La réunion débute à 9 heures 30.
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, Présidente.
La Commission procède à l'examen de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative à l'accueil des gens du voyage et à la lutte contre les installations illicites (n° 346) (Mme Virginie Duby-Muller, rapporteure).
Mes chers collègues, nous partageons tous la peine des familles des victimes de l'attentat du 23 mars 2018 survenu à Trèbes et l'émotion de la Nation. Pour permettre à ceux qui le souhaitent de se rendre aux Invalides afin d'assister à l'hommage national qui sera rendu au colonel Arnaud Beltrame l'agenda de la commission des Lois a été modifié : nous suspendrons nos travaux aux alentours de dix heures trente et les reprendrons à quatorze heures.
Nous examinons ce matin la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative à l'accueil des gens du voyage et à la lutte contre les installations illicites. La parole est à la rapporteure, Mme Virginie Duby-Muller.
Mes chers collègues, il y a une conviction que nous partageons tous : l'accueil des gens du voyage doit être garanti pour leur permettre de vivre selon leurs traditions, dans le respect des lois de notre République.
C'est la raison pour laquelle le législateur n'a eu de cesse, depuis la première « loi Besson » de 1990, de préciser les droits et les devoirs incombant, d'une part, aux communes et à leurs groupements chargés de cet accueil et, d'autre part, aux communautés des gens du voyage.
Près de trente ans après cette première recherche d'un équilibre satisfaisant, il nous faut dresser deux constats principaux.
Premièrement, les obligations faites au bloc communal en matière d'accueil n'ont cessé de s'accroître alors que l'État s'est désengagé progressivement de cette politique publique, notamment d'un point de vue financier.
Deuxièmement, les conditions d'accueil des gens du voyage, si elles ont connu une progression en termes de nombre de places, ne sont pas toujours adaptées à leurs besoins. Il convient donc d'avoir, dans le cadre d'un dialogue avec les territoires, une approche plus qualitative que quantitative, et non l'inverse comme c'est le cas actuellement.
Il découle de ces deux constats que, malgré les efforts continus des territoires et de certains groupes de gens du voyage en vue d'améliorer les conditions dans lesquelles se déroulent leurs déplacements, des troubles à l'ordre public perdurent. Est en cause l'installation de nombreux campements illicites sur des terrains agricoles, sur des parkings de bâtiments publics ou de zones industrielles, ce qui alimente l'incompréhension voire le ressentiment d'une partie des populations locales.
Mes chers collègues, il faut partir des réalités de terrain pour bien comprendre l'impasse dans laquelle certains élus locaux se trouvent aujourd'hui.
Nombreux sont ceux qui se sont engagés à remplir toutes leurs obligations en matière d'accueil des gens du voyage, par souci de se conformer à la loi mais également pour lutter le plus efficacement possible contre les installations illégales. Pour cela, ils ont parfois dû convaincre les habitants de leur commune de l'intérêt mutuel qui découlerait de cet effort financier. Or, très souvent – trop souvent –, ces installations d'accueil ne limitent en rien la multiplication des campements illicites.
Tout élu local le sait, ces campements ne font pas qu'empêcher l'accès aux terrains concernés. Ils entraînent également des dégradations, qui sont inévitables en l'absence de sanitaires, d'accès à l'eau ou à l'électricité et de ramassage des déchets. Quand les campements sont installés sur une exploitation agricole, comme cela arrive trop souvent, les dégâts qu'ils occasionnent peuvent remettre en cause la poursuite de cultures pendant toute une saison. Or, les déplacements des gens du voyage se concentrent pendant la période particulièrement sensible pour les agriculteurs du printemps et de l'été.
Ainsi, lorsque nous proposons de rendre plus efficaces les procédures d'évacuation et de mettre un terme à l'impunité dont bénéficient les campements illicites, il ne s'agit pas de prendre des mesures contre les gens du voyage. Nous souhaitons, au contraire, qu'ils s'intègrent le mieux possible dans notre société et dans le respect de leurs traditions, tout en rétablissant un équilibre qui aujourd'hui est défaillant, ce qui nuit à tout le monde.
Car, les conséquences dans les territoires qui mettent en oeuvre les conditions d'accueil qui leur ont été prescrites et qui se trouvent confrontés aux occupations illicites ne doivent pas être sous-estimées.
Dans le département de la Haute-Savoie, on ne peut que constater les tensions croissantes entre nos concitoyens et les gens du voyage : protestations d'agriculteurs, vives altercations avec des groupes de gens du voyage installés illégalement, mise en cause des élus, menaces verbales et même physiques. La liste est longue. Le dialogue est parfois rompu et la situation risque de dégénérer.
