Présidence
La commission, réunie en commission d'évaluation des politiques publiques, entend d'abord Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice.
Nous auditionnons ce soir Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice, dans le cadre bientôt traditionnel des commissions d'évaluation des politiques publiques qui se réunissent lors de l'examen du projet de loi de règlement. Nous souhaitons faire du Parlement un lieu d'évaluation solide et sérieux, mais cela ne se fait pas en une séance : c'est toute une culture à bâtir, et nous essayons de le faire, quelles que soient nos appartenances politiques. Nous pensons en effet qu'il faut évaluer, c'est-à-dire établir le rapport qui existe ou non entre le coût et l'efficacité. Chaque rapporteur spécial choisit un thème approuvé par la commission et qui fait l'objet d'un débat autour de l'exécution des crédits de l'année précédente, en l'occurrence l'exercice 2018.
Le projet de loi de finances pour 2018 proposait, pour la mission Justice, un nouveau budget en croissance fondé sur l'augmentation des crédits et des emplois de l'ensemble des programmes. Quel bilan peut-on aujourd'hui en tirer ? De fait, l'exécution 2018 se solde par une nouvelle et sensible augmentation des financements disponibles : les crédits de paiement atteignent la somme de 8 687,59 millions d'euros, en hausse de 3,36 %, ce qui représente 6 906,94 millions d'euros hors compte d'affectation spéciale Pensions. Le montant des crédits de paiement consommés progresse de 2,75 %. En revanche, les autorisations d'engagement disponibles et consommées reculent respectivement de 16,52 % et de 6,65 %. Ce mouvement s'explique par le rythme des opérations de l'administration pénitentiaire.
Cela étant, l'exécution 2018 s'inscrit bien dans le mouvement de progression continue des ressources allouées à la mission avec des autorisations d'engagement et des crédits de paiement d'un niveau inédit. À l'exclusion de l'administration pénitentiaire, le montant des dépenses augmente pour l'ensemble des programmes. S'agissant des crédits de paiement, en revanche, le rythme de cette croissance apparaît moins soutenu qu'en 2017. On peut le comprendre.
Par rapport aux crédits disponibles, l'exécution 2018 est marquée par une baisse très sensible du taux de consommation des autorisations d'engagement, principalement du fait de la conjonction de deux facteurs : d'une part, l'importance des reports et des crédits disponibles ; d'autre part, les difficultés rencontrées dans la conduite d'opérations complexes de l'administration pénitentiaire. La diminution apparaît plus modérée s'agissant des crédits de paiement. On notera cependant l'absence de véritables tensions dans l'exécution de la programmation. Cela s'explique en partie par la réduction du taux de mise en réserve des crédits, passé de 8 % à 3 % pour le hors titre 2. C'était effectivement une bonne nouvelle pour le ministère.
Les dépenses de personnel connaissent une croissance sensible de 3,13 %, bien qu'en léger retrait par rapport à 2017 où cette croissance était de 4,75 %. Les dépenses de fonctionnement augmentent de 6,92 % et excèdent le montant prévu en loi de finances initiale du fait d'un nouveau dépassement de l'enveloppe des frais de justice. Il s'agit là d'un point de vigilance sur lequel je reviendrai.
Une fois de plus, les effectifs de la mission Justice augmentent pour atteindre un niveau inégalé de 83 552 équivalents temps plein travaillé (ETPT). Cependant, l'exercice 2018 s'achève par une nouvelle sous-exécution du plafond d'emplois de 1 267 ETPT.
Sur le plan des emplois, deux faits marquants méritent d'être soulignés : une augmentation significative de l'effectif des magistrats en activité en conséquence de l'affectation de 359 auditeurs de justice en 2016 ; la réalisation du schéma d'emplois de l'administration pénitentiaire pour 2018 et le rattrapage de la sous-exécution de 2017, avec la création d'une partie des cent postes de surveillants pénitentiaires prévus par le protocole de sortie de crise conclu le 29 janvier 2018.
Sur la base de tous ces chiffres, nous pouvons sans doute donner acte au ministère de la justice des progrès accomplis dans l'exécution de la loi de finances. Pour autant, d'autres résultats plus contrastés – le rôle d'un rapporteur spécial consiste précisément à les relever – soulèvent encore quelques interrogations quant à la maîtrise des dépenses et à l'efficacité du service public de la justice.
Sur le plan budgétaire, l'exécution 2018 se solde par un nouveau dépassement de la fameuse « enveloppe » des frais de justice. Le montant des crédits consommés sur ce poste atteint 528 millions d'euros contre une dépense provisionnée à hauteur de 478 millions d'euros. En soi, ces chiffres doivent pousser le ministère de la justice à approfondir les expérimentations et la mise en oeuvre des mesures d'économies évoquées au cours de l'examen du projet de loi de finances pour 2019.
Je tiens à attirer l'attention de nos collègues sur l'évolution de l'aide juridictionnelle : la consommation des crédits alloués à son financement progresse en effet de manière spectaculaire avec une croissance de 13,5 %. Ce chiffre ne peut que nous interroger la capacité du Gouvernement à maîtriser les effets profondément inflationnistes de la réforme mise en oeuvre entre 2016 et 2018. La question se pose d'autant plus qu'en 2018, le taux de recouvrement des frais avancés par l'État au titre de l'aide juridictionnelle enregistre une nouvelle dégradation.
Sur le plan des performances de la mission, je ne peux que relever la persistance de l'écart entre la progression des ressources budgétaires et les résultats obtenus. Ainsi, plusieurs des indicateurs les plus significatifs au regard des missions de la justice affichent des résultats en deçà des cibles assignées, ce qui traduit une performance à peine équivalente à celles mesurées en 2017 voire en 2016. Ce constat prend un relief tout particulier en ce qui concerne les délais de traitement des procédures civiles ou encore le taux d'occupation des établissements pénitentiaires. L'évolution du pourcentage de juridictions dépassant de 15 % le délai moyen de traitement des procédures civiles fait apparaître d'autres contre-performances et difficultés.
Le ministère de la justice s'est engagé dans un développement résolu de ses ressources informatiques, avec deux objectifs : dégager des gains de productivité par le biais de la dématérialisation des procédures aussi bien civiles que pénales, et étendre l'information offerte aux justiciables. Or, la Cour des comptes évoque une difficulté à identifier les économies réalisées en 2018 dans la mesure où la dématérialisation n'est pas encore totalement effective.
Je souhaiterais dès lors, madame la ministre, vous poser trois questions concernant cette exécution budgétaire. Premièrement, quel est l'état de réalisation des grands projets informatiques du ministère de la justice ? Deuxièmement, quelles économies leur mise en service opérationnelle pourrait-elle permettre de dégager ? Troisièmement, le renforcement des ressources informatiques peut-il contribuer à la mise en place de nouveaux indicateurs de performance, notamment pour mesurer l'efficacité de la réponse pénale, et surtout, les applications en cours de développement vont-elles doter le ministère de la justice des instruments de mesure des coûts et d'affectation rationnelle des ressources dont l'enquête de la Cour des comptes sur l'approche méthodologique des coûts de la justice a clairement établi la nécessité ?
J'en viens au thème des travaux de contrôle que j'ai réalisés, à savoir la prise en charge des auteurs d'actes terroristes. Depuis les attaques perpétrées en janvier et novembre 2015, cet enjeu est d'une importance croissante pour l'ensemble de la mission Justice. Il en va ainsi du parquet près du tribunal de grande instance de Paris. Celui-ci traite actuellement 417 informations judiciaires et 270 enquêtes préliminaires. Les informations concernent 512 personnes mises en examen dont 244 détenus. Depuis 2012, 1 630 procédures ont été ouvertes à ce titre. Dans les établissements pénitentiaires, les derniers chiffres communiqués par l'administration font état de 952 détenus de droit commun suspectés de radicalisation. Le nombre de terroristes islamistes – les TIS, selon la terminologie du ministère – s'élève à un peu plus de cinq cents. Sur les 170 000 individus placés sous main de justice en milieu ouvert, on recense 250 TIS et 600 délinquants identifiés comme radicalisés.
Toutefois, le traitement des auteurs d'infractions terroristes paraît devoir mobiliser des moyens importants et nouveaux. Par rapport à d'autres mouvances ayant frappé la France, entre les années 1970 et 1990 principalement, le terrorisme se revendiquant de mouvements islamistes présente en effet certaines spécificités liées à ses fondements idéologiques, aux dynamiques de groupe qui le caractérisent, ainsi qu'à sa dangerosité accrue, comme l'a relevé l'administration. Ce constat a conduit le ministère de la justice à développer un dispositif qui est désormais relativement complet et bien pourvu en ressources.
L'exercice des poursuites pénales repose sur la mise en place d'un parquet national antiterroriste créé dans le cadre de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice que vous avez portée. Ce ministère public spécialisé et à compétence nationale succédera au parquet de Paris.
Pour ce qui concerne les conditions d'incarcération, le ministère de la justice tend à systématiser des procédures d'évaluation préalable à l'affectation dans un établissement pénitentiaire et à la fixation du régime de détention. Le dispositif repose sur la mise en place de quartiers d'évaluation de la radicalisation, les fameux QER. Ceux-ci se trouvent au sein des maisons d'arrêt de Fresnes, de Fleury-Mérogis, d'Osny dans le Val-d'Oise et de Vendin-le-Vieil dans le Pas-de-Calais. Au premier semestre 2019, 450 places devaient être ouvertes. L'évaluation réalisée au sein de ces structures nouvelles s'étale sur dix-sept semaines. À l'issue de cette période, les détenus peuvent être placés sous régime de détention ordinaire, dans un quartier de prise en charge de la radicalisation ou en quartier d'isolement. D'après l'ensemble des acteurs rencontrés, l'évaluation réalisée dans le cadre des QER donne satisfaction, même si l'on ne dispose pas à proprement parler d'étude scientifique sur leurs réalisations actuellement. Notons en revanche que la durée de l'évaluation et le nombre finalement restreint de places pèsent sur la capacité d'accueil.
Ces éléments factuels me conduisent, madame la ministre, à vous interroger sur les points suivants.
Premièrement, quels instruments ou indicateurs de performance le Gouvernement compte-t-il mettre en place afin d'assurer une évaluation des politiques et des moyens déployés pour prendre en charge des auteurs d'actes terroristes ?
Deuxièmement, quelles décisions budgétaires le Gouvernement entend-il proposer au Parlement afin d'assurer l'adaptation des ressources de la justice à de nouvelles charges créées par les suites des crises successives auxquelles la France a pu être confrontée depuis 2015 ? Je pense aux besoins humains, financiers et matériels que ne manquera pas de susciter l'organisation des procès engendrés par les actes terroristes perpétrés à partir de janvier 2015 sur notre sol, ainsi que l'éventuel retour de Français des théâtres d'opération du Levant. Je pense également à la dotation du parquet national antiterroriste en magistrats envisagée par la chancellerie. Dans une certaine mesure, le transfert d'effectifs peut mettre en cause la capacité du parquet de Paris à accomplir des missions dont le poids est par ailleurs croissant.
