MISSION D'INFORMATION DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉSILIENCE NATIONALE
Mercredi 15 septembre 2021
La séance est ouverte à douze heures
(Présidence de M. Thomas Gassilloud, rapporteur de la mission d'information)
Nous en venons à une table ronde consacrée à l'innovation et la résilience énergétique : comment l'innovation en matière de transition énergétique peut-elle améliorer la sécurité de nos approvisionnements ?
Lors de l'audition du président du RTE, nous avons constaté que les innovations étaient sources de formidables opportunités d'optimisation, mais qu'elles pouvaient également augmenter notre vulnérabilité à certains risques ou certaines attaques.
Nous aborderons ces questions avec M. Laurent Tardif, président de la Fédération des industries électriques, électroniques et de communication (FIEEC), M. Sébastien Jumel, membre du comité exécutif d'Enedis, directeur développement, innovation et numérique, et M. Arnaud Leroy, président de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME).
Je suppose que la résilience du système énergétique s'entend au sens large. En France, rappelons que nous avons une focale très électrique qui sera amenée à se développer encore, ainsi que le prévoit la stratégie nationale bas carbone (SNBC). Mais le gaz vert est également un élément important, avec des usages intéressants notamment en matière de mobilité où ils emportent de lourds enjeux. Le bioGNV, par exemple, fonctionne très bien, peut faire rouler des camions, les machines agricoles. Au regard de la décarbonation de certains secteurs, ces enjeux méritent d'être examinés.
La focale de la souveraineté énergétique est également intéressante. Nous sommes en mesure de produire un grand nombre de térawatts-heure de gaz vert sur le territoire national.
À la demande de l'État, l'ADEME opère un outil qui fonctionne très bien tout en étant très rentable : la chaleur renouvelable et de récupération. Ce vecteur énergétique représente 50 % de l'énergie que nous utilisons dans notre pays, la chaleur, que nous retrouvons dans les procédés industriels et agroalimentaires. C'est un véritable enjeu à terme, en particulier avec la biomasse dont nous avons besoin pour les réseaux de chaleur.
Ces réseaux ont l'avantage d'être réversibles en réseaux de froid. Or nous devons nous préparer à des vagues de chaleur importantes, peut-être plus longues qu'avant, dans un pays où la population vieillit. Le sujet regroupe donc de plus en plus une problématique de santé publique. En milieu urbain, cet outil permet de combattre les îlots de chaleur. Nous ne pourrons en effet pas être tous équipés de climatisation pour des questions d'acceptabilité, de bruit, de puissance électrique qu'il sera nécessaire d'aller chercher et, dans certains endroits, d'esthétique du bâti.
La résilience soulève également la question de l'adaptabilité du réseau français. Les capacités des EnR nous permettent d'augmenter cette résilience. Les points d'entrée seront élargis, ce qui demande des investissements et des ajustements. La capacité de notre réseau électrique à absorber ces changement est de plus en plus démontrée. Des investissements seront essentiels, notamment en ce qui concerne le raccordement de l'éolien en mer, dont les apports de puissances sont importants. Rien n'est inconnu en la matière, ces éléments sont budgétés. Restent les incertitudes liées aux aléas climatiques.
Les thématiques de la résilience sont donc identifiées. L'acception que j'ai de la résilience est très axée sur l'adaptation et le changement climatique, plus que sur la puissance. S'agissant des EnR, les travaux que nous avons conduits démontrent que notre réseau a une grande capacité d'absorption. Les investissements et les évolutions prévus en permettront davantage. À l'inverse, la demande locale de territorialisation de la production et de la consommation énergétiques est de plus en plus forte ; ce thème a été débattu dans le cadre de la loi « climat et résilience », sur la demande récurrente des régions. La résilience en lien avec la décentralisation est un sujet qu'il nous faudra aborder.
La Fédération des industries électriques, électroniques et de communication est une confédération de 22 syndicats professionnels représentant environ 2 000 entreprises en France, dont 86 % de PME. Quelque 430 000 salariés travaillent pour ces industries dont le chiffre d'affaires représente plus de 100 milliards d'euros, dont 29 % à l'exportation. En moyenne, nos adhérents consacrent plus de 8 % de leur chiffre d'affaires à la recherche et développement. Le crédit d'impôt recherche est fortement utilisé.
Nos adhérents sont présents dans de nombreux domaines et marchés : mobilité, bâtiment, vieillissement de la population, objets connectés, et globalement tout ce qui est électrique. Tous nos enjeux sont liés soit à l'efficacité énergétique, soit aux nouvelles technologies : smart grid, flexibilité des consommations électriques, intégration des énergies renouvelables, stockage de l'énergie, santé, mieux-être, sécurité des biens et des personnes. Ces sujets sont couverts par les syndicats professionnels qui constituent la FIEEC.
