Mardi 06 mars 2018
La séance est ouverte à neuf heures dix.
Présidence de Mme Cécile Untermaier
Le groupe de travail sur la démocratie numérique et les nouvelles formes de participation citoyenne tient une table ronde sur « la dimension participative dans l'élaboration et le vote du budget » avec des représentants de la société civile : M. Nicolas Kayser-Bril ; M. Florent André (OpenBudget.fr) ; M. Sébastien Chardron (OpenBudget.fr) ; Mme Cécile Le Guen (Open KnowledgeWhere does my money go).
Chers collègues, notre groupe de travail sur la démocratie numérique et les nouvelles formes de participation citoyenne ouvre sa deuxième série d'auditions, sur le thème de réflexion : « Peut-on développer une dimension participative dans l'élaboration et le vote du budget de l'État ? » Nous recevons ce matin différents acteurs de la société civile pour recueillir leurs réflexions et propositions à cet égard.
Notre groupe travaillera sur ce thème jusqu'au mois de juin. Nous nous avons privilégié deux axes : d'une part, une réflexion sur la transparence, l'accessibilité et l'intelligibilité des données et des documents en matière budgétaire mis à la disposition des citoyens ; d'autre part, la formulation de propositions de nature à permettre, à différentes étapes de la procédure qu'il convient d'identifier – en amont du vote de la loi de finances, après l'adoption de celle-ci et dans l'exécution du budget… –, la participation des citoyens à la décision en matière budgétaire.
Madame, messieurs, les réflexions et les expériences que vous avez menées et continuez de mener nous intéressent.
Monsieur Nicolas Kayser-Bril, vous apparteniez à J++, réseau de journalistes spécialisés dans le datajournalisme, fondé en 2011, qui a notamment coordonné des projets et enquêtes relatifs à la question des migrants et des politiques migratoires, pour faire le point sur le coût de la lutte contre l'immigration et le coût financier des politiques migratoires. La question de l'évaluation financière des politiques publiques est au coeur de vos préoccupations et votre retour d'expérience nous sera utile.
Messieurs Florent André et Sébastien Chardron, vous représentez pour la France 1'initiative Open Budget, lancée dans plus de 100 pays, visant à l'adoption de systèmes de finances publiques transparents, responsables et participatifs. Une enquête menée par votre association a abouti à un classement des États selon leur degré d'ouverture en matière budgétaire. Le rapport comporte une fiche synthétique sur la situation de chaque État, assortie de recommandations. Vous nous en direz davantage, en évoquant notamment la situation de la France et son classement.
Mme Cécile Le Guen interviendra au nom de l'association britannique Open Knowledge, créée en 2004 et représentée en France depuis 2013. Elle a pour objet statutaire « la promotion, l'accès, la diffusion, le partage et la réutilisation du savoir libre sous toutes ses formes », afin que chacun puisse acquérir les compétences nécessaires pour réutiliser des données. Elle organise notamment des ateliers de formation dans le cadre du budget participatif de la Ville de Paris.
Permettez-moi de préciser que nous avons dissous J++, dont j'étais président, à la fin de l'année dernière.
Nous travaillons effectivement depuis longtemps sur l'évaluation de certaines politiques publiques. Ces trois dernières années, nous avons travaillé au sein du projet cofinancé par la Commission européenne « OpenBudgets.eu. » Nous nous sommes particulièrement attachés à comprendre comment les journalistes et les citoyens pouvaient travailler avec les données budgétaires.
En caricaturant à peine, je dirai que nous nous sommes demandé pendant trois ans pourquoi on avait tant parlé des 30 000 euros de notes de taxi d'Agnès Saal, alors que l'on ne parle absolument pas d'affaires de corruption dont l'enjeu peut se chiffrer en dizaines de millions d'euros.
Pourquoi s'intéresse-t-on autant à de toutes petites sommes qui, d'un point de vue budgétaire, ne devraient pas avoir d'importance, alors que, dans le même temps, on ignore totalement des problèmes beaucoup plus graves ? Nous avons trouvé la réponse : si les journalistes et, par extension, la plupart des citoyens semblent ne pas agir de manière rationnelle quand il s'agit d'analyser les données budgétaires, c'est, en premier lieu, en raison d'un problème de littératie numérique. Il est bien difficile, à moins d'être expert, de faire la différence entre des millions et des milliards d'euros. C'est tout à fait normal : dans d'autres domaines, nous serions bien en peine de faire la différence entre les ordres de grandeur et de bien saisir ce qu'ils signifient. Ce qui « fonctionne », en revanche, du point de vue journalistique et citoyen au sens large, ce sont les écarts à la norme. Si on a beaucoup parlé de « l'affaire Agnès Saal », c'est parce que chacun, dans cette pièce et dans le pays, est capable de comprendre que 30 000 euros par an de frais de taxi, ce n'est pas normal. En revanche, si 10 millions d'euros disparaissent des subventions reçues par l'université des Antilles, personne ne sait ce que cela signifie. Est-ce normal ou pas ? Et quel est le budget de l'université des Antilles ?