Troisièmement enfin, par quels dispositifs la coordination des acteurs des différents maillons de la chaîne pénale peut-elle être garantie ?
Il a été rappelé à plusieurs reprises que la réalisation des objectifs visés dans la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice dépend d'une augmentation des moyens humains et matériels. À cet effet, le budget de la justice pour 2019 a connu une hausse de 4,5 % pour atteindre 7,291 milliards d'euros. Cette trajectoire se poursuivra dans les années à venir afin d'atteindre le cap de 8,3 milliards d'euros fixé pour 2022. J'ai eu l'honneur de défendre les bienfaits d'un projet de budget destiné à améliorer le fonctionnement quotidien de la justice et l'accès au droit et à financer trois priorités : la mise à niveau des moyens des juridictions, la montée en puissance de la transformation numérique de la justice et l'amélioration de l'accès au droit et à la justice pour les plus démunis.
Pour rendre effective la modification en profondeur de l'organisation judiciaire que nous avons votée, nous avons augmenté de 8,8 % les dépenses d'investissement consacrées aux juridictions. Ces dépenses visent des priorités clairement identifiées : poursuite des travaux de mise en sécurité et d'accessibilité des palais de justice, la restructuration et l'extension de palais de justice tels que ceux de Toulon et de Meaux, la construction de palais de justice comme celui de Nancy ou encore le démarrage de travaux d'aménagement immobilier comme à Valenciennes et à Cherbourg. Pouvez-vous nous présenter la situation de ces dépenses, madame la ministre, nous préciser si certaines d'entre elles ont déjà été engagées et si d'autres sont provisoirement bloquées pour raisons diverses ?
Mon autre question porte sur l'une des pierres angulaires de la feuille de route que vous avez définie : le plan de transformation numérique. Le plan quinquennal amorcé en 2017 repose sur trois priorités : la modernisation des infrastructures, notamment le renforcement de la visioconférence, le développement de plusieurs projets applicatifs avec la mise au point du portail numérique et le déploiement du système d'information du renseignement pénitentiaire, et l'accompagnement et le soutien apportés tant aux usagers internes qu'aux utilisateurs externes, en particulier ceux qui ne maîtrisent pas les nouvelles technologies. Pouvez-vous dresser l'état des lieux de l'effectivité et de la mise en place progressive des dispositifs découlant de ce plan de transformation numérique ?
Enfin, dans le cadre de l'élaboration d'un schéma pluriannuel de stratégie immobilière de l'administration centrale pour la période 2019-2023 intégrant les délégations interrégionales, le budget de la justice a concrétisé la poursuite de la politique de rationalisation immobilière du ministère pour que le recrutement des nouveaux agents se fasse dans les meilleures conditions matérielles et géographiques possibles, notamment pour ce qui touche au renseignement pénitentiaire et au développement de grands projets informatiques. Il a été décidé de récupérer des surfaces supplémentaires à titre temporaire, dans l'attente du regroupement de ces services dans un ensemble cohérent et rationalisé. Pouvez-vous préciser l'état d'avancement de ces chantiers afin de mesurer si les différents services concernés pourront rapidement opérer dans des conditions géographiques optimales ?
Madame la ministre, permettez-moi de commencer par revenir sur quelques-uns des points évoqués à l'instant par le rapporteur spécial concernant notamment l'exécution de la mission. Il est vrai que par rapport à 2017, les tensions liées à la consommation des crédits sont moindres. Cette situation tient en partie, en effet, à la réduction du taux de mise en réserve des crédits hors titre 2. La note d'exécution budgétaire de la Cour des comptes fait néanmoins apparaître l'importance des reports de crédits en autorisations d'engagement, à hauteur de 2,04 milliards d'euros, soit plus du tiers des crédits ouverts en 2018. La Cour souligne qu'il s'agit là d'une proportion jamais atteinte et qui s'explique par la dotation généreuse, depuis 2015, en autorisations d'engagement sur des opérations immobilières complexes qui ne permettent pas d'engager des crédits. Pouvez-vous éclaircir ce point, madame la garde des sceaux, et nous rassurer sur le fait que cette progression ne constitue pas seulement un effet d'affichage dû aux reports ? Au-delà, l'importance des reports dans des missions budgétaires de ce type ne met-elle pas en cause la pertinence de la programmation et la soutenabilité budgétaire de la mission ?
M. Hetzel a également évoqué le dépassement de l'enveloppe prévue pour couvrir les frais de justice, qui se seront élevés à 527,9 millions d'euros contre une dépense escomptée de 478 millions. Au-delà des éléments chiffrés que fournit le rapport annuel de performances, pouvez-vous détailler les raisons qui expliquent la dynamique des frais de justice en 2018 ? Quelle efficacité peut-on accorder aux mesures et expérimentations en cours ou annoncées dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2019 ? Quelles économies la plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ) a-t-elle réellement permis de dégager ?
La Cour des comptes souligne aussi les implications significatives du financement des engagements pris par l'administration pénitentiaire dans le cadre du protocole de sortie de crise du 29 janvier 2018, à la suite du mouvement de grève des surveillants pénitentiaires consécutif à une série d'agressions. Peut-on désormais calculer le coût global de ce protocole, qui comprenait notamment des mesures de revalorisation, plusieurs mesures indemnitaires, une prime de fidélisation et des engagements de recrutement ? Dans quelle mesure affectera-t-il le programme 107, sachant que certains engagements n'ont pas été financés au titre de l'exercice 2018 ?
Enfin, la commission des finances a adressé une demande d'enquête à la Cour des comptes au titre du 2° de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). En réponse, la Cour a publié une communication intitulée Approche méthodologique des coûts de la justice qui met en cause les indicateurs de performance employés par le ministère de la justice et relève notamment l'absence de concordance entre les procédures budgétaires et l'organisation des dialogues de gestion. La Cour s'est déjà prononcée plusieurs fois en ce sens sur ce sujet. Quelles suites comptez-vous donner à ses recommandations ? Envisagez-vous par exemple de mettre en place un système de pondération des affaires en fonction de leur poids relatif de façon à mieux répartir l'allocation des ressources entre juridictions ?
En application du 2° de l'article 58 précité, qui accorde à la commission des finances un « droit de tirage » pour des enquêtes de la Cour des comptes, nous avions en effet demandé une enquête sur l'approche méthodologique des coûts. La Cour a émis un jugement assez sévère sur la capacité du ministère à connaître le coût des affaires traitées et à en établir une vision analytique. Elle a notamment critiqué le manque de fiabilité et de pertinence d'un certain nombre d'indicateurs de performance, mais également remarqué que souvent, l'établissement des besoins des juridictions était souvent totalement décorrélé du dialogue de gestion – ce qui pose toute une série de questions. Vous proposez d'établir un système de pondération des affaires pour allouer les moyens de la justice entre les différentes juridictions. Qu'en est-il de sa mise en place ? La réflexion a-t-elle été engagée par le ministère ? Considérez-vous ce mécanisme comme inopportun ? Je pense que le rapport d'enquête de la Cour ne pourra que contribuer à une meilleure gestion des crédits de ce ministère, dont les juridictions déplorent souvent l'insuffisance – même s'ils augmentent.
Permettez-moi, monsieur le président, de commencer par vous dire combien j'apprécie ce moment passé avec la commission qui m'incite à réfléchir avec votre regard et les éléments précieux que vous mettez en avant.
Comme l'a souligné M. Hetzel, 2018 est la première année de réalisation de la loi de programmation et de réforme pour la justice. Globalement, les engagements que le Gouvernement a pris dans ce texte ont été tenus : hors dépenses de pensions, l'exécution en 2018 s'est élevée à 6,9 milliards d'euros alors que l'annuité de la loi de programmation s'élève à 7 milliards. Cet écart s'explique par l'annulation en fin de gestion de 61 millions d'euros de crédits, mis en réserve de précaution pour faire face aux aléas de la gestion du budget de l'État. C'est beaucoup moins – vous l'avez relevé –, qu'en 2017, où 238 millions d'euros de crédits avaient été annulés.
Grâce à l'effort de budgétisation sincère voulu et réalisé par le Gouvernement, l'abaissement de la réserve de précaution à 3 % des crédits hors masse salariale a permis une gestion beaucoup plus fluide et, partant, une bonne consommation des crédits. Une partie des crédits mis en réserve a même pu être rendue au ministère en fin d'année.
Les crédits exécutés progressent de 5,3 % par rapport à 2017 à périmètre identique, autrement dit sans prendre en compte les dépenses de santé des détenus, désormais prises en charge par la sécurité sociale. Cette hausse est supérieure à la progression de 3,9 % constatée entre les lois de finances initiales pour 2017 et pour 2018. Hors masse salariale, les crédits exécutés progressent donc de 6,8 % à périmètre constant, contre une augmentation de 4,8 % prévue en loi de finances initiale, et les charges à payer diminuent de 32 millions d'euros. Le renforcement des moyens de la justice est donc bien réel et la situation financière du ministère s'assainit. Je le constate d'ailleurs à chaque fois que je me rends sur le terrain.
Pour ce qui est des emplois, 1 136 ETPT ont été créés en 2018 alors que la loi de programmation prévoyait d'en créer 1 100. Nous avons donc amélioré notre capacité de recrutement, même si nous n'avons pas pu rattraper en totalité la sous-réalisation du schéma d'emplois de l'an dernier. Notons que 623 emplois de surveillant ont été créés contre 481 prévus en loi de finances, ainsi que 105 emplois de magistrat.
Je rappelle que le budget de la justice pour 2018 poursuivait trois priorités. La première d'entre elles consiste à améliorer le fonctionnement quotidien de la justice. De ce point de vue, la transformation numérique est la pierre angulaire de ma feuille de route. Vous m'interrogez sur l'effectivité de ce plan : elle s'observe dans la consommation des crédits. Les dépenses informatiques ont augmenté de 28 millions d'euros en 2018 par rapport à l'année précédente. Surtout, il en résulte des réalisations très concrètes : l'augmentation des débits du réseau est effective sur près de cinq cents sites – et ce devrait être le cas sur plus de mille en cette fin d'année. Près de 1 500 ultraportables ont été déployés et plus de 2,4 millions de bulletins du casier judiciaire B3 dématérialisé ont été téléchargés depuis l'ouverture de ce service en septembre 2018. Le portail du service d'accueil unique du justiciable (SAUJ), qui permet de renseigner un justiciable sur son affaire dans chaque endroit du territoire, est déployé, et le portable du justiciable –qui lui permettra d'y accéder directement sans passer par le SAUJ – sera lancé dans quelques jours. L'envoi dématérialisé des premières procédures pénales aux parquets par les services enquêteurs a été testé avec succès à Amiens il y a quelques jours. Je ne saurais citer tous les progrès accomplis ; mais en vous rendant dans les tribunaux, vous pourrez y constater par vous-même des avancées concrètes qui, je le crois, changeront la vie des justiciables et des personnels.
