Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicamenT
Jeudi 7 octobre 2021
La séance est ouverte à dix-sept heures quarante minutes.
(Présidence de M. Guillaume Kasbarian, président de la commission)
La commission d'enquête procède à l'audition des représentants de la Fédération française des industries de santé (FEFIS).
Mes chers collègues, nous concluons cet après-midi d'auditions en recevant :
– M. Olivier Bogillot, président de Sanofi France, président de la Fédération française des industries de santé (FEFIS), président du comité stratégique de filière des industries et technologies de santé (CSF-ITS)
– Mme Sophie de La Motte de Broöns, secrétaire générale de la FEFIS, déléguée permanente du CSF-ITS.
Au titre de la FEFIS, vous avez signé avec l'État le contrat stratégique de filière puis son avenant en juin 2021.
Madame, Monsieur, je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de prendre le temps de répondre à notre invitation.
Je vais vous passer la parole pour une intervention liminaire d'environ dix minutes, qui précédera notre échange sous forme de questions et réponses, à commencer par celles de notre rapporteur. Nous allons, dans un premier temps, interroger le représentant de la filière des industries de santé, avant de vous interroger en tant que président de Sanofi France.
Je vous remercie également de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.
Je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
M. Bogillot et Mme de La Motte de Broöns prêtent serment.
Je vous remercie de cette invitation. Depuis plusieurs années, je souligne à titre personnel, et dans mes différentes fonctions, l'importance stratégique de ce secteur. Je sais que l'Assemblée nationale a beaucoup travaillé sur ce sujet depuis les années 2000 et a produit des rapports de grande qualité, qui alertaient sur les risques de désindustrialisation dans le domaine de la santé, sur les difficultés que nous pouvions rencontrer, et qui ont formulé des propositions. En 2015, un rapport du Sénat rappelait également l'importance stratégique de notre secteur.
Je suis également membre de France Industrie. Le secteur des industries de santé recouvre un grand nombre d'éléments dans sa chaîne de valeur, depuis la recherche jusqu'à la commercialisation. L'étape industrielle est extrêmement importante à mes yeux. Je représente un groupe, Sanofi, qui possède 18 usines sur le territoire. Il s'agit d'un des plus grands groupes industriels français, tous secteurs confondus. Au-delà des biens manufacturiers qu'elle apporte, l'industrie représente un acteur des territoires qui se trouve souvent très en lien avec son écosystème direct, est partie prenante de l'aménagement du territoire. Sanofi est présent dans 9 régions où elle crée des emplois directs et indirects. J'aurai l'occasion de rappeler ce qui nous faisons, y compris dans le cadre du comité stratégique de filière (CSF) pour les bioproductions.
La Fédération française des industries de santé (FEFIS) existe depuis 1975, sous différentes appellations. Elle regroupe 10 syndicats professionnels, dont Les Entreprises du médicament (LEEM), pour le médicament, et le Syndicat national de l'industrie des technologies médicales (SNITEM), pour le dispositif médical, sont les plus connus. Mais elle intègre également les domaines de l'optique, du dentaire, le diagnostic in vitro, ou encore le médicament et le diagnostic vétérinaires – ce qui est très important pour appréhender la santé comme un concept global. Nous représentons environ 3 000 entreprises en France, pour un chiffre d'affaires annuel d'un peu au-dessus de 100 milliards d'euros dont un tiers à l'exportation. Nous employons 450 000 salariés en France, auxquels s'ajoutent les emplois indirects. La FEFIS est présente au bureau et au conseil exécutif du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) dont elle est l'une des six plus grosses fédérations. La FEFIS est également membre fondateur de France Industrie. Le président de la FEFIS porte le CSF depuis 2018 et est également vice-président du CSIS depuis 2018.
Vous êtes deux acteurs majeurs du contrat stratégique de filière de 2019. Comment l'avez-vous élaboré ?
Mon prédécesseur a travaillé sur ce contrat stratégique de filière. Le Conseil national de l'industrie (CNI) a été créé en novembre 2017. Il est présidé par le Premier ministre, qui a souhaité mettre en place 14 comités stratégiques en février 2018, dont celui de la santé. Contrairement à d'autres CSF qui identifient un objet à produire autour duquel se structure la filière (par exemple, la batterie, le moteur), le secteur des industries de santé est hybride dans son ensemble. Nous avons choisi d'identifier des axes sur lesquels il existait soit des insuffisances, soit des retards, soit des possibilités d'accélérer. Nous avons également déterminé des zones où il existe un retard à rattraper ou un intérêt stratégique à capitaliser. Enfin, nous avons choisi de traiter de grandes problématiques. L'une concerne la santé publique et l'antibiorésistance. Nous avons ainsi retenu quatre axes qui forment des verticales et quatre axes horizontaux. L'augmentation de la productivité de la bioproduction constitue le premier de ces axes. Comme vous le savez, la bioproduction permet de produire des molécules souvent complexes dans des cuves à partir de cellules animales, de bactéries, de levures ou de virus. Nous réfléchissons à des technologies pour rendre les cuves existantes plus productives, plutôt que de couvrir le territoire de nouvelles infrastructures. Nous possédons en France un écosystème qui permet de travailler sur ce sujet et d'optimiser les cuves existantes. Une insuffisance a été identifiée sur la bioproduction. La pharmacopée française compte 80 % de molécules chimiques et 20 % de molécules biologiques. En 2030, les molécules biologiques représenteront probablement 50 % de la pharmacopée. En 2004, la France était leader dans l'industrie pharmaceutique en Europe, en termes de production. Elle occupe désormais la quatrième place. L'Italie s'est hissée au premier rang européen grâce à des choix très intéressants qui ont lui permis de remonter une pente très glissante, tels que celui d'investir dans la bioproduction et les biotechnologies en anticipant cette transformation du portefeuille des produits pharmaceutiques.
