La séance est ouverte à onze heures cinquante-cinq.
Afin que cette audition commune soit la plus équitable possible, nous allons minuter les temps de parole des uns et des autres.
L'un des arguments avancés par le collectif d'experts « Energie et vérité » est que la comparaison, au regard des objectifs fixés par la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), entre le coût d'un grand carénage nucléaire sur un tiers du parc, estimé à 25 milliards d'euros, et le coût d'un remplacement de ce même tiers par des énergies renouvelables toutes sources confondues, évalué à 184 milliards d'euros, laisse apparaître une disproportion en faveur d'une prolongation du parc nucléaire. L'éolien terrestre, qui constitue selon eux une grande partie des coûts déjà engagés, leur apparaît ainsi comme une folie au plan économique, non seulement par rapport au nucléaire, mais aussi à d'autres énergies renouvelables comme le photovoltaïque.
Je souhaite donner tout d'abord la parole à M. Cahart pour qu'il détaille la manière dont a été effectué le chiffrage de ces deux options, puis aux représentants de France énergie éolienne pour lui répondre.
Nous sommes partis du projet de loi sur l'énergie qui vient d'être annoncé et qui indique que d'ici 2035 la part du nucléaire dans la production française d'électricité devra être ramenée à 50 %, ce qui revient à diminuer le potentiel nucléaire d'environ 21 centrales sur 71. Nous avons essayé de chiffrer cette opération de substitution en partant des données présentes dans le projet de programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), qui indique une progression souhaitée de l'éolien, mais aussi du photovoltaïque, jusqu'en 2028. Nous avons prolongé les chiffres jusqu'en 2035, échéance fixée par la loi. Nous avons ensuite multiplié les capacités supplémentaires de renouvelables ainsi chiffrées par les coûts unitaires de ces équipements, trouvés dans le rapport 2016 de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME). Nous avons ainsi obtenu un coût d'investissement, auquel nous avons ajouté les coûts de réseau liés à l'adaptation et à la diversification du réseau des énergies renouvelables (EnR) en France. Nous sommes ainsi parvenus à un total de 184 milliards d'euros pour la période allant de 2019 à 2035. Ces coûts seraient nécessairement supportés par le contribuable et le consommateur français, puisque les promoteurs que vous représentez vont emprunter tout cet argent auprès des banques et que ces emprunts seront remboursés soit par les ventes de courant, soit par les aides publiques qui leur seront versées. Je n'inclus pas dans ce chiffre l'incidence des décisions passées en matière d'EnR, que la Cour des comptes a estimé à 121 milliards d'euros, somme que le consommateur et le contribuable français devront aussi supporter durant les quinze ou vingt ans à venir.
Nous avons comparé ce coût à l'autre option possible. Je tiens à préciser d'emblée que je n'ai aucun lien avec EDF, ni avec Areva. Je suis inspecteur général des finances de formation, donc formé pour dénoncer les gaspillages, qui se révèlent souvent au travers de comparaisons. J'ai donc, de manière tout à fait indépendante et libre, réfléchi au chiffrage d'une prolongation éventuelle du parc nucléaire. Comme vous le savez, les Américains prolongent sans aucun problème leurs centrales jusqu'à l'âge de 60 ans et envisagent même d'aller jusqu'à 80 ans. Nos centrales procédant de la même technique, pourquoi ne ferions-nous pas de même ? J'ai donc imaginé la prolongation de notre parc de façon à produire la même quantité de courant électrique que le supplément d'EnR que je viens d'évoquer. J'ai utilisé pour ce faire des chiffres issus de travaux de la Cour des comptes, actualisés à 5 milliards d'euros par an, dont je n'ai pris qu'un tiers en considération, dans la mesure où la problématique que je viens d'exposer ne porterait que sur un tiers du parc nucléaire, les deux autres tiers n'étant pas en cause. Nous arrivons ainsi, sur 17 années, c'est-à-dire d'ici 2035, à un montant de 25 milliards d'euros, chiffre très modeste au regard des 184 milliards d'euros correspondant au coût des EnR sur la même période.
Nous nous permettons ainsi d'affirmer que la proposition faite au Parlement sous forme de projet de loi sur l'énergie n'est pas une bonne idée.
Je tiens tout d'abord à souligner que nous ne sommes pas nécessairement les bons interlocuteurs pour ce sujet, dans la mesure où nous ne sommes pas experts du mix énergétique français. Cette question concerne plutôt l'administration et le gouvernement.
Cela étant, nous pouvons néanmoins apporter quelques éléments de réponse. Je comprends de la problématique du nucléaire que l'on se situe dans un cycle industriel non maîtrisé, avec un certain nombre d'inconnues en matière de démantèlement, de recyclage ultime des déchets. En termes de coût, le coût du nucléaire amorti est, d'après la Cour des comptes, d'environ 60 euros. Les coûts vont croissant dans le domaine du nucléaire. Je pense que cela fait consensus. Des entreprises du secteur en difficulté ont été recapitalisées dans les années passées, alors qu'à l'inverse, les énergies renouvelables, du fait des investissements effectués, répondent à une problématique d'avenir. En effet, les EnR sont des énergies propres, sûres, renouvelables : elles présentent une vertu intrinsèque. Elles ne produisent aucun effet sur le climat, ni déchet dangereux. S'ajoutent à cela des courbes de prix décroissantes. Je pense que cela constitue d'ailleurs l'un des éléments importants dans la décision stratégique et politique du gouvernement.
Aujourd'hui, comme vous le savez, 75 % à 80 % de l'électricité en France est d'origine nucléaire. Je crois qu'il est toujours préférable de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, notamment en raison des inconnues que je viens d'évoquer. Si par ailleurs un accident nucléaire majeur venait à se produire dans le monde dans les cinq, dix, quinze ou vingt ans à venir, ce que l'on ne peut pas exclure, cela provoquerait inévitablement un changement très fort de l'opinion en France, avec des coûts induits très importants. Je pense par conséquent que le bon sens plaide stratégiquement en faveur d'une diversification du risque énergétique.
Votre proposition consisterait donc à minorer les coûts du nucléaire. Je constate par ailleurs que vous ne contestez pas le chiffre avancé de 184 milliards d'euros d'investissements nécessaires jusqu'en 2035 pour permettre aux EnR d'atteindre les objectifs fixés dans le projet de loi sur l'énergie.
