Table ronde de représentants d'associations en faveur de la participation électorale : M. M'hamed Kaki, fondateur de l'association Les Oranges ; M. Benjamin Kurc, président de l'association Vote&vous ; Mme Fatiha Touimi Mouhsaine, directrice de l'association Servir, M. Hubert Couvreur, membre du conseil d'administration, et Mmes Maria Touimi Benjelloun et Soraya Touimi Benjelloun, bénévoles ; Mme Manon Schricke, secrétaire générale nationale de l'association Jeunesse ouvrière chrétienne.
La séance est ouverte à 15 heures 15.
Présidence de M. Xavier Breton, président.
Nous accueillons des représentants d'associations qui mènent des actions auprès des publics qui votent moins, les populations des quartiers populaires et les jeunes : M. M'hamed Kaki, fondateur de l'association Les Oranges ; M. Benjamin Kurc, président de l'association Vote & vous ; Mme Fatiha Touimi Mouhsaine, directrice de l'association Servir, M. Hubert Couvreur, membre du conseil d'administration, Mme Maria Touimi Benjelloun et Mme Soraya Touimi Benjelloun, bénévoles ; Mme Manon Schricke, secrétaire générale nationale de l'association Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC). Cette table ronde est ouverte à la presse. Elle est retransmise en direct sur le site Internet de l'Assemblée nationale, et fera également l'objet d'un compte rendu.
Vous nous offrez la possibilité d'exprimer un point de vue du terrain. Nous sommes une association d'éducation populaire qui intervient principalement en Île-de-France. Nous travaillons sur les questions de mémoire, d'histoire et de mobilisation dans les quartiers populaires. Nous utilisons en particulier le théâtre, qui constitue une approche de la citoyenneté.
La thématique de la participation électorale est liée à celles du sens de la mobilisation, de l'existence et des identifications collectives. Dans les quartiers populaires, une des problématiques que nous rencontrons régulièrement est celle de l'identification positive à un acte citoyen. Cette thématique est à l'origine de plusieurs de nos mobilisations, dont celle de 2015, en faveur de l'inscription sur les listes électorales. Nous faisons face aux mêmes questions depuis des années : « Pourquoi voter ? À quoi cela sert-il ? Les politiciens sont tous pareils. » Nous cherchons à sortir de ces questions aux réponses négatives. Notez qu'il ne s'agit pas uniquement du credo de la jeunesse. Nos actions touchent également les familles. Nous intervenons auprès de personnes de tous âges.
Les mobilisations fonctionnent lorsqu'elles font sens pour les individus, c'est-à-dire lorsqu'il existe un besoin d'être représenté et une possibilité d'obtenir un retour quant au mandat donné. Se pose par exemple la question du bilan de mi-mandat. Nous mettons en place des actions dont nous sommes parfois dépossédés. Une de nos actions concrètes a été de militer pendant vingt ans afin qu'une rue et un groupe scolaire soient rebaptisés au nom d'Abdelmalek Sayad, sociologue, directeur de recherche au CNRS connu pour ses travaux sur l'exil. Nous avons souhaité que ce chercheur apparaisse dans l'espace public pour favoriser l'identification. Il s'agit d'un enfant des quartiers populaires, devenu chercheur. Nous avons également dû nous battre pour citer les sources, notamment les pièces d'archives.
La mobilisation nécessite de la crédibilité. Par conséquent, il est primordial de pouvoir s'identifier. Il est également essentiel d'expliquer qu'un élu ne peut pas être sur le terrain en permanence. Des tâches lui incombent, cela ne signifie pas qu'il a disparu et n'a pas en tête les électeurs qu'il représente. Par conséquent, les conditions des allers-retours des élus doivent être explicitées.
La parole demeure importante dans les quartiers populaires, y compris de manière conflictuelle. Nous ne sommes pas obligés d'être d'accord. Le militantisme a un coût, il revient très cher aux acteurs. En découle une forme de démobilisation. Je crois fortement que les mobilisations, les conférences, le dialogue, la question du savoir et de la connaissance s'avèrent nécessaires pour disposer des outils d'émancipation et d'analyse permettant de devenir un citoyen et de contribuer à son pays.