Le problème, c'est l'écart à la norme, encore que l'on puisse se tromper sur la norme. Tous les cinq ans, les journalistes s'étonnent que les présidents aient des maquilleurs ou des coiffeurs à disposition et que ces gens soient payés. Or, si cela ressort tous les cinq ans, c'est donc qu'il est tout à fait normal, pour une personnalité comme le président de la République, d'avoir du personnel à disposition pour se faire coiffer et maquiller.
Si ce sont les écarts à la norme qui permettent de comprendre des lignes budgétaires, il faut, pour être capable de lire un budget, avoir acquis une connaissance de la norme, ce qui est évidemment compliqué : ce n'est pas pour rien qu'il faut faire des études pour devenir comptable. Qui plus est, dans certains pays, la norme, en fait de budgets publics, n'existe pas. En Allemagne, où je vis, il n'y a pas de normes pour les budgets publics. En France, la présentation des budgets des régions, des municipalités, de l'État obéit à des règles très précises ; en Allemagne, chaque établissement public, chaque administration fait absolument ce qu'il veut, ce qui rend impossible toute comparaison. Nous n'en pouvons pas moins rencontrer des difficultés analogues en France : dans certaines villes, selon que tel ou tel est maire, une même dépense pourra être imputée sur telle ligne budgétaire ou sur telle autre ; il est bien difficile, dans ces conditions, de savoir ce qui est normal ou pas.
Cela étant, les informations pertinentes pour déterminer ce qui est normal et ce qui ne l'est pas ne sont pas dans les budgets. Dans le cadre du projet « OpenBudgets.eu », nous avons analysé plusieurs dizaines, voire une centaine, de « problèmes » européens. J'entends par là que nous avons cherché des réponses à des questions journalistiques en utilisant les données budgétaires : combien coûte une politique publique ? Combien coûtent les expulsions dans l'Union européenne ? Combien coûte l'entretien d'un stade ? Quel est le montant des subventions accordées aux clubs de football professionnels ? Il est impossible d'obtenir la réponse à ces questions en utilisant les données budgétaires, quand bien même celles-ci sont entièrement ouvertes. Nous en avons également fait l'expérience avec la ville de Bonn : l'ensemble du budget est disponible en open source, mais c'est dans les documents parabudgétaires que se trouvent les réponses. Il est impossible d'analyser un partenariat public-privé en utilisant les données budgétaires : il faut avoir accès aux contrats, qui ne sont jamais transmis quand on les demande.
Comment faire pour que les journalistes et, par extension, les citoyens puissent analyser de façon cohérente les données budgétaires ? Il faudrait d'abord que les rédactions recrutent des personnes compétentes en la matière, des experts-comptables – mais c'est le problème des rédactions. Il faudrait surtout, et là, c'est le vôtre, mesdames et messieurs les députés, que les institutions publiques rendent transparentes les données parabudgétaires. Il faudrait donc que soient appliquées les dispositions législatives relatives à la liberté d'accès aux documents administratifs, ce qui n'a jamais été le cas.
Madame la présidente, selon l'étude que vous avez citée, réalisée par l'Open Knowledge Foundation (OKFN), la France se situe au quatorzième rang du classement des États, publiant des données. L'organisation mondiale OKFN regroupe de nombreuses personnes et était l'un des porteurs du projet « OpenBudgets.eu ». Nous avons été sélectionnés pour représenter en France « OpenBudgets.eu » et expérimenter au niveau local la plateforme et l'ensemble des outils mis à disposition.
Nous avons commencé à travailler sur les budgets en 2014. En 2015, nous avons été finalistes du concours Dataconnexions grâce à une expérimentation visant à permettre au public de mieux appréhender ces importantes masses de dépenses au niveau national. Le citoyen indiquait le montant de ses impôts et en voyait la répartition entre grandes masses budgétaires au niveau national. C'était le début des expérimentations.
Nous avons continué, en 2016, à participer à différents événements – datathons, hackathons –, avec la Cour des comptes, auprès de la mairie de Paris et à l'Élysée, dans le cadre du Partenariat pour un gouvernement ouvert (PGO, ou OGP pour Open Government Partnership). Notre idée a toujours été de trouver de petits outils de représentation visuelle qui permettent d'appréhender le niveau budgétaire considéré en fonction des problématiques des citoyens ou des personnes visées ; nous avons ainsi eu l'occasion d'échanger avec des journalistes, des chercheurs, des professeurs, des étudiants, des lycéens, des citoyens, des agents publics.