L'autre axe du CFS porte sur les données de santé, l'intelligence artificielle (IA) et sur l'utilisation des bases de données. Nous avons pu constater que les choses avançaient. Le Health Data Hub, la qualité du système national des données de santé (SNDS) qui est la base nationale des données de santé hébergée par l'assurance maladie et la bonne structuration du Programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI) dans les établissements de santé constituent plusieurs points forts. L'Institut national du cancer (INCa) travaille par exemple sur un ensemble de projets et de génération de données. Pour découvrir les médicaments et connaître les patients pour lesquels ils sont les plus adaptés, il faut examiner ces bases de données. Le CSF a jugé important que la France capitalise sur ces bases qui sont de très bonne qualité et figurent sans doute parmi les meilleures au monde. La base française est celle qui comporte le plus de patients dans un lieu unique et elle fait partie de celles que les laboratoires consultent avec celles du Danemark et d'Israël. Nous avons résolu de développer un écosystème autour de ces bases de données et un premier cas d'usage a déjà été défini qui montre l'intérêt de créer un collectif autour de l'usage des données. Je laisserai Sophie de la Motte de Broöns vous le présenter.
Les deux derniers axes concernent l'antibiorésistance et la mobilité internationale. Nous avons la volonté de promouvoir les qualités de la France à l'international, sachant que la santé est un domaine dans lequel il y a beaucoup d'échanges. À ces axes verticaux s'ajoutent deux axes horizontaux, autour de la formation et du travail avec des PME, compte tenu des nouvelles activités qui doivent être créées autour de l'usage des données, du développement des bioproductions, de l'antibiorésistance. Le CSF a été signé et constitué autour de ces axes. Il a fait l'objet d'un avenant avec de nouveaux chapitres.
Je souhaite aborder plus en détail la question de la bioproduction. Je suis relativement satisfait ce que nous avons pu faire à ce sujet dans le cadre du CSF. Nous ne poursuivons pas un objectif direct en termes de production. Il s'agit donc d'abord de fédérer l'écosystème. En 2019-2020, MM. Jacques Volckmann et Emmanuel Dequier ont fourni un grand travail afin de rassembler l'ensemble des acteurs et définir les projets prioritaires sur lesquels nous devions accélérer dans le champ de la bioproduction. Ces projets s'inscrivent dans un continuum, de la recherche et développement (R&D) jusqu'à une forme de gouvernance. La R&D représente 50 millions d'euros et 30 millions d'euros dégagés dans le cadre du Grand défi « Biomédicaments : améliorer les rendements et les maîtriser les coûts de production » lancé par le Gouvernement. Ces investissements vont souvent à des consortiums publics-privés, comme dans le cas récent du financement du projet Calypso qui réunit CentraleSupélec, le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), Capgemini et deux petites ou moyennes entreprises (PME). Le projet vise à définir des sondes pour observer des indicateurs au plus près de la culture afin d'optimiser la production au sein des cuves de bioproduction. Il a fait l'objet d'un financement par la puissance publique au travers de la Banque publique d'investissement (BPI) et par les acteurs eux-mêmes. C'est exactement le modèle que nous cherchons à promouvoir dans le cadre du CSF pour le développement de la R&D.
Sur l'axe consacré à la formation, nous avons construit le Campus Biotech Digital, qui s'ouvrira à Vitry-sur-Seine et ambitionne de figurer parmi les plus innovants du monde. Il s'agit de travailler avec l'ensemble de la chaîne universitaire et des écoles sur la bioproduction pour définir un programme commun et des modules de formation totalement digitalisés, avec un mécanisme de jumeaux numériques. Ce dispositif permettra de former dans ce campus les futurs techniciens afin de les préparer à travailler dans un environnement très contraint. Avec l'aide d'Orange et d'Atos, un consortium réunit des PME, des industriels et des universités autour de ce campus qui a fait l'objet d'un financement de 30 millions d'euros. C'est l'un des très beaux résultats obtenus dans le cadre du CSF.
Les investissements en R&D et dans les écoles produisent un effet d'entraînement. Nous avons attiré plus d'un milliard d'euros d'investissements industriels sur la période. Sanofi a annoncé la création de la Evolutive Vaccine Facility à Lyon autour de la bioproduction en 2020. Des entreprises comme Novasep, Novartis, Chiesi ou le Laboratoire du fractionnement et des biotechnologies (LFB) ont annoncé des projets autour de la bioproduction. Le CSF contribue à valoriser la place de la France sur la bioproduction et à entraîner l'écosystème autour de ce sujet.
Il existe également des enjeux sur le plan de la gouvernance. Les États-Unis, la Grande-Bretagne, le Canada et la Chine investissent massivement dans les bioproductions et se structurent en la matière afin de travailler à l'augmentation de la productivité des cuves, d'examiner les enjeux de demain, comme l'ARN messager. Dans le cadre du volet bioproduction du CSF, des investissements académiques ont d'ailleurs été recueillis pour cette technologie. Le CSF s'est inspiré de ces modèles internationaux pour formuler sa propre gouvernance. Cette démarche a inspiré une lettre de la ministre qui a abouti à la création de l'Alliance France Bioproduction (AFB), qui constituera sans doute demain l'interlocuteur de l'Agence d'innovation en santé (AIS) ou de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et de son bureau innovation. Une des grandes difficultés des travaux de recherche des organismes académiques est de passer du stade de la recherche à la production industrielle. L'AFB pourra être cet interlocuteur qui apporte des compétences à un écosystème qui veut passer le stade de la recherche académique. Il existe la même structure aux États-Unis, avec l'agence fédérale des produits alimentaires et médicamenteux – Food and Drug Administration (FDA) qui assure une proximité entre les régulateurs et les industriels et améliore la réglementation pour permettre les évolutions scientifiques.