S'agissant de l'engagement de nos industriels en matière de résilience, nous relevons deux grands thèmes, dont les coûts. La résilience est tout d'abord la capacité à combattre les crises, à s'adapter, ce qui implique d'anticiper les risques, d'engager des investissements pour être prêts le jour venu, même si c'est souvent improbable et imprévisible.
Nos adhérents affrontent également la question des pénuries, non seulement celle des matières premières, mais aussi dans le domaine des ressources humaines.
Il s'agit alors d'étudier le sujet des capacités de production : de quelle manière les maintenir actives, sur le territoire national lorsque cela est possible ? Il est essentiel de toujours soutenir l'innovation pour que les moyens de production restent proches des points d'utilisation. Les projets d'innovation et de recherche et développement doivent bénéficier de l'impulsion de la commande publique et de mesures de soutien.
La meilleure façon de maintenir un site industriel en France est de lui associer une recherche et développement performante. La plupart de nos marchés étant en compétition mondiale, être innovant est primordial.
Par ailleurs, la capacité de maintenance vise à faire en sorte que les outils soient toujours au meilleur niveau et à anticiper tous les cas de figure, qu'il s'agisse d'équipements, d'attaques, de dommages, mais aussi de formation des personnes et d'attractivité des métiers.
Quelques chiffres : Enedis compte environ 38 000 salariés et un peu plus de 37 millions de points de livraison ; nous sommes présents sur 95 % du territoire et réalisons un chiffre d'affaires de 14 milliards d'euros.
Les investissements qu'Enedis réalise tous les ans sont de l'ordre de 4 milliards d'euros, dont 1 milliard est dédié au sujet « résilience » au sens global du terme ; 2 milliards d'euros environ sont dédiés à une autre forme d'évolution du système électrique : les raccordements ou les extensions de réseau.
Enedis c'est 1,4 million de kilomètres de lignes, soit trente-cinq fois le tour de la Terre. L'intersection de la résilience du système avec les questions d'innovation est relativement originale. Vue par un distributeur tel qu'Enedis, la résilience implique d'être capable de s'adapter, d'aider et d'accélérer la transition énergétique telle qu'est en train de se déployer actuellement. Nous assistons à un développement des EnR. Plus de 500 000 producteurs d'EnR sont recensés en France à ce jour, contre quelques dizaines de milliers il y a quelques années.
Nous devrons accompagner la poursuite de la décarbonation des usages. Je signale qu'en France, le réseau a été capable d'accueillir un usage de chauffage électrique, probablement bien plus résilient à la décarbonation que ne le sont d'autres réseaux en Europe. Deux autres usages importants vont se développer : la pompe à chaleur et la mobilité électrique. Le réseau français est tout à fait prêt à intégrer et à accélérer ces nouveaux usages de l'électricité.
Le réseau doit également être capable de s'articuler avec des logiques locales de flexibilité, d'autoconsommation, de stockage à des échelles différentes. Les volontés et les logiques locales tendent à une plus grande autonomie à certains endroits. La question des communautés énergétiques doit être articulée avec le réseau, la question des microgrids, des interactions entre les énergies électriques, chaleur, froid, qui seront de plus en plus nombreuses, ainsi qu'avec l'intelligence aval compteur, les smart homes, les smart buildings. Cette intelligence distribuée fera apparaître des problématiques de systèmes de systèmes : les systèmes veulent optimiser la consommation d'énergie chacun de leur côté. Il est donc impératif de parvenir à créer des intelligences qui intègrent ces différents systèmes.
À court terme, nous nous dirigerons vers un système bien plus complexe. Des productions et des consommations devront être prévues à des niveaux extrêmement locaux. Nous devrons détecter des congestions qui prendront des formes très différentes, et sélectionner des solutions, des alternatives que nous n'avions pas forcément envisagées de façon aussi simple. Devrons-nous adapter notre schéma de réseau ? Activerons-nous des flexibilités ? Ce sont là des problématiques nouvelles. Une sorte de nouveau paradigme se met en place progressivement.
Un nouveau système très dynamique se dessine dont la sécurité et la résilience reposent en grande partie sur des technologies de l'information (IT) de plus en plus sophistiquées. Sur le réseau d'Enedis, nous avons environ 1,2 million de capteurs de toutes sortes, hors compteurs communicants – 33 millions de compteurs Linky sont installés. Ces capteurs nous renvoient de l'information et nous aident à faire évoluer ce réseau, mais ouvrent aussi des problématiques différentes.
Les questions de résilience sont également liées à l'organisation du système, puisque la quasi-totalité des nouveaux moyens de production et des nouveaux usages seront raccordés au réseau de distribution d'électricité. La coordination entre le transporteur et le distributeur doit être renforcée et probablement modifiée.
