la Chine lui a, ou pas, transmises. Plusieurs personnes auditionnées nous ont confié que la Chine n'avait pas été totalement transparente. Quelle est votre appréciation ?

Vous avez été délégué interministériel lors de la crise H1N1 ; en quoi consistait cette interministérialité ? Considérez-vous que celle-ci a fait défaut dans la gestion de la crise liée au covid-19 ? Et selon vous, qui a géré cette crise ?

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Didier Houssin, ancien directeur général de la santé

Le conseil de l'OMS, concernant les tests, n'a pas été selon moi une initiative extrêmement heureuse, car cela ne veut pas dire grand-chose ; il y a les tests virologiques, les tests sérologiques… En outre, les capacités des États sont extrêmement différentes, nombreux même sont ceux qui ne disposent pas du tout de test. Cette recommandation a-t-elle été sortie de son contexte ? Je ne sais pas, en tout cas, elle m'a étonné.

Le conseil d'urgence est toujours convoqué de manière exceptionnelle. La réunion s'est tenue à Genève, le directeur général et son équipe étaient présents et les autorités sanitaires des pays invités à présenter la situation épidémiologique de leur pays. Les Chinois, les Japonais, les Thaïlandais et les Coréens étaient au téléphone, ainsi que les 14 experts qui devaient donner leur décision au directeur général.

Je n'avais aucune raison de douter de la véracité des informations fournies par les autorités sanitaires chinoises, le 22 janvier. D'autant que les médecins chinois ont séquencé rapidement le virus – ce qui démontre qu'ils ont effectué des progrès importants en matière de génétique moléculaire virologique – et qu'ils ont posté cette séquence sur la base de données européenne, qui regroupe les séquences génétiques des virus, notamment influenza. La transparence était donc là.

Il est vrai que le 22 janvier après-midi, nous avons appris que la ville de Wuhan était confinée. Le directeur général a aussitôt pris la décision de réunir le comité une journée supplémentaire pour comprendre la raison de ce confinement. Le 23 janvier, nous avons tenu une réunion avec les autorités chinoises qui nous ont dit avoir appris ce confinement la veille et que c'étaient les autorités de la ville qui avaient pris cette décision pour protéger le reste de la Chine et le monde, du coronavirus.

La situation épidémiologique n'avait pas vraiment changé et le conseil est resté très partagé. Le seul consensus auquel nous sommes parvenus est qu'il était un peu trop tôt pour déclarer l'urgence de santé publique de portée internationale. Aurais-je dû forcer le comité à prendre une décision rapide ? Nous avons peut-être perdu une semaine mais il n'est pas simple de bien se postionner entre la précipitation et l'attentisme.

Régionaliser le confinement aurait été compliqué. Il s'agit d'un mécanisme complexe nécessitant que des textes soient publiés, et cela dans un climat d'urgence. Il est vrai que l'Académie de médecine avait prôné un confinement à la carte, sur une base régionale. Cependant, je conçois qu'un tel confinement a pu apparaître difficile à mettre en œuvre.

Concernant les masques, la décision ayant fondé leur acquisition dans les années 2005, 2006 et 2007 a été prise dans le contexte du virus H5N1, qui avait entraîné une forte mortalité et un risque pandémique important. À cette époque nous ne disposions pas d'antiviraux ni de vaccin. Le masque était alors la seule protection pour que les professionnels puissent continuer de travailler.

L'évaporation des stocks de masques résulte d'un certain nombre de facteurs.

Premièrement, le fait d'avoir fortement attaqué ceux qui avaient préparé un risque pandémique – et, de fait, dépensé beaucoup d'argent – a marqué les esprits.

Deuxièmement, la question de l'utilité du port du masque a été fortement débattue. Aucune étude n'a été menée pour démontrer de manière évidente son efficacité. Nous sommes-là dans le principe de précaution et une incertitude scientifique.

Troisième facteur, le budget. Il est toujours difficile pour les autorités de décider où l'argent doit être investi. Il est plus facile de commander 50 millions de masques plutôt que 600 millions.

Quatrièmement, en matière de santé, nous devons en permanence faire face à un certain nombre d'urgences – le virus du chikungunya à La Réunion, la méningite en Seine-Maritime, etc. De sorte que maintenir le fil d'une préparation, avec les dépenses que cela implique, est compliqué.

