La séance est ouverte à 16 heures 20.
Présidence de M. Ugo Bernalicis, président
La Commission d'enquête entend M. Jean-Marc Oléron, sous-directeur de la 8ème sous-direction de la direction du budget, accompagné de M. Jérôme Paillot, adjoint au chef de bureau justice et médias.
Mes chers collègues, nous accueillons M. Jean-Marc Oléron, sous-directeur de la 8ème sous-direction de la direction du budget, dans lequel se trouve le bureau Justice et médias en charge du budget de la justice, qui est accompagné de M. Jérôme Paillot, adjoint au chef de ce bureau.
Cette audition est diffusée en direct sur le site de l'Assemblée nationale et sera consultable en vidéo. Elle fera également l'objet d'un compte rendu écrit qui sera publié.
Monsieur, je vais vous laisser la parole pour une présentation liminaire, qui précédera notre échange sous forme de questions et de réponses.
Auparavant, l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « je le jure ».
(M. Jean-Marc Oléron prête serment.)
Je commencerai par évoquer quelques éléments de contexte sur le budget de la justice et sur la manière dont nous travaillons, ce qui me permettra de répondre en partie aux questions que vous m'avez envoyées.
Je ne vous décrirai pas tout le budget de la mission Justice. La partie justice judiciaire en est une des composantes, identifiée par un programme propre. Le budget de la justice est divisé en plusieurs programmes : les programmes métier, qui dépendent de l'activité principale du ministère, et les programmes transversaux ou programmes support. Le programme métier dédié à la justice judiciaire représente 2,8 milliards d'euros.
Ces dernières années, le budget de la justice a augmenté plus vite que les crédits du budget général de l'État. Cette hausse observée depuis 1999 s'est accélérée récemment, notamment avec la loi de programmation de la justice, qui en a renforcé les moyens.
À l'intérieur de ce budget, le programme « Justice judiciaire » a également vu ses moyens augmenter sensiblement. Il importe de regarder non seulement les moyens inscrits au budget, mais aussi leur mise en œuvre en gestion. En dehors des dépenses immobilières, sujet emblématique que nous pourrons évoquer par la suite, il n'y a pas de distorsion particulière à constater entre moyens engagés et crédits effectivement dépensés.
Les effectifs ont par ailleurs été renforcés et continuent de l'être dans le cadre de la loi de programmation de la justice ; nous pourrons vous communiquer toutes les séries statistiques si vous le souhaitez. Le niveau de sous-effectif est limité par rapport à la totalité des effectifs.
Vous m'avez interrogé sur la structuration du budget, notamment sur l'opportunité de créer une mission à part. À la direction du budget, nous sommes assez attentifs à ne pas multiplier les missions et à conserver une architecture opérationnelle. Réunir dans une unique mission Justice plusieurs programmes permet à la fois de retracer les crédits et de les suivre en gestion, de s'assurer qu'il n'y a pas de distorsion et de comprendre leur évolution. Toutes les données sont présentes dans les documents budgétaires, et cette structuration facilite les synergies entre les différents programmes ; l'objectif n'est donc pas seulement financier.
Concernant le déroulement de la discussion budgétaire, qui fait également l'objet d'une de vos questions, l'existence d'un programme « Justice judiciaire » à l'intérieur de la mission Justice fait que nous abordons directement les questions relatives à cette composante. L'élaboration d'un budget prend une année, avec plusieurs cycles de réunions. À la direction du budget, notre interlocuteur principal est le secrétariat général du ministère de la justice, mais nous sommes également en contact avec ce que nous appelons les directions métier, notamment la direction des services judiciaires (DSJ) : elles participent directement aux trois conférences budgétaires étalées sur le premier semestre. Ce sont elles qui viennent directement nous expliquer leurs mesures et leurs demandes budgétaires.