Le CSF a démarré lentement, car il a fallu structurer l'écosystème, mais le bilan est bon. Depuis quelques moins, nous enchaînons les initiatives, que ce soit les appels à projets de l'ANR, le « Grand défi » ou les projets avec la BPI sont plus nombreux depuis plusieurs mois. Il se passe quelque chose et c'est une bonne nouvelle !
Je souhaitais revenir sur le programme intelligence artificielle (IA) et santé et sur le travail préalable très important qui a été réalisé à partir de 2019, d'abord sur le plan de la valorisation des données partagées et puis sur la définition d'un modèle économique – ce qui n'a jamais été fait auparavant. Une collaboration entre les pouvoirs publics et les industriels était de ce point de vue vraiment nécessaire.
Un groupe de travail s'est penché sur la génération de données en vie réelle, indispensables aux industriels dans la conception des médicaments et la pharmacovigilance. Le contrat de filière en cours présente la particularité de créer un cas d'usage, alors que les précédents CSF avaient donné lieu à un certain nombre de groupes de travail et aboutissaient à peu de résultats opérationnels sur le terrain. Notre choix s'est porté sur le traitement du cancer. La mise en place a été longue car malgré l'enthousiasme des industriels, il fallait innover dans de nombreux domaines, notamment au plan pratique sur le modèle juridique d'une coopération entre le public et le privé, en l'occurence entre l'INCa et les huit industriels présents dans le consortium. Chacun de ces industriels a investi un million d'euros et en mars 2021, la BPI a débloqué 8 millions d'euros. L'association filière « Intelligence artificielle et cancer » a été créée en septembre 2021, avec un budget public-privé doté de 16 millions d'euros – ce qui constitue une première. En partenariat avec des associations de patients, comme Imagine for Margo, nous pourrons apporter des solutions aux patients. Le modèle de ce premier cas d'usage va servir d'étalon pour en développer sur d'autres sujets que nous avons inscrits dans l'avenant, comme sur l'intelligence artificielle et les maladies rares afin de réduire l'errance de diagnostic et l'errance thérapeutique. La dimension novatrice réside également dans l'appel à des intervenants hors de nos industries de santé. Le cas d'usage sur le parcours de santé intègre par exemple le groupe Korian dans la prise en charge des patients âgés tout au long de leur vie, avec le secours de l'intelligence artificielle.
Êtes-vous satisfaits du travail et des avancées concernant l'antibiorésistance ? Concernant l'axe européen que vous avez évoqué, avez-vous le sentiment d'un renforcement du rayonnement et de l'attractivité de la France ?
L'antibiorésistance est un sujet difficile. La plupart des antibiotiques ont été délocalisés en raison de prix extrêmement faibles, ce qui a découragé la recherche privée sur cette aire thérapeutique. Les nouveaux antibiotiques à créer suivent une logique similaire à celle de la dissuasion nucléaire : il faut les développer mais ne surtout pas les utiliser pour ne pas générer de nouvelles résistances. Ce n'est donc pas un modèle économique facile. Lorsque j'ai pris la présidence du CSF, j'ai mis en contact les équipes du CSF avec la Toulouse School of Economics et les équipes de Jean Tirole pour travailler sur un modèle d'analyse des moyens destiné à relancer la recherche dans ce domaine, et qui sera présenté fin 2021. C'est le premier « domino » qu'il fallait faire tomber dans le champ des antibiorésistants. Des start-ups travaillent dans ce domaine, mais l'absence de modèle pérenne rend difficiles le passage à une taille critique et des investissements conséquents.
Des initiatives ont été lancées à l'international dans les pays où la France est présente, avec les ambassades et Business France. Beaucoup de choses ont été faites. Ces projets ont contribué à une meilleure connaissance de la France également pour les équipes qui travaillent à l'international. Des marges de progression demeurent afin de valoriser le modèle de santé français ou « French Health Care » à l'international. M. Jean-Patrick Lajonchère travaille énormément sur ce sujet.
Un bémol toutefois sur le fonctionnement du CSF. L'intérêt du CSF est de rassembler des acteurs engagés – qui y participent généralement en plus de leur propre travail –, et les administrations centrales. Nous rassemblons trois ministères. Le ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche et le ministère de l'Industrie ont témoigné un réel engagement dans le CSF. Mais le ministère des Solidarités et de la santé ne semble disposer ni des ressources, ni des profils adéquats pour participer à ces groupes et y consacrer du temps, de la compétence et de la réflexion. Il semble y avoir une distance culturelle vis-à-vis de l'industrie. Le ministère de la Santé avait envoyé une représentante mais avec la crise sanitaire, elle a été mobilisée ailleurs et n'a plus pris part à nos réunions. Je souhaitais profiter de ma présence ici pour souligner cette situation, car la dimension interministérielle est un enjeu majeur pour mieux structurer le CSF. Il faut que le ministère dégage des compétences et du temps afin que nous apprenions tous à travailler ensemble avec une même culture. Quand on travaille sur la filière « intelligence artificielle et santé », il est important que nous puissions discuter avec le ministère de la Santé sur la manière dont nous pouvons utiliser les données de santé, ainsi que sur les évolutions réglementaires nécessaires. C'est un message que je fais passer par le biais de votre commission…
En 2021, un avenant sur le CSF 2019 a ajouté quelques chantiers supplémentaires, tels que les projets sur l'imagerie médicale, le diagnostic in vitro, et la transformation numérique. En quoi le projet de relocalisation des principes actifs est-il important pour l'industrie française ?