L'innovation est présente dans tous les domaines. Nous travaillons actuellement à des groupes électrogènes décarbonés. Nous utilisons en effet des groupes électrogènes, que ce soit pour des travaux, pour ne pas couper les clients, ou en cas de crise. Ces groupes émettent du carbone ; nous travaillons à leur substituer des solutions utilisant des batteries à hydrogène.
Nous testons également des possibilités de réseau en mode îloté, en Corrèze pour des usages agricoles avec du solaire, et dans les Hauts-de-France avec de l'éolien. Nous devrons continuer d'innover sur ces sujets.
Le scénario qui conduit vers un taux d'EnR important ouvre des sujets sur lesquels nous effectuons des recherches. Au-delà d'un certain seuil de pénétration, nous savons que des questions de stabilité du système se poseront, qui ne sont certes pas insurmontables mais sur lesquels nous devons innover dès maintenant. Un système de grande taille sans machine tournante, puisque c'est le cas des EnR en grande majorité, pose des défis électrotechniques non résolus à ce jour.
Un autre aspect concerne les effets du dérèglement climatique sur nos systèmes. Des travaux de recherches sont menés sur le sujet, en particulier avec le laboratoire de recherche de météorologie dynamique de l'École polytechnique. Celui-ci dresse le constat que nous connaissons tous : la température moyenne évolue, les vagues de chaleur s'intensifient, posant des problèmes très spécifiques au réseau notamment lorsque les journées caniculaires se prolongent. Les études actuellement menées sur les risques liés au vent maintiennent un niveau élevé en fréquence et en impact, sans toutefois que ce phénomène ne dérive d'ici à 2050. En revanche, les risques de pluies abondantes, de crues et d'innondations augmentent dans nos hypothèses de travail – bien que cet aspect puisse être modulé selon les régions. Les risques d'incendie augmentent également. Nous relevons en revanche une diminution du nombre de jours anormalement froids, mais peu d'évolution significative des épisodes de neige collante, phénomènes très impactants sur le réseau.
Les impacts restent donc significatifs, souvent localisés, et peuvent toucher une partie très importante de la population.
Tous les sujets sont importants à considérer : l'amélioration des matériels, en particulier pour certains réseaux aériens, la suppression de câbles papier imprégné, la protection d'appareils numériques sensibles à la chaleur. Une très forte numérisation des réseaux a été entreprise, permettant de mieux gérer les flux en temps réel. Le nombre d'objets connectés est très important ; nous utilisons des indicateurs lumineux de défaut ; des capteurs sont en cours de généralisation.
Par ailleurs, nous avons créé une FIRE, une force d'intervention rapide électricité, et avons structuré la réponse à des phénomènes extrêmes. Nous travaillons également à nous rendre plus efficaces grâce à des plates-formes de moyens d'intervention que nous parvenons de plus en plus à prépositionner en fonction de nos anticipations. L'intelligence artificielle nous aide beaucoup.
Nous avons ainsi développé un module d'intelligence artificielle, nommé « Windy », qui nous permet d'anticiper, en fonction des prévisions météorologiques, les endroits où les réseaux devraient subir le plus de dégâts. Ce genre d'outil permet de prépositionner nos forces d'intervention rapide avec les groupes associés et de gérer les aspects RH avec quelques jours d'avance, ce qui fait toute la différence au moment d'intervenir.
Je tiens à évoquer enfin la question de la cybersécurité. Dans le système qui existe d'ores et déjà, et dans celui que nous dessinons à l'horizon 2035 et plus encore 2050, l'informatique et le numérique ont une place absolument prépondérante. Le corollaire est la capacité que nous devons avoir à nous protéger contre les attaques. À l'instar de toutes les entreprises, Enedis fait face à des attaques cyber. Ce thème, que nous considérons comme partie intégrante de la résilience, fait l'objet d'investissements spécifiques.
Lors de la table ronde précédente, nous avons évoqué avec RTE et l'ENTSO-E la résilience des grands ensembles. J'aimerais repartir de la résilience à l'échelle de foyers, d'entreprises ou de groupes de consommateurs. Vous avez évoqué la question des communautés énergétiques, des personnes qui cherchent à acquérir une autonomie énergétique localement. Quel est l'intérêt d'une telle démarche du point de vue de la résilience globale du système ? Un foyer ou un groupe de foyer pourrait-il viser une autonomie complète ? Est-ce possible réglementairement ? Quelle appréciation portez-vous sur ce débat ?
L'autoconsommation est un débat plus politique que technique. Le président de la commission de régulation de l'énergie était jusqu'à présent vent debout contre la notion d'autoconsommation, qu'il assimilait à une ghettoïsation de la problématique de l'énergie, seuls les plus riches pouvant s'offrir l'autoconsommation. La question de l'entretien et du coût des réseaux électrique et gazier, qui sont un actif commun de la nation, se pose également.