Je n'ai pas d'avis sur la question, puisqu'il s'agit d'une question que nous n'avons pas étudiée dans le détail.
La question sous-jacente est de savoir à combien revient le déploiement de votre industrie notamment. Lors de la PPE, vous défendiez une augmentation plus importante du potentiel éolien. Or l'argument du coût tel qu'il vient d'être présenté par M. Cahart ne plaide pas en faveur d'un grand plan éolien. Je suppose que lorsque vous allez convaincre le gouvernement, vous avancez certains arguments.
Les coûts des filières renouvelables, dont ceux de l'éolien, sont complètement transparents. Sans doute y aurait-il matière en revanche à constituer une commission d'enquête sur les coûts de la filière nucléaire.
Dans l'éolien, les projets se font par appels d'offres et il s'agit de coûts complets, incluant notamment le démantèlement, dont nous avons abondamment parlé lors de notre audition. Les coûts sont ainsi parfaitement connus. Nous avons vu, ces derniers mois, que le coût de l'électricité sur le marché a significativement augmenté, si bien que cela constituera à terme une excellente affaire pour l'État, dans la mesure où la différence entre le prix de marché et le prix souscrit sur les contrats sera remboursée à l'État par les promoteurs. Économiquement, les arguments sont nombreux à plaider en faveur du développement des énergies renouvelables. Cela constitue d'ailleurs d'une des raisons pour lesquelles les EnR se développent dans le monde entier. Il s'agit aujourd'hui d'une réalité extrêmement forte. Il est important d'avoir dans ce domaine de l'ambition, une volonté et une vision de ce que sera le système énergétique des cinquante prochaines années, vision qui ne peut se fonder sur ce qu'était le modèle voici cinquante ans.
J'ajoute que, dans ce contexte de transition énergétique, l'éolien ne prétend pas être dominant dans le mix électrique. Nous pensons simplement qu'il sera utile au mix français de bénéficier d'une forte pénétration de l'éolien, loin toutefois d'être équivalente à celle du nucléaire. Nous allons vers un mix énergétique diversifié. L'éolien n'est, dans ce cadre, qu'une partie de la solution pour le système électrique. Il existe bien évidemment des enjeux dans d'autres domaines, comme l'efficacité énergétique des bâtiments ou la mobilité. La transition énergétique est une stratégie globale, répondant à des enjeux globaux.
Vous avez tout de même évoqué des études dans lesquelles les EnR représentaient 35 % à 36 % du mix électrique français.
Il s'agit en effet d'un taux de pénétration important ; toutefois, l'éolien ne prétend pas avoir une position dominante, comme c'est le cas aujourd'hui en France pour le nucléaire, qui constitue une anomalie.
M. Pérot semble confondre de façon un peu inquiétante deux éléments fondamentaux que sont le prix et le coût. Il prétend ainsi que les coûts de l'éolien sont connus. Or seuls les prix le sont, puisqu'ils sont fixés par décision réglementaire et législative. Les coûts sont très difficiles à chiffrer : lorsque l'on essaie de les connaître, on se trouve face à une dissimulation massive des informations en la matière.
Lorsqu'il est dit que le coût de l'électricité est de 74 euros du mégawattheure (MWh), cela ne correspond en réalité pas à un coût, mais à un coût auquel s'ajoute de la marge.
J'entends cette démonstration, mais vous parlez de coûts dissimulés : pourriez-vous préciser ?
Les coûts dissimulés sont à trouver tout d'abord dans la question du démantèlement, dont on sait que les chiffres affichés ne prennent pas en compte l'ensemble des sommes qui se rapportent en réalité à ces opérations. On ne sait d'ailleurs pas en général, dans les comptes des entreprises, pour quel montant cela est pris en considération. S'ajoutent à cela les frais de réseaux, pris en charge par le réseau de transport d'électricité (RTE). Si l'on veut avoir une notion du coût, il faudrait inclure ces chiffres dans le calcul. Or ce n'est généralement pas pris en compte dans la rentabilité des entreprises. Cela porte pourtant sur des sommes énormes. Il faudrait également considérer les transferts de profits de sociétés vers les industriels producteurs d'éoliennes ou vers d'autres sociétés étrangères effectuant de la prestation de services, de la maintenance, etc. Tout cela est extrêmement diffus.
Le démantèlement n'est absolument pas un élément caché. Ma société a déjà procédé à des dizaines de démantèlements d'éoliennes et dispose de factures très précises. A été évoqué précédemment le cas d'une facture très particulière, publiée voici quelque temps. Mais si vous souhaitez savoir combien coûte le démantèlement d'un massif de 435 mètres carrés en béton, je puis vous répondre sans hésiter 54 000 euros et vous communiquer la facture correspondante. Je ne vois pas vraiment où est le problème.
Concernant le réseau, vous dites que tous les coûts ne sont pas pris en compte. Aujourd'hui, le prix d'un mégawatt (MW) installé est globalement de 1,5 million d'euros : ce coût comprend la fourniture de la turbine, la voirie et réseaux divers (VRD), le raccordement jusqu'à notre poste de livraison, le raccordement Enedis, le renforcement des capacités de transformation Enedis ou RTE via la quote-part des schémas régionaux de raccordement au réseau des énergies renouvelables (S3REnR), et le démantèlement. Le 1,5 euro du watt éolien installé constitue donc un coût complet.
Il manque le raccordement, très important, entre le poste de livraison et le poste source.
Pas du tout : il est inclus dans ce coût, comme je viens de l'indiquer, et est pris en charge via le mécanisme de quote-part S3REnR. Les ouvrages de renforcement HTA-HTB et les capacités de transformation sont pris en compte dans le calcul de ces quotes-parts. Je vous confirme que les quotes-parts S3REnR ont été revues à la hausse dans certaines régions comme les Hauts-de-France et le Grand-Est, où elles avoisinent aujourd'hui les 100 000 euros du MW. Nous nous acquittons de ces coûts, qui sont intégrés dans les 1,5 euro du watt installé.
Pouvez-vous rapporter cette notion de coût à votre prix de vente réglementaire ?