Il s'agit pour nous d'un point très sensible : si on peut difficilement se passer de chiffres pour construire un budget, on ne peut se contenter de ces données. On a également besoin de s'appuyer sur les spécialistes métier. L'immobilier, par exemple, ne peut être piloté uniquement à partir de tableaux de chiffres : il faut apprécier la nature des opérations, leur complexité, les risques qu'elles comportent. Et cela vaut pour tous les sujets budgétaires. Le processus consiste à appréhender les besoins exprimés et à en faire la synthèse afin de les expliquer à ceux qui vont avoir à décider. Il fait intervenir les cabinets ministériels et Matignon. Chaque fois que nous avons des discussions budgétaires avec le ministère de la justice, les différents interlocuteurs veulent comprendre ce qu'il y a derrière les mesures.
L'autre particularité du secteur, c'est que la discussion est encadrée par la loi de programmation de la justice. Quand nous discutons de l'évolution des moyens de la justice et du budget annuel, nous appliquons une référence, que nous avons d'ailleurs contribué à bâtir et qui a fait l'objet de nombreuses discussions et échanges. Pour l'immobilier, par exemple, une référence, que nous actualisons en fonction des écarts de crédits observés, fixe le cadre général des discussions, et cela vaut pour tous les services, y compris les services judiciaires.
Vous avez souhaité savoir comment nous suivions les tribunaux et les services déconcentrés. La direction du budget intervient à un niveau « macro », si je puis m'exprimer ainsi : nous ne discutons pas avec le ministère à un niveau extrêmement fin. C'est à ce dernier que revient la responsabilité de mener les dialogues de gestion en interne, d'agréger les besoins et de les faire remonter. Nous discutons non pas au niveau du tribunal ou de la cour d'appel, mais au niveau global. S'il y a des particularités locales, par exemple un gros projet immobilier, nous pouvons alors nous en saisir, mais notre rôle n'est pas de regarder à ce niveau de détail. Pour pouvoir vous répondre, nous nous sommes donc adressés au contrôleur budgétaire et comptable ministériel (CBCM) et aux contrôleurs budgétaires régionaux (CBR), qui suivent la gestion du ministère de la justice de manière beaucoup plus précise et au plus près de sa structuration sur l'ensemble du territoire.
Nous sommes très attentifs par ailleurs aux rapports publiés, qui nourrissent évidemment la discussion budgétaire, non seulement par les propositions avancées sur l'évolution de la structure et des moyens, mais aussi par les connaissances qu'ils permettent d'acquérir hors champ financier.
Un des enjeux majeurs de la procédure budgétaire réside dans les informations de gestion et dans la façon dont elles nous sont transmises. La préparation du budget s'appuie à la fois sur les directions métier et sur le secrétariat général du ministère de la justice, en charge de l'élaboration et de la synthèse. C'est l'interaction entre ces différents acteurs qui permet d'établir un dossier budgétaire, de préparer les arbitrages, puis de mettre en œuvre les décisions. C'est pourquoi nous nous efforçons d'acquérir une connaissance précise de la situation du ministère.
Ce travail se traduit dans les documents budgétaires qui vous sont transmis qui comportent une partie sur les chiffres et les mesures et une partie sur les indicateurs. Celle-ci gagnerait sans doute à être renforcée et améliorée s'agissant de la mission Justice, car tous les indicateurs ne sont pas forcément renseignés au moment de la présentation. Or, ils reflètent l'objectivation des demandes recueillies auprès des directions métier, le travail de compréhension des ressorts de l'action, qui dépasse le simple cadre du témoignage ponctuel.
Souhaitez-vous que je passe en revue rapidement les questions que vous m'avez envoyées ?
Vous pouvez nous transmettre vos réponses par écrit, ainsi que les documents budgétaires que vous avez mentionnés. Nous aimerions à présent avoir votre regard sur plusieurs points.
Avant toute chose, je tiens à vous remercier de votre présence, car il est assez rare que les personnels de la direction du budget soient invités devant la représentation nationale pour évoquer l'interaction entre le ministère des finances et les autres directions ministérielles.