Je suis un peu plus mesuré sur ce sujet. En Belgique ou en Allemagne, nous assistons à des évolutions réglementaires intéressantes, en particulier pour l'autoconsommation collective, qui permettent d'agir dans des rayons géographiques plus larges. Ces pratiques aident certaines collectivités à rentabiliser des équipements, notamment des panneaux solaires installés sur des bâtiments publics.
Je suis plutôt favorable à l'autoconsommation pour peu que l'on trouve les moyens de péréquation et d'entretien du réseau, et en sachant qu'une part importante des personnes qui la pratiquent ne sont pas non plus en autarcie énergétique. Le fil de sécurité est bien assuré par le réseau collectif. Ces pratiques se développent et fonctionnent bien en écologie industrielle territoriale, notamment à l'échelle des zones d'aménagement concerté (ZAC). Elles viennent en complément de tout ce que nous essayons de promouvoir en matière d'économie circulaire. La demande est de surcroît de plus en plus forte, ne serait-ce que pour les bilans carbone des entreprises. La démarche tendant à démontrer que l'on est raccordé à une installation ou que l'on s'inscrit dans une logique d'approvisionnement énergétique par des producteurs d'énergie renouvelable se développe et est désormais mise en avant.
Les PPA – power purchase agreements –, qui sont des contrats d'achat direct d'électricité par un utilisateur, souvent un acteur économique, à un fournisseur, se développent. Dans l'optique de la décarbonation des filières, les grands donneurs d'ordre souhaitent de plus en plus avoir des informations sur l'approvisionnement ou l'empreinte carbone de leurs fournisseurs.
L'impact réglementaire est somme toute structurant et majeur dans ce débat. Techniquement, aucun problème ne se pose. La direction générale de l'énergie et du climat a cependant rehaussé ses projections de consommation électrique jusqu'à 750 térawatts-heure. De tels niveaux de demande électrique sont considérables.
Par conséquent, il nous faudra être rusés, multiplier les sources d'approvisionnement énergétique, nous asseoir également sur des productions plus locales en autoconsommation, pouvant être reprises à certains moments de la journée et renvoyées sur le réseau.
L'émergence de l'hydrogène a un effet de taille sur la thématique des EnR. De nombreuses recherches sont menées actuellement pour utiliser l'hydrogène comme vecteur de stockage des productions d'EnR. Dans les vingt prochaines années, il faudra compter avec cet élément dans la construction de la résilience de notre système énergétique.
Lorsqu'un groupe d'utilisateurs contacte Enedis et dit viser l'autonomie énergétique, comment réagiriez-vous ? Est-ce possible réglementairement ? Pouvons-nous considérer que la résilience collective est la somme des résiliences individuelles ?
Vous serez le bienvenu si vous venez nous voir avec un projet d'autoconsommation. Nous n'avons pas d'agenda particulier sur ce sujet que nous essayons d'appréhender de façon pragmatique.
Il y a plus de 500 000 producteurs d'EnR en France, et la quasi-totalité est raccordée au réseau. Il y a encore peu de temps, la quasi-totalité décidait de vendre son énergie au réseau et ne la consommait pas. Depuis quelques années, une tendance se confirme : une partie des consommateurs souhaite autoconsommer, pour différentes raisons qui vont probablement au-delà des calculs économiques. En revanche, nous ne connaissons quasiment aucun consommateur refusant notre fil : l'autoconsommation individuelle couvre une partie des besoins énergétiques, rarement la totalité. Nous verrons l'évolution en la matière. Nous n'observons qu'il n'y a presque jamais de solution de stockage associée pour les clients particuliers, car cela impliquerait une autre équation. Il est demandé au réseau d'assurance. Nous assumons cette mission de service public avec bienveillance.
L'autoconsommation prend donc des proportions relatives selon les configurations et garde toujours un lien avec le réseau.
Dans les situations d'autoconsommation collective, plusieurs consommateurs décident d'échanger de l'énergie entre eux. Là aussi, nous accompagnons des expérimentations, voire plus que des expérimentations à certains endroits. Nous sommes tout à fait favorables à l'autoconsommation collective, en utilisant toutefois le réseau public de distribution. Il n'y aurait économiquement pas de sens à reconstituer un réseau. Les réseaux existants sont résilients et capables d'accueillir la communauté. Si on ne les utilise pas, des questions de financement global de cet actif, qui est le réseau public de distribution, pourraient émerger. Elles ne sont pas de notre ressort.
