Mission d'information sur la résilience nationale

Réunion du mercredi 29 septembre 2021 à 18h00

Résumé de la réunion

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  • chine
  • câble
  • câbles sous-marins
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La réunion

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MISSION D'INFORMATION DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉSILIENCE NATIONALE

Mercredi 29 septembre 2021

La séance est ouverte à dix-huit heures

(Présidence de M. Fabien Gouttefarde, membre de la mission d'information)

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le président

Fabien Gouttefarde. Nous en venons à une table ronde consacrée aux risques liés aux câbles numériques sous-marins de communication. Pour traiter de ces questions, j'ai le plaisir d'accueillir M. Didier Dillard, président d'Orange Marine, accompagné de Mme Claire Chalvidant, directrice des relations institutionnelles du groupe Orange, et M. Alain Biston, président d'Alcatel Submarine Networks (ASN).

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Alain Biston, président d'Alcatel Submarine Networks

Alcatel Submarine Networks (ASN) est une société française, leader mondial sur ce créneau. Nous intervenons à toutes les étapes : conception, développement, fabrication, pose et maintenance des câbles sous-marins. Notre établissement central est situé à Paris-Saclay. Nous disposons d'une usine à Calais et d'une autre à Greenwich, en Angleterre, ainsi que d'un site axé sur la diversification dans l'oil and gas, à Trondheim, en Norvège.

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Qu'entendez-vous par conception et développement ?

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Alain Biston, président d'Alcatel Submarine Networks

Nous maîtrisons l'intégralité de la filière de recherche et développement.

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Alain Biston, président d'Alcatel Submarine Networks

Nous traitons toute la partie matérielle du câble : conception, réalisation et fabrication. Tout comme la société gérée par M. Dillard, nous possédons notre propre une flotte de bateaux. Nous posons le câble et nous en assurons la maintenance. Nous sommes donc soit partenaires, soit compétiteurs d'Orange.

Sur cette activité, nous n'avons que deux concurrents : SubCom, aux États-Unis, et NEC, au Japon, qui réalisent la fabrication et procèdent aussi à la pose. En Chine, Hengtong, qui cherche à entrer sur le marché, ne gagne que des projets entièrement financés par le gouvernement chinois. En effet, ce n'est pas public, mais des restrictions équivalentes à celles imposées aux entreprises chinoises par les Américains pour la 5G s'appliquent aux câbles sous-marins.

Notre entreprise emploie environ 2 000 personnes. Nous proposons une offre complète, de bout en bout, aux grands opérateurs. Les deux plus grands consommateurs de câbles sont Google et Facebook. Il subsiste des projets intégrant uniquement des opérateurs de télécommunications, comme Orange ou Vodafone, mais 70 % des projets sont financés par Google et Facebook.

En outre, nous sommes passés d'un projet tous les douze à quinze mois, à quatre tous les douze mois, car les GAFAM ont lancé des programmes de connexion de tous leurs data centers à travers le monde et veulent quatre routes différentes pour chaque voie. Pour répondre à leur demande, il faut environ quinze ans pour couvrir la planète, mais l'évolution technologique sera telle qu'au bout de quinze ans, il faudra recommencer. C'est pourquoi l'activité de pose de nouveaux câbles a été multipliée par deux en trois à quatre ans.

Pendant vingt ans, l'industrie en était restée à six ou huit paires de fibres par câble. Depuis leur arrivée, en quatre ans, les GAFAM ont favorisé l'évolution à douze, seize, vingt, et aujourd'hui vingt-quatre paires de fibres, mais ils demandent désormais trente-deux ou quarante-huit paires. C'est vital pour eux car 99 % du trafic internet passe par les câbles sous-marins. Nous l'avons constaté lors de la crise du covid puisqu'ils tenaient à s'assurer que nous faisions la maintenance, afin d'éviter toute coupure de trafic.