Vous avez dit essayer de ne pas multiplier le nombre de missions et de programmes budgétaires, et je présume que cela vaut aussi pour les budgets opérationnels de programme (BOP) et les unités opérationnelles (UO). Pourquoi cette doctrine de concentration budgétaire ? Qu'est-ce qui s'oppose par exemple à ce qu'il y ait un BOP par cour d'appel, dès lors que leurs chefs sont tous ordonnateurs secondaires ?
Pour le budget du ministère de la justice, mais c'est vrai aussi d'autres ministères, la difficulté consiste à agglomérer les demandes qui sont remontées afin d'en avoir une vision complète et synthétique. Une structuration éclatée localement contraindrait à descendre à un niveau très fin pour organiser les dialogues de gestion puis à faire remonter progressivement l'information. Ce n'est pas impossible à faire, mais ça mobiliserait des moyens, une masse de travail beaucoup plus importants. Que des structures intermédiaires réalisent elles-mêmes le travail de synthèse et de remontée décharge en partie l'administration centrale, car cette charge incombe au ministère de la justice. Pour notre part, nous n'intervenons qu'au stade final, une fois que toutes les demandes ont été synthétisées et toutes les situations analysées. S'appuyer sur une structuration resserrée présente l'avantage de limiter le nombre d'équipes et, par suite, le nombre d'interlocuteurs pour la remontée d'information au niveau central. À l'inverse, la multiplication des interlocuteurs est chronophage et rend l'exercice plus difficile.
Je comprends vos arguments théoriques, mais il me semble qu'il y a une forme d'hypocrisie au sein du ministère de la justice sur ce point. Chaque premier président de cour d'appel ayant la responsabilité de faire des choix budgétaires, il serait logique d'attribuer un BOP à chaque cour d'appel. Réduire le nombre de BOP ne simplifie pas leur travail, puisque de toute façon les chefs de cour assistent aux réunions de dialogue de gestion.
Alors qu'ils ont tous les mêmes missions, et qu'il n'y a entre eux aucune hiérarchie, certains disposent d'un BOP, d'autres d'une UO, ce qui crée une distorsion, là où il faudrait au contraire fluidifier le processus en cohérence avec une carte des responsabilités qui, elle, est simple. C'est en outre contraire à l'esprit de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), qui veut qu'à chaque échelon de responsabilité, BOP ou UO, corresponde un certain degré d'autonomie exercé au moyen d'outils dédiés tels que l'application Chorus.
La direction du budget verrait-elle une difficulté à aller dans ce sens ? Il s'agit d'ailleurs d'une proposition du rapport du professeur Michel Bouvier sur l'indépendance de l'autorité judiciaire, je n'invente rien !
Je suis un peu gêné de répondre à la place du ministère de la justice, parce qu'un tel changement les concerne plus directement que nous.
Nous dire que c'est de la responsabilité du ministère de la justice est déjà une forme de réponse.
J'ai moi-même conduit des dialogues de gestion dans d'autres structures : pour être bien mené, le travail budgétaire doit être effectué par des personnels dont le regard embrasse un ensemble de sujets assez vaste. Scinder, multiplier les structures, c'est risquer de perdre en capacité de pilotage et de compréhension des problèmes.
Par ailleurs, nous n'avons pas été informés de difficultés particulières par le réseau CBR quant à cette structuration : nos correspondants jugent que les dialogues de gestion ont une dimension collective assez marquée, là où d'autres ministères sont plus fermés. Tous les niveaux sont associés. Ne participant pas moi-même à ces réunions, je ne peux vous en dire plus.
On peut le comprendre : le ministère de la justice est un peu particulier du fait que ce sont des magistrats qui sont aux responsabilités, c'est-à-dire des personnels avec des garanties statutaires spécifiques qui ne peuvent imposer leurs décisions les uns aux autres en l'absence de rapport hiérarchique.
