Audition, à huis clos, de M. Gérard Collomb, ministre de l'Intérieur
La séance est ouverte à seize heures trente.
Monsieur le ministre de l'intérieur, nous sommes très heureux que vous ayez trouvé le temps de passer ces deux heures avec nous. Il peut sembler bizarre que la commission des affaires étrangères reçoive le ministre de l'intérieur mais, comme chacun le sait, la France affronte des défis qui dépassent nos frontières et qui réclament une réflexion et une action qui aillent au-delà de la seule politique publique intérieure.
Nous allons aborder deux questions : la lutte contre le terrorisme et les migrations.
La lutte contre le terrorisme est au coeur des préoccupations du Président de la République, du Gouvernement et des vôtres, bien évidemment, monsieur le ministre de l'intérieur. Vous nous direz ce qui se passe sur le terrain en Syrie et en Irak. Nous savons que la menace est présente à l'extérieur et à l'intérieur, et que la France a pris des initiatives dans certains domaines, en particulier dans la lutte contre le financement du terrorisme. Nous avons aussi le sentiment qu'il faut renforcer la stratégie et la coopération européennes en matière de renseignement.
S'agissant des phénomènes migratoires et de l'asile, les pays européens doivent aussi renforcer leur stratégie commune et conduire une politique en liaison avec les pays d'origine et de transit des migrants. Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2018, nous avons donné, par l'intermédiaire de M. Pierre-Henri Dumont, un avis budgétaire sur les questions d'asile, d'immigration et d'intégration. Nous demanderons d'ailleurs à être saisis pour avis quand vous déposerez votre projet de loi, monsieur le ministre, tant la question des migrations se pose à l'échelle de la France, mais aussi de l'Europe et du monde.
Merci, madame la présidente, de m'avoir invité. Comme vous venez de le dire, les problèmes évoqués peuvent être abordés sur le plan intérieur mais ils concernent aussi nos relations avec le reste du monde, l'Europe en particulier. Vendredi dernier, je participais à la réunion des ministres de l'intérieur de l'UE où nous en discutions ; hier, j'étais à Séville pour un G6 – France, Allemagne, Espagne, Royaume-Uni, Italie, et Pologne – en présence de notre homologue marocain ; vendredi prochain, je serai à Naples pour un G7 des ministres de l'Intérieur où les ministres de la France, des États-Unis, de l'Allemagne, du Royaume-Uni, de l'Italie, du Japon, du Canada et le représentant de la Commission européenne échangeront sur la lutte contre le terrorisme. Il nous faut aborder ces problèmes dans leur dimension globale.
Le terrorisme est en effet un phénomène mondial comme nous pouvons en juger par le nombre de pays confrontés à des attentats. Daech, qui perd du terrain et est progressivement éliminé des grandes villes qu'il contrôlait, tente désormais de porter la guerre à l'étranger. Il mène sur internet une lutte psychologique, une guerre idéologique visant à inciter des gens de notre pays à passer à l'action. Nous sommes passés d'une menace très largement exogène à une menace endogène représentée par ces personnes qui se radicalisent sur place. Cela ne veut d'ailleurs pas dire qu'elles ne traversent pas aussi les frontières. Lorsque l'on regarde le parcours d'un terroriste comme Abdelhamid Abaaoud, on s'aperçoit qu'il avait fait de nombreux voyages entre le front irako-syrien avant de rater les attentats de Verviers et de réussir, hélas, ceux de Paris en novembre 2015.
Nous devons donc lutter sur notre territoire et c'est ce que nous faisons avec l'ensemble de nos services – si vous avez des questions, j'y répondrai volontiers. Nous devons aussi nous organiser avec nos partenaires européens pour sécuriser l'espace Schengen et faire en sorte qu'il reste un espace de libre circulation.
Comment protéger notre frontière extérieure ? Frontex, véritable agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, compte actuellement 1 000 personnels propres et une réserve opérationnelle formée de 1 500 personnes des différentes nationalités de l'Union européenne dont 170 Français. Nous avons aussi des accords avec des pays non européens, comme ceux que M. Cazeneuve avait noués avec la Turquie pour que les gens revenant du front syro-irakien soient signalés à nos services, interpellés, judiciarisés voire immédiatement incarcérés quand ils ont commis des crimes.
Nous avons aussi un contrôle informatique systématique aux frontières extérieures de l'Union européenne qui va au-delà de la présentation du passeport. Avec le système d'information Schengen (SIS), il s'agit de vérifier l'identité des personnes qui entrent en Europe mais nous voulons aussi enregistrer ce contrôle afin de pouvoir retracer les parcours de tel ou tel individu qui est soupçonné de vouloir commettre un attentat ou qui est déjà passé à l'acte. Nous avons l'ambition de créer un système complet reposant sur trois piliers.
Premier pilier : le système des entrées-sorties dans l'espace Schengen. Nous voulons garder la trace de l'enregistrement des non-Européens. La mesure qui va nous le permettre a déjà été prise en Conseil « justice et affaires intérieures » (JAI) et elle va être présentée au Parlement européen qui, je l'espère, va l'adopter dans les prochains jours. Avec l'Allemagne, nous voudrions aller plus loin car, comme nous avons pu constater dans plusieurs pays, les attentats ne sont pas commis que par des non-Européens. Avec nos amis allemands, nous voudrions créer un système d'enregistrement des franchissements des Européens, sur le modèle de celui qui est mis en place pour les non-Européens.
Deuxième pilier : le système sur les données des dossiers passagers (passenger name record – PNR), qui a été adopté et deviendra fonctionnel à partir de mai 2018. En France, nous utilisons déjà une version test. Chaque compagnie aérienne transmet à l'avance des informations sur les passagers qui pénètrent en Europe : destination et modalités d'achat du billet. Ces informations sont traitées par un système d'alerte. Si quelqu'un achète un billet la veille de son départ, sur un itinéraire sensible, et paie en argent liquide, il peut s'agir d'un déplacement suspect. On pourra alors porter une attention particulière à la personne qui pénètre ainsi dans l'espace Schengen.
Troisième pilier : le système européen d'information et d'autorisation de voyage (European travel information and authorization system – ETIAS). Les ressortissants qui viennent sans visa de pays comme la Georgie, l'Ukraine ou l'Albanie devront s'annoncer avant leur arrivée. C'est grosso modo ce qui existe aux États-Unis avec le système électronique d'autorisation de voyage (electronic system for travel authorisation – ESTA) dans lequel le voyageur remplit une fiche qui permet de vérifier son identité.
L'efficacité du dispositif repose sur l'interopérabilité de tous ces systèmes d'information. D'ici à 2020, nous voulons créer cette nouvelle architecture des systèmes d'information, sans laquelle nous ne pourrions être totalement efficaces. Elle permettra de mettre instantanément en relation les données contenues dans le SIS, le PNR européen, ETIAS, le système d'information sur les visas (VIS) et la base biométrique Eurodac. L'interconnexion de toutes ces bases de données permettra aux pays européens de faire des recoupements et d'avoir ainsi une grande réactivité.
Le contrôle aux frontières extérieures de Schengen n'est pas notre seule préoccupation. Avec nos partenaires européens et l'agence Europol, nous avons développé un programme de lutte contre le cyber terrorisme et la radicalisation en ligne, phénomènes d'une brûlante actualité. Le Président de la République est souvent intervenu auprès des géants du numérique, les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon). On peut identifier vingt-cinq systèmes principalement concernés par le problème. Nous voulons qu'ils retirent certains contenus mis en ligne dans les meilleurs délais et que, par un système d'algorithmes, ils puissent prévenir la mise en ligne de ces messages cryptés qui permettent aux terroristes de communiquer entre eux.
Ces mesures sont importantes à un moment où nous passons d'une menace exogène à une menace endogène.
Comme nous avons pu le constater en Espagne où le dernier attentat a été commis par une fratrie dont les membres communiquaient via un système assez particulier et à l'intérieur d'une sphère relativement privée, il est par ailleurs très important pour nous d'avoir accès au contenu de certains messages et d'avoir des informations sur les personnes qui consultent des sites de radicalisation sur la toile.
Au printemps dernier, l'Union européenne a aussi adopté une directive sur les armes à feu, qui entrera en vigueur en septembre 2018. Elle nous permettra de réduire les sources de trafic illégal et de limiter l'accès des particuliers aux armes les plus dangereuses. La législation européenne sur les précurseurs explosifs a également été renforcée.