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Didier Dillard, président d'Orange Marine

Je dirige Orange Marine, filiale à 100 % du groupe Orange, dont la mission est d'exploiter des navires câbliers pour poser ou réparer des câbles sous-marins. Nous avons sept navires, dont six navires câbliers et un navire pour la reconnaissance des tracés. Nous construisons nos propres robots sous-marins – nécessaires à l'exploitation des navires câbliers. Nous travaillons partout dans le monde car, même si nous sommes une filiale d'Orange, 90 % de nos clients sont, directement ou indirectement, des entreprises étrangères. Nous évoluons donc dans un marché mondial.

L'industriel qu'est ASN possède, comme nous, sa propre flotte de navires, tandis qu'un de ses principaux concurrents, le japonais NEC, doit faire appel à des navires câbliers tiers – parfois les nôtres, parfois ceux de nos concurrents – pour poser des câbles. La fabrication et la pose de câbles sous-marins font appel à deux savoir-faire particuliers : celui des industriels et celui des armateurs de navires câbliers. Dans le monde, une douzaine d'armateurs opèrent de tels navires, ce qui est relativement peu. Il y a au total moins de cinquante navires câbliers capables de poser et de réparer des câbles. Nous en avons six, l'ASN en a sept, soit treize au total.

La capacité industrielle d'ASN, la capacité de pose et de réparation de nos navires câbliers, ainsi que l'activité du groupe Orange – un des premiers à investir dans les câbles sous-marins – placent la France dans les tout premiers rangs mondiaux en matière de câbles sous-marins. Nous intervenons dans un domaine industriel et commercial d'excellence que nous avons la chance d'avoir su conserver, puisqu'il existe en France depuis la fin du XIXe siècle. Avec le Royaume-Uni, les États-Unis et le Japon, la France a toujours été à la tête de l'industrie des câbles sous-marins.

Un autre signe de l'importance de la France dans ce secteur est l'importance du territoire français pour l'arrivée de câbles transcontinentaux. Dans beaucoup de cas, il n'y a pas de raison particulière pour qu'ils arrivent en France plutôt qu'en Espagne, en Angleterre ou en Italie. Or Marseille, par exemple, a su s'imposer comme le point d'entrée de la Méditerranée pour les câbles sous-marins, loin devant les autres villes méditerranéennes.

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Pourquoi a-t-elle su s'imposer ? Quelles infrastructures faut-il offrir pour favoriser l'arrivée de ces câbles ?

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Didier Dillard, président d'Orange Marine

Il faut une combinaison de facteurs. À Marseille, des data centers se sont implantés et développés. Parallèlement, il existait une volonté politique : celle de créer un environnement propice au sein de la collectivité locale et du port de Marseille. En outre – et cela reste un point d'attention en France où les choses peuvent évoluer dans le mauvais sens –, les contraintes administratives doivent être les plus légères possible afin que des consortiums d'opérateurs, en majorité étrangers, continuent à préférer Marseille plutôt que Gênes ou Barcelone. De nouvelles réglementations peuvent rendre la France moins attractive que les pays voisins ; il importe que les pouvoirs publics en soient conscients pour éviter cette perte d'attractivité.

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Avez-vous connaissance de dégradations volontaires ou d'actes de vandalisme à l'encontre de câbles sous-marins de la part d'États ? Comment ces câbles peuvent-ils être altérés sur les grands fonds ? Peuvent-ils l'être par des navires de pêche ? Se peut-il que l'on fasse passer des actes volontaires pour involontaires ?

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Didier Dillard, président d'Orange Marine

Les défauts rencontrés sur les câbles sous-marins sont le plus souvent le fait d'actions de chalutage de pêcheurs inattentifs. Bien que la position des câbles sous-marins figure sur les cartes marines, il arrive que des chaluts passent sur les câbles même si nous essayons de les protéger. Par fonds de faible profondeur, ils sont enfouis autant que possible. D'autres dégradations résultent d'ancres de navires dérivants.

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Cela peut-il aller jusqu'à la rupture du câble ?

