Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale

Réunion du mardi 24 novembre 2020 à 17h00

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L'audition débute à dix-sept heures cinq.

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Mes chers collègues, la commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale arrive au terme de ses auditions. Comme il est d'usage, elle a souhaité entendre les ministres plus particulièrement en charge de ces politiques.

Je remercie Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé, d'avoir répondu à notre souhait de l'entendre, malgré la charge qui est la sienne en cette période de crise sanitaire.

M. le ministre, nous allons vous écouter à propos de l'action conduite sous votre direction par le ministère de la santé, et de ses priorités dans le domaine de la santé environnementale. Ensuite, les membres de la commission d'enquête vous poseront quelques questions.

(M. Olivier Véran prête serment.)

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Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé

Dans notre vie de tous les jours, nombreux sont celles et ceux qui ont déjà entendu cette citation attribuée à Antoine de Saint-Exupéry : « Nous n'héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l'empruntons à nos enfants. » Nombreux sont également celles et ceux – moi le premier – qui se sont posé la question du sens que pouvait revêtir cette phrase dans notre société moderne. C'est bien la question environnementale qui est posée à travers ces lignes. Cette citation résonne en moi, en tant que ministre chargé de la santé, comme une ligne d'action qui pourrait se résumer ainsi : l'environnement est la clé d'une meilleure santé.

Ces dernières années, et même ces dernières décennies, si l'on pense aux premiers penseurs de l'écologie, la santé environnementale s'est imposée comme un sujet de société majeur, comme une exigence grandissante, comme un impératif moral, et les attentes de nos concitoyens n'ont cessé de croître. Votre commission en est l'illustration ; je tiens à vous en remercier. Je vous remercie également de m'avoir invité.

Selon le baromètre 2019 de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) sur la perception des risques par les Français, les questions environnementales occupent désormais une place centrale : les préoccupations liées à la dégradation de l'environnement concernent un Français sur trois et arrivent en quatrième position. En progression constante depuis 2009, ces préoccupations sont ainsi quasiment au même niveau que celles liées à la précarité sociale ou économique. Les jeunes générations, en particulier, ont une conscience aiguë de ces risques environnementaux, une conscience aiguë de la fragilité des écosystèmes, une conscience aiguë de notre fragilité. Nous ne pouvons qu'accueillir favorablement cette prise de conscience collective de la nécessité d'adapter notre environnement pour protéger notre santé.

L'environnement est en effet l'un des principaux déterminants de la santé individuelle et communautaire. Agir sur notre environnement, c'est-à-dire sur nos milieux de vie, qu'ils soient domestique, naturel ou professionnel, doit permettre d'améliorer à moyen et long termes l'état de santé de la population. C'est pour agir dans ce sens qu'il a été décidé de lancer en 2018 le plan priorité prévention, un projet interministériel d'envergure destiné à améliorer la santé de la population.

Ce plan aborde tous les déterminants de la santé – environnementaux et comportementaux – et parcourt les différents âges de la vie avec leurs spécificités, de la préconception à la préservation de l'autonomie de nos aînés. Il se décline dans l'ensemble des politiques menées en matière de santé publique – cela va bien sûr au-delà du champ de mon ministère. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'en 2018 et en 2019, le Premier ministre avait souhaité réunir un comité interministériel pour la santé, afin que l'ensemble des ministères puissent contribuer à la prévention en santé et à la promotion, dans tous les territoires et dans tous les milieux de vie, des comportements et environnements permettant de rester en bonne santé.

En matière de santé environnementale, mon rôle en tant que ministre est d'assurer la protection de la population, notamment des personnes sensibles – enfants, femmes enceintes, personnes fragiles – vis-à-vis des expositions liées à l'environnement et à certains modes de vie.

Comment agir ? Essentiellement par la prévention, c'est-à-dire en surveillant les expositions, en favorisant la recherche concernant leurs effets sur la santé, en les réduisant par une réglementation renforcée ou en recherchant des solutions alternatives à des substances présentant le plus de risques, mais aussi en informant le public de manière adaptée. J'insiste sur ce dernier point car, face à des risques émergents et/ou incertains, cette information est essentielle : une information transparente, fondée sur une approche scientifique et accessible à tous est le seul rempart face aux adeptes de théories du complot qui se nourrissent des inquiétudes légitimes de nos concitoyens.

J'identifie, pour ma part, quatre grands enjeux prioritaires qui doivent guider notre action au niveau national et se décliner dans les territoires, notamment par l'action des agences régionales de santé : premièrement, la qualité de l'eau et ses différents usages ; deuxièmement, la qualité des environnements intérieurs, en particulier concernant l'amiante, le radon, l'air intérieur, le bruit, les nuisances sonores, la résorption de l'habitat insalubre et du saturnisme ; troisièmement, l'exposition aux produits chimiques, aux agents physiques et, plus largement, aux polluants de l'environnement en lien avec les activités humaines, dont les déchets d'activités de soins à risques infectieux (DASRI) ; quatrièmement, bien sûr, l'alimentation et l'activité physique.

Mais, et je crois que c'est précisément ce que nous disent nos concitoyens, nous ne pouvons plus nous limiter à une approche exclusivement normative de la santé environnementale. Certes, elle est indispensable pour la protection des citoyens, mais nous devons ancrer notre mobilisation dans une stratégie qui permette à chacun d'agir pour un environnement favorable à notre santé.