Nous nous attaquons également au financement du terrorisme. Bruno Le Maire pilote le dossier pour le compte de la France dans le cadre du Conseil pour les affaires économiques et financières (Ecofin) de l'Union européenne. Il s'agit, à l'échelle européenne, d'harmoniser les méthodes et de renforcer les moyens des cellules de renseignement financier et de mieux encadrer l'utilisation de la monnaie électronique. L'achat de cartes prépayées avec de la monnaie électronique ne laisse aucune trace. Afin d'en finir avec ces transactions totalement anonymes, nous voulons que chaque transfert financier soit associé à l'identité d'un individu ou d'une société.
Au niveau international, la France travaille depuis plusieurs mois au renforcement des moyens du groupe d'action financière (GAFI), chargé de l'élaboration de normes internationales en matière de lutte contre le financement du terrorisme. Le GAFI publie une liste grise et une liste noire des États aux normes insuffisantes, qui peuvent devenir des lieux de financement de tous les trafics.
Avec les services de renseignement des différents pays européens, nous avons en outre formé un groupe anti-terroriste qui réunit les vingt-huit États membres de l'Union européenne ainsi que la Suisse et la Norvège, pour assurer les échanges entre services. Dans son discours sur l'Europe, prononcé à la Sorbonne, le Président de la République a évoqué la création d'une académie européenne du renseignement. Il s'agit d'offrir des séminaires et de formation, afin de diffuser une culture du renseignement commune en Europe.
Voilà ce que je peux vous dire sur le terrorisme. Sans transition et sans vouloir faire de lien entre les deux sujets, j'en viens au problème des flux migratoires.
Mondiale, la crise migratoire est sans précédent en Europe. Il y a d'abord eu des réfugiés politiques fuyant la guerre en Syrie. Puis des migrants économiques, essentiellement Africains, se sont greffés sur ce mouvement, y voyant une opportunité de venir en Europe demander le droit d'asile. Cette crise est d'une très grande ampleur : en 1975, on dénombrait 75 millions de migrants internationaux ; après un quadruplement en trente ans, ils sont actuellement 250 millions dont 20 millions de personnes persécutées ou en risque de l'être, les autres ayant choisi l'exode pour des raisons économiques ou climatiques. Les deux dernières causes sont liées : certaines zones s'appauvrissent sous l'effet du réchauffement climatique et les populations ont du mal à y vivre.
Le Président de la République a rappelé à plusieurs reprises que, conformément à sa tradition, la France accueillera ceux qui fuient la guerre et les persécutions. Nous pensons que, pour ceux-là, le droit d'asile est sacré. Nous l'avons réaffirmé au Haut-Commissaire des Nations unies pour les réfugiés, qui était en visite à Paris la semaine dernière. Nous avons dit que la France était prête à accueillir un certain nombre de réfugiés politiques ou fuyant les guerres mais que nous ne confondons pas ce mouvement avec le phénomène de migration économique. Nous pensons qu'il est totalement impossible d'accueillir dans de bonnes conditions tous ceux qui veulent venir en Europe et qui sont nombreux, pour une simple raison démographique. À l'horizon de 2050, la population de plusieurs pays africains va doubler ou tripler. La population du Nigeria devrait ainsi passer de 186 millions à 400 millions d'habitants, quand celle de la Guinée passerait de 12,4 millions à 27,5 millions d'habitants. La France et l'Europe doivent envoyer un signal fort à ces pays et dire que seuls les réfugiés politiques seront accueillis.
Que faut-il faire pour envoyer ce signal fort ? Il faut d'abord travailler à l'échelle internationale. Les grands flux migratoires passaient par la Turquie et par la Libye. Au terme d'accords conclus avec la Turquie, la route orientale des migrations a été à peu près coupée. Certains migrants économiques essaient de transiter par la Bulgarie et de trouver d'autres routes, mais les flux sont sans commune mesure avec ceux d'il y a deux ou trois ans.
La deuxième route passait par la Libye, un pays sans aucune autorité stable depuis trois ou quatre ans, tenu par des milices qui ont fait du trafic de migrants l'une de leurs principales activités. Pour tenter de stabiliser ce pays, le Président de la République a pris, en juillet dernier, l'initiative de réunir Fayez al-Sarraj, le Premier ministre libyen reconnu par la communauté internationale, et le général Haftar, au château de la Celle-Saint-Cloud. Cette rencontre permet d'espérer un retour à une plus grande stabilité dans les prochains mois.
Nos amis italiens, les premiers touchés par les flux venant de Libye, ont également réagi. À mon arrivée au ministère de l'intérieur, mon homologue italien était venu me voir et m'avait demandé l'autorisation de dérouter les bateaux vers Marseille car, en l'espace de trois jours, 18 000 migrants avaient débarqué dans les ports italiens. Je lui avais répondu que la solution ne consistait pas à ouvrir une nouvelle route. Nous avons organisé une réunion avec le ministre allemand de l'intérieur et l'Italie a pris plusieurs initiatives, la première visant à mettre fin au trafic de migrants.
À l'époque, il y avait sur la côte libyenne, à Sabratha notamment, de véritables camps de concentration. Les migrants du Sénégal, de la Côte d'Ivoire, du Nigeria ou de la Guinée-Conakry avaient déjà traversé le désert dans des conditions terribles et ils se retrouvaient dans ces camps jusqu'à ce que des passeurs les mettent dans des bateaux. Comme les organisations non gouvernementales (ONG) occidentales arrivaient près des côtes libyennes, les passeurs s'étaient mis à utiliser des bateaux pneumatiques de type Zodiac, jugés capables d'arriver jusqu'à elles. Des norias de bateaux convoyaient des centaines de milliers de personnes à travers la Méditerranée.
Les Italiens ont envoyé des bateaux de guerre aux limites des côtes libyennes, avec pour mission de lutter contre les passeurs. Avec l'aide de l'Union européenne, ils ont commencé à former les gardes-côtes libyens qui pouvaient être mobilisés, afin d'empêcher les départs des côtes libyennes. C'est ce qui a permis de stopper de manière relativement drastique les arrivées sur les côtes italiennes : en juillet et août derniers, elles étaient inférieures respectivement de 50 % et de 70 % par rapport à ce qu'elles étaient un an auparavant.
Nous pensons qu'en pratique, la véritable frontière européenne n'est pas près des côtes libyennes mais qu'elle se situe très en amont. L'un des pays clef est le Niger avec lequel nous entretenons une coopération forte. Dans la ville d'Agadez, point de passage des migrants depuis l'Afrique occidentale jusqu'à la Libye, nous avons renforcé les efforts de lutte contre les trafiquants d'êtres humains. Ceux-ci démarchaient dans tous les pays africains, promettant d'emmener les candidats à l'immigration jusqu'en Europe moyennant finance. La plupart du temps, les passeurs confisquaient les papiers des migrants, les réduisant à leur merci et leur faisant souvent subir les pires sévices sur le parcours. Nous parlions tout à l'heure en séance publique de sévices sexuels : ils étaient là pratiqués de façon abominable.
Nous travaillons donc sur ce sujet au niveau européen. Nous avons ainsi mis sur pied avec les Espagnols des équipes communes d'intervention pour barrer la route aux passeurs. Dans le même temps, nous travaillons avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) et l'Organisation internationale pour les migrations (OIM). Les réfugiés politiques peuvent être accueillis en Europe. Les personnes originaires de pays sûrs sont appuyées pour revenir dans leur pays d'origine. C'est ainsi que nous comptons stopper une partie des migrations économiques.
Mais la situation ne cesse d'évoluer : quand vous fermez une route, une autre s'ouvre très vite et certains passeurs essaient maintenant de venir par l'Algérie ou par le Maroc. Je me suis rendu hier en Espagne où nos amis espagnols luttent à présent contre l'arrivée sur leur sol de migrants économiques passant par le Maroc. Peut-être certains d'entre vous, à tout le moins les Parisiens, ont-ils entendu parler de ces très jeunes mineurs marocains, souvent drogués, qui errent à la Porte-de-La-Chapelle après avoir emprunté cette route-là et vécu d'horribles choses. Ils sont à ce point désocialisés que même l'Aide à l'enfance n'arrive pas à les prendre en charge. Ils créent de vrais problèmes dans l'agglomération parisienne.