Enfin, s'agissant de la question relative à l'interministérialité, je précise que j'ai été délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire – H5N1. En juin 2005, alors que je venais de prendre mes fonctions de DGS, le secrétaire général de la défense national (SGDN) avait organisé un grand exercice « Préparation à une pandémie grippale ». Je me suis rendu compte, et je l'ai dit, qu'il était essentiel de se préparer très activement, et fin août le ministre Xavier Bertrand m'a nommé délégué interministériel.

J'ai organisé à partir de ce jour-là, tous les mardis matin, une réunion « mardi grippe » et une réunion « infos grippe », durant lesquelles nous passions en revue tout ce qui était nécessaire pour se préparer à une pandémie. Nous avons ainsi lancé une dynamique de préparation du risque.

En 2008, la pandémie n'arrivant pas, cette préparation s'est essoufflée. Il est difficile de maintenir une préparation dans la durée ; toute la question est là. C'est la raison pour laquelle, je suis favorable à une préparation à un risque pandémique général, plutôt que de cibler un agent infectieux. D'autant que l'inventivité de la micro biologie est telle que nous n'aurons jamais affaire au même virus.

Enfin, qui a géré la crise sanitaire actuelle ? Trois cellules de crise ont été mises en place : à l'intérieur, à la santé et aux affaires étrangères, sur décision du Premier ministre, qui en a assuré le pilotage.

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S'agissant du travail qui a été réalisé en 2010, les journalistes ont écrit que trop de choses avaient été faites, alors qu'en réalité, elles ont été mal faites et sans doute mal préparées par le secrétaire général de la défense nationale.

En ce qui concerne la crise actuelle, il s'est passé du temps entre la décision de l'OMS, le 30 janvier, et la réaction française. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, il me semble que la mission d'information devra explorer cette latence.

Benoît Vallet nous a expliqué que la péremption des masques chirurgicaux qui nous ont tant manqué date de 2010. S'agissait-il d'une demande récurrente des fabricants ? Une décision qui a été challengée par le ministère de la santé – a-t-on oui ou non essayé de déterminer s'ils étaient efficaces plus longtemps ? Enfin, pensions-nous déjà à une éventuelle défaillance d'un producteur et avions-nous imaginé une solution pour le remplacer ?

Vous êtes le père de l'EPRUS. Lors de la commission d'enquête que vous avez évoquée, nous avions émis l'idée d'adapter l'organisation des stocks de masques et des équipements de protection aux zones de défense, puisque ce sont les préfets qui sont chargés de les surveiller et, le cas échéant, les déployer. Pourquoi cette recommandation n'a-t-elle pas été mise en œuvre ?

Enfin, outre les réunions des mardis, des exercices catastrophes étaient-ils également organisés ; si oui, ont-ils été profitables ? Et ont-ils été poursuivis après votre départ ?

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Benoît Vallet, qui a été DGS de 2013 à 2014, a évoqué des changements de normes chez les producteurs de masques, avec des dates de péremption, ce qui a conduit les décisionnaires de 2014 à généraliser ces normes, y compris pour les anciens stocks. Un audit a alors été effectué sur la totalité de nos stocks et 80 % des masques ont été détruits à partir de 2018.

François Bourdillon, l'ancien directeur de Santé publique France, a alors fait le constat que 600 millions de masques n'étaient plus opérationnels. Il a envoyé un courrier au DGS pour l'alerter mais seuls 100 millions de masques ont été commandés. La France se trouve donc complètement désarmée depuis le début de la crise sanitaire.

Revenons en 2010, quand nous découvrons ces nouvelles normes. Une analyse de la totalité de nos stocks aurait dû être effectuée à moment-là, les producteurs considérant qu'ils n'étaient plus fiables à 100 % et qu'ils avaient une durée limitée. Selon vous, pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour effectuer un audit ? Je sais que vous avez quitté vos fonctions en 2011, mais peut-être avez-vous une idée sur la question.

Enfin, quel jugement portez-vous sur l'achat de nouveaux masques, en 2018, en nombre insuffisant, ainsi que sur la destruction d'un important stock qui aurait pu être utilisé dans d'autres cadres ?