Ce problème nous a néanmoins été signalé par les premiers présidents de cour d'appel. Ils estiment que cette différenciation crée un certain malaise qui pourrait être dissipé si chaque chef de cour était responsable de BOP (RBOP) dans l'application Chorus, ce qui se justifie d'autant plus que c'est au niveau de l'UO que les crédits sont dépensés, que les demandes d'achat sont faites et que le budget est exécuté. Tous participant déjà au dialogue de gestion, qui est bien rodé, le passage de seize à trente-six BOP ne changerait rien, et simplifierait peut-être même l'organisation. Puisque vous affirmez que c'est de la responsabilité du ministère de la justice, vous pourrez dire à vos interlocuteurs qu'il ne tient qu'à eux de simplifier la carte budgétaire des juridictions.
Concernant l'opportunité de créer une mission Justice judiciaire, vous avez compris que l'enjeu était celui d'une certaine conception de la justice. Vous le savez bien, le budget est un acte politique avant d'être un acte comptable. Le fait de séparer les programmes 166 – « Justice judiciaire » –, 101 – « Accès au droit et à la justice » – et 310 – « Conduite et pilotage de la justice » – des trois autres, notamment « Administration pénitentiaire », au sein de la mission Justice n'a rien d'anodin.
J'en viens aux dépenses immobilières, sur lesquelles vous portez un regard particulier, sans doute du fait du contrôle spécifique dont ces montants importants font l'objet par les CBR et le CBCM. Le dialogue avec le ministère de la justice sur ces crédits est-il actif, où ceux-ci sont-ils sanctuarisés, notamment du fait des partenariats public-privé ?
Il y a nécessairement une discussion budgétaire, mais celle-ci n'est pas de nature à remettre en cause l'existant. Quand l'État mobilise des crédits, compte tenu du déficit, il emprunte sur les marchés, ce qui a un coût de trésorerie. Il faut donc éviter de mobiliser en gestion des crédits inutilisés.
Le premier enjeu sur l'immobilier, c'est d'ajuster le besoin pour que les crédits soient effectivement utilisés. Cette exigence vaut aussi au moment de l'élaboration du budget. La trajectoire de la loi de programmation de la justice a ainsi été revue en raison des retards constatés dans les opérations. C'est un enjeu de gestion.
Je me permets de vous interrompre, parce qu'il me semble que deux principes budgétaires viennent ici s'entrechoquer. L'exigence de bonne gestion veut que si les crédits prévus pour des opérations immobilières n'ont pas été dépensés parce que le rythme de celles-ci a été retardé, ils sont annulés. Mais la LOLF prévoit aussi le principe de fongibilité : les crédits votés par le Parlement ont une destination précise, certes, mais on pourrait imaginer que le ministère de la justice puisse conserver ceux qui n'ont pas été dépensés pour les redéployer vers d'autres besoins, non prioritaires au moment de l'élaboration de la loi de finances. Dès lors qu'ils ont été votés, ils pourraient être utilisés au cours de l'exercice. Ceci est d'ordre réglementaire ; à l'Assemblée nationale, nous ne faisons que constater ce qui s'est passé a posteriori.
La question de l'effectivité du matériel informatique du ministère de la justice s'est posée avec plus d'acuité durant le confinement, comme dans beaucoup d'administrations. Si par exemple un établissement pénitentiaire devait ne pas être construit pour une raison très valable telle que la non-obtention d'un terrain, par exemple, les crédits votés pour cette action pourraient être utilisés pour l'achat de matériel informatique en avance de phase. Avez-vous de telles discussions ?
Oui, cela arrive.
Est-ce la direction du budget qui tranche ou le ministère de la justice ? Y a-t-il des marges de manœuvre ? Comment gérez-vous la fongibilité en lien avec le ministère de la justice ?