Nous avons ici l'occasion de nous saisir de la question de la participation électorale et de répondre à des questionnements conjoncturels, tandis que la solution à l'abstention est probablement davantage structurelle.
Notre association est née d'un constat, en 2014, en amont des élections européennes : la faible participation à ce scrutin. Notre approche est transversale et transfrontalière. Les créateurs de cette association étudiaient ou connaissaient d'autres systèmes, notamment en Allemagne où l'éducation à la citoyenneté est différente de la nôtre. La comparaison est un exercice intéressant, permettant de décentrer notre regard.
Notre préoccupation principale est le vote, d'où le nom de notre association. Nous posons la question de la place du vote dans l'exercice démocratique avec le constat que, dans d'autres pays, il existe une pratique de l'éducation à la citoyenneté à l'école dans un cadre formel et en dehors de l'école dans des situations non formelles. En Allemagne, il a existé un processus de rééducation du peuple allemand après la Seconde Guerre mondiale. Les Allemands disposent de structures étatiques mettant à leur disposition des outils pour s'informer. L'Agence fédérale allemande de l'éducation citoyenne, qui dépend du ministère de l'Intérieur, bénéficie d'une grande indépendance et d'une bonne confiance de la part des citoyens.
Pour chaque élection, un outil d'aide au vote est publié. Il s'agit du Voting Advice Application (VAA). Il permet aux citoyens de se forger leur propre opinion par rapport aux positions des partis en lice dans une élection. Le VAA est construit autour d'une approche de vulgarisation et d'une démarche pédagogique, avec notamment des questions/réponses. En Allemagne, on dénombre 23 millions d'utilisateurs pour les élections législatives. Il s'agit d'autant de citoyens qui se positionnent et montrent un intérêt pour le fait électoral. Il ne s'agit pas de sondages. Les citoyens sont invités à donner leur opinion, et peuvent parfois découvrir l'existence de partis politiques. Nous avons mis en place un système comparable en 2014 en partenariat avec le journal Le Monde, qui a rencontré un succès auprès de 300 000 utilisateurs.
Il est nécessaire d'aller au-delà des éléments conjoncturels. L'approche de l'éducation citoyenne est intéressante. Cependant, elle ne doit pas demeurer exclusivement normative. Le cœur de notre action est de fournir les outils au citoyen pour qu'il s'engage dans la démocratie. Nous dialoguons de manière bilatérale avec d'autres acteurs en Europe.
Lorsque demain, lors du « diagnostic en marchant », on me demandera si nous sommes écoutés, je répondrai « oui ».
Notre association existe depuis le 28 décembre 1992. Elle a été créée par des étudiants lillois pour servir de relais entre les étudiants et les différentes structures des campus universitaires de Lille 2 et de Lille 3. Cette association a grandi avec nous. Certains membres sont devenus des avocats, des juristes, etc. Notre volonté demeure d'aller sur le terrain et d'augmenter la taille de notre structure. Notre association œuvre pour la citoyenneté et lutte contre l'abstention. Nous avons été labellisés « comité de quartier », ce qui nous permet de travailler la proximité avec les populations. Nous sommes au cœur des quartiers politiques de la ville à Roubaix. Nous disposons d'un écrivain public, nous réalisons de la médiation sociale, nous offrons un accès au droit pour tous et des cours d'alphabétisation dont je laisserai M. Hubert Couvreur vous dire quelques mots. Nous investiguons sur le terrain, afin de prendre connaissance des difficultés rencontrées par la population. Nous nous sommes ainsi rendu compte que beaucoup de citoyens français ne votaient pas.
