Commission des affaires sociales

Réunion du mercredi 5 janvier 2022 à 9h35

Résumé de la réunion

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  • alcool
  • cannabis
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La réunion

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COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 5 janvier 2022

La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.

La commission procède à l'examen de la proposition de loi relative à la législation de la production, de la vente et de la consommation du cannabis sous le contrôle de l'État.

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Chers collègues, avant de céder la parole au rapporteur, auquel je souhaite la bienvenue dans notre commission, je vous présente, ainsi qu'à ceux qui vous sont chers, tous mes vœux pour l'année 2022.

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J'adresse à mon tour mes meilleurs vœux à tous mes collègues, en particulier des vœux de santé. Je vous remercie de m'accueillir pour présenter une proposition de loi cosignée par les membres du groupe La France insoumise mais aussi par une dizaine de collègues de cinq autres groupes politiques, dont certains, une fois n'est pas coutume, de La République en Marche ; je ne doute donc pas que la majorité réservera un accueil bienveillant, voire favorable, à la proposition de loi et qu'au moins celle-ci donnera lieu à une discussion argumentée et non pas caricaturale comme le sont parfois les débats sur cette question.

Il y a six mois, à l'issue d'un travail colossal d'un an et demi, la mission d'information commune de l'Assemblée nationale relative à la réglementation et à l'impact des différents usages du cannabis présentait ses conclusions définitives. Le bilan est sans appel : la politique de prohibition du cannabis menée en France depuis cinquante ans est un échec total.

Dans le prolongement de ces travaux, de la proposition de loi défendue au printemps dernier par notre collègue François-Michel Lambert, cosignataire de la présente proposition de loi, et d'une autre que j'ai déposée avec plusieurs signataires du texte qui vous est présenté aujourd'hui, je vous propose de suivre le chemin emprunté ces dernières années par d'autres pays – l'Uruguay, plusieurs États des États‑Unis d'Amérique, le Canada et prochainement l'Allemagne – pour légaliser enfin la production, la distribution, la vente et l'usage du cannabis, sous le contrôle strict de l'État.

Les dégâts dus au trafic de drogue sont à l'origine du présent texte. Ce trafic, qui est à plus de 80 % celui du cannabis, tue. Il tue socialement les populations qui le subissent, notamment dans les quartiers populaires. Il tue les consommateurs qui absorbent un produit de plus en plus toxique. Il tue aussi les « petites mains » de la drogue, quelque 240 000 personnes qui survivent dans des conditions de travail ubérisées, à l'ouvrage jours, nuits et week-ends, sans parler des petits dealers qui connaissent la précarité.

Alors que la France est l'un des pays dont la législation est la plus prohibitive et répressive qui soit en matière de trafic et d'usage, elle est aussi à la première place en Europe pour la consommation de cannabis : 45 % des adultes de 18 à 64 ans ont déjà consommé du cannabis, contre 29 % en moyenne européenne, et l'on dénombre 1 500 000 consommateurs réguliers et 900 000 consommateurs quotidiens. Le risque n'est donc pas de voir la consommation de cannabis exploser dans les années à venir : elle a déjà explosé et reste à un niveau très élevé. Le trafic ne se tarit pas, alors que des moyens humains toujours plus importants sont consacrés à le combattre : on estime que la lutte contre les trafics de stupéfiants équivaut à un million d'heures de travail policier.

Comme pour tous les produits considérés comme stupéfiants, la vente et la consommation de cannabis sont interdites en France. Cette interdiction a été fixée par une loi de 1970, dans un contexte de consommation accrue de drogue et à la suite du décès très médiatisé d'une jeune fille victime d'une overdose d'héroïne au casino de Bandol. Ce texte entendait apporter une réponse harmonisée à la consommation et au trafic de stupéfiants en plaçant le cannabis sur le même plan que des drogues dites dures comme la cocaïne, l'opium et l'héroïne.

Aujourd'hui, le code de la santé publique prévoit que l'usage illicite du cannabis peut être puni, en théorie, d'une peine d'un an d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende. Depuis le 1er septembre 2020, une amende forfaitaire délictuelle pour usage de stupéfiants d'un montant de 200 euros peut être appliquée directement par les forces de l'ordre. Pour les crimes et délits liés au trafic de stupéfiants, le code pénal prévoit des sanctions pouvant atteindre dix ans d'emprisonnement et 7 500 000 euros d'amende.

Quel est le résultat tangible de cette politique et des dispositifs mis en place par le ministère de l'intérieur depuis quelques mois, avec un discours comparable à celui qu'ont tenus ministres de l'intérieur après ministres de l'intérieur, chacun affirmant qu'avec lui la consommation et le trafic de drogue allaient reculer ? Certes, les prises sont plus importantes mais, comme nous l'expliquait un douanier lors d'une audition, c'est surtout la preuve que le flux ne cesse de croître, et non que les prises le diminuent.

Dans ma circonscription de Seine‑Saint‑Denis, le commissariat de Saint-Ouen a eu plusieurs fois la visite de hauts représentants de l'État, dont MM. Castex et Darmanin, venus annoncer l'octroi de renforts policiers pour la lutte contre un trafic de cannabis très prégnant. Récemment, un point de deal très connu a été l'objet d'un contrôle policier assidu, si bien que le trafic a diminué à cet endroit – et je saisis cette occasion pour rendre hommage aux policiers de Saint-Ouen, qui mènent une action permanente, pratiquement sur ce seul thème, depuis des années. Seulement, ce lieu étant neutralisé, le trafic a explosé ailleurs. Les policiers se sont évidemment déportés vers les autres points de trafic, mais le commerce a alors repris de plus belle au point de deal initialement neutralisé, règlements de comptes à la clef. Autrement dit, comme nous l'expliquait un syndicaliste policier qui, pour des raisons de principe, n'est pourtant pas favorable à la légalisation, les forces de l'ordre ont souvent l'impression de vider l'océan à la cuillère, et l'amende forfaitaire délictuelle n'a rien changé.

En réalité, la situation en France est celle qu'ont connue les États‑Unis lorsqu'ils ont interdit la consommation d'alcool dans les années 1930. La prohibition n'empêchera pas la demande de cannabis, qui s'explique peut-être par l'attirance qu'éprouvent les humains pour les substances psychotropes, licites ou illicites ; en revanche, elle empêche une politique constante et efficace de réduction des risques et des addictions, et de contrôle des usages.

Il faut replacer la consommation de cannabis dans le cadre général de l'usage des produits addictifs pour aborder la deuxième raison d'être de cette proposition de loi : définir une politique de prévention sanitaire plus efficace. Selon le classement établi par la Commission mondiale de politique sur les drogues, le cannabis se situe en sixième position dans la liste des produits les plus létaux, l'alcool et le tabac se classant respectivement en troisième et en deuxième position. S'agissant des produits les plus nocifs, le cannabis est classé en huitième position, alors que l'alcool et le tabac se situent respectivement à la première et à la sixième place. Le cannabis est d'autre part beaucoup moins addictif que les autres substances légales – alcool et tabac – ou illégales – cocaïne et héroïne.

Je n'entends pas, par ces quelques rappels, minimiser la dangerosité du cannabis – il faut simplement constater les faits et regarder les conclusions des analyses scientifiques – mais replacer le débat sur sa légalisation dans le cadre plus large de la régulation des substances psychoactives, politique sur laquelle nous devrions tous nous accorder. Comme l'alcool et le tabac, le cannabis est un produit à risque, et même à très haut risque puisque sa consommation devient de plus en plus dangereuse à mesure que sa teneur en tétrahydrocannabinol (THC) augmente. Comme pour les produits psychoactifs vendus légalement, l'encadrement de la production, de la vente et de la consommation permettrait de réglementer le taux de substance psychoactive et d'élaborer des politiques de prévention. Pourquoi n'en irait-il pas pour le cannabis comme il en va pour l'alcool et le tabac ?

Force est de constater que la prohibition empêche toute politique de ce type. J'ai indiqué tout à l'heure les chiffres relatifs à la consommation globale. Ce n'est pas la consommation modérée de cannabis chez les adultes qui est la plus inquiétante mais celle des jeunes, en particulier des adolescents, les plus vulnérables. On sait que la consommation de THC a des effets particulièrement néfastes sur le développement cérébral des jeunes, chez qui elle peut entraîner des troubles psychiatriques. Que faisons-nous pour éviter ou retarder l'expérimentation du cannabis par nos enfants ? Trop peu. La Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA) a mis en place des programmes d'expérimentation sur les comportements psychosociaux intéressants mais, faute d'être systématiques et globaux, ils ne sont pas à la hauteur des enjeux. Seulement 10 % des quelque 600 millions d'euros dépensés chaque année pour lutter contre le cannabis sont consacrés aux dépenses de santé et de prévention ; tout le reste va à la répression policière et à la réponse judiciaire. Il est anormal que notre pays consacre si peu de moyens à la politique de prévention et de réduction des risques. La légalisation du cannabis permettrait de la développer vraiment, sur le modèle du Canada ou du Portugal.