À ce titre, les députés et les élus locaux haut-savoyards ont été reçus à l'été 2017 par la ministre, Mme Jacqueline Gourault, qui a reconnu la nécessité d'améliorer les procédures d'évacuation en cas d'installation illégale et de renforcer les sanctions encourues.
Ce que demande le groupe Les Républicains, au Sénat comme à l'Assemblée, c'est une reconnaissance des élus locaux qui mettent en place une politique d'accueil mais qui se retrouvent souvent démunis face aux installations illégales.
La proposition de loi que nous nous apprêtons à examiner aujourd'hui s'inspire de travaux engagés par des députés et des sénateurs à partir d'expériences de terrain. Elle n'a pas pour objet de stigmatiser les gens du voyage ni de revenir sur l'obligation de créer les aires d'accueil prévues par le schéma départemental. Elle vise, au contraire, à rétablir la logique du « donnant-donnant » issue des lois Besson de 1990 et de 2000.
À cet égard, elle prévoit pour les collectivités qui respectent leurs obligations des mesures visant à améliorer l'efficacité des procédures administratives et juridictionnelles d'évacuation, notamment en rendant leur mise en oeuvre plus rapide. Ces procédures répondent à la principale demande des élus locaux de mieux lutter contre les campements illicites et sont conditionnées au fait qu'ils respectent leurs engagements en matière d'accueil. Nous considérons donc que nous pouvons, et même que nous devons, nous retrouver sur ce point pour leur apporter des solutions.
D'autres mesures prévoient de prendre en compte le seuil d'utilisation des aires déjà construites avant de demander aux élus de créer de nouvelles places. L'argent public est rare, du fait notamment de la multiplication des compétences confiées aux intercommunalités, et il convient d'adopter désormais une démarche plus qualitative.
En outre, nous proposons une aggravation des pénalités encourues avec la création d'une amende forfaitaire délictuelle qui permettra de sanctionner effectivement les personnes occupant illégalement un terrain, mettant fin au constat, fréquemment dénoncé, d'une quasi-impunité. L'instauration d'une telle amende fait l'objet d'un large consensus parmi les forces de l'ordre.
Nous souhaitons, enfin, que la situation des petites communautés de communes soit mieux prise en compte. Dans la plupart des cas, ce sont les grands centres urbains qui ne respectent pas leurs obligations d'accueil. Or, il est souvent plus aisé, dans le cadre du schéma départemental, de prévoir l'installation d'une aire dans une petite commune alors même que cette localisation risque de provoquer une sous-occupation par les gens du voyage.
Pour conclure, je soulignerai la qualité des travaux du Sénat qui a permis de parvenir à un texte équilibré. À nous, à présent, d'adopter dans les meilleurs délais ces dispositions très attendues dans nos territoires.
Je ne suis pas tout à fait certain de partager les positions que vient d'exprimer la rapporteure.
Les gens du voyage sont des citoyens français. Ils sont intégrés économiquement et exercent des métiers ambulants, forains notamment. Leur mode de vie est ancestral : on en trouve trace dès le Moyen-Âge. Il tend toutefois à évoluer avec le développement de la sédentarisation. En outre, il s'agit de communautés qui vieillissent et qui sont confrontées à des problèmes de santé et d'éducation. Elles aspirent à bénéficier du même niveau de services publics que les autres citoyens.
Les gens du voyage ont souvent fait l'objet de mesures de restriction entamant leur liberté d'aller et venir. Citons les carnets anthropométriques institués en 1912.
Depuis de nombreuses années, notre pays a cherché à légiférer pour augmenter les capacités d'accueil des gens du voyage afin de créer un équilibre entre le respect des modes de vie des uns et la tranquillité des autres. Le problème n'est donc pas nouveau : il est marqué très clairement par une oscillation entre liberté et répression. Nous en trouvons les premiers signes dans la loi du 3 janvier 1969 qui crée le livret de circulation, sorte de passeport intérieur assimilé par certains à une mesure d'apartheid. Ont suivi les lois dites Besson : la première, du 31 mai 1990 ; la deuxième, du 5 juillet 2000. Enfin, la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure a procédé à une augmentation des peines encourues et la loi « Égalité et citoyenneté » du 27 janvier 2017 a mis fin à l'obligation de détenir un livret de circulation et a supprimé la référence à la commune de rattachement.
L'accueil des gens du voyage est un problème important pour nous, groupe La République en Marche, pour les collectivités territoriales, mais aussi pour la population dans son entier.
La proposition de loi qui nous est soumise est marquée par ces mouvements de l'histoire. Elle vise trois objectifs.
