L'audition débute à quatorze heures cinq.
Nous accueillons Mme Marie-Laure Métayer, qui est adjointe au directeur de l'eau et de la biodiversité au ministère de la transition écologique et qui, jusqu'à récemment, travaillait à la gestion des risques au sein de ce même ministère. Par conséquent, nous pourrons bénéficier de sa double expertise sur les questions liées à l'eau et à la gestion des risques.
Mme Marie-Laure Métayer, vous êtes inspectrice générale de la santé publique vétérinaire à la direction de l'eau et de la biodiversité en charge de concevoir, mettre en œuvre et évaluer les politiques de l'eau, des espaces naturels et de la biodiversité terrestre et maritime. Cette direction exerce des responsabilités particulières dans la mise en œuvre du plan Micropolluants et dans plus d'une quinzaine d'actions du PNSE3, en relation avec le développement de nouvelles espèces végétales, les risques sanitaires impliquant la flore et la faune sauvage, la surveillance et la protection du milieu aquatique, le captage d'eau destinée à la consommation, et les effets de la biodiversité pour la prévention et la lutte contre les maladies.
Je vous remercie de préciser la place occupée par la direction de la gestion de l'eau dans le dispositif des politiques publiques en santé-environnement.
(Mme Marie-Laure Métayer prête serment)
Je suis honorée de pouvoir apporter mon témoignage à double titre, même si j'ai pris mes fonctions au sein de la direction de la biodiversité voici quatre semaines. Je pourrai peut-être vous proposer un point de vue d'interface entre les missions dédiées à la santé-environnement, que j'occupais jusqu'à très récemment, et mes nouvelles fonctions relatives à la mise en œuvre des politiques en faveur de l'eau et la biodiversité.
Les missions de la direction de l'eau et de la biodiversité concernent la santé-environnement, s'agissant notamment de l'eau puisqu'elle est en charge du suivi et des mesures en faveur de la prévention de toute pollution de l'eau, mais également en termes de biodiversité, en particulier quant à l'approche One Health qui a été largement mise en avant durant la crise de la COVID. Au travers de ces deux approches, la direction de l'eau et de la biodiversité est extrêmement concernée par les sujets de santé-environnement.
La direction de l'eau et de la biodiversité est en charge de la gestion et de la protection des espaces naturels et de l'équilibre des espèces menacées, ainsi que de la qualité de l'eau, du partage équilibré de ses usages, de la gestion durable de la ressource ainsi que de la protection et de la restauration des écosystèmes aquatiques. Cette direction, qui appartient à la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN), est tournée vers les territoires, est au service du développement durable et s'appuie sur un réseau d'acteurs qui lui permettent d'avoir cet impact territorial.
Cette direction se décline en trois typologies de réseaux, à savoir :
– les services déconcentrés sur le terrain avec les préfectures, les directions départementales des territoires (DDT), les directions départementales de la protection des populations (DDDP) et les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), qui représentent environ 3 600 ETP ;
– un réseau d'opérateurs et d'établissements publics avec les six agences de l'eau et les onze parcs nationaux ;
– et un réseau partenarial avec l'office français pour la biodiversité, l'établissement public du Marais poitevin, le conservatoire du littoral et l'office national des forêts (ONF). Ce réseau partenarial très développé intègre également les collectivités territoriales, ainsi que de nombreux acteurs économiques et associations, lesquelles constituent des partenaires de premier plan.