Voilà ce que nous essayons de faire sur les routes africaines de la migration. Cela étant, l'Afrique n'est pas le seul continent d'origine des migrants. Certains pays européens, considérés comme sûrs et avec lesquels nous avons passé – ou allons passer – plusieurs accords, sont également à l'origine de nombreuses migrations. C'est notamment le cas – ceux qui connaissent l'Est de la France le savent – de l'Albanie. Il y a en effet, entre Strasbourg et le sud de Lyon, une migration irrégulière albanaise très importante. Pour vous donner une idée, les demandeurs d'asile provenant d'Albanie, qui viennent en France sans visa puisqu'on n'en a plus besoin depuis ce pays, occupent aujourd'hui 20 % des places d'hébergement du dispositif national d'accueil des demandeurs d'asile. C'est énorme.
À la suite des discussions que j'ai eues avec mes homologues albanais, et en particulier avec le nouveau Premier ministre, plusieurs mesures ont été prises. Tout d'abord, une fois que nous aurons modifié notre propre régime d'asile, nous ferons en sorte que tous les déboutés du droit d'asile – la plupart des demandeurs albanais le seront – soient renvoyés dans leur pays. Ensuite, nous avons envoyé une équipe de policiers français dans les aéroports et sur les grandes lignes de bus internationales pour pouvoir arrêter, avant même leur départ ou leur arrivée, les gens qui viennent en France pour des raisons « économiques ». J'ai demandé à la police albanaise, qui connaît certains réseaux susceptibles d'opérer via les grandes villes européennes, de coopérer avec nous en ce domaine.
Nous avons donc désormais augmenté les taux de retour vers l'Albanie. Jusqu'à présent, il n'y en avait pratiquement pas. Les préfets ont maintenant pour consigne de faire en sorte que toutes les personnes déjà déboutées du droit d'asile soient renvoyées chez elles. Pendant les vacances, de nombreux vols ont été organisés : après la période des feux de forêt, nous avons mis notre flotte de protection civile à disposition des préfets pour organiser ces retours. Lorsqu'on utilise un avion de ligne pour éloigner un débouté du territoire, bien souvent, en effet, la personne fait un scandale dans l'avion et le pilote la débarque. Nous avons donc désormais nos propres vols.
Tout cela suppose que nous réformions notre droit d'asile, aujourd'hui imparfait puisqu'une fois qu'une personne est entrée sur le territoire, nous avons des difficultés à l'en éloigner. On estime ainsi à environ 300 000 le nombre de personnes en situation irrégulière sur le territoire français. Nous allons donc déposer un projet de loi sur l'asile et l'immigration, qui s'appuiera sur les principes que j'ai indiqués : oui au droit d'asile pour les réfugiés politiques et ceux provenant de pays en état de guerre civile ; non à l'immigration économique incontrôlée. Pour cela, nous allons réduire le temps de traitement des procédures de demande d'asile. L'idée du Président de la République, que nous sommes en train de traduire en termes législatifs, est de faire en sorte que toute demande soit examinée en l'espace de six mois, recours juridictionnel compris. Nous allons compresser les délais qui sont parfois très longs, sans compter que jusqu'au moment d'embarquer pour quitter le territoire, les déboutés ont la possibilité de se déclarer malades pour pouvoir rester au sol. Nous présenterons notre projet de loi au printemps prochain ; nous disposerons alors de procédures plus proches de celles de nos amis allemands.
Cela est d'autant plus important que nous sommes confrontés à un double problème : nous devons traiter les demandes non seulement des gens qui arrivent directement en France mais aussi de ceux qui ont été déboutés du droit d'asile dans les pays où ils étaient accueillis et qui viennent chez nous pour introduire une nouvelle demande. Nous avons beaucoup travaillé sur la question des « Dublinés ». Je rappelle par exemple qu'il y a quelques mois, 75% des gens présents à la Porte-de-La-Chapelle à Paris étaient déjà passés par un autre pays de l'Union européenne. Nous aurions donc pu les renvoyer relativement vite. Malheureusement, une décision récente de la Cour de cassation nous a fermé quelques possibilités. Nous cherchons à reprendre dans les meilleurs délais certaines dispositions juridiques pour pouvoir continuer à opérer en ce domaine. Sans quoi, nous risquons de voir arriver chez nous tous les déboutés de Suède, d'Allemagne, d'Italie etc. et donc de nous retrouver en grande difficulté.
Voilà ce à quoi nous travaillons. Je suis évidemment prêt à répondre à toutes vos questions.
Monsieur le ministre d'État, le Président de la République a souligné dimanche soir, lors de son entretien télévisé, le chemin parcouru en à peine cinq mois. Vous en êtes l'un des acteurs principaux puisque vous avez défendu au nom du Gouvernement le projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. Vous vous engagez en faveur d'une résolution durable de la crise migratoire, notamment grâce à un travail bilatéral avec les pays d'origine. J'en sais quelque chose dans mon département où de très nombreux ressortissants albanais sollicitent le droit d'asile. Je ne doute pas que ce travail trouvera son aboutissement dans votre futur projet de loi sur l'immigration et l'asile. Sur chacun de ces sujets, le groupe La République en Marche salue votre capacité à combiner l'efficacité et l'écoute, à concilier l'humanité et la fermeté.
Puisqu'il me revient d'ouvrir les questions de la commission, c'est en qualité de députée d'un espace frontalier que je m'adresse à vous. L'article 10 de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme étend, sous conditions, les capacités de contrôle dans un rayon de dix kilomètres autour des points de franchissement de la frontière. L'autoroute A31, qui traverse ma circonscription et mène au Grand-Duché de Luxembourg, en Belgique et aux Pays-Bas, semble constituer un point de vulnérabilité visiblement emprunté par des auteurs d'actes terroristes récents qui sont domiciliés en Belgique. Sur cette autoroute, le trafic est totalement saturé, principalement aux heures de pointe, plusieurs dizaines de milliers de résidents français rejoignant leur poste de travail outre-frontières. Comment concilier l'impératif de sécurité, auquel nous souscrivons tous, avec la liberté et la fluidité de la circulation aux postes frontières, nécessaires au bon fonctionnement de l'économie autant qu'à l'organisation de la vie quotidienne pour de très nombreux habitants de ma circonscription ?
Nous fêtons cette semaine le premier anniversaire du démantèlement de la jungle de Calais. Bien que salué par tous ou presque, ce démantèlement n'a pas résolu la question migratoire à Calais puisque 800 à 1 000 migrants continuent à stationner dans le Calaisis et dans le Dunkerquois. Pour la plupart, ces migrants ne veulent pas demander l'asile – certains ne peuvent d'ailleurs être expulsés car ils proviennent de pays en guerre – et ne souhaitent qu'une chose : passer au Royaume-Uni. De ce fait, ils ne rentrent dans aucune case de notre politique d'accueil et errent pendant des mois dans les rues, l'État se faisant d'ailleurs condamner pour avoir laissé ces migrants dans le plus grand dénuement. Que comptez-vous faire pour ces migrants que l'on ne peut expulser mais qui ne veulent pas non plus rester en France et qui font du Calaisis, déjà largement frappé par le chômage, une terre encore moins propice qu'auparavant au développement économique où les déménagements d'entreprises succèdent aux faillites et aux fermetures d'installation sur les sites logistiques ?
Je vous poserai à présent quelques questions plus précises en tant que rapporteur pour avis de la commission sur la Mission « Immigration, asile et intégration ».
La France a la volonté de disposer d'une liste de pays sûrs commune aux États membres de l'Union européenne ainsi que de procédures d'asile communes. Pourriez-nous faire un point d'étape sur ces sujets ? La France devient en effet, vous l'avez dit, un pays de deuxième accueil : par exemple, les migrants afghans qui se sont fait débouter du droit d'asile en Allemagne se retrouvent aujourd'hui en France. Je rappelle qu'en Allemagne, le taux d'accueil est à peu près d'un sur deux alors qu'il est d'environ huit sur dix en France
J'en viens aux expulsions. Vous avez parlé des Albanais qui, on le sait, représentent près de 80 % du nombre des personnes expulsées. Vous avez aussi évoqué la difficulté matérielle à expulser les personnes en situation illégale qui font l'objet d'une mesure de reconduction. Pourriez-vous nous donner des éléments sur les vols organisés par l'agence Frontex – service que la France utilise beaucoup moins que d'autres pays européens ?