Le premier, que nous considérons comme pertinent, consiste à tirer les conséquences de la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPTAM) et de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe). Les communes n'ont plus, pour la majorité d'entre elles, de compétences et il est logique de mettre l'accent sur les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).
Le deuxième vise à assouplir les obligations qui pèsent sur les collectivités, ce qui reviendrait à briser l'élan créé par les lois de 1990, de 2000, de 2003 et de 2017, qui ne sont pas encore pleinement appliquées. Nous devons en priorité achever les schémas départementaux d'accueil et d'habitat des gens du voyage et offrir à cette communauté des capacités d'accueil, en respectant son mode de vie.
Le troisième objectif est ni plus ni moins une stigmatisation des gens du voyage, qui nous fait revenir un siècle en arrière. Pour être franc, je suis assez surpris par certaines des dispositions que vous soutenez.
Cette proposition de loi est issue des textes de deux sénateurs de Haute-Savoie, Jean-Claude Carle et Loïc Hervé. Vous-même, madame la rapporteure, représentez la Haute-Savoie. Toutefois, la problématique que vous pointez a une dimension nationale. Dans certaines régions, les objectifs ne sont pas encore atteints. Je pense à l'Île-de-France, aux Hauts-de-France, à Provence-Alpes-Côte d'Azur et dans une moindre mesure à Rhône-Alpes.
Pour toutes ces raisons, le groupe La République en Marche déposera des amendements visant à supprimer six des dix articles que comporte cette proposition de loi.
Madame la présidente, je vous remercie d'avoir bien voulu accueillir un membre de la commission du Développement durable et de l'aménagement du territoire au sein de votre Commission.
J'aimerais saluer le travail de la rapporteure et de nos collègues sénateurs, particulièrement Jean-Claude Carle et Loïc Hervé.
Cette proposition de loi est non-discriminatoire : elle vise à créer un équilibre de nature à assurer un respect mutuel dans un territoire donné entre celles et ceux qui y habitent toute l'année et celles et ceux qui ont choisi librement un mode de vie non sédentaire.
Le problème est bien évidemment national. Il ne s'agit pas de se focaliser sur un département en particulier. Il faut toutefois reconnaître que dans certains endroits, la situation est plus complexe que dans d'autres, notamment pour des raisons géographiques. Rappelons que la loi de 2000 avait pour auteur Louis Besson, qui n'était pas de notre sensibilité politique mais qui était issu d'un département voisin du nôtre.
Nous voulons non pas remettre en cause l'esprit de la loi Besson, bien au contraire, mais en dresser un bilan et en tirer les conséquences afin d'adapter la loi de la République aux évolutions intervenues depuis près de vingt ans.
Les flux des communautés de gens du voyage ont changé. Ils sont bien plus importants aujourd'hui. Certains départements en sont à huit voire dix mois d'occupation contre un ou deux mois il y a quelques années. Enfin, depuis vingt ans, la pression a augmenté sur les zones frontalières.
L'équilibre est rompu dans certaines parties du territoire. Nous faisons face à des violences verbales et même physiques à l'encontre d'agriculteurs, d'industriels et d'élus locaux. Dans certains départements, les forces de police et de gendarmerie ainsi que les personnels des services des préfectures et des sous-préfectures sont mobilisés quasiment à temps plein, entre le 15 mai et le 15 octobre, pour réguler ces déplacements. Et nous ne comptons plus les dégradations matérielles dans le domaine public et les propriétés privées, chose inacceptable.
Cette proposition de loi vise à clarifier les compétences. Il s'agit notamment de répondre à la question posée par la jurisprudence au sujet des EPCI ne comprenant pas de communes de plus de 5 000 habitants. Le texte vise à simplifier les procédures et ne tend nullement, monsieur Paris, à assouplir les obligations des collectivités territoriales. Il veut faire en sorte que les communautés des gens du voyage respectent la loi de la République lorsque les collectivités territoriales ont fait les efforts financiers nécessaires pour implanter des aires pour les accueillir, conformément aux schémas départementaux.
Au-delà des préjudices sanitaires et des atteintes à l'ordre public, cette proposition de loi renforce la sanction en cas de dégradation des terrains occupés. Est-il acceptable que l'occupation d'un parking empêche le stationnement des salariés d'une entreprise ? Est-il acceptable que les agriculteurs voient leurs récoltes détruites en quelques minutes ? Les peines seront adaptées en conséquence.
Nous souhaitons faire évoluer le droit et instaurer la possibilité de saisir des véhicules même lorsqu'ils ne servent pas d'habitation.