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Didier Dillard, président d'Orange Marine

Oui, même s'ils sont très solides, cela peut aller jusqu'à la rupture. Un chalut peut casser un câble. Il n'est d'ailleurs pas besoin d'une franche cassure pour le mettre hors service. Un câble sous-marin étant alimenté électriquement pour permettre le fonctionnement de répéteurs amplificateurs, tirer un câble peut provoquer un court-circuit et le rendre hors d'état de fonctionner. On appelle cela un défaut d'isolement. En tirant encore plus fort, les fibres peuvent se casser et endommager plus sérieusement le câble.

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Alain Biston, président d'Alcatel Submarine Networks

Les responsables sont à 95 % les chaluts et les ancres. C'est pourquoi les mille premiers kilomètres à partir de la plage sont souvent placés sous terre. Grâce à une charrue, on creuse une tranchée de deux mètres de profondeur pour y faire reposer le câble, après accord du client à qui nous signalons les zones à risque, car le prix n'est pas le même si le câble est seulement posé sur le fond. En outre, les câbles de grand fond – de moins de deux centimètres de diamètre – peuvent être protégés par une simple ou une double armure. Dans la zone des mille premiers kilomètres ou sur un plateau côtier – à moins de mille mètres de profondeur –, nous proposons ces mesures de protection au client.

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Vous confirmez n'avoir jamais eu affaire à une rupture de câble revendiquée par un État, par exemple, dans le cadre d'un conflit ?

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Didier Dillard, président d'Orange Marine

Oui. En revanche, dans le passé, des conflits ont pu donner lieu à des coupures de câbles sous-marins. C'est tout à fait possible en cas de guerre.

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Vous avez dit qu'ASN proposait une « offre complète ». Qu'est-ce qui manque à Orange pour en proposer une similaire ?

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Didier Dillard, président d'Orange Marine

Dans notre jargon, nous distinguons opérateurs et industriels. Orange est un opérateur de télécommunications, de réseaux – domestiques et internationaux – dont une partie est constituée de câbles sous-marins. Il existe également des réseaux terrestres ou satellitaires. Nous sommes également opérateur de services.

ASN est un industriel qui conçoit, fabrique les câbles et dispose de navires pour les poser. Orange Marine possède également des navires car, traditionnellement, les opérateurs des pays disposant d'une façade maritime, comme le Royaume-Uni, avec British Telecom, l'Espagne, avec Telefonica, ou les États-Unis, avaient leur propre flotte de navires câbliers afin de pouvoir réparer leurs câbles. Au fil de l'ouverture à la concurrence et des évolutions du marché des télécoms, Orange est le seul opérateur européen de télécommunications à avoir gardé sa filiale de navires câbliers. British Telecom et Telefonica les ont vendues. Nous avons acquis la filiale que Telecom Italia avait créée.

Il y a donc trois catégories d'acteurs différentes : les opérateurs et désormais les GAFAM, qui possèdent et exploitent des réseaux de câbles sous-marins, les industriels qui les fabriquent et les entreprises propriétaires de navires qui les posent et les réparent.

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En comparaison d'ASN, il vous manque la fourniture du câble et des équipements actifs ?

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Didier Dillard, président d'Orange Marine

. Le groupe Orange ne se positionne pas sur un métier d'industriel.

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Alain Biston, président d'Alcatel Submarine Networks

ASN est un industriel. L'entreprise joue également un rôle d'armateur mais, contrairement à Orange, n'est pas opérateur.

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Est-il exact que 99 % du trafic mondial passe par les câbles sous-marins et qu'il en existe quelque 500 ? Quand un câble est financé par Facebook ou Google, est-ce pour leur usage exclusif ou exercent-ils eux-mêmes une fonction d'opérateur ?

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Alain Biston, président d'Alcatel Submarine Networks

Il y a bien entre 450 et 500 câbles en activité, selon les différentes statistiques. Auparavant, les opérateurs qui avaient un projet cherchaient à vendre une partie de la capacité à d'autres. Tant qu'ils n'avaient pas trouvé de clients, ils ne lançaient pas leur projet. Aujourd'hui, dans la grande majorité des cas, le câble est destiné à Google et Facebook, qui sont directement opérateurs. Comme ils n'ont pas de problème de cash, ils lancent rapidement les projets dès qu'ils ont un besoin entre l'Asie et les États-Unis ou entre l'Europe et les États-Unis, en sorte que trois à quatre projets par an viennent de Google et Facebook.