De notre point de vue, une grande transparence des données budgétaires et parabudgétaires, sous des formats standards qui répondent aux plus hautes exigences de qualité – les cinq étoiles de Tim Berners-Lee –, est nécessaire. C'est le socle sur lequel pourront s'appuyer la création d'outils et les travaux de chercheurs et de spécialistes de l'éducation, afin de rendre ces données plus accessibles et créer des services à même de répondre à certaines préoccupations des agents publics et des citoyens. Il faut vraiment pouvoir afficher des données, les mettre en scène graphiquement, les rendre compréhensibles, qu'il s'agisse des grandes masses de la loi de finances ou de certains sujets plus particuliers, de points d'entrée spécifiques dans les domaines, de l'éducation, du sport, etc., qui nécessiteront certains types de travaux, certaines visualisations particulières. Il faut aussi des niveaux de granularité différents – certaines populations sont très intéressées par le niveau le plus local, d'autres par le niveau régional. Il faut donc penser cette participation citoyenne et démocratique en fonction des différents profils, des différentes problématiques des uns et des autres, mais nous ne pensons pas que le numérique soit à lui seul la solution. La question doit être abordée plus généralement, il faut un accompagnement au jour le jour et à l'occasion d'événements des différents agents publics, des personnels éducatifs, des citoyens en général. Le numérique permet une action plus forte, mais il n'est pas à lui seul la réponse.
Cela suppose également un répertoire de données en un endroit précis, un stock de données de grande qualité, qui y facilite l'accès – récupérer toutes ces données et faire tout ce travail est très compliqué. Il faut un espace commun numérique – c'est toute la problématique des commons –, géré et mis en oeuvre par les différents acteurs de la société, les pouvoirs publics, la société civile, le monde de la recherche et l'éducation, qui travailleraient cette matière, la rendraient disponible, la feraient évoluer au fil du temps et proposeraient des services adaptés aux différentes problématiques des uns et des autres.
Un problème se rencontre en France, mais également dans le reste de l'Union européenne : celui de l'accompagnement des collectivités territoriales de taille intermédiaire en vue de l'ouverture des données, rencontré en France lors des tests effectués mais aussi dans le reste de l'Union européenne. Faute de disposer d'un chief data officer, elles se heurtent à des difficultés d'ordre technique mais aussi culturel. Les agents ne savent pas comment faire, quels sont les modes d'exportation des données, quelle sécurité peut être assurée. Il serait bon d'accompagner davantage et de normaliser le processus, précisément pour sécuriser l'approche des différents agents qui souhaiteraient s'engager dans cette voie. Souvent, la volonté politique se fait jour, mais le problème peut sembler insurmontable à certains agents publics, dans des collectivités de petite taille – nous nous en rendons compte lorsque nous rencontrons le personnel administratif. En aidant et normalisant, cette ouverture serait facilitée.
Si le Parlement travaille ainsi sur le projet de loi de finances (PLF), s'il met à disposition les données du PLF et montre ce qui peut être fait concrètement, rapidement et utilement, son exemple pourra ouvrir la voie au reste de la société.
La transparence des données est évidemment importante, mais n'oublions la nécessité de toute une pédagogie en amont. Il ne s'agit pas de commencer par ouvrir ces données et de les publier dans un format utilisable et compréhensible ; il s'agit bien sûr de travailler en amont à tout un système qui permette de les rendre intelligibles et compréhensibles d'une grande partie de la population. La publication des données dans un format plutôt ouvert incite évidemment au développement de supports visant à la communication mais aussi à la pédagogie. Cela permettrait aussi un contrôle citoyen.
Pour ce qui est de la participation, les citoyens, les organisations non gouvernementales (ONG), la société civile ont évidemment tout intérêt à comprendre ces données. Les données du budget sont déjà publiées ; il serait très intéressant de disposer aussi des données relatives aux dépenses publiques. C'est un travail au plus long cours, mais cela permettrait une participation plus effective.
Reste le vote. Faudrait-il que les citoyens puissent effectivement participer au vote du projet de loi de finances ? Faudrait-il aller jusqu'à modifier la Constitution ? Je ne sais pas. En tout cas, la question se pose. Cela dit, il peut être envisagé au niveau national de solliciter la participation des citoyens à la définition d'orientations budgétaires. Faut-il leur donner la possibilité de faire un choix au moment où ils déclarent leurs revenus ? Faut-il utiliser des machines, organiser un vote numérique ? Ces questions doivent être posées. C'est tout un système qui reste à mettre en place.