Pour atteindre ces résultats, nous avons constitué des équipes de projet très mobiles pour chaque projet applicatif et avons dû trouver rapidement des locaux pour les installer. Dans la continuité de la rationalisation immobilière, ces locaux consacrés au déploiement des équipes informatiques se situent au Millénaire ou dans ses alentours, dans le 19e arrondissement de Paris. Dans un souci d'efficacité, nous avons rassemblé les équipes pour qu'elles travaillent mieux ensemble. Ainsi, tous les projets pénaux et pénitentiaires, y compris les personnels concernés du ministère de l'intérieur qui travaillent naturellement avec nous sur les questions pénales, sont installés dans ce même bâtiment ; les autres équipes informatiques sont regroupées au Millénaire 2. Enfin, l'Agence nationale des techniques d'enquêtes numériques judiciaires, l'ANTENJ, vient elle aussi d'emménager dans des locaux sécurisés et fonctionnels au Millénaire. Comme vous le constatez, monsieur le député Houbron, tous ces chantiers ont bien avancé.
L'amélioration du fonctionnement quotidien de la justice passe aussi par des locaux en bon état et fonctionnels. Le 21 février, j'ai annoncé une programmation immobilière judiciaire sans équivalent depuis longtemps pour accompagner la réforme de l'organisation judiciaire. Les opérations sont lancées : à Toulon, par exemple, le terrain permettant l'extension du tribunal a été acquis ; à Meaux, le comité de pilotage de lancement du projet d'agrandissement du tribunal s'est réuni il y a quelques jours et l'acquisition du terrain est en cours. En 2018, les dépenses immobilières judiciaires ont ainsi atteint 132 millions d'euros hors loyers des partenariats public-privé (PPP), soit une progression de 17 millions d'euros.
Les dépenses de frais de justice –sur lesquelles M. Hetzel appelle à juste titre notre attention – ont atteint 528 millions d'euros, soit une progression de 32 millions, ce qui a permis un paiement fluide des frais de justice dans les juridictions. En dépit de la montée en puissance de la PNIJ, qui a permis de réaliser 53 millions d'euros d'économies en 2018, la maîtrise des frais de justice reste un enjeu, même si cette année, nous avons pu réduire significativement les charges à payer sur les frais de justice, qui ont diminué de près de 15 millions d'euros.
La deuxième priorité de la loi de programmation et du budget de la justice consiste à renforcer l'efficacité des peines. En 2018, 1 300 places de prison ont été mises en service avec l'ouverture d'Aix-Luynes 2, de Draguignan et, au tout début 2019, de Paris-La Santé. Les besoins des petits établissements – auxquels nous sommes évidemment tous sensibles – n'ont pas pour autant été oubliés : le maintien en condition de fonctionnement opérationnel du parc immobilier existant a été au coeur de l'action des services de l'administration pénitentiaire, avec 133 millions d'euros de dépenses. L'Agence du travail d'intérêt général et de l'insertion professionnelle des personnes placées sous main de justice a été créée le 10 décembre 2018 pour promouvoir le développement et l'accès à l'offre de travail d'intérêt général. Les dépenses de réinsertion ont augmenté de 7 millions d'euros mais, là encore, il reste des progrès à accomplir.
Vous avez évoqué les suites du relevé de conclusions signé en janvier 2018 avec l'une des organisations syndicales représentatives – la plus représentative à l'époque. La sécurité des établissements et des personnels pénitentiaires a été renforcée. Les premiers établissements, conformément au relevé de conclusions, ont été équipés de dispositifs de brouillage des communications illicites. Près de 1 500 trappes de menottage ont été installées. Nous avons acquis 1 200 tenues pare-coups ainsi que 1 000 émetteurs-récepteurs. Les agents ont reçu en dotation 1 500 gilets pare-lames et paires de gants anti-coupures. Je précise que cette dotation sera généralisée à l'ensemble des personnels de surveillance en 2019. En 2018, 3,5 millions d'euros ont ainsi été dépensés et l'effort se poursuit en 2019, avec une dépense prévue de 6 millions d'euros.
Pas moins de 18 millions d'euros auront été consacrés à la revalorisation de la rémunération des agents pénitentiaires, notamment la revalorisation de la prime de sujétions spéciales, très attendues, ainsi que de l'indemnité de charge pénitentiaire et de l'indemnité dimanches et jours fériés. Une prime de fidélisation a par ailleurs été créée par le décret du 28 décembre 2018. Compte tenu de la montée en puissance de certaines de ces mesures, en particulier la prime de sujétions spéciales, qui augmentera de 0,5 point par an, ce sont 37 millions d'euros supplémentaires qui bénéficieront aux personnels de surveillance à l'horizon 2022. C'est donc un effort très conséquent.
En 2018, dans le respect du principe de responsabilité budgétaire des ministères, le coût du protocole – c'est un point important – a été financé par redéploiement de crédits au sein de la mission Justice, qui a bénéficié d'une levée partielle de sa réserve de précaution.
Troisième point sur lequel je souhaite mettre l'accent devant vous : l'attention portée aux plus faibles de nos concitoyens. Les dépenses en faveur de l'accès au droit et à la justice qu'a évoquées M. Houbron ont progressé de 13 % par rapport à 2017. Quatre nouvelles maisons de la justice et du droit ont été créées à Avignon, Clermont-Ferrand, Lattes et Rillieux-la-Pape, renforçant ainsi la présence de la justice sur le territoire. Pour mieux accompagner les victimes, un centre national de ressources et de résilience a été mis en place avec le centre hospitalier universitaire de Lille afin de promouvoir les travaux en matière de psychotraumatismes.
Je conclurai mon propos en abordant la lutte contre la radicalisation et le terrorisme, sujet d'une partie du rapport de M. Hetzel. Si les crédits en faveur de la lutte contre le terrorisme ne sont plus fléchés dans le budget – comme c'était le cas entre 2015 et 2017 –, tous les crédits nécessaires à une action résolue de la justice contre le terrorisme sont effectivement mobilisés. J'ai déjà évoqué l'accompagnement des victimes, qui ne cesse de se développer. L'année 2018 a également été marquée par la mise en oeuvre de la stratégie pénitentiaire de lutte contre la radicalisation violente. Les QER sont désormais au nombre de six, et trois quartiers de prise en charge de la radicalisation ont été ouverts. Comme je vous l'ai indiqué, une fois évaluées, les personnes radicalisées sont placées tantôt en quartier d'isolement, tantôt en quartiers de prise en charge de la radicalisation, tantôt en détention ordinaire. Nous avons également créé des places dédiées au sein des quartiers d'isolement afin d'être en mesure d'accueillir 180 détenus dangereux. Deux centres de prise en charge individualisée en lieu ouvert ont également vu le jour, en 2018, à Marseille et à Paris. La loi de programmation et de réforme pour la justice permet également de renforcer la poursuite des auteurs d'actes de terrorisme avec la création du parquet national antiterroriste (PNAT), qui sera effective le 1er juillet, autrement dit dans quatre semaines. Son procureur a été récemment désigné et vingt-six magistrats viendront le renforcer. Par ailleurs, le PNAT déploiera ses forces avec la mise en place d'une quinzaine de magistrats situés dans les parquets les plus emblématiques du point de vue de la radicalisation – ils seront nommés durant l'été. Je souligne que le parquet de Paris ne sera cependant pas dépouillé, puisque nous avons travaillé avec le procureur de Paris afin qu'il dispose d'effectifs suffisants pour mener à bien les nombreuses missions qui lui sont confiées.
Il me semble, madame la ministre, que vous avez omis de répondre à la question que je vous avais posée au sujet de la demande d'enquête adressée à la Cour des comptes par la commission des finances au titre du 2° de l'article 58 de la LOLF.
Vous faites bien de me le rappeler, monsieur le président, et j'en ai d'autant plus honte que vous aviez particulièrement insisté sur ce point...
Le rapport de la Cour des comptes que vous évoquez est extrêmement intéressant pour nous. Nous avions, à défaut de l'avoir devancé, du moins travaillé en parallèle à ce rapport, puisque nous disposons d'une approche méthodologique pour doter les juridictions qui est fondée sur une clef de répartition, aussi bien pour les personnels de greffe que pour les magistrats.
La direction des services judiciaires a d'ores et déjà revu l'outil de répartition des personnels de greffe, qui s'appelle Outil greffe. En ce qui concerne les magistrats, nous sommes en train de travailler à une nouvelle clef. Nous avons mis en place un groupe de travail afin de parvenir à une répartition de la charge de travail réellement adaptée, selon les différents types de contentieux, leur longueur et leur densité. Sur la base de cette clef révisée, nous pourrons mettre en oeuvre une nouvelle approche des moyens.
Je me permets d'insister sur deux points restés dans l'angle mort de vos réponses, madame la ministre.
Premièrement, comment justifiez-vous la sous-exécution relativement conséquente du plafond d'emplois ? Plus de 1 200 emplois sont actuellement non occupés, ce qui montre un certain décalage entre ce qui avait été affiché en loi de finances initiale et ce qui a été exécuté.
Deuxièmement, les actes terroristes de 2015 vont avoir des conséquences importantes sur le fonctionnement de la justice dans les mois et les années à venir, par le fait qu'ils vont donner lieu à de grands procès, probablement organisés à Paris à partir de 2020. Cela va nécessiter la mise à disposition de locaux, ainsi que de moyens humains et financiers. Il ne s'agit plus ici des activités habituelles de la justice judiciaire, mais d'événements exceptionnels. Comment avez-vous prévu d'y faire face, et votre ministère s'y est-il déjà préparé ?
Le plafond d'emplois autorisés pour 2018 s'élevait à 84 969 ETPT). En application de l'article 11 de la loi de programmation des finances publiques du 22 janvier 2018, qui limite à 1 % l'écart entre la prévision et la consommation effective des emplois, ce plafond a été abaissé à 84 770 ETPT en loi de finances rectificative. Cette baisse n'a pas eu d'impact sur les capacités de recrutement de notre ministère. La réalisation en 2018 s'est finalement élevée à 83 552 ETPT, ce qui représente une sous-réalisation de 1 218 ETPT.
Cette sous-réalisation s'explique de deux manières. Premièrement, elle est due, à hauteur de 846 ETPT, à des contraintes de masse salariale. Nous considérons qu'il est de bonne gestion que le ministère ne recrute que les agents qu'il est en mesure de rémunérer –ce qui est somme toute assez logique...
Deuxièmement, elle est due, à hauteur de 372 ETPT, à des décalages des dates de recrutement, avec des entrées plus tardives, une sous-réalisation du schéma d'emplois à hauteur de 142 ETPT, et des départs plus importants que prévu.
Par ailleurs, afin que puissent se tenir les grands procès qui vont avoir lieu prochainement à Paris à la suite des attentats terroristes contre Charlie Hebdo et du 13 novembre 2015, nous avons prévu deux types de moyens : d'une part des lieux d'accueil, d'autre part des moyens humains. Pour ce qui est des lieux d'accueil, étant donné que l'on peut s'attendre à la présence de 2 500 personnes – parties civiles, journalistes, etc. – au cours d'un procès, nous nous sommes demandés quelle pouvait être la structure la plus adaptée. Après avoir envisagé toutes sortes de solutions, notamment la location de salles ou de grandes tentes, il nous a semblé préférable d'investir un lieu plus emblématique pour accueillir ces procès ; très vraisemblablement, ceux-ci pourraient se dérouler au sein du palais de justice de l'île de la Cité. Ce choix supposera évidemment de procéder à des aménagements, et donc de mobiliser les financements nécessaires, ce à quoi nous allons nous employer au cours des mois à venir. Nous aurons également besoin de moyens humains importants. Nous avons renforcé les effectifs du siège pour faire face au procès, avec six magistrats supplémentaires au tribunal de grande instance de Paris et six magistrats supplémentaires à la cour d'appel.