À l'inverse, pour les projets plus conséquents, ils s'associent à des opérateurs. Ainsi, l'année dernière, nous venons de finaliser le plus gros projet jamais conçu – 2Africa –, d'une longueur de 52 000 kilomètres. Partant de l'Europe, il fait le tour de l'Afrique, passe par le canal de Suez et la Méditerranée et revient en Europe. Facebook a pris 60 % de la capacité, Orange la partie ouest, et Vodafone est aussi partie prenante.

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Une très grande connectivité intercontinentale ne risque-t-elle pas de concentrer l'ensemble des ressources d'hébergement sur un seul continent ? Tant qu'il n'y a pas de bonne connectivité entre les plaques, les fournisseurs de services ou les GAFAM ont tendance à multiplier les centres d'hébergement afin de réduire leur dépendance aux lois extraterritoriales ou à d'autres plaques. Plus on augmente la connectivité et plus on centralise les ressources mondiales, plus ne risque-t-on pas de voir l'hébergement nous échapper ?

En termes de résilience nationale, nous nous intéressons aux événements de nature à affecter gravement la vie de la nation. Or l'internet est vital et ne serait-ce que vingt-quatre heures sans internet auraient des effets dramatiques. Nous l'avons constaté récemment lors des attaques cyber contre des hôpitaux, qui ont affecté certains processus métier. Nous nous interrogeons donc sur le risque d'indisponibilité du réseau entraînée par la rupture volontaire ou involontaire d'un câble. Quel délai faut-il pour réparer un câble ? Je suppose qu'il faut le ressouder à l'aide d'un robot.

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Didier Dillard, président d'Orange Marine

Les soudures ne sont pas encore réalisées par des robots, mais par des hommes. Après l'arrivée du navire câblier sur le point de défaut, il faut entre deux et six jours pour réparer un câble, délai auquel il faut ajouter le temps nécessaire à la venue du navire.

Certains de nos navires sont principalement affectés à la réparation des câbles. Nos contrats de service avec les propriétaires de câbles nous imposent de maintenir des navires en condition opérationnelle afin d'être capables d'appareiller sous vingt-quatre heures. C'est le cas de quatre d'entre eux, prêts à appareiller vingt-quatre heures sur vingt-quatre, 365 jours par an, après obtention des permis et temps de chargement des câbles. Si le point de défaut est proche du port d'attache du navire câblier, il arrive très vite, mais il peut mettre entre une semaine et dix jours si celui-ci est au milieu de l'Atlantique ou très éloigné de la base.

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Pour traverser les océans, le câble passe par de grandes profondeurs. Êtes-vous en mesure d'envoyer des hommes si profondément ?

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Didier Dillard, président d'Orange Marine

Nous n'envoyons pas d'hommes, mais des grappins ou des robots télécommandés pour couper et non pour jointer. Avant de remonter un câble, il faut le couper à proximité du défaut. Si celui-ci n'est pas profond, le robot peut trouver et couper le câble qui est remonté à l'aide d'un grappin. Sans robot, on peut également le couper à l'aide d'un grappin qu'on laisse traîner au fond. En effet, les robots ne vont pas au-delà de 2 000 ou 2 500 mètres de profondeur et des défauts peuvent se produire à 5 000 mètres. En pareil cas, on traîne un grappin sur le fond et on tire le câble pour le couper. Un autre grappin accroche le câble afin de le remonter à bord. La réparation et le jointage sont réalisés à bord par le personnel des navires câbliers.

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Vous avez parlé de permis. Quelles lois sont applicables aux câbles sous-marins ? Les espaces sous-marins appartiennent-ils à tout le monde où sont-ils régis par une réglementation internationale ?