Nous essayons de banaliser le vote en expliquant ses tenants et aboutissants, en créant des outils de terrain, et en organisant des simulations de scrutins fictifs depuis l'inscription sur les listes électorales jusqu'au vote à l'urne. Nous travaillons tout au long de l'année avec des habitants et proposons des « diagnostics en marchant ». Le dialogue entre habitants renforce la crédibilité. La banalisation du vote par la simulation a été organisée autour de personnages de dessins animés. Parallèlement, nous effectuons un travail de citoyenneté dans les classes. Lors des cours d'alphabétisation, nous enseignons la langue française et nous discutons de la citoyenneté. Il s'agit notamment de donner envie à la population de voter et de participer à la citoyenneté. Lorsque nous réalisons des projets sur le terrain, y compris pendant de la pandémie (distribution alimentaire aux SDF et aux personnes âgées), la mobilisation et l'implication des citoyens dans leur quartier se renforcent. Dès lors, nous constatons un intérêt accru envers les élus et le vote. L'action citoyenne doit être intergénérationnelle. Nous tenions réellement à impliquer les jeunes, car, lorsque les jeunes parlent aux jeunes, le langage est différent.
Je me sens ici porteur de trois casquettes. La première est celle de professeur d'histoire-géographie et de directeur de collège à Roubaix pendant huit ans. J'y accueillais des élèves originaires, par leurs grands-parents, de cinquante-deux pays différents. En tant que chef d'établissement, j'ai souhaité conscientiser les élèves à la citoyenneté notamment au travers des élections de délégués, qui se déroulaient de manière extrêmement officielle. La mairie de Roubaix nous prêtait urnes et isoloirs, nous mettions en place une campagne, etc. Il s'agissait de permettre aux jeunes de comprendre ce qu'était une campagne électorale, sous divers aspects. Ma deuxième casquette est celle d'élu. J'ai été conseiller municipal délégué pendant six ans dans la commune où je réside. J'ai pu observer sous un autre angle le fait électoral. Enfin, depuis ma retraite, j'ai rejoint en tant que bénévole l'association Servir comme membre de l'administration et professeur d'alphabétisation. Lors de ma dernière intervention en cours d'alphabétisation, nous avons abordé le sujet de la laïcité.
Notre association a été créée en 1927 et concerne les jeunes de quartiers populaires et de milieux ouvriers âgés de 13 à 30 ans. Notre priorité centrale est la parole des jeunes. Ainsi, nos prises de note ne s'effectuent jamais en abréviation, mais toujours en mot à mot afin de rester au plus près de ce qui a été dit.
Concernant l'abstention, nous souhaitons que les jeunes s'engagent tout au long de l'année. Dans cette optique, nous avons mis en place des formations et créé un outil nommé « Impose ta voix ». Il s'agit d'un jeu de cartes qui permet de découvrir le rôle des élus au sein de la société. Nous pensons que les jeunes doivent s'émanciper et faire valoir leur droit. En effet, voter est un premier pas qui procure de la fierté et un sentiment d'appartenance à la société. Beaucoup de nos jeunes ne vont pas aux urnes, car ils n'en perçoivent pas l'intérêt. Notre pédagogie est celle du voir, juger et agir. L'éducation nous semble très importante. L'école et les associations ont un rôle à jouer. La culture et les savoirs doivent revenir au centre de nos quartiers, car la jeunesse n'est pas désœuvrée. Nous revendiquons une éducation à la citoyenneté pour tous les jeunes.
Mon rôle m'amène à une forme de neutralité pour tenir compte de l'ensemble des avis de la mission dans leur pluralité et leur diversité. Pour autant, je tiens à vous remercier pour ce beau vent de fraîcheur et de couleur que vous nous apportez dans ce triste après-midi d'automne parisien. Comment pouvons-nous vous aider à valoriser votre travail au-delà des périmètres qui sont les vôtres ? Nous connaissons tous la JOC, nous avons presque tous eu à discuter et à débattre avec des membres de cette association.