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En 2006, 2007 et 2008, je travaillais en Asie, sur les plans de préparation de continuité d'activité des entreprises. Vous avez indiqué que dans le cadre de vos fonctions de délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire, vous aviez rencontré les responsables de différents secteurs pour les inciter à préparer leur plan de continuité d'activité et à acheter des masques. Vous aviez donc une bonne lecture de ce qu'il convenait de faire. Quels sont vos conseils d'organisation, pour les entreprises, les institutions… ? Que signifie pour vous « être prêt » ?

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Il me semble qu'en 2010, vous étiez à l'origine d'une circulaire très précise, qui évoquait la stratégie de retrait logistique des stocks de masques FFP2. Cette information est-elle exacte ? Avez-vous pu évaluer, avant votre départ, en 2011, l'impact de cette circulaire ?

Par ailleurs, s'agissant de la gouvernance, ne sommes-nous pas plutôt dans la caricature de ce qu'il ne faut pas faire – trois cellules de crise, plusieurs agences fonctionnant de façon indépendante, un conseil stratégique, etc. ?

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Didier Houssin, ancien directeur général de la santé

En 2010, nous avions affaire à deux types de masques. D'une part, le masque chirurgical qui, à l'époque, n'avait pas de date de péremption, pour une raison évidente, c'est qu'il n'était pas destiné à être stocké. La question du renouvellement du stock ne se posait donc pas.

D'autre part, le masque FFP2. Il s'agit, non pas d'un dispositif médical, mais d'un équipement de protection individuelle qui relève de la réglementation du travail et qui est censé avoir une capacité de filtration vers le porteur. Lorsque nous avions incité à la création d'une industrie de ce type de masques en France, des chaînes avaient été montées pour les produire. Les producteurs nous avaient alors dit que le délai de péremption était de trois ans. Mais après des tests de filtration et des études menées par l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS), le délai de péremption a été porté à cinq ans. De fait, les masques produits en 2005 arrivaient à péremption. Il était donc logique de les détruire, il n'était pas question que les professionnels de santé travaillent avec des masques qui avaient perdu leur capacité de filtration.

Je ne me souviens pas de cette circulaire, mais il est tout à fait possible que nous ayons enclenché un mécanisme de remplacement des masques FFP2 les plus anciens. Mais en aucun cas, je n'ai décidé de les supprimer.

Par ailleurs, s'agissant du positionnement des stocks en zones de défense, je ne me souviens pas si cette décision a été prise avant ou après la création de l'EPRUS. Quant aux exercices, je ne sais pas s'ils ont perduré après 2011.

Je ne reviendrai pas sur la question des normes et des dates de péremption, car je ne me suis pas tenu au courant de l'évolution de la réglementation, après 2011. Mais il n'y a aucune raison de douter des informations de M. Vallet. Je ne reviendrai pas non plus sur les achats, car, je vous l'ai dit, ils nécessitent un budget sanctuarisé dans le cadre d'un plan de préparation.

À la question de savoir si nous étions prêts, je répondrai « non, nous ne l'étions pas ». Comment prétendre être prêts à faire face à un événement dont nous ne connaissons pas les caractéristiques ? Il est cependant indispensable de s'inscrire dans une dynamique de préparation. Je ne suis plus en fonction depuis près de dix ans, je ne me permettrai donc pas de donner des conseils, les temps ont changé, il convient de faire preuve d'innovation. Ce qui n'a pas changé, en revanche, c'est qu'une volonté politique forte est nécessaire. Comme celle du président Chirac, en 2005, lorsqu'il a déclaré : « S'agissant des dépenses pour la préparation à une pandémie grippale, c'est no limit » Je n'ai, pour ma part, fait qu'accompagner une décision politique.

Enfin, s'agissant de la gouvernance, effectivement, je suis étonné que nous ne nous soyons pas appuyés délibérément sur des structures existantes qui ont fait leurs preuves : Santé publique France et le Haut conseil de santé publique.

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Je retrouve dans vos propos de nombreux éléments du plan Pandémie grippale. Je citerai une phrase que vous aviez formulée à propos des masques : « Des travaux scientifiques ont montré que le port de masque à Hong Kong pendant l'épidémie du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) a entraîné une diminution significative du nombre d'affections respiratoires, alors même qu'il s'agissait de simples masques en tissu, beaucoup plus rudimentaires que les masques FFP2 ». De fait, nous avions, à l'époque, recommandé le port du masque en cas de pandémie.