Madame la garde des sceaux, on ne peut que se féliciter collectivement de la progression continue des crédits d'une mission qui me paraît parfaitement prioritaire, mais marquée par un retard considérable par rapport à nos grands voisins européens. J'aimerais également souligner l'effort accompli en termes d'ETPT supplémentaires, en particulier sur le programme 107, ainsi que l'amélioration de l'exécution des schémas d'emplois – même s'il reste une marge de manoeuvre sur ce point.
Je voulais vous interroger au sujet des frais de justice, mais cette question essentielle a déjà été évoquée par le rapporteur général et par le rapporteur spécial. Je passerai donc directement au problème spécifique des vacances des postes de magistrats, que vous avez souhaité traiter en vous appuyant sur les moyens supplémentaires de la Chancellerie. Pouvez-vous nous indiquer où en est le recrutement prévu et quel impact il aura sur les vacances de postes ?
Par ailleurs, en tant que rapporteur spécial des crédits de la mission Immigration, asile et intégration, j'aimerais connaître votre sentiment au sujet des marges d'amélioration en matière de collaboration entre l'administration pénitentiaire et les autorités responsables des éloignements forcés – par exemple la police aux frontières. J'ai été frappé par le nombre d'anciens détenus qui se trouvent aujourd'hui dans des centres de rétention administrative. Ne pensez-vous pas qu'il faudrait faciliter les démarches afin que les détenus placés en rétention administrative dès leur sortie de prison fassent l'objet de mesures d'éloignement forcé plus rapides et plus efficaces ?
Madame la ministre, lorsque l'État dépense 1 000 euros, il n'en consacre que 4 à la justice... C'est dire l'ampleur de la tâche qui est la vôtre. Il est aujourd'hui un sujet qui me préoccupe particulièrement, celui de la situation de nos prisons. Le nombre de détenus s'élevait le mois dernier à 71 828 – ce qui est un record –, alors que nous disposons aujourd'hui de 61 010 places très exactement.
Vous avez cité tout à l'heure des chiffres et des projets, en évoquant notamment l'ouverture de la prison de Draguignan en 2018. Je rappelle qu'il ne s'agit pas d'un nouvel établissement, mais de la reconstruction d'un établissement existant à la suite des inondations de 2010 – il y a donc neuf ans.
Aujourd'hui, la situation générale des prisons est grave, préoccupante et urgente. Dans le cadre de la loi de programmation, vous avez annoncé 7 000 places, ce qui constituait déjà un retrait par rapport à l'engagement présidentiel de créer 15 000 places pour 2022. Vous nous signalez par ailleurs que seulement six opérations sur dix ont à ce jour fait l'objet d'acquisitions de terrains. Cela semble signifier que l'objectif de 7 000 places ne pourra pas être tenu – ce qui est extrêmement préoccupant, notamment en matière d'exécution des peines. Comment pensez-vous rattraper ce retard ? Des mesures d'urgence sont-elles prévues, et des projets provisoires pourraient-ils être mis en place, notamment sous la forme de modules provisoires ?
Enfin, je ne saurai conclure sans évoquer un sujet plus personnel : je veux parler de la situation de la prison de Nice, qui a franchi un taux d'occupation de 150 %. Où en est le nouveau projet qui était quasiment prêt et a été reporté ?
Madame la garde des sceaux, je souhaite aborder le sujet de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). La PJJ s'occupe traditionnellement des mineurs à travers deux dispositifs, à savoir le placement et le milieu ouvert. La loi de programmation pour la justice a créé un mode de prise en charge à mi-chemin : la mesure éducative d'accueil de jour, dont l'objectif est de permettre un accompagnement quotidien et renforcé du mineur, avec des temps individuels et collectifs et, à terme un retour vers une scolarité normale ou une insertion professionnelle. Cependant, cette mesure nécessite la présence d'éducateurs tout au long de la journée et implique donc la mise en place de moyens humains importants.
Or, alors que les crédits de la PJJ ont augmenté de 9 % entre 2011 et 2017, malgré un environnement budgétaire très contraint, une stabilisation est en cours. Ainsi, en dépit de la remise à niveau, les besoins restent importants, y compris en milieu ouvert, où l'objectif fixé par la direction de la PJJ est que chaque éducateur suive vingt-cinq mineurs – à titre de comparaison, un délégué à la jeunesse à Montréal suit quatorze jeunes.
Parallèlement, la loi de programmation pour la justice a prévu la création de vingt nouveaux centres éducatifs fermés. Or le rapport annuel de performances montre un taux d'occupation des centres éducatifs fermés en deçà des objectifs fixés. Cela s'explique par un fort taux de rotation des équipes éducatives, ainsi que par des difficultés de recrutement. La profession d'éducateur reste en effet peu attractive en raison des situations de violence et des rapports de force quotidiens.
Malgré ce constat, la loi de finances pour 2019 prévoit la création de cinquante et un emplois, ce qui paraît tout à fait insuffisant au regard des dysfonctionnements rencontrés. Quelles mesures comptez-vous prendre pour valoriser cette profession essentielle et placée au coeur du projet de justice que vous défendez ?
Madame la garde des sceaux, depuis plusieurs années, les crédits de la mission Justice sont toujours répartis à l'avantage du programme 107 de l'administration pénitentiaire, pour ne laisser que très peu de moyens aux autres programmes tels que le programme 101 pour l'accès au droit et à la justice. Le budget de la mission Justice va-t-il continuer d'être ainsi réparti ? La question se pose avec acuité car, si vous prônez les alternatives à la prison ou l'interdiction des peines de moins d'un mois, vous défendez également la construction de 15 000 nouvelles places de prison – ce qui exigera un investissement financier important.
De plus, comme nous l'avons souligné lors des débats sur la loi de programmation, il faudra certainement mieux développer sur tout le territoire l'aide à l'accès au droit et les réseaux de maisons de justice, car le soutien apporté aux citoyens devrait être à la mesure des changements occasionnés par votre réforme. Quelles clefs de répartition budgétaire avez-vous retenues pour répondre à ces attentes ?
Je souhaite également vous interroger sur un point plus précis. À la suite du rapport de la Cour des comptes sur le budget de la justice, un constat alarmant a été fait quant à l'évolution des délais de procédure qui, depuis 2012, n'ont cessé de croître : ils se seront allongés de 30 % pour les tribunaux de prud'hommes et de 70 % pour les tribunaux de grande instance. En dépit de l'attente interminable pour les justiciables et du stress que cela génère à tous les services juridiques qui voient les dossiers s'amonceler, les résultats de 2018 ne font que confirmer cette dégradation. Quels moyens mettez-vous en oeuvre afin que ces délais reviennent enfin à des niveaux décents ?
Ma première question porte sur les autorisations d'engagement (AE), que la Cour des comptes estime insuffisamment provisionnées. Pourquoi y a-t-il si peu d'AE ? Est-ce parce que Bercy ne vous donne pas ce qui serait nécessaire, notamment pour couvrir les engagements pluriannuels des PPP – qui ne semblent pas couverts comme ils le devraient ? Il semble également qu'il y ait un problème d'exécution des effectifs de l'administration pénitentiaire, mais aussi de ceux des effectifs des catégories B et C de la justice judiciaire – notamment des greffiers. Comment se fait-il qu'il y ait des difficultés dans ce secteur ? Y a-t-il suffisamment de postes ouverts aux concours ? On constate également un sous-emploi dans le domaine de la PJJ, notamment en ce qui concerne les éducateurs.
Pour ce qui est des indicateurs de performance, envisagez-vous de créer des indicateurs plus qualitatifs, qui ne portent pas uniquement sur la vitesse d'exécution des jugements ? Il serait intéressant, par exemple, de connaître le nombre de jugements cassés par les juridictions supérieures – une faible proportion de jugements remis en cause pouvant être vue comme un signe de qualité de ces jugements.
Enfin, madame la ministre, j'attends votre invitation à discuter du rapport que j'ai rendu sur la délinquance financière. Dans ce domaine, que pensez-vous de la mise en place d'un document de politique transversale afin de pouvoir suivre la lutte contre la délinquance financière, y compris avec votre propre ministère ? Par ailleurs, comment analysez-vous les faibles moyens donnés au parquet national financier (PNF), et envisagez-vous d'augmenter le nombre de recrutements d'assistants spécialisés dans le cadre du budget 2019, notamment afin d'être en mesure de faire face aux grandes affaires qui vont prochainement être examinées – je pense notamment au dossier Airbus ? Il ne faudrait pas que nos équivalents britanniques ou américains obtiennent des jugements ayant pour conséquence que l'argent qui devrait nous revenir nous passe sous le nez, comme cela s'est déjà vu par le passé.
En préambule à mon intervention, je veux m'interroger à voix haute sur la pertinence de ce Printemps de l'évaluation, un exercice dont on mesure les limites compte tenu de la difficulté de la tâche.
Sur le fond, il est intéressant d'essayer de comprendre pourquoi, alors que son budget évolue d'année en année, le constat d'une justice exsangue, trop complexe, trop lente, au bord du gouffre, en état d'urgence absolue, continue d'irriguer l'opinion au quotidien. Faut-il voir dans le manque d'attractivité des métiers de la justice l'une des explications des difficultés que vous avez à obtenir un taux de réalisation budgétaire suffisant ?
Je viens d'aller à la rencontre d'agents de la fonction publique, qui s'inquiètent de la mauvaise réforme de la fonction publique votée cette après-midi en première lecture à l'Assemblée. Des représentants de l'administration pénitentiaire ont insisté sur le fait que, si l'on veut pourvoir les postes ouverts dans le cadre du budget, encore faut-il en augmenter l'attractivité – ce qui pose avec acuité la question de l'amélioration des conditions de travail, de la sécurité au travail et des rémunérations. Certains des leviers budgétaires envisagés sont-ils de nature à répondre aux revendications légitimes exprimées par les personnels de l'administration pénitentiaire, mais aussi par ceux des greffes et de la PJJ, ainsi que par les magistrats du parquet et du siège ?
Enfin, la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice avait fixé des objectifs pour désembouteiller nos tribunaux et déjudiciariser un certain nombre d'actes, en confiant à de nouveaux acteurs des missions relevant jusqu'alors de votre ministère, dont ils contribuaient à alourdir la charge financière et de travail. Avez-vous évalué les gains financiers engendrés par la réforme engagée, et les gains d'efficacité dont aura bénéficié l'administration dont vous avez la charge ?