Dans le cadre des appels d'offres, le prix de vente est aujourd'hui de 65 euros le MWh, avec des coûts qui ne cessent de baisser. Dans quelques années, on atteindra peut-être les 60, voire 55 euros le MWh. En tout état de cause, l'éolien sera nettement moins cher que d'autres sources d'énergies que vous avez citées auparavant.
Vous confirmez bien avoir aujourd'hui des marges bénéficiaires, des profits, ne justifiant en rien le soutien public apporté à vos entreprises.
Nous avons évoqué précédemment un mécanisme extrêmement important, sur lequel je souhaiterais revenir. Aujourd'hui, nous sommes rémunérés sur la base du complément de rémunération. Nous vendons l'électricité sur le marché. Si notre coût garanti est supérieur au coût du marché, nous percevons un complément de rémunération ; en revanche, lorsque le coût du marché est supérieur à notre prix garanti, ce qui se produit de plus en plus souvent, nous remboursons la différence, ce qui constitue une bonne affaire pour le contribuable.
Vous savez très bien que l'essentiel du parc aujourd'hui ne fonctionne pas avec ce dispositif. Vous êtes donc en train de tenir un propos que je considère comme trompeur vis-à-vis de mesdames et messieurs les parlementaires, dans la mesure où le pourcentage de parcs éoliens fonctionnant sur la base de ce système est absolument négligeable. Tout est fait par ailleurs pour que ce soit également le cas dans le futur, notamment avec les limitations de puissance et le nombre d'éoliennes. Votre propos n'est pas pertinent.
Je viens de relire le document dans lequel vous donnez le chiffre de 184 milliards d'euros concernant le développement des EnR d'ici 2035 et indiquez que ce coût sera à la charge de la société. J'avoue ne pas comprendre. Vous évoquez en effet les subventions visant à permettre l'émergence d'une industrie et le coût payé par le consommateur. À titre personnel, je ne suis pas choqué par le fait que le consommateur paie sa consommation. Il m'intéresserait en revanche de connaître la part de ces 184 milliards restant à la charge du contribuable.
Vous comparez par ailleurs ce chiffre aux 25 milliards du grand carénage nucléaire. Où sont les coûts du démantèlement à terme du parc nucléaire, auxquels il faudrait associer les coûts de stockage des déchets, etc. ? Aujourd'hui, plus d'un tiers du parc nucléaire a plus de quarante ans : il va falloir, à un moment donné, le renouveler.
Ma question n'est aucunement polémique et répond simplement à une volonté de ma part de comprendre le mécanisme de votre raisonnement.
L'un de vos propos m'a profondément choqué, M. Pérot. Vous avez en effet indiqué qu'il allait très probablement se produire un nouvel accident nucléaire dans le monde. Le fait d'être à 50 % de nucléaire dans le mix énergétique en France plutôt qu'à 75 % ne changera rien de ce point de vue : si l'on suit votre logique, il faudrait, pour éliminer ce risque, arrêter tout de suite l'ensemble du recours au nucléaire.
Il s'agit simplement de bon sens : il ne me semble pas pertinent de mettre tous ses œufs dans le même panier.
Selon vos propos, il faudrait arrêter immédiatement le nucléaire.
La Fédération Environnement durable s'intéresse beaucoup par ailleurs à la question du démantèlement, que nous avons étudiée. Je suis totalement en porte-à-faux avec les propos que vous avez tenus.
Avez-vous démantelé des parcs vous-même ? La profession dispose en effet d'une expérience réelle et concrète. Nous savons de quoi nous parlons.
Non, mais j'ai été directeur d'usine Rhône-Poulenc. Il suffit de faire le total. Le président Macron a indiqué que l'on allait tripler le nombre d'éoliennes en France. Mettons que l'on en installe 15 000 : imaginez le nombre de tonnes de béton nécessaires, auxquelles il faut ajouter les mâts, les nacelles, les pales. Si l'on effectue le calcul complet, en tonnes, de cet ensemble, on atteint des chiffres phénoménaux. Si l'on considère uniquement le béton, cela correspond à des camions-toupies qui, mis bout à bout, couvriraient la moitié du tour de la terre. On est ainsi en train de bétonner la France. Tout est possible : on peut tout à fait enlever le béton du sol ensuite. Ce n'est toutefois pas prévu dans les contrats. On peut traiter chimiquement tous les matériaux : mais tout dépend des procédés utilisés, de leur coût et des précautions nécessaires. J'ai lu dans L'Usine nouvelle un article indiquant que l'on enfouissait les pales d'éoliennes. Il faut savoir en effet que ces pales sont constituées de matériaux spéciaux, de plus en plus modernes donc de plus en plus difficiles à traiter. On ne dispose pas aujourd'hui de procédés permettant de les recycler correctement, même si quelques start-up travaillent sur le sujet. C'est une affaire d'argent.
Lorsque l'on cumule tous ces éléments, on ne peut que constater que l'on n'est aujourd'hui qu'au tout début du processus. Vous êtes en train de mettre sur le territoire français des quantités colossales de matériaux, sans avoir le début d'un procédé adapté à un retraitement ultérieur intégral. Dans tous les cas, les 50 000 euros provisionnés sont ridicules au regard des sommes nécessaires. Je dis aujourd'hui aux agriculteurs qui acceptent que l'on implante des éoliennes dans leurs champs que c'est une erreur. En effet, une éolienne leur rapportera environ 10 000 euros par an pendant 20 ans, soit 200 000 euros au total. Or vos entreprises sont des sociétés sans capital, qui ne sont pas responsables du terrain. Le jour où ces sociétés s'en iront, il appartiendra à l'agriculteur de traiter lui-même le problème du démantèlement des éoliennes présentes sur sa parcelle. Or les 200 000 euros gagnés ne lui suffiront pas pour financer le recyclage du béton, des pales et de l'ensemble des matériaux composant l'éolienne, dont certains très difficiles à retraiter. Les Allemands règlent la question en entreposant les pales de leurs éoliennes dans les décharges africaines. Mais on peut aussi envisager pire, c'est-à-dire de vendre les éoliennes usées à des pays du tiers-monde, de façon à se débarrasser du problème.
Les pays du tiers-monde achètent aujourd'hui des éoliennes chinoises et absolument pas des éoliennes de réforme.