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Didier Dillard, président d'Orange Marine

Un câble sous-marin a des propriétaires. Ce peut être un consortium d'opérateurs ou une seule entreprise, mais rarement une entité publique. Même si les câbles sont financés par de l'argent public, un opérateur privé est souvent partie prenante. La réglementation du pays concerné est applicable pour la partie du câble située dans ses eaux territoriales. Chaque pays est souverain pour imposer sa réglementation dans cette zone. À la limite, un pays a le droit d'interdire l'arrivée d'un câble dans ses eaux. Le plus souvent, une redevance d'occupation du domaine public est due à l'État du pays concerné. En outre, des zones protégées peuvent aussi être interdites à la pose de câbles sous-marins.

Au-delà des eaux territoriales, la réglementation est beaucoup plus légère. La convention de droit maritime international de Montego Bay, adoptée sous l'égide de l'ONU et ratifiée par près de 160 pays, dont la France mais pas les États-Unis,…

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Didier Dillard, président d'Orange Marine

...prévoit la liberté de poser et de réparer des câbles dans les zones d'exclusivité économique (ZEE). Dans les zones internationales, la question ne se pose pas, chacun a le droit de poser des câbles où il veut, mais dans les ZEE, qui représentent une large part des mers et des océans, cette convention accorde aussi à chacun cette liberté. Cependant, de plus en plus de pays ont tendance à considérer les ZEE comme leurs eaux territoriales, de sorte que nous avons intérêt à obtenir l'autorisation d'y intervenir pour éviter des problèmes avec les autorités locales, alors que la stricte application de la convention de Montego Bay ne requiert que d'en informer le pays, par courtoisie.

Dans le cadre de la négociation du processus Biodiversity beyond national juridiction (BBNJ), sous l'égide de l'ONU, les États sont en train de s'accorder sur des règles applicables dans les eaux internationales. Principalement édictées pour protéger la biodiversité, elles pourraient entraîner des contraintes pour la pose de câbles sous-marins. Ces travaux ont été retardés par la pandémie de covid.

Un exemple illustrant la problématique liée à la réglementation : nous avons été surpris de n'avoir pu poser un câble dans les eaux territoriales canadiennes, en vertu d'une loi sur le cabotage qui réserve aux seuls navires canadiens les travaux en mer dans les eaux canadiennes, alors que, dans la quasi-totalité des autres pays – et même aux États-Unis, qui ont des règles de cabotage protectionnistes –, nous sommes autorisés à intervenir. Nous avons alerté les autorités et plaidé pour un assouplissement, d'autant que c'est un navire canadien qui est en train de poser un câble entre l'Angleterre et la France !

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Alain Biston, président d'Alcatel Submarine Networks

À cela s'ajoutent des autorisations complémentaires. Ainsi, en Méditerranée, des plages sont fermées pour les navires câbliers en périodes de vacances. Dans les Caraïbes, il faut respecter le ponte des tortues. Lorsqu'il faut prendre en compte la mauvaise saison, la fermeture des plages et l'arrivée des tortues, il est des endroits où nous n'avons pas plus d'un mois par an pour poser un câble.

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Au regard de votre remarque sur la propriété des câbles, serait-il pertinent pour des services de renseignement étatiques de poser des câbles dédiés ou seraient-ils trop facilement identifiables ? Par ailleurs, existe-t-il une technologie permettant de copier ou de lire les flux numériques passant dans un câble ?

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Didier Dillard, président d'Orange Marine

Je ne peux répondre à la seconde question, faute d'expertise.

S'agissant de votre première question, le gouvernement américain possède ses câbles sous-marins et un navire câblier, appartenant à l'US Navy. En conséquence, certains câbles ne sont pas répertoriés sur les cartes. En réparant un de nos câbles, nous pouvons ainsi être amenés à accrocher un autre câble – non un vieux câble hors service mais un câble récent – ne figurant pas dans nos bases de données. À ma connaissance, c'est le fait seulement des Américains. D'autres pays ont peut-être posé leurs câbles, mais je n'en sais pas plus.