Comment percevez-vous l'évolution des parcours d'apprentissage à la citoyenneté ? Quelles actions pourrions-nous entreprendre pour réenchanter la démocratie et donner à chacun l'envie de s'y impliquer en tant que citoyen ? Le droit de vote est également un devoir de citoyen. Comment impliquer davantage la jeunesse, les familles, l'environnement de chacun dans cet apprentissage à la citoyenneté ? Comment appréhendez-vous le travail que nous devons mener pour que les familles soient un vecteur du fait électoral ? Le vote reste utile pour changer les choses. Voter c'est choisir, changer et donner un sens à un projet que l'on soutient ou que l'on ne soutient pas.
D'un point de vue technique, avez-vous réfléchi à des améliorations des modalités de scrutin ? Quel est votre regard sur le vote à distance ? Que pensez-vous du vote blanc ? Quel est votre avis quant au vote par anticipation ou au vote électronique ? Quelles sont les modalités qui pourraient faciliter la présence des citoyens dans les bureaux de vote ? Comment œuvrer pour une réappropriation de l'exercice politique ? En effet, toutes les formations politiques sont touchées par l'abstention.
Nous souhaitons que l'école permette de s'éduquer à la citoyenneté autrement que par l'élection des délégués. Nous aspirons à une formation qui se déroulerait tout au long de l'année, et qui favoriserait les discussions entre les jeunes. Nous souhaitons que la communication ne soit pas uniquement descendante des enseignants vers les élèves.
Nous sommes favorables à la reconnaissance du vote blanc. Il est nécessaire de rendre justice à un jeune qui se rend aux urnes, car il s'implique. Concernant le vote électronique, il s'agit d'une piste à creuser. Il serait nécessaire de réfléchir aux modalités d'un tel processus, car l'enjeu reste le sens de l'acte citoyen. Enfin, nous souhaiterions que l'inscription sur les listes électorales soit automatique. Beaucoup de jeunes étudiants ou de jeunes actifs sont impliqués dans la vie citoyenne, mais oublient de s'inscrire sur les listes électorales, tandis qu'ils n'ont pas nécessairement la possibilité de réaliser une procuration.
Je suis actuellement en Master de politique internationale à Science po Bordeaux. J'ai étudié les sciences politiques à Bruxelles pendant trois ans. Je suis membre de la fédération d'éloquence de Belgique qui travaille avec CIVIX, une association belge qui éduque les jeunes à la politique et a notamment créé une application qui permet de s'informer sur les partis politiques.
En matière d'éducation, le programme d'éducation civique est souvent la cinquième roue du carrosse. J'en ai uniquement retenu les dates de mandats des présidents de la Ve République. Il ne s'agit pas d'un accès à la citoyenneté. J'ai regardé les programmes actuels. Au collège, cet enseignement porte sur le respect des autres, en seconde sont abordées les libertés, tandis qu'en première le cours porte sur la recomposition du lien social. Il s'agit certes de sujets majeurs, mais le vote et l'éducation à la citoyenneté n'apparaissent nulle part.
Concernant le vote obligatoire, j'y suis favorable. Il existe depuis cent vingt-cinq ans en Belgique. C'est un processus ancré dans la société, et voter est considéré comme un devoir moral.
La question du vote blanc est vaste et compliquée. Cependant, la prise en compte du vote blanc pourrait aider à diminuer l'abstention. Elle permettrait aux citoyens qui s'abstiennent d'exprimer leur mécontentement en participant à la vie électorale. Pour les hommes et femmes politiques, cette prise en compte du vote blanc permettrait de mesurer l'étendue du mécontentement. À l'inverse, cette possibilité pourrait amener des citoyens qui s'expriment d'habitude à choisir l'option du vote blanc.
Le vote électronique permettrait quant à lui à des citoyens dans des situations inconfortables (individus victimes de handicap, personnes âgées) de voter sans avoir recours à une procuration.
Nous sommes favorables à la prise en compte du vote blanc. Il s'agirait d'une reconnaissance des électeurs engagés dans une démarche électorale.
S'agissant du vote obligatoire, nous restons ouverts à cette proposition. Pouvoir disposer du droit de vote à partir de 16 ans nous semble également une bonne mesure allant dans le sens d'une responsabilisation des citoyens.