Madame la ministre, êtes-vous favorable à la recommandation n° 2 de la Cour des comptes qui –je le rappelle –, vous demande de prévoir des AE couvrant l'intégralité des PPP ? Puisqu'il n'y a plus de nouveaux PPP, vous devriez être en mesure de nous indiquer s'ils sont tous couverts ; cela ne semble malheureusement pas être le cas.
Le président du tribunal de grande instance de ma circonscription m'a récemment fait visiter sa juridiction, appelant mon attention sur le caractère archaïque de son équipement informatique. Si un plan a été prévu, la Cour des comptes signale que la mission peine à consommer les crédits correspondants sur le titre 5, les crédits consommés représentant moins du quart des crédits ouverts en autorisations d'engagement. Quand on voit l'état de l'informatique judiciaire, on se demande vraiment comment il se fait qu'on n'arrive pas à engager plus que le quart des autorisations d'engagement !
Au sujet de l'aide juridictionnelle, longuement évoquée par notre rapporteur spécial, pourriez-vous nous préciser les moyens dont vous disposez pour encadrer, auprès de chaque juridiction, le montant des frais professionnels ? Il apparaît en effet que la prise en charge de ces frais donne fréquemment lieu à des débordements : à croire le rapport de la Cour des comptes, il n'y aurait plus un sou dans les caisses dès la fin du mois d'août... Du coup, on reporte, on reporte. Il faut parfois attendre six mois, me dit-on, pour avoir les résultats d'une demande de détection d'ADN !
Pour ce qui est du montant des charges à payer, la Cour des comptes relève que, fin 2018, le ministère de la justice avait 386 millions d'euros de dettes – un montant en légère baisse. Comment envisagez-vous de réduire – et, à terme, de supprimer – les charges à payer ?
Une question subsidiaire pour terminer : vous avez actuellement cinq opérateurs, dont l'École nationale de la magistrature (ENM), qui est un établissement public. La réflexion du ministère de la justice est-elle en train de progresser sur ce point, et envisagez-vous pour l'ENM des évolutions à l'image de celle actuellement envisagée pour l'École nationale d'administration ?
Avec cette question touchant aux perspectives, vous sortez du cadre de la présente audition, consacrée à l'évaluation, cher collègue...
C'est de l'évaluation, monsieur le président ! S'il faut réformer l'ENM, c'est que l'évaluation n'est pas positive...
Madame la ministre, je tiens à aborder un sujet que je sais au coeur de vos préoccupations, celui de l'aide aux victimes. Après que le début du quinquennat a été marqué par l'institution d'une déléguée interministérielle à l'aide aux victimes, le budget 2018 a vu les dotations en la matière augmenter de 6 %. Quel bilan peut-on tirer des principales mesures prises par la déléguée interministérielle, notamment en ce qui concerne les avancées du Centre national de ressources et de résilience (CNRR) et du système d'information des victimes d'attentats et de catastrophes (SIVAC) ? Enfin, plus spécifiquement, pouvez-vous nous dire ce qui a été fait en matière d'aide aux victimes de violences sexistes et sexuelles ?
Le rapporteur spécial a évoqué de façon assez détaillée la prise en charge des auteurs d'actes terroristes. Un volume important de crédits et de nombreuses initiatives ont été consacrés à la déradicalisation, sans qu'on en connaisse précisément le résultat. Je ne sais pas s'il existe des indicateurs en la matière, mais pouvez-vous au moins nous faire part de votre opinion sur l'efficacité des processus de déradicalisation sur les publics concernés ?
Monsieur le député Holroyd, vous m'avez interrogée sur les vacances de postes de magistrats, un point qui, sans être totalement satisfaisant, a déjà beaucoup progressé. La vacance des postes est en très forte diminution : 269 postes étaient vacants au 1er janvier 2019, contre 417 postes en 2017. Nous avons donc déjà réduit la vacance. Ce mouvement va se poursuivre, d'abord parce que nous bénéficions de recrutements antérieurement réalisés – comme vous le savez, la formation au sein de l'ENM dure près de trois ans, et les futurs magistrats en sortent par vagues importantes –, mais aussi parce que nous continuons à créer des emplois supplémentaires par rapport aux personnes qui partent en retraite.
Le Parlement a approuvé la proposition du Gouvernement de créer 100 emplois supplémentaires en 2019, 100 en 2020, 50 en 2021 et 50 en 2022. Grâce à ces recrutements, nous espérons, sur la base de la clef de répartition actuelle – autrement dit sous réserve, évidemment, des évolutions qu'entraînerait une révision de la clef de répartition, pour laquelle, je l'ai dit, nous avons mis en place un groupe de travail –, parvenir à un taux de vacance frictionnel de 0,1 % ou 0,2 % en 2022. Par ailleurs, nous constituons une équipe spécialisée autour du magistrat, notamment grâce au recrutement de juristes assistants et de greffiers assistants du magistrat, dont le rôle est extrêmement apprécié.
Vous m'avez également interrogée sur la coopération entre le ministère de la justice et le ministère de l'intérieur afin d'améliorer le suivi des étrangers incarcérés et qui ont fait l'objet d'une mesure d'éloignement. Nous nous efforçons de renforcer la mobilisation dans ce domaine et cela devrait se traduire très concrètement, dès ce mois de juin, par des orientations concertées du ministère de l'intérieur et du ministère de la justice, qui vont être envoyées aux services déconcentrés et déclinées sous la forme d'une circulaire conjointe. Les préfets, les procureurs de la République et les directeurs interrégionaux de services pénitentiaires déclineront, dès le mois de juillet, l'ensemble de ces dispositifs et de ces améliorations dans chaque département. Concrètement, il s'agit de décomposer la chaîne qui mène de la sortie de détention à l'éloignement en identifiant les étapes-clefs et les autorités responsables. Nous identifierons des interlocuteurs uniques au sein des services concernés, et nous instaurerons un comité de pilotage départemental et national de suivi des protocoles et des mesures qui seront prévues dans cette circulaire et sur la pertinence des moyens mis en oeuvre.
Monsieur le député Ciotti, vous avez insisté, à juste titre, sur la surpopulation carcérale, en relevant à nouveau le différentiel entre le nombre de personnes détenues et celui des places dont nous disposons. Vous semblez à nouveau mettre en doute le programme de 15 000 places dont nous avons annoncé la réalisation – même si, au fond de vous-même, vous devez bien savoir que nous allons y arriver... Je vous rappelle que nous avons décidé de livrer 7 000 places en 2022. Puisque vous me demandez comment cela va être possible alors que nous n'avons pas encore acquis tous les terrains, je vous ferai observer que nous avons acquis tous les terrains dont nous avions besoin et que nous effectuons également des constructions supplémentaires sur des terrains que nous possédons déjà – je pense notamment aux 2 000 places de structures d'accompagnement vers la sortie. À terme, nous serons donc bien en mesure de livrer 7 000 places à l'horizon 2022.
Pour ce qui est de la maison d'arrêt de Draguignan, vous faites à juste titre état d'une reconstruction, mais j'insiste sur le fait que cette reconstruction offre plus de places qu'elle n'en offrait auparavant. Évidemment, nous ne prenons en compte que le différentiel des places pour indiquer le nombre de places nouvellement livrées.
Enfin, le projet de Nice s'inscrit dans le programme des 8 000 places qui doivent être lancées pour la fin du quinquennat. Il est exact – mais vous êtes parfaitement au fait de cette question – que nous avons quelques hésitations concernant les terrains sur lesquels nous pourrons construire cet établissement pénitentiaire. En effet, le terrain qui nous a été proposé à Saint-Laurent-du-Var ne faisant pas – je crois –l'unanimité parmi les élus. Nous sommes en train d'examiner une autre proposition, portant sur un terrain situé sur le plateau Tercier.
Monsieur le député David, vous nous avez fait part de votre attachement au secteur de la PJJ, attachement que nous partageons. Cela répond à une véritable nécessité, d'autant plus marquée que le Parlement m'a habilitée à réviser l'ordonnance de 1945. Cela supposera de mobiliser pleinement les effectifs de la PJJ dans le schéma que j'aurai l'occasion de vous proposer lorsque l'ordonnance vous sera présentée. De ce point de vue, notre objectif consiste à déployer toute une gamme de solutions allant de la mesure éducative de jour – alternative tout à fait opportune à l'enfermement – aux missions de placement et de réinsertion, en milieu ouvert, en centre éducatif renforcé ou en centre éducatif fermé. Je peux vous assurer que, sur le terrain, les magistrats demandent à pouvoir disposer d'une palette de solutions très diverses.
Vous m'interrogez également sur la nécessité de rendre la profession d'éducateur plus attractive, en soulignant –à raison – qu'un des problèmes posés dans les centres éducatifs fermés tient à la difficulté d'y assurer une permanence des équipes. Le plan d'action 2019-2020 de la PJJ nous permet justement d'évoluer favorablement sur ce point, avec un passage des éducateurs en catégorie A au 1er février 2019 dans le cadre du protocole « Parcours professionnels, carrières et rémunérations » et de la réorganisation de la filière sociale. Le plan doit permettre à moyen terme de valoriser les recrutements d'éducateurs. En matière de concours et de recrutement, la direction de la PJJ travaille à une refonte des épreuves des concours d'éducateur et de directeur de service, afin d'ouvrir le périmètre des candidats susceptibles de postuler.
Enfin, une stratégie de communication sur les métiers extrêmement variés de la PJJ est en cours de déploiement. Je ne m'attarde pas sur les cinquante et une créations d'emplois prévues pour 2019, qui viennent s'ajouter aux quarante emplois créés en 2018 – ce qui témoigne d'une réelle progression.
Monsieur le député Zumkeller, vous m'avez interrogée sur la répartition globale des crédits entre la mission des dépenses de la mission Justice, et notamment sur les déséquilibres qui pourraient exister entre l'administration pénitentiaire et la justice judiciaire. Ce déséquilibre n'existe pas dans réalité budgétaire: environ 40 % des dépenses du budget de la justice sont allés aux services judiciaires en 2018 et 39 % à la direction de l'administration pénitentiaire. C'est donc une répartition équilibrée. Et pour le reste, 10 % sont allés à la PJJ, 6 % à l'accès au droit et à la justice et 5 % aux dépenses de soutien général. Ces répartitions pourront être amenées à évoluer légèrement, mais pour 2019 elles sont restées du même ordre.
La question de l'allongement des délais de jugement est une vraie préoccupation. Je ne suis pas en train de vous dire que la justice doit être rendue illico presto, car j'estime – vous n'avez d'ailleurs pas dit le contraire – qu'il est normal que l'obtention d'un jugement exige un certain délai. Cela dit, nous devons évidemment progresser sur ce point. Au-delà des ouvertures de postes et des créations d'emplois, je crois que la loi de réforme de la justice du 23 mars dernier nous permettra d'aller en ce sens : c'est dans ce cadre que nous avons pris des dispositions relatives aux modes alternatifs de règlement des différends ; nous avons diminué le délai de la procédure de divorce ; nous opérons une transformation numérique – sur laquelle je ne reviens pas –, et nous avons pris des dispositions en matière de procédure civile qui devraient également nous permettre d'améliorer les délais de jugement.