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Alain Biston, président d'Alcatel Submarine Networks

Il a été porté à notre connaissance que notre concurrent SubCom a conclu avec l'armée américaine un marché domestique privé. Un de leurs bateaux y est dédié.

S'agissant de votre deuxième question, je ne saurai y répondre car nous installons le câble mais nous ne l'opérons pas.

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Didier Dillard, président d'Orange Marine

Il pourrait être utile d'interroger le directeur de la sécurité du groupe Orange sur ce point.

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On peut remonter le câble, le couper, faire une dérivation vers un équipement actif et écouter. Je ne vois pas de difficulté d'ordre technique.

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Didier Dillard, président d'Orange Marine

Il est difficile de le faire discrètement !

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Vous avez raison, cela provoque un temps de coupure.

Depuis plusieurs années, il est fait état d'intenses activités russes autour des câbles sous-marins. Edward Snowden a d'ailleurs révélé que des services secrets captaient des conversations passant dans les câbles transatlantiques. J'ignore s'ils le font par les câbles ou par leurs extrémités. Enfin, on nous a signalé un projet de câble sous-marin baptisé Pacific Light Cable Network bloqué par les Américains.

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Didier Dillard, président d'Orange Marine

Je me référerai à ce que j'ai lu dans la presse spécialisée.

Concernant le dernier point, je crois comprendre que les initiateurs de ce projet destiné à atteindre Hong Kong incluaient des intérêts chinois et que le gouvernement américain a durci sa politique d'autorisation. Je le répète, un gouvernement est souverain pour autoriser ou non le passage d'un câble sur le domaine public de son pays. Les autorités américaines sont souveraines pour l'accepter ou le refuser, comme les autorités françaises sont souveraines pour accepter ou refuser l'arrivée d'un câble en France.

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Alain Biston, président d'Alcatel Submarine Networks

J'en sais un peu plus, puisque c'est nous qui le fabriquons et le posons. Dénommé The Hong Kong American Cable System (HKA), le projet implique Facebook, mais aussi China Mobile. Après le début du projet, Trump est arrivé à la présidence et la commission fédérale des communications (FCC) a décrété qu'il ne pouvait plus y avoir aucun câble direct entre la Chine et les États-Unis. Nous avons posé 12 000 kilomètres au fond de l'eau et nous attendons qu'on nous dise où fixer les deux extrémités.

Pour poursuivre le projet, ses initiateurs vont couper ce câble en deux. China Mobile gérera la partie située entre Hong Kong et le nouveau lieu d'atterrissement. La partie de câble gérée par Facebook partira du même nouveau lieu d'atterrissement pour atteindre Los Angeles. D'un côté, ils éliminent l'actionnaire américain, et, de l'autre côté, l'actionnaire chinois. Le trafic ne pourra pas partir directement de Hong Kong vers les États-Unis. Tous les nouveaux câbles vont devoir suivre ce tracé.

En outre, la Chine est en train de prendre la main en mer de Chine. Il deviendra très difficile pour un vaisseau international d'obtenir des permis pour y poser des câbles. Pour ne plus avoir à passer en mer de Chine, tout le trafic asiatique est en train de descendre sur une ligne Singapour-Amérique du Nord.

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Pourquoi les États-Unis ont-ils exclu un tracé direct avec la Chine ? Cela n'empêche pas les activités chinoises à l'arrivée.

Concernant votre deuxième remarque, même si vos clients le font par souci de protection commerciale, compte tenu du statut juridique instable de cette zone, un tel contournement ne revient-il pas à admettre la revendication chinoise sur la mer de Chine ?

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Alain Biston, président d'Alcatel Submarine Networks

Les données allant dans les deux directions, une connexion directe conduirait à faire atterrir en Chine des données américaines. Les autorités américaines ne veulent qu'aucune donnée américaine ne puisse atterrir en Chine. Pour ce faire, il faut dissocier le câble et empêcher toute connexion directe. Le trafic américain s'arrêtera au nouveau lieu d'atterrissement, la fibre américaine ne continuera pas jusqu'à Hong Kong et les données américaines n'iront donc pas en Chine. Si l'opérateur chargé du trafic américain n'a pas de fibres vers Hong Kong, la donnée reste locale et repartira sur un autre câble en direction de Guam, d'Hawaï ou du Japon, mais pas de la Chine. Un tel procédé garantit un cloisonnement du trafic.