En ce qui concerne les sujets de santé-environnement, un certain nombre de plans a été cartographié dans les multiples plans et stratégies afférents, à savoir :
– le plan Écophyto, qui est co-piloté par la direction de l'eau et de la biodiversité avec trois autres directions, qui a des ambitions fortes, en ce qui concerne la réduction des usages et des effets des produits phytopharmaceutiques, et qui a donné lieu à un rapport de la Cour des Comptes en février 2020 ;
– le plan Biodiversité 2018-2024, qui porte une dizaine d'actions en lien direct avec la santé-environnement ;
– le plan Micropolluants, qui est mis en œuvre en application de la directive-cadre sur l'eau et permet de suivre toutes les substances potentiellement polluantes et dangereuses pour l'environnement ou la santé humaine dans le milieu aquatique. Ce plan comporte une quarantaine d'actions qui sont presque toutes mises en œuvre à ce jour. Il a permis, avec un partenariat fort des collectivités et de la recherche, d'identifier des polluants dans les stations d'épuration et de réduire à la source un certain nombre d'émissions via la révision de la réglementation sur les émissions polluantes avec la direction générale de la pêche et de l'aquaculture (DGPA). Il s'agit de l'une des réussites de ce plan qui s'adapte quotidiennement à la connaissance. En lien avec la stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens, avec laquelle il est très interfacé, a été identifié un certain nombre de substances à suivre dans l'eau. Il s'agit d'une spécificité française puisque la directive-cadre sur l'eau impose le suivi de certaines substances et offre une sorte de subsidiarité aux États membres pour déterminer les substances d'intérêt qu'ils souhaitent rechercher. À ce titre, certains perturbateurs endocriniens font l'objet d'un suivi particulier en France, en application du plan Micropolluants ;
– le plan Nitrates, qui s'inscrit dans un cadre normatif européen. La politique de l'eau diffère de la politique santé-environnement dans la mesure où un cadre européen impose certaines règles. Le plan Écophyto est ainsi rendu obligatoire par les directives de 2009 sur l'usage « durable » des pesticides. C'est une directive de 1991 qui impose les plans Nitrates. Nous en sommes à la révision du dernier plan qui a été lancée dernièrement via une consultation publique. Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique, était présente à Saint-Lô, la semaine dernière, à l'occasion du premier débat sur la révision de ce plan nitrates, débat accolé à une première série de concertations sur la politique agricole commune. Ces plans d'action Nitrates concernent également les questions de santé-environnement.
La pollution des eaux superficielles et souterraines par les nitrates constitue un sujet de santé humaine pour l'eau potable et l'environnement. Chacun a à l'esprit la problématique de l'eutrophisation des algues vertes en Bretagne. Il s'agit également d'un problème pour la qualité de l'air, puisque les émissions d'ammoniac, dont l'agriculture est responsable à 90 %, sont à l'origine de particules fines, mais également de gaz à effet de serre.
Au titre de cette directive, la direction de l'eau et de la biodiversité a l'obligation de réviser ces plans tous les quatre ans. Est également prévu un diagnostic préalable devant établir la cartographie des zones vulnérables. Des sites de prélèvement permettent de vérifier la contamination en nitrates des masses d'eau superficielles et souterraines. En fonction de cette contamination, les zones vulnérables concernent plus de 60 % du territoire français. Sur cette base, s'appliquent les plans nationaux d'action Nitrates qui reposent essentiellement sur des actions de prévention des pratiques agricoles permettant d'éviter les fuites, sources de pollutions.
La révision du plan Nitrates s'inscrit dans une démarche de participation citoyenne étroite : la consultation publique du 18 septembre au 6 novembre est ouverte sur une plateforme et s'accompagne de deux débats, l'un a eu lieu à Saint-Lô et l'autre se tiendra dans quelques semaines à Pont-à-Mousson. Cette consultation sera suivie d'une deuxième consultation, au printemps 2021, cette fois sur un projet de plan.
Tous ces plans sont pilotés ou co-pilotés par la direction de l'eau et de la biodiversité.
Le plan de relance consacrera 300 millions d'euros à l'eau et 250 millions d'euros à la biodiversité. Le gouvernement a tenu à marquer l'intérêt qu'il porte à la préservation de la biodiversité et de l'eau dans un contexte où la crise COVID a rappelé notre lien à un environnement sain. Nous redécouvrons le principe formulé par Hippocrate, 500 ans avant Jésus-Christ, selon lequel l'environnement d'un malade est le premier point à analyser. Par conséquent, préserver l'environnement nous permet d'assurer notre avenir. La part consacrée à ce sujet dans le plan de relance va dans ce sens.