Je tiens à préciser que nous ne demandons pas spécialement d'arrêt ou de baisse du recours au nucléaire. Des orientations stratégiques sont fixées par le gouvernement et nous ne faisons que nous inscrire dans ce cadre. Je me suis borné à indiquer les raisons pour lesquelles ces choix stratégiques nous semblaient logiques, compréhensibles et raisonnables.
On ne peut menacer comme vous le faites d'un troisième accident nucléaire mondial et baser son industrie sur cet argument.
Vous avez mal compris mes propos. J'ai simplement souligné qu'il s'agissait d'un risque intrinsèque.
S'il s'agit d'un risque, alors il ne faut pas le prendre et stopper le recours au nucléaire.
Je me borne à signaler qu'il s'agit d'un risque, qu'il faut intégrer dans la stratégie.
À votre place, je parlerais de l'éolien plutôt que du nucléaire. J'ai participé à trois commissions d'enquête et trois missions parlementaires sur la question du nucléaire et ai veillé à ne pas intégrer cette dimension dans la présente commission.
Je travaille dans le secteur de l'éolien depuis 18 ans, ai mis en service mes premières centrales en 2001 et géré mes premiers démantèlements en 2016. J'ai ainsi déjà procédé au démantèlement d'une douzaine de parcs éoliens, en Guadeloupe, dans l'Aude, en Bretagne, dans la Marne. Si vous me demandez combien coûte le démantèlement, éolienne par éolienne et parc par parc, j'en connais très précisément le montant, puisque j'ai validé les factures.
Jusqu'à preuve du contraire, je n'ai en outre jamais entendu dire ou constaté qu'un agriculteur se soit retrouvé in fine avec la responsabilité du démantèlement d'une éolienne. Lorsque nous contractons avec un agriculteur ou une collectivité, cela prend la forme d'un bail emphytéotique, avec une constitution de droits réels, un fonds dominant, un fonds servant. Nous mettons en place des garanties de démantèlement et disposons de trésorerie dans nos sociétés. Vous avez indiqué tout à l'heure que nos sociétés ne disposaient souvent que de 1 euro de capital : je suis désolé de vous contredire, mais il se trouve que la plupart des sociétés éoliennes aujourd'hui appartiennent à des grands groupes. En ce qui me concerne, la caution s'appelle Total. Le risque de cessation de paiement n'est donc pas un argument.
Concernant plus précisément le démantèlement, les pales sont actuellement broyées avant de partir en cimenterie, dans un processus de valorisation énergétique. Ce n'est certes pas parfait, je vous l'accorde. Nous aimerions faire mieux. Des équipes y travaillent, dans le sud de la France, et cherchent un procédé permettant d'utiliser la fibre de verre, qui est un matériau très basique contrairement à ce que vous affirmez, pour fabriquer des briques réfractaires permettant de stocker de la chaleur. Les expérimentations sont certes peu abouties pour l'instant, mais il est faux de prétendre que l'on enfouit les pales et qu'elles ne sont l'objet d'aucune valorisation. Vous mentez en affirmant cela et je peux vous le prouver.
Je ne vous parle pas des journaux allemands, mais de la réalité des parcs éoliens en France.
Je souhaiterais que l'on s'éloigne du sujet du nucléaire pour se focaliser sur la question de l'éolien. Quelles recommandations législatives feriez-vous pour rendre plus juste pour le consommateur le soutien aux énergies éoliennes ? Que conseilleriez-vous pour que l'acceptabilité soit meilleure et le système plus juste, en considérant que la volonté politique aujourd'hui est bien de soutenir cette filière éolienne ? Que pourrait-on selon vous améliorer à ce stade ?
Permettez-moi une digression préliminaire. Vous indiquiez précédemment que les EnR étaient sûres. À ma connaissance, la meilleure énergie renouvelable est l'hydraulique, qui est pilotable, stockable, etc. Or je vous rappelle simplement que la plus grande catastrophe énergétique en France est la rupture du barrage de Fréjus : une région entière a été inondée et l'on a déploré 500 morts. Il ne s'agissait donc pas là d'un risque hypothétique, mais avéré. Je vous invite donc à éviter de faire des comparaisons en termes de risque et d'affirmer que les EnR sont sûres.
Il me semble par ailleurs nécessaire de rappeler la différence fondamentale entre énergies intermittentes et énergies stockables et pilotables. Nous savons très bien que l'intermittence dans la production est le problème majeur de la filière éolienne. La logique du prix doit en tenir compte, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Une probabilité d'utilisation de 6 % aux points d'arrivée aux heures de pointe, compte tenu d'un rendement de 21 % et d'une durée de 6 heures d'heures de pointe, fait que l'énergie intermittente est largement surpayée par rapport au prix normal du marché, qui devrait être très inférieur. Le problème du soutien passe par une comparaison honnête entre des énergies de qualité comparable. Ce soutien qui permet aujourd'hui à des entrepreneurs de l'éolien de gagner des fortunes en assurant une production de qualité plus que médiocre est un système auquel il faut mettre fin prioritairement, car il ruine le consommateur et la France et fausse la concurrence entre les différentes EnR.
Vous nous demandez, madame la rapporteure, quelle serait notre recommandation dans le cas où il serait décidé de continuer à promouvoir l'énergie éolienne : elle serait de cesser complètement les aides à l'éolien, notamment terrestre, et de reporter cet effort sur les autres EnR, en particulier le photovoltaïque. En novembre 2018, un communiqué du ministre François de Rugy indiquait que les seize appels d'offres opposant, dans neuf régions, l'éolien terrestre au photovoltaïque, avaient été remportés par le photovoltaïque en termes de prix. Il convient d'ajouter par ailleurs que le photovoltaïque, en plus d'un prix intéressant, est beaucoup moins agressif envers les paysages que l'éolien terrestre. Cela ne laisse donc pas de place au doute : il faut sacrifier l'éolien terrestre au profit des autres énergies renouvelables.