Enfin, nous sommes arrivés le 26 septembre dernier au terme du programme de relocalisation des migrants de l'Union européenne. Or, la France est assez loin des engagements qu'elle avait pris puisque 20 000 relocalisations étaient prévues dans notre pays et que nous n'en sommes qu'à 4 300, soit un peu plus de 22 %, d'après les chiffres que j'ai pu obtenir. Qu'en pensez-vous ?
Monsieur le ministre d'État, j'ai eu l'occasion de voir de l'intérieur le fonctionnement des services de la préfecture de Strasbourg chargés de l'examen des demandes d'asile.
La durée de bout en bout de la procédure peut atteindre trois ans. La réduction de ce délai est évidemment une question d'efficacité mais aussi d'humanité. Il est en effet beaucoup plus compliqué d'expliquer à une famille dont les enfants sont scolarisés depuis trois ans qu'on doit les expulser que de traiter le dossier rapidement. À cet égard, quel est le taux de personnes réellement expulsées au terme d'une décision de refus d'asile, et parvenues au bout du bout des derniers recours ? En 2015, la Cour des comptes annonçait le chiffre, difficilement vérifiable, de 95 % de non expulsés. Cela nourrit beaucoup de fantasmes et de doutes mais aussi beaucoup de discours des extrêmes. Le ministère de l'intérieur avait annoncé sous la précédente législature qu'environ neuf personnes sur dix censées être expulsées ne l'étaient pas en réalité. Par conséquent, au-delà de l'intention et d'une philosophie que nous comprenons bien, allez-vous déterminer un objectif chiffré et agir dans la transparence sur un sujet qui, encore une fois, nourrit tous les fantasmes ?
Madame Rauch, s'agissant du contrôle aux frontières nationales, parallèlement à l'adoption de l'article 10 de la loi antiterroriste, nous avons notifié à la Commission européenne, au nom précisément de la lutte contre le terrorisme, notre intention de renouveler les contrôles à nos frontières pendant six mois. Le commissaire européen chargé de la migration, des affaires intérieures et de la citoyenneté a par ailleurs présenté au Conseil de l'UE et au Parlement européen une proposition de règlement européen visant à étendre la possibilité de rétablissement des contrôles aux frontières nationales, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, pendant un an puis pendant deux ans supplémentaires, soit pendant trois ans au total.. L'article 10 de la loi SILT nous permettra par ailleurs de contrôler efficacement les points de passage frontaliers. Cela ne veut évidemment pas dire que nous allons systématiquement arrêter toutes les voitures. Au moins les gens qui souhaiteraient commettre des actes criminels, sauront-ils qu'ils risquent d'être contrôlés et éviteront de passer la frontière.
Je vous rappelle, monsieur Dumont, qu'il y a un an, 8 000 personnes étaient installées dans la jungle de Calais. Nous avons démantelé ce campement sauvage et créé des centres d'accueil et d'orientation (CAO) dans tout le pays. Depuis notre arrivée aux affaires, nous essayons d'empêcher la reconstitution de cette jungle. Les forces de l'ordre mènent ainsi une action soutenue pour éviter les campements sauvages des migrants. Et aujourd'hui, même si nous n'arrivons pas à contenir tout le monde, nous n'avons jamais vu plus de 450 à 500 migrants à Calais. M'étant rendu sur place et ayant rencontré la maire de la ville, je sais quelles sont les difficultés des habitants et des acteurs économiques. Comme vous le savez, nous avons ouvert dans le département deux centres d'accueil et d'examen des situations (CAES), où les migrants peuvent être hébergés dans des conditions plus dignes et où leur situation administrative est évaluée.. Un certain nombre d'entre eux ne souhaitent donc pas venir dans ces centres, sachant pertinemment qu'ils n'ont pas droit à l'asile. Comme en matière de sécurité, c'est une lutte permanente.. Si les migrants de Calais souhaitent effectivement se rendre au Royaume-Uni, nous faisons tout pour les empêcher de stagner sur nos côtes et pour éviter que ne se reforme demain une autre jungle. L'un de vos voisins voulait remonter un camp organisé : je lui ai fait observer qu'il allait ainsi attirer des centaines voire des milliers de personnes et qu'on ne s'en sortirait pas. Nous n'organiserons pas de nouveau camp et nous continuons nos contrôles.
S'agissant des éloignements, l'an dernier, il y en a eu 13 000. Cette année, nous espérons pouvoir porter ce chiffre entre 14 000 et 15 000. Nous avons organisé quatre-vingt-deux vols nationaux, seize vols européens sous l'égide de Frontex et quatre vols franco-britanniques. Nous essayons d'éviter une embolisation de nos dispositifs d'asile.
Monsieur Waserman, vous avez parfaitement raison : il est très difficile d'éloigner une famille qu'on a laissée pendant trois ou quatre ans sur le territoire et dont les enfants sont scolarisés. Nous n'avons pas de politique sélective puisqu'il est facile d'entrer sur notre territoire mais très difficile ensuite de s'y intégrer. J'ai donc demandé qu'on augmente le nombre, trop faible aujourd'hui, d'heures de cours de français qui sont dispensées aux personnes s'installant définitivement sur le sol national. J'ai également demandé que ces personnes bénéficient d'une formation professionnelle de manière qu'elles puissent s'insérer dans la société. Quand nous examinerons les crédits de mon ministère, vous verrez que nous proposons une augmentation sensible des moyens consacrés à l'insertion. Je ne veux pas rajouter de la misère à la misère. Dans nombre de nos quartiers, nous avons raté cette insertion. Si demain, nous aggravions la situation, nous nous retrouverions confrontés à de gros problèmes. Je vous confirme donc que nous allons instruire les demandes d'asile plus rapidement et que je réclame au niveau européen l'établissement de procédures d'asile plus communes à tous les États membres. Chacun saura ainsi qu'on ne peut plus, comme aujourd'hui, jongler entre les différents pays pour trouver la faille de chaque système national.
Sur les pays sûrs, nous allons effectivement essayer de définir une liste commune car il n'est pas normal que les règles diffèrent d'un État membre à l'autre. Mais contrairement à d'autres pays, en France, ce n'est pas le ministère de l'intérieur mais un organisme indépendant, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), qui instruit les demandes d'asile.
Je vous remercie, madame la présidente, d'avoir pris l'initiative de cette audition. Lorsque nous vous entendons, monsieur le ministre, nous mesurons, davantage encore qu'auparavant, à quel point vos affaires intérieures ne nous sont pas étrangères. (Sourires.) Nous aurions intérêt à poursuivre ces échanges.
Je souhaiterais vous entendre sur la stratégie commune européenne en matière de renseignement. Par ailleurs, la cybercriminalité gagne de plus en plus de terrain. C'est sur le web que se gagnent ou se perdent aujourd'hui les plus grandes batailles économiques, militaires mais aussi en matière de sécurité et l'on sait tous que la cybercriminalité s'est énormément structurée. Quelles sont vos orientations pour nous protéger des attaques de cybercriminels ? Vos services ont-ils une estimation chiffrée du racket dissimulé des gens qui cèdent aux hackers et qui les paient pour récupérer leurs données sans porter plainte ?
M'exprimant au nom du groupe Nouvelle Gauche, groupe d'opposition, je serai sans doute moins laudateur que d'autres. Les auditions qui se déroulent sous le régime du huis clos servent à ce que tous les députés aient des informations circonstanciées sur les sujets qui nous préoccupent – aujourd'hui la sécurité intérieure et les migrations. Mais si vous connaissez parfaitement vos dossiers, monsieur le ministre, toutes les informations dont vous nous avez fait part jusqu'à présent sont publiques et se trouvent dans la presse. J'espère donc que vos réponses à nos questions rendront le huis clos effectivement justifié. Pour commencer, quels pays sont inscrits sur la « liste noire » et sur « la liste blanche » ? Certains pays du Moyen-Orient ont été évoqués ; y figurent-ils ?
Une entreprise française dont notre collègue Jean-Paul Lecoq nous entretient régulièrement aurait financé le djihadisme ; pouvez-vous nous faire part de l'avancée de l'enquête diligentée à ce sujet ?
Hier, lors du procès d'Abdelkader Merah, un fonctionnaire de police courageux a fait état de graves dysfonctionnements au sein des services de renseignement. Vous n'étiez pas en poste à cette époque et vous n'en êtes pas responsable mais que comment comptez-vous y remédier ? Il est terrible d'apprendre que, ce fonctionnaire eût-il été écouté, l'attentat contre l'école juive de Toulouse eût pu ne pas avoir lieu.