Monsieur le député Bernalicis, vous me demandez s'il n'y a pas trop peu d'AE. Je ne le crois pas. Les autorisations d'engagement sont ouvertes pour couvrir l'intégralité d'une opération, notamment d'une opération immobilière ou d'un grand projet informatique. Dès lors, il est normal qu'elles ne soient pas toutes consommées dans la mesure où elles sont affectées et reportées pour couvrir les engagements de dépenses tout au long des projets : il est naturel que les autorisations d'engagement d'un début de projet soient ensuite reportées tout le long du déroulement de ce projet. Les restes à payer ont d'ailleurs commencé à diminuer – de 100 millions d'euros – en 2018.
Vous vous inquiétez du sous-emploi dans un certain nombre de catégories de personnel, notamment celle des surveillants. Mais la réalité des chiffres est tout autre : pour ce qui est du schéma d'emplois de la seule administration pénitentiaire, 732 créations d'emplois avaient été prévues en loi de finances initiale pour 2018, et 873 créations d'emplois ont été réalisées. Cela montre que nous parvenons à recruter, mais aussi que nous avons pu rattraper le retard pris l'année précédente, en repensant notamment la formation – mais je n'entre pas dans les détails.
Pour ce qui est des indicateurs de performance, vous suggérez de prendre en compte, au-delà de la durée du procès, le taux d'appel ou le taux de cassation. Mais nous disposons déjà d'indicateurs sur le taux de cassation. Là où nous avons peut-être encore un peu de mal, c'est lorsqu'il s'agit d'agréger tous ces indicateurs, comme nous y invite la Cour des comptes. C'est l'objet du groupe de travail que nous avons mis en place.
Enfin, monsieur le Député, je serai très heureuse de vous recevoir à la Chancellerie afin d'évoquer avec vous et M. Jacques Maire le rapport que vous avez rédigé conjointement. J'entends bien vous proposer un rendez-vous dans les meilleurs délais. La question que vous avez soulevée dans votre rapport est en effet essentielle. Je me souviens qu'en séance, vous aviez appelé mon attention sur l'insuffisance des moyens accordés au PNF, mais aussi, plus généralement, à la lutte contre la délinquance financière.
Nous sommes en train de travailler sur ce point afin d'en faire une des deux priorités de l'année à venir – l'autre ayant trait au juge des enfants, en rapport avec l'ordonnance de 1945. Avec M. le directeur des services judiciaires, qui se trouve actuellement derrière moi, ce qui m'évite de voir la tête effrayée qu'il doit être en train de faire...
.. nous sommes convenus de mettre l'accent sur ce point. Je ne suis pas encore en mesure de vous dire comment cela va se traduire, mais c'est pour nous un sujet auquel nous attachons une grande importance. Pour ce qui est du dossier Airbus, je peux d'ores et déjà vous dire qu'à la demande de Mme Éliane Houlette, procureur national financier, nous avons nommé un assistant spécialisé, dédié à ce dossier.
Monsieur le député Jumel, je crois vous avoir répondu sur les postes ouverts au budget pour l'administration pénitentiaire en donnant les éléments à M. Bernalicis.
Vous m'interrogez aussi sur la question des gains financiers et des gains d'efficacité que nous aurions pu observer depuis le lancement de la loi de programmation pour la justice. Tout ce que nous avons pu évaluer figure dans l'étude d'impact. À ce stade, nous ne sommes pas allés au-delà, mais il est évidemment certains que les procédures de numérisation pourront nous faire gagner du temps de travail de greffiers et du temps de travail de magistrats. Nous ne l'avons pas quantifié à ce stade, en disant par exemple : « Le nombre d'ETP diminuera de 300. ». Cela ne se passera pas ainsi. Cela jouera sur des quotités infimes de temps par personne, en fonction des responsabilités de chacun.
Cela dit, je connais votre goût des mots et je reconnais que les termes de « justice exsangue », « trop complexe », « au bord du gouffre », « en état d'urgence » ont effectivement été employés. Mais, lorsque je me rends dans les tribunaux, je constate qu'ils deviennent chaque jour un peu moins vrais. C'est le résultat de l'effort budgétaire décidé par le Parlement.
Mme la députée Alexandra Louis m'a interrogée sur les victimes. Les dépenses en faveur de l'aide aux victimes d'infractions pénales ont progressé de 14 % en 2018. La création de la délégation interministérielle à l'aide aux victimes a permis – c'est absolument visible – de mieux coordonner le travail fait par tous les ministères concernés et d'incarner l'aide aux victimes vis-à-vis des associations qui sont concernées. Mme Élisabeth Pelsez fait un travail exceptionnel, que je veux saluer devant vous. Je crois qu'elle incarne vraiment, vis-à-vis des victimes, cette coordination qu'elle a pu mettre en place.
Vous citez deux de ses actions importantes. Le CNRR – dont j'ai parlé tout à l'heure – nous permettra de valoriser la recherche universitaire, de recenser les pratiques en matière de prise en charge de tous les psychotraumatismes. Ce sera extrêmement utile pour l'ensemble des victimes d'actes de terrorisme, mais également au-delà. Quant au SIVAC, il est en phase de cadrage. L'objectif est la livraison rapide d'une première version, avec des fonctionnalités prioritaires. Cela nous permettra d'avancer sur ce dossier.
Je dois l'admettre, monsieur le président : elle est empirique. Nous avons évidemment des systèmes d'évaluation d'actions qui sont conduites et des structures qui nous aident dans la prise en charge. Mais ce n'est pas encore une évaluation suffisamment performante, de mon point de vue.
Enfin, monsieur de Courson, les autorisations d'engagement en matière de PPP sont belles et bien prévues. Nous savons absolument ce que nous coûtent les PPP d'année en année. En ce qui concerne l'équipement informatique, puisque vous faites état de la situation de votre tribunal de grande instance, j'irai voir moi-même ce qu'il en est. Non que je ne vous fasse pas confiance mais parce que je puis vous assurer qu'en matière de réseaux, d'équipement et de début de mise à disposition des applications informatiques, nous avons déjà beaucoup progressé. Il n'est pas normal que cela ne se retrouve pas dans ce tribunal. Nous irons donc voir exactement ce qu'il s'y passe.
Quant aux moyens pour encadrer les frais de justice, nous y travaillons. D'ailleurs, ils sont aujourd'hui mieux encadrés, je l'ai dit tout à l'heure, même si nous devons encore progresser. Nous avons d'ailleurs de moins en moins de retard dans leur prise en charge. Sur l'ENM enfin, je le dis très clairement : l'ENM restera l'École nationale de la magistrature. Il est en revanche normal que la formation des magistrats évolue et qu'elle soit repensée, comme c'est régulièrement le cas. Dans le cadre de cette formation professionnelle, qui est et doit demeurer de très grande qualité, il n'est pas du tout inenvisageable qu'il existe un tronc commun ou des spécialisations communes aux magistrats et à d'autres acteurs de la vie publique et de l'intérêt général. L'existence de ce tronc commun et l'indépendance de la justice ne sont pas du tout antinomiques. Et, bien sûr, l'ENM restera à Bordeaux.
La commission, réunie en commission d'évaluation des politiques publiques, entend ensuite Mme Élisabeth Borne, ministre chargée des transports.
Nous vous accueillons, madame la ministre, dans le cadre un peu particulier des commissions d'évaluation des politiques publiques. Relèvent de votre ministère les programmes Infrastructures et services de transports et Affaires maritimes de la mission Écologie, développement et mobilité durables du budget général, le budget annexe Contrôle et exploitation aériens et les comptes d'affectation spéciale (CAS) Aide à l'acquisition de véhicules propres et Services nationaux de transport conventionnés de voyageurs.
Mon collègue Simian et moi-même avons décidé de nous concentrer sur le budget annexe Contrôle et exploitation aériens. Nos questions porteront donc sur la situation des services de la navigation aérienne. Les enjeux de modernisation sont importants, qu'il s'agisse de l'investissement ou des ressources humaines. Il y va notamment de la sûreté et de la sécurité du trafic aérien. Ce monde professionnel étant parfois méconnu du grand public, il me semblait important de lever le voile.
Le trafic aérien augmente fortement depuis plusieurs années. Le besoin capacitaire est donc important. Les services de la navigation aérienne sont soumis à la pression d'une croissance du trafic supérieure à 3 % en 2018. Cela se traduit par un besoin de modernisation, d'investissements, mais également de ressources humaines. Le programme d'investissement vise à doter près de 3 900 ingénieurs du contrôle de l'aviation aérienne d'outils permettant d'absorber ce trafic en forte hausse. Le nombre de vols contrôlés était de 3,2 millions en 2018 – correspondant pour moitié à des survols du territoire.
Mon collègue Simian et moi-même avons effectué des visites de terrain pour pouvoir étayer nos propos, vérifier l'exécution et observer l'évolution du métier de contrôleur aérien.
Fait assez remarquable, 75 % des ressources de ce budget sont procurées par les redevances aéronautiques, ressources dynamiques ces dernières années, mais aussi par la taxe de l'aviation civile et la taxe de solidarité. Rappelons enfin que l'école qui forme les ingénieurs de la navigation aérienne est également financée par ce budget.
L'enjeu pour la France est d'absorber les flux de trafic supplémentaires en minimisant les retards. Relever le défi capacitaire n'est pas seulement un enjeu économique, notamment pour les compagnies aériennes ; c'est aussi un enjeu environnemental, afin d'optimiser les trajectoires de vol et diminuer les émissions de gaz à effet de serre. Or, en France, les retards liés à la navigation aérienne s'élèvent à 1,9 minute par vol en moyenne, ce qui est bien plus élevé que l'objectif européen de 0,5 minute par vol.
Au sein de la direction générale de l'aviation civile (DGAC), la direction des services de la navigation aérienne (DSNA) est responsable d'un tiers de ces retards en Europe, alors qu'elle gère 20 % du trafic. Si un déficit de capacité touche toute la partie centrale de l'Europe, y compris l'Allemagne et le Benelux, en raison de fortes tensions sur les effectifs, s'y ajoutent pour la France des carences dans la mise en place d'un environnement « tout électronique » pour les contrôleurs aériens. Cette situation a d'abord tenu à des motifs budgétaires : lors de la crise de 2009, le choix a été fait de modérer les redevances pour préserver les compagnies aériennes. Cela a conduit à une explosion de l'endettement du budget annexe, dont les recettes d'exploitation ne couvraient plus les coûts fixes, et cela a limité l'investissement. Bonne nouvelle cependant, pour la première fois, en 2018, aucune avance de l'État n'a été nécessaire, et le désendettement a atteint 173 millions d'euros ; l'encours de la dette était de 805 millions d'euros à la fin de l'année 2018. C'est là une évolution plutôt positive.
À l'enjeu budgétaire se sont cependant ajoutés les défis du pilotage stratégique et opérationnel des programmes, dont des programmes de coopération sur de nouvelles technologies qui se sont révélés assez complexes. Surcoûts et reports ont révélé les limites de ce pilotage : ainsi le programme de modernisation 4-Flight, développé par Thales, affiche un surcoût de 300 millions d'euros – 850 millions d'euros budgétés aujourd'hui au lieu des 550 millions prévus en 2015.