Le vote électronique peut être envisagé avec de bonnes conditions de sécurité afin qu'il ne soit pas délégitimé. Il serait dans l'air du temps de permettre la dématérialisation du scrutin qui faciliterait la participation. Toutefois, aller voter est un acte performatif.
Voter constitue le dernier acte citoyen. Il est nécessaire de fournir à l'électeur le cadre qui lui permettra de voter en pleine conscience. Pourquoi vote-t-il ? Quelle est la place du vote dans notre régime politique ? Il s'agit d'autant de questions auxquelles tous les citoyens devraient savoir répondre. Cet apprentissage passe par l'éducation citoyenne au niveau scolaire et au-delà, car l'abstention ne concerne pas que la jeunesse. La participation est un projet de société qui inclut toute la population. Comment donner le sentiment que l'action électorale compte ? À mon sens, la question n'est pas tant de savoir comment réduire l'abstention que de replacer le citoyen au cœur de la démocratie.
Les deux questions qui sont posées sont liées à une interrogation centrale : comment réenchanter la politique ? La politique est ici entendue au sens grec du terme, « politis », soit la participation. Pour répondre à cette question, trois éléments me semblent fondamentales. D'abord, il s'agit de donner du pouvoir aux citoyens afin qu'ils agissent et se sentent acteurs. Se pose ensuite la question du partage du pouvoir avec les élus. Lors de l'organisation d'un événement, nous avons eu le plaisir d'accueillir notre députée. Elle était intéressée et s'est rendue accessible. Cela permet une forme de désacralisation. Se pose enfin la question des outils. Quels outils avons-nous à disposition pour mettre au cœur de la démocratie la question du conflit comme nécessaire ? Il est primordial, comme dirait Georg Simmel, de socialiser le conflit, car ce dernier est nécessaire. Un grand monsieur disait : « La jeunesse n'est qu'un mot ». Il existe une diversité au sein de la jeunesse. Dans certains endroits, les conditions structurelles apportent un plus.
Du point de vue technique, le vote électronique me semble engendrer une déliaison. Être physiquement présent, se déplacer, voir l'urne donnent du sens et crée du lien social. Cette modalité de vote soulève également une question de sécurité. S'agissant du vote blanc, nous considérons que les personnes qui se déplacent pour voter doivent être reconnues. Globalement, la démocratie est un débat. En ce sens, la société doit donner les moyens aux associations de revenir à leurs traditions d'éducation populaire. La transpiration collective est nécessaire.
Madame Fatiha Touimi Mouhsaine, vous nous avez indiqué que, lorsque les jeunes sont intégrés dans des projets sur vos territoires, ils développent un intérêt pour l'investissement dans la collectivité. Il existe aussi un lien entre le vote et la fiscalité. Quand nous commençons à payer des impôts, nous développons un intérêt concernant l'usage de cet argent. Lorsque vous travaillez avec ces jeunes, discutez-vous des modalités de financement de vos projets ?
Vos démarches sont toutes intéressantes. Quelle est la place dévolue aux élus dans vos associations ? Je me rends régulièrement dans des collèges et des lycées. J'y interroge les élèves quant à l'abstention. Or beaucoup me répondent qu'ils ne connaissent pas la finalité du vote. Ils n'en voient donc pas l'intérêt. Selon eux, il serait nécessaire que les élus se déplacent plus souvent pour répondre à leurs questions. En outre, ces rencontres permettent d'expliciter les activités des élus.
Par ailleurs, que pensez-vous d'une application pour smartphone qui donnerait accès à la propagande électorale, proposerait des notifications quant aux différentes échéances, et offrirait des informations sur les scrutins et les élus ?
Il existe des causes très profondes à cette abstention de plus en plus forte dans les quartiers populaires et parmi la jeunesse. Nous assistons à une remise en cause de la démocratie représentative. Les représentants élus sont jugés inutiles. La politique n'a pas pour objectif d'avoir un impact sur chaque vie personnelle. Au contraire, elle travaille à l'intérêt collectif.