Merci beaucoup pour ces introductions, très complètes et très claires.
Votre expérience vous a-t-elle déjà permis, madame, messieurs, d'identifier des données précises, des jeux de données ou des modèles qu'il resterait encore à ouvrir et dont notre groupe de travail pourrait expressément demander l'ouverture ? Avez-vous développé ou rencontré au cours de vos recherches des outils utiles aux administrations ou aux citoyens, par exemple des outils de datavisualisation ? Des exemples concrets nous permettraient de bien comprendre l'intérêt de ces applications et de ces services qui peuvent être créés par la société civile.
Dans le cadre de notre mission, nous allons organiser un hackathon. Quel serait le hackathon de vos rêves ? Quelles ressources pourraient être mises à la disposition des acteurs réunis ? Comment organiser tout cela au mieux pour parvenir à des résultats concrets ?
En fait de jeux de données, Mme Le Guen l'a très bien dit : le plus intéressant, ce sont les dépenses. De ce point de vue, vous pouvez prendre exemple sur la Commission européenne qui, à ma connaissance, est la seule grande institution à rendre publiques toutes ses dépenses – ce n'est pas non plus la panacée, mais c'est quand même le mieux que l'on puisse faire.
Quant aux outils et visualisations, je vais être obligé de vous décevoir : il ne sert strictement à rien de chercher un outil idéal ou une visualisation idéale même si l'utilisation des formats ouverts est évidemment le meilleur moyen de procéder. Les données budgétaires ne sont intéressantes que si elles permettent de répondre à une question, et, parfois, une phrase suffit : « Telle ville, tel ministère est géré n'importe comment ». Pas besoin d'une visualisation pour le comprendre ! A contrario, on peut être amené à s'intéresser à des problématiques beaucoup plus fines, auquel cas il faut développer des outils différents.
Je ne cherche pas l'outil idéal. Je voudrais simplement une illustration sur un cas concret qui puisse montrer l'intérêt de ce genre de démarche.
Je comprends bien, mais il est difficile de trouver un exemple précis. Ce qui était intéressant, par exemple, dans les Paradise Papers, ce n'était pas la visualisation ou l'outil utilisé, c'était de dire que telle entreprise ou telle personne agissait mal.
Le champ est très vaste, mais notre propre réflexion se concentre sur le budget de l'État. Nous voudrions pouvoir nous appuyer sur des dispositions vertueuses dont nous aurions déjà l'exemple, en France ou en Europe.
Je vais tenter de vous répondre, car nous défendons un point de vue un peu moins radical que celui de Nicolas Kayser-Bril. Certes, une visualisation parfaite des données n'existe pas, et quand bien même, elle ne permettrait pas de résoudre tous les problèmes, mais nous considérons néanmoins qu'en agrégeant certaines données, on peut améliorer la compréhension.
Lors d'un travail d'analyse des données au niveau local, nous avons par exemple voulu créer un graphique de l'évolution des dépenses d'une mairie liées à l'énergie. Au niveau de l'État, nous avons pu récupérer à l'occasion d'un hackathon à l'Élysée des séries budgétaires sur les années 2013 à 2015, qui nous ont permis de constater une très importante inflexion de la courbe d'une certaine catégorie de dépenses. À partir de là, nous avons donc approfondi l'analyse pour tenter de trouver des pistes d'explication. L'analyse des séries est toujours intéressante, car elle permet de mettre au jour certaines questions et d'ouvrir des pistes de réflexion.
Dans la mesure où nous nous intéressons à la participation citoyenne, je ne souhaite surtout pas que nous nous enfermions dans un discours d'expert. Notre souci est de rendre intelligible le budget de l'État à tout citoyen, afin qu'il puisse se poser les bonnes questions ; nous verrons dans un second temps comment il pourra y participer.
Monsieur Kayser-Bril, j'aurais par exemple souhaité que vous nous parliez du site cookingbudgets.com, car il m'a paru un outil à la fois pédagogique et ludique pour comprendre comment fonctionne un budget et ce qui peut générer de la corruption.
Cooking Budgets est une série de tutoriels permettant aux journalistes et à tous ceux qui le souhaitent de mieux comprendre comment fonctionnent les budgets publics – mais hélas pas les budgets nationaux.
Pour en revenir néanmoins aux budgets nationaux, un des constats intéressants ressortis de l'étude que nous avons menée dans le cadre du projet « Openbudgets.eu », c'est que lorsqu'on veut savoir ce que coûte une politique publique ou si elle est efficace, il est impossible de le faire à partir d'un seul budget institutionnel, dans la mesure où chaque politique engage plusieurs acteurs institutionnels. On ne peut donc raconter une histoire à partir d'un seul jeu de données, local, régional ou national : il faut à chaque fois s'intéresser à divers acteurs.