Les Russes, si prompts à accorder la nationalité russe à des acteurs étrangers célèbres, ne sont pas aussi tempérés que nous en ce qui concerne la déchéance de nationalité, qu'ils appliquent avec la même promptitude ; c'est ainsi qu'un Russe, désormais apatride, est en résidence dans un hôtel de Normandie. Comment reconduit-on les apatrides à la frontière ? Plus largement, il semble que le ministère de l'intérieur, voulant renvoyer dans leur pays des étrangers en situation irrégulière, ait le plus grand mal à obtenir de certains pays d'origine la confirmation qu'il s'agit bien de leurs ressortissants – dans 60 % des cas pour certains pays, me suis-je laissé dire ; qu'en est-il de la coopération internationale en ce domaine ?
Je prends la parole au nom du groupe de la Gauche démocrate et républicaine. Je suis particulièrement sensible à la question des listes de pays « gris » et « noirs », et j'ai eu une passe d'armes à ce sujet avec le ministre des affaires étrangères qui, après que j'ai cité certains pays, m'a sommé de donner des preuves et les noms de ceux qui, à mon avis, mettraient en danger le peuple français. Je lui ai répondu que je n'avais pas de pouvoir d'enquête ; vous, monsieur le ministre, vous l'avez. Je vous demande donc quels pays figurent sur ces listes et, surtout, une fois que ces listes sont établies, que fait-on ? Prévoit-on de geler les avoirs à l'étranger des pays considérés ? Les saisit-on ?
S'il est avéré que le cimentier Lafarge a financé des groupes terroristes, cela signifie qu'il s'est rendu coupable de complicité avec l'ennemi. C'est pour cette raison que l'État a nationalisé Renault à la fin de la Deuxième guerre mondiale. Si l'enquête démontre que Lafarge-Holcim a commis ce crime, l'État osera-t-il saisir les biens de Lafarge-Holcim sur notre territoire ?
J'en viens à l'immigration. La France est un vaste pays dont les territoires se répartissent sur toute la planète et j'ai du mal à savoir ce qui, en matière de migrations, concerne la France métropolitaine et ce qui concerne les Outre-mer ; qu'en est-il ?
Le préfet de Normandie pourrait vous parler savamment de la filière albanaise. On comprend, en parlant avec ces pauvres gens, qu'ils se sont fait piéger, qu'une partie de leur famille est restée en Albanie et qu'ils sont contraints sous la menace d'obéir et de mendier pour le compte des trafiquants qui les ont convoyés en France. Comment s'attaquer à ceux qui organisent les filières en terrorisant tout le monde, familles en Albanie comprises, plutôt qu'à ces pauvres gens ? Les forces de police française et albanaise doivent travailler ensemble pour démanteler ce trafic d'êtres humains, emprisonner s'il le faut et expulser ce qui s'y livrent.
Vous savez, messieurs Leroy et Hutin, que les services de renseignement ont été profondément remaniés il y a quelques années à la suite des dysfonctionnements constatés précisément lors de l'affaire Merah. La direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et les services du renseignement territorial ont été entièrement réorganisés. Le fonctionnement de nos services s'est très grandement amélioré, et en technicité et en nombre d'agents, les effectifs ayant été considérablement renforcés. Je ne prétends pas que tout soit parfait et que nous contrôlions entièrement la situation, mais quand on mesure le nombre d'attentats déjoués grâce à l'action des services, on comprend qu'ils sont très actifs – et ils coopèrent assez étroitement avec les services étrangers. À ce sujet, je reviens un instant sur le récent débat sur le projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. « Vous n'avez qu'à judiciariser », nous ont dit certains – mais cela n'est pas possible puisque les informations nous sont transmises par des sources de renseignement étrangères que nous ne pouvons évidemment dévoiler au risque, sinon, qu'elles se tarissent. C'est pourquoi la rédaction du texte était indispensable dans la version qui a été adoptée par votre Assemblée la semaine dernière.
Nous nous préoccupons beaucoup de la lutte contre la cybercriminalité. Le député européen Arnaud Danjean a été chargé de mener les travaux du comité de rédaction de la revue stratégique de défense et de sécurité nationale. Il faut combiner le renseignement de terrain, autrement dit l'information « à bas bruit » – et l'intérêt de la police de sécurité du quotidien sera aussi de faire remonter ces indications – et des éléments technologiques tels que des saisies de contenus. La commission des lois de votre Assemblée peut se renseigner sur les techniques mises en oeuvre ; pour les avoir vues opérées, je puis vous dire qu'elles sont assez sophistiquées. Nous essayons de garder une longueur d'avance sur les cybercriminels pour déjouer leurs pratiques délictueuses, qu'il s'agisse de détournements de fonds, de trafic d'armes ou de stupéfiants ou, bien sûr, de terrorisme.
Je ne suis pas directement chargé, monsieur Hutin, d'élaborer les listes « noire » et grise ». Je vous dirai si l'information peut être divulguée ou si elle est réservée aux services.
J'en viens aux entreprises. Nous sommes dans un État de droit et, à la suite de la plainte déposée par l'ONG Sherpa en novembre 2016 à l'encontre du cimentier franco-suisse Lafarge-Holcim au sujet de ses activités en Syrie, une information judiciaire contre X a été ouverte par le parquet de Paris le 9 juin 2017, notamment des chefs de « financement d'une entreprise terroriste », de « mise en danger de la vie d'autrui » et de « soumission de plusieurs personnes à des conditions de travail et de rétribution incompatibles avec la dignité de l'homme ». L'affaire est à l'instruction et il ne m'appartient pas de la commenter mais la justice est saisie et elle suit son cours. Il n'y a pas d'impunité dans notre pays : quand il existe des chefs d'accusation, une enquête est ouverte et des mises en examen peuvent être prononcées. L'aboutissement de l'enquête montrera à quoi s'en tenir au sujet de l'entreprise Lafarge-Holcim.
Je suppose que vous avez fait allusion, monsieur Hutin, à l'artiste performeur contestataire russe arrêté il y a deux jours à Paris après une nouvelle performance. Mis à part qu'il se promenait nu sur la voie publique, , il a en effet aspergé d'essence deux fenêtres encadrant l'entrée d'une succursale de la Banque de France avant d'y mettre le feu, ce qui est plus gênant. Une plainte a été déposée contre lui, le parquet est saisi et l'on verra quelles suites judiciaires seront données à cet incident..
Pour qu'un étranger puisse être reconduit dans son pays d'origine, un laissez-passer consulaire est nécessaire. Certains pays en accordent beaucoup, d'autres, dont je ne vous donnerai pas la liste, vraiment très peu. Je prends contact avec tous mes homologues des pays considérés pour expliquer que nous délivrons des visas à leurs ressortissants mais que s'ils persistent à ne pas nous donner les laissez-passer consulaires qui nous permettent de reconduire à la frontière leurs ressortissants en situation irrégulière, nous réduirons le nombre des visas délivrés. Nous sommes passés à une phase assez active.
Au sujet des Albanais, vous avez raison. Une série d'organisations mafieuses sont à l'oeuvre qui restent dans les pays d'origine et qui dépêchent des petites mains partout en Europe. Il faut remonter et démanteler les filières, qui impliquent des nationalités très diverses, même si certaines sont plus présentes que d'autres. C'est ainsi que, le mois dernier, à Lyon, a été arrêté un pasteur évangéliste qui était à la tête d'un réseau d'immigration clandestine et de prostitution de très jeunes femmes africaines…
Je vous remercie pour cet éclairage. L'arrivée massive de migrants en certains lieux – Calais, Paris – est à l'origine de situations complexes et rend très difficile l'accueil de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants. Certains endroits, telle la voirie sous la station du métro aérien à Paris, ont été sécurisés pour empêcher l'installation de campements. Ailleurs, le président de l'Université de Reims-Champagne-Ardenne a pris la décision unilatérale de fermer l'accès au campus Croix-Rouge, qui accueille 6 500 étudiants et où travaillent 1 500 agents et professeurs à la suite de l'installation d'une cinquantaine de migrants ; faute de solution immédiate d'hébergement, la rentrée universitaire en a été perturbée plusieurs jours. Comment l'État s'organise-t-il pour accueillir ces familles dans de bonnes conditions, sans perturber la vie d'une cité ? Quelles sont les perspectives générales de la politique d'accueil compte tenu des expériences de Calais et de la Porte-de-La-Chapelle à Paris ?