C'est pour cette raison que j'ai souhaité lancer, avec Barbara Pompili, un nouveau plan national santé-environnement (PNSE) intitulé « Mon environnement, ma santé », coconstruit avec le groupe santé-environnement – que vous présidez, madame Toutut-Picard – et qui doit se traduire en pratique dans la vie de nos concitoyens, selon une approche concrète et opérationnelle. Pour qu'elle le soit encore plus, pour que ce PNSE ne soit pas un énième plan, nous avons souhaité le soumettre à une consultation publique, toujours en cours. Je souhaite ainsi que chacun se mobilise sur ce sujet afin de dégager un consensus solide pour acter, début 2021, notre feuille de route pour les cinq années à venir.

Vous le voyez, je ne me situe pas uniquement dans le constat, mais bien dans l'action. Ce n'est pas une action isolée, parce qu'en matière de santé environnementale, c'est à chacun – professionnels de santé, chercheurs, citoyens, élus, acteurs économiques – de se mobiliser au niveau d'action qui est le sien. Protéger les générations actuelles comme les générations futures doit être une responsabilité partagée.

Hippocrate disait : « Il faut, autant qu'on le peut, remonter à la cause. » Je suis certain que s'il était l'un de nos contemporains, il ajouterait : « et agir sur cette cause ». Je sais que vous partagez cette envie d'action et que c'est le sens que vous avez souhaité donner aux travaux de votre commission d'enquête. Soyez convaincus que vos propositions guideront notre action collective. Je vous renouvelle donc mes remerciements pour cette invitation et me tiens évidemment prêt à répondre à toutes vos questions.

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Je vous remercie, M. le ministre, pour cette présentation ainsi que pour votre engagement à essayer de mettre en place une véritable stratégie en matière de santé environnementale. Vous venez de rappeler votre intérêt pour le quatrième plan national santé-environnement (PNSE4), de même que les quatre grands enjeux prioritaires que vous confiez aux agences régionales de santé.

Nous avons auditionné une soixantaine de personnes. Nous les avons interrogées notamment sur leur approche du PNSE4. Nombre d'entre elles en ont souligné l'intérêt, et ont insisté sur notre chance d'avoir un plan national santé-environnement, car c'est une démarche qui n'existe pas dans d'autres pays européens. En revanche, de nombreuses critiques ont porté sur le manque d'adéquation qui semble exister entre cette nouvelle formule du plan national santé-environnement et les véritables enjeux remontant du terrain. Ces critiques ont trait notamment à la gouvernance et à la manière dont la consultation publique a été menée. Demander leur position à tous les acteurs de terrain, c'est une bonne chose, mais il semble que certains d'entre eux, qui sont pourtant désignés comme étant des acteurs incontournables, à savoir les collectivités territoriales, n'aient pas, à ce jour, répondu à la consultation publique, ce qui laisse planer un doute quant à leur connaissance de l'existence même du PNSE, voire celle des plans régionaux santé-environnement (PRSE). Cela montre qu'au-delà des annonces, il reste beaucoup à faire, même si le PNSE4 a le très grand mérite d'exister.

Je voudrais rebondir sur la proposition que vous venez de nous faire, à savoir d'enrichir le PNSE4 grâce aux conclusions de notre commission d'enquête, pour qu'il y ait une totale adéquation entre la politique affichée et les attentes plus précises du terrain, ce qui permettra de mobiliser tous les acteurs, comme vous le souhaitez. Il y aura peut-être intérêt également à aller voir du côté de la commission d'enquête sur la covid-19 : il pourrait être intéressant d'intégrer au PNSE4 certaines de ses propositions et des leçons que l'on peut tirer de ce qui s'est passé pour nous organiser afin de prévenir d'autres pandémies. Un dernier élément plaide en faveur d'un temps d'attente supplémentaire qui permettrait d'enrichir ce document : le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) remettra en février une série d'indicateurs pour accompagner les objectifs définis dans le PNSE4. Il serait intéressant de faire converger toutes ces démarches qui n'ont en réalité qu'un seul but : étoffer la politique de santé environnementale que vous allez défendre avec la ministre de la transition écologique. Peut-on envisager de modifier un peu le calendrier de l'élaboration du PNSE4 afin d'étayer ce plan et de faire en sorte qu'il soit beaucoup plus pertinent et cohérent avec les attentes des acteurs de terrain comme des acteurs institutionnels parisiens ?

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Olivier Véran, ministre

La réponse à cette première question est facile, et je vous en remercie : oui !

Nous avons effectivement saisi le HCSP pour définir les indicateurs d'impact du plan. Comme je l'ai dit, celui-ci est soumis actuellement à la consultation publique. En outre, je crois profondément au travail parlementaire, en commission d'enquête comme dans tout autre format. J'avais prévu d'officialiser le plan début janvier, mais cela pourrait être retardé de quelques semaines – pas trop, évidemment. Nous pourrions le présenter en février, par exemple. Sachant que tout le monde est soumis à rude épreuve, en termes d'agenda, avec la gestion de la crise du covid-19, je crois que personne n'y verra malice. D'ailleurs, je souhaite lancer également le Ségur de la santé publique, qui viendra enrichir et prolonger les travaux.