Nous pouvons également accompagner ces initiatives par la mise en place des mécanismes de comptage et de facturation. Lorsqu'une autoconsommation collective est mise en œuvre, un point de production est déterminé, souvent du photovoltaïque, parfois de l'éolien, parfois du stockage, et plusieurs consommateurs sont visés. Le partage des consommations ainsi que le décompte de l'énergie venant du réseau devra être réalisé à un moment donné. Ces systèmes de comptage et de facturation, dits de netting, sont relativement complexes. Nous sommes donc tout à fait heureux d'accompagner les personnes dans ce cadre.
Les motivations peuvent être autant idéologiques qu'économiques. Je pense que l'inquiétude du président de la CRE porte sur l'éventuelle extension de la question du financement à un réseau collectif qui a une dimension assurantielle. D'un point de vue réglementaire, est-il obligatoire de passer par le compteur Linky lorsque l'on a des panneaux solaires sur son toit ? Peut-on imaginer ne pas du tout être connecté au réseau ?
Si vous êtes seul et que vous ne souhaitez pas être raccordé au réseau, cela ne soulève aucune difficulté ; vous pouvez autoproduire votre énergie, la consommer sur place et ne pas avoir de lien avec le distributeur. Nous n'aurons donc pas de point de livraison chez vous physiquement. Toutefois, si vous n'avez pas de batterie et qu'en hiver, vous n'avez ni soleil ni vent, et si par ailleurs votre système tombait en panne, un système de solidarité totalement différent devrait jouer, mais pas celui lié au distributeur.
S'agissant de la prospective en matière de consommation, l'ambition collective de décarbonation des usages passe par l'électrification d'un certain nombre de fonctions, notamment en matière de chauffage et de mobilité. La production en France est particulièrement décarbonée, ce qui a du sens.
Monsieur Leroy, vous avez fait part d'un possible de rehaussement de la prévision de la DGEC à 750 térawatts-heure à l'horizon 2050, alors que le SNBC et la PPE l'évaluent plutôt à 650 térawatts-heure. J'en serais plutôt satisfait car cette projection à 650 térawatts-heure me semble faible. Pour être résilients en matière énergétique, nous devons être conscients des besoins à couvrir dans les années qui arrivent. Il y aurait un risque à les minorer, compte tenu du temps nécessaire à mettre en place des capacités de production.
Comment l'ADEME et la FIEEC envisagent l'évolution de la consommation électrique d'ici à 2050 ? Pensez-vous que la consommation finira par plafonner, ou qu'il sera nécessaire de rehausser encore les prévisions ?
Nous travaillons actuellement à des scénarios prospectifs sur la façon de mettre en œuvre la SNBC pour respecter l'objectif de neutralité carbone 2050.
Un travail sera engagé avec Mme Barbara Pompili sur la prochaine SNBC dans les mois à venir. Il conviendra de prendre en considération les choix de société qui seront faits après 2030. Rappelons que l'ADEME a été créée juste après les crises pétrolières, avec un axe très marqué sur la maîtrise de l'énergie. Ce sujet devra être fortement remis au goût du jour. Il est certain que nous pouvons tomber dans une logique folle d'électrification à outrance, sans aucune réflexion sur la maîtrise de l'énergie ou sur l'efficacité énergétique. Nous retrouvons ce débat en ce qui concerne la rénovation énergétique des bâtiments avec le chauffage électrique ; en l'occurrence, les puissances sont parfois quatre fois moins importantes dans un bâtiment rénové par rapport à un bâtiment non rénové ou non isolé.
Je me réfère aux propos de Laurent Michel, directeur général de l'énergie et du climat, dans une dépêche AFP faisant suite à des questionnements émanant de l'université d'été du MEDEF.
Le besoin d'électrification est très fort. Pour autant, la résilience énergétique ne peut pas être uniquement électrique ; certains vecteurs tels que le gaz vert ne doivent pas être sacrifiés. Une grande partie de l'Europe utilise encore le charbon pour fabriquer de l'électricité. Nous devrons cheminer plus rapidement. Plus que des questions techniques, des enjeux de société surgiront. Il s'agit bien de faire coïncider ces débats de société avec des investissements lourds et longs à mettre en œuvre. Il n'est pas toujours simple de faire évoluer les réseaux. Nous évoquions les programmes menés avec Enedis en matière d'innovation ; le programme d'investissements d'avenir de la France soutient de nombreux projets pour renforcer notre capacité et notre efficacité énergétiques.
De surcroît, le débat sur l'avenir du nucléaire dans notre pays doit être mené. Il emporte un enjeu de société. Tout dépendra de la façon dont nous nous organisons. Nous dirigeons-nous vers une accentuation de la métropolisation, ce qui semble un peu à contre-courant au sortir du covid ? Qu'en sera-t-il dans dix ans ? Il y a vingt ans, nous n'imaginions pas que ces métropoles prendraient autant de place. Nous étions alors au début d'internet et pensions que la distribution territoriale serait bien plus forte. Ces enjeux détermineront notre équation énergétique.