Nous prenons en compte également la stratégie du « saut de puce » qui consiste pour certains gens du voyage à déplacer leur véhicule et leur caravane de quelques dizaines ou centaines de mètres pour changer de parcelle cadastrée ou de commune, ce qui oblige à reprendre à zéro la procédure d'évacuation et rend la situation ingérable. Nous proposons d'étendre à tout le territoire de la commune ou de l'EPCI concerné l'applicabilité de la mise en demeure prononcée par le préfet.
Nous pouvons nous accorder sur certains constats : occupations illicites en hausse, dégradations, tensions avec les populations locales conduisant parfois à des violences, élus locaux pris dans des situations inextricables. Mais nous considérons que la présente proposition de loi ne répond pas à la nécessité d'améliorer l'accueil des gens du voyage. Elle voudrait nous faire croire que donner un « tour de vis » constituerait une solution. Or, nous ne croyons pas au renforcement de la répression.
Ce texte vise essentiellement, sans l'affirmer ouvertement, à revenir sur la loi « Égalité et citoyenneté » qui est venue modifier la loi Besson. Certaines des dispositions qui nous sont aujourd'hui proposées, si elles étaient appliquées, mettraient un terme au processus d'élaboration des schémas départementaux qui est aujourd'hui très loin d'être achevé car il s'inscrit inévitablement dans un temps long. Nous devrions plutôt nous préoccuper de trouver les moyens de l'accélérer. Il est beaucoup trop tôt pour modifier une loi qui n'est pas entrée en complète application. Certains décrets, notamment celui qui correspond aux dispositions de l'article 149 consacré aux aires d'accueil permanent et aux terrains familiaux locatifs, ne sont pas encore publiés, ce qui ralentit les procédures de révision des schémas départementaux arrivés à expiration.
Ce texte introduit une forme de déconnexion entre les communes et leurs EPCI. Il permet en effet à une commune d'être en règle quand bien même l'EPCI auquel elle appartient ne le serait pas. Si on supprime ce qui peut constituer un moyen de pression utile des communes sur les EPCI, ce sera la fin des schémas départementaux prévus par la loi « Égalité et citoyenneté ».
Autre mesure qui montre à l'évidence que cette proposition de loi cherche à mettre un terme aux mécanismes instaurés par les lois précédentes : la suppression de la procédure de consignation. Certes, il s'agit d'un mécanisme coercitif mais il s'impose car, dix-huit ans après l'adoption de la loi Besson, seuls dix-huit départements se sont conformés aux obligations des schémas départementaux. Il est assez paradoxal de se plaindre du stationnement irrégulier des véhicules des gens du voyage quand les préconisations de la loi en matière d'aires d'accueil et de terrains de grand passage ne sont pas appliquées.
En outre, le texte prévoit un alourdissement des sanctions pénales. Or, la plupart des sanctions existantes ne sont déjà pas appliquées. La police et la justice ne parvenant pas à faire face à la masse des tâches qui s'imposent à elles, il est très probable qu'elles n'accorderont pas la priorité au stationnement irrégulier. Ce renforcement des sanctions, s'il fera plaisir sur le moment à quelques élus locaux en grande difficulté, ne produira probablement aucun résultat.
Enfin, nous nous interrogeons sur les pouvoirs donnés au préfet en cas d'évacuation forcée : ils pourraient être considérés comme une forme d'atteinte disproportionnée à la liberté fondamentale d'aller et de venir.
Aujourd'hui, le dispositif repose sur un équilibre : ni laxisme vis-à-vis des occupations illicites ou des comportements délictuels, ni répression à l'encontre des gens du voyage. Cet équilibre, le groupe Nouvelle Gauche estime que la présente proposition de loi risque de le mettre à mal.
La présente proposition de loi appelle une double analyse.
Nous considérons qu'elle répond à des attentes légitimes. Certaines collectivités sont régulièrement confrontées à des installations illicites de gens du voyage et ont fait part de leur besoin de disposer d'outils juridiques pour mieux gérer ces situations. En cela, certaines dispositions de la proposition de loi sont complémentaires des dispositifs introduits par les lois MAPTAM, NOTRe et « Égalité et citoyenneté ». C'est le cas du dispositif prévu par l'article 1er, qui affine pour partie les conditions du transfert de la compétence relative à l'accueil des gens du voyage des communes vers les intercommunalités. C'est le cas encore de l'article 4 et de l'article 6 qui consolide l'ensemble des sanctions pénales applicables aux personnes occupant illégalement un terrain.
Néanmoins, cette proposition de loi comporte plusieurs mesures qui nous posent problème. Certaines sont discriminatoires comme celles de l'article 3 bis, qui transforment le récépissé de paiement de la taxe sur les résidences mobiles utilisées comme résidence principale en une vignette à apposer sur le véhicule. D'autres contreviennent aux libertés publiques : les dispositions des articles 5 et 6 pourraient être contraires au principe d'inviolabilité du domicile et à la liberté de circulation.