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Comme vous venez de le dire en préambule, l'environnement est la clé d'une meilleure santé. L'épidémie de covid-19 illustre d'ailleurs le fait que la santé et l'environnement sont deux domaines étroitement liés. La santé environnementale est une priorité du XXIe siècle. L'impact de l'homme sur l'environnement – faune et flore – et ses conséquences sur sa propre santé sont évidents.

La recherche préventive doit s'inscrire dans la continuité de la recherche curative. Selon une étude de la Commission européenne, 13 % des décès en Europe seraient liés à la pollution de l'air. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) estime quant à elle que 23 % des décès et 25 % des pathologies chroniques – obésité, diabète, cancer ou encore maladies cardiovasculaires – peuvent être attribuées à des facteurs environnementaux et/ou comportementaux, parmi lesquels figurent les perturbateurs endocriniens, la qualité de l'air, de l'eau et de l'alimentation, les pesticides, mais aussi les produits chimiques. Ce sont d'ailleurs des facteurs que l'on retrouve dans les profils de comorbidité de la covid-19 : on estime que 50 % à 60 % des 1 million de morts souffraient de maladies chroniques.

Votre ministère reconnaît une corrélation entre santé et environnement. Quelles évolutions de notre système de santé envisagez-vous pour prévenir les risques encourus par la population ? Sur quels soutiens européens ou internationaux pouvez-vous compter ? Des études sont-elles en cours sur les impacts de l'homme sur l'environnement ? Collaborez-vous avec des laboratoires de recherche, français ou autres, sur le sujet ?

Nous vivons une crise sanitaire, sociale, économique et sociétale dont les effets post-traumatiques sur nos concitoyens n'ont pas encore été quantifiés. À ce titre, pensez-vous que le plan de relance doit consacrer des investissements importants au domaine de la recherche préventive sur la santé environnementale ? Les retours sur investissement pourraient être élevés car cela permettrait d'amenuiser les coûts pour notre système de santé, dont nous fêtons les soixante-quinze ans.

Le constat est sans appel : les citoyens, les élus, les entreprises et les professionnels de santé dénoncent le manque de formation et d'éducation à la santé environnementale, ce qui renvoie d'ailleurs au premier axe du PNSE4. Qu'envisagez-vous concrètement pour enseigner la santé environnementale comme une véritable science, que ce soit à l'école, auprès des responsables politiques ou dans les administrations ?

À propos du PNSE4, plusieurs auditions nous ont amenés à comprendre qu'il manquait une approche transversale des enjeux de santé environnementale. Les personnes auditionnées, qu'il s'agisse de représentants d'institutions, d'élus locaux, d'associations ou des acteurs privés, nous ont donné des définitions multiples de la santé environnementale. Une opacité totale règne quant au contenu et au rôle de la santé environnementale. Autre constat : on ne peut que déplorer le cloisonnement et le manque de transversalité des informations, de même que l'absence d'ascendance pour la plupart des thématiques, par exemple en ce qui concerne la pollution de l'air, des sols et de l'eau ou encore les suspicions d'agrégats de cancers.

Pourtant, les acteurs que j'évoquais ont pris un certain nombre d'initiatives très intéressantes et porteuses dans le domaine de la santé environnementale ; ils souhaitent être des relais d'information. Je pense à l'agence régionale de santé (ARS) de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA) et à l'Association des maires de France (AMF), avec un projet de surveillance ciblée de l'étang de Berre. Je pense aussi au plan santé du pays de Retz, soutenu par le conseil économique, social et environnemental régional (CESER) des Pays de la Loire, ou encore à la veille réalisée par l'ARS d'Aquitaine.

La transversalité serait efficace et productive, et ce, sans le moindre coût, avec pour seule motivation la volonté de faire en sorte que la santé environnementale soit une partie intégrante de nos priorités et soit compréhensible par tous. Est-il donc question d'élaborer un projet visant à optimiser les informations récoltées dans les territoires, dans une volonté d'ascendance constructive ? Un projet de loi, par exemple, pourrait obliger chaque individu ou chaque instance à réduire concrètement les expositions environnementales pouvant affecter notre santé.

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Olivier Véran, ministre

De quelles initiatives la France pourrait-elle s'inspirer en matière de coopération européenne et internationale ? Je vous répondrai : l'approche One Health – « Une seule santé » –, qui fait actuellement l'objet de discussions avec les ministres de la transition écologique, de l'agriculture et de la recherche. Pour illustrer cette approche, le meilleur exemple que l'on puisse citer est celui l'antibiorésistance. Il s'agit de protéger notre planète en faisant en sorte que tous les acteurs de la santé humaine, de la santé animale et de la santé environnementale travaillent ensemble, notamment au plan européen.

Le PNSE4 a été renforcé pour mieux intégrer la dimension One Health. Plusieurs actions ont ainsi été complétées ou ajoutées : formation interdisciplinaire des professionnels de la santé humaine, animale et environnementale ; surveillance renforcée de la santé de la faune sauvage, en lien avec la santé humaine ; promotion d'un usage raisonné des biocides, notamment des désinfectants, par les professionnels et le grand public, en limitant leur impact sur l'environnement ; renforcement des recherches sur l'émergence des zoonoses, mises en lumière par la crise sanitaire. Ce plan sera lancé au début de l'année 2021.