Les sujets qui ont été ajoutés sont directement en rapport avec la crise de la Covid-19 – on a demandé au Syndicat de l'industrie du diagnostic in vitro (SIDIV) de s'impliquer dans le contrat stratégique de filière –, qui a révélé des difficultés d'approvisionnement sur certains diagnostics. On s'est aperçu qu'il existait des vulnérabilités sur certains dispositifs médicaux (seringues, respirateurs, etc.). Nous n'avions pas de projets dans le contrat initial de projets autour des dispositifs médicaux mais un certain nombre d'industriels s'est mobilisé autour de l'imagerie. Cela a permis d'intégrer les dispositifs médicaux dans le CSF alors qu'ils n'apparaissaient pas dans le projet initial. La Covid-19 a également montré l'importance de la transformation numérique des entreprises et que cet enjeu faisait sens pour notre filière.
Les ruptures d'approvisionnement des principes actifs dans les pharmacies ont fait l'objet du rapport de la mission stratégique visant à réduire les pénuries de médicaments essentiels de M. Jacques Biot, des préconisations du Premier ministre et d'un décret sur les stocks. Il nous paraissait nécessaire d'ouvrir un chapitre au sein du CSF sur cette vulnérabilité industrielle afin d'identifier des possibilités correctives. Nous souhaitons accompagner de manière opérationnelle la réflexion sur l'analyse de nos vulnérabilités. Notre objectif est également d'identifier des molécules essentielles qu'il serait utile de localiser sur le sol européen, les conditions de cette relocalisation ainsi que les éléments de régulation réglementaire ou économique pour atteindre cet objectif. M. Vincent Touraille, président du Syndicat de l'industrie chimique organique de synthèse et de la biochimie (SICOS biochimie) et expert dans ce domaine, a travaillé avec le LEEM, le G5 Santé, l'association Générique même médicament (GEMME), l'ANSM et la direction générale des entreprises (DGE) pour formuler des recommandations.
Qui est le mieux à même de définir la liste d'identification des molécules critiques ?
En tant qu'industriel, quels engagements la filière peut-elle prendre ou a pris dans cette démarche de sécurisation des approvisionnements et de relocalisation des productions ?
Il peut y avoir plusieurs réponses sur ce point. De mon point de vue, les réflexions ont un intérêt à être menées au niveau européen. L'Autorité de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire – Health Emergency preparedness and Response Authority (HERA) pourra contribuer à définir la liste des médicaments à relocaliser en Europe. En effet, un certain nombre d'États européens ont décidé de créer des usines pour relocaliser la production de médicaments en Europe. Mais la multiplication des actifs de production ne permettra pas d'atteindre une taille critique en volume pour assurer une rentabilité de l'investissement. Il faut absolument une organisation européenne afin de définir où et comment seront produits les principes actifs à relocaliser. La différence de coûts avec la Chine ou l'Inde est trop importante pour que des concurrents européens puissent s'ajouter et se faire face. L'HERA pourrait s'associer à l'Agence européenne du médicament pour définir les molécules cibles.
L'Europe n'est que la représentation des États qui la composent et la France et l'ANSM ont également un rôle à jouer pour définir la liste des médicaments. Les corticoïdes ou les antibiotiques pourraient par exemple faire l'objet d'une production sur notre sol, dans un objectif de souveraineté française et pourquoi pas européenne. L'Europe, l'ANSM, la direction générale des entreprises sont les bons acteurs pour travailler là-dessus.
Vous avez répondu sur les médicaments de manière précise. Avez-vous les mêmes éléments de réponse sur les principes actifs ?
J'avais en tête les principes actifs dans ma réponse. Quand on considère les ruptures d'approvisionnement et les produits qui ont manqué au cours de la crise de la Covid-19, il s'avère qu'il n'y a aucun intérêt à relocaliser certains principes. Cela fait partie du cycle de vie de médicament. Il n'est pas utile de relocaliser certains médicaments à bas coût dont les substances actives – Active pharmaceutical ingredients (API) sont produites en Chine et en Inde. Mais des médicaments essentiels comme les curares, les antibiotiques ou les corticoïdes, dont les API sont produits sur d'autres continents, nécessitent une diversification des sources d'approvisionnement ou multisourcing : cela ne veut pas dire qu'il faille rapatrier en Europe de Chine ou d'Inde certaines productions et qu'il ne faille plus rien fabriquer là-bas ; il faut seulement disposer de sources européennes afin d'éviter des fluctuations d'approvisionnement. Sans être alarmiste, nous avons eu un peu de chance pendant la crise : lorsque la France a été touchée par la Covid-19, la Chine reprenait son activité industrielle et nous avons pu bénéficier de sa production. Si un virus plus agressif devait un jour entraîner une fermeture brutale des frontières, il serait important de ne pas dépendre de productions géographiquement éloignées pour certaines molécules importantes. On peut donc envisager la relocalisation de certains principes actifs – il faut discuter du modèle économique et des territoires qui doivent les produire. Mais il faut également sécuriser de la chaîne de production afin de créer des effets de réciprocité avec d'autres États. Il existe par exemple des accords où la matière produite est renvoyée en échange de la matière initiale. Dans ces conditions, il n'existe plus de dépendance car tout le monde est interdépendant.