Le groupe Mouvement démocrate et apparentés ne peut voter le texte dans sa rédaction actuelle. Toutefois, au regard des besoins exprimés par les collectivités et de la pertinence de certaines propositions, le groupe est prêt à voter en faveur de la proposition de loi si des modifications significatives lui sont apportées au cours de l'examen de ses articles. Il est impératif de parvenir à une version plus équilibrée qui permette aux collectivités de mieux faire face à ce type de situation tout en évacuant les amalgames et les discriminations.
J'ai toujours eu quelques difficultés avec les schémas départementaux pour l'accueil des gens du voyage, ayant pu constater à quel point il était compliqué de mobiliser les services préfectoraux en cas d'installation illégale. Aussi sais-je gré à la rapporteure de cette proposition de loi, qui entend résoudre un certain nombre de problèmes liés à cet accueil.
Les quatre amendements que je propose doivent être interprétés comme un gage de ma volonté de m'associer à la défense des libertés communales et d'entendre les réactions de nombre de nos compatriotes, même quand elles frisent le politiquement incorrect.
Les communes ne devraient pas, à mon sens, être tenues d'accueillir les gens du voyage. Le mode de vie qu'ils ont choisi mérite sans doute la considération, mais il leur est parfois accordé une bien trop grande liberté. Ainsi, comme le souligne le rapport du Sénat, « l'exaspération qui en résulte chez les riverains, les agriculteurs dont les terres sont saccagées, les industriels et commerçants dont les établissements sont occupés ou rendus inaccessibles, ne fait qu'entretenir les amalgames dont souffre la communauté des gens du voyage, qui est ainsi la première victime des occupations sauvages. »
Ne pensez-vous pas, madame la rapporteure, que les lois du 31 mai 1992 et du 5 juillet 2003 sont trop libérales, et que l'exaspération risque de perdurer malgré votre intention louable de renforcer les sanctions ?
Les schémas départementaux se déploient trop lentement, et beaucoup de problèmes subsistent encore sur le terrain quand il s'agit pour les communes d'accueillir les gens du voyage. Par ailleurs, pour avoir été confronté à plusieurs reprises à ces difficultés dans mon département, je puis vous dire qu'il ne suffit pas que les schémas départementaux se déploient et que certains EPCI créent des aires d'accueil pour que ces problèmes disparaissent.
J'ai par exemple eu affaire à des gens du voyage qui, alors qu'il y avait à proximité des aires dédiées, s'installaient illégalement sur des terrains privés ou des terrains publics qui n'étaient pas destinés à cet usage, au motif que l'exposition ou la manière dont ces aires avaient été équipées ne leur convenaient pas.
Il faut donc que la loi soit beaucoup plus stricte à la fois contre l'installation des gens du voyage dans les aires qui leur sont dédiées et dans les sanctions qu'ils encourent lorsqu'ils n'obtempèrent pas et s'installent, en toute illégalité et dans des conditions parfois violentes, sur des terrains qui ne leur sont pas destinés. Il est alors souvent difficile de les déloger, même avec le concours des forces de l'ordre, ce qui provoque toujours d'énormes difficultés avec les riverains.
Cette proposition de loi de bon sens ne remet en cause ni les dispositifs légaux actuellement existants, ni le déploiement des schémas départementaux. Il serait donc de bon aloi, que, une fois amendée, nous l'adoptions, pour gagner du temps, rassurer les élus locaux et apaiser les tensions sur le terrain. Car ce n'est pas ce texte qui va provoquer tensions et clivage parmi la population, mais l'absence de réponse apportée aux difficultés que font naître ces installations sauvages.
Si les communes et les EPCI qui respectent leurs obligations peuvent recourir à la procédure administrative en cas d'occupation illégale troublant l'ordre public, faute d'un schéma départemental, certaines communes, alors même qu'elles ne sont pas responsables de ce manquement, ne peuvent y recourir. Ce sont souvent des petites communes, disposant de moyens limités, mais qui se voient donc obligées d'assumer matériellement et financièrement ce manquement. Je voulais appeler votre attention sur ce point.
Malgré les obligations légales en la matière, les moyens alloués à l'accueil des gens du voyage restent insuffisants. Et, si cette proposition de loi entend régler les problèmes posés par les installations illégales dans un certain nombre de collectivités, elle manque l'essentiel, c'est-à-dire le fait que le Gouvernement n'assure pas l'exécution des dispositions qu'il a prises. C'est ce qui provoque les problèmes qui ont été soulevés ici et que nous ne récusons pas mais auxquels cette proposition de loi ne répond pas. Il nous semble au contraire que la double logique à laquelle elle obéit qui consiste, d'une part, à réformer la loi de 2000 pour donner aux collectivités territoriales davantage de marges de manoeuvre contre l'installation des gens du voyage, d'autre part, à renforcer les sanctions qu'ils encourent en cas d'occupation illicite, ne va faire qu'envenimer la situation sur le terrain, pour tout le monde.