La publication des données en format ouvert est également intéressante pour la participation, parce que cela permettrait de les croiser avec les données d'autres ministères ou d'autres administrations publiques et d'avoir une vue d'ensemble.
Il est donc important de publier ces données, mais encore faut-il qu'elles soient accompagnées de la documentation qui permettra au citoyen d'avoir une vision intelligible du budget et de s'en saisir réellement ; mais aussi qu'elles soient interopérables, dans un format qui autorise les comparaisons – qu'il s'agisse de l'attribution des marchés publics, par exemple, ou de l'aide au développement – afin d'avoir une vision globale du budget de l'État et de la manière dont il dépense son argent.
Je voulais également mentionner le site anglais, Where does my money go ? – Où va mon argent ? – qui, de manière certes très simplifiée, expose aux citoyens comment l'État répartit l'argent de leurs impôts ; cela n'a rien d'exhaustif, cela aide à une première compréhension.
Vos propos renvoient à deux objectifs : introduire de la transparence dans les finances publiques et rendre leur analyse possible pour les citoyens. Or il me semble que ce sont deux problématiques distinctes, qui ne me semblent pas, selon moi, pouvoir être abordées de la même manière selon que l'on s'intéresse au budget des collectivités locales ou à celui de l'État.
La transparence est de droit, et je vous accorde qu'il faut tout faire pour l'améliorer encore, mais ne pensez-vous pas que la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), qui existe depuis 2001 et s'applique depuis 2006, et qui a notamment structuré l'examen du budget selon trois niveaux – missions, programmes et actions – est de nature à faciliter la lecture du budget par nos concitoyens ? Le budget de la France est conçu selon une logique de performance établie en fonction d'une nomenclature budgétaire pratiquement inchangée depuis 2006 : son examen et sa certification par la Cour des comptes donnent lieu à des analyses tout à fait intéressantes, au travers notamment des rapports annuels de performance pour chaque mission.
Comment faire par ailleurs pour que la lecture du budget puisse s'appuyer sur l'ensemble des travaux réalisés par les députés, qu'il s'agisse des rapports des rapporteurs spéciaux, des missions d'information ou de nos instances de contrôle ?
Vous avez assez peu abordé le budget de la sécurité sociale, qui constitue le deuxième pilier des finances publiques françaises, ce qui n'en facilite d'ailleurs pas la compréhension dans la mesure où il existe entre ces deux budgets des tuyaux, parfois même à double sens au niveau des recettes, dont peu de spécialistes sont capables d'apprécier la nature.
Notre commission des finances réfléchit à une refonte totale de nos procédures d'examen des textes financiers, dans l'idée d'accorder beaucoup plus de temps à la loi de règlement, qui entérine l'état réel du budget en fin d'année. Nous n'y consacrons aujourd'hui qu'une petite quinzaine de jours, ce qui ne permet pas une évaluation correcte de nos politiques publiques. Je m'étonne donc que vous n'ayez pas mentionné la loi de règlement.
Enfin, l'un d'entre vous a évoqué brièvement la Cour des comptes. Or la Cour réalise des travaux très intéressants, à notre goût insuffisamment exploités. J'aimerais connaître votre appréciation sur ces outils fort utiles pour aider les citoyens à comprendre et à analyser les comptes publics. En effet, si l'analyse des comptes des collectivités locales est un exercice relativement accessible, celle des comptes de l'État, nécessite une technicité que peu de citoyens possèdent.
Vous exprimez parfaitement l'état d'esprit de notre commission : il faut en finir avec l'opacité. Le budget de l'État, c'est avant tout un budget au service des citoyens. D'où la complexité du but que nous nous sommes fixé, qui est d'en terminer avec cette forteresse budgétaire à laquelle personne n'a accès.
Je suis surpris de vous entendre parler de freins technologiques ; pour ma part, ce sont plutôt des freins politiques que je constate sur le terrain. Toutes les collectivités locales, à l'exception peut-être des plus petites communes, ont leurs données sur un tableau Excel. La vraie question est de savoir si elles ont vraiment envie de les mettre à disposition du public. Mettre un fichier CSV sur un serveur n'est pas si compliqué… J'ai fait quelques petits tests dans mon département et ma région : sous couvert de problèmes technologiques, c'est l'opacité qui prévaut. Il ne me semble donc pas que notre débat doive porter sur les modèles d'outils : il en existe de très bons, dans la métropole de Toulouse comme à Montpellier. Ce qu'il faut, c'est que les collectivités locales se sentent dans l'obligation de faire montre de transparence.