S'agissant des perspectives, je citerai la révision de la stratégie nationale pour la biodiversité 2021-2030 qui sera conduite par un comité spécialisé et qui devra prendre en compte la santé-environnement. Le deuxième sujet important est le contrat d'objectifs et de performance de l'OFB, office qui compte 2 700 agents répartis sur l'ensemble des territoires, et qui exercent des missions en termes de police de l'environnement, d'animation de projets et d'amélioration de la recherche et de la connaissance. Il s'agit d'une force de frappe importante en matière d'eau et de biodiversité. Le contrat d'objectifs et de performance de l'OFB sera l'occasion de veiller à la prise en compte de cet enjeu.
Les plans Nitrates et Écophyto demandent de nombreux efforts et des moyens financiers sans forcément aboutir aux résultats souhaités. La mobilisation des acteurs ne peut être considérée comme un point faible. Mais il faut parvenir à la massification de bonnes pratiques dans le domaine agricole. L'un des éléments clés réside dans la révision de la politique agricole commune, laquelle aura un impact fort en ce qui concerne la question des nitrates. Dans ce domaine, bien qu'encourageants, les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances. Toutefois, le changement de modèle agricole et l'entrée dans une véritable transition écologique permettront de diminuer les intrants, ce qui réduira la présence de pesticides et de nitrates.
Nous disposons d'un nombre considérable de données en matière environnementale, lesquelles ne sont pas forcément valorisées, accessibles et interopérables.
Des tables rondes du groupe santé-environnement (GSE) consacrées à l'approche One Health dans la prévention des zoonoses, qui se sont tenues en juillet, il ressort que l'un des facteurs clés pour changer de paradigme réside dans la multidisciplinarité. Il s'agit de pouvoir travailler différemment et « désiloter » les plans et les pratiques de recherche, de surveillance territoriale et de gestion de crise afin de disposer de toutes les compétences nécessaires. Les sciences humaines et sociales, les écologues et les urbanistes sont parfois oubliés. La direction de l'eau et de la biodiversité sera en première ligne pour intégrer ces nouvelles approches, ainsi que la responsabilisation du citoyen. Durant la crise de la COVID, nous avons constaté le comportement des citoyens en ce qui concerne l'utilisation des désinfectants et des biocides à la maison. Les experts des stations d'épuration expliquent que la principale source de médicaments y est domestique.
La santé-environnement constitue un enjeu majeur qui relève d'une responsabilité collective. Chacun doit trouver sa place pour pouvoir jouer un rôle et les citoyens doivent être fortement impliqués.
Vous évoquez les plans sectoriels portés par la direction de l'eau. Si je me réfère aux auditions précédentes, il est question de nombreux plans sectoriels « silos » qui semblent cohabiter de façon autonome.
J'aimerais que vous me donniez votre avis sur cette multidisciplinarité à l'échelle infra, mais également sur la nécessité de mettre en œuvre des démarches interministérielles afin d'avoir une vue d'ensemble. Vous avez exposé votre place dans le dispositif, mais le dispositif général demeure difficile à cerner. Quels sont les liens entre l'agriculture, le phytosanitaire, la qualité de l'eau et la biodiversité que vous évoquez ? Qui a une vue d'ensemble de ces plans « silos » ? Quels sont les liens avec le PNS3, voire le PNS4, en précisant la place de ces plans ? Qui les pilote ? Comment vous situez-vous, dans vos nouvelles missions, vis-à-vis des objectifs qui vous ont été confiés à l'intérieur de cette politique publique de santé environnementale ?
Les plans concernant l'eau – Écophyto, Nitrates et Micropolluants – sont imposés par le cadre européen. En ce qui concerne l'eau, s'agissant d'un enjeu vital et majeur, un cadre normatif impose d'adopter un plan Nitrates tous les quatre ans et un plan pour la réduction des phytos. La directive-cadre sur l'eau impose des résultats par rapport à des suivis de polluants.