J'ai également des réponses à apporter à M. Thiébaut, qui nous a dit souhaiter disposer de chiffres prévisionnels de subventions. C'est très difficile, car il est nécessaire pour ce faire de figurer l'évolution des prix de l'électricité sur 17 ans. J'ignore si quelqu'un est capable de le faire ; je ne le suis pas. C'est la raison pour laquelle nous avons choisi de ne pas effectuer de distinction entre le contribuable et le consommateur. Les 184 milliards d'euros dont j'ai parlé correspondent à un coût d'investissement, qui sera mis inévitablement à la charge du contribuable ou du consommateur, c'est-à-dire dans les deux cas de la collectivité.
M. Thiébaut s'inquiétait par ailleurs du démantèlement des centrales nucléaires. La prise en compte de cet élément est un argument puissant en faveur des thèses que je vous présente. En effet, le démantèlement des centrales nucléaires actuelles aura lieu de toute façon. Il s'agit d'un fait, d'une nécessité acquise, qui se situe en dehors de notre problématique. Que la loi sur l'énergie soit votée ou non, il faudra bien démanteler ces centrales un jour. La date est très importante, parce que si l'on démantelait maintenant, ce qui serait une conséquence de ce qui est souhaité par les professionnels de l'éolien, le coût de démantèlement serait immédiat et maximum. Si en revanche on démantèle les centrales dans 20 ans, alors il sera possible d'évaluer le coût grâce à un taux d'actualisation. Si l'on retient par exemple un taux d'actualisation de 10 % sur 20 ans, le coût sera diminué de 85 %. Il existe donc un très grand intérêt à différer le plus possible cette charge de démantèlement, qui est certes inévitable et acquise, mais dont la date reste à fixer.
Je suis choqué par le fait que le système d'aide à l'éolien, mis en place par le ministre Yves Cochet en 2001, rendant obligatoire l'achat prioritaire de cette électricité par rapport aux autres et imposant un tarif garanti, fonctionne toujours, même s'il a été quelque peu amélioré par l'instauration des procédures d'appel d'offres. La règle des six mâts reste néanmoins majoritaire dans les contrats actuels. Cela fait 18 ans que ce dispositif est en vigueur : je comprends que l'on aide au démarrage d'une industrie, mais il me semble suspect que, 18 ans plus tard, cette dernière continue à mendier des subventions et à vouloir faire perdurer ce système.
Lorsque l'on considère par ailleurs les bénéfices réalisés dans ce secteur par certaines sociétés, voire certaines personnes, on peut être inquiet, dans la mesure où l'argent est ponctionné sur les factures d'électricité françaises ou sur d'autres taxes. Les prix de l'électricité payés par les consommateurs ne cessent d'augmenter, ce qui conduit à l'appauvrissement non seulement des particuliers, mais aussi d'un certain nombre d'industriels qui consomment de l'énergie et de l'électricité. 18 ans plus tard, ce système continue à ponctionner de l'argent, bien qu'il soit rentable, et ce de plus en plus. Arrêtons par conséquent de le subventionner.
Vous indiquez que le prix de rachat est aujourd'hui de 65 euros environ par MW suite aux appels d'offres. Les éoliennes concernées par les appels d'offres en cours seront installées au mieux dans quatre ou cinq ans.
Merci pour cette précision. Quel est aujourd'hui le prix moyen du mégawatt contractualisé sur l'existant ? Les 65 euros évoqués concernent en effet des projets à venir, non des éoliennes en service.
Vous nous avez expliqué que si le prix du marché était supérieur à votre prix de rachat, vous étiez dans l'obligation de rembourser la différence. Ai-je bien compris et est-ce déjà arrivé pour l'éolien terrestre ?
Une facturation mensuelle est effectuée sur le parc éolien. S'il arrive que l'on se retrouve dans une situation dans laquelle les cours de marché sont supérieurs aux coûts de référence, alors il faut, le mois suivant, déduire cette plus-value de la facturation que l'on adresse.
Cette situation se produit sur des marchés spot. Mais si cela venait à durer, on pourrait imaginer que vous décidiez d'arrêter vos éoliennes plutôt que de reverser de l'argent à l'État.
Dans le système actuel, l'élément majeur pour une industrie très capitalistique comme l'éolien est de disposer d'une visibilité sur les prix. Les mécanismes utilisés actuellement sont ceux mis en place au niveau de l'Europe. Avoir un prix stable, visible, sur vingt ans est un atout, sachant que les marchés spot sont relativement fluctuants. Cela permet à la filière de financer les investissements et d'avoir des coûts financiers raisonnables, donc d'être compétitive.
Le niveau de prix est obtenu aujourd'hui après un processus d'appel d'offres, c'est-à-dire de mise en compétition des projets. Nous commençons à nous situer sur une courbe de prix décroissante, tendance qui va vraisemblablement se confirmer dans les prochaines années. Imaginons qu'un producteur obtienne un prix de 60 euros du MWh : si, un mois donné, le prix du marché est à 50 euros, alors le producteur percevra une compensation de 10 euros, correspondant à la différence constatée. Si le mois suivant, le prix de marché est à 70 euros, alors il remboursera 10 euros à l'État. Ainsi, quoi qu'il arrive, le producteur perçoit toujours 60 euros, correspondant au prix défini dans le contrat. Le revenu est constant dans la durée. Les derniers appels d'offres sont à 66 euros. Imaginons que le prix de marché tombe à 46 euros : le complément de rémunération sera de 20 euros. Si les prochaines installations par appels d'offres sont à 56 euros, le différentiel sera de 10 euros, c'est-à-dire divisé par deux. L'effet sur l'aide est donc très fortement lié, au niveau de l'appel d'offres, au prix de marché. Si demain le prix du marché est égal au prix du contrat, alors l'aide deviendra nulle, voire négative si le prix de marché augmente. Cela explique que l'on puisse envisager, dans l'avenir, de faire des volumes importants d'éolien terrestre pour un même niveau de subvention. L'aide était effectivement plus élevée pour des technologies antérieures ; on observe un amenuisement avec le temps.
C'est encore le cas : j'ai été informée du fait qu'un parc qui n'est pas encore installé va bénéficier de ce même prix.
Il ne faut pas oublier que le gisement éolien dépassait 2 400 heures équivalentes pleine puissance et que, de 2010 à 2015, l'électricité était deux fois moins chère.
Le prix garanti moyen du parc installé aujourd'hui doit être, étant donné le poids de l'historique, aux alentours de 80 euros.