La vision est simple : la transition écologique apportera de nouveaux moyens de production qui seront toujours plus électriques que ceux que nous utilisons aujourd'hui avec les énergies fossiles. C'est là une prévision de croissance importante pour nous dans toutes les utilisations, aussi bien dans les réseaux électriques qu'à l'intérieur des points d'utilisation. À mon sens, l'activité industrielle sera impactée en premier lieu. Les usines elles-mêmes devront produire différemment et utiliseront les technologies développées par nos industries pour optimiser leur consommation à l'intérieur même de leurs processus.
En matière de mobilité, nous constatons que tout est de plus en plus électrique : les voitures, mais également les transports navals ou aériens. Le troisième marché est celui du bâtiment, où nous serons amenés à remplacer tous les moyens de chauffage par des solutions électriques. Cette augmentation de l'utilisation de l'électricité ne signifie pas forcément une augmentation afférente en quantité d'énergie. Les technologies développées par certains adhérents de notre fédération permettront, grâce à l'électronique et à la communication, d'optimiser ces procédés avec une meilleure flexibilité d'utilisation et une optimisation du pilotage des consommations finales. Dans le déploiement de nouvelles solutions numériques, on peut évoquer l'automatisation mais aussi l'intelligence artificielle. Selon certains rapports, il serait possible d'économiser entre 6 % et 12 % d'énergie. D'un côté, nous constatons bien plus d'utilisation, de l'autre, des moyens numériques et électroniques qui permettront d'optimiser les utilisations.
L'équilibre reste à trouver cependant pour les industries qui sont compétentes à la fois dans le développement des réseaux et dans celui du système électrique en général. Mais, les systèmes numériques automatiques qui se développent sont tous orientés vers la transition écologique.
Enedis a récemment publié une étude prospective à l'horizon 2050, afin de dresser des scénarios d'évolution de la consommation et d'en étudier la traduction pour les réseaux.
Quatre scénarios relativement contrastés ressortent. Il est difficile d'estimer celui qui l'emportera. Néanmoins, le scénario médian sur lequel nous pouvons nous baser repose sur une faible évolution de la consommation en volume.
Selon les scénarios, nous estimons cette évolution entre 0,3 % et 1,2 % par an pour les raisons précédemment évoquées ; les usages seront en effet de plus en plus nombreux. En revanche, les innovations permettront à chacun d'entre eux de consommer moins d'énergie.
Le driver du changement, pour un distributeur, ne sera pas forcément le volume global d'énergie à servir. Le contraste sera très fort localement ; les dynamiques de zone sont différentes. Le principal driver de changement, et donc d'investissement nécessaire pour les réseaux, ce seront les EnR. Celles-ci déterminent en effet une partie de la topologie, mais aussi de la puissance nécessaire sur notre réseau. Un poste est dimensionné en fonction de la consommation et de son évolution prévisionnelle. On le positionne, on le crée parce qu'on estime que la consommation augmentera à un endroit donné dans les années à venir.
Une partie des postes de transformation est dimensionnée pour l'injection, de la production EnR. Le regard que nous devons porter sur notre réseau n'est plus le même. En fonction des scénarios, nous pouvons déterminer de quelle manière la consommation se déformera et de quelle manière le réseau devra s'adapter. Il nous faut désormais y superposer l'introduction des EnR, définir à quel endroit et dans quelles proportions, ce qui conditionnera en grande partie le niveau d'investissement nécessaire.
Lorsque vous affirmez que la consommation, donc la quantité d'énergie qui transite sur votre réseau, devrait peu évoluer en volume, ôtez-vous l'autoconsommation ? Estimez-vous que la consommation globale évoluera peu même avec l'autoconsommation ? Il semble assez ambitieux d'affirmer que la consommation évoluera peu compte tenu de l'électrification attendue des usages...
Vous estimez donc que les économies d'énergie pourront absorber les nouveaux usages de l'électricité. Pour ma part, depuis que j'ai acheté mon véhicule électrique, je consomme plus d'électricité. À un horizon de dix ou vingt ans, je me vois mal disposer d'innovations technologiques suffisantes pour revenir à la consommation observée avant l'achat de mon véhicule électrique. En généralisant cet exemple à l'ensemble des Français, je ne parviens pas à imaginer une consommation identique à l'horizon 2050.
La mobilité électrique est le game changer évoqué : c'est probablement l'usage qui va se massifier plus rapidement que nous ne le pensions il y a encore deux ans. Cet usage massif se répercutera sur les consommations. Nous en relevons cependant peu d'autres qui prendraient ces proportions.