Il faut se garder de confondre la cause et les effets. Si l'installation de populations nomades peut causer des difficultés financières à certaines communes ou des problèmes plus pratiques dans leur gestion quotidienne des affaires, je rappelle que ce nomadisme a été consacré par le Conseil d'État, au nom de la liberté constitutionnelle d'aller et de venir.
Le vrai problème, c'est que la loi n'est pas respectée. Je vous rappelle que, dix-huit ans après l'adoption de la loi Besson, presque un tiers des places d'accueil – soit 11 370 places – prévues au titre des schémas départementaux n'ont pas été réalisées. C'est à l'État d'apporter les fonds et de se substituer aux communes défaillantes, puisque la loi de 2000 lui en donne le pouvoir.
Dans son avis du 16 octobre 2017, le Défenseur des droits demandait ainsi explicitement que le Gouvernement assure la mise en oeuvre effective du pouvoir de substitution du préfet en cas de non-respect par une commune de ses obligations. C'est sur cette recommandation que devraient s'appuyer nos discussions ; ce n'est malheureusement pas ce que fait cette proposition de loi.
Les propos de mes collègues me donnent envie de leur dire qu'il faut en finir avec la naïveté et l'angélisme et cesser de se réfugier derrière les argumentations théoriques, a fortiori en faisant l'amalgame entre la situation des gens du voyage et celle des forains, ce qui est une grave erreur et démontre une méconnaissance totale du dossier.
Ce qui se passe sur le terrain est très grave. Certains ont admis avoir eu l'expérience des envahissements sauvages. Mais, au sud de la métropole lilloise, il s'agit d'une réalité à laquelle les riverains, les chefs d'entreprise, les agriculteurs ou les maires sont confrontés quotidiennement.
C'est la raison pour laquelle j'ai pris l'initiative d'organiser une réunion de tous les acteurs concernés, chaque fois qu'un nouveau préfet de région est nommé, pour essayer de promouvoir des stratégies permettant de lutter contre ce problème et contre le sentiment d'impunité de ces gens du voyage qui enfreignent la loi. Nos concitoyens ont, pour leur part, le sentiment qu'il y a deux poids deux mesures : ils sont sanctionnés lorsqu'ils dépassent la vitesse autorisée d'un ou deux kilomètresheure, alors que, lorsque les gens du voyage envahissent un terrain, il ne se passe rien !
Dans ma circonscription, des élus et des agriculteurs ont été molestés et se sont vu délivrer des ITT de plusieurs jours ; des coups de feu ont également été tirés en l'air par des gens du voyage ; quant aux dégradations, je ne compte plus les millions d'euros de dégâts, notamment dans les zones industrielles, après le passage de gens du voyage, soit que les entreprises n'aient pas pu fonctionner, soient que des locaux industriels vacants aient été dévastés, comme sous l'effet d'une bombe.
Dans ces conditions, les entreprises préfèrent s'implanter de l'autre côté de la frontière, en Belgique, où la législation est beaucoup plus ferme et où ils ne sont pas confrontés aux mêmes envahissements.
Je ne cesse de dire au préfet qu'un jour il y aura un mort. Je lance donc un cri d'alarme, car la situation n'est plus tenable sur le terrain. Il est impératif de renforcer la loi, et cette proposition y contribue, mais il faut surtout que la loi soit appliquée de manière pleine et entière, par exemple l'article 322-4-1 du code pénal, qui permet de saisir les véhicules, mais n'est quasiment jamais appliqué, alors qu'il permettrait d'apporter un début de réponse.
Je suis également fatigué par ceux qui opposent à nos arguments le respect des traditions et des modes de vie. Elles ont bon dos, les traditions ! Comme beaucoup de Français, je passe moi-même chaque année, par tradition familiale, quinze jours d'été sur la Côte d'Azur, mais je ne demande pas à la collectivité dans laquelle je séjourne ou à l'État de financer mon voyage ! Pourquoi l'exiger pour les gens du voyage, au nom de la tradition, sachant que nos concitoyens y sont résolument opposés ?