Le Canada a beaucoup investi dans la formation et la sensibilisation du public ; le Portugal a systématiquement inséré la prévention de la toxicomanie dans les programmes scolaires. Ces politiques fonctionnent : on constate de manière générale que la légalisation du cannabis n'entraîne pas de hausse de la consommation chez les plus jeunes mais tend au contraire à retarder son expérimentation dès lors qu'est instituée une politique de prévention adaptée. Le Portugal montre aussi la voie d'une autre manière : c'est le ministère de la santé qui a la main sur les politiques relatives aux stupéfiants, par le biais du Service d'intervention pour les comportements d'addiction et de dépendance (SICAD), chargé d'assurer une coordination au niveau national mais aussi local. Au Portugal, l'usager n'est pas considéré comme un délinquant mais au pire comme un malade, et des recommandations de traitement lui sont faites, avec des résultats probants en matière de réduction des usages de tous les stupéfiants.

J'observe aussi que la légalisation du cannabis ne provoque pas nécessairement un surcroît de consommation d'autres drogues, contrairement à ce qu'avancent les tenants de la « théorie de l'escalade », souvent entendue. Au contraire, en éloignant les consommateurs de cannabis des dealers susceptibles de leur vendre d'autres stupéfiants, on peut prévenir la consommation de drogues plus dures.

Le texte qui vous est soumis, à l'occasion d'une « niche » parlementaire, se réduit à la question de la légalisation du cannabis mais il s'inscrit dans un cadre plus global incluant une politique ambitieuse en matière de santé et de réinsertion sociale, ainsi qu'un redéploiement des forces de police. Au Québec, en deux ans, le commerce illicite a baissé de 60 % après qu'une police de proximité a été créée et que davantage de moyens ont été donnés aux services d'investigation pour démanteler les trafics.

Je ne saurais conclure sans souligner que notre approche de la légalisation reflète une tendance mondiale – l'Allemagne en est le dernier exemple, et la Suisse suivra dans trois ans – qui nous amènera inévitablement, j'en suis certain, à la dépénalisation et à la légalisation. La question de fond est de savoir sous quelle forme cela se fera. En agissant à temps, en régulant ce commerce sous le contrôle de l'État, nous parviendrons à éviter le développement d'un nouveau marché aussi juteux que dangereux pour la santé, celui du Big Canna, comme on l'a vu aux États‑Unis.

Nous proposons ainsi la légalisation sous un contrôle strict de l'État, dans le cadre d'un monopole de distribution, de licences accordées aux producteurs et aux vendeurs, et de modes d'organisation économique non capitalistiques. Nous pourrions créer une filière française du cannabis s'appuyant, pour la production, sur la filière du chanvre existante et, pour la distribution, sur un réseau de débitants agréés et formés. Cette filière permettrait de reprendre le contrôle sur les produits en circulation, d'avoir une traçabilité, de s'assurer que le cannabis n'est pas coupé avec n'importe quoi, comme c'est le cas aujourd'hui, et de contrôler la teneur en THC, qui a explosé ces dernières années. Ce « commerce » régulé permettrait d'interdire la vente aux mineurs et ne ferait évidemment l'objet d'aucune publicité.

Par ailleurs, la filière du cannabis représenterait une manne financière qui permettrait non seulement de créer des emplois licites mais aussi de financer les dépenses de santé et de prévention des risques que j'ai évoquées, le chiffre d'affaires annuel du commerce illicite du cannabis étant estimé entre 1 et 4 milliards d'euros.

Pour finir, le caractère transpartisan de cette proposition de loi a une explication simple : comme le savent tous les collègues qui ont participé à la mission d'information commune, à partir du moment où vous travaillez sérieusement sur ce sujet avec des addictologues ou des associations de lutte contre les addictions, vous comprenez que la légalisation de la production, de la distribution et de la consommation du cannabis est nécessaire, à condition qu'elle ait lieu sous le contrôle de l'État.

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Je vous remercie de nous offrir l'occasion de débattre d'un sujet sensible et légitime, dont les enjeux sont sanitaires, sécuritaires, économiques et fiscaux. C'est aussi un sujet clivant, passionnel, y compris au sein des groupes politiques ; il doit donc être abordé sans dogmatisme. Dans ce domaine, nous avons déjà avancé, vous le savez, notamment au sujet du cannabis « bien-être », le Gouvernement ayant ouvert la voie de la commercialisation de la plante de chanvre et de l'huile de cannabidiol (CBD). En matière de santé publique, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 a organisé une expérimentation du cannabis thérapeutique sous le contrôle de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.

Sur le fond, vous estimez que la légalisation contrôlée du cannabis répondra aux enjeux sanitaires, sécuritaires et relatifs à la régulation des usages. D'une part, nous manquons de recul pour ce qui est des comparaisons internationales concernant les effets de la légalisation sur la consommation : elles sont insuffisantes ou beaucoup trop récentes. D'autre part, la légalisation entraînera des reports de trafic, l'adaptation des filières et, généralement, de nouveaux défis pour les services de police qu'il conviendra d'anticiper.

Sur la forme, vous présentez un texte constitué d'un article unique. Les enjeux de la légalisation du cannabis sont tels qu'il ne me semble pas que l'on puisse traiter ainsi cette question en fin de législature. Il faudrait au préalable définir le modèle français souhaité, en tenant compte des succès et des échecs des expériences étrangères et aussi des spécificités politiques, historiques et culturelles de notre pays. C'est le sens de l'excellent rapport de la mission d'information commune relative à la réglementation et à l'impact des différents usages du cannabis, qui a dressé la liste des questions auxquelles le débat public doit permettre de répondre avant que cette substance soit légalisée – circuits de production et de distribution, statut de l'autoproduction, modalités de fixation des prix, réinsertion des anciens trafiquants...

Votre proposition de loi n'apporte pas de réponses sur tous ces points ; d'ailleurs, dans l'exposé des motifs, vous renvoyez à une loi ultérieure. Il est préférable de reporter la question, pour l'aborder dans le cadre d'un débat de société incluant l'ensemble des citoyens. C'est pourquoi le groupe La République en Marche votera contre ce texte.

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Monsieur le rapporteur, je ne vous surprendrai pas en déclarant d'emblée que notre vote ne sera pas favorable. Vous arrivez masqué : malgré son titre, la proposition de loi vise purement et simplement à légaliser la production, la vente et la consommation du cannabis, ce qui est contraire à ce que souhaite la majorité des membres de notre groupe, qui était en revanche favorable au cannabis médical.

Rien dans cette proposition de loi n'est prévu pour lutter contre la normalisation de la consommation de stupéfiants, dont l'Académie nationale de médecine a rappelé l'effet désastreux sur la santé psychique des consommateurs, en s'appuyant sur des données scientifiques désormais très solides.

Vous évoquez la voie suivie par des pays étrangers mais sans dire que selon l'étude Cannalex, menée avec l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies, la légalisation du cannabis ne règle pas la question de sa consommation par les mineurs.

On ne peut que regretter que ce texte ne vise en réalité qu'à légitimer le commerce du cannabis en le reprenant aux dealers pour le réserver à l'État, avec la création d'un établissement public administratif placé sous la tutelle du ministère chargé de la santé.

Vous tirez un trait sur les drogues beaucoup plus dures et toxiques, comme la cocaïne et l'ecstasy, et surtout sur le trafic démultiplié que ferait naître cette proposition de loi si elle était adoptée, l'imagination des dealers étant sans limites.

Majoritairement, nous ne voterons donc pas en faveur de ce texte.

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Alors que la France est le premier pays européen consommateur de cannabis et que la politique répressive a montré son incapacité à infléchir cette tendance, il est légitime de s'interroger sur la légalisation de la production, de la vente et de la consommation de cette substance, question transpartisane. La consultation citoyenne lancée par la mission d'information commune relative à la réglementation et à l'impact des différents usages du cannabis a d'ailleurs montré que les Français souhaitent une évolution de notre législation en la matière. Il est souhaitable qu'à l'occasion de l'élection présidentielle, les candidats fassent connaître leur ligne politique sur ce point.

Le rapport très complet de la mission d'information commune nous éclaire sur les enjeux sous‑jacents à une évolution législative, en proposant notamment des grilles de lecture fondées sur les expériences menées dans d'autres pays. C'est un outil appréciable pour nourrir la réflexion des parlementaires, mais le travail devra être fait lors de la prochaine législature.