Nous transformons la participation électorale en une forme d'injonction. Auparavant, le vote était perçu comme un pouvoir. Je suis contre le vote obligatoire, car nous avons le droit de ne pas nous intéresser à la vie politique. L'abstention est liée à des maux très profonds, qu'il faut résoudre. Comment impliquer de nouveau les citoyens ? Avez-vous discerné d'autres modèles politiques et démocratiques qui seraient attendus par les citoyens qui s'abstiennent ?
Ma question s'adresse à l'association Servir. Vous avez indiqué disposer d'un certain recul, notamment avec le développement du « diagnostic en marchant », que je pratique également. Avez-vous pu mesurer le résultat de votre investissement dans les bureaux de vote de votre territoire ? J'ai longtemps travaillé dans les quartiers sensibles. Je suis toujours étonnée par le peu de participation des électeurs de ces quartiers populaires. Le taux de mobilité se situe entre 10 et 12 %. Au bout de cinq ans, ce taux atteint donc 60 %. Je m'interroge donc sur la validité des listes électorales. Sont-elles bien à jour dans ces quartiers ?
Ma question s'adresse également à l'association Servir. Vous êtes particulièrement actifs à Roubaix, ville qui connaît une abstention majeure. Seuls 17 % d'électeurs ont participé aux scrutins régionaux et départementaux. Il s'agit du plus fort taux d'abstention en France. Seuls 20 % des électeurs ont voté aux élections municipales. Je ne doute pas de votre engagement. Avez-vous l'impression que vous mobilisez la population alors que l'abstention augmente à Roubaix ? La proportionnelle serait-elle un moyen de lutte contre l'abstention ?
Vous êtes unanimes quant au vote blanc. Quelle conséquence a-t-il ? Qu'adviendrait-il d'un scrutin où la part de votes blancs serait trop importante ?
Concernant le vote obligatoire, nous pouvons ne pas nous intéresser à la politique, mais nous pouvons également ne pas nous éduquer. Il pourrait se révéler intéressant de l'instaurer comme un devoir citoyen à l'instar d'autres processus qui existent dans notre société.
S'agissant de la place des élus dans nos associations, il existe une relation d'interdépendance. Les élus ont besoin des associations, les associations ont besoin des élus. Par expérience, les élus sont difficiles d'accès sur le terrain. Toutefois, leur présence demeure valorisante. Le sujet de la proportionnelle reste intéressant. Je rejoins mon collègue sur le conflit et sa nécessité en démocratie. La question d'une meilleure représentativité de notre société se pose. La proportionnelle permettrait de disposer d'une plus grande transparence et d'un meilleur reflet de ce qui se déroule dans nos systèmes démocratiques.
Les élus disposent de leur légitimité, tout autant que les associations et les citoyens. Or la participation des élus peut induire des biais, notamment pendant les campagnes électorales. Lorsque chacun est conscient de sa place, les élus ont leur place. C'est notre devoir de les éclairer et de les écouter. Il existe une interaction dans l'écoute. Je suis très heureux lorsque les élus viennent à notre rencontre.
Le vote et la participation ne doivent pas être corrélés à quelque chose d'individuel. Nous sommes dans « l'individualisme de déliaison », pour citer Marcel Gauchet. La société a besoin d'intérêt général. La difficulté reste de mobiliser les citoyens individuellement et de converger vers l'intérêt général. De la même manière, il n'est pas utile de culpabiliser les individus, cela reviendrait à distinguer de bons et de mauvais citoyens. La prise de conscience doit être individuelle et collective. Les associations opèrent un travail de fourmis en ce sens. Nous réussissons lorsque nous associons les intelligences. Il est nécessaire de se décentrer afin d'écouter l'autre, même si nos avis divergent. Je plaide pour la parole qui est libératrice. Les arts, la culture, le théâtre sont des vecteurs de parole qui permettent de s'émanciper et de trouver une citoyenneté apaisée.