Nos collègues anglais, par exemple, doivent faire face l'électrification de leur chauffage, qui est essentiellement gazier, ainsi qu'à la mobilité électrique. L'impact sur les réseaux n'a rien à voir avec ce que nous devrons affronter. Nos réseaux sont en effet d'ores et déjà dimensionnés en effet pour accueillir des niveaux de puissance très élevés. L'impact de l'accroissement de la consommation dû à cet usage particulier sera moindre, étant moins cumulatif avec d'autres usages qui arriveraient.
Selon les scénarios, des économies d'énergie compenseront en grande partie l'accroissement de la consommation sur d'autres usages. Par ailleurs, le pilotage fera que vous ne rechargerez peut-être pas votre véhicule tous les soirs en branchant la prise ; cette recharge pourra être prise en main de façon intelligente pour se faire au bon moment. Notez que 85 % des personnes qui s'équipent d'un véhicule électrique ne nous demandent pas d'augmentation de puissance. Ces personnes ont bien compris que des réserves de puissance étaient disponibles, notamment la nuit, ce qui ne conduit pas à un surdimensionnement des réseaux. Cet aspect sera de plus en plus assuré par des outils de pilotage automatisé. De plus le vehicle to grid qui viendra restituer une partie de l'énergie sur le réseau. Aussi, des économies d'énergie seront sans doute constatées sur d'autres usages, mais aussi sur ceux du véhicule électrique qui sera de moins en moins gourmand en énergie grâce au pilotage associé.
J'ai moins de mal à vous croire sur le fait que nos réseaux soient correctement dimensionnés que sur la consommation globale. J'ai effectivement pris l'habitude de recharger mon véhicule électrique la nuit et j'ai bien noté que mon véhicule pourra même réinjecter de l'énergie lorsque ce sera nécessaire.
L'ADEME est un grand promoteur de l'isolation. Pensez-vous que les innovations numériques peuvent être sources d'économies d'énergie, ou au contraire être source de nouveaux usages ? La domotique peut notamment introduire beaucoup de consommation. Quel est votre rapport à la technologie pour permettre des économies d'énergie ?
Le numérique est également un game changer de taille s'agissant de la transition énergétique, ne serait-ce que pour le pilotage. Nous n'en sommes qu'aux prémices de l'innovation. Au vu du foisonnement dans les startups ou dans les spin off de grands groupes sur ces sujets, je pense que le segment est très intéressant, par exemple en matière de dessins 3D ou de suivi des travaux. Le numérique s'élargit à l'intelligence artificielle, qui bénéficie de la disponibilité accrue des jeux de données, notamment grâce à la loi pour une République numérique votée il y a quelque temps.
Néanmoins, le numérique a un impact énergétique qui va croissant. Le secteur est train d'exploser. La consommation énergétique des data centers est une question. Nous constatons cependant des pratiques et des projets d'innovation plus responsables. Il me semble que ces éléments participeront à la réussite de la transition énergétique. Il est déjà techniquement possible de renvoyer de l'énergie sur les réseaux. Des enjeux réglementaires se posent bien évidemment ainsi que des enjeux d'équilibre et de modèle d'affaires des distributeurs énergétiques. Le numérique est selon moi une opportunité. Il n'y aura pas de transition écologique sans transition numérique.
Monsieur Tardif, sans doute considérez-vous le numérique comme une grande opportunité de la transition énergétique, sans vous inquiéter de la consommation qu'il induit...
Toutes les grandes entreprises, tous les grands groupes mondiaux s'engagent dans des programmes de décarbonation avec des objectifs très ambitieux. Parmi les solutions retenues, on peut citer le changement de système de chauffage au gaz et l'inclusion de nouvelles technologies ou de régulations qui permettront d'atteindre ces objectifs tout en passant à l'électricité : plus d'électricité et moins de consommation. Le fait que toutes ces entreprises s'engagent est un facteur très important. Le monde industriel est un des plus gros consommateurs d'énergie dans le monde, au même niveau que le chauffage dans le bâtiment. Si toutes ces entreprises s'engagent, nous pouvons imaginer le développement de belles solutions.
Venons-en les risques liés aux nouvelles technologies. Si de nombreux apports technologiques sont possibles et favorisent la transition énergétique, quels sont les nouveaux risques selon vous ? Pour ma part, je crains que la convergence énergie-télécom nous conduisent parfois à saisir toutes les pistes d'optimisation possible. Certes, le réseau peut mieux faire en étant optimisé, mais à condition que le réseau télécom fonctionne.
Enedis ne sera peut-être pas contraint de changer ses réseaux compte tenu de l'optimisation de la charge des véhicules électriques. Le fonctionnement du réseau internet est toutefois nécessaire. En cas de dysfonctionnement de ce réseau, tous les véhicules voudront charger au même moment.
Peut-on parvenir à concilier les apports de la technologie et la résilience, notamment en optimisant peu ?