L'eau est un enjeu territorial, organisé comme tel. Les agences de l'eau mettent en œuvre des programmes d'intervention de six ans, gérés selon un schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE). Ces schémas directeurs sont prévus par la réglementation européenne et possèdent une comitologie territoriale dans les comités de bassin et les conseils d'administration des agences de l'eau. Les sujets de conflit d'usage et d'approche quantitative ou qualitative sont abordés de façon complètement intégrée et transversale dans les territoires.
À l'échelle nationale, le plan Écophyto est piloté par quatre directions. Le plan Micropolluants comprend un certain nombre d'actions prévues dans le PNSE3. Le pilote du plan Micropolluants à la direction de l'eau et de la biodiversité appartenait au GT Biodiversité du PNSE3. Il s'agit d'un plan d'interface. Dans le plan Biodiversité, certaines actions concernant directement la santé-environnement ont été vues en lien avec les recommandations faites par le GT Biodiversité du PNSE3.
Des interfaces se mettent en place au niveau national. L'organisation du fonctionnement interservices constitue une pratique quotidienne. Face aux cartographies qui comprennent une quarantaine de plans et de stratégies, d'aucuns peuvent s'interroger sur leur nombre, mais chacun d'entre eux a son origine et son explication propre qui est normative ou répond à un besoin particulier.
Sur la gouvernance générale, le groupe santé-environnement (GSE), qui est l'instance de suivi des PNSE, a toujours fait l'objet de remontées extrêmement positives. Chacun des participants s'est retrouvé dans cette approche intégrée et transversale des sujets. Il est tellement reconnu que les demandes pour y entrer se sont multipliées.
La question peut se poser, comme les inspecteurs généraux l'ont mis en avant dans un rapport récent, d'une organisation différente de cette politique de santé-environnement en tant que politique « chapeau » n'ayant pas vocation à entrer dans le détail de l'action technique, mais comme une politique portée transversalement au niveau des ministères avec une instance et un statut juridique. Les débats qui suivront le PNSE4 ne manqueront pas d'aborder sa gouvernance et offriront l'occasion d'envisager les suites à donner à ces recommandations.
Concernant votre participation à la mise en œuvre du PNSE3, vos objectifs ont-ils été atteints ? Je m'interroge également sur l'évaluation de l'enveloppe budgétaire qui y est consacrée. Au niveau territorial, quelle est l'implication de votre direction concernant les plans régionaux santé-environnement (PRSE) ?
En ce qui concerne le PNSE3 et ses objectifs, un rapport dressant le bilan des deux dernières années, ainsi qu'un bilan global ont été récemment mis à la disposition des membres du GSE. De nombreuses actions sont closes et certaines seront probablement poursuivies. En tout état de cause, un bilan positif a été établi. Chaque pilote d'action a rédigé un résumé de l'atteinte des objectifs qui lui avaient été fixés. Je pense que le document pourra être très facilement mis à votre disposition par la direction générale de la prévention des risques (DGPR).
Le PNSE3 comprenait 104 actions, ce qui a suscité une réflexion sur la poursuite ou non d'une telle inflation dans le PNSE4, touchant des sujets très différents comme la qualité de l'air intérieur, le radon et l'amiante, etc. Les objectifs des actions liées aux micropolluants sont atteints, ce qui est lié à la baisse des émissions dans l'eau par l'impact de la révision de la réglementation sur les installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE).
N'étant pas à même de vous répondre au titre de mes fonctions actuelles sur l'évaluation budgétaire, je vous invite à contacter la DGPR.
Concernant l'action territoriale, les PRSE sont co-pilotés par les DREAL, les agences régionales de santé (ARS), ainsi que, dans la plupart des cas, les conseils régionaux. Les équipes de l'eau et la biodiversité sont très impliquées dans les PRSE. L'organisation des DREAL peut différer, mais une équipe y est systématiquement dédiée au PRSE et assure la transversalité au sein des directions spécialisées. Une direction est en charge des risques et de l'eau et la biodiversité. Dans la plupart des régions, les PRSE conduisent des actions concernant le petit cycle de l'eau, à savoir l'usage domestique avec des actions liées à la connaissance, la formation, la prévention et des appels à projets relatifs à des démarches de réduction des pollutions, ainsi que des actions en faveur de la biodiversité. Sans trop m'engager, je dirai que tous les PRSE intègrent des actions en faveur de la biodiversité.