Ce que vous évoquez est une possibilité : les crédits ne sont pas automatiquement annulés. Néanmoins, en loi de finances initiale, nous n'inscrivons pas les crédits de la trajectoire prévue pour l'immobilier si nous savons qu'ils ne seront pas utilisés, donc éventuellement redéployés, car ce serait contrevenir au principe de sincérité budgétaire.
En revanche, en gestion, il peut y avoir des discussions de ce type avec le ministère de la justice. En cas de désaccord sur l'utilité des redéploiements envisagés, c'est le Premier ministre qui tranche, et la modification des crédits est inscrite dans une loi de finances rectificative présentée au Parlement.
Nous abordons d'ailleurs ce sujet actuellement avec le ministère de la justice pour la préparation de la prochaine loi de finances initiale. La crise du covid-19 ayant provoqué des retards sur l'immobilier, nous nous interrogeons sur l'opportunité de redéployer ces crédits inutilisés.
Vous savez bien qu'on fait souvent le procès de la direction du budget et de Bercy, sur qui on fait porter la faute d'une annulation de crédits. En réalité, la décision est prise entre le ministère du budget et celui de la justice, elle est interministérielle.
Et s'il y a désaccord entre ministères, c'est l'arbitre, le Premier ministre, qui tranche, pas le ministère du budget.
Le choix de ne pas redéployer les crédits inutilisés peut aussi répondre à l'objectif de limiter le déficit de l'État. En tous les cas, le débat a lieu systématiquement, et l'annulation de crédits inutilisés au titre des retards n'est jamais automatique.
Je vous remercie de ces précisions.
Nous avons reçu ce matin le directeur des services judiciaires et la secrétaire générale du ministère de la justice. Beaucoup de questions ont été posées sur le budget, et un certain nombre de documents nous ont été remis. Au vu du rapport Bouvier et des réponses qui nous ont été données – ou pas –, je suis inquiet sur l'état de la fonction financière et budgétaire au sein du ministère de la justice, notamment sur la comptabilité analytique, dont on nous dit qu'elle n'existe pas.
Est-ce un sujet pour vous ? Allez-vous mettre en place des outils pour aider le ministère de la justice à développer ces compétences-là ? Est-ce plutôt de la responsabilité du ministère de le faire ?
Au contraire, cela fait partie des actions que nous menons. Nous essayons d'alléger un certain nombre de contrôles pour que le CBCM, service financier proche du ministère de la justice et qui suit sa gestion, soit aussi un service d'appui sur différents sujets. Nous faisons cela à partir de l'analyse des risques de chaque structure et de plans d'action. Cela peut prendre plusieurs formes, sur des sujets un peu sensibles comme l'immobilier, les frais de justice, la comptabilité analytique.
Je parlais de la performance car nous ne sommes pas totalement satisfaits de la situation où, quand on élabore le document qui vous est envoyé pour préparer le projet de loi de finances, certains indicateurs ne sont pas disponibles et énormément de tableaux portent pour seule indication « nd ». Nous avons des indicateurs très intéressants dans l'intitulé mais la donnée n'est pas forcément disponible.
Ce sont là des orientations que nous essayons de mettre en avant, pour une façon de travailler un peu plus collaborative entre la direction d'administration centrale que nous sommes, le CBCM et le ministère de la justice dans ses différentes composantes. Nous avons conduit ces dernières années un gros travail sur l'immobilier, pour avoir des échanges techniques qui nous permettent de parvenir à un accord au moment du budget. Il faut être sûr du tableau qu'on utilise, de ce qu'il y a derrière, de son interprétation…
La comptabilité analytique est évidemment un enjeu important. Même si, en tant que direction centrale, nous n'allons pas regarder à un niveau de détail très fin, il nous faut des indicateurs ou des données financières qui nous permettent de rentrer dans la mécanique du ministère afin de comprendre où sont les points de faiblesse, les insuffisances, et nous faire une idée de la manière dont l'activité évolue.