Le modèle italien a souvent été évoqué devant la commission parce que ce pays a réussi à favoriser la croissance de sa production pharmaceutique. On nous a également vanté le modèle belge, avec la simplicité des essais cliniques notamment. Quelles bonnes pratiques identifiez-vous dans les autres pays européens afin d'encourager la production pharmaceutique ?
Je me permets de revenir sur les relocalisations. L'élément du prix doit être pris en compte : la relocalisation nécessite que ces conditions économiques soient réunies, notamment que les établissements de santé intègrent dans leurs appels d'offres du multi-attributaire, avec des volume garantis. Je le dis parce qu'il n'est pas rare que dans un appel d'offres multi-attributaire, le moins-disant rafle 99 % du marché, fasse défaut et qu'on se retourne vers l'autre attributaire. Mais souvent, celui-ci ne possède pas les capacités de production afin de répondre à la commande. Le multi-attributaire, c'est important. Cela permettra aux industriels qui relocaliseront leur production de disposer d'une visibilité sur leur business model.
Le modèle italien nous donne des leçons. L'Italie, qui avait accumulé beaucoup de retard en matière de production, est aujourd'hui à la première place. Ses exportations ont été multipliées par 15 entre 1991 et 2019. C'est un résultat énorme quand on voit les difficultés de la balance commerciale française ! L'industrie pharmaceutique italienne se trouvait à la 57e place en 1991 sur les 119 secteurs exportateurs italiens et à la 4e en 2019. Sa chaîne de production emploie 66 000 personnes contre 42 000 en France. Elle a créé de l'emploi. Le chiffre d'affaires créé s'élève, en 2019, à 33 milliards d'euros, ce qui représente une augmentation de 28 % par rapport à 2018. Cela créé des effets d'entraînement vertueux. La R&D y est très dynamique autour de la bioproduction et des données en Italie. Les investissements en R&D ont progressé de 22 % en cinq ans pour atteindre 3 milliards d'euros. Il y a bien un effet d'accélération. On peut considérer l'Italie comme un modèle car, dans le même temps, les dépenses de santé en Italie n'ont pas explosé. Ils ont réussi à trouver un équilibre entre l'investissement industriel et l'investissement en matière de recherche. L'Italie a mis en place des procédures en cent jours pour que les produits arrivent sur le marché pour les industriels qui investissent sur son territoire. C'est un peu ce que nous visons ou avons imaginé de faire dans le CSIS qui vous a été présenté.
La Belgique est un tout petit pays qui a pourtant développé un système de biotechnologies absolument remarquable. Les « licornes » de biotechnologie y sont plus nombreuses qu'en France. Sanofi a racheté une société appelée Ablynx qui produit des nano-bodies, des mini anticorps monoclinaux dans un écosystème extrêmement dynamique. Comme ce qui a été fait en Italie, la Belgique offre un environnement fiscal adapté et une réglementation très souple, notamment sur les essais cliniques : pour la phase I, qui est la première phase chez l'homme, les entreprises peuvent obtenir une réponse dans un délai de quinze jours opposables dans la loi. Pour devenir un territoire attractif et compétitif vis-à-vis de la Chine, du Japon et des États-Unis, l'Europe devrait s'inspirer de ces législations et les adapter pour les rendre communes à l'ensemble des États membres. Je rêve demain de pouvoir déposer un dossier de phase 1 identique en France et en Espagne et en Belgique et d'obtenir une réponse dans les mêmes délais. En Europe, il existe bien une autorisation de mise sur le marché commune mais aussi vingt-sept réglementations différentes. Sur certains aspects, la compétition entre les États pourrait être harmonisée, ce qui permettrait au continent européen d'être beaucoup plus compétitif par rapport aux États-Unis, à la Chine et au Japon.
L'Espagne et l'Allemagne sont également des modèles. Entre 2011 et 2018, la part de recherche publique dans les dépenses de santé a baissé de 24 % en France et a augmenté de 24 % en Allemagne. L'Allemagne a décidé d'investir dans les sciences de la vie par le biais de la recherche publique. Il faut regarder ailleurs et quand il y a de bonnes idées, il faut les piquer.
Les acteurs administratifs du médicament sont nombreux et morcelés. Notre pays est-il véritablement engagé dans une démarche de simplification du processus administratif ? Que pourrait-on faire mieux ?
Je tiens à saluer les équipes du CSIS, le Gouvernement, les ministres Mme Agnès Pannier-Runacher, M. Olivier Véran, le Président de la République et le cabinet du Premier ministre. Le CSIS opposait traditionnellement les grands chefs de la pharmaceutique au Gouvernement dans le cadre de discussions généralement technico-réglementaires. Le CSIS propose cette fois un projet plus large, allant de la recherche jusqu'à l'investissement dans les fonds labellisés « Tibi » et les ventures. Les sept chapitres du CSIS balaient l'ensemble du spectre en abordant la recherche, la création de clusters, l'accès au marché, les marchés hospitaliers. Le dernier chapitre de ce plan très ambitieux concerne la création d'une agence d'innovation en santé. Je ne sais pas encore ce que va être cette agence mais j'espère qu'elle ajoutera pas un élément de plus à ce paysage déjà morcelé. Pour une biotech, il est déjà difficile de comprendre qui aller voir entre la direction générale de la Santé (DGS), la direction générale de l'Offre de soins (DGOS), le bureau innovation de l'ANSM, la Haute autorité de santé (HAS). C'est un peu complexe ! Une structure jouant le rôle d'un guichet unique serait plus utile. J'espère que ce sera la vocation de l'agence.