Dans le département de la Loire Atlantique, 85 % des eaux de surface ne sont pas de bonne qualité. L'eau du service d'eau fait l'objet d'une réglementation très précise et d'une surveillance attentive. Les eaux usées sont soumises à des règles d'assainissement sur le plan collectif et non collectif. En cas d'intempéries, lorsque les surfaces agricoles ou les espaces urbains sont lessivés, les eaux de ruissellement repartent dans les rivières ou vers la mer. À votre avis, y a-t-il des actions à initier ou amplifier dans ce domaine ?
Le sujet des eaux de ruissellement pour le grand ou le petit cycle de l'eau, qu'il s'agisse des aspects quantitatifs ou qualitatifs, constitue un enjeu majeur. Il s'agit d'une priorité d'action de la direction de l'eau et de la biodiversité et de ses opérateurs. Dans le plan de relance de 500 millions d'euros, dont 300 millions d'euros sont dédiés à l'eau, la collecte des eaux pluviales figure parmi les grandes priorités mises en avant pour déterminer des projets retenus.
Sur le terrain, nos relais, à savoir les agences – l'OFB et les agences de l'eau – feront de l'animation territoriale pour faire remonter des projets, notamment sur ce sujet qui a été ciblé comme une priorité du plan de relance.
Cet aspect est en lien avec l'artificialisation du territoire, laquelle constitue une priorité de la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN) au sein de laquelle se trouve la direction de l'eau et de la biodiversité. Il s'agit d'un enjeu stratégique pour les prochaines années. Cet aspect est également pris en compte dans le plan de relance, pour les actions d'urbanisme.
Que faudrait-il améliorer en matière de gouvernance pour accroître l'efficacité de la politique en santé-environnement ?
S'agissant de la gouvernance au sens propre, c'est-à-dire nationale et territoriale, ainsi que la multidisciplinarité, il ne s'agit pas de mettre en place une énième instance de gouvernance, sans se demander avec qui, pour quoi faire et s'il est question d'une instance strictement politique ou opérationnelle.
Le ministère de l'agriculture bénéficie d'un conseil national d'orientation de la politique sanitaire animale et végétale (CNOPSAV). Ce conseil, qui a été institué par la loi d'avenir sur l'agriculture, l'alimentation et la forêt de 2014, rend des avis au ministre de l'agriculture. Cette instance rassemble les administratifs compétents, la société civile n'y figurant pas, est mobilisée et rend un avis opérationnel, lorsque des décisions rapides doivent être prises en gestion de crise.
Chacun connaît le sujet des bouquetins du Bargy. En France et dans de nombreux pays européens, la brucellose, qui est une zoonose, a été éradiquée car elle bénéficie d'un programme de lutte prévu par la réglementation sanitaire européenne. Aujourd'hui, nous faisons de plus en plus face à des résurgences de zoonoses que nous croyions éradiquées comme la tuberculose et la brucellose, mais dont la faune sauvage constitue le réservoir principal. En ce qui concerne la tuberculose, les anciens cheptels bovins l'ont transmis aux blaireaux, lesquels constituent désormais un réservoir.
Nous devons prendre des décisions sans que notre gouvernance permette suffisamment d'échanger et de décider de façon sereine aux personnes n'ayant pas l'habitude de se parler. Nous avons certainement besoin d'une gouvernance One Health. Il convient de déterminer si l'existant suffit ou non, mais il est nécessaire que les naturalistes, les experts et les écologues puissent rencontrer les experts du sanitaire.