S'il n'y a pas d'internet sans électricité, pourrait-il y avoir de l'électricité sans internet ? Quel est le niveau de dépendance d'Enedis à internet ? De quelle manière avez-vous appréhendé le risque cyber sur les compteurs Linky, qui sont un bel exemple d'un apport possible de la technologie ?
Je vous rassure : il peut y avoir de l'électricité sans internet. L'ensemble de nos systèmes de conduite s'est régionalisé et n'est pas relié à l'internet, de sorte que nous pouvons moduler en cas de problème. La fonction de conduite permettant d'acheminer l'électricité est gérée sans internet. Toutefois, l'absence d'internet désoptimiserait certaines sections. Si une interdépendance existe, rien ne change par rapport aux fonctions vitales liées à la distribution de l'électricité que nous assumons.
D'autre part, Linky a modifié la fonction de comptage. Le métier d'Enedis est bien de collecter l'information de comptage, de la stocker et de la mettre à disposition d'acteurs du système énergétique qui facturent les clients à cette fin. Nous disposons en l'occurrence d'un moyen numérique. La chaîne de transmission qui permet de récupérer la donnée depuis le compteur jusqu'à nos systèmes d'information est spécifique, et elle est cryptée de bout en bout. Le système est identique à celui utilisé par les banques. Nous sommes donc dans les standards audités par l'ANSSI : nous disposons de 35 certificats de sécurité octroyés par l'ANSSI sur ce système de chaîne communicante. Il s'agit de l'objet le plus certifié en France en matière de sécurité.
Bref, le niveau de cryptage et de sécurité de nos transmissions de données est parmi les plus élevés en France.
Ajoutons qu'aucune donnée personnelle autre que le comptage ne transite. Une fois arrivées dans nos SI – systèmes d'information –, ces données ont fait l'objet d'un SI totalement à part, dans un double système de sécurité également audité par l'ANSSI et répondant aux standards les plus élevés.
Compte tenu à la sensibilité du sujet lié aux données de consommation, je confirme que ce système a été pensé dès le départ autour des aspects de sécurité.
La FIEEC regroupe également les producteurs industriels qui contribuent à la construction de ces réseaux, notamment les fabricants de fibre optique. Nous avons démontré par l'exemple que le système tenait. Depuis deux ans, nous avons observé une utilisation à outrance des outils numériques par les applications vidéos. Tout a bien fonctionné, nous n'avons pas eu de blackout, le réseau a tenu. La France a la chance d'avoir un réseau en déploiement très rapide, certainement le plus rapide d'Europe. Nous, industriels du domaine, sommes donc assez confiants sur la qualité et la résilience de ce réseau.
Par ailleurs, la cybersécurité est une préoccupation des sociétés qui adhèrent à la FIEEC. Dès 2017, nous avons commencé à travailler sur le sujet et avons établi un guide intitulé Confiance et sécurité dans un monde connecté, sujet prioritaire pour nos membres. En outre, nous coopérons avec la CNIL, l'ANSSI et la CNPP. Les sociétés de la cybersécurité sont également adhérentes à la FIEEC.
Au-delà de la résilience, ce qui se passe actuellement autour des composants pose une vraie question de souveraineté. De nombreux secteurs économiques ont été mis sous tension en France et en Europe, notamment l'automobile. Une part importante des données est hébergée en Europe, plus rarement en France. Le sujet mérite donc d'être posé, même si nous sommes loin des champs d'expertise de l'ADEME. Après avoir été dépendants des pays producteurs de pétrole – comme nous le sommes pour certaines matières utilisées pour les panneaux solaires –, il nous faut être prudents afin de ne pas nous retrouver avec une facture commerciale qui pèserait fortement sur le déficit de la France. Sur la balance commerciale, la facture énergétique représente un chiffre oscillant entre 40 et 60 millions d'euros par an. Il serait pertinent d'éviter d'y ajouter une dépendance au numérique au sens large. Nous sommes face à des acteurs d'un nouveau genre : les GAFAM.
Je considère qu'il existe un véritable enjeu de souveraineté, au minimum français – bien que la France n'ait peut-être plus la taille pour y répondre – et plus globalement européen.
Vous nous avez montré que l'innovation en matière numérique et énergétique était porteuse d'espoir pour l'humanité, que ce soit pour accompagner la transition énergétique ou pour ouvrir de nouveaux usages. Gardons en tête que pour accompagner toute innovation, et pour que celle-ci soit réellement porteuse d'espoir, les risques associés doivent être pris en compte, notamment en matière électrique, en ne cédant pas à la tentation de trop optimiser pour ne pas ajouter de nouvelles dépendances.
La réunion se termine à treize heures dix.
Membres présents ou excusés
Mission d'information sur la résilience nationale
Présents. - M. Thomas Gassilloud, M. Fabien Gouttefarde
Excusés. - M. Alexandre Freschi, M. Jean Lassalle, Mme Sereine Mauborgne