S'agissant de la remontée des informations, j'ai été marqué, lors de l'incendie de Lubrizol, par le fait que la communication était plus ou moins organisée en « silos » – elle portait tantôt sur la qualité de l'air, tantôt sur celle de l'eau – et était donc assez éloignée de l'approche « Une seule santé ». Lorsque je me suis penché, en tant que député rhône-alpin, sur la question de l'agénésie des membres supérieurs dont souffraient un certain nombre d'enfants vivant à proximité de ma circonscription, je me suis aperçu que l'on raisonnait, là encore, en silos et, surtout, qu'il était difficile de mener de front des investigations sur le terrain, des actions d'information et de promotion et une réflexion sur les conclusions opérationnelles à en tirer.

C'est pourquoi, dans mon programme de candidat aux élections législatives, j'avais insisté sur la nécessité de créer des centres de recherche, de formation et d'information à l'échelle territoriale – probablement régionale –, composés d'équipes pluriprofessionnelles capables de mener des enquêtes de terrain et de récolter des données en lien avec la médecine du travail et des spécialistes de santé publique, de manière, pourquoi pas, à développer le métier de préventologue – le mot n'est pas très beau, mais sa signification est claire. La France a accompli de grands progrès en la matière. Je pense, par exemple, aux cellules régionales chargées d'informer les femmes enceintes – un public particulièrement fragile – et de les prévenir des risques environnementaux auxquels elles peuvent être exposées. Nous devons, pour être plus efficients, développer ce type d'interventions pluriprofessionnelles à tous les niveaux.

En ce qui concerne la gestion des données, je suis entièrement d'accord avec vous. Nous devons, tout d'abord, améliorer la mise à disposition des données agrégées, pour permettre à chacun de disposer du bon niveau d'information. C'est souvent possible à l'échelon régional, grâce au travail des observatoires régionaux de santé, mais ces travaux doivent aussi être accessibles aux citoyens. C'est la raison pour laquelle le PNSE4 prévoit la création d'une start-up d'État dans le domaine de l'éco-santé.

Nous devons ensuite améliorer la mise à disposition des données brutes, pour développer la recherche et la modélisation. C'est l'objet du projet Green data hub qui, sur le modèle du Health data hub – encore un affreux anglicisme –, doit permettre, à partir de données individuelles anonymisées mais chaînées, d'étudier les associations statistiques et de rechercher les causalités.

En France, les mécanismes de compréhension ne sont pas à un stade de développement très avancé. J'émets ainsi toujours d'importantes réserves quant aux interprétations que l'on pourrait faire de situations constatées sur le territoire. Je n'ai jamais été en mesure de démontrer, par exemple, que l'agénésie des membres supérieurs était liée à un facteur environnemental. Des spécialistes, notamment des généticiens, m'ont expliqué que lorsqu'elle était unilatérale, elle pouvait difficilement être d'origine génétique, de sorte que si l'on constate une surdensité de ce type de malformations dans un territoire donné, on peut incriminer l'environnement. Cela ne signifie pas pour autant que l'on a identifié le facteur concerné ni même que l'on détient la preuve irréfutable que l'environnement est en cause : les statistiques ne permettent pas, à ce niveau-là, des démonstrations imparables.

Il faut, en tout état de cause, se donner les moyens d'effectuer des recherches. Nous avons donc besoin de registres, et nous devons faire preuve de sang-froid pour éviter de formuler des conclusions qui, s'agissant de situations dramatiques sur le plan humain, font beaucoup parler dans la presse. On observe d'ailleurs le même phénomène actuellement ; je pense aux experts épidémiologistes qui se succèdent sur les plateaux de télévision depuis le début de la crise sanitaire pour nous expliquer qu'ils en connaissent les causes. Tant que nous n'avons pas de certitudes, il faut chercher, de façon déterminée.

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Ma première question porte sur le décret d'application de la loi Grenelle 2, de 2010, relatif à l'étiquetage des composés organiques volatils dégagés par les produits d'ameublement. Ce décret n'a toujours pas été publié. Pourtant, les conclusions des travaux scientifiques que l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, l'Anses, a réalisés dans ce domaine sont connues. Certes, ce texte relève de la compétence du ministère de la transition écologique, mais je l'ai sollicité à plusieurs reprises, en vain. Cependant, puisqu'il s'agit d'une question de santé environnementale, vous êtes également concerné. Je souhaiterais donc savoir si vous comptez insister pour que ce décret soit publié.

Par ailleurs, je suis l'auteure avec Laurianne Rossi, d'un rapport sur les perturbateurs endocriniens. Les scientifiques nous ont expliqué qu'en la matière, il fallait agir rapidement, de manière préventive. Or il faut, pour cela, réviser le règlement REACH (Registration, evaluation, authorization and restriction of chemicals). Incitez-vous le Gouvernement à défendre une révision ambitieuse de ce règlement ?