Outre que le temps législatif ne permet plus de mener l'examen de ce texte à son terme, il existe plusieurs options qui produiraient des effets différents en matière sanitaire, économique ou d'évolution des trafics. Bien entendu, une loi relative à la légalisation du cannabis devrait comporter des dispositions garantissant l'indispensable protection des mineurs, pour lesquels on connaît les effets délétères d'une consommation précoce. Une telle loi devrait également s'attacher à définir une politique de prévention, une consommation non maîtrisée entraînant aussi des conséquences graves pour les adultes.

Votre proposition de loi ne méconnaît pas ces enjeux, et c'est à porter à son crédit. Toutefois, étant donné l'importance du choix du modèle qui conviendrait à notre pays et la nécessité de débattre préalablement de cette question lors de la campagne présidentielle, notre groupe ne votera pas en faveur du présent texte.

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Avec 1 500 000 consommateurs très réguliers de cannabis, la France se trouve sur le podium des pays les plus touchés en Europe. Cela appelle à la modestie, et aussi, peut-être, à faire preuve de plus d'audace. Le cannabis cristallise les contradictions de notre société : beaucoup d'interdits, beaucoup de transgressions plus ou moins graves et, en réponse, une politique répressive qui ne s'attaque pas aux racines du mal.

Nous avons mené une mission d'information commune qui a remis trois rapports, mais le Gouvernement a largement ignoré ces travaux parlementaires et il poursuit une politique de prohibition qui n'a montré aucun effet depuis de nombreuses années : les prises augmentent, mais les flux également, vous l'avez souligné ; les forces de l'ordre et la justice, trop largement mobilisées au sujet du cannabis, disent leur frustration de devoir passer leur temps à tenter de vider l'océan à la petite cuillère alors qu'une politique de santé publique de grande ampleur visant à lutter réellement contre les dangers du cannabis par la prévention n'a toujours pas été engagée. Le narcobanditisme et la souffrance sociale dans les quartiers se sont aggravés sans qu'aucun dispositif répressif parvienne à aider les habitants à se réapproprier l'espace public.

Vous proposez une légalisation contrôlée du cannabis et la création d'un établissement public administratif chargé d'en encadrer la production et l'exploitation, comme le font des pays de plus en plus nombreux. Vous avez, monsieur le rapporteur, mené un travail approfondi depuis plusieurs mois, dans une démarche transpartisane que je salue, et les exemples des politiques suivies à l'étranger doivent nous éclairer. Aussi, même si nous ne doutons pas que la majorité préférera le statu quo aux solutions concrètes à ce fléau, notre groupe continuera de soutenir la proposition d'encadrement de la consommation et un plan de santé publique d'envergure. Nous voterons ce texte, pour nous engager dans la voie du progrès en sécurité, donner de nouvelles opportunités aux agriculteurs et développer une politique de santé publique ambitieuse et protectrice.

Mme Agnès Firmin Le Bodo (Agir ens). Cette proposition de loi nous est soumise quelques mois après la présentation du rapport de la mission d'information commune de notre assemblée sur la réglementation et l'impact des différents usages du cannabis. Nous avions alors constaté l'échec de la politique répressive menée en France depuis plus de cinquante ans.

Disons‑le sans ambages : l'interdiction et la pénalisation n'ont pas permis de juguler les trafics. Élue d'une ville portuaire à travers laquelle ne transitent malheureusement pas que des marchandises déclarées, je puis en témoigner moi-même. Le tout répressif n'a pas non plus entraîné une baisse de la consommation, bien au contraire : avec plus de 5 millions d'usagers, elle n'a jamais été aussi forte en France et nous occupons en permanence la première place du classement des plus gros consommateurs européens.

Il est donc légitime, et même essentiel, de proposer une évolution de notre stratégie, sans nier les risques de cette consommation pour la santé du corps et de l'esprit, notamment chez les jeunes. La question de la légalisation encadrée et régulée du cannabis doit être au cœur de nos réflexions ; c'était d'ailleurs la principale recommandation formulée par la mission d'information commune. Je remercie donc le groupe La France insoumise d'avoir inscrit ce texte à l'ordre du jour.

Toutefois, notre groupe, au sein duquel se manifestent des opinions diverses sur la question de la légalisation du cannabis, ne peut appeler à voter en faveur de ce texte, qui nous apparaît à la fois inopportun, précipité dans la forme et malvenu sur le fond. S'agissant de la forme, la légalisation du cannabis mérite plus qu'une niche parlementaire ; elle exige un travail éclairé et approfondi et la tenue d'un large débat public. Quant au fond, cette proposition de loi est incomplète, ce qui se comprend compte tenu des contraintes de l'exercice, mais il en résulte que rien n'est dit de la prévention, pourtant la meilleure des solutions, des sanctions, d'une fiscalité spécifique, comme pour le tabac, du report possible de la consommation et du modèle français. La proposition de loi se résume à un article unique et beaucoup de questions restent en suspens.

Il s'agit d'un débat de société important, dont nul ne doute qu'il reprendra au cours des mois à venir. Dans l'intervalle, le groupe Agir ensemble votera majoritairement contre ce texte.

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Ce débat exige du pragmatisme et non une diabolisation. Mais si l'on peut s'interroger sur l'efficacité de la lutte contre l'usage des stupéfiants, penser résoudre le problème du cannabis par sa légalisation serait négliger la dangerosité de ce produit, pourtant démontrée par la mission d'information commune de notre assemblée.

La comparaison avec l'alcool et le tabac, substances considérées comme plus létales, n'est pas pertinente, car elle revient à relativiser la dangerosité d'un produit psychotrope qui a ses effets propres sur la santé : risque cardio-vasculaire avéré, maladies respiratoires, risque de schizophrénie et d'autres psychoses, mais aussi conséquences irréversibles sur le développement cérébral des plus jeunes.

J'en appelle à notre responsabilité collective, car il apparaît illusoire d'imaginer faire respecter un âge minimal de consommation que l'on peine déjà à faire appliquer pour la vente de tabac ou d'alcool. Très engagée en ce qui concerne le protoxyde d'azote, je ne connais que trop bien les mécanismes de contournement qui peuvent être employés et les difficultés pratiques que posent les restrictions d'accès à un produit légal. Étant donné les dangers encourus, il apparaît disproportionné d'exposer les adolescents à des risques supplémentaires.

En outre, la prohibition est présentée comme faisant obstacle à toute politique de santé publique pour les consommateurs de cannabis. Or la lutte contre les drogues et la prévention vont de pair. En matière d'addictions, il convient de développer une véritable politique de santé, transversale et pluridisciplinaire, laquelle ne se conçoit pas sans la lutte contre le trafic de cannabis.

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Comme cela a été rappelé, la France est depuis longtemps le premier pays européen pour la consommation de cannabis, drogue largement répandue dans notre société. La France compte 900 000 usagers quotidiens et près de la moitié des adultes a fumé du cannabis au moins une fois dans sa vie, alors que la moyenne européenne s'établit à 29 % et qu'aux Pays-Bas, où la consommation du cannabis est légale et où ce produit est en vente libre, la proportion est « seulement » de 27 %.

Pourtant, la législation française est l'une des plus répressives au monde. L'acharnement de ces derniers mois à l'encontre des consommateurs et consommatrices dont s'est prévalu le ministre Darmanin n'a rien changé : au contraire, la consommation a augmenté au cours du confinement malgré les difficultés d'approvisionnement. Il convient de tirer les conclusions de ce constat établi par des spécialistes de la prévention des risques, des juristes et des professionnels des questions de sécurité. La politique répressive menée depuis plus de cinquante ans ayant échoué à faire diminuer la consommation, il faut envisager une autre approche, celle que nous proposons.

Le cannabis est une substance psychoactive dont l'absorption perturbe le système nerveux central. Si sa dangerosité est moindre que celle d'autres produits dont la vente est légale en France, tels que l'alcool et le tabac, sa consommation peut avoir des effets délétères en matière de santé, de sociabilité et de tranquillité publique, d'autant que l'augmentation du taux de THC a rendu le cannabis encore plus nocif.

De notre point de vue et de celui des experts, la légalisation est en premier lieu un impératif de santé publique : elle permettra d'encadrer la qualité des produits et donc de prévenir les risques liés à la consommation. Il y a aussi un enjeu de sécurité et de tranquillité publiques : la légalisation permettra de rediriger les forces de l'ordre vers des missions clefs, comme la lutte contre les trafics. Tel est le sens de cette proposition de loi, dont nous espérons que l'adoption permettra d'avancer, enfin, dans la lignée progressiste d'un certain nombre de pays.

