Commission d'enquête Chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite sarah halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement
Mercredi 8 décembre 2021
La séance est ouverte à quatorze heures quinze
(Présidence de M. Meyer Habib, président)
Nous ouvrons nos débats aujourd'hui avec l'audition de M. Joël Mergui. M. Mergui, en 2017, vous étiez président du consistoire de France et du consistoire de Paris. Vous êtes actuellement président du consistoire de Paris, les statuts ne vous permettant pas de cumuler ces deux fonctions à ce jour. Vous êtes un témoin et un acteur indispensable dans nos travaux. Le meurtre de Mme Halimi a été un traumatisme terrible pour les Français dans leur ensemble, mais en particulier pour la communauté juive de France. Très vite, vous avez été informé de ce meurtre et vous vous êtes entretenu avec le procureur, le préfet et les ministres. Vous avez été rapidement reçu, avec le directeur général du conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), le Grand rabbin de France et le président du fonds social juif unifié (FSJU), par le procureur que nous auditionnerons après vous. À la suite de ce rendez-vous, vous avez déclaré dans un communiqué : « rien ne permet de retenir le caractère antisémite et rien ne permet d'exclure ». Pourtant, Sarah Halimi a été massacrée aux cris de « Allah akbar », « que Dieu me soit témoin », « j'ai tué le sheitan ». M. Traoré a déclaré avoir vu une menorah et une Torah. En réalité, il n'y avait pas de chandelier, mais simplement des bougeoirs, ni de rouleaux de la Torah, mais uniquement des livres en français et en hébreu. Cependant, Mme Halimi était juive orthodoxe, médecin, directrice de crèche, connue en tant que juive par tous ses voisins. Les témoins, y compris la substitute du procureur que nous avons auditionnée, ont dit qu'ils ont très rapidement su que la victime était juive. La justice a tranché plusieurs mois après sur le caractère antisémite.
Je vais vous donner la parole avant de vous poser mes questions. Auparavant, je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Joël Mergui prête serment).
Vous avez la parole.
Je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer. Je salue d'abord les travaux de cette commission. La communauté que j'ai l'honneur de représenter depuis plusieurs années a beaucoup souffert ces dernières années. J'ai pris mes fonctions de président du consistoire de Paris en janvier 2006, quelques semaines seulement avant le meurtre d'Ilan Halimi. Depuis, j'ai accompagné la communauté juive dans de nombreux deuils et la communauté nationale parallèlement, à la fois dans un rôle de contact avec les familles et de porte-parole face à la remontée de l'antisémitisme.
C'est la première fois que je m'exprime dans le cadre d'une commission d'enquête. J'en comprends la solennité et j'essaierai d'en entendre les objectifs. Je précise que je n'ai pas eu le temps d'écouter les auditions précédentes. Depuis quelques jours, j'ai essayé de me remémorer précisément les événements. Ces derniers ont eu lieu dans le contexte du meurtre d'Ilan Halimi, de l'attentat de Toulouse et de l'Hypercacher. J'ai vécu pendant ces années la douleur de la communauté juive confrontée à l'antisémitisme, l'antisionisme et la montée de l'islamisme radical, dans une forme de solitude et d'une écoute quelque peu insuffisante. J'ai appris la mort de Sarah Halimi par différents appels dans la matinée, notamment par Me Alex Buchinger, avocat en lien avec la famille, au nom du Rav Rottenberg, rabbin de la communauté de Mme Halimi, dans le cadre d'une demande qui m'est souvent adressée dans les situations de meurtre. Le corps allait être porté à l'institut médico-légal de Paris, ou l'avait déjà été. La famille ne souhaitait pas qu'une autopsie ou qu'un prélèvement d'organes soit réalisé, et demandait que le corps soit rendu le plus rapidement possible. Dans ces situations, je préfère que la demande émane de la famille plutôt que d'un président de communauté ou un rabbin, car des conséquences légales requièrent l'intervention des ayants droit. Les filles de Mme Halimi, zikhronah livrakha, que sa mémoire soit bénie, m'ont envoyé un SMS. Je me suis aussitôt mis en contact avec le procureur Molins, qui était déjà intervenu dans les mêmes circonstances pour l'attentat de l'Hypercacher pour faciliter le départ des corps en Israël. Je voudrais souligner encore sa réactivité dans ces moments douloureux qui surviennent malheureusement à plusieurs reprises chaque année. Le 4 avril 2017, dans la journée, je suis intervenu auprès du préfet Cadot et du procureur en portant deux demandes. Dans un premier temps, je souhaitais leur transmettre le message de la famille qui demandait qu'il n'y ait pas d'autopsie et que le corps soit rendu le plus rapidement possible, les conditions de la mort étant en effet presque évidentes. Ma seconde question concernait l'éventuel caractère antisémite du meurtre. Le préfet et le procureur ne m'ont pas donné de réponse immédiate.