Ma troisième question a trait au Toxi-Score, dont nous avons proposé la création lors de l'examen du projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire. Cette mesure peut être longue à mettre en œuvre, mais elle s'impose. En effet, nous ne pouvons plus nous contenter d'une information portant sur les seules qualités nutritionnelles d'un produit. Vous qui avez œuvré en faveur de l'extension du Nutri-Score, êtes-vous favorable à l'affichage d'une information complémentaire sur les additifs, qui ont un impact important sur notre santé ?

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Olivier Véran, ministre

Le décret relatif à l'ameublement est en effet en carafe depuis dix ans. Hélas, vous l'avez dit vous-même, il ne relève pas de mon ministère. Mais je suis favorable à toutes les mesures d'étiquetage ; j'en discuterai donc avec la ministre de la transition écologique.

J'ai pris connaissance de votre rapport sur les perturbateurs endocriniens, pour lequel je vous adresse mes félicitations. En septembre 2019, la deuxième stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens a été publiée par la ministre de la santé et des solidarités et celle de la transition écologique et solidaire. Son objectif est de réduire l'exposition de la population et de l'environnement à ces éléments. En ce qui concerne la réglementation européenne en la matière, la France défend vigoureusement, et ce depuis la première stratégie, l'adoption d'une définition transversale des perturbateurs endocriniens et leur classement en trois catégories : avérés, présumés et suspectés. Elle l'a rappelé en 2020, lors de la consultation organisée par la Commission européenne dans le cadre de l'évaluation de la prise en compte des perturbateurs endocriniens dans les réglementations sectorielles.

Quant au Toxi-Score, non seulement j'y suis favorable, mais il va voir le jour car il correspond à l'action n° 3 du PNSE4.

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J'interviendrai ici surtout en ma qualité de président du Conseil national de l'air. Celui-ci souhaite que la notion d'exposome, introduite dans notre droit par la loi de modernisation de notre système de santé de 2016, soit utilisée lors de l'élaboration, la mise en œuvre, le suivi et l'évaluation des actions de lutte contre la pollution de l'air intérieur et extérieur. Toutefois, le compartimentage des différentes politiques y fait obstacle. Comment remédier à cette situation ? La politique de l'air est par définition transversale.

Lorsque j'enseignais en première année commune aux études de santé, je me suis aperçu que les futurs soignants n'étaient pas véritablement formés aux questions de santé environnementale. Avez-vous l'ambition de compléter leur formation dans ce domaine ?

Enfin, comment comptez-vous intégrer les questions de formation et de pollution de l'air dans le Ségur de la santé publique que vous souhaitez organiser ?

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Olivier Véran, ministre

La question de l'intégration des différents milieux d'exposition dans le concept d'exposome et celle de l'évolution de cette notion vers un outil pratique de pilotage relèvent davantage de la recherche fondamentale et appliquée, donc des scientifiques, que de la politique. Le ministre que je suis ne se risquerait pas à vous indiquer la manière dont ces recherches doivent être menées. Ce que je puis vous dire, en revanche, c'est que les conditions législatives et réglementaires sont désormais réunies pour que l'on puisse avancer dans ce domaine ô combien important. Du reste, un certain nombre de recherches sont en cours.

Oui, vous avez raison, nous devons améliorer la formation des futurs soignants en matière de santé environnementale. Il faut éclairer les consciences, si je puis dire. Je m'explique. Pour ce qui est des risques connus – je pense aux intoxications qui peuvent être provoquées par le radon, le plomb, le mercure, les métaux lourds de façon générale –, on peut élaborer un programme de formation. Pour le reste, il convient de développer une conduite scientifique, voire médicale, qui consiste à avoir l'esprit ouvert et à s'interroger sur l'intervention de facteurs environnementaux dans la survenue des maladies. Mais c'est déjà le cas. Je peux vous dire qu'à la faculté de médecine de Grenoble, lorsque j'y faisais mes études, dans les années 2000, toute maladie neurologique chronique d'origine indéterminée était étudiée en prenant en compte l'ensemble des facteurs, y compris toxiques, que l'on pouvait suspecter d'être à l'origine de tout ou partie de cette pathologie.

Les préoccupations de santé environnementale ne sont donc pas absentes des programmes d'études en santé. La place qui lui est réservée s'explique par le caractère incertain de différentes données : il est difficile de faire apprendre par cœur à des étudiants des éléments sur lesquels le savoir scientifique et médical n'est pas certain. Néanmoins, je suis d'accord pour que l'on oriente davantage la formation vers la prévention. Du reste, dès le début de la législature a été créé le service sanitaire pour les étudiants en santé, dans le cadre duquel ces derniers réalisent des enquêtes sanitaires et interviennent dans le domaine de la prévention. Ces actions témoignent de notre souci d'inculquer aux futurs soignants les notions très importantes d'attention portée à l'environnement et de prévention. Le socle de compétences et de connaissances en santé a évolué, mais on peut encore progresser en la matière.

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Êtes-vous prêt, en tant que ministre des solidarités et de la santé, à défendre la possibilité de disposer d'une marge d'autonomie par rapport au cadre européen en matière d'autorisation de mise sur le marché des produits chimiques ?

Quelle est votre position sur le principe de précaution ? Que pensez-vous de l'objectif de sobriété chimique, qui va parfois à l'encontre des intérêts économiques de notre pays, notamment ceux de l'industrie agroalimentaire et de l'industrie de la chimie, en particulier du médicament ?