La proposition d'une application pour smartphone est intéressante, car il est nécessaire d'aller chercher les jeunes sur leurs canaux. Toutefois, tous ne la téléchargeront pas. Les jeunes qui ne s'intéressent pas à la politique ne l'utiliseront pas. La sortie d'une application de ce type devra advenir en parallèle d'une véritable éducation civique.
Nous sommes contre le vote obligatoire. Nous souhaitons que les citoyens soient engagés. Quel sens donnerions-nous à l'engagement dernière un vote rendu obligatoire ?
Nous invitons régulièrement des élus locaux comme des élus nationaux. Ces derniers ne sont pas toujours disponibles. Nous sommes attachés au dialogue entre l'association et les élus, car ces échanges permettent le débat.
La proportionnelle reste une piste à explorer pour permettre une meilleure représentation des jeunes.
Nous mettons régulièrement en place des « diagnostics en marchant » avec des élus. Ces derniers peuvent ainsi répondre directement à nos interrogations. À Roubaix, nos élus organisent des réunions publiques. Nous les préparons au travers de nos cafés échanges le vendredi après-midi. Les habitants discutent et préparent des questions aux élus. Ensuite, nous nous déplaçons en groupe pour participer à ces réunions publiques.
La politique n'a pas de bord, de religion, ou de race. La politique, c'est aimer la France telle qu'elle est et se sentir citoyen à part entière. Nous tendons vers cet objectif au travers des cours d'alphabétisation et du travail mené sur le terrain. La politique doit s'inviter à table. Ma mère ne savait ni lire ni écrire. Elle suivait des cours d'alphabétisation. Néanmoins, nous parlions politique à table. Dans les cours d'alphabétisations, nous essayons de donner envie aux habitants de participer. Je suis fière de ma mère qui n'est jamais allée à l'école, mais qui m'a donné l'envie d'aller voter. Dans une classe de dix élèves, lorsque quatre vont voter c'est une fierté. L'inconnu engendre la peur. Si nous expliquons que les élections ont un impact sur les transports, l'éducation et la santé, les citoyens comprennent que leurs élus sont leurs représentants.
L'abstention est effectivement massive à Roubaix, mais nous ne devons pas baisser les bras. Nous devons expliquer que le vote est un droit. L'estime de soi est très importante, les nouveaux électeurs sont fiers d'avoir voté. Il s'agit d'une goutte dans l'océan, mais comme le disait Mère Teresa « Sans cette goutte, l'océan n'existerait pas. »
Nous disposons d'un écrivain public qui incite la population à s'inscrire sur les listes électorales. La fracture numérique pourrait effrayer, car elle passe par une dématérialisation. Le vote électronique devra s'adjoindre au vote à l'urne pour rassembler le plus grand nombre. Enfin, nous serions favorables à la mise en place d'une application. Cependant, cette dernière devra être encadrée par les associations.
Concernant une application numérique, il serait profitable de faire appel aux réseaux sociaux pour promouvoir son existence. Il serait intéressant d'y introduire des jeux, des questionnaires afin de développer l'intérêt du public pour la politique.
Cette rencontre a été extrêmement riche, même si elle demeure frustrante. Je retiens certains propos comme l'association des intelligences qui me rappelle une expérience intergénérationnelle organisée lorsque j'étais directeur de collège à Roubaix. C'est également le rôle des relations entre les élus et les associations. M. M'Hamed Kaki parlait de crédibilité. Les associations doivent sentir qu'elles aboutissent à des actions crédibles. Cette crédibilité peut être assurée par l'information et par la lutte contre la désinformation. Les réseaux sociaux demeurent un outil dangereux. La crédibilité du discours politique et l'exemplarité des responsables sont primordiales.
Je vous remercie. Si vous disposez de contributions écrites, nous sommes preneurs.
La séance est levée à 16 heures 40.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Bruno Bilde, M. Xavier Breton, M. Jean-René Cazeneuve, M. François Cornut-Gentille, Mme Jacqueline Dubois, Mme Marion Lenne, Mme Jacqueline Maquet, Mme Muriel Roques-Etienne, M. Pacôme Rupin, M. Stéphane Travert, M. Charles de la Verpillière