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Je remercie le groupe La France insoumise de nous permettre d'avoir de nouveau un débat au sujet d'une plaie qui mine l'existence de bien des habitants de nos quartiers et la vie de nos jeunes. Il ne faut jamais oublier que le cannabis est dangereux. Il l'est en raison de ses conséquences psychiques mais aussi parce qu'il provoque des morts lors de règlements de comptes et d'accidents d'automobile.

Il est vrai que le système de répression actuel ne produit pas les résultats escomptés, comme le montre l'augmentation de la consommation de cannabis en France. Les points de deal sont connus ; certains sont installés depuis quinze ans sans que la politique de sécurité donne le sentiment que l'on agisse réellement. Mais ce n'est pas parce que nous n'arrivons pas à lutter contre un trafic qu'il faut légaliser l'objet de ce trafic, et ce n'est pas parce que d'autres substances sont légales qu'il faut légaliser le cannabis.

De plus, la légalisation n'empêchera pas le trafic. Le préfet Lambert, qui fut un grand préfet de la Seine‑Saint‑Denis, le disait souvent : le deal est un commerce extrêmement organisé, avec les patrons, les agents commerciaux, les guetteurs, les petites gens, les ouvriers, aux salaires codifiés. S'il n'y a plus de cannabis, on remplacera ce trafic par un autre. On voit d'ailleurs qu'en Seine‑Saint‑Denis une série de deals se transforment progressivement en prostitution de très jeunes mineurs. Autant dire que l'on ne peut imaginer régler la question du trafic en légalisant le cannabis. On ne peut améliorer le combat contre le trafic, qui a des racines à l'étranger, que par la coopération internationale des forces de sécurité.

Enfin, considérant que la hausse du prix du tabac a provoqué un trafic de cigarettes encore plus nocives que celles qui sont autorisées à la vente – en Seine‑Saint‑Denis, des dizaines et des dizaines de vendeurs de cigarettes clandestins se succèdent tout le long de certaines lignes de tramway –, je suis en désaccord avec l'argument selon lequel la légalisation contribuerait au financement de l'État. Je ne juge pas non plus recevable l'argument selon lequel ce serait une nouvelle opportunité pour les agriculteurs.

Pour ces raisons, notre groupe votera, dans sa majorité, contre la proposition de loi.

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La menace que fait peser le cannabis sur la santé des Français n'est plus à démontrer. On connaît ses effets délétères, d'autant plus risqués que l'usager est jeune. Le cannabis altère les capacités de perception et d'attention, notamment des conducteurs, ainsi que la mémoire immédiate, provoque des troubles relationnels, scolaires et professionnels, aggrave les troubles mentaux et s'accompagne d'un risque important de dépendance. Votre présentation d'une consommation dite récréative minore les choses alors que le cannabis, substance dangereuse, cause des troubles psychiques potentiellement graves. C'est pourquoi je soutiens l'objectif de développement d'une politique de prévention des risques, priorité avant toute légalisation. Vous avez cité les exemples du Canada et du Portugal, mais leur politique de prévention est-elle transposable à notre pays ? Vous avez aussi évoqué les États‑Unis, où la légalisation n'a pas fait baisser la proportion de consommateurs, ce qui est pourtant l'une de nos priorités absolues.

Comment faire pour progresser, comment nous assurer que la dépénalisation, voire la légalisation, aurait pour contrepartie une meilleure protection de nos jeunes ? Vous ne pouvez évidemment pas l'assurer, mais vous présentez la légalisation comme une solution magique qui permettrait de produire des ressources fiscales, de libérer des moyens pour la police et la justice et de réduire la criminalité. Or les études conduites à l'étranger montrent que les bénéfices, s'ils existent, ne sont ni automatiques ni certains, mais que perdurent la criminalité liée au cannabis et bien sûr le marché noir. Pour toutes ces raisons, la légalisation du cannabis doit faire l'objet d'un travail approfondi, ne se limitant pas au constat de l'échec de l'État ni aux solutions que vous proposez.

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Je souhaite rappeler ma position, constante depuis près de trois ans. J'ai soutenu la proposition de loi de François-Michel Lambert, comme je soutiens aujourd'hui celle de notre collègue Éric Coquerel – c'est la preuve que le groupe La République en Marche n'est pas sectaire, que nous pouvons débattre en son sein et soutenir des propositions de loi d'où qu'elles viennent. Je considère qu'une légalisation encadrée permettrait aux pouvoirs publics de reprendre le contrôle d'une situation aujourd'hui aux mains de criminels, et qui provoque des problèmes d'ordre sécuritaire et sanitaire.

Actuellement, la France s'illustre par sa première place en nombre de consommateurs, mais aussi concernant la consommation par les jeunes et la consommation problématique, de produits plus dangereux que le cannabis lorsqu'il fait l'objet d'un marché régulé et d'un usage plus fréquent, avec des répercussions sur la scolarité et sur les apprentissages.

Une légalisation encadrée permettrait de mieux protéger les jeunes, de faire reculer l'âge de la première consommation, d'établir un contrôle sanitaire sur les substances et aussi de durcir les peines infligées à ceux qui ne respectent pas la loi : au Canada, la loi de légalisation a prévu jusqu'à quatorze ans d'emprisonnement pour sanctionner la vente de cannabis à des mineurs ou l'emploi de mineurs dans les circuits de distribution. Légaliser, ce n'est ni être laxiste ni envisager avec naïveté les dangers du cannabis mais reprendre le contrôle d'une situation qui, malheureusement, nous échappe depuis cinquante ans.

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La consommation de cannabis doit être analysée sous les angles sécuritaire, économique et de santé. Or votre proposition de loi aborde les aspects économique et sécuritaire mais aucunement le volet sanitaire. De plus, ce trafic représente plusieurs milliards d'euros ; si vous les enlevez aux quartiers qui en vivent, que se passera‑t‑il ? Sur le plan sécuritaire, le trafic de stupéfiants est à l'origine de violences ; s'il y est mis un terme, il y aura un report sur d'autres trafics, et que fera-t-on ?

À votre proposition, je préfère le modèle choisi par le Portugal, pays où le consommateur est traité comme un malade, avec l'intervention de travailleurs sociaux et une réponse graduée en fonction de la consommation de drogue. La première fois qu'il est interpellé, l'usager doit se rendre au commissariat, puis passer devant une commission médicale qui examine s'il s'agit d'une consommation modérée occasionnelle ou d'une consommation problématique. En cas de forte dépendance, l'usager est dirigé vers un service de traitement spécialisé. Les consommateurs de stupéfiants étant d'abord des malades, cette approche est plus intéressante que celle, économique, que vous proposez, dans laquelle l'État se substitue aux dealers pour organiser la vente.

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Chers collègues, je vous souhaite une bonne année et une bonne santé, et j'observe qu'en guise de vœux, le groupe La France insoumise nous propose de légaliser un produit létal, nocif, toxique, délétère, addictif. Vous avez indiqué vous-même, monsieur Coquerel, que le cannabis arrive en sixième position dans la liste des produits les plus létaux et en huitième position s'agissant des produits les plus nocifs – et vous voulez établir une filière française pour cette substance ? Votre propre constat est qu'il s'agit d'un fléau frappant notre société. Le trafic tue, vous l'avez dit. Pensez‑vous sincèrement qu'en cas de légalisation le trafic cessera ? Non ! Il se dirigera vers d'autres substances, peut-être pires, des drogues plus dures ; il serait naïf de croire que la légalisation du cannabis interrompra tout trafic dans notre pays.

Le cannabis perturbe les études, l'acquisition des connaissances, la pratique sportive. La dangerosité de ce produit pour la santé des jeunes est manifeste, mais la proposition de loi est muette sur ce point et donc incomplète. Il serait dangereux d'aller dans votre sens alors que la consommation de cannabis est à l'origine de graves troubles de santé, en particulier des troubles psychiatriques parfois définitifs quand est atteint un cerveau encore en formation.

Il serait illusoire de penser que la légalisation protégera les jeunes. La légalisation de la consommation d'alcool et de tabac les a bien mal protégés : ils fument et boivent de l'alcool de plus en plus tôt. Pour reprendre votre registre de vocabulaire, cette proposition de loi irresponsable est un texte d'apprentis sorciers ; je ne peux y souscrire.

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Je remercie tous les orateurs de nous avoir permis de débattre en évitant les caricatures – la dernière intervention exceptée. Si je vous ai bien compris, monsieur Martin, vous doutez que la légalisation de l'alcool et du tabac ait empêché leur consommation par les plus jeunes ; je vous suppose donc favorable à l'interdiction de ces deux substances.