Me Buchinger vous a-t-il fait part de sa suspicion du caractère antisémite ? M. William Attal m'en a très longuement parlé deux jours plus tard.
Nous étions encore le mardi soir. En fin de journée, j'ai apporté une précision au procureur et au préfet, ainsi qu'au premier ministre, M. Bernard Cazeneuve, le lendemain, en ajoutant : « les filles et le frère me disent que l'assassin est musulman, le commissaire leur aurait dit que l'assassin lisait le Coran et qu'il était sorti de prison, et que ça serait selon lui un acte antisémite. » Ces propos venaient de la famille de la victime. Je n'ai pas accès à l'enquête et je m'interdis en général de commenter les réseaux sociaux, car je cherche à obtenir les informations les plus vraies en raison de ma responsabilité.
Je l'ignore. Excusez-moi : ce n'était pas le commissaire, mais l'officier de police judiciaire qui les a reçus au commissariat. J'étais immédiatement persuadé qu'il s'agissait d'un acte antisémite. J'étais alors partagé, et le suis toujours, entre ma conviction en tant que citoyen et ma responsabilité en tant que président d'institution de respecter les règles de la procédure et de la vérité. Ma contribution à la vérité est de dire, avec l'insistance qui m'est connue, ce que je pense être la réalité. J'écris au préfet Cadot par SMS ce que les filles de Mme Halimi m'ont dit, et qui est suffisamment important, venant d'un commissariat, pour attirer l'attention du préfet qui m'informe alors que l'affaire est suivie par la police judiciaire et ne relève plus de sa responsabilité. Le procureur me répond quant à lui le mardi soir que le corps va être rendu, car l'autopsie a été réalisée le jour même. Je leur transmets ces différentes informations que je tiens de la famille.
Le mercredi matin, j'appelle le premier ministre, M. Bernard Cazeneuve, car la pression montait au sein de la communauté juive et je souhaitais apporter une réponse précise. Je lui rapporte ce que j'avais entendu de la part des filles de Mme Halimi. Les propos concernant les cris « Allah akbar » et les sourates du Coran commençaient à circuler. Je souhaitais faire la part des choses, mais il me semblait toutefois disposer de suffisamment d'éléments pour penser que l'acte était antisémite. La justice devait cependant faire ce qu'elle avait à faire. J'ai alerté tous les acteurs, le préfet Cadot, le procureur de la République, et, le lendemain, M. Bernard Cazeneuve, afin que chacun dispose des mêmes informations. Le premier ministre m'a alors indiqué qu'à ce stade, le caractère antisémite n'était pas retenu.
Quel était l'avis que vous a transmis le préfet Cadot sur la question de l'antisémitisme ?
À ce moment, personne ne reconnaît le caractère antisémite, ce qui me pousse à poursuivre mon combat. Dans la soirée, alors que j'assistais à la levée du corps dans une cour devant la synagogue du Rav Rottenberg, le procureur m'envoie un message m'indiquant que le corps est restitué et que le permis d'inhumer est signé. Je l'interroge sur le caractère antisémite en soulignant que les réseaux sociaux s'enflamment. Il me répond, peut-être un peu plus tard, que l'assassin n'est pas en garde à vue en raison de son état psychiatrique. J'étais très énervé.