Il y a aussi des réussites. Depuis 2016, l'environnement électronique Erato est installé à Brest et à Bordeaux pour un coût total de 127 millions d'euros, ce qui a permis d'avoir des solutions dites intermédiaires en matière de technologie dans le contrôle aérien. L'ensemble des centres « en route » bénéficient également de nouvelles fonctions conformes au règlement européen sur le data link, la transmission par texte de données entre les contrôleurs et les pilotes.
Je voulais également appeler votre attention, mes chers collègues, sur les recommandations formulées par nos collègues du Sénat. Nous ne considérons pas qu'il convienne d'implanter au plus vite le système Erato intermédiaire dans les centres utilisant encore des fiches papier comme celui de Reims, car ils viennent d'engager la transformation pour acquérir directement le système 4-Flight, le plus performant et le plus moderne technologiquement, et bénéficier ainsi de leviers beaucoup plus puissants pour optimiser la gestion des vols. Il conviendra, en revanche, d'assurer la bascule ultérieure des centres aujourd'hui équipés d'Erato, technique intermédiaire, vers le système 4-Flight.
Dans ses différents projets, la DSNA a fait le choix, pleinement justifié, de développer des systèmes spécifiques dont le socle sera suffisamment évolutif pour l'avenir. Contrairement aux idées reçues, il n'existe pas de produits sur étagère adaptés car il faut être capable d'intégrer des fonctionnalités évolutives attendues pour construire le ciel unique européen, en particulier au regard des exigences du programme européen de recherche Single European Sky Air Traffic Management Research, dit « SESAR ». Cela étant, développer des solutions en propre n'interdit pas de tenir compte d'autres utilisateurs et de chercher à en partager des composants, afin de bénéficier de gains ultérieurs par des cofinancements ou des ristournes d'industriels.
Madame la ministre, pourriez-vous indiquer quels objectifs vous avez fixés à vos services pour mutualiser les coûts et les risques liés au développement de systèmes et pour développer des partenariats au plan européen ? Nous insistons également sur le suivi de la réforme en cours de la direction de la technique et de l'innovation afin de ne plus conduire de projets en silos et pour associer pleinement les utilisateurs lors des différentes phases de définition des besoins et de réception des nouveaux systèmes.
En tant que rapporteurs spéciaux, il nous revient de veiller à l'accompagnement budgétaire fin de ce programme de modernisation essentiel ; cela nous a amenés à nous rendre à Reims et à Mérignac. L'an passé, un décret de virement puis la loi de finances rectificative ont permis de sécuriser 23 millions d'euros supplémentaires pour débloquer l'avenant Thales sur le projet 4-Flight. Cependant, des financements importants devront être sécurisés les deux ou trois prochaines années, et il n'est pas certain qu'ils soient entièrement compatibles avec le cadrage des dépenses du budget annexe établi par la loi de programmation des finances publiques (LPFP), qui se fondait sur des prévisions, devenues obsolètes, d'une croissance modérée du trafic aérien. Madame la ministre, où en sont donc vos négociations sur ce point avec le ministre du budget ? Quels montants d'investissements vous paraissent nécessaires pour le prochain triennal ?
Afin de justifier la sollicitation de crédits supplémentaires, nous vous suggérons d'identifier systématiquement, dans les documents budgétaires, à la fois les décalages et les surcoûts des différents programmes par rapport aux prévisions initiales, mais également l'estimation des gains en temps de contrôle aérien qualifié liés au déploiement des nouveaux systèmes et, à terme, les économies provenant de la baisse des charges des anciens systèmes. Quelles évolutions pourraient être apportées en ce sens dès le projet de loi de finances pour l'année 2020 ?
Nous relevons également que, depuis quelques années, la direction du budget applique à la DGAC une instruction comptable de 2010 qui contraint d'imputer en fonctionnement des dépenses d'équipements techniques pourtant indissociables de l'investissement – nous retrouvons là des problèmes évoqués par mon collègue Jerretie. Cette situation nuit à la lisibilité des programmes et porte atteinte à la sincérité budgétaire car ces dépenses, consommées en crédits de titre 3, sont présentées, au moment du projet de loi de finances, en prévisions de dépenses de titre 5. Avez-vous engagé des négociations avec les services du budget afin de mieux tenir compte des spécificités de l'aviation civile dans l'application de ces règles comptables et de permettre une présentation du budget plus lisible et plus sincère ?
Par ailleurs, la Commission européenne vient d'adopter les cibles de performance de la prochaine période de régulation dite « RP3 » 2020-2024. Il s'agit d'un dispositif de performance réellement contraignant puisqu'il est assorti de pénalités financières qui diminuent les recettes de redevances aériennes. Les objectifs d'évolution des coûts comme de limitation des retards paraissent ambitieux et risquent d'exposer la DSNA à des pénalités, certes de portée budgétaire limitée, mais qui semblent contre-productives. Des consultations doivent débuter à l'été afin de valider les plans nationaux établis sur ces bases. Pourriez-vous, madame la ministre, indiquer vos objectifs pour obtenir des marges de flexibilité tenant compte de la progression de la performance ou encore des dépenses engagées pour accroître la capacité et réduire les retards ?
Enfin, pour relever le défi capacitaire, la mise en place de nouveaux outils de navigation est indissociable d'une nouvelle organisation du travail des contrôleurs aériens. Le contrôle aérien reste avant tout une activité de main-d'oeuvre, impliquant un travail exigeant et « posté », comme nous avons pu le constater lors de nos visites sur le terrain. Même avec des systèmes d'information de plus en plus sophistiqués, le nombre de contrôleurs aériens effectivement disponibles reste un déterminant majeur de la capacité du trafic, ce qui pose la question du schéma d'emploi dans les prochaines années. Sur l'ensemble du budget annexe, le schéma d'emploi est à zéro en 2017, 2018 et 2019 : le remplacement de tous les départs en retraite est assuré, mais les effectifs des contrôleurs aériens ont diminué de 6,3 % depuis 2010 et ce mouvement de baisse se poursuivra en 2020 en raison de nombreux départs à la retraite et des délais de formation des contrôleurs en école ou en sortie d'école.
Prévues par le protocole social 2016-2018, des expérimentations de nouveaux cycles de travail ont été menées dans trois centres volontaires, dont Bordeaux et Reims ; nous avons pu le constater nous-mêmes. Elles permettent d'optimiser les tours de service aux différentes heures de la journée, et tout au long de l'année, pour éviter des situations de sous-effectifs dans les salles de contrôle lorsque le trafic est très dense, ou des sureffectifs lorsqu'il est plus calme.
La mise en oeuvre des expérimentations paraît concluante, mesurée par une augmentation des positions de contrôle dites « armées » de 15 à 20 % par rapport aux tours de service classiques. Ces expérimentations fournissent, à court terme, des leviers de productivité limitant les besoins de recrutements supplémentaires. Cependant ces nouveaux cycles de travail n'ont pas été mis en oeuvre dans l'ensemble des centres en route. Envisagez-vous de fixer des objectifs en ce sens ?
Enfin nous soulignons l'enjeu de la formation des personnels à la sortie de l'École nationale de l'aviation civile (ENAC) pour la mise en place des nouveaux systèmes de navigation. Les phases de transition sont très délicates car il n'est pas possible de former l'ensemble des contrôleurs sans prélever trop de ressources sur les équipes qui gèrent le trafic. Il est également nécessaire d'optimiser, en sortie d'école, les périodes d'accès aux différentes qualifications des ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne, afin d'accroître la part des agents pleinement opérationnels. Madame la ministre, quels leviers envisagez-vous de mobiliser en ce sens ?
En tant que rapporteur pour avis du programme 203 Transports terrestres et fluviaux et responsable du groupe La République en Marche pour l'examen de la loi d'orientation des mobilités (LOM), comment pourrais-je évaluer l'efficacité budgétaire des politiques relatives au transport sans parler de la loi de programmation des infrastructures de transport qu'examine actuellement notre Assemblée ? La visibilité des investissements est un enjeu central des politiques de mobilité, aussi bien pour le transport de voyageurs que pour le transport de marchandises, et j'ai déjà eu l'occasion de le dire lors de l'examen des deux derniers projets de loi de finances.
Il y a deux ans, le Gouvernement a lancé une stratégie globale de réflexion sur la suite à donner à la loi d'orientation des transports intérieurs, près de quarante ans après son adoption, en proposant une passerelle intellectuelle entre une vision centrée sur les infrastructures nouvelles et une politique de mobilité dont l'objectif est de permettre de faire mieux avec les infrastructures existantes, de régénérer les transports du quotidien pour remettre le citoyen au coeur des réflexions sur la mobilité.
Cette concertation a également été dotée d'un organe chargé d'apporter une vision financière des investissements selon deux critères : la soutenabilité et le réalisme. C'est alors que le Conseil d'orientation des infrastructures (COI), présidé par Philippe Duron, a permis de dégager une stratégie de programmation pluriannuelle des investissements à opérer dans le domaine des transports. Le rapport annexé à la LOM, qui fait référence au scénario 2 du COI et qu'il nous appartiendra de valider, nous permettra de fixer pour plusieurs années les choix stratégiques d'infrastructures et d'explorer toutes les possibilités qu'offrent les nouvelles technologies, la priorité stratégique étant donnée aux transports du quotidien et à la rénovation et l'amélioration des réseaux et services existants, priorité maintes fois affirmée par les précédents gouvernements, sans que les usagers l'aient encore réellement perçu dans les faits.
Je m'interroge, madame la ministre, sur la pérennisation du COI. Pourriez-vous nous préciser l'articulation des missions qui lui seront confiées en lien avec le principal opérateur du budget de ce programme 203 qu'est l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) ?
Ce n'est pas tout à fait le sujet, monsieur le rapporteur pour avis. Cette commission est chargée d'évaluer des politiques publiques et d'examiner l'exécution budgétaire 2018, non de s'immiscer dans la discussion en cours d'un projet de loi. Si nous voulons être efficaces, il nous faut traiter des sujets dont nous nous sommes saisis – sinon, on parle de tout...
Nos rapporteurs spéciaux ont souligné la nécessité de tout faire pour diminuer les retards de la navigation aérienne. Certains sont liés à l'obsolescence des outils de navigation, mais, puisque nous sommes ici pour parler assez cash sur l'exécution des budgets, rappelons qu'une part importante des retards tient aux grèves des contrôleurs aériens français, qui à eux seuls totalisent environ deux tiers des jours de grève des contrôleurs aériens en Europe. Certes, un dispositif de service minimum avec astreinte permet de désigner les personnels indispensables à l'exécution des missions et le délai de préavis, fixé à cinq jours, est parfaitement respecté par les syndicats. Cependant, l'ampleur des grèves est difficile à prévoir et cela désorganise les services, parce que les contrôleurs aériens ne sont pas soumis aux dispositions de la loi du 19 mars 2012 dite « loi Diard », qui oblige les salariés des compagnies aériennes et des aéroports à informer leur hiérarchie de leur intention de participer à une grève au moins 48 heures avant son déclenchement. Je m'en voudrais de déclencher une grève, surtout à la veille d'un week-end prolongé, en vous posant cette question, mais envisagez-vous quelque chose à ce sujet ?