Je remercie tous les représentants des groupes, particulièrement le groupe Socialistes et apparentés et celui de La France insoumise, qui appuient cette proposition de loi. Je remarque aussi que plusieurs groupes – La République en Marche, Mouvement Démocrate (MoDem) et Démocrates apparentés (Dem), Agir ensemble –, sans soutenir le texte, ont souligné la nécessité du débat, la porte-parole du groupe Dem indiquant même que la légalisation serait certainement débattue lors de la prochaine législature. En tout état de cause, le sujet est mis sur la table, comme nous le voulions, alors que va débuter la campagne présidentielle, pour accélérer le débat citoyen.

Celui-ci devrait-il être plus large ? Je rappelle que 253 194 personnes ont participé à la consultation organisée par l'Assemblée nationale et que 80,8 % des participants se sont déclarés favorables à la légalisation du cannabis. Par ailleurs, tous les sondages récents montrent qu'une grande majorité de nos concitoyens estiment que la prohibition ne règle pas la question de la dangerosité du cannabis et qu'une majorité croissante se dessine en faveur de la légalisation.

Non, monsieur Door, je n'arrive pas masqué. Nous disons clairement ce que nous voulons mais, parce que notre proposition est faite dans le cadre d'une niche parlementaire, nous sommes inévitablement conduits à réduire le nombre d'articles. C'est pourquoi nous avons pris soin de préciser dans l'exposé des motifs que la légalisation s'entend dans un cadre global associant une politique de prévention ambitieuse et systématique, un redéploiement des forces de police et une réinsertion sociale. Vous considérez, comme certains de vos collègues, que la légalisation ne règle pas la question de la consommation de cannabis par les mineurs ; certes, mais la prohibition non plus. Même si l'on a constaté des progrès depuis quelques années – peut-être dus, malheureusement, à un transfert vers la consommation de substances faciles à trouver dans le commerce et détournées, comme le protoxyde d'azote utilisé pour gonfler des ballons –, la situation actuelle est catastrophique.

Personne ne nie la dangerosité du cannabis, aujourd'hui établie, mais on en consomme en France comme jamais et peut-être faut-il s'interroger sur les raisons de cette consommation. D'autre part, le trafic tue, je l'ai dit, en raison de la dangerosité intrinsèque de la substance mais aussi des conséquences du trafic lui-même, telles que les règlements de comptes qui se multiplient. De plus, de nombreux habitants subissent des nuisances insupportables dues à cette activité. La proposition de loi a été rédigée en pensant d'abord à tous ceux dont l'espace de vie est « privatisé » en permanence par des points de deal. En dépit de tous les efforts des forces de police, auxquelles je rends une nouvelle fois hommage, le problème ne se résout pas.

La principale différence d'analyse entre nous est peut-être que nous considérons que la consommation de cannabis, pas plus que la consommation d'autres produits psychotropes, ne baissera pas réellement de manière définitive. Certains d'entre vous ont récusé les comparaisons avec l'alcool et le tabac...

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Précisément parce que l'absence d'interdiction a rendu possible une politique de prévention, qui s'est notamment traduite par la « loi Évin », laquelle a permis de réduire la consommation de tabac. Aussi longtemps qu'il y a prohibition, aucune politique rationnelle de contrôle des usages et de réduction des risques, notamment d'addiction, n'est possible, si bien que la prohibition du cannabis conduit finalement au pire marché capitaliste possible : il se développe sans aucune règle, la demande existe de toute manière et l'on est incapable de contrôler ou de réguler quoi que ce soit. Tel est le constat actuel, auquel je vous demande de réfléchir.

Nous ne cherchons ni à banaliser la consommation de cannabis ni à nier sa dangerosité, puisqu'elle est banalisée et dangereuse, mais nous constatons que la prohibition ne l'empêche pas et que, malheureusement, ce qui est absorbé est le cannabis le plus dangereux, consommé de la manière la plus dangereuse.

L'hypothèse selon laquelle la légalisation du cannabis entraînerait la multiplication des autres trafics n'a rien de rationnel et aucune des expérimentations menées dans le monde ne le montre. C'est que le marché est dicté par la demande : à supposer qu'un trafiquant veuille réorienter son activité vers la cocaïne, rien ne dit que les consommateurs suivront. Cela ne se passe pas ainsi dans les faits. L'argument selon lequel en finir avec un trafic entraînerait inévitablement le développement d'un autre est donc faux, croyez‑en les collègues qui ont vraiment travaillé sur le sujet. En revanche, l'inverse est malheureusement vrai : quand existe un point de deal, par définition illicite, de cannabis et que l'on peut y trouver facilement de la cocaïne et d'autres drogues, le transfert vers d'autres stupéfiants peut se faire beaucoup plus facilement que s'il n'y a pas de point de deal du tout.

Pourquoi l'argument du financement de l'État ne serait-il pas recevable ? Le marché noir des cigarettes s'est développé, c'est exact, mais il se trouve aussi qu'en deux ans, au Québec, le commerce illicite a baissé de 60 %. Je puis vous dire que les habitants de ma circonscription en ressentiraient immédiatement les effets bénéfiques ! Nous proposons de développer une police de proximité et de donner davantage de moyens d'investigation aux forces de l'ordre car nous ne nions pas que le trafic continuera, mais il sera considérablement réduit, comme le montrent de manière incontestable les expériences menées à l'étranger. De plus, la légalisation fera revenir à l'État des ressources qui peuvent être largement utilisées pour financer la politique de prévention que M. Perrut appelle de ses vœux.

J'ai parlé du modèle portugais. À titre personnel, je le juge très intéressant en ce qu'il confie au ministère de la santé la direction de la politique de lutte contre les stupéfiants, menée de la manière qui a été décrite : un usager interpellé en possession d'une certaine dose de produit et qui n'est pas un trafiquant passe dans un « centre de dissuasion », où il n'encourt pas de sanction pénale mais où il reçoit une indication sanitaire plus ou moins obligatoire selon sa situation. J'ajoute qu'au Portugal, la consommation de drogues de toutes catégories fond depuis vingt ans ; en particulier, la consommation d'héroïne, qui était le grand problème, a diminué de moitié. Le directeur du SICAD, que nous avons auditionné hier, a expliqué que le Portugal envisage de légaliser le cannabis sous le contrôle de l'État. Cette évolution devrait nous conduire à nous interroger : manifestement, les pouvoirs publics portugais jugent que la légalisation manque à leur politique sanitaire et sécuritaire de lutte contre les addictions. Il n'y a là rien de contradictoire avec le contenu de la proposition de loi.

Comme l'a souligné Bernard Perrut, il existe des modèles différents. Pour moi, celui des États‑Unis n'en est pas un, puisqu'il se résume à laisser faire Big Canna, avec le risque de voir se développer un marché sans aucune règle aux mains de grands groupes, comme il en va pour Big Tobacco. Ces groupes ont pour seule volonté d'augmenter la consommation sans se préoccuper de la qualité du produit. C'est ce qui nous menace, et plus nous tardons à légaliser, plus cette menace s'aggrave. Le modèle retenu dans cette proposition de loi est tout autre. Nous voulons légaliser sous un contrôle strict de l'État, car il ne s'agit évidemment pas de développer la consommation du cannabis mais au contraire de diminuer le trafic et, en réduisant la fréquence de la consommation et la nocivité de la substance, de la rendre moins dangereuse d'un point de vue sanitaire. C'est un choix de société.

À cet égard, l'audition, hier, de Mme Ruth Dreifuss, ancienne présidente de la Confédération helvétique et aujourd'hui présidente d'une commission internationale qui travaille sur les questions liées aux stupéfiants, était riche d'enseignements. La Suisse, nous a‑t‑elle expliqué, avait libéralisé sous la forme américaine le commerce du cannabis il y a quelques années. Mais, parce que, sur ce marché complètement libre, les trafics augmentent, les pouvoirs publics en viennent progressivement, par des expérimentations, à ce que nous proposons : une commercialisation licite sous un contrôle strict, soit par des associations soit par l'État directement. Cette audition était particulièrement intéressante parce qu'elle dessinait bien les choix que nous devrons faire.

Article 1er : Légalisation de la production, de la distribution, de la vente et de l'usage du cannabis

Amendements de suppression AS5 de Mme Valérie Six, AS6 de Thibault Bazin, AS7 de M. Jean-Pierre Door et AS11 de M. Belkhir Belhaddad.

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Les arguments évoqués dans l'exposé des motifs de la proposition de loi paraissent négliger la dangerosité de ce produit, qui n'est plus à démontrer : je pense notamment aux conséquences psychiques et cérébrales irréversibles sur les jeunes.