Permettez-moi d'apporter une précision. Le rapport de la commission de régulation de l'énergie (CRE) indique que le prix d'achat moyen par EDF est de 91 euros.
C'est indexé chaque année. Ainsi, les premiers contrats signés à 80 euros sont peut-être aujourd'hui rémunérés à 91 ou 92 euros.
EDF indique que, dans la quasi-totalité des cas, son prix d'achat moyen en 2018 est de 91,2 euros. Je ne l'ai pas inventé : ce chiffre figure dans les plaquettes de la CRE et d'EDF.
Lequel dispositif d'appels d'offres, qui n'est d'ailleurs pas encore opérant dans la base installée, a pour objectif de garantir le profit des entrepreneurs, avec un système de lissage.
Cela nous permet de bénéficier d'une stabilité, très importante pour notre industrie.
Le prix moyen garanti du parc installé est donc de 91 euros. Or la PPE prévoit de tripler la puissance installée, sur une moyenne établie à 60 euros par MW. On ne peut donc pas dire que le prix garanti de l'éolien est de 65 euros. En effet, sur le parc installé, même à terme, le montant ne sera jamais celui-ci.
Il faut tenir compte du fait que le parc installé a une certaine durée de vie. Ainsi, les éoliennes implantées en 2001 commencent à être démontées.
Globalement, dans les années qui viennent, le poids de l'historique sera important. Or je constate que toutes les présentations qui nous sont faites évoquent le futur sans tenir compte de la base installée.
Les chiffres sont connus et publics. J'ai sous les yeux un tableau de la PPE qui présente effectivement les dépenses engagées face aux dépenses à engager pour atteindre l'objectif de 2028.
Je crois qu'il y a là deux sujets. Le premier concerne les dépenses passées, sur lesquelles la Cour des comptes a mené un travail : nous savons que cela a coûté très cher. Le second aspect est le futur : pourquoi les récents appels d'offres éoliens n'ont-ils pas trouvé preneur, alors même que vous nous indiquez que le secteur est mature et compétitif ? Si par ailleurs ce secteur est effectivement mature et compétitif, pourquoi est-il nécessaire de continuer à le soutenir de la sorte ? Le nucléaire a bénéficié d'un avantage en matière spatiale, dans la mesure où les centrales ont été implantées à un temps où l'acceptabilité sociale n'était pas un critère. Vous avez, tout comme le solaire, bénéficié d'une prime économique. Or il existe aujourd'hui de nombreuses nouvelles énergies qui demandent à être aidées. Sachant que le montant des fonds alloués n'est pas extensible, il est impératif de faire des choix. Il est donc très important pour nous de comprendre les raisons pour lesquelles il faudrait continuer à aider le secteur éolien.
Concernant les appels d'offres, il faut savoir qu'il est nécessaire, pour pouvoir faire acte de candidature, de disposer d'un projet autorisé. Or une « panne » des autorisations s'est produite en 2018, due au fait que le décret mettant en place l'autorité environnementale chargée de donner un avis sur les autorisations a été annulé en Conseil d'État en décembre 2017. Depuis lors, le système d'autorité environnementale est défaillant et gouvernement et législateur n'ont toujours pas pris les mesures permettent de remédier à cet état de fait. La loi « énergie » va toutefois permettre, dans ses dispositions secondaires, de modifier un article de loi et ainsi de prendre un arrêté ou un décret mettant fin à cette difficulté. Aujourd'hui, nous sommes dans une situation de vide juridique quant au processus d'autorisation. La conséquence, confirmée par la commission de régulation de l'énergie et la direction générale de l'énergie et du climat, est que les appels d'offres de 2018 n'ont pas été souscrits, par défaut d'autorisation. Il s'agit donc d'un problème de réglementation, qui illustre bien la complexité administrative à laquelle doivent faire face quotidiennement les porteurs de projets et les exploitants.
Lorsque l'on parle de demande de contrat au titre des arrêtés tarifaires, cela concerne-t-il tous les projets ou seulement ceux de moins de six éoliennes ?
Il existe aujourd'hui un double mécanisme : les appels d'offres pour le tout-venant et un système de guichet ouvert pour les projets de six mâts ou moins, avec des machines faisant moins de 3 MW. Il faut savoir que cette situation est transitoire, dans la mesure où le dispositif de guichet ouvert devrait s'éteindre en 2020.
Absolument. Il faut demander un contrat d'achat à EDF Obligation d'achat (EDF OA), que l'on soit en guichet ouvert ou en appel d'offres. Dans le cas du guichet ouvert, le tarif actuel est de 72 euros, sachant qu'une fois dépassée une certaine volumétrie d'électricité produite par le parc, le reste de l'électricité est vendu à 40 euros le mégawattheure.
Il s'agit de 72 euros majorés. Nous avons regardé notamment les projets du premier appel d'offres de fin 2017 et considéré un projet moyen : ce dernier est à 65 euros. S'il avait été en guichet ouvert, sa rémunération, compte tenu du plafonnement, aurait été de 68 euros.
Au départ, vous étiez confrontés à de nombreux recours. Le législateur est intervenu, si j'ai bien compris, pour lever les procédures et faire en sorte que cela coûte moins cher. Lorsque l'on regarde le nombre de contrats signés depuis 2001 par EDF OA par type d'arrêté tarifaire dans le domaine éolien, on constate que ce chiffre s'établit à 1393 : arrêté du 8 juin 2001, 114 contrats ; arrêté de 2006, 154 ; arrêté de 2008, 751 ; arrêté de 2014, 344 ; à partir de 2016, 29 ; arrêté du 6 mai 2017, 1. La courbe ainsi obtenue monte progressivement, puis décroît à partir de 2008, jusqu'à parvenir à un seul contrat signé en 2017. Cette évolution me paraît relativement contre-intuitive par rapport à ce que j'ai compris de vos explications. J'avais en effet a priori le sentiment qu'avec la plus grande maturité et la meilleure compétitivité du secteur, il se produirait une augmentation constante du nombre de contrats, d'autant que tous les signaux ont été mis en place pour faciliter votre industrie. Comment expliquez-vous ce phénomène ?