Je suis vétérinaire de formation. On m'a appris à gérer un foyer de brucellose dans un cheptel domestique en procédant à un abattage total. Ces méthodes de gestion de crise sanitaire ne s'adaptent pas à la faune sauvage, ce qui nécessite de les faire évoluer. Lors de la crise du Bargy, avec la transmission de la brucellose par des bouquetins au cheptel via le pâturage, lequel l'a ensuite transmise aux deux enfants de l'éleveur concerné, nous nous sommes trouvés face à des situations de confrontation très dure. Celles-ci perdurent entre deux mondes qui n'ont pas su gérer de façon sereine et constructive un problème nouveau susceptible de se répéter.
Je pense que nous avons besoin d'une gouvernance One Health. Il faut s'interroger sur son caractère national ou territorial et son utilité, tout en conservant l'aspect opérationnel. Cette gouvernance doit nous permettre d'anticiper des crises et, le cas échéant, de rendre des avis éclairés. Dans ce genre de problématique, le manque d'anticipation engendre une perte de temps et d'argent, ainsi que de crédibilité de l'action publique auprès des citoyens.
Une bonne prévention passe par une bonne surveillance et une prise de conscience. La biodiversité est un sujet particulier. Il n'a jamais fait aucun doute que l'eau est précieuse et vitale. Par conséquent, le lien de l'humain à l'eau n'est pas à démontrer. Il n'y a pas à convaincre le citoyen de l'intérêt de préserver l'eau quantitativement et qualitativement. Cela est beaucoup plus compliqué, s'agissant de la biodiversité.
Certains animaux bénéficient d'un capital de sympathie, ce qui n'est généralement pas le cas des insectes. Un large travail d'éducation et de pédagogie doit être conduit pour expliquer, par exemple, en quoi la disparition du crapaud vert ou du sonneur à ventre jaune est importante. Lorsque j'étais en poste en service déconcentré, que je pilotais un plan de restauration pour plusieurs crapauds et que nous en arrivions à nous opposer à des projets pour protéger une espèce, certains me demandaient en quoi leur vie changerait du fait de la disparition des crapauds verts. Cette question qui subsiste montre que nous ne sommes pas parvenus à expliquer notre lien au vivant et à la biodiversité.
Aujourd'hui, nous n'avons pas organisé, à la hauteur des enjeux, la surveillance de la santé, de la biodiversité et des écosystèmes. Il s'agit probablement d'une piste d'action pour pouvoir ensuite organiser la prévention en matière de santé-environnement. Il serait intéressant d'améliorer la connaissance des fonctionnements écosystémiques des sols afin de pouvoir prendre des mesures pertinentes en matière de prévention des risques liés à leur santé.
La collecte et la valorisation de la donnée, et l'organisation de la surveillance des fonctionnements écosystémiques sont essentiels. Obtenir l'adhésion des acteurs des territoires permettra de déployer des stratégies de prévention efficaces.
Un volet éducation à l'environnement est piloté par le commissariat général au développement durable avec lequel nous travaillons très étroitement. Un grand nombre de partenariats sont noués avec l'Éducation nationale sur le sujet de l'éducation à l'environnement. Le rapport de Mme Anne Laure Cattelot sur la forêt comprend un volet relatif à la mobilisation du citoyen. Ce sujet sera également examiné au titre de l'éducation à l'environnement et de nos relations avec l'Éducation nationale, avec l'intégration potentielle d'un volet d'éducation à la forêt dès la petite enfance, comme il a été préconisé.
S'agissant de la qualité de l'eau potable, vous nous avez donné quelque assurance quant à la vigilance de votre direction en ce qui concerne l'eau de nos robinets familiaux. Néanmoins, je constate quelques nuances assez marquées d'une ville à l'autre avec, notamment, des traces de pesticides et de produits chimiques dans une eau qui nous est vantée comme étant l'une des meilleures d'Europe.