Par ailleurs, les effets de la légalisation sur la consommation et l'assèchement des trafics illégaux semblent incertains. Le lien de causalité entre prohibition et consommation n'est pas démontré. Les expérimentations étrangères, souvent citées en exemple, relèvent de contextes particuliers et ne permettent pas de conclure à une réduction significative de l'usage du cannabis. Un changement de paradigme ne s'accompagnant d'aucune assurance de réussite pour la santé des consommateurs et les populations des quartiers qui souffrent au quotidien des trafics apparaît risqué.

Je m'inscris également en faux contre l'argument selon lequel l'approche préventive serait contradictoire avec la lutte contre le trafic de cannabis : ces politiques peuvent coexister.

Enfin, je regrette que cette proposition de loi n'aille pas plus loin dans la structuration d'une véritable politique de santé publique, que l'exposé des motifs semble pourtant valoriser.

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Monsieur le rapporteur, vous voulez légaliser la consommation de cannabis, produit néfaste pour la santé et très dangereux, notamment pour les plus jeunes. Quel effet, incitatif ou dissuasif, un tel changement législatif aura‑t‑il demain ? Nous prenons un vrai risque d'inciter à la consommation d'encore plus de cannabis. Ce n'est pas parce que l'État n'arrive pas à juguler le trafic qu'il convient de légaliser la production, la vente et la consommation.

Certains pays ont déjà légalisé le cannabis, et le bilan n'est guère encourageant : la consommation s'est banalisée et a augmenté, les mineurs se procurent plus facilement du cannabis, d'autres trafics se sont développés et les trafiquants continuent à exercer, car un marché noir persiste, avec parfois des produits de moins bonne qualité et encore plus dangereux.

Le cannabis est un produit nocif, aux effets secondaires non négligeables. Le légaliser donnerait une sorte de caution à son utilisation, ce qu'il convient d'éviter. La légalisation est donc une mauvaise réponse à l'échec de la lutte contre le cannabis.

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L'argument des recettes issues des taxes sur la vente de cannabis est un leurre : une étude menée dans le Colorado a montré que pour 1 dollar de recettes, 5 dollars étaient dépensés pour traiter les conséquences sanitaires imputées à cette drogue. En France, les dépenses sociales et sanitaires liées à l'alcool et à la drogue sont nettement supérieures aux recettes induites. Cela vaut aussi pour le cannabis.

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Alors que nous avons franchi les premières étapes de l'autorisation des usages du « cannabis bien-être » et de l'expérimentation du cannabis thérapeutique, la légalisation du cannabis récréatif est un choix de société aux fortes implications symboliques, politiques, sanitaires et sécuritaires que le véhicule législatif proposé ne permet pas de couvrir.

De plus, traiter un sujet aussi complexe en fin de législature, au moyen d'un seul article de loi et sans vision globale, a peu de sens et ne sera d'aucune efficacité. L'élaboration d'une législation nécessite un temps d'adaptation important. Ce sujet complexe doit être traité dans le cadre d'un débat de société, afin de consulter l'ensemble des citoyens.

C'est pourquoi le groupe La République en Marche propose de supprimer cet article.

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J'ai oublié de remercier Caroline Janvier, cosignataire de la proposition de loi, pour son intervention, qui ne m'a pas étonné vu son rôle au sein de la mission d'information commune.

Mon amendement AS10, qui ne sera pas examiné si les amendements de suppression sont adoptés, vise à interdire la consommation de cannabis par les mineurs.

Je regrette un peu la position du groupe La République en Marche car j'avais cru comprendre qu'il était au moins satisfait que le débat ait lieu et qu'il n'était pas forcément animé par une opposition de principe, même s'il était contre ce texte dans l'immédiat. Le dépôt d'un amendement de suppression, qui constitue une sorte d'arme atomique puisqu'il met fin aux débats, ne correspond pas à ce que j'avais compris concernant l'état d'esprit de ce groupe. J'espère qu'il en sera autrement en séance.

Monsieur Door, le problème de la situation actuelle est qu'elle ne produit aucune recette. L'exemple du Colorado est compliqué : cet État, après avoir totalement libéralisé le marché – les chiffres que vous avez cités correspondent à cette période –, est en train de revenir sur cette politique parce qu'elle a fait des dégâts.

Savez-vous qu'en Seine‑Saint‑Denis le chiffre d'affaires lié au trafic de drogue représenterait la moitié du budget du conseil départemental ?

Notre collègue Cyrille Isaac-Sibille a dit que l'argent du trafic manquerait. Or il part largement ailleurs, les têtes de pont n'étant pas dans les quartiers. Une politique globale devrait également mettre le paquet sur les filières, notamment sur le terrain de la fiscalité et du blanchiment d'argent, et permettre de travailler sur la réinsertion sociale, par la rescolarisation et par l'emploi, en particulier pour les « petites mains » tentées par l'illusion de l'argent facile, malgré les douze heures de présence par jour, week-end compris, et le passage par la case prison un jour ou l'autre.

J'ai déjà relevé que l'État consacre très peu d'argent aux politiques de prévention – je n'y reviens pas.

Monsieur Bazin, les politiques de légalisation comparables à celle que nous souhaitons ne favorisent pas la consommation de cannabis par les mineurs. Au Québec, elle a considérablement baissé en raison des politiques de prévention globales qui sont menées. Ce que vous avez dit est factuellement faux. En France, la situation est actuellement dramatique s'agissant des mineurs.

J'en viens aux exemples étrangers : l'Allemagne va bientôt lancer une expérience, à nos frontières, ce qui soulèvera des questions, et la Suisse devrait faire de même. Par ailleurs, aucun pays ne revient sur la légalisation, non par souhait de favoriser la consommation de cannabis, mais en raison de la comparaison avec la situation antérieure.

Le problème du cannabis et du trafic de drogue n'est pas devant nous, parce qu'on déciderait une légalisation : il se pose dès aujourd'hui. Nous sommes les champions d'Europe en matière de consommation.

Contrairement à ce qu'on suppose parfois, on n'a pas échoué parce que la justice ne serait pas assez sévère avec le trafic de drogue. C'est faux, j'ai entendu des policiers le dire eux-mêmes, il y a quelques jours, à un maire de la Seine‑Saint‑Denis qui prétendait le contraire. À Marseille, 37 % des gens détenus aux Baumettes sont là pour des questions liées au trafic. La justice répond de manière proportionnée.

Le problème concret qui fait qu'il s'agit d'un puits sans fond, est que les « petites mains » de la drogue, dans beaucoup de points de deal en Seine‑Saint‑Denis, sont souvent des mineurs isolés étrangers, qui sont utilisés. La justice pourra toujours envoyer en prison des petits dealers, la main‑d'œuvre est inépuisable et elle rapporte énormément aux trafiquants. C'est la raison pour laquelle la politique menée est un échec. La qualité des policiers n'est pas en cause, pas plus que celle des juges ou la volonté que la justice passe : c'est simplement un marché sans fin.

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La proposition de loi, monsieur le rapporteur, prévoit d'instituer un établissement public administratif qui sera notamment chargé de la vente du cannabis. Il y aura des recettes fiscales, comme pour le tabac et l'alcool. Mais l'étude réalisée dans le Colorado montre que les dépenses sanitaires et sociales liées à la consommation sont supérieures aux recettes fiscales : il y a un déséquilibre.

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Les dégâts en matière de santé publique existent déjà, mais nous n'avons pas du tout de recettes fiscales.

La proposition de loi prévoit un contrôle de l'État sur le produit, sa composition, son prix de vente et sa distribution, par l'intermédiaire d'une agence. Elle accordera des licences aux producteurs et aux vendeurs à partir de critères très précis. Ce ne sont pas des fonctionnaires de l'État qui vendront le produit... En revanche, ce commerce générera des recettes fiscales. Cela pourrait sembler choquant, mais je rappelle qu'il en est de même pour la vente de tabac et d'alcool et que, de surcroît, même si on l'ignore souvent, le PIB intègre le chiffre d'affaires du trafic de cannabis.

Je suis, vous l'aurez compris, défavorable à ces amendements.

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La politique de répression en vigueur depuis plus de cinquante ans est un échec, pas seulement en France ou en Europe mais dans le monde entier. Même s'il est possible de dire que nous n'avons pas suffisamment de recul concernant les expérimentations menées en matière de légalisation et d'encadrement, le bilan de la politique de répression est connu. Il est désastreux en matière de santé, de sécurité et de tranquillité publiques, comme tous les spécialistes le constatent. Le statu quo n'est donc plus possible. Comment les législateurs que nous sommes pourraient-ils camper sur des positions conservatrices faisant fi de ces éléments factuels et objectifs ?

Il n'est pas question de prétendre que cette proposition de loi réglera tous les problèmes. Néanmoins, la légalisation et l'encadrement du commerce de tout ensemble de produits, au-delà de l'alcool et du tabac, seraient utiles. Beaucoup de produits font l'objet d'un trafic et ont des effets nocifs.