L'une des questions à laquelle il nous faut également répondre est de savoir ce: que veut voir le citoyen lorsqu'il examine le budget ? Selon moi, ce ne sont pas les grandes lignes budgétaires qui l'intéressent, car il n'est pas comptable, mais plutôt la façon dont sont allouées les ressources, par exemple au sport et, dans le sport, à quelle discipline en particulier… Nous devons être capables de lui fournir non pas des normes mais les informations qui intéressent son quotidien.
Madame Le Guen, il me semble que vous avez participé à l'élaboration du budget participatif de la ville de Paris. Pouvez-vous nous en parler concrètement ?
Voilà qui constitue une excellente transition pour aborder la question de la participation citoyenne, à propos de laquelle nous sommes curieux de vous entendre sur vos expériences réussies comme sur les difficultés que vous avez rencontrées.
Je fais partie d'une association qui s'appelle L'École des données et qui travaille depuis quelques années avec la ville de Paris pour coconstruire le budget participatif, le rendre plus accessible aux citoyens, encourager leur participation, non seulement au moment de la soumission de projets mais également dans le suivi de leur réalisation.
Nous accompagnons notamment la ville dans son travail de publication des données relatives au budget participatif. En novembre dernier, nous avons organisé un atelier citoyen au cours duquel nous nous sommes penchés sur l'histoire et la sociologie du budget participatif pour examiner qui avait soumis des projets, de quelle nature et avec quels résultats. Nous avons également tenté de mesurer la satisfaction citoyenne et de savoir si les données publiées répondaient aux questions que se posaient les citoyens. Pour ce faire, nous avons organisé des consultations qui nous ont permis de récolter un large échantillonnage des questions que se posent les Parisiens sur le budget participatif : quels quartiers soumettent quels types de projets ? Ce budget participatif est-il utile ? Quels en sont les résultats concrets ? En croisant ces questions avec les données existantes, qu'il s'agisse des informations publiées dans la presse et ailleurs ou des données issues d'un fichier CSV, nous sommes arrivés à la conclusion que ces données ne permettaient pas de répondre aux questions des citoyens. Nous travaillons donc actuellement avec la ville pour l'aider à faire évoluer les paramètres de ces jeux de données.
Je reviens sur la question des freins technologiques, monsieur Démoulin. Pour accompagner un grand nombre de collectivités locales, et notamment en Occitanie, je puis vous assurer que certaines collectivités ou certaines administrations sont loin de pouvoir publier leurs données facilement, non par mauvaise volonté mais parce qu'ils restent encore de puissants freins technologiques à la publication de données complètes, intelligibles, interopérables et dans un format ouvert.
La technologie existe, mais un gros travail d'acculturation des agents est encore nécessaire. L'agent public, le parlementaire, le maire sont les premiers citoyens à devoir prendre en main les outils numériques pour participer à la publication des données, répondre aux questions que peuvent se poser les citoyens ; c'est à eux que revient le rôle du facilitateur qui amplifie l'implication citoyenne autour du budget – c'est à dessein que j'emploie le terme d'implication plutôt que celui de participation, car il me semble englober des approches plus larges, comme le questionnement ou l'audit.
Du coup, il est évidemment nécessaire de disposer de tous les documents parabudgétaires, notamment pour ce qui touche aux aspects réglementaires, légaux ou juridiques. Ce sont des données de nature différente et qui se traitent donc différemment, mais, dans la mouvance du legal design, beaucoup a déjà été fait pour permettre l'usage de ces textes. Lorsque l'on prend, par exemple, les rapports produits par les parlementaires ou la Cour des comptes, ils comportent un certain nombre de chiffres qu'il est techniquement possible de « mettre en action », en introduisant dans une base ces données, sous une forme standard, interopérable, etc., où grâce à des algorithmes, il devient possible de fournir directement au citoyen une réponse à ses questions. Et cette réponse ne sera pas celle d'un membre de la Cour des comptes ; elle sera le résultat de tout un ensemble d'intermédiations. L'enjeu est donc de parvenir, tout au long du cycle budgétaire, à mettre en action les données de différente nature et d'équiper les agents publics d'outils adaptés aux problématiques qu'ils ont à traiter.
La Cour des comptes est engagée dans le plan d'action national pour un gouvernement ouvert et publie depuis deux ans ses données dans un format ouvert et interopérable ; cet effort doit être poursuivi au cours des deux prochaines années. Je ne saurais trop inviter d'autres administrations indépendantes et, pourquoi pas, les corps d'inspection à l'imiter.