Quels sont les engagements pris par les industriels pour sécuriser les approvisionnements ?
Le ministère de l'Industrie a lancé des appels à manifestation d'intérêt sur la résilience et sur d'autres projets de relocalisation des principes actifs. Je n'en connais pas le résultat mais la structure EUROAPI, nouvellement créée et qui va prendre son essor en 2022 par le biais d'une introduction en bourse – initial public offering (IPO), a déposé plusieurs dossiers pour relocaliser des principes actifs. Le projet consiste à installer directement dans des usines existantes ou à venir des lignes de production des médicaments qui manquent en Europe. La France a connu une crise de rupture des corticoïdes, causée par la fermeture d'un fournisseur chinois unique chez lequel sept génériqueurs se fournissaient. Ils se sont alors tournés vers Sanofi, alors que ce marché ne représentait que 5 % pour Sanofi. Sanofi a remonté ses lignes de production pour pallier les défauts des concurrents. Nous dialoguons avec l'État pour définir les médicaments essentiels et les moyens de financer leur production.
Selon le bilan dressé par la ministre déléguée Mme Agnès Pannier-Runacher, 146 projets sont présentés qui représentent 1,250 milliard d'euros d'investissements dans le domaine de la santé. Ces chiffres seront précisés lors d'un colloque à Bercy le 26 octobre prochain. Les syndicats des entreprises de notre filière ont attiré notre attention sur l'enjeu de la simplification car beaucoup ont souhaité répondre à cet appel à projets. Il s'agissait cependant de dossiers extrêmement complexes à monter, notamment pour des PME aux ressources limitées pour répondre à un cahier des charges dans un laps de temps court. Cette tâche mobilise un service entier à Sanofi. Les PME qui ne possèdent pas de service juridique doivent recourir à des cabinets de conseil. Je pense que des opportunités ont sans doute été ratées du fait de cette complexité.
J'ajouterai que, lorsque les dossiers portent sur des médicaments anciens aux prix faibles ou en érosion, la démultiplication des offres n'est pas viable à long terme. Le secteur est très morcelé. L'idée qui a présidé à la création d'EUROAPI est justement la création d'un leader pour intégrer davantage le secteur, croître et ventiler le risque par rapport aux concurrents internationaux. La France ne pourra pas proposer des produits moins chers que la Chine et l'Inde. Si l'on veut disposer de structures pérennes, il faut une profondeur de portefeuille suffisante, avec davantage de lignes que les autres, et une ventilation du risque pour résister à concurrence asiatique.
Voulez-vous dire qu'il faut établir de très gros marchés, qui évitent les petits allotissements et privilégient les très grosses commandes ?
Les enjeux sont liés aux volumes et aux prix : nous devons être prêts à payer un peu plus cher un médicament lorsqu'il est produit sur le territoire européen pour garantir une source de production sur notre sol.
Vous nous avez donné des exemples d'engagement de Sanofi en matière de relocalisation des principes actifs. Quelle est la part de la production de Sanofi destinée au marché français produite en France ? Avez-vous d'autres exemples d'engagements mis en œuvre ?
Le portefeuille de Sanofi est de nature très diverse : il comporte de l'automédication, de la médecine générale, de la médecine de spécialité (sur des populations très ciblées et avec des produits très pointus) et des vaccins. Je souhaite souligner que la relocalisation de principes actifs ne doit pas uniquement concerner les médicaments issus de la chimie essentiels et peu coûteux. Il faut aussi prévenir une dépendance sur les produits innovants, les médicaments de demain, qui sont souvent produits aux États-Unis ou dans d'autres pays. Les interleukine-6 sont produits aux États-Unis. S'ils fermaient leurs frontières comme l'ont fait les Chinois, cela créerait une dépendance sur une molécule innovante. Il faut également considérer leur relocalisation.
75 % des principes actifs de médecine générale de Sanofi, ainsi que 57 % des médicaments de spécialité et 15 de nos 17 vaccins sont produits en Europe. Concernant les produits finis, 70 % de nos médicaments de médecine générale, un tiers de nos médicaments de spécialité et 70 % de l'automédication sont produits en France, et quasiment la totalité en Europe.
Sanofi a fait le choix de ne pas délocaliser sa production, en ventilant son risque en Europe grâce à des productions en Allemagne – où se trouve notre premier centre de production d'insuline –, en Italie, en Pologne, en Hongrie et en Espagne. Cela nous permet d'être peu dépendants des principes actifs produits en Asie ou en Inde. Mais la production de médicaments de spécialité y est plus faible, car ce sont des médicaments très innovants qui proviennent davantage des États-Unis, y compris dans le portefeuille de Sanofi. Le dynamisme autour des sciences du vivant se situe actuellement en Chine pour l'innovation et beaucoup aux États-Unis.
Dans le CSIS, le Président de la République propose une logique de pôle d'innovation ou cluster. La France ne possède aucun cluster de taille mondiale. 5 des 10 premiers clusters mondiaux sont américains. Boston notamment génère 70 milliards de dollars de chiffre d'affaires sur 6 kilomètres carrés. À San Diego, 900 entreprises travaillent ensemble sur des technologies innovantes autour des sciences de la vie. Il y a le Maryland, il y a New York. La France doit disposer de deux ou de trois clusters de taille mondiale. Sanofi s'est engagé en vue de la création d'un cluster avec l'Université Paris-Saclay, l'École Polytechnique et l'Institut Gustave Roussy autour de la cancérologie. Il rassemble les meilleurs mathématiciens, cliniciens, et spécialistes des données (data scientists), ainsi que notre expertise industrielle pour inventer les meilleurs médicaments de demain, dans cette aire thérapeutique particulière.