Je vous invite à ne pas voter ces amendements.

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Nous nous opposons également à ces amendements de suppression.

Par principe, tout d'abord, il serait dommage de ne pas pouvoir discuter d'une question aussi importante pour nos compatriotes, comme l'a montré la consultation qui a eu lieu.

En second lieu, vous nous dites que ce n'est pas parce que l'État n'a pas pu juguler le problème qu'il faut chercher une autre solution. Or c'est le cas. Nous sommes tous très conscients des risques liés à la consommation du cannabis, surtout pour notre jeunesse, et c'est pour cette raison qu'il faut changer d'approche. Or que proposez-vous, camarades de la majorité qui vous opposez à ce texte, sinon le statu quo ?

Au collègue de La République en Marche qui a fait valoir les avancées en matière de cannabis thérapeutique et de bien-être – le CBD –, je rappelle que les derniers décrets qui ont été pris ont placé la France dans une position ahurissante puisque nous devrons importer des produits, probablement de mauvaise qualité. Nous n'avons donc en rien avancé.

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Merci à Éric Coquerel d'avoir permis ce débat, apaisé. Je regrette le dépôt de ces amendements de suppression qui pourraient restreindre nos échanges.

J'ai cosigné la proposition de loi, qui tend à légaliser une substance dangereuse, le cannabis, d'une façon très encadrée et régulée par l'État, car je considère qu'il n'est pas possible d'en rester à la situation actuelle pour des raisons de santé et de sécurité dans les quartiers. Que propose donc La République en Marche pour que les choses changent ?

J'ai eu l'occasion de participer à une patrouille de nuit de la brigade anti‑criminalité d'Angers. Les points de deal sont les mêmes depuis quinze ans : à l'arrivée des policiers, les jeunes se replient dans des appartements « nourrices » où les forces de l'ordre n'ont pas le droit de pénétrer ; un quart d'heure après leur départ, ils reprennent leurs postes. La vie des personnes qui habitent dans ces immeubles est impossible !

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La légalisation du cannabis ne saurait être fondée sur un renoncement : il n'est pas imaginable que l'État prenne cette décision faute de parvenir à juguler les trafics. Je mesure d'autant mieux l'ampleur des réseaux qui gangrènent nos quartiers et pourrissent la vie quotidienne de leurs habitants que le chef‑lieu de ma circonscription, Longjumeau, fait partie des communes les plus touchées.

Les constats que vous faites valoir ne doivent pas nous conduire à croire que la légalisation du cannabis serait un remède à tous les maux qu'il engendre. L'économie souterraine continuerait d'être alimentée par du cannabis plus fort, des drogues plus dures et des produits encore plus addictifs. Vous le savez, les réseaux criminels savent s'adapter, comme nous le voyons avec la cigarette puisqu'un marché noir se développe aussi pour ce produit pourtant légal.

Le cannabis est un produit dangereux, notamment pour les jeunes car sa consommation nuit considérablement à leur développement cérébral. Abandonnons l'idée reçue selon laquelle il serait une drogue douce, récréative, et prenons conscience des dégâts irrémédiables qu'il engendre ! Nombre d'infirmiers scolaires de ma circonscription m'ont fait part des effets délétères constatés sur les élèves.

Je m'inquiète également que des jeunes, à Longjumeau ou ailleurs, participent massivement à des réseaux de trafic pour des raisons financières ou par désœuvrement. Pour eux, la légalisation du cannabis serait un symbole de plus de la démission de l'État et la fin de limites pénales qu'ils ont parfois du mal à percevoir. Légaliser le cannabis reviendrait à le banaliser encore plus et je ne crois pas que cette drogue ait besoin d'une publicité supplémentaire. D'après mon expérience auprès des forces de l'ordre, je pense plutôt qu'il convient d'appauvrir la demande, grâce à une meilleure prévention, et de réinventer la réponse répressive en explorant de nouvelles pistes.

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Le cannabis est un vrai fléau pour la santé publique dont les conséquences sont particulièrement graves pour nos jeunes. Nous devons être très vigilants quant aux messages que nous leur envoyons. Comme mère de famille, je n'ai aucune envie de dire, demain, à mes trois enfants : « Fumer des pétards, c'est légal ». Comme députée, je n'ai pas envie de contribuer à envoyer un tel message à nos jeunes.

Il n'est pas possible de comparer la lutte contre le cannabis avec celle contre le tabac, dont la consommation est légale. Une loi néo‑zélandaise, en revanche, a interdit la vente de tabac à partir d'une génération donnée afin qu'à l'avenir ce produit disparaisse totalement. Cette démarche, encore plus préventive, me semble préférable.

Je remercie le ministre de l'intérieur et les forces de l'ordre pour leur lutte contre le trafic de drogue. Afin de les soutenir, je voterai en faveur de ces amendements.

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Le rapporteur soulève de bonnes questions mais il y apporte des réponses très partielles – je n'ose pas dire « partiales », car je respecte son travail – qui ne correspondent pas à la réalité de la situation. Que vous le vouliez ou non, légalisation vaut banalisation et il ne saurait être question de banaliser le cannabis ou les autres substances addictives.

Nous avons besoin d'une loi de santé publique bien plus large que ce texte centré sur le cannabis et susceptible d'apparaître, dans le contexte actuel, comme un peu électoraliste. Nous devons nous rassembler autour de cette question : il faut bien admettre qu'en matière de prévention, dans tous les domaines, nous ne sommes pas à la hauteur.

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Je ne peux laisser dire que nous n'aurions rien fait puisque c'est notre majorité qui a lancé l'expérimentation du cannabis thérapeutique, laquelle commence à porter ses fruits pour trois mille patients. Nous n'en sommes pas restés au statu quo, et nous ne le souhaitons pas.

Par rapport aux enjeux, cette proposition de loi est incomplète, inachevée. De nombreuses interrogations demeurent, notamment en ce qui concerne la dépénalisation, la légalisation, le cadre de production – nous n'avons pas suffisamment de retours pertinents au sujet d'un monopole étatique –, l'autorisation de l'autoproduction et le commerce en ligne.

La création de richesse dans les quartiers, suite à ces trafics, a été évoquée tout à l'heure, mais il s'agit plutôt d'une économie de subsistance. En cas de légalisation, comment accompagner ces territoires ? Dans certains quartiers de Metz, au sein de ma circonscription, certaines personnes paient leur loyer aux bailleurs sociaux en liquide, avec cet argent-là !

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J'ai déjà apporté des réponses sur plusieurs points – je ne les reprends pas.

Mme Parmentier-Lecocq n'a pas envie de dire à ses enfants que fumer des pétards est légal. Cela ne sera pas le cas pour eux : j'ai déposé un amendement afin d'y veiller, mais nous ne l'examinerons pas si ces amendements de suppression sont adoptés.

Certains collègues opposés au texte vont jusqu'au bout de leur raisonnement, puisqu'ils donnent en exemple des pays qui interdisent le tabac. Je suppose que, pour eux, cela devrait valoir aussi pour l'alcool et tous les produits psychotropes, y compris ceux licites à ce jour. Or il est vain de penser qu'on pourrait interdire et éradiquer la consommation de produits psychotropes, qui est quasiment aussi vieille que l'humanité. Nous pouvons faire en sorte de prévenir ou d'atténuer la plupart des risques, dont l'addiction, mais le simple fait d'interdire ces produits n'arrêtera pas leur consommation. Cela ne s'est jamais produit, comme le montre la prohibition de l'alcool aux États‑Unis : on a continué à consommer de l'alcool, sous des formes de plus en plus frelatées, et la mafia s'est développée principalement à cette occasion.

S'agissant des quartiers et de l'« économie de subsistance » qui a été évoquée, cette loi n'a pas pour ambition de résoudre, à elle seule, les problèmes de l'inégalité des richesses, de la déscolarisation et du chômage qui frappent ces territoires. Il faudrait une réponse plus globale, et nous faisons par ailleurs des propositions. La question se pose, en effet : une partie de l'argent va incontestablement dans les quartiers populaires, et il faut être attentif à ce qui s'est passé aux États‑Unis, où une gentrification de ce commerce s'est produite. Il est intégralement parti ailleurs, notamment dans les centres‑villes. Il faut y réfléchir. Nous ne répondons pas à cette question dans la proposition de loi, en partie parce que cela fait débat parmi ses cosignataires, mais aussi parce qu'il ne faut pas trop attendre d'un texte relatif aux stupéfiants. Les problèmes de pauvreté et de déscolarisation sont plus larges.