Pour être précis, il a été décidé par le psychiatre officiant à la préfecture de Paris que l'état de M. Traoré ne pouvait l'amener à être placé en garde à vue. Il a donc été emmené dans un endroit spécialisé pour personnes souffrant de problèmes mentaux et ne pouvant être placées en garde à vue.
Le procureur me rapporte donc ces informations. Je ne connais pas encore le ministre de l'intérieur. J'entre en contact avec lui dès le lendemain matin, car je constatais l'évolution de l'affaire sur les réseaux sociaux. Je me souviens mal de notre échange, je sais que je lui ai posé les mêmes questions et lui ai demandé que l'enquête se fasse. À ce moment précis, j'ai demandé conseil au préfet Cadot, car je le connais depuis plusieurs années pour avoir suivi avec lui d'autres affaires similaires, notamment au moment de l'Hypercacher. Je ne pouvais rester silencieux, compte tenu de ma responsabilité, mais je ne voulais rien dire d'inexact. Le préfet m'a conseillé de parler avec le procureur, qui m'a reçu avec les représentants des institutions juives le jeudi ou le vendredi matin. Dans notre communiqué, nous avons repris une phrase du procureur, qui n'était donc pas notre propos : « rien ne permet de retenir le caractère antisémite et rien ne permet de l'exclure. L'enquête se poursuit et toutes les pistes sont ouvertes ». Nous pouvions avoir nos convictions, mais dans un État de droit, nous écoutons le procureur et répétons fidèlement ses propos à la communauté. Je me souviens très bien que nous avions pesé nos mots pour ne pas contredire les propos du procureur. C'était une avancée, car les premiers éléments de l'enquête parlaient de problèmes psychiatriques et de drogue et non du caractère antisémite. Lorsque nous avons rencontré le procureur, nous avions davantage d'éléments. Certains disaient aussi que le temps de réaction pour entrer dans l'appartement avait été un peu trop long. Nous avons évoqué tous ces éléments.
En tant que citoyen, Juif, responsable de la communauté juive, ayant suivi et accompagné les familles dans les drames qui ont précédé ce meurtre, le caractère antisémite me paraissait évident. Nous sommes dans une société où je ne peux être juge, sans qu'une enquête ait été menée. J'ai répété les propos des pouvoirs publics, car je fais confiance à la justice de mon pays. En revanche, il nous a paru très important d'inscrire une forme d'appel à témoins dans le communiqué. En effet, des témoignages apparaissaient sur les réseaux sociaux et il paraissait essentiel de nous les apporter directement. C'est un peu ce que j'ai fait dans la dernière tribune à la suite de la décision de la Cour de cassation. Le communiqué mentionne : « chaque information, chaque témoignage peut être décisif. Tous ceux qui pensent pouvoir contribuer à l'enquête doivent se manifester auprès des enquêteurs et leur délivrer toutes les informations dont ils disposent. » Il était fondamental de dire à la communauté juive en émoi que nous avions rencontré le procureur, même si nous ne pouvions leur annoncer que le procureur avait décidé qu'il s'agissait d'un acte antisémite. Parallèlement, le consistoire s'est porté partie civile, parce que j'ai exprimé à de très nombreuses reprises mon intime conviction que cet acte était antisémite, afin d'entraîner la justice à mener son enquête jusqu'au bout. Ce n'est qu'en septembre que le caractère antisémite a été retenu.
Mon rôle a toujours été à la fois d'exprimer ce que la communauté juive ressent, ce que je ressens dans mon cœur est rarement différent, d'alerter et, modestement, de presser tous les intervenants à pousser l'enquête au maximum, ce qu'ils auraient certainement fait de façon normale et naturelle, pour qualifier correctement cet acte, reconnu plus tard antisémite, dont nous avions l'intime conviction, dès le départ, qu'il l'était.