Maintenir ces usines de production en Europe offre des capacités de réinvestissement dans les usines. Le premier investissement dans une usine est très important à long terme. C'est que ce que comprennent très bien les Américains, les Canadiens ou Singapour. Ils savent que quand on installe une usine, on en a pour 30 à 40 ans et qu'il s'agit d'un bon investissement sur le long terme. Entre 2019 et 2021, Sanofi a consacré 1,3 milliard de dépenses d'investissement (capital expenditure) à ses usines françaises. Il s'agit d'un montant considérable que nous avons en quelque sorte payé deux fois. Nous aurions pu délocaliser ! Nous sommes restés dans un environnement fortement régulé, avec des niveaux d'imposition plus forts, avec des impôts de production élevés. Mais nous pensons que notre société a un rôle à jouer dans les territoires ET maintenir un taux d'emploi fort. J'aurais parfois apprécié que la puissance publique et l'opinion publique le reconnaissent davantage. L'opinion publique est parfois un peu dure avec Sanofi…
Vous appelez l'opinion publique à plus de bienveillance. Votre entreprise est perçue comme un champion national dans lequel beaucoup de Français plaçaient leurs espoirs pour une production vaccinale. Vous venez d'annoncer que Sanofi renonce à produire un vaccin à ARN messager. Ce renoncement et ce retard sont-ils dus à une recherche insuffisante, en France et au sein de vos unités, à un manque de financement, ou à une opportunité manquée ?
Tout d'abord, il est devenu difficile, sur le plan technique, de mener des essais de phase III versus placebo dans le cas de la Covid-19. La plupart des pays ont accès aux vaccins et les autorités réglementaires ont par conséquent des réticences sur le plan éthique à lancer ces essais, qui restent cependant le standard exigé par les autorités sanitaires. On se trouve un peu devant un paradoxe de ce fait. C'est la situation dans laquelle se trouve le vaccin à protéine recombinante adjuvantée de Sanofi. Nous concevons probablement le dernier vaccin à pouvoir passer par une étude versus placebo. Les autres vaccins ne pourront être enregistrés que sur la base de leur capacité immunogène parce que nous n'aurons plus l'opportunité de réaliser des essais de phase III.
En second lieu, beaucoup de temps aurait été nécessaire pour rassembler les cas et les résultats n'auraient pu être présentés qu'à la fin de l'année 2022, alors qu'une grande partie de la population aura reçu deux voire trois doses de vaccin. Notre vaccin à ARN messager n'aurait donc pas été utilisé. Ce renoncement a suscité de vrais débats en interne, mais il est préférable d'investir pour utiliser cette plateforme qui fonctionne bien sur d'autres aires thérapeutiques, certaines grippes par exemple. Je comprends la déception que nous avons suscitée, mais elle découlait d'un choix assez rationnel au plan industriel.
Les raisons du retard du vaccin à ARN messager sont également rationnelles. Les laboratoires Pfizer, BioNtech et Moderna n'avaient misé que sur cette plateforme technologique, sans certitude qu'elle fonctionnerait. On vient de vivre quelque chose d'assez exceptionnel ! Cette nouvelle technologie a été validée en décembre 2020 sur quelques dizaines puis milliers de patients. Sanofi avait d'autres outils dans son portefeuille : en mars 2020, la meilleure technologie vaccinale était la protéine recombinante adjuvantée. L'ARN messager était un pari. Nous savions que les adénovirus présentaient des effets secondaires et une utilisation complexe – on l'a vu avec AstraZeneca et Johnson & Johnson. Aucun concurrent n'a réussi à proposer un vaccin avec la protéine recombinante adjuvantée. Si l'ARN n'avait pas marché, on dépendrait d'une plateforme adénovirus pas simple à utiliser et on attendrait impatiemment le vaccin à protéine recombinante adjuvantée.
Je ne pense que tout cela soit dû à un défaut de recherche ou de financement publics. Nous travaillions sur l'ARNm en partenariat avec Translate Bio depuis 2018. Nous avons racheté cette société à l'été 2021. Nous avons décidé d'accélérer parce ce que nous avons considéré que l'ARN messager offrait une bonne technologie. Nous avons lancé une restructuration de nos équipes pour l'utiliser dans des vaccins et d'autres aires thérapeutiques dans le futur. Parfois, il vaut mieux être une biotech, disposer d'une seule plateforme et que ce choix marche. M. Stéphane Bancel – pour qui j'éprouve une immense admiration – travaillait sur l'ARN messager depuis dix ans. Cela a marché et la capitalisation de Moderna est désormais supérieure à celle de Sanofi.
Je vous remercie pour vos explications. Quels sont les programmes de recherche actuels de Sanofi France et comment s'inscrivent-ils dans dans l'ensemble que forme le groupe Sanofi ?
Sanofi a fait le choix de se concentrer sur certaines aires thérapeutiques parce que dans notre secteur très compétitif, on ne peut investir dans toutes les aires thérapeutiques. Dans les aires que l'on choisit, il faut être les meilleurs. En France, nous avons choisi de nous focaliser sur la cancérologie, sur l'oncologie moléculaire et l'immuno-oncologie, sur l'immunologie, sur la vaccinologie, et sur le développement clinique en neurologie et dans les maladies rares.