Par ailleurs, vous aviez indiqué dans la presse que vous étiez très fier de la création de l'EPRUS. Moi aussi, je tiens à le dire.

Je souhaiterais soulever la question des respirateurs. À l'époque nous avions ciblé, avec le ministre, la nécessité de 6 000 respirateurs, qui devaient être stockés. Aujourd'hui, si nous les avions, nous aurions, non pas 5 000 lits de réanimation, mais 10 000.

Enfin, vous jugez la coordination territoriale comme fondamentale, et les collectivités locales sont également prêtes à s'engager dans une préparation au risque. Nous devons nous en souvenir.

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Concernant ce coronavirus – car ce n'est pas le premier auquel nous sommes confrontés – nous avons eu deux ou trois semaines de retard de diagnostic, puisque la contamination était active avant l'apparition des signes cliniques. D'où toute la difficulté à s'adapter à une telle crise, mais aussi, peut-être, la nécessité de créer de nouvelles structures, plus souples, plus adaptables à ce genre d'urgence sanitaire ?

Quel regard portiez-vous, lorsque vous étiez en activité, sur la souveraineté française en matière de fabrication de masques ? Voici ce que disait l'ancien président de l'usine de Plaintel, Roland Fangeat : « De janvier 2009 à septembre 2010, nous avons livré 160 millions de masques FFP2 à l'État. Puis, il y a eu un désengagement de l'État, la chute des commandes a été catastrophique pour l'usine. ». Nous connaissons la suite.

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Je reviendrai sur votre fonction de président du comité d'urgence à l'OMS, car c'est bien là que tout a commencé. La Chine et Taïwan ont signalé les premiers cas de pneumopathie le 31 décembre 2019, et le 30 janvier 2020 l'épidémie a été qualifiée d'urgence de santé publique à portée internationale ; un mois s'est écoulé entre ces deux dates, c'est à la fois peu et beaucoup.

Avez-vous échangé personnellement avec les autorités françaises, de façon formelle après le 30 janvier et de façon informelle avant cette date ?

Enfin, au niveau international, Taïwan a fermé sa frontière avec la chine, le 22 janvier, ce qui explique certainement son excellent bilan – sept morts et 446 cas pour 23 millions d'habitants ?

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Lorsque vous étiez DGS vous aviez indiqué, au début de l'épidémie de grippe aviaire, qu'il s'agissait d'une menace importante pour l'espèce humaine, en la comparant à des pandémies telles que la peste et la grippe espagnole. Plus d'une décennie plus tard, le covid-19 a été qualifiée en France de « simple grippette ».

Comment expliquez-vous le sérieux avec lequel avait été appréhendée la grippe aviaire et la légèreté d'appréciation du covid-19 ?

Vous êtes, me semble-t-il, à l'origine de l'organisation territoriale de la santé – avec notamment la création des ARS. J'ai le sentiment que cette organisation ne crée pas une égalité de traitement entre les territoires. Qu'en pensez-vous ? Pouvons-nous rendre cette organisation plus efficiente, notamment pour la gestion d'une crise comme celle que nous traversons ?

Enfin, s'agissant de la gestion des stocks de masques, quelles ont été les faiblesses et comment pouvons-nous l'améliorer ?

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Didier Houssin, ancien directeur général de la santé

Je suis fier que vous soyez fier de la création de l'EPRUS ! C'est effectivement un véritable acquis en matière de santé.

Nous avions été amenés à commander des respirateurs. Il s'agit de produits fragiles qui doivent fonctionner ; ils ne peuvent être simplement stockés en attente d'être utilisés. Nous en avions également acheté lors de la pandémie grippale H1N1, durant l'été 2009. En revanche, je ne sais pas si, pour la crise que nous traversons, nous avons rencontré des difficultés liées à un manque de respirateurs.

Concernant le covid-19, une équipe de recherche allemande a démontré que ce virus a la capacité préoccupante d'être excrété par le malade dans les 48 heures qui précèdent l'apparition des symptômes. C'est la raison pour laquelle, l'interdiction de regroupements de personnes est une question difficile à gérer.