Merci pour votre propos liminaire. Vous avez porté à notre connaissance un nouvel élément. Vous nous avez déclaré que vous aviez appelé le premier ministre qui vous a dit très tôt, avant même le procureur, qu'à son avis, il ne s'agissait pas d'un meurtre à caractère antisémite.
Non, tout s'est passé dans un temps très réduit entre le mardi soir et le mercredi matin. Le premier ministre me tenait les mêmes propos que le procureur jusqu'au vendredi, c'est-à-dire qu'aucun élément n'était suffisant pour retenir le caractère antisémite.
Des cris ont été entendus : « Allah akbar », « j'ai tué le sheitan du quartier », « que dieu me soit témoin ». Il a fait ses ablutions, a récité des sourates du Coran qui parlent justement du meurtre de Juifs, comme nous l'avons appris plus tard. Nous sommes alors à quelques semaines de l'élection la plus importante pour le pays. Pensez-vous que le climat électoral et la présence d'une candidate du Front national en position de force aient pu exercer une influence sur les réponses que vous avez reçues ? Vous dites que le premier ministre n'a pas retenu le caractère antisémite. Or, d'après les éléments factuels dont disposait la police, tout semblait indiquer ce caractère antisémite, dont vous aviez vous-même l'intime conviction.
Il m'est impossible de répondre à cette question. Dans mes échanges en confiance avec le préfet, le procureur, le premier ministre et le ministre de l'intérieur, je n'ai à aucun moment perçu un lien avec la campagne électorale. Je ne sais même pas si elle entrait dans mes considérations.
Je ne l'ai pas ressenti. Tous les échanges se sont faits très rapidement. Chacun m'a écouté avec attention, et a indiqué ce que le procureur a conclu le vendredi, c'est-à-dire que rien ne permet de retenir ni d'exclure le caractère antisémite. Comme vous, M. le président, quand j'entends parler de ces sourates, des cris « Allah akbar », je conclus à l'antisémitisme, mais le préfet, le procureur, le premier ministre et le ministre de l'intérieur disposaient des mêmes éléments. Il faut leur poser la question. Je ne fais que répéter ce qu'a dit le procureur. Malheureusement, il a été déclaré que l'assassin souffrait de problèmes psychiatriques. J'ai tout de suite imaginé que l'affaire s'en verrait ralentie, et que nous devrions continuer le combat pour faire reconnaître le caractère antisémite. C'est la raison pour laquelle le consistoire s'est porté partie civile. Quant aux autorités représentant l'État, c'est à elles de vous dire leur conviction. Par habitude des relations avec ces dernières, je pense qu'elles font toujours preuve de prudence dans la qualification des faits, ce que je comprends. Cependant, je comprends moins qu'autant de temps ait été nécessaire pour reconnaître la qualification d'antisémitisme une fois que l'enquête a été menée et qu'un juge d'instruction a été nommé. J'en ressens de la colère, mais je ne suis pas juge.
Mme Johanna Brousse, que nous avons auditionnée et qui était substitute du procureur et primo-intervenante judiciaire dans cette affaire, s'est rendue sur les lieux du crime. Elle nous a raconté avec une immense émotion qu'elle était la première à aller vers le corps. Elle était enceinte à ce moment. Les images qu'elle a vues étaient terribles. Nous avons rapidement compris qu'elle était de confession juive. Je cite ses propos : « le soir même, je le sais, la question de savoir si c'est un crime antisémite s'est tout de suite posée. ». Je poserai la question au procureur. Cependant, vous dites que le premier ministre, dont nous connaissons la détermination, et qui a laissé à la France l'image d'un grand premier ministre et d'un grand ministre de l'intérieur, a déclaré que cet acte n'était pas antisémite.
Je pose la question à chacun, c'est mon rôle.