Nous avons été contents de voir conduire le Printemps de l'évaluation l'an dernier, car la LOLF est déjà quelque chose d'ancien mais nous avons encore du travail pour rendre les documents budgétaires parfaitement lisibles. Plutôt que de créer un nouveau document budgétaire séparé, l'enjeu pour nous est de rendre l'actuel document budgétaire, y compris dans sa partie relative aux services judiciaires, qui ne vous paraît pas assez lisible, justement plus lisible. Cela dépendra de notre capacité à mêler les aspects qualitatifs et quantitatifs.
Je peux partager votre analyse, sachant que la mission n'est pas une coquille opérationnelle en tant que telle, dans le budget, et que le plus important est le responsable de programme (RPROG). Déplacer le RPROG du ministère de la justice au CSM a beaucoup plus d'impact que de créer une nouvelle mission.
Sur les frais de justice, des problématiques nous ont été mentionnées de toutes parts : experts judiciaires non payés en temps et en heure et qui du coup ne souhaitent plus travailler avec le ministère, manques de crédits en fin de gestion… J'ai vu que c'était traité en flux 4. Il se trouve que j'ai été dans une ancienne vie « chorusien », comme on dit, et je vois en quoi cela consiste. Ne pensez-vous pas qu'il faille changer le fonctionnement des frais de justice pour que ce soient des crédits évaluatifs et non limitatifs ? Et ne serait-il pas plus judicieux de passer à un mode de gestion en flux 3, c'est-à-dire de positionner les autorisations d'engagement (AE) de manière prévisionnelle, de sorte qu'on ne soit pas bloqué en fin d'année par l'absence d'AE ? C'est une solution certes très technique mais qui pourrait avoir un impact important. Je l'ai vécue au ministère de l'intérieur, où cela a changé la donne en fin de gestion.
En vous écoutant, je me suis dit qu'il était bien dommage que mon chef de bureau ne soit pas là, car il aurait énormément apprécié vos propos. C'est un de ses chevaux de bataille.
Cela fait partie des pistes que nous regardons : augmenter la rapidité de la transmission d'information sur les dépenses, mieux analyser leur composition, passer en flux 3, c'est-à-dire prévoir une déconnexion entre l'acte engageant la dépense et la réalisation de celle-ci. Les pistes pour améliorer la gestion sont nombreuses. Cela s'est déjà amélioré, dans le sens où nous avons aujourd'hui une gestion moins heurtée et où nous avons refinancé certains postes qui présentaient des déficits chroniques. Cette dépense est une de celles qui nous posent des difficultés, car sa prévision est extrêmement difficile, elle est très variée dans sa composition et au niveau des donneurs d'ordres…
Je ne suis pas un grand spécialiste des questions budgétaires et la différence entre flux 3 et flux 4 n'est pas extrêmement nette dans mon esprit. Notre commission d'enquête ne porte toutefois pas sur l'exercice budgétaire du ministère de la justice mais sur l'indépendance de la justice, que celle-ci soit une autorité ou un pouvoir, et la question des frais de justice est à cet égard pertinente : il convient de faire en sorte que les moyens alloués à la justice soient fixés de manière à la mettre le moins possible sous contrainte de priorisations qui ne seraient pas conformes à son rôle. Cela nous intéresse aussi sous l'angle de l'indépendance interne, consistant à savoir si les juridictions ont des moyens d'action propre suffisants, un dialogue de gestion et de décision suffisant. Vous avez répondu en disant que cette mécanique interne du ministère ne vous concernait pas directement.
Gérez-vous, dans votre sous-direction, la justice administrative et la justice financière ? Pouvez-vous nous dire s'il existe des différences de traitement et de mode de gestion entre l'une et l'autre et la justice judiciaire ? Il semblerait que les différences soient assez sensibles, et je crois que le rapport Bouvier en parle. Y a-t-il, dans le cadre de votre débat budgétaire, la même indépendance d'un côté et de l'autre ?
Il n'y a aucune différence de traitement, même si les conférences budgétaires sont différentes car ce ne sont pas les mêmes programmes.