J'ai moi aussi été élu local pendant vingt ans dans le nord de la Seine-Saint-Denis, dans un territoire qui était presque quotidiennement en proie à des problèmes de ce type. J'en connais la complexité et je sais quelles sont les difficultés auxquelles se trouvent confrontés les riverains ou les entreprises. Je suis tout à fait d'accord pour appliquer la loi de manière plus stricte, mais commençons par la loi Besson, qui date de 2000 : dix-huit ans plus tard, plus d'un tiers des obligations faites aux communes par cette loi de disposer d'aires d'accueil ne sont toujours pas respectées. Je n'ai guère de problème avec le fait d'appliquer la loi plus fermement, mais cela doit s'appliquer à toute la loi, et peut-être faudrait-il réfléchir à renforcer les mesures coercitives à l'encontre des communes ou des EPCI qui se sont affranchis de l'obligation qui leur est faite par la loi Besson.
Cette proposition de loi comporte une disposition intéressante, au sens où elle clarifie les responsabilités entre les différents échelons de collectivité, car, pour qu'une loi soit bien appliquée, encore faut-il que ceux qui en ont la responsabilité soit clairement identifiés.
Cela étant, deux des dispositions de ce texte ne nous paraissent pas acceptables. La première est celle qui consiste à intégrer les aires d'accueil des gens du voyage dans les 20 % de logements sociaux que les communes ont l'obligation de construire au titre de la loi SRU – le début des années deux mille aura décidément été faste en matière de lois de solidarité ! Mais, là encore, beaucoup de maires s'exonèrent de cette obligation, et les amendes sont trop peu dissuasives pour les en retenir. Leur fournir un moyen supplémentaire de déroger aux obligations de la loi SRU ne me paraît donc pas une bonne chose.
De même, je ne pense pas – c'est notre second motif d'opposition – que c'est en supprimant la procédure de consignation des fonds nécessaires à la réalisation des aires d'accueil pour les gens du voyage que l'on fera mieux appliquer la loi. On ne peut réclamer l'application totale d'une loi dont la mise en oeuvre reste partielle et diminuer dans le même temps les mesures coercitives qui vont dans ce sens.
Je ne suis pas un Bisounours mais, si on veut être plus répressif à l'encontre des installations sauvages, il faut en finir avec le laxisme et la tolérance vis-à-vis de ceux qui s'affranchissent de leurs obligations d'installer des aires d'accueil dans leurs communes : c'est une question d'équilibre, et cette proposition de loi rompt cet équilibre au lieu de le renforcer. Nous y sommes donc opposés.
Je ne suis pas non plus un Bisounours, pour les mêmes raisons d'ailleurs que Stéphane Peu, puisque j'ai été maire pendant seize ans et président de communauté de communes.
Je n'ignore donc rien des difficultés que nous évoquons, mais évitons de tomber dans la caricature. Il y a des gens du voyage qui respectent parfaitement les règles, préviennent à l'avance de leur arrivée, se font connaître et s'installent sur l'aire de grand passage sans difficulté ; mais il y en a également qui, comme dans toute communauté, ne respectent pas les règles et qui, même quand un terrain de grand passage est disponible, s'installent ailleurs.
Cela étant, lorsqu'on est « dans les clous » pour ce qui concerne le respect de la loi Besson, l'État est globalement à nos côtés, et des dispositifs – contraventions, référés administratifs – existent pour nous aider à faire face aux difficultés, car j'admets que ce n'est pas toujours facile. Je ne suis donc pas sûr qu'il faille rajouter de la loi à la loi, et mieux vaudrait d'abord, comme l'a fort bien rappelé M. Peu, appliquer les textes existants avec toute la fermeté requise pour les uns comme pour les autres.
Nous nous accordons tous sur le constat que si la loi a bien institué des schémas départementaux pour l'accueil des gens du voyage, 30 % des objectifs en termes d'accueil ne sont pas encore atteints. Le dispositif connaît donc des lacunes. Il existe certes des procédures permettant de lutter contre les installations illicites, mais elles sont lentes et n'empêchent pas les dégâts irrémédiables causés par ces installations sauvages. Or, ces dégâts ont un coût financier et humain, notamment lorsqu'il faut mobiliser les agents de la collectivité pour remettre un lieu en état.
L'objectif de ce texte est de proposer des outils plus opérationnels et plus réactifs. Il a été élaboré en concertation avec les élus locaux, mais également avec les forces de l'ordre, très largement mobilisées dans ces affaires, pour des périodes qui durent d'ailleurs de plus en plus longtemps. Monsieur Paris, vous m'avez reproché de beaucoup me référer à la Haute-Savoie. Je suis consciente que nous sommes là face à un problème national, mais il se trouve que, dans ce département, ces installations illicites sont de plus en plus fréquentes et de plus en plus longues, au point que l'on peut se demander si ces gens du voyage voyagent encore ! Ils demeurent en effet toute l'année dans le département, se bornant à des sauts de puce d'une commune à l'autre.