Que s'est-il décidé, à Séville, en matière de coopération policière avec l'Espagne et éventuellement l'Italie ? Une compagnie de gendarmes français est actuellement en formation dans une école de la Garde civile espagnole – ils ont défilé à Madrid avec leurs camarades espagnols, le 12 octobre, à l'occasion de la fête nationale. Envisagez-vous la même coopération avec les carabiniers italiens ?
Vous avez évoqué l'explosion démographique à venir dans différents pays africains. Elle touchera aussi le Niger, qui passera de quelques millions d'habitants à quelques dizaines de millions. Dans ce contexte, ne pourrait-on concevoir qu'une partie de l'aide publique au développement – dont le président de la République a déclaré devant l'assemblée générale des Nations unies fixer l'objectif d'y consacrer 0,55 % de notre revenu national d'ici cinq ans, au lieu de 0,3 % actuellement – soit consacrée à la régulation des naissances et à l'éducation des jeunes femmes ?
Sur un autre plan, que faire avec les personnes que l'on voudrait expulser mais dont on ignore le pays d'origine et la nationalité, ce qui arrive assez souvent ? Enfin, comment traiter le lancinant problème de Mayotte, qui compte à présent 200 000 immigrés et où la maternité, l'année dernière, a accouché plus de 10 000 femmes, qui provenaient principalement des îles de la Grande Comore, Mohéli et Anjouan?
L'agence Frontex, en devenant l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, a vu ses moyens augmenter sensiblement en hommes et en financement depuis 2016. Or, à la Sorbonne, le président de la République a annoncé la création d'une police européenne des frontières « pour maîtriser efficacement nos frontières, accueillir dignement les réfugiés (…) et renvoyer rapidement ceux qui ne sont pas éligibles au droit d'asile » ; en quoi cette force en projet différera-t-elle de l'Agence ?
Hier a pris fin la bataille de Raqqa, capitale officieuse de Daech à partir de laquelle ont été planifiés et dirigé plusieurs attentats commis en Europe, dont ceux de Paris et de Saint-Denis le 13 novembre 2015. Selon des sources syriennes, de 200 à 300 djihadistes étrangers seraient retranchés dans cette ville, y compris des Français, dont Abdelilah Himish qui pourrait être impliqué dans les attentats de Paris et de Bruxelles. Quel sera leur sort ? Comment éviter qu'ils ne s'échappent pour revenir dans leurs pays d'origine et y commettre éventuellement de nouveaux actes terroristes ?
Député de l'opposition constructive, je juge que la circulaire que vous avez publiée hier et qui prévoit de mettre résolument en oeuvre les mesures d'expulsion des étrangers « représentant une menace pour l'ordre public et les étrangers incarcérés » traduit une sage décision qui aurait dû être prise il y a longtemps. Faut-il s'attendre que la Cour européenne des droits de l'homme fasse obstacle à l'application de cette circulaire ?
Il existe vingt-six centres de rétention administrative ; tous sont saturés. Les capacités doivent être renforcées à très court terme.
Je considère que, pour les étrangers incarcérés, la compétence devrait être transférée du ministère de la justice au ministère de l'intérieur.
Abdelhamid Abaaoud, le premier kamikaze entré dans l'espace Schengen en 2015, l'a fait à partir de l'île Lesbos ; il a été rejoint par Salah Abdeslam qui a multiplié les allers et retours dans toute l'Europe pour convoyer les terroristes à Bruxelles, y compris les terroristes qui s'en sont pris au Stade de France. On voit bien le problème. Je ne veux évidemment pas faire d'amalgame entre migrants et terroristes mais il est manifeste que les terroristes utilisent les failles du système européen, notamment par le trafic de passeports organisé par les « combattants étrangers » qui cherchent à rejoindre l'Europe. Le Premier ministre a annoncé, en juillet dernier, la création de 12 500 places en deux ans pour accueillir les migrants ; quelles mesures ont été prises pour éviter la répétition des problèmes connus précédemment ?
La Turquie, qui figure au nombre des pays de la circonscription que je représente, peut ouvrir ou fermer les vannes. Pour l'instant, son président les ferme ; que pensez-vous de la coopération avec la Turquie et de l'accord migratoire signé le 18 mars 2016 ?
Il a plusieurs fois été question des pays inscrits sur les listes « noire » et « grise », sans qu'ils soient nommés. Je vais le faire, et dire qu'au nombre de ces pays il y en a, pour certains sunnites, pour d'autres chiites, avec lesquels nous flirtons – je parle de l'Arabie saoudite d'une part, de l'Iran d'autre part – alors qu'ils ont soutenu le terrorisme international directement ou indirectement. Nous ne pourrons pas lutter contre ce fléau sans prendre conscience que les terroristes ne vivent pas en apesanteur mais qu'ils sont appuyés par certains pays que nous connaissons, et que la vigilance s'impose.
Enfin, quelle est votre opinion sur le développement des monnaies virtuelles telles que les bitcoins ?
Vous étiez à Séville, monsieur le ministre, pour participer à la réunion des ministres de l'intérieur du G6, à quelques jours du terrible attentat qui a frappé Mogadiscio, faisant des centaines de morts et de blessés. Vous avez rappelé la nécessité de resserrer la coordination européenne et internationale dans la lutte contre le terrorisme. Dimanche, le Président de la République a rappelé que le fil rouge de la coopération internationale doit être la défense de nos intérêts et de nos biens communs, au premier rang desquels la sécurité. Quelles mesures concrètes ont été actées hier par les ministres de l'intérieur du G6 réunis à Séville ? Quelles propositions portera la France lors de la réunion du G7, vendredi ?
La situation des demandeurs d'asile déboutés devient très complexe quand il s'agit de parents dont les enfants sont nés en France, où ils sont scolarisés ; bien souvent, il s'agit de familles monoparentales. Ce contexte rend très difficile le traitement de ce problème. Il y a la règle et la loi, mais il y a aussi l'aspect humain ; qu'envisagez-vous de faire pour cette catégorie de déboutés du droit d'asile ?
Sur un tout autre plan, le quotidien Le Monde a mentionné le retour en France de quelque 270 combattants de Daech. Ce chiffre est-il avéré ? S'il l'est, la défaite de Daech en Syrie risque d'avoir pour conséquence la multiplication de ces arrivées. A-t-on déployé des moyens supplémentaires de surveillance et de renseignement ? Est-on vraiment prêt à faire face à l'arrivée de ces bêtes féroces sur notre territoire ?
Monsieur Girardin, fermer une université parce qu'une cinquantaine de migrants s'y sont installés me semble disproportionné. Moi qui ai été maire d'une grande ville avant d'être ministre de l'intérieur, je peux vous dire que j'aurais procédé autrement. J'échangerai avec la ministre de l'enseignement supérieur sur ce dossier.
Monsieur Quentin, nous avons effectivement établi une grande coopération entre la gendarmerie et la garde civile espagnole pour mettre en place des formations communes. C'est toujours mieux lorsque les gens se connaissent, peuvent s'appeler et travailler en confiance. Je peux vous révéler aujourd'hui qu'après l'attentat de Barcelone, nous avons déployé immédiatement 3 000 gendarmes le long des Pyrénées pour surveiller les frontières.
Bien évidemment, les problèmes africains se résoudront en Afrique. L'Union européenne et la France peuvent apporter leur soutien en matière de développement économique. J'ai évoqué les relations bilatérales que nous pouvons entretenir avec certains pays. Nous essayons de soutenir à la fois les projets d'autolimitation de l'immigration et de développement. S'agissant plus précisément de l'éducation, il faut prendre en compte les facteurs culturels qui ne se régleront pas immédiatement. Vous avez fait allusion au Niger, malgré l'augmentation de sa population, ce pays n'envoie pas ses migrants vers l'Europe. Nous travaillons au contraire avec lui pour essayer d'enrayer le vaste mouvement de migration africaine. En fait, tout dépend souvent de la qualité des gouvernants. En la matière, le Niger a un gouvernement démocratique avec lequel on peut travailler de manière assez partenariale sans difficulté.
Monsieur Fuchs, lorsque le Président de la République parle du renforcement de la politique européenne des frontières, il s'agit de développer Frontex dans le temps. J'ai parlé tout à l'heure d'une réserve opérationnelle de 1 500 personnes : ce n'est évidemment pas suffisant pour assurer la protection des frontières de l'Union européenne. Il faut donc développer l'Agence.