Non. Le procureur me l'a dit également. Tous ces contacts ont eu lieu en l'espace de vingt-quatre heures. Si nous avons essayé de convaincre le procureur avec les éléments dont nous disposons, c'est parce que jusqu'alors mes interlocuteurs n'avaient pas retenu ni exclu le caractère antisémite pour des raisons juridiques. Le procureur ne dispose pas d'éléments suffisants pour me répondre. Je n'aime pas la façon dont on essaie de me faire dire des choses à propos du premier ministre. J'ai toujours été dans un chemin de vérité et de rigueur. Je considère que ce n'est pas normal qu'il ait fallu autant de temps pour que le caractère antisémite soit reconnu. Mon rôle, dès les premières minutes, a consisté à informer tous les acteurs. J'ai eu des contacts avec chacun en personne, et non avec des chefs de cabinet, car je considérais que l'affaire était suffisamment grave et que les antécédents que nous avons connus en France justifiaient que je dérange ces personnalités à une heure tardive. Toutes ces personnes, pour des raisons qui leur appartiennent, et que je peux comprendre du fait de mon respect des règles et lois de notre pays, n'ont pas jugé, à ce moment-là, que le meurtre était antisémite, en tout cas ne l'ont pas dit.
Le Grand rabbin de France m'a appelé le vendredi, après que j'ai entendu le frère de la victime, M. Attal, pendant deux heures, et m'a dit qu'il n'y avait pas de caractère antisémite.
Je n'ai pas dit que selon moi il n'y avait pas de caractère antisémite. Qu'on ne me fasse pas dire que selon les éléments dont je disposais, ce n'était pas antisémite. Selon les éléments dont je disposais, dès la première minute, j'ai considéré que c'était antisémite. Mais je peux comprendre que des personnalités publiques, soumises à une instruction, au contradictoire, ne puissent pas le dire dans l'immédiat.
Dans le cas du meurtre de Mireille Knoll, j'ai été aussi appelé par ses frères. Je me suis rendu chez eux pendant deux heures et demie en banlieue. Ils m'ont raconté en larmes l'histoire de leur mère. Je leur ai suggéré de prendre contact avec Me Gilles-William Goldnadel. Le lendemain de ma visite le caractère antisémite a été reconnu.
Peut-être que ce précédent a aidé à ce que ce soit plus facile à ce moment.
Selon un témoin, vous vous seriez rendu dans le commissariat du quartier où ont été auditionnées les filles de Sarah Halimi.
Je ne me suis jamais rendu au commissariat du 11e arrondissement. Pourquoi ?
Non, je n'y suis pas allé. C'était peut-être une erreur de ne pas m'y être rendu. Je ne me rappelle pas très bien si j'ai eu un contact avec le commissaire du 11e arrondissement. Beaucoup de ces contacts ont eu lieu par téléphone ou par SMS, afin d'essayer de comprendre ce qui s'était passé et pour que le caractère antisémite soit reconnu. Ma première préoccupation, au moment où j'ai appris la nouvelle, était de permettre que l'inhumation ait lieu le plus vite possible en Israël selon les désirs de la famille.
J'ajoute que cela a été fait avec une très grande rapidité, car 48 heures après, le corps était en Israël.
Je témoigne, à l'attention du procureur Molins, de la rapidité avec laquelle les corps ont été rendus à la famille afin qu'ils soient inhumés en Israël, tant pour les meurtres de l'Hypercacher que pour celui de Sarah Halimi. Cette réactivité fait honneur à notre pays.
Le but de cette commission n'est pas de faire un nouveau procès, mais de chercher les éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire Sarah Halimi. La famille souhaite une révision du procès, mais cela n'entre pas dans notre périmètre. Quels sont les dysfonctionnements que vous identifiez dans cette affaire, si vous en observez ?
Il faut revoir les conditions permettant aux pouvoirs publics de reconnaître la qualification antisémite le plus rapidement possible. Dans le contexte de l'émotion de la communauté juive à ce moment, un temps d'enquête aussi long était-il nécessaire pour parvenir à cette qualification ? Sans la reconnaissance rapide du caractère antisémite, raciste ou xénophobe, la communauté, minorité ou genre attaqué souffre d'un sentiment de déni.