Je m'inquiète particulièrement de la trace de médicaments. Ce volet fait-il l'objet de votre attention ? Un travail est-il mis en œuvre pour tenter de limiter la diffusion des médicaments dans les réseaux d'eau, notamment chez les particuliers ? Je pense aux personnes qui sont sous traitement antimitotique dont les urines sont retraitées dans des usines qui ne sont pas forcément équipées pour cela. Quelle est votre politique à cet égard ? S'intègre-t-elle dans la politique plus générale de lutte contre l'antibiorésistance qui constitue l'un des grands sujets de notre futur sanitaire ? Nous savons qu'une trop forte consommation d'antibiotiques diminue leur efficacité et que nous finirons par ne plus pouvoir soigner, faute de molécules suffisamment actives sur les organismes humains. Comment avez-vous anticipé ces problématiques de traces de médicaments et d'antibiotiques ? Comment pouvez-vous tenter d'améliorer l'eau potable que nous buvons quotidiennement ?
La responsabilité de l'eau potable relève des ARS et du ministère de la santé. La direction de l'eau et de la biodiversité est en charge de la qualité des eaux superficielles et souterraines, ainsi que des milieux aquatiques.
Les résidus médicamenteux sont suivis au titre du plan Micropolluants dont l'objectif ne consiste pas à mettre en place des technologies permettant de filtrer, en sortie de station d'épuration, pour récupérer les substances médicamenteuses et les pesticides. La philosophie de ce plan réside dans la prévention en mobilisant tous les acteurs. Un appel à projets de 10 millions d'euros a été lancé pour les collectivités s'associant à la recherche afin de mettre en place une surveillance très poussée des résidus, ainsi qu'une traçabilité permettant de remonter aux origines des pollutions et de contacter les pollueurs.
Je vous ai apporté un exemplaire du plan Micropolluants qui détaille le travail effectué avec des villes modèles comme Strasbourg et Bordeaux qui ont effectué un travail considérable visant à réduire la pollution en amont, notamment avec les hôpitaux, concernant les médicaments.
En revanche, la pollution domestique reste très problématique et nous disposons de peu de leviers d'action. Le choix a été fait de travailler en amont, sur la prévention, pour réduire la pollution à la source car les Suisses, qui avaient mis en place des techniques de membranes de filtration permettant de stopper toute substance chimique, ont constaté que les poissons mourraient de faim. La matière organique est nécessaire au développement de la vie. Il en est de même pour les plantes qui ont besoin de nitrates. Un minimum de matière organique est donc indispensable pour que la vie trouve son équilibre. Par conséquent, la priorité consiste à réduire à la source et à modifier les pratiques.
Je m'interroge sur l'impact sur notre santé des chocs chlorés, notamment avec l'usage récent de chlore lié à l'épidémie de COVID. Il nous a été donné l'assurance que notre eau n'était pas infectée, mais quel est l'impact de ces concentrations sur nos organismes ?
Il s'agit d'une question de santé publique qui ne relève pas de mon domaine de compétences. En revanche, la direction de l'eau et de la biodiversité s'est fortement inquiétée de l'impact sur le bon fonctionnement de l'assainissement, lorsque certaines collectivités ont commencé à désinfecter les espaces extérieurs à l'eau de Javel. Fort heureusement, le Haut conseil de la santé publique a rapidement émis un avis expliquant l'inutilité de cette démarche et son caractère très néfaste pour l'environnement.
Par ailleurs, la question des dosages et des normes de potabilité relève des ARS et du ministère de la Santé.
Dans les stations d'épuration, le chlore est évité lors du traitement tertiaire au profit des filtres UV, pour leur effet bactéricide, et du brome. Il me semble que l'hypochlorite est de moins en moins utilisé.
Je ne me permettrai pas de donner un avis. En revanche, les résultats du plan Micropolluants montrent que les résultats ne s'améliorent pas forcément au fil des années. Nous cherchons de plus en plus de choses. Les perturbateurs endocriniens font actuellement l'objet d'une surveillance, ce qui n'était pas le cas auparavant. Plus on cherche, plus on trouve et les résultats obtenus font référence à cet ensemble de polluants. La présence de certains d'entre eux dégrade immédiatement la qualité de l'eau.