La différence, si elle n'existe pas à votre niveau, pourrait naître des degrés d'autonomie de juridictions séparées. Il semblerait que le Conseil d'État ait une mainmise bien plus large sur le budget de l'ensemble des juridictions administratives.
La différence se fait clairement à ce niveau. Quand nous sommes en conférence budgétaire, nous le sommes avec la Cour des comptes et le Conseil d'État ; nous avons un interlocuteur. Quant aux directions métier du ministère de la justice auxquelles nous faisons face, ce sont également des directions centrales.
Dans le cas de la justice administrative, vous avez donc un interlocuteur et c'est ensuite sa cuisine.
Il y a, vous l'avez dit, une réelle complexité dans la chaîne de responsabilité budgétaire interne au ministère de la justice. Est-ce pour vous un inconvénient, dans la manière dont le débat budgétaire s'instaure, ou bien cela n'a-t-il aucun impact sur votre travail, votre compréhension des besoins ?
Nous avons des interrogations sur les services support du ministère de la justice, où les réseaux sont assez différents. C'est un sujet de discussion avec le ministère. Dans le domaine budgétaire comme dans d'autres, les connaissances techniques sont très importantes. On peut se demander s'il ne conviendrait pas de regrouper sur un même site des équipes qui pourraient constituer un panel de conseil et d'intervention technique plus large, ce qui permettrait en outre d'avoir à un même endroit des personnes faisant des allers-retours avec l'administration centrale. C'est, pour nous, un des enjeux de l'organisation du ministère de la justice.
On parle beaucoup du rapport Bouvier, lié à des rapports de l'inspection générale des finances (IGF), et qui a donné lieu à vingt-quatre ou vingt-cinq recommandations dont vous avez évoqué quelques-unes. Des réflexions sont-elles engagées au sein du ministère du budget à la suite de ces recommandations ? Si oui, dans quels domaines, et où en sont-elles ?
Oui et non. Globalement, nous appliquons le cadre défini par la loi de programmation de la justice. Certains sujets abordés nous paraissent suffisamment importants pour que nous continuions à travailler dessus ; c'est le cas de plusieurs recommandations du rapport Bouvier, sur les frais de justice, la comptabilité analytique, l'organisation… Cela dit, nous sommes sur des sujets financiers assez techniques. Certaines recommandations ont été intégrées dans la loi de programmation et fixent désormais la doctrine en la matière.
Parmi ces recommandations, certaines ne sont en effet pas de votre responsabilité, mais d'autres sont plus sur la gestion budgétaire ou l'établissement du budget et paraissent en relever, comme la séparation évoquée par le président entre une mission Justice et une mission Administration de la justice. Ce rapport ou ces rapports nous semblaient aller dans le sens d'une amélioration sensible du fonctionnement de la justice, qui est ce qui nous intéresse. Comme cela a été dit, le budget n'est rien d'autre que l'expression d'une politique.
Quand les décisions n'ont pas fait l'objet d'une inscription dans la loi de programmation et nous paraissent cependant essentielles, nous continuons bien sûr d'y travailler.
Beaucoup de propositions du rapport Bouvier sont du domaine réglementaire.
Comment cela se passe-t-il, en cas de sous-consommation de crédits ? J'ai eu un débat avec la ministre et ses services sur des aménagements de peine comme le placement à l'extérieur, où des annulations de crédits ont eu lieu. L'argument est que les crédits n'ont pas été consommés.
Cela dépend des crédits. Nous essayons d'avoir la gestion la plus stable, d'éviter à la fois les poches de sous-consommation et les poches d'insuffisance de crédits ; c'est quelque chose d'extrêmement important, avec, derrière – sujet que nous n'avons pas abordé – la programmation. Nous essayons de programmer, c'est-à-dire d'avoir une vision pluriannuelle et en même temps, dans le courant de l'année, d'avoir la gestion la plus stable possible. Il faut que les gestionnaires sachent de quels crédits ils disposeront, mais c'est très compliqué dans un budget comme celui de la justice, avec des lignes de dépenses particulièrement complexes.