Vous connaissez le respect de la communauté juive pour la police, notamment pour la protection apportée dans tous nos bâtiments. Toutefois, des récits que nous entendions, et qui circulaient sur Internet, mentionnaient une forme de lenteur et un manque de réactivité de la police. Le nouveau ministre de l'intérieur, M. Fekl, nous a reçus avec le préfet et a relaté minute par minute l'intervention de la police. Nous ne sommes que des citoyens, mais nous étions inquiets. Notre rôle est de chercher la vérité et de pouvoir la dire. Nous nous interrogions sur l'intervention de la police au moment des faits, et sur la raison pour laquelle ils ne sont pas entrés dans l'appartement alors qu'ils entendaient ce qu'il se passait. Il y a eu une interrogation. À cette question, le préfet Delpuech nous a indiqué qu'il n'avait rien à reprocher aux forces de police selon les éléments dont il disposait.
L'assassin a été placé en psychiatrie. Lorsque la cour d'appel a considéré en 2019 que la personne ne pouvait être jugée, j'ai parlé dans une tribune de déni de justice et de fragilisation de la communauté juive, à laquelle j'essaie de redonner confiance en l'avenir. L'un des points fondamentaux dans le judaïsme est « dina Dé-malkhuta dina », la loi du pays est la loi. La vie juive dans le monde entier est basée sur le respect élémentaire de la loi du pays. Dans ce contexte, je suis obligé en tant que président du consistoire de répéter les propos du procureur Molins ; mais la Cour de cassation, sachant que l'homme a eu suffisamment de discernement pour choisir une victime juive, s'introduire chez elle, réciter des sourates du Coran sans se tromper, a estimé qu'il avait suffisamment de discernement pour que son acte soit antisémite, mais pas assez pour être jugé. Voilà où est le dysfonctionnement. Je peux encore entendre qu'il ait fallu beaucoup de temps pour arriver à cette qualification. Cependant, dans ma conscience de citoyen respectueux de la loi, il est problématique d'annoncer à la communauté juive que sous l'emprise d'une drogue, un individu peut assassiner sans être jugé. Créer une loi Sarah Halimi constituerait une légère réparation, mais la seule véritable réparation serait une reconstitution. Je n'ai pas compris et je ne comprends toujours pas pourquoi la reconstitution n'a pas été faite alors que l'assassin était d'accord. Vous devriez enquêter sur ce sujet.
Je ne comprends pas l'absence de reconstitution. Je vois fréquemment à la télévision des reconstitutions complexes et coûteuses. Dans ce cas précis, la reconstitution aurait été facile à réaliser. Elle aurait aidé à comprendre comment, pendant de longues minutes, des voisins ont pu entendre « Allah akbar ».
Imaginez-vous une telle durée ? Une reconstitution aurait beaucoup changé l'appréhension des faits. Comment peut-on dire que c'est un fou, qui a fait croire pendant un certain temps, sur un balcon, que cette femme allait se suicider ?
Son discernement était suffisant pour maquiller les choses. Enfin, dans la tradition juive, lorsque plusieurs avis rabbiniques sont à disposition, il y a toujours un avis sur lequel s'appuyer. Selon l'un des psychiatres, l'abolition du discernement n'était que partielle. Je ne comprends pas pourquoi cet avis n'a pas été retenu, puisqu'aucune règle n'exige que l'avis soit majoritaire.
En l'occurrence, il s'agissait du seul et unique avis, mais la juge d'instruction a décidé d'en demander un autre.
M. le président, votre audition nous intéresse pour comprendre dans quelle mesure les autorités religieuses ont été associées à l'enquête et à l'instruction. Votre propos liminaire et vos réponses nous renseignent sur la reconnaissance du caractère antisémite du crime aux différentes étapes de la procédure et sur la position qu'ont choisie de prendre les représentants du judaïsme dans cette affaire. Je vous remercie d'avoir rappelé que vous faisiez confiance à la justice de notre pays. C'est très important. Je vous remercie également d'avoir souligné le rôle des réseaux sociaux, qui ne sont pas juges dans notre pays.