En tant qu'ancien président du Comité consultatif national d'éthique, Jean-François Delfraissy a une appétence particulière pour les questions éthiques, qui sont très importantes dans la gestion d'une telle crise. Sa nomination au conseil scientifique a donc été bénéfique.

Concernant la souveraineté française, il s'agit de l'une des raisons pour lesquelles il avait été décidé de produire des masques en France. De même, pour la fabrication des vaccins, ce sont des producteurs français qui avaient été sélectionnés. Nous le savons, les États peuvent prendre la décision de bloquer ses sites de production, comme cela s'est passé en Inde.

S'agissant du mois qui sépare les signalements de la Chine et de Taïwan et la décision du 30 janvier, nous ne pouvions pas, raisonnablement diagnostiquer, dès les premières informations, qu'il s'agissait d'un coronavirus et déclarer une urgence de santé publique de portée internationale. L'histoire nous a montré que la déclaration d'une telle urgence intervient, en général, après des événements beaucoup plus développés. Je ne considère pas que le directeur général de l'OMS a mis trop de temps pour prendre sa décision. Je pense même qu'il a été rapide.

Par ailleurs, non, je n'ai eu aucun échange avec les autorités françaises, mon rôle d'expert se limitant à l'OMS. Depuis 2011, j'ai coupé les ponts avec les décisionnaires français. Je dois avouer que je suis même étonné que personne, depuis dix ans, ne m'ait demandé de partager mon expérience de délégué interministériel.

Concernant Taïwan, la question, pour le directeur général de l'OMS, est délicate étant donné les relations que ce pays entretient avec l'OMS et la Chine.

Enfin, madame Auconie, pour la grippe aviaire, nous étions face à une menace de pandémie. L'OMS avait rapidement conseillé aux pays de se préparer et, heureusement, la France avait suivi ses instructions. Mais nous avons bénéficié de temps pour nous préparer. Contrairement au covid-19 pour laquelle nous n'étions pas bien préparés. Ce qui veut dire, et je le répète, que si nous voulons être efficaces face à ce type de virus, nous devons nous préparer en permanence. Cela suppose une persistance, une ténacité, y compris en matière de volonté politique. Je ne sais pas comment font les militaires, mais comme eux, nous ne devrions jamais nous arrêter de nous préparer.

Par ailleurs, j'avais en effet participé à la réorganisation territoriale de l'État, avec la création et la coordination des ARS. Et en effet, la question de la lutte contre les inégalités territoriales et sociales en matière de santé et la nécessité d'instaurer des mécanismes de compensation s'était posée.

Il est vrai que pour cette pandémie, nous avons été confrontés à une inégalité territoriale extraordinaire. Pourquoi s'est-elle concentrée sur le nord-est de la France ? Il n'est pas facile de gérer une inégalité dans un tel contexte. Des initiatives heureuses ont été prises, notamment de transférer des patients dans d'autres régions et vers l'Allemagne. C'est un petit exploit qui a été réalisé.

Enfin, il n'y en avait pas de date de péremption entre 2005 et 2011, pour les masques chirurgicaux.

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En France et en Europe, nous n'avons pas cette culture du « bien porté ». Avez-vous des préconisations à formuler sur cette question, car je ne suis pas certain que les Français aient bien compris l'utilité du masque.

Par ailleurs, s'agissant de la réserve sanitaire, que pouvons-nous améliorer ?

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Nous avons souvent évoqué la peine que nous avions à apprendre des épisodes précédents. Vous avez indiqué dans le Quotidien du pharmacien, le 10 avril : « Nous n'avons pas pu agir dans le long terme. Il n'a pas été possible de gérer les stocks constitués de FFP2 qui arrivent à préemption au bout de cinq ans ». Évoquiez-vous dans cet article la ligne budgétaire consacrée à l'achat des masques, qui n'avait pas pu être respectée en raison des arbitrages du ministère ?

Concernant le changement de doctrine, en 2013, qui a souvent été pointé comme étant la source de nombreux maux, il me semble qu'il portait sur l'aspect non pas quantitatif, mais qualitatif des masques puisqu'il était indiqué que les FFP2 seraient désormais acquis par les établissements de santé, alors que les masques chirurgicaux seraient gérés par l'État. D'ailleurs, un rapport d'experts de Santé publique France de 2019 faisait état que nous avions toujours besoin d'un milliard de masques.