Je pense que c'est purement administratif. La rédaction des contrats est en effet bloquée chez EDF depuis un certain temps, pour des raisons administratives. Je vous assure que nous signons des demandes de contrats de complément de rémunération (DCCR) régulièrement et qu'il n'y a pas de baisse significative du nombre de contrats.
La moindre réponse aux appels d'offres éoliens est donc due exclusivement selon vous à la défaillance de l'autorité environnementale ?
Absolument, dans la mesure où il est obligatoire d'obtenir une autorisation pour candidater à un appel d'offres. Le gouvernement a d'ailleurs, de manière dérogatoire, autorisé la participation aux dernières vagues d'appels d'offres sur simple présentation d'un certificat de dépôt de demande d'autorisation.
Je laisse la parole à Mme la rapporteure, qui souhaite vous soumettre à un « vrai ou faux ? »
Je vais m'appuyer sur des propos tenus lors de vos auditions. Il a été dit par exemple en substance que lorsqu'une éolienne est installée quelque part, les gens ne peuvent plus revendre leurs biens immobiliers, dont la valeur s'écroule. Pourriez-vous nous éclairer sur ce point ?
Différentes études ont été menées sur la dévalorisation éventuelle de l'immobilier à proximité des parcs éoliens. Or aucune d'entre elles n'a à ce jour établi de lien de cause à effet entre l'implantation d'éoliennes sur un territoire donné et la chute de la valeur de l'immobilier sur ce même territoire. Il existe à ce sujet un rapport de l'ADEME ; un autre va être mis à jour très prochainement.
Certains d'entre vous ont par ailleurs indiqué que l'on avait enlevé aux riverains la possibilité de se défendre contre les installations. Pourriez-vous nous en dire davantage ?
Cela concerne deux décrets préparés par Sébastien Lecornu et une commission à laquelle nous n'avons pas participé, ce que nous déplorons. Cela a abouti à la signature, par François de Rugy, de deux arrêtés. Le premier supprimait la possibilité pour les associations d'aller devant les tribunaux administratifs. Or les personnes résidant dans les hameaux près desquels on envisage d'implanter des éoliennes ne sont, la plupart du temps, pas très riches. La seule façon pour elles de se défendre était de se constituer en association et de porter l'affaire devant le tribunal administratif, instance de proximité, devant laquelle il n'est pas nécessaire d'avoir d'avocat, ce qui leur permettait de déposer un recours. Supprimer cette possibilité implique de s'adresser directement aux cours d'appel, plus loin géographiquement et avec des procédures plus coûteuses, puisqu'elles réclament l'intervention d'un avocat. En pratique, cette décision enlève aux riverains qui souhaitent contester l'installation d'une éolienne près de chez eux la possibilité de le faire. Cet arrêté, absolument scandaleux, est d'ailleurs attaqué par la Fédération environnement durable et d'autres associations en Conseil d'État. Nous considérons en effet que ce texte est totalement antidémocratique.
Le deuxième arrêté a consisté à cristalliser les moyens. En effet, les rapports des promoteurs sur les projets éoliens comptent environ 3 000 pages. Jusqu'alors, nous disposions de quatre mois pour en prendre connaissance avec nos avocats. Or cet arrêté a raccourci le délai à deux mois.
Ces arrêtés sont scandaleux pour la démocratie française. Ils sont le fruit du lobbying effectué par les promoteurs.
Concernant les questions immobilières, on peut mener des études et les payer, comme de nombreux promoteurs l'ont fait, en sollicitant de grands instituts de sondages et des gens qui ne connaissent rien à la question.
En l'occurrence, l'étude à laquelle nous avons fait référence a été réalisée par l'ADEME.
L'ADEME est une officine des promoteurs éoliens depuis que Jean-Louis Bal, directeur de l'éolien, est devenu président du syndicat des énergies renouvelables. Il existe une collusion entre l'ADEME et les promoteurs éoliens.
Vos propos mettant en cause l'impartialité d'une agence de l'État ne sont pas tolérables dans le cadre d'une commission d'enquête de l'Assemblée nationale. Je préfère quitter cette salle. Je peux entendre que les stratégies mises en place ne vous conviennent pas ou suscitent des questionnements de votre part ; mais vos accusations sont très graves.
Mes propos ne concernaient pas l'ensemble de l'ADEME, mais seulement sa partie éolienne.
Je me permets de vous rappeler que vous vous exprimez sous serment et que votre responsabilité pourrait être engagée si vous portez des accusations contre des personnes.
Je m'exprime au nom de la Fédération Environnement durable et de ma longue expérience.
Je souhaiterais revenir sur la question des recours. L'État a constaté une situation assez singulière, caractérisée par des recours systématiques, presque « industrialisés » pourrait-on dire, contre les projets d'installation de parcs éoliens. Cela constituait un véritable abus de droit, une forme d'obstruction à la justice. L'État a par conséquent cherché à permettre d'accélérer le traitement des recours, dans le souci de l'intérêt général, en proposant la suppression d'un degré de juridiction. Je pense que votre action s'est retournée contre vous : ces abus ont conduit le Gouvernement à prendre une mesure de ce type. Vous ne pouvez vous en prendre qu'à vous-mêmes. L'existence de kits fournis systématiquement aux opposants, tout comme les procédés d'intimidation des élus, sont autant de pratiques d'ailleurs dénoncées par l'Académie de médecine comme étant anxiogènes. Manipuler des peurs et effectuer de la désinformation n'est pas la bonne méthode ; cela s'est retourné contre les intérêts que vous défendez, souvent d'ailleurs plutôt privés que relevant de l'intérêt général. Il est important d'être raisonnables et rationnels.
Vous avez indiqué que 70 % des dossiers donnaient lieu à des recours. Or il est fait état par ailleurs d'un taux d'acceptabilité de près de 80 % chez les personnes résidant près des parcs éoliens. Ces chiffres paraissent contradictoires.
Qu'entendez-vous par ailleurs lorsque vous parlez de kits distribués aux opposants ? Cela supposerait l'existence de groupes organisés derrière les individus.