Pour en revenir au PLF, certains référentiels ont été modifiés pour le budget de 2018. Ce serait, selon moi, une bonne occasion de faire oeuvre de pédagogie budgétaire et de communiquer sur les raisons qui ont conduit à ces changements et sur ce qu'ils apportent en termes d'analyse.
Les rapporteurs spéciaux font toujours, et c'est heureux, état de ces modifications dans leurs rapports. Reste qu'il est toujours difficile de repérer les informations pertinentes dans la masse des données budgétaires.
Sans être spécialiste des budgets, j'imagine que, par un système de liens, on devrait pouvoir circuler rapidement d'une donnée budgétaire aux rapports annuels de performance qui lui sont attachés. Il s'agit là, selon moi, d'une exigence du même ordre que ce que l'on fait avec une bibliographie et des notes de bas de page dans un ouvrage savant. C'est en tout cas dans cette révolution culturelle que nous voulons nous inscrire.
L'idée selon laquelle il suffirait d'appuyer sur un bouton pour lier les données budgétaires à toute la documentation parabudgétaire et avoir ainsi les réponses aux questions que se posent les citoyens sur l'allocation des ressources me paraît utopique pour toutes une série de raisons, à commencer par tout ce qui touche à la rémunération des personnels : pour savoir ce que représente budgétairement tel ou tel équipement sportif, il faut connaître le temps qu'y auront consacré les agents publics. Or ce temps n'est jamais enregistré. Pour obtenir les bonnes réponses, il faut donc faire de la comptabilité analytique, ce que fait très bien la Cour des comptes – ce serait mieux si ses rapports étaient communicables –, ou ce que font tous les cabinets de conseil. Mais tout cela coûte énormément d'argent. Il est bien évident que les citoyens ne peuvent faire cela tout seuls.
La LOLF a-t-elle changé quelque chose en la matière ? J'ai la chance de ne pas travailler que sur la France, et donc de pouvoir comparer le budget de l'État français à celui de vingt-huit autres collectivités nationales. Il est vrai que les budgets publics français sont les mieux organisés, et ce depuis les années cinquante, pas seulement depuis 2001. Certes, la comptabilité publique française est extrêmement moderne, mais il est plus intéressant de s'interroger sur le lien entre les données et leur utilisation : malgré cette excellence – il est effectivement très agréable d'analyser les données budgétaires françaises –, il est difficile de travailler quand on voit des députés en peignoir avec des billets de 200 euros dans leurs poches, dont personnes ne sait d'où ils viennent.
À l'inverse, la comptabilité publique en Allemagne est proprement exécrable, beaucoup d'institutions n'ont même pas de comptabilité à double entrée : autrement dit, elles en sont encore au Moyen âge. Mais il est bien plus facile de travailler avec les Allemands et d'obtenir une réponse aux questions que l'on se pose car ils sont totalement transparents et leurs représentants ne se baladent pas avec des billets de 200 euros dans les poches de leur peignoir…
Mais l'excellence française en matière de données n'est-elle pas un bon socle pour bâtir cette transparence ?
Par ailleurs, si la France est relativement bien classée en la matière, d'autres États – Norvège, Nouvelle-Zélande, Afrique du Sud par exemple – arrivent devant elle. Connaissez-vous leur fonctionnement budgétaire ? Qu'est-ce qui fait la différence ?
Je connais peu la Norvège, mais j'ai étudié et développé des contacts avec l'Afrique du Sud. Leur classement au sein de l'International Budget Partnership est effectivement excellent. Ce classement prend en compte deux critères : l'efficacité avec laquelle les États réussissent à publier des informations pédagogiques, et la publication par les administrations de données ouvertes.
Comment l'Afrique du Sud est-elle sortie première de ce classement ? Ils ont tout d'abord constitué un « budget citoyen », sous la forme d'un document de quatre pages maximum explicitant la démarche et les différentes étapes budgétaires – la consultation, le vote, l'exécution et la façon dont le budget est réparti. En partenariat avec une coalition d'associations de la société civile, le Trésor sud-africain durant deux ans a organisé des consultations citoyennes qui ont permis de comprendre quelles questions les citoyens se posaient sur le budget. Le « budget citoyen » y a ensuite répondu de façon simple. Parallèlement, ces associations ont aussi accompagné le Gouvernement dans la publication de ces données en créant une plateforme. Ce n'est pas miraculeux, cela ne signifie pas que les citoyens se saisissent nécessairement de ces informations, mais cela améliore la transparence. Pour quoi faire ? Outre le fait que le citoyen final peut se saisir de cette information, il faut également penser aux médiateurs – personnes, organisations non gouvernementales ou autres intermédiaires – qui se chargent de collecter ces données complexes, rendues ainsi plus aisément disponibles et de transmettre ces informations aux citoyens.