Vous nous dites que le texte est inachevé, incomplet. Je vous l'accorde, c'est le principe même de la niche parlementaire qui le veut, mais vous auriez pu faire des propositions durant cette législature. J'ai compris que le débat traversait également la majorité. Votre idée, néanmoins, si l'on en juge d'après les initiatives du Gouvernement, a plutôt l'air d'être que, compte tenu de l'échec de la répression depuis cinquante ans, il faut en faire encore plus dans ce domaine... Vous parlez aussi d'une politique de prévention globale et systématique, notamment à l'école : elle existe dans certains pays, mais pas en France. J'aimerais donc savoir quelles sont vos propositions en la matière. Dans ce texte, pour des raisons techniques, nous ne pouvons évoquer que dans l'exposé des motifs ce qu'il faudrait faire d'autre, mais nous soulignons qu'il est nécessaire d'accompagner la politique que nous proposons. Nous avons interrogé hier encore la MILDECA : elle a expérimenté des programmes psychosociaux intéressants ; toutefois, ce ne sont que des expérimentations. Cela n'a rien de systématique, de global, à l'inverse de ce qui existe au Portugal, par exemple.

La commission adopte les amendements.

En conséquence, l'article 1er est supprimé et les amendements AS3 de M. Pierre Cordier, AS9 de M. Éric Coquerel, AS4 de M. Pierre Cordier et AS10 de M. Éric Coquerel tombent.

Article 2 : Gage financier

Amendement de suppression AS8 de M. Jean-Pierre Door.

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Il n'existe absolument aucune information, aucune prévention au niveau scolaire ou universitaire. C'est là qu'il faudrait essayer de trouver des solutions, peut-être lors d'une prochaine législature. Je tiens aussi à rappeler que la France a été classée en 2017, dans un rapport, à la septième place en matière de prévention, alors qu'elle est un des premiers pays consommateurs.

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Je suis naturellement favorable à la suppression du gage, objet de votre amendement.

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Ne nous faites pas dire, monsieur le rapporteur, ce que nous n'avons pas dit au sujet de l'alcool et du tabac. Nous savons, comme vous, que les sociétés humaines, depuis l'origine, se définissent par ce qu'elles tolèrent et ce qu'elles interdisent, dans tous les domaines, y compris celui des substances psychoactives.

Notre pays lutte depuis des décennies contre l'abus de tabac et d'alcool. Tout le monde trouve que c'est une politique utile et même salutaire. Je vous souhaite une bonne santé respiratoire ! À cet égard, n'oubliez pas que la fumette est associée au tabac. La santé respiratoire est un enjeu considérable – il n'y a d'ailleurs pas que la question du tabac inhalé qui se pose, mais aussi celle des particules fines dans l'atmosphère et celle du coronavirus, qui tue principalement par l'intermédiaire de cet organe vital qu'est le poumon. On ne peut pas encourager une pratique d'inhalation de quelque substance que ce soit. Du point de vue de la santé publique, votre proposition de loi ne peut donc pas convenir.

Par ailleurs, légaliser en disant qu'on fera davantage de prévention – d'un côté on dit oui, et de l'autre on déconseille – ne constitue pas un message compréhensible. Il ne faut pas s'engager dans cette voie.

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S'agissant des injonctions contradictoires, la situation actuelle est pire ! Beaucoup d'interventions se sont focalisées sur les risques pour les mineurs, qui sont reconnus – nous disons d'ailleurs qu'il faut les réduire autant que possible. Mais où est la cohérence quand on fait de la prévention concernant un produit interdit ? L'effet pédagogique du discours est annihilé par la prohibition. On ne devrait pas avoir besoin de faire de la prévention au sujet d'une activité qui n'est pas censée exister. Du point de vue sanitaire, la prohibition est contre-productive. L'expérience des cinquante dernières années le montre : il n'y a pas eu de baisse d'ampleur de la consommation.

Par ailleurs, je répète que des réflexions et des démarches ont été engagées à l'échelon international concernant la régulation des usages et la réduction des risques. À partir du moment où l'on considère que des personnes chercheront, par l'usage de ces produits, un effet récréatif ou en lien avec des pathologies, il faut s'assurer que les conditions dans lesquelles tout cela a lieu soient les moins nocives possible. À moins de se placer dans une logique d'éradication de tous les usages qui peuvent avoir des effets nocifs, c'est la prohibition qui est une impasse sanitaire et sécuritaire.

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La MILDECA, que nous avons auditionnée dans le cadre de l'examen de la proposition de loi concernant le protoxyde d'azote – le texte adopté comporte d'ailleurs un article relatif à la prévention –, a pour mission de lutter contre les addictions et travaille avec les collèges et les lycées. S'agissant du cannabis, les responsables de la MILDECA nous ont dit qu'on avait banalisé la consommation. Il faut insister sur sa dangerosité.

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Même si comparaison n'est pas raison, et même s'il faut regarder de près les chiffres, le marché noir s'est réduit de 60 % au Canada, ce qui n'est vraiment pas rien. Personne ne dit que la question a été entièrement réglée, mais c'est une avancée qu'il faut étudier de près. Il faut s'inspirer de ce qui se fait ailleurs et avoir un peu d'audace, au lieu d'en rester à la formulation d'un constat et de critiques. Nous sommes tous d'accord sur l'idée que nos enfants font face à quelque chose de dangereux contre quoi il faut agir.

La commission adopte l'amendement.

En conséquence, l'article 2 est supprimé.

La commission ayant supprimé tous les articles de la proposition de loi, l'ensemble de celle-ci est rejeté.

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Notre objectif était de faire en sorte qu'une proposition de loi – il y en a eu plusieurs, je l'ai dit tout à l'heure – puisse arriver en séance publique : ce sera le cas grâce à notre niche parlementaire.

Je remercie Danièle Obono et les membres du groupe La France insoumise, mais aussi Jean-Félix Acquaviva, Elsa Faucillon, Caroline Janvier, Hubert Julien-Laferrière, François-Michel Lambert, Ludovic Mendes, Jean-Baptiste Moreau, Matthieu Orphelin et Michèle Victory, qui ont cosigné cette proposition de loi, lui donnant ainsi l'aspect transpartisan que nous souhaitions depuis le début.

C'est une préoccupation qui traverse tous les groupes et je pense, comme l'a dit notre collègue du groupe Dem, que la prochaine législature verra la légalisation du cannabis. Nous devrions tous ensemble nous demander non pas si la légalisation verra le jour, mais sous quelle forme. Méfiez‑vous des intérêts financiers qui considèrent avec appétit cette question. Plus vite nous légiférerons, en prévoyant un encadrement très strict, mieux cela vaudra pour la santé de tout le monde.

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Merci, monsieur le rapporteur. Nous avons eu un beau débat.

La séance est levée à onze heures trente.

Information relative à la commission

La commission a nommé M. Éric Coquerel rapporteur de la proposition de loi relative à la législation de la production, de la vente et de la consommation du cannabis sous le contrôle de l'État.

Présences en réunion

Réunion du mercredi 5 janvier 2022 à 9 heures 30

Présents. – M. Thibault Bazin, M. Belkhir Belhaddad, Mme Marie-George Buffet, M. Philippe Chalumeau, M. Sébastien Chenu, M. Gérard Cherpion, M. Guillaume Chiche, M. Paul Christophe, Mme Christine Cloarec-Le Nabour, M. Éric Coquerel, Mme Josiane Corneloup, Mme Cécile Delpirou, M. Pierre Dharréville, M. Jean-Pierre Door, Mme Audrey Dufeu, Mme Catherine Fabre, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Pascale Fontenel-Personne, Mme Perrine Goulet, Mme Carole Grandjean, Mme Véronique Hammerer, Mme Myriane Houplain, Mme Monique Iborra, M. Cyrille Isaac-Sibille, Mme Caroline Janvier, Mme Fadila Khattabi, M. Didier Martin, M. Thomas Mesnier, M. Thierry Michels, Mme Danièle Obono, Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, M. Bernard Perrut, Mme Bénédicte Pételle, Mme Stéphanie Rist, Mme Marie-Pierre Rixain, Mme Valérie Six, M. Jean-Louis Touraine, Mme Isabelle Valentin, M. Boris Vallaud, Mme Michèle de Vaucouleurs, M. Stéphane Viry, Mme Hélène Zannier

Excusés. - Mme Justine Benin, Mme Jeanine Dubié, M. Jean-Carles Grelier, Mme Claire Guion-Firmin, M. Jean-Luc Lagleize, M. Alain Ramadier, Mme Nadia Ramassamy, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Nicole Sanquer, Mme Hélène Vainqueur‑Christophe

Assistaient également à la réunion. - M. Guillaume Garot, M. Matthieu Orphelin, Mme Michèle Victory