En France, nous possédons des plateformes de recherche fondamentale pour trouver de nouveaux produits et de nouvelles voies de signalisation en immunologie et immuno-oncologie. Nous disposons d'un hub mondial de cancérologie qui cherche des modalités thérapeutiques qui pourront répondre aux dysfonctionnements identifiés par les chercheurs. Nous développons un conjugué anticorps-médicaments – antibody-drug conjugate (ADC) dans le cadre du cancer du poumon. Il s'agit d'une thérapie ciblée sur le récepteur de la tumeur annihilée par la chimiothérapie. Cette plateforme ADC développée à Vitry-sur-Seine fait partie des plus performantes du monde et nous travaillons désormais avec des nano-ADC, ce qui l'a fait passer à un autre niveau. Une nouvelle molécule chimique, qui bloque le développement des récepteurs, a également été découverte à Vitry et le brevet a été déposé ici. Le médicament pourrait être produit dans notre usine de Sisteron, après nos derniers essais en fin d'année. Il serait d'une grande aide pour les femmes victimes de cancer du sein hormono-dépendant. Vous le voyez, on essaie de travailler de la recherche aux plateformes thérapeutiques.
Vous évoquez un pôle d'innovation ou cluster national. Pourrait-on imaginer le développement d'un cluster européen ?
Le cluster combine nécessairement une logique géographique avec un bon projet scientifique. Dans notre projet avec l'Institut Gustave-Roussy (IGR), l'université Paris-Saclay et l'École polytechnique, nous voulons réunir sur un même site de très bons mathématiciens, de très bons analystes, de très bons informaticiens et bio-informaticiens, les meilleurs cliniciens du monde. La France est le deuxième pays en matière de production de publications en cancérologie, mais elle est 17e en matière de dépôt de brevet. Il existe un fossé entre les recherches et publications réalisées et les innovations. Des équipes en immunologie et cancérologie à Marseille sont les premières à avoir établi une étude sur les voies de signalisation dans le mélanome métastatique mais la molécule a été développée aux États-Unis…
Nous souhaitons réunir les compétences dans une même géographie et accélérer la dynamique de l'écosystème, que des biotechs viennent. Je vois le cluster comme un vaisseau amiral, un porte-avions. Il peut y avoir des équipes qui travaillent partout sur le territoire mais au moment où elles souhaitent accélérer, elles peuvent intégrer le cluster afin de pousser leur développement. La France pourrait compter deux ou trois clusters. Les équipes de recherche doivent collaborer les unes avec les autres. L'Institut Gustave Roussy est le cinquième centre mondial en matière de file active de cancer et ses cliniciens sont parmi les meilleurs au monde. Nous voudrions créer un environnement autour de cet institut pour créer des biotechnologies et des biomédicaments en France. Les médicaments innovants ne sont plus assez produits en France.
Avez-vous déjà identifié les freins qu'il faudrait lever rapidement pour l'émergence d'un tel cluster ?
À Boston, le gouverneur du Massachusetts a décidé de créer le Massachusetts Life Sciences Center autour du Massachusetts Institute of Technology (MIT), d'Harvard et des entreprises de biotechnologies intéressantes. Le fonds d'investissement porté par l'État du Massachusetts comptait 1 milliard de dollars sur dix ans, soit 100 millions de dollars annuels. Ce fonds, créé en 2008, a été reconduit en 2018. L'effet de levier a été considérable, avec l'ensemble de la valeur créée tout autour de Boston.
Pour le CSIS, le Président de la République a annoncé un milliard d'euros pour deux clusters autour de la cancérologie et de l'infectiologie. J'ignore quelle sera la répartition des fonds. La France doit prendre le parti d'investir des moyens financiers massifs pour atteindre une taille critique : si on n'y va pas à fond, on n'attirera pas les investisseurs et on en restera à une logique de saupoudrage qui ne fonctionnera pas. La création du cluster que je défends auprès de l'Institut Gustave-Roussy est également motivé par les disponibilités foncières. Nous pourrons attirer des laboratoires sur ce territoire, et peut-être même un jour inviter les administrations autour du cancer à nous rejoindre sur ce campus, afin de réunir toutes les conditions d'un développement rapide des médicaments. Je ne vous indique pas de montant précis, mais les moyens devront être considérables.
Madame, Monsieur, je vous remercie. Je vous propose de compléter nos échanges en envoyant au secrétariat les documents que vous jugerez utiles à la commission d'enquête et en répondant par écrit au questionnaire qui vous a été envoyé il y a quelques jours pour préparer cette audition.
J'aurai des précisions à vous apporter en ce qui concerne les projets de l'avenant qui porte aussi des enjeux de réindustrialisation. Au-delà des API, il y a toute la question de la recréation d'une filière de l'imagerie médicale et de la création d'une filière industrielle du diagnostic in vitro.
Je souhaitais enfin féliciter les équipes du CEA qui ont publié ce matin les premières images d'imagerie par résonance magnétique (IRM) la plus performante du monde. Ce peut être demain un outil capital.
La séance est levée à dix-neuf heures et cinq minutes.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament
Réunion du jeudi 7 octobre 2021 à 14 h 30
Présents. – M. Frédéric Barbier, M. Bertrand Bouyx, Mme Émilie Cariou, M. Guillaume Kasbarian, M. Luc Lamirault, M. Gérard Leseul, M. Jacques Marilossian
Excusés. – Mme Carole Bureau-Bonnard, M. Éric Girardin