Les tensions s'accroissent et je partage les inquiétudes de mes collègues, Martial Saddier, Arnaud Viala et Sébastien Huyghe ; je crains qu'un jour un drame survienne parce que nous n'aurons pas pris nos responsabilités et adopté les mesures juridiques qui s'imposent. Qui sait ce que fera un jour un agriculteur parce qu'on s'en sera pris à son outil de travail, un propriétaire de terrain ou un membre de la communauté des gens du voyage, qui peut être armé et menaçant ?
Nous ne devons pas faire preuve d'angélisme, de cet angélisme qui, selon moi, avait inspiré la proposition de loi de Dominique Raimbourg, adoptée par l'Assemblée nationale sous la précédente législature, qui supprimait les carnets de circulation et prévoyait un certain nombre de dispositions visant à améliorer l'habitat des gens du voyage sans traiter suffisamment cette question des campements illicites.
Ce texte enfin n'est en aucun cas stigmatisant. Au contraire, certains membres de la communauté des gens du voyage qui respectent leurs obligations se trouvent lésés par ceux qui s'installent de façon illicite, là où ils n'en ont pas le droit. L'idée est donc bien d'avoir un texte « gagnant-gagnant » tant pour les élus que pour les gens du voyage qui respectent les règles en vigueur.
J'ai souhaité maintenir le texte du Sénat qui me paraissait être une proposition équilibrée, l'idée étant qu'elle rassemble un très large consensus, y compris dans cette assemblée, afin de nous permettre de disposer rapidement d'outils opérationnels. C'est une attente très forte des gens qui agissent sur le terrain. C'est également un engagement de la ministre Mme Gourault. Consciente des besoins en la matière, elle proposait d'utiliser un autre véhicule législatif, le projet de loi « évolution du logement, de l'aménagement et du numérique » (loi Élan) ou un texte s'inscrivant dans le cadre de la réforme de la procédure pénale. Nous considérons, pour notre part, que cette proposition de loi, très largement approuvée par le Sénat, est parfaitement adaptée. Nous souhaitons donc que, d'ici son examen dans l'hémicycle, l'ensemble des groupes fassent des propositions permettant de l'améliorer encore, afin qu'elle puisse être adoptée à la faveur d'un large consensus. Ce sujet est en effet transpartisan ; il répond à un besoin des élus locaux, quelle que soit leur couleur politique.
Afin que nous puissions nous rendre à la cérémonie d'hommage au colonel Arnaud Beltrame, je vais lever la séance. Nous reprendrons notre discussion à quatorze heures.
La réunion s'achève à 10 heures 25.
Information relative à la Commission
La Commission a désigné Mme Alexandra Louis rapporteure sur le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes (n° 778).
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Erwan Balanant, M. Florent Boudié, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Xavier Breton, M. Vincent Bru, Mme Émilie Chalas, M. Jean-Michel Clément, Mme Typhanie Degois, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Virginie Duby-Muller, M. Philippe Dunoyer, M. Jean-François Eliaou, Mme Élise Fajgeles, Mme Isabelle Florennes, M. Raphaël Gauvain, Mme Marie Guévenoux, M. David Habib, M. Dimitri Houbron, M. Sacha Houlié, M. Sébastien Huyghe, Mme Élodie Jacquier-Laforge, Mme Catherine Kamowski, Mme Marietta Karamanli, M. Philippe Latombe, Mme Marie-France Lorho, Mme Alexandra Louis, M. Jean-Louis Masson, M. Fabien Matras, M. Stéphane Mazars, M. Jean-Michel Mis, M. Paul Molac, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, Mme Naïma Moutchou, Mme Danièle Obono, M. Didier Paris, M. Stéphane Peu, M. Jean-Pierre Pont, M. Aurélien Pradié, M. Bruno Questel, M. Rémy Rebeyrotte, M. Robin Reda, M. Thomas Rudigoz, M. Pacôme Rupin, M. Hervé Saulignac, M. Raphaël Schellenberger, M. Jean Terlier, M. Alain Tourret, Mme Cécile Untermaier, M. Arnaud Viala, Mme Laurence Vichnievsky, M. Cédric Villani, M. Guillaume Vuilletet
Excusés. - Mme Huguette Bello, M. Éric Ciotti, M. Éric Diard, M. Jean-Michel Fauvergue, Mme Paula Forteza, M. Philippe Gosselin, M. Olivier Marleix, M. Éric Poulliat, Mme Maina Sage, Mme Alice Thourot, Mme Hélène Zannier
Assistaient également à la réunion. - M. Dino Cinieri, M. Martial Saddier