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Olivier Véran, ministre

La marge d'autonomie par rapport à la réglementation européenne est une question qui ne relève pas de mon ministère, et encore moins de mon pouvoir ! Cela ne m'empêche pas de discuter avec mes homologues européens pour plaider en faveur de la santé et du principe de précaution, mais je n'ai pas la capacité de décider si la France doit ou non se donner les moyens de ne pas respecter certaines normes européennes. J'ai toutefois noté qu'elle avait été capable de le faire en diverses circonstances – nous en avons l'un comme l'autre fait l'expérience au Parlement, madame la présidente.

S'agissant du principe de précaution et, plus généralement, des aspects normatifs, pour apporter une preuve d'amour plutôt que de tenir de beaux discours, je vous rappellerai le combat que j'ai mené en faveur du Nutri-Score – je me souviens que vous étiez de ceux, peu nombreux, qui avaient voté pour cette mesure la première fois que je me suis risqué à la présenter dans l'hémicycle. Il s'agissait bien de circonvenir ce que l'on disait conforme au droit européen, mais qui ne semblait pas suffisant pour permettre d'indiquer le score nutritionnel sur les emballages et dans les publicités pour les produits alimentaires ; on m'avait opposé à l'époque la réglementation européenne. J'étais allé au vote et avais été assez sèchement battu la première fois, mais j'étais revenu à la charge dans le cadre d'un autre texte et, cette fois, je l'avais emporté, par quatre-vingt-cinq voix pour et une contre – signe qu'il faut savoir faire preuve de persévérance. Comme je vous sais persévérantes, madame la présidente et madame la rapporteure, je ne doute pas que vous arriverez à faire évoluer un certain nombre de cadres normatifs.

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Olivier Véran, ministre

La sobriété chimique est un concept important. Je ne suis pas sûr d'avoir la même compétence que vous pour la définir. Ce qui est certain, c'est qu'il faut autant que possible éviter d'empoisonner notre corps et celui de nos proches avec des substances dont on ne maîtrise pas les tenants et aboutissants. J'y prête une grande attention, de même que je prête une grande attention au Toxi-Score. Je crois qu'il faut donner à nos concitoyens un mode d'accès rapide à la connaissance pour qu'ils puissent faire un choix éclairé au moment de l'achat d'un produit. Parfois, cela relève de l'évidence – une bouteille verte vendue sous le label « bio » –, parfois, c'est un peu plus compliqué, d'autant que le diable se cache dans les détails.

Je vais vous en donner la preuve en prenant, une fois n'est pas coutume, un exemple personnel : mes parents exploitent des oliviers dans le Midi et ils sont très fiers de ne pas les traiter avec des produits chimiques ; ils fabriquent une huile de première pression à froid, dans un petit moulin provençal typique. Il n'empêche que trois fois par an, ils s'adonnent à la pratique de la pulvérisation de bouillie bordelaise. Celle-ci est parfaitement compatible avec le bio ; pourtant, il s'agit de sulfate de cuivre – je ne suis pas certain que le fait de répandre du sulfate de cuivre sur des produits de consommation courante soit parfaitement compatible avec l'idée que nos concitoyens se font du bio ! Ce qui s'est passé, c'est que l'usage de la bouillie bordelaise est tellement antérieur à celui des autres biocides et pesticides et aux normes qu'il est passé entre les gouttes. J'ignore si la vaporisation de sulfate de cuivre sur des produits alimentaires est une bonne ou une mauvaise chose, je n'ai pas la compétence pour le dire, mais, en tant que citoyen, je me pose des questions quand je le vois faire. Probablement peut-on encore progresser en matière d'accès à l'information.

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Dans cette commission d'enquête, nous constituons une cartographie des dysfonctionnements, mais nous avons aussi à cœur de proposer des pistes d'amélioration, de faire preuve de discernement et, s'agissant d'un sujet aussi sensible, de se baser sur des valeurs plutôt que sur des réactions émotionnelles.

Nous privilégions aussi une approche particulière en matière de prévention. Les facteurs environnementaux jouent en effet un rôle majeur dans le développement de certaines maladies, qui ne s'expliquent pas uniquement par des facteurs comportementaux. Il convient donc de les prendre en considération dans les politiques de prévention, notamment pour ce qui concerne l'obésité. L'épidémie de covid-19, corroborant les études sur l'obésité réalisées par l'OMS en 2018, souligne cette urgence : parmi plus de 1 million de personnes décédées de la covid-19, 50 % à 60 % souffraient de maladies chroniques telles que l'obésité ou le diabète.

Votre ministère a-t-il élaboré une stratégie nationale, relayée par les collectivités territoriales, en la matière ? Un plan d'urgence est-il programmé sur cette question, qui est considérée comme une priorité par l'OMS, et, dans l'affirmative, sur quelle durée et avec quels moyens ? Dans leur rapport sur les perturbateurs endocriniens présents dans les contenants en plastique, nos collègues Claire Pitollat et Laurianne Rossi – que la commission d'enquête a auditionnées – suggèrent la création, sur le modèle du Nutri-Score, d'un « Toxi-Score » intégrant les perturbateurs endocriniens : qu'en pensez-vous ? Une formation continue relative au développement des maladies chroniques, comme les cancers ou l'obésité, est-elle prévue par votre ministère ? Une médecine de l'obésité pourrait-elle être envisagée – l'une des associations que nous avons auditionnées suggère même de faire de l'obésitologie une spécialité à part entière ? Pour pallier les carences de notre système de santé en matière de prévention, il serait souhaitable que la profession de préventologue voie le jour ; vous l'avez évoquée, mais pourriez-vous nous en dire un peu plus ?