Il suffit de consulter les sites, publics, de certaines associations, qui expliquent aux gens qu'ils doivent déposer des recours de façon systématique, détaillent la procédure à suivre et donnent des argumentaires. Il existe, derrière les riverains sur le sort desquels M. Butré essaie de nous faire pleurer, toute une organisation « industrielle », qui fait que les taux de recours sont très élevés et sans rapport direct avec la réalité du terrain que nous avons cherché à vous présenter. Il existe une distorsion entre le miroir que tendent un certain nombre d'associations et la réalité que nous constatons sur le terrain. Le taux de recours contre les projets éoliens est effectivement de 70 % environ, d'après les chiffres officiels fournis par l'administration. Or il faut savoir que 95 % d'entre eux échouent, ce qui montre leur caractère factice et témoigne du fait qu'ils constituent une obstruction à la justice.
Niez-vous l'existence d'un problème vis-à-vis de l'éolien ? Pensez-vous que les riverains sont spontanément enthousiastes à l'idée qu'un parc éolien soit installé près de chez eux ? J'ai vécu cette situation à un kilomètre de chez moi. Étant juge et partie, je ne me suis évidemment pas mêlé au débat. Or j'ai vu arriver une pétition contre les éoliennes comportant 3 000 signatures dans un canton de 5 000 habitants. Vous nous avez indiqué que plus les gens résidaient près de l'éolienne, plus ils en avaient une bonne image. Cette idée est relativement contre-intuitive.
Il faut d'abord souligner que les questions d'acceptabilité sociale d'infrastructures sont générales dans la société aujourd'hui et ne sont pas propres au domaine éolien. Quel que soit le projet, cela suscite débat et oppositions.
Il faut laisser les professionnels, les élus, les riverains travailler ensemble. Certains projets sont ainsi modifiés après concertation. La réglementation est par ailleurs extrêmement exigeante et pointue. Comme l'indiquait M. Butré, les dossiers que nous devons déposer sont très volumineux. De nombreuses études sont effectuées et de nombreux avis, de diverses commissions et services de l'État, requis avant que, in fine, l'autorisation soit accordée ou non par le préfet, qui représente l'intérêt général et prend sa décision en toute connaissance de cause. Il peut bien entendu, ponctuellement, y avoir des oppositions. Laissons les professionnels de l'éolien, les élus, les représentants de l'administration traiter ces questions. Il n'est pas forcément nécessaire qu'interviennent des associations qui mènent leur action comme une croisade et font métier de susciter chez les riverains des oppositions et des réactions anxiogènes, fantasmées pour beaucoup, qui créent de la division. Ce sont ces pratiques que nous dénonçons. La réalité du terrain est ce qu'elle est : elle peut être plus ou moins favorable.
Faut-il nécessairement être directement concerné pour déposer un recours contre un projet éolien ?
Il faut avoir un intérêt à agir et le prouver.
N'oublions pas en outre que la plupart des projets présents aujourd'hui dans les mécanismes d'appels d'offres prévoient la mise en place de financements participatifs. Plus de 150 sociétés d'économie mixte (SEM) se sont créées en France et les collectivités sont en train de s'accaparer les projets. Parmi les investisseurs de l'industrie éolienne, on compte aujourd'hui au premier rang les collectivités locales. Ces éléments constituent des facteurs d'acceptabilité des projets.
Organisez-vous un démarchage systématique auprès des riverains des éoliennes, pour les convaincre que ces projets sont une mauvaise idée et leur expliquer comment déposer un recours ?
L'un d'entre vous a par ailleurs mentionné avoir travaillé dans le secteur nucléaire : est-ce le cas de nombreux membres de votre association ?
Les associations de riverains se constituent d'elles-mêmes. Nous ne sommes pas les agresseurs ; les agresseurs sont les promoteurs éoliens qui essaient d'implanter de grandes machines de 200 mètres de haut près des habitations. Nous ne recevons pas de financements, contrairement à vous. Nous sommes tous bénévoles. La seule façon de lutter passe par la voie des associations. Vouloir raboter leurs droits est ignoble.
Merci de bien vouloir répondre à la question de Mme la rapporteure sur vos liens éventuels avec le secteur nucléaire.
Je tiens à préciser que nous regroupons toutes sortes de gens, depuis des zadistes qui se battent contre des parcs éoliens du sud de la France jusqu'à des personnes d'extrême-droite, des pro et des anti-nucléaires. Nous ne souhaitons pas parler de ce sujet. Ce n'est pas notre problème.
Je puis vous assurer que je n'ai jamais eu le moindre contact et n'ai jamais travaillé, de près ou de loin, avec le secteur nucléaire. Je crois pouvoir dire que M. Casalis non plus.
Votre question, madame la rapporteure, concernait-elle le collectif que nous auditionnons, ou la fédération que préside M. Butré par ailleurs ?
Le collectif réunit des gens de toutes les origines, des pro-nucléaires comme des anti-nucléaires.
Nos interlocuteurs indiquent que la dépréciation immobilière n'existe pas : c'est contraire au bon sens. J'ai déposé précédemment au dossier une note rédigée par « Demeure historique », consistant en une étude sur des décisions de jurisprudence, qui montre qu'il existe couramment des dépréciations de l'ordre de 40 %.
Nous vous remercions de nous avoir permis de nous exprimer et espérons avoir répondu à vos questions et contribué ainsi à clarifier des zones d'ombre éventuelles.
Je pense qu'il est vraiment nécessaire de s'inscrire dans une vision à long terme. Nous sommes en train de construire le système énergétique du XXIe siècle et il n'est pas possible pour ce faire de réfléchir en restant bloqués sur des choix du passé. Tout cela s'inscrit dans une stratégie de transition énergétique, dans laquelle l'éolien n'est que l'une des solutions. Nous ne prétendons pas, en effet, être la solution unique, mais une solution, économique, compétitive et créatrice d'emplois.
Merci beaucoup. J'espère que vous êtes satisfaits de l'impartialité avec laquelle ce débat a été conduit. Il vous aura, je le souhaite, permis d'exposer vos arguments, dans le meilleur climat de courtoisie possible compte tenu du caractère clivant du sujet et dans la limite du temps imparti.
La séance est levée à treize heures dix.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique
Réunion du jeudi 16 mai 2019 à 11 h 50
Présents. - M. Julien Aubert, Mme Laure de La Raudière, Mme Marjolaine Meynier-Millefert
Excusés. - M. Christophe Bouillon, M. Vincent Descoeur, M. François-Michel Lambert, Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, M. Didier Quentin