Qui devait s'assurer que les achats de masques FFP2 étaient bien effectués par les établissements de santé ?

Enfin, de nombreux patients étaient atteints de pathologies chroniques, or nous avons manqué de médicaments liés à ces pathologies. Ce risque de pénurie de médicaments avait-il été identifié préalablement ?

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Quelle est votre appréciation sur la création de Santé publique France, en mai 2016 et ses objectifs ? L'absorption de l'EPRUS au sein d'une agence de santé publique vous semblait-elle pertinente ?

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Didier Houssin, ancien directeur général de la santé

Le « bien porté » concerne essentiellement le masque FFP2. Or il est porté par des professionnels qui sont formés à son usage. Le port du masque chirurgical doit essentiellement couvrir la bouche et le nez. Alors, il est vrai que nous avons tous vu des personnes le remonter sur la tête ou le mettre sous le menton. Mais dans le métro, je dois dire que la grande majorité des personnes le porte bien.

En ce qui concerne la réserve sanitaire, j'ai lu les bulletins de Santé publique France qui mentionnent le nombre de personnes mobilisées et les actions qu'elles doivent mener, mais je ne suis pas en mesure de porter un jugement. J'ai lu, par exemple, qu'une réserve allait être constituée pour la Guyane, ce qui me semble une très bonne idée.

S'agissant de la nécessité d'apprendre des épisodes précédents, je ne peux qu'évoquer la période durant laquelle j'étais en fonction. Je puis vous indiquer que, jusqu'en 2011, il n'y avait pas de problème budgétaire pour l'acquisition de masques.

Concernant la doctrine de 2013, j'ai l'impression que, petit à petit, l'intérêt du masque FFP2 a été dévalorisé. Considérer qu'il est réservé aux professionnels de santé qui ne s'en servent que pour des actes très invasifs me paraît excessif ; notamment lorsque nous avons affaire à un virus qui s'excrète avant les symptômes. Nous devons avoir, vis-à-vis des professionnels de santé, une approche beaucoup plus active et mettre à leur disposition, de façon plus systématique, des masques FFP2. C'est la raison pour laquelle, j'estime que l'État a la responsabilité d'acquérir ces masques.

En outre, il n'est pas réaliste de considérer qu'un établissement de santé ou un établissement médicosocial soit capable de gérer, dans la durée, des produits comme les masques FFP2 en quantité importante. Si je devais vous faire une proposition ce serait celle-ci : laisser la responsabilité à l'État de constituer des stocks de masques chirurgicaux et FFP2, et de calculer les besoins.

Il en va de même pour les médicaments. Dans le cadre de la préparation à la pandémie grippale, j'avais discuté avec Jean Marimbert, alors directeur de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, de ma crainte d'être en manque de médicaments en cas de crise grave. Nous avions, à l'époque, dressé une liste des médicaments essentiels. Il me semble nécessaire, à partir de cette liste – qui doit être actualisée, si cela n'a pas été fait –, d'identifier les productions et de les sécuriser.

Enfin, je n'ai pas été choqué par la création de Santé publique France. En revanche, rétrospectivement, je pense que l'EPRUS a manqué de visibilité et a été soumis à un double rabot budgétaire.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid 19

Réunion du mercredi 24 juin 2020 à 15 heures

Présents. - M. Damien Abad, Mme Sophie Auconie, M. Philippe Berta, M. Julien Borowczyk, Mme Brigitte Bourguignon, M. Éric Ciotti, M. Jean-Pierre Door, Mme Caroline Fiat, M. Jean-Jacques Gaultier, Mme Anne Genetet, M. Guillaume Gouffier-Cha, M. David Habib, M. Patrick Mignola, M. Bertrand Pancher, Mme Michèle Peyron, M. Bruno Questel, M. Jean Terlier, M. Boris Vallaud

Assistaient également à la réunion. - Mme Josiane Corneloup, M. Nicolas Démoulin, M. Jean-Christophe Lagarde, Mme Valérie Rabault, Mme Martine Wonner