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Autant, en ce qui concerne les services déconcentrés, le rôle des agences régionales de santé est clair, autant celui des collectivités territoriales soulève des interrogations. On sait que les départements interviennent en matière de protection maternelle et infantile (PMI), on sait que des régions s'approprient certains sujets, on connaît les contrats locaux de santé qui existent entre des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et les agences régionales de santé, mais, alors qu'il existe des plans de prévention des risques industriels, des risques naturels et des risques littoraux, ainsi que des plans climat-air-énergie territoriaux à l'échelle des EPCI, il n'y a rien de tel pour ce qui regarde la santé. Ne faudrait-il pas préciser le rôle des collectivités territoriales en la matière et rendre obligatoires des plans de ce type ?

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Olivier Véran, ministre

La question de l'obésité m'a beaucoup occupé lorsque j'étais parlementaire. J'ai déposé des amendements concernant aussi bien l'anorexie que la boulimie ou l'obésité. Toutefois, je ne crois pas qu'à ce stade, un lien direct ait été établi entre santé environnementale et obésité. En revanche, vous avez raison, madame la rapporteure, de souligner que l'obésité est manifestement multifactorielle. Certains enfants peuvent présenter un surpoids important, ou même une obésité morbide, sans manifester aucun trouble des conduites alimentaires, voire en ayant une alimentation dite équilibrée.

Certains spécialistes subodorent une origine génétique. Les fondations de lutte contre les troubles alimentaires, que j'ai eu l'occasion de rencontrer, militent pour qu'on évite de tenir un discours culpabilisant à l'encontre des familles dont les enfants souffrent d'obésité, dans la mesure où il y a manifestement des cas qui relèvent de l'inné plutôt que de l'acquis.

La recherche sur ces troubles se développe. Faut-il une médecine de l'obésité ? En réalité, elle existe déjà, et est plutôt bien structurée. À Grenoble, par exemple, le réseau de santé pour la prise en charge pluridisciplinaire de l'obésité (REPPOP) est capable de faire à la fois du dépistage, en liaison avec les écoles, du diagnostic et du suivi, en centre spécialisé lorsque c'est nécessaire, mais aussi dans la durée, en ambulatoire, grâce à des équipes pluriprofessionnelles impliquant aussi bien des endocrinologues que des nutritionnistes, des pédiatres et, lorsqu'il y a besoin d'un accompagnement, des psychiatres. Je trouve cette organisation plutôt intéressante. Je crois que les travaux de votre commission d'enquête touchent à leur fin, mais si ces questions vous intéressent, je vous recommande vivement de contacter l'équipe du REPPOP ; elle dispose – me semble-t-il – d'une délégation de service public, elle est financée par l'agence régionale de santé et est chargée du suivi des cohortes de patients obèses.

Faut-il un « Toxi-Score » intégrant les perturbateurs endocriniens ? Dès lors qu'il existe un lien de causalité avéré entre un perturbateur endocrinien et un risque sanitaire, je suis pour l'interdiction du perturbateur endocrinien ; c'est ce qui a été fait avec le bisphénol ou le dioxyde de titane, par exemple. S'il s'agit d'un risque supposé, peut-être cela pourrait-il être indiqué clairement. Les applications qui ont été développées à cette fin, notamment en matière alimentaire, fonctionnent bien ; on peut toujours discuter du traitement de certaines données, mais je crois que c'est une solution d'avenir.

Une commission d'enquête n'est pas le lieu pour que je décline mes idées relatives à la profession de préventologue. Je veux en outre laisser aux équipes qui seront chargées d'animer le Ségur de la santé publique le soin de définir cette profession si elles estiment cela nécessaire, voire judicieux – ce dont je ne suis pas sûr à l'heure à laquelle je vous parle, puisque les travaux n'ont pas encore été lancés.

S'agissant du rôle des collectivités territoriales en matière de santé publique, quatorze régions sont dotées d'un troisième plan régional santé-environnement courant, suivant les cas, jusqu'en 2021 ou 2022. Conformément à la loi, le PRSE est mis en œuvre par l'ARS, le préfet, la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) et le conseil régional, sauf dans les régions Auvergne-Rhône-Alpes, Île-de-France et Occitanie ; il est intégré au projet régional de santé.