En outre, l'impact d'actions sur l'eau potable n'est jamais visible en N+1 ou N+2. Les mécanismes du grand cycle de l'eau sont très longs. En France, environ 80 % de l'eau potable provient des nappes souterraines. Les effets des actions de prévention, présentes dans la plupart de nos plans, notamment les plans Nitrates et Écophyto, ne seront visibles que dans cinq ou dix ans au minimum, ce qui n'empêche pas d'accélérer le mouvement.
Cette ressource est appelée à devenir une denrée rare – on la qualifie d'or bleu – en raison du réchauffement climatique. Vous êtes-vous organisés pour anticiper les conflits d'usage entre le monde agricole et industriel et le besoin d'eau potable des ménages ? Quelles sont les mesures mises en place ou prévues dans le plan de relance pour tenter d'anticiper une gestion économe de cette denrée rare ?
Avec le changement climatique, ce sujet est de plus en plus préoccupant pour les territoires. Cette année, avec la sécheresse, nous avons pu constater tous les conflits d'usage existants. L'eau est un bien commun. Sur un territoire donné, chacun prétend pouvoir l'utiliser pour ses besoins.
L'entrée est territoriale. Au-delà de la comitologie, avec les comités de bassins et les SDAGE, nous encourageons la mise en place de projets territoriaux de gestion de l'eau (PTGE) qui permettent, à l'échelle d'un micro-territoire, la gestion des conflits d'usage et une gestion partagée de l'économie d'eau. La gestion quantitative de l'eau ne fonctionne que si chacun a sa part de responsabilités et dans un cadre local.
Par ailleurs, la réglementation d'autorisation de prélèvement de l'eau, qui est en cours de révision, permet de définir les prélèvements possibles par les usagers sur la base d'une connaissance des volumes disponibles. Au-delà de ce cadre, dont nous constatons les limites au regard des conflits qui nous remontent, la meilleure façon d'avancer est de disposer d'une gouvernance locale, à la bonne échelle, des conflits d'usage.
La nappe de Vittel, dont le dimensionnement ne suffit pas à la production locale, constitue un cas d'école du conflit d'usage, ce qui nécessite que quelqu'un se sacrifie. L'entreprise souligne l'importance du maintien de son débit, en faisant valoir qu'elle est créatrice d'emplois, alors que les usagers mettent en exergue leur appartenance au territoire et que les collectivités territoriales évoquent leurs besoins. La solution doit être identifiée au niveau territorial à travers la mise en place d'un schéma d'aménagement de gestion de l'eau (SAGE). Les acteurs doivent s'accorder sur la manière de réduire les prélèvements puisque, quelle que soit la solution trouvée, nul ne parviendra à augmenter le volume de la nappe.
Le normatif permet de déterminer le volume qui peut être prélevé sur la base du volume disponible, mais la gouvernance des conflits d'usage doit être aussi efficiente et responsable que possible car il ne s'agit pas de sujets ponctuels. Le changement climatique nécessitera de changer de manière de vivre et de travailler. Il faut pouvoir mettre en place des actions sur la durée.
Établissez-vous un lien avec la compétence de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (GEMAPI) ?
La GEMAPI consiste à transférer aux collectivités territoriales un certain nombre de missions concernant la gestion de l'eau.
Par organisation, la direction de l'eau et de la biodiversité est constituée d'acteurs territoriaux en lien les uns avec les autres, comme les agences de l'eau et les collectivités territoriales. La gouvernance de l'eau implique tous les acteurs et les collectivités. La GEMAPI s'effectue en interface avec les services locaux, les agences de l'eau, l'OFB et la direction de la biodiversité. Il s'agit d'une force de frappe qui est très entrelacée.
La GEMAPI s'inscrit dans le transfert aux collectivités territoriales.
L'audition s'achève à quinze heures cinq.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale
Réunion du mercredi 30 septembre 2020 à 14 heures
Présents. - M. Yannick Haury, Mme Sandrine Josso, M. Jean-Louis Touraine, Mme Élisabeth Toutut-Picard
Excusés. - M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Nathalie Sarles