Quant à votre seconde question, beaucoup d'opérateurs, comme Google et Facebook, refusent que leurs câbles soient posés par des bateaux chinois. Du fait des revendications chinoises sur cette mer, les autorités chinoises risquent de refuser les permis à des sociétés internationales comme Orange. Or si nous devons nous rabattre sur des bateaux chinois, nous ne pourrons pas poser de câbles pour les sociétés américaines.

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Didier Dillard, président d'Orange Marine

Il nous arrive de travailler avec des sociétés chinoises pour la pose mais, dans la durée, le câble doit être réparable. Quand vous investissez des millions dans un câble sous-marin, vous voulez qu'il soit réparable pendant ses vingt-cinq ans de vie. Or quand vous êtes Facebook ou Google, vous avez des doutes sur la réparabilité d'un câble américain en mer de Chine dans les prochaines décennies.

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Selon la convention de Montego Bay, la mer de Chine n'appartient pas à la Chine. Anticipez-vous donc un changement de territorialité dans les vingt-cinq prochaines années et préférez-vous être prudent ?

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Didier Dillard, président d'Orange Marine

En tant qu'armateurs, en vertu effectivement du principe de précaution, même si la convention de Montego Bay n'attribue pas une zone à un pays, nous n'interviendrons pas dans une zone si nous savons que ledit pays la revendique et est capable d'envoyer sa marine pour arraisonner notre navire, le conduire vers un port et le bloquer durant des mois. C'est la sécurité du navire qui est en jeu.

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Didier Dillard, président d'Orange Marine

Même en zone internationale, s'ils estiment que c'est leur territoire… On ne peut faire fi du rapport de force. Nous n'irons donc que si nous sommes protégés par un bâtiment de la marine nationale, ce qui n'est pas évident.

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On a parlé des câbles de télécommunications sous-marins. Posez-vous des câbles électriques sous-marins ? Et qu'en est-il des usages non-télécoms des câbles sous-marins, pour détecter des sous-marins, prévenir des tremblements de terre, etc. ?

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Didier Dillard, président d'Orange Marine

Les câbles sous-marins de transport d'énergie sont différents des câbles de télécommunications. Plus lourds, ils sont moins maniables et nécessitent des moyens de pose et de réparation différents. Nous serions en mesure de poser et de réparer des câbles de moyenne tension, mais pas de gros câbles haute tension. Des navires beaucoup plus lourds sont équipés pour poser de tels câbles. Ils sont encore moins nombreux que les nôtres et appartiennent souvent aux industriels fabricants. Une entreprise dont une partie des capitaux est française vient de lancer un gros navire câblier.

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Didier Dillard, président d'Orange Marine

On en parle dans les forums. Des recherches scientifiques et universitaires sont en cours.

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Alain Biston, président d'Alcatel Submarine Networks

Nous avons développé un équipement, dénommé DAS, pour Distributed Acoustic Sensing. Connecté sur une fibre, vendu depuis décembre 2020, il collecte des informations sur 180 kilomètres. Nous avons trois clients. Les tests réalisés avec des universités démontrent que l'on peut déceler des activités sismiques et le passage de bateaux. Dans la zone la plus exposée aux chaluts et aux ancres, il serait intéressant d'obtenir des informations en temps réel. En cas de coupure, grâce à un équivalent GPS, on pourrait alors savoir quel bateau était dans la zone, ce qui permettrait aux opérateurs de faire jouer les assurances.

Nous ne fabriquons pas de câbles électriques, uniquement des câbles télécoms, mais réalisons actuellement des tests pour savoir si l'équipement susmentionné est capable de détecter une rupture de câble, ce qui n'est actuellement pas possible.