Sur la prise de Raqqa, je ne sais pas combien il reste de Français. En tout cas, les « returnees » sont immédiatement judiciarisés et la plupart du temps incarcérés. C'est ainsi que nous avons procédé avec les 272 qui sont revenus jusqu'à présent. Mais cela pose des problèmes pour l'avenir. Comment les réinsérer dans la société ? À cela s'ajoute la question du renseignement pénitentiaire que l'on ne traitait pas il y a encore trois ou quatre ans. Nous avons également pris en charge cinquante-huit mineurs, qui bénéficient de mesures d'assistance éducative. Le ministère de l'intérieur travaille très étroitement avec le ministère de la justice sur le devenir de ces mineurs qui ont très souvent moins de quatorze ans, voire moins de douze ans.
Monsieur Habib, il y a actuellement vingt-trois centres de rétention en métropole et quatre en outre-mer, soit vingt-sept au total. D'ici à la fin de l'année, 200 places de rétention supplémentaires seront ouvertes. En fait, il convient surtout de renforcer les effectifs de la police aux frontières (PAF) car nous sommes, si je puis dire, au four et au moulin, c'est-à-dire qu'il nous faut à la fois surveiller nos frontières extérieures, nos aéroports et emmener les gens dans les centres de rétention. Si nous augmentons les effectifs, une part d'entre eux sera affectée à la PAF pour lui permettre de remplir ses missions.
Vous m'interrogez également sur la Turquie et plus généralement sur les problèmes internationaux. Il faut essayer de désamorcer les conflits, de manière que les choses n'empirent pas encore. Si, par exemple, éclatait un nouvel affrontement entre tel et tel pays du Moyen-Orient, nous en subirions forcément les conséquences. Le Président de la République essaie précisément d'agir là où les tensions montent, pour éviter que nous soyons confrontés à de nouveaux problèmes dans le futur.
Ce que vous dites sur le bitcoin est assez juste. À l'origine, cette monnaie se voulait très écolo et très pacifique. Mais comme elle est relativement anonyme, elle peut conduire demain à des usages qui n'avaient pas totalement été prévus par ses initiateurs. Comme quoi une bonne idée a toujours des aspects pervers. Il faudra donc être vigilant.
Monsieur Kokouendo, sans vous révéler le détail de ce qui s'est dit lors du G6, je peux vous indiquer que de nouvelles routes étaient en train de s'ouvrir et que le Maroc, comme pays de passage et de destination, en était particulièrement victime. Il commence donc à avoir un certain nombre de problèmes d'autant que cela constitue une entrave à son propre développement. Dès lors que la Lybie est une route moins favorable, les trafics s'intensifient au Maroc : des gens tentent de traverser le détroit de Gibraltar, y compris à jet ski. Dès que l'on ferme une route, d'autres s'ouvrent. Nous essayons à chaque fois d'apporter la bonne réponse.
Monsieur David, vous avez raison ces familles monoparentales posent un vrai problème. Nous pensons à elles lorsque nous prenons des mesures en faveur des familles monoparentales. Si nous voulons éviter les problèmes, il faut refaire de la mixité dans nos villes et nos quartiers. Voir des quartiers se paupériser, se ghettoïser n'est pas bon pour l'ensemble de la société, car on commence par vivre côte à côte et on finit face à face. C'est cela qu'il convient d'empêcher.
On sait que l'Europe va proposer un asile européen. Allons-nous nous intégrer dans cette démarche, ou bien faisons-nous notre propre réforme, c'est-à-dire celle qui est prévue au début de l'année prochaine ?
Que va-t-on faire de ceux que l'on appelle les « ni-ni », ni expulsables, ni régularisables ? Si on ne peut pas les renvoyer dans leur pays de peur qu'ils y soient maltraités mais qu'on ne les régularise pas, alors ils seront confrontés à de grandes difficultés sur le territoire national. À cela s'ajoutent des problèmes de logement d'urgence et de relogement de personnes qui ont obtenu l'asile et qui sont encore dans des centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA), comme l'ont confirmé le ministère de l'intérieur et le ministère de la cohésion des territoires.
J'ai vu passer une note tout à l'heure qui fait état de l'arrestation d'une dizaine de personnes appartenant à des mouvements d'extrême droite. On sait qu'il y a, en Europe, une montée des mouvements d'extrême gauche et d'extrême droite. Le risque est-il réel ? Que fait notre pays en la matière ?
La stabilité de la région arabe, et notamment la lutte contre le terrorisme, est une priorité majeure pour la France parce qu'elle contribuerait à notre sécurité intérieure et dans une certaine mesure à notre paix sociale. Notre société est plus que jamais menacée de division, le terrorisme ayant pour objectif premier ce funeste projet. Pourtant, bien que cette question de cohésion se pose ces dernières années, il est difficile de nier l'omerta qui l'entoure. Ce que je souhaite pointer du doigt ici, ce sont effectivement ces non-dits. Par certains discours, on crée et on fait perdurer un certain malaise identitaire. Je suis convaincue que nous sommes plus que jamais dans une période charnière. Soit on reconquiert notre immigration pour en faire des traits d'union, soit elle sera un problème d'autant plus grand et complexe. C'est effectivement de ces non-dits que naît la violence. Il m'est cher de l'évoquer devant vous, monsieur le ministre d'État, car je connais votre engagement pour renforcer ce dialogue et je tiens à saluer votre désir d'entreprendre une instance interconfessionnelle de dialogue et de concorde auprès de votre ministère, à l'image du groupe Concorde et solidarité à Lyon.
Mais pour beaucoup, toucher à ces questions identitaires, de laïcité et de laïcisme, de mixité, à ces notions de patriotisme et de nationalisme c'est ouvrir la boîte de Pandore. Au vu de toutes ces difficultés, comptez-vous donner une place à cette réflexion ? Comment envisagez-vous d'amener sur le terrain cette idée de laïcité, de liberté que vous avez utilisée ?
Monsieur le ministre d'État, non seulement nous ne nous ennuyons pas avec vous, mais nous sommes extrêmement intéressés par vos interventions et les réponses que vous apportez aux députés. Je félicite Mme la présidente d'avoir pris l'initiative de vous auditionner.
Vous avez insisté, à juste titre, sur la dimension européenne de la lutte contre le terrorisme et des grands flux migratoires. Les Français ont confusément le sentiment que ces questions doivent être traitées dans un cadre non pas uniquement franco-français mais européen, voire international. En même temps, ils peinent à voir les résultats concrets de cette coopération européenne, tant l'Europe a du mal à s'incarner sur ces sujets comme sur d'autres. Ils apprennent ainsi, médusés, qu'un terroriste est passé par la France avant de commettre un attentat en Allemagne.
Le Président de la République Emmanuel Macron demande à ses ministres d'avoir des résultats. Dans ces conditions, quelle est votre priorité en ce qui concerne les deux sujets que vous avez évoqués ? Quels indicateurs de succès fixez-vous à votre action, dans quels domaines et sur quels points, afin que les Français puissent dire ce qui a vraiment changé dans leur vie quotidienne grâce à l'action du ministre d'État ?
Monsieur le ministre d'État, vous avez déclaré qu'il ne fallait pas ajouter de la misère à la misère. Permettez-moi de vous parler de l'association Yelen, basée à Ballaison en Haute-Savoie qui accompagne depuis quinze ans les familles de migrants dans leurs démarches administratives, en tant que médiatrice, forme les travailleurs sociaux de la caisse d'allocations familiales, de la préfecture, du département et maintenant de la Poste aux outils de connaissance culturelle qu'il s'agisse des cultures maghrébine, turque, noire africaine et balkanique, et mène des coopérations décentralisées permettant de stabiliser les populations sur leur territoire et la migration inversée.
Ce dispositif a prouvé son efficacité en matière d'insertion réussie. Comment envisagez-vous aujourd'hui de promouvoir et soutenir ces actions citoyennes et innovantes d'aide aux migrants ?