Tout ce qui est information sur la consommation, surconsommation, sous-consommation, est donc extrêmement important, et nous le regardons au cas par cas en demandant à la fois les éléments quantitatifs et qualitatifs, c'est-à-dire en demandant des remontées d'information qui nous permettent de savoir si la situation est liée à un problème passager ou non. Cela fait partie du travail plus fin réalisé par le CBCM et ses services, qui suivent la gestion du ministère et avec qui nous dialoguons. Si des sujets particuliers apparaissent, nous les évoquons directement avec le ministère de la justice, au cas par cas. C'est ce que nous avons fait sur l'immobilier : nous regardons chaque ligne, c'est-à-dire chaque gros projet immobilier, pour essayer de comprendre si le décalage a vocation à se répéter ou non. Il faut donc une chaîne de remontée et de descente d'information suffisamment solide et ramassée.
Pour l'immobilier, nous avons, en traduction « chorusienne », les tranches fonctionnelles qui permettent de suivre cela précisément. Mais, en l'occurrence, le budget de la mesure de placement à l'extérieur est une toute petite ligne de 8 millions d'euros, alors que des associations ont besoin de crédits pour que les magistrats puissent prononcer ce type de mesures, surtout que nous avons voté dans le budget de la justice le développement des conventions pluriannuelles avec ces associations. Pour cela, il faut des autorisations d'engagement. Avez-vous conscience de ces problématiques ? En tant que parlementaire, j'ai l'impression que cela n'avance pas. Je ne sais pas si c'est parce que le ministère de la justice ne mobilise pas l'information.
Je n'ai pas d'éléments sur ce sujet précis. Mais ce n'est pas la direction du budget qui va réduire le niveau de crédits sur une ligne. L'échange que nous avons avec le ministère est un échange budgétaire : quand il nous dit qu'il a besoin de 40 millions sur telle ligne, nous regardons s'il n'y a pas des crédits inutilisés sur une autre ligne. Si le dispositif a été surévalué au départ, il n'y a pas de sujet. En revanche, si le dispositif ne démarre pas, il y a un sujet, et c'est alors au ministère de la justice de faire valoir un retard à l'allumage et qu'il ne faut pas couper les crédits parce que la mise en train nécessite un certain temps.
Ce n'est pas nous qui réalisons le document budgétaire qui vous est envoyé mais les services du ministère de la justice. Nous le relisons, et la ventilation des crédits fait l'objet d'échanges : la direction du budget ne peut prendre une décision du type « cela fait deux ans que vous n'utilisez pas ces crédits, nous les mettons à zéro » ; nous ne pouvons que le proposer, et si le ministère dit non, c'est l'arbitre qui tranche.
Le ministère de la justice a-t-il, par rapport à ses effectifs et à sa taille, autant de licences Chorus que d'autres ministères ? N'y a-t-il pas une sous-utilisation de l'applicatif ? J'ai vu, dans ce que nous a envoyé la DSJ, que des juridictions faisaient remonter par e-mail leurs besoins pour réaliser des achats, alors que d'autres le faisaient sur Chorus Formulaires ; cela m'a surpris car ce n'est pas la norme.
Nous n'avons pas eu de demandes dans ce domaine. Ce sujet n'a pas été évoqué précisément.
Y a-t-il toujours de la rétention de licences Chorus, notamment en consultation ? Je suis pour qu'un maximum de gens aient accès à cette application, afin de développer la comptabilité analytique, sinon ces éléments sont autant d'obstacles à ce que les magistrats rendent la justice dans des conditions sereines.
Je vais regarder et j'essaierai de vous apporter la réponse.
La séance est levée à 17 heures 15.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Ugo Bernalicis, M. Didier Paris
Excusé. - M. Ian Boucard