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Didier Dillard, président d'Orange Marine

À Taïwan, nous avons posé un câble dédié à la détection sismique pour un client taïwanais. Il existe donc des câbles conçus pour ce type d'usage. Les câbles conçus pour les télécommunications pourraient-ils être utilisables pour d'autres usages ? La technologie progresse en la matière.

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Alain Biston, président d'Alcatel Submarine Networks

La société NEC réalise des câbles de détection de tsunamis pour le compte du gouvernement japonais, qui lui a attribué un marché domestique privé. Mais ces câbles ne font pas de télécommunications. ASN travaille quant à lui à l'installation de capteurs dans le répéteur. Le câble télécoms deviendra alors un câble de changement climatique, qui permettra de mesurer les tremblements de terre, les tsunamis, la pression, la température, etc. Nous prévoyons de finaliser ce développement entre 2024 et 2025. Le projet européen CAM ring, piloté par le Portugal, est destiné à connecter le Portugal avec les îles des Açores et de Madère par un câble incluant des capteurs de ce type.

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Il est difficile de détourner un câble télécoms de sa fonction originelle, mais on doit pouvoir prévoir, dès la conception, des câbles pour d'autres usages. C'est peut-être pourquoi l'US Navy a ses câbliers, notamment pour la détection acoustique, les sonars ou autres. Les fonds marins vont de plus en plus se droniser et, depuis quelques années, les câbles comportent des boucles de détection de sous-marins. Or toute notre dissuasion repose sur notre capacité à nous diluer dans l'océan et à rester immobiles. Si l'on ne peut plus se cacher dans les fonds marins, la donne stratégique changera.

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En Europe, et notamment en France, de quelles routes principales les flux numériques sont-ils les plus dépendants ?

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Alain Biston, président d'Alcatel Submarine Networks

Les deux grandes autoroutes sont France-États-Unis et France-Asie. Des départementales descendent vers l'Afrique et de petites branches desservent les différents pays autour de la Méditerranée. Le tronc principal passe par le canal de Suez et, de l'autre côté, soit par Gibraltar, soit directement en Europe. Du fait du Brexit, un changement est en train de s'opérer, car une grande partie des câbles arrivait en Angleterre. C'est une opportunité pour la France, mais le Portugal semble le mieux positionné pour le moment.

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Au passage du canal de Suez, le câble est-il enterré ?

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Didier Dillard, président d'Orange Marine

Le câble n'est pas posé au fond du canal. Il passe par des conduites terrestres parallèles. C'est un point stratégique, puisque la totalité des câbles allant d'Europe en Asie passent par l'Égypte et sont contrôlés par les Égyptiens, qui réclament un droit de passage, comme c'est le cas pour le canal de Suez. C'est un des points de vulnérabilité du réseau mondial de câbles sous-marins.

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Claire Chalvidant, directrice des relations institutionnelles du groupe Orange

Nous vous enverrons une carte sur laquelle vous pourrez constater que les routes sont proches des anciennes routes marchandes.

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Didier Dillard, président d'Orange Marine

M. Biston vous a répondu du point de vue de la France. Au niveau mondial, les flux numériques les plus importants arrivent vers les États-Unis, en provenance, d'un côté, de l'Europe et, de l'autre côté, de l'Asie, par le biais d'une douzaine de câbles parallèles, plus puissants les uns que les autres – et de nouveaux arrivent. En France, n'oublions pas les départements d'outre-mer, dont la connectivité par câbles sous-marins est capitale, puisque la qualité de connexion de tous les habitants en dépend.

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Didier Dillard, président d'Orange Marine

Je ne parle pas des petites îles du Pacifique ou des îles Kerguelen, mais les grands départements d'outre-mer sont raccordés par plusieurs câbles.

La réunion se termine à dix-neuf heures.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur la résilience nationale

Présents. - M. Thomas Gassilloud, M. Fabien Gouttefarde

Excusés. - M. Alexandre Freschi, Mme Sereine Mauborgne