Je tiens à vous remercier pour votre écoute et votre disponibilité, ainsi que celle de M. Jung, lorsque nous avons échangé, à la fin du mois de juillet, sur la question albanaise. Après le rendez-vous que vous aviez eu de votre côté, j'ai moi aussi rencontré le ministre des affaires étrangères et le ministre de l'intérieur albanais. On m'avait alors présenté le plan prévu entre les autorités françaises et albanaises. Deux questions étaient principalement traitées : l'utilisation du motif fallacieux de la vendetta pour prétendre à l'asile politique et l'abandon de mineur isolé à l'étranger. Les Albanais s'étaient engagés à mettre en place, via le système TIMS (total information management système), des mesures automatiques de contrôle des majeurs rentrant seuls sans le mineur avec lequel ils étaient accompagnés au départ et des mineurs qui dépassent les quatre-vingt-dix jours à distance du pays. Ce système automatique est-il en voie d'implémentation ? Les engagements sont-ils tenus ? Nous avions évoqué l'idée d'une mission sur place de l'OFPRA. Est-ce toujours d'actualité ?
Vous le savez, l'OFPRA a six mois pour statuer sur une demande d'asile. Ce délai est-il suffisamment court par rapport au benchmark européen pour éviter les effets de vases communicants ?
Nous travaillons à la fois sur un projet de loi sur le droit d'asile et sur un « Paquet asile » au niveau européen. Le Président de la République s'engage beaucoup sur ce sujet afin que l'Europe puisse avancer. Nous avons d'ores et déjà progressé sur la protection européenne mais il est vrai que les analyses peuvent être assez différentes selon les États membres. Il faut donc dépenser beaucoup d'énergie pour faire avancer cette question ; il importe surtout qu'un certain nombre de pays fondateurs la fasse leur pour qu'elle soit adoptée par le Conseil de l'UE et le Parlement européen. Dès que j'aurai achevé l'examen des budgets devant le Parlement français, j'irai rencontrer les parlementaires européens pour faire progresser la réflexion. Lorsque le Conseil de l'UE a adopté des mesures, il est parfois difficile de les faire adopter par le Parlement européen. Il convient donc de faire un travail pédagogique, comme nous l'avons fait avec la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, ce qui n'était pas gagné d'avance. Mais on s'est aperçu qu'on y arrive en expliquant les choses telles qu'elles sont, en partant de la réalité et en tenant un discours transparent pour éviter tout fantasme.
Vous avez parlé de ceux qui ne sont ni expulsables ni régularisables. Bien évidemment, il y a une zone d'incertitude entre ce qui existe et ce que l'on va faire. Avant de les régulariser, il faut commencer par modifier la législation. En effet, régulariser tout le monde n'est certainement pas la bonne méthode pour éviter d'en faire venir d'autres.
Vous avez raison, il existe aujourd'hui des phénomènes d'extrême droite et d'extrême gauche, avec des individus totalement radicalisés. Le Groupe union défense (GUD) renaît de ses cendres et un certain nombre de groupes identitaires sont aujourd'hui actifs en France. Du côté de l'extrême gauche, vous avez pu voir que des gens revendiquaient les attentats contre la gendarmerie de Grenoble ou celle de Limoges. En fait, ils revendiquent une espèce d'insurrection, plus seulement verbale, mais active contre les institutions. Je pense qu'il peut y avoir demain ce que ma génération a connu, à savoir des dérives, comme celles d'Action directe, des Brigades rouges, etc. Il faut maîtriser le discours, de manière qu'un discours violent n'encourage pas des gens un peu immatures, des jeunes en particulier, à passer à l'acte.
Madame Chapelier, vous avez raison nous sommes dans une période charnière. Il faut faire entendre un contre-discours au discours de Daech. La bataille ne se résume pas à des mesures de sécurité, elle se fait aussi au niveau des mots. Il convient d'expliquer à des jeunes musulmans nés en France que le meilleur modèle de l'islam n'est pas le plus moyenâgeux. L'Islam a été une grande civilisation et il vaut mieux se référer au meilleur de cette civilisation qu'à sa régression. On ne peut pas dire que ceux qui détruisent les témoignages de civilisations antérieures donnent une vision très évoluée de l'humanité. Il faut mettre en avant un islam moderne. Nous sommes en train d'élaborer avec des intellectuels, des chercheurs, mais aussi des gens qui travaillent à la base, les contre-discours que l'on pourrait promouvoir.
En matière de laïcité, je me réfère au discours d'Aristide Briand lorsqu'il défendait la loi de 1905. Il avait expliqué qu'il s'agissait d'une loi de liberté de croire ou de ne pas croire, de pratiquer le culte que l'on souhaitait pourvu qu'il respecte l'ordre public. À mon avis, c'est la meilleure définition qui soit. Le discours laïc n'est pas celui qui consiste à dire que tout ce qui est spirituel n'existe pas : c'est considérer que chacun peut trouver sa propre spiritualité, sa propre philosophie qui doivent être respectées pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public. C'est ce message que je porterai en tant que ministre de l'intérieur au niveau national, comme nous l'avions fait à Lyon, avec le groupe Concorde et solidarité.
Monsieur Herbillon, nous travaillons bien évidemment dans le cadre européen. Nous essayons d'avoir des droits qui soient les plus similaires possible. Si vous avez au contraire en termes d'enregistrement, de reconnaissance du droit d'asile, de durée d'instruction, d'expulsion, des procédures totalement différentes, vous aboutirez à des failles qui empêcheront une gestion satisfaisante.
Madame Lenne, s'intégrer dans la société française, être français ce n'est pas rentrer dans l'uniformité. Chacun a sa culture, son origine – espagnole, italienne, arménienne, algérienne, etc. qu'il ne s'agit pas de nier sa culture, ce qui compte c'est le projet commun. Un grand historien disait que la nation est un plébiscite de tous les jours. Je partage ce point de vue. Il faut que les gens puissent se projeter et avoir une vision commune, quel que soit leur passé.
Monsieur Son-Forget, comme vous connaissez bien la réalité albanaise, vous savez que les discours peuvent être un peu tronqués. Des amis juges m'ont expliqué que, dans un premier temps, au vu de ce qu'on leur racontait sur les problèmes de vendetta, ils ont souvent accordé le droit d'asile. Mais après qu'on leur eut raconté la même histoire quarante-cinq fois, en changeant seulement les noms des villages et des personnes, ils ont compris qu'ils s'étaient fait avoir, et que c'était un discours tout prêt qui était récité ainsi. Je me rends, le 1er décembre, à Tirana, pour dresser le bilan de ce que nous avons fait ensemble. Si cela vous intéresse toujours, vous pourrez y porter la parole de votre commission, si celle-ci vous mandate.
Monsieur le ministre d'État, je vous remercie vivement au nom de toutes celles et tous ceux qui sont présents aujourd'hui, pour ce que vous avez dit et pour votre disponibilité. Nous avons bien noté que vous étiez prêt à revenir devant notre commission. Vous serez donc invité à nouveau, pour notre plus grand plaisir.
La séance est levée à dix-huit heures trente-cinq.
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Membres présents ou excusés
Réunion du mardi 17 octobre 2017 à 16 h 30
Présents. - Mme Clémentine Autain, M. Frédéric Barbier, M. Hervé Berville, M. Bertrand Bouyx, Mme Valérie Boyer, M. Pierre Cabaré, Mme Samantha Cazebonne, Mme Annie Chapelier, Mme Mireille Clapot, M. Pierre Cordier, M. Olivier Dassault, M. Alain David, M. Bernard Deflesselles, M. Frédéric Descrozaille, M. Christophe Di Pompeo, M. Benjamin Dirx, M. Pierre-Henri Dumont, M. Bruno Fuchs, Mme Laurence Gayte, M. Éric Girardin, Mme Olga Givernet, M. Claude Goasguen, M. Meyer Habib, M. Michel Herbillon, M. Christian Hutin, M. Bruno Joncour, M. Rodrigue Kokouendo, M. Jérôme Lambert, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Marion Lenne, Mme Nicole Le Peih, M. Maurice Leroy, M. Jean François Mbaye, M. Ludovic Mendes, Mme Monica Michel, M. Christophe Naegelen, Mme Delphine O, Mme Bérengère Poletti, M. Didier Quentin, Mme Isabelle Rauch, M. Bernard Reynès, Mme Laetitia Saint-Paul, Mme Marielle de Sarnez, M. Joachim Son-Forget, M. Buon Tan, Mme Liliana Tanguy, Mme Valérie Thomas, M. Sylvain Waserman
Excusés. - M. Moetai Brotherson, Mme Laurence Dumont, Mme Anne Genetet, M. Philippe Gomès, Mme Sonia Krimi, Mme Amal-Amélia Lakrafi, Mme Marine Le Pen, M. Jean-Luc Mélenchon, M. Frédéric Petit, M. Hugues Renson, M. Guy Teissier