Seriez-vous favorable à l'assouplissement de la possibilité pour les juges d'instruction d'investiguer sur les faits de circonstances aggravantes et de mettre en examen un accusé par exemple sur une qualification d'antisémitisme, y compris lorsque le parquet ne l'a pas saisie ? Je souhaiterais enfin connaître votre position sur le souhait des avocats d'engager des poursuites en Israël sur les faits qui ont été définitivement jugés en France.
Je ne suis pas avocat. Je ne veux pas donner l'impression d'entraver la liberté en poussant trop loin l'investigation. Toutefois, les investigations ne sont pas suffisantes, ce qui entraîne des retards. Pourriez-vous reformuler votre question ?
Nous avons auditionné la juge d'instruction, et nous auditionnerons les juges qui ont été co-saisis avec elle sur le fait de circonstances aggravantes de type discriminatoire, dont l'antisémitisme fait partie. L'antisémitisme ne figurait pas dans la saisine initiale du parquet. C'est aussi ce qui a pris du temps pour aboutir à cette reconnaissance, selon les explications de la juge d'instruction. Il pourrait être donné au juge d'instruction la possibilité d'investiguer au-delà de la saisine d'origine du parquet, pour gagner du temps sur ce type de reconnaissance.
J'imagine que de longs dossiers et un grand nombre d'études seraient nécessaires pour changer cette règle, et il me paraît difficile de répondre rapidement. Tout ce qui permettrait d'éviter la situation tragique que nous avons connue, dans le respect des lois et règles de notre pays, me paraîtrait bienvenu.
J'aurais souhaité que votre deuxième question ne se pose pas et que notre pays puisse répondre à l'attente d'une famille et d'une société amputées d'un procès qui aurait dû avoir lieu. J'aurais aimé que la justice française trouve des solutions pour qu'une révision soit faite et qu'une reconstitution apporte de la lumière sur cette affaire.
L'antisémitisme, dans cette triste affaire, est reconnu par la justice au bout de huit mois. Le Président de la République, fait très rare, intervient très tôt, dans le courant de l'été, pour dire que le crime semble être antisémite. La justice reconnaît le caractère antisémite quelques semaines avant d'annoncer que le procès n'aura finalement pas lieu. Selon vous, la reconnaissance du caractère antisémite du crime apparaît-elle comme un lot de consolation du fait de l'absence de procès ? Pourquoi, à votre avis, la reconnaissance du caractère antisémite d'un bon nombre de crimes par la justice en France est-elle toujours aussi difficile ?
J'aurais préféré que ces questions ne se posent pas. Lorsque nous avons la conviction que le crime est antisémite, il est important que cette qualification soit reconnue. La communauté juive en France vit une période très douloureuse, peut-être la plus douloureuse depuis la Shoah. Tout ce qui donne à penser qu'une vérité est maquillée entraîne davantage d'anxiété et de malaise. J'aurais préféré qu'il n'y ait pas de crime antisémite. Toutefois, quand des actes antisémites sont commis, ou des actes racistes plus généralement, ma responsabilité est de les dénoncer, comme les Juifs l'ont toujours fait dans notre histoire. Il est donc fondamental pour nous que la qualification soit réelle et rapide, pour ne pas donner lieu à des interrogations sur notre justice.
Pouvez-vous reformuler votre deuxième question ?
Le caractère antisémite a été reconnu huit mois après le crime, alors que le Président de la République se prononce dès l'été sur le sujet. Cependant, quelques semaines après la reconnaissance de qualification, nous apprenons qu'il n'y aura pas de procès. Cette reconnaissance n'est-elle pas une forme de lot de consolation ?
En tant que citoyen juif, il ne me paraît pas suffisant que le meurtre soit reconnu antisémite, mais qu'il n'y ait pas de procès. C'est encore plus grave de penser que dans notre pays, l'islamisme radical est combattu et l'antisémitisme dénoncé notamment grâce à des lois, mais que par un moyen détourné, un procès est évité à un assassin pour motif antisémite. Il est difficile de penser que c'est un antisémite qui ne sera pas jugé.