De manière générale, j'avais défendu, dans une tribune et un amendement – qui, je crois, avait été adopté –, l'idée qu'il fallait donner plus de légitimité aux collectivités territoriales en matière de politique de santé publique. En effet, si je crois profondément que la gestion du risque sanitaire relève du domaine régalien, à travers l'assurance maladie, et si je crois en une déconcentration, par l'intermédiaire des ARS, plutôt qu'en une décentralisation des politiques sanitaires, en revanche, en matière de santé publique, les collectivités territoriales doivent pouvoir s'impliquer ; d'ailleurs, elles le font déjà bien souvent. Comment concevoir un plan local d'urbanisme sans un volet sanitaire ? Comment penser l'organisation des transports collectifs sans mener une réflexion sanitaire ? Et ne sont-ce pas les collectivités territoriales qui ont détruit les murailles des villes fortifiées lorsque les pandémies sévissaient, de manière à aérer et permettre l'évacuation des germes ? Ne sont-ce pas elles qui ont raccordé les logements au tout-à-l'égout, construit des fontaines et des aqueducs, puis installé l'eau courante et enfin l'eau potable ? Qui ont espacé les rues et fait retirer les porcs qui mangeaient les déchets pour éviter la transmission des maladies ? De tout temps, les collectivités locales se sont pleinement impliquées dans la santé publique ; d'ailleurs, les gains les plus importants en termes d'espérance de vie furent la conséquence directe de ces actions, et le mouvement des hygiénistes a été porté par les collectivités locales. Je revendique leur rôle en la matière : il faut pouvoir les laisser faire – sous réserve toutefois que leur action soit adaptée aux risques sanitaires réels et qu'elle n'anticipe pas des risques non avérés.

Vous me pardonnerez de faire à ce sujet une petite digression de nature politique. Quand un élu local décide de réduire la circulation des voitures et de favoriser les déplacements en transports collectifs ou à vélo, c'est formidable, mais si cela se fait au prix d'un report de la pollution vers d'autres lieux, avec des conséquences sur la santé des gens, cela n'a pas beaucoup de sens. En outre, vouloir réduire la pollution par les voitures, c'est bien, mais s'attaquer aux antennes-relais alors qu'il n'a pas été démontré qu'elles présentaient un risque pour la santé, c'est autre chose.

Cette réserve faite, laissons libre cours aux idées des collectivités territoriales et à leur volonté de bien faire, et accompagnons-les.

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Vous avez longuement parlé de l'approche One Health. Je voudrais savoir quelles leçons on peut tirer de la gestion de l'épidémie de covid-19 pour les futures politiques publiques de santé environnementale, en particulier en matière de gestion des risques, de prévention de nouvelles pandémies et de développement des maladies vectorielles – je sais que ce dernier sujet vous tient particulièrement à cœur. Avez-vous la capacité de faire dans le PNSE4 des propositions éclairantes en matière de prévention ou est-ce encore trop tôt ?

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Olivier Véran, ministre

L'épidémie de covid-19 influe-t-elle sur l'approche One Health, « Une seule santé » ? La question est d'importance, mais elle est complexe ; il faudrait mener une réflexion spécifique, qui relève de la compétence d'experts, afin d'examiner dans quelle mesure la santé humaine a des répercussions sur l'environnement et la santé animale, et réciproquement. On a vu que des visons avaient été atteints par le virus ; on sait que les furets peuvent être eux aussi contaminés et contaminants, de même que les hamsters dorés, parce que – si j'ai bien compris – leur museau les rend susceptibles de capter le virus plus facilement que d'autres animaux et de le transmettre. En réalité, tous les carnivores sont potentiellement concernés. On a fortement, et peut-être injustement, accusé le pangolin, puis la fourmi, mais, à ce stade, on ne sait pas grand-chose.

De toute façon, quand, chaque année, la grippe s'abat sur le monde, il s'agit d'un virus qui a muté dans un environnement animal. Nous partageons notre planète avec les animaux : il n'est donc pas étonnant de partager également avec eux un certain nombre de virus et de bactéries, qui peuvent muter.

Plusieurs secteurs de l'environnement ont été touchés depuis le début de la crise sanitaire, ce qui a amené à concentrer les travaux sur plusieurs enjeux. D'abord, la définition des risques de transmission de la covid-19 liés aux différents types d'eau, afin d'anticiper et d'accompagner la reprise d'activité et la réouverture des établissements recevant du public, ainsi que de prévenir le risque de légionellose. Ensuite, la gestion des déchets d'activités de soins à risques infectieux, dont je parlais tout à l'heure : l'émergence du SARS-CoV-2 a pu conduire à établir des règles spécifiques pour l'élimination des déchets d'activités de soins. Comment la filière s'est-elle organisée pour faire face à la surproduction de DASRI, en particulier en Île-de-France ? D'autres interrogations ont porté sur l'environnement intérieur : on a beaucoup parlé d'aération, de ventilation, de climatisation, de chauffage, avec des recommandations qui ont pu évoluer avec le progrès des connaissances. On s'est même interrogé sur l'environnement extérieur : fallait-il désinfecter les rues, l'extérieur des maisons, les poignées de portes des voitures… ? On voit bien qu'un événement sanitaire comme celui-ci interroge notre rapport à l'environnement, à la nature et au monde animal.

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De toute évidence, la réflexion est bien lancée ! Je vous remercie, M. le ministre, d'avoir répondu à nos questions et de nous avoir rassurés quant au travail et à la dynamique engagés au sein de votre ministère. Nous vous souhaitons bon courage, car nous ne sommes pas au bout de nos peines, même si les choses semblent s'améliorer !

L'audition s'achève à dix-sept heures cinquante-cinq.