Je veux seulement indiquer à M. Kayser-Bril que je ne pense pas être une députée en peignoir avec des billets de deux cents euros dans la poche ! Madame la présidente, madame la rapporteure, je quitte donc le groupe de travail.
Je faisais seulement référence à un article publié dans un journal français.
Je vous saurai gré d'éviter de colporter ce genre d'informations. Nous sommes ici cinq cent soixante-dix-sept députés et nous essayons de faire notre travail. La caricature ne fait pas avancer le débat !
Nous avons ouvert des pistes et nous allons clairement avoir du travail jusqu'en juin. Le sujet n'est pas simple. Pour le moment, rien n'est abouti. Certains exemples étrangers sont intéressants. La volonté d'ouverture est réelle, mais nous devons poursuivre nos auditions afin de poser d'un véritable diagnostic.
Je reviens sur ma question concernant le hackathon car je n'ai pas eu de réponse : de quelles ressources auriez-vous besoin pour produire un résultat en une ou deux journées ? Quels seraient les outils les plus adaptés ?
Nous aurions principalement besoin de sponsors internes – agents publics ou personnalités politiques – en charge du budget au sein de différentes organisations, des personnes motivées, intéressées par le sujet et ouvertes à la mise en commun de leur expertise, de leurs connaissances et de leurs données dans des outils Open Spending.
On trouve ce type de compétences à la Cour des comptes, au ministère du budget ou parmi les parlementaires. Il serait également très intéressant d'associer un ministère chargé de l'exécution budgétaire, afin d'étudier comment on peut mettre en valeur ses données.
Monsieur Kayser-Bril, je ne veux pas que l'on revienne sur cet incident et je refuse de vous donner la parole sur cette question.
Quel serait le format idéal du hackathon ? Je partage l'avis de M. André sur la composition. On pourrait utilement associer la direction générale des finances publiques (DGFIP), des administrations de Sécurité sociale, ainsi que la fonction publique hospitalière – consommateurs d'une grande partie du budget – et les corps d'inspection qui réalisent un énorme travail d'analyse sur les données budgétaires. Il faudrait également inviter des organisations médiatrices de la société civile utilisatrices de ces données : Transparency International, Anticor, Regards citoyens ou Oxfam.
Mme la rapporteure m'indique que vous avez réalisé un hackathon à l'Élysée : qu'en avez-vous retiré ? Cela a-t-il abouti à des recommandations ? Nous pourrions en tirer parti et prolonger cette réflexion dans certaines directions, en fonction de vos premières conclusions.
La rencontre était riche, en termes tant de profils que d'expertises. Nous avons produit plusieurs visualisations. Il ne s'agit pas d'une révolution, mais cela nous a permis de poser d'intéressantes questions. Nous n'avons pas très bien communiqué sur le sujet car la dynamique n'est pas encore suffisamment assurée, mais il s'agit malgré tout de la mise en mouvement d'un ensemble d'acteurs dans un but de transparence et de participation citoyenne.
Nous pourrions reprendre les éléments dégagés lors de cet événement afin de lister des sujets de travaux plus précis et des recommandations dans l'organisation et le déroulé du hackathon. Si cet événement doit être dédié au budget, il conviendra de prévoir plusieurs temps afin notamment d'expliquer la notion de cycle et de fournir en amont des données de base sur lesquels les gens pourraient travailler en préalable. Il pourrait également être utile d'associer des étudiants qui travaillent sur ces sujets dans le cadre de leurs cours. Cela créerait une dynamique en amont, ce qui permettrait ensuite d'embarquer davantage de gens.
J'ai également participé à ce hackathon : c'est d'ailleurs là que j'ai rencontré M. André puisque nous étions dans la même équipe. Ce hackathon a mis en lumière des procédés permettant d'aboutir à une classification simplifiée du budget. J'ai ainsi passé du temps à étudier la façon dont l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) traduit la loi de finances et le budget de l'État dans une classification simplifiée. Cet événement avait duré à peine une journée, ce qui n'avait pas permis d'aboutir à de grandes conclusions. Si nous devions retravailler sur cette thématique, il serait intéressant de prolonger ces travaux pendant deux jours pour travailler sérieusement sur ces questions.
Je vous remercie d'avoir contribué à nos travaux. N'hésitez pas à continuer à les suivre et à nous transmettre par écrit vos éventuelles observations ou suggestions.
La séance est levée à dix heures quinze.
Présences en réunion
Réunion du mardi 6 mars 2018 à 9 heures
Présents. – M. Nicolas Démoulin, Mme Paula Forteza, Mme Florence Granjus, Mme Véronique Louwagie, Mme Cécile Untermaier