Nous avons auditionné M. Christophe Dansette, journaliste à France 24, qui a enquêté sur le sujet et détient des témoignages audio selon lesquels M. Traoré continue à se droguer dans l'unité médicalisée où il se trouve et qu'il aurait refusé de se faire soigner par une infirmière d'origine juive. La source de M. Dansette a indiqué qu'il savait très bien simuler et qu'il se rendait de temps en temps chez lui. Cette source le côtoie actuellement. Nous sommes nombreux à nous poser des questions. Cette commission donnera lieu à un rapport, que signeront ceux qui le veulent. Me concernant, j'identifie des dysfonctionnements. Chacun exprime son avis dans l'indépendance du Parlement qui ne rejuge pas l'affaire. Les fous ne sont pas jugés, et les juges ont estimé que M. Traoré était fou et qu'il n'était donc pas responsable de ses actes.
De façon générale, pourquoi la reconnaissance par les juges du caractère antisémite vous semble-t-elle difficile ?
Il est difficile de répondre de façon générale. Chaque cas est différent. Il apparaît cependant que dans plusieurs situations le caractère antisémite aurait dû être reconnu plus tôt.
Merci de vos propos. Je vous donne acte de vos propos sur les sujets importants qui nous concernent tous cet après-midi et de votre totale incompréhension face à l'absence de reconstitution dans le cadre de la procédure judiciaire. Nous avons longuement auditionné la juge d'instruction, qui n'a procédé à aucune reconstitution ni aucun déplacement sur les lieux du meurtre. L'audition a été publique, vous pouvez trouver la vidéo sur le site de l'Assemblée nationale.
Je souhaitais prolonger la question de Sylvain Maillard, qui a beaucoup œuvré, avec d'autres, pour la reconnaissance de la définition opérationnelle de l'alliance internationale pour la mémoire de l'Holocauste. L'un des objectifs de cette définition est de fournir des outils pour les administrations, la justice, la police et l'éducation, pour mieux cerner, comprendre, analyser et mettre en œuvre les moyens de lutter contre l'antisémitisme. Le fait que la France, à travers la parole du chef de l'État puis à travers le vote, large, bien que pas unanime comme nous l'aurions souhaité, adopte une définition opérationnelle de l'antisémitisme, a-t-il permis de faire avancer la prise en compte et reconnaissance de la caractérisation de l'antisémitisme dans l'appareil d'État et la justice ?
Je suis obligé de dire la vérité, et je vous répondrai donc que c'est évident. Toutefois, j'aurais préféré que le vote soit unanime. Il n'a pas été large, mais acquis de justesse. La reconnaissance n'est pas encore massive et des villes en France ont refusé cette définition. Elle représente bien sûr une avancée majeure, et je remercie les députés de leur travail collectif, mais il n'est pas normal que nous ayons craint que la loi ne soit pas votée. Cette loi a eu le mérite de créer une nouvelle dynamique dans notre pays.
Pour conclure, je vous relis une phrase que j'ai écrite dans Le Monde juste avant la manifestation pour Sarah Halimi, pour rappeler l'intensité de l'émotion qui saisissait la communauté : « comment rassurer nos coreligionnaires et continuer à bâtir un avenir solide et pérenne en France si la justice, elle, ne nous rassure pas sur sa capacité à être intraitable avec les antisémites et les islamistes ? ». Cette phrase résume l'inquiétude de la communauté juive et sa volonté de continuer à respecter les décisions de justice et la parole publique et à comprendre cette parole publique qui doit être argumentée. Mais, par ailleurs, aucun antisémite ne doit pouvoir échapper à la justice.
La réunion se termine à quinze heures vingt-cinq. Membres présents ou excusés
Commission d'enquête chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite Sarah Halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement
Présents. – Mme Emmanuelle Anthoine, Mme Aurore Bergé, Mme Sandra Boëlle, Mme Aude Bono-Vandorme, Mme Camille Galliard-Minier, Mme Constance Le Grip, M. Richard Lioger, M. Sylvain Maillard, M. Didier Martin, Mme Florence Morlighem, M. Didier Paris, M. François Pupponi