Ma deuxième question porte sur le compte d'affectation spéciale (CAS) Services nationaux de transport conventionnés de voyageurs, qui sert à financer les trains d'équilibre du territoire (TET). La Cour des comptes estime, dans sa note d'analyse de l'exécution budgétaire, que ce CAS devrait être supprimé dans la mesure où, en en fait, il consiste à affecter une recette prélevée sur la SNCF à un service que la SNCF rend à l'État, ce qui pourrait être plus baroque qu'orthodoxe. Envisagez-vous donc de rebudgéter les recettes et de financer de manière beaucoup plus classique ces services par des crédits de la mission Écologie, développement et mobilité durables ? Je n'insisterai pas sur les indicateurs de performance en matière de TET ; nous en avons souvent parlé.
En matière d'entretien et de régénération du réseau routier national non concédé, l'efficacité de la dépense est conditionnée par la performance des interventions qui relèvent des directions interrégionales des routes (DIR). Un audit externe, conduit en 2017 et 2018, avait identifié des pistes d'optimisation de l'entretien et de l'exploitation du réseau. Quelles conséquences en avez-vous tirées concernant l'organisation des services de l'État, les effectifs des DIR et le recours à des prestataires extérieurs ?
Du point de vue de la navigation aérienne française, ces dernières années ont été marquées par un trafic contrôlé en forte croissance. La question de la soutenabilité de cette croissance se pose aujourd'hui, et j'ai insisté en conclusion des Assises nationales du transport aérien sur le fait qu'une acceptabilité par nos citoyens était un prérequis. Je suis particulièrement attentive aux actions de réduction des nuisances sonores et au respect des trajectoires autour des aéroports, et j'ai demandé qu'un projet de grande envergure soit lancé pour généraliser les descentes dites « douces » de jour comme nuit à l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle à l'horizon 2023. Cette croissance soutenue a montré les limites des capacités actuelles du système de contrôle aérien français, puisque le retard par vol a augmenté de 70 % entre 2017 et 2018, ce qui, en termes de qualité de service, n'est pas acceptable pour les passagers et pénalise la performance environnementale, en conduisant à des surconsommations de carburant pour éviter les zones d'espace aérien saturées.
La congestion de l'espace aérien n'est pas spécifique à la France, elle touche aussi le reste de l'Europe, en particulier l'Allemagne et le Benelux, qui souffrent d'un déficit de contrôleurs aériens. C'est une conséquence du cadrage imposé par la régulation économique européenne du ciel unique pour la période 2012-2019, qui n'avait sans doute pas assez anticipé les besoins de cette fin de décennie.
La situation nationale a effectivement été d'autant plus difficile en 2018 que la DSNA a dû gérer d'avril 2018 à juillet 2018 un mouvement social au centre de contrôle régional d'Aix-en-Provence très pénalisant pour le trafic européen ; par ailleurs, le développement du système 4-FlightCoflight pour la modernisation technique du contrôle en route a pris du retard, ce qui a affecté la performance de l'ensemble du système.
Le retour à un niveau acceptable de capacité du contrôle aérien français est une priorité, au même titre que la sécurité des vols et le développement durable du transport aérien. Ce sont des enjeux stratégiques pour les prochaines années. Il est donc indispensable de réunir rapidement les moyens techniques et humains. Il s'agit notamment de recruter et qualifier des contrôleurs aériens supplémentaires.
Dans l'attente, il importe de poursuivre les réorganisations nécessaires de la DSNA, dans le cadre d'un dialogue social constructif, pour accompagner la mise en oeuvre des systèmes modernisés tout en adaptant les tours de service aux besoins. Des gains significatifs ont ainsi été obtenus, en application du protocole social 2016-2019, notamment à Reims, Brest et Bordeaux, ainsi que dans les tours de contrôle de Roissy, Lyon et Nice, mais, effectivement, des oppositions locales, en particulier à Aix-en-Provence, ont limité les évolutions.
Sur le plan technique, le Gouvernement investit pour réussir la modernisation des systèmes de navigation aérienne – on peut regretter les retards –, ainsi que les déploiements opérationnels prévus dans le programme européen SESAR.
Pour la gestion des grands programmes de modernisation de la navigation aérienne, j'attends de la DSNA que ses méthodes soient aux meilleurs standards dans le cadre d'une relation équilibrée avec les industriels. Je serai évidemment très attentive au respect des différentes étapes prévues dans la conduite du projet 4-Flight.
Dans le cadre du ciel unique européen, les États comme la Commission ont un rôle à jouer dans l'adoption d'objectifs de performance économique adaptés à ce contexte particulier de déficit de capacité pour la période 2020-2024. Il est nécessaire qu'un équilibre économique soit trouvé entre la baisse des redevances de navigation aérienne au profit des compagnies et les investissements massifs à réaliser pour moderniser les systèmes techniques.
Vous insistez à juste titre sur le besoin de moderniser la conduite des programmes techniques et d'innovation de la DSNA, et de développer les partenariats européens.
Avec à sa tête un nouveau directeur recruté en interministériel, la direction technique et de l'innovation de la DSNA doit effectivement se réformer pour mieux assurer ses missions et préparer l'avenir. J'ai également souhaité qu'un comité de pilotage externe soit mis en place et s'assure du bon déroulement de ce programme. J'ai donné des orientations précises : une meilleure maîtrise des programmes complexes tels que 4-Flight et SYSAT, associant capacité d'innovation, réorganisation des processus et des services et pilotage des fonctionnalités ; des coûts et des délais au plus près des besoins des utilisateurs.
Vous notez l'impossibilité d'acheter sur étagère des systèmes complexes de contrôle aérien, à plus forte raison si l'on veut qu'ils soient capables d'évoluer aux standards technologiques futurs du programme SESAR et respecter les nouveaux standards d'assurance logicielle et de cybersécurité, dans le cadre de nouveaux partenariats européens. Pour la DSNA, le coeur du futur système de contrôle aérien sera le système de traitement de données de vol Coflight, qui est une brique essentielle du système 4-Flight et alimentera l'ensemble de nos centres de contrôle en route et de nos tours de contrôle. Coflight est bien développé dans cet esprit, dans le cadre d'une coopération franco-italienne associant les industriels Thales et Leonardo, selon les standards d'interopérabilité du ciel unique européen.
Il est stratégique d'étendre cette coopération pour que nos systèmes constituent l'un des piliers du ciel unique européen. La DSNA est à ce titre en discussion avec le consortium COOPANS, qui regroupe la Suède, l'Irlande, le Danemark, l'Autriche, la Croatie et le Portugal, eux aussi clients de Thales, pour préparer l'intégration dans leurs systèmes de Coflight à l'horizon 2025. De plus, la DSNA mène depuis plusieurs années avec son partenaire suisse Skyguide un projet pilote de fourniture opérationnelle à distance des données de vol Coflight.
Cette virtualisation des systèmes techniques de contrôle aérien a été saluée comme un axe technologique majeur pour la défragmentation du ciel unique européen, dans le cadre de l'étude d'architecture de l'espace aérien qui a été remise à la Commission européenne au mois de mars 2019 par l'entreprise commune SESAR et l'organisme Eurocontrol.
S'agissant de la préparation budgétaire, le cadrage des dépenses du budget annexe Contrôle et exploitation aériens dans la LPFP 2018-2022 se fondait sur des prévisions de croissance modérées du trafic aérien qui sont devenues obsolètes. La LPFP reposait effectivement sur l'hypothèse d'une augmentation de 5 % du trafic entre 2016 et 2023. Cette augmentation devrait plutôt être comprise entre 17 % et 20 % ; le constat en a été fait lors de la réunion technique de mars dernier et des premiers échanges entre la DGAC et la direction du budget sur le triennal à venir.
Vous aurez compris que je suis attachée à ce que l'on rétablisse au plus vite un niveau de capacité de contrôle aérien acceptable. Les autres missions de la DGAC, en particulier en matière de sécurité, de sûreté et d'environnement, sont évidemment aussi l'objet de toute mon attention. Je souhaite que le projet de loi de finances (PLF) pour 2020 – et, plus largement, le triennal – actionne tous les leviers nécessaires. En particulier, il devra permettre des recrutements de contrôleurs aériens aussi dynamiques que dans les pays voisins : à titre d'exemple, l'Allemagne embauche actuellement au rythme de 120 contrôleurs par an.
Je vous parlerai dans quelques instants du protocole social en cours et dont l'application se termine. Le PLF 2020 devra aussi acter le principe d'un nouveau protocole 2020-2024 pour accompagner les réformes et dégager la productivité attendue.
S'agissant enfin des investissements, vous vous souvenez qu'aux termes de la loi de finances pour 2019, le niveau des investissements est passé de 250 à 300 millions d'euros. La DGAC travaille actuellement avec les équipes du budget pour consolider un plan de financement ambitieux, nécessaire à la modernisation des systèmes de navigation aérienne.
Il nous faudra des résultats rapides. Évidemment, ces mesures auront un coût, mais nous devrions profiter au maximum de la logique du budget annexe, tout en veillant à la poursuite de son désendettement et en continuant à maintenir les tarifs de redevances de navigation aérienne au niveau très compétitif qui est le leur par rapport à nos voisins européens.
Je vous rejoins sur le besoin de compléter et renforcer l'information du Parlement sur l'état d'avancement des programmes d'investissement et de modernisation de la navigation aérienne. Le rapport annuel de performances 2018 du programme 612 Navigation aérienne fait d'ores et déjà explicitement mention des évolutions de coût annuel de ces grands programmes de modernisation. L'analyse et les échanges que vous avez menés dans le cadre de cette évaluation parlementaire de l'exécution 2018 nous seront particulièrement utiles pour compléter les documents budgétaires dans le sens de vos attentes.
Je propose dans le cadre du prochain PLF d'expliciter encore plus clairement, dans le projet annuel de performances, à la fois des éléments de coûts annuels et pluriannuels et des éléments sur les risques pour chacun des programmes d'investissement. En particulier, les décalages et surcoûts éventuels par rapport aux prévisions initiales ainsi que les gains opérationnels et économiques seront clairement identifiés.
Je vous confirme que la DGAC applique scrupuleusement les instructions comptables de la direction du budget. Et, effectivement, un volume important du programme d'investissement de la DSNA fait l'objet en gestion d'une fongibilité des crédits du titre 5 vers le titre 3, en application de cette instruction comptable de 2010. Il s'agit de dépenses d'accompagnement des programmes techniques – notamment l'assistance à la maîtrise d'ouvrage et la sous-traitance de certaines tâches techniques – mais également d'achats d'équipements informatiques et électroniques d'un prix unitaire inférieur à 10 000 euros et qui à ce titre doivent comptablement être réimputés en fonctionnement même s'ils sont une partie fonctionnellement essentielle du programme d'investissement. Il ne m'appartient pas de me prononcer sur les méthodes d'imputation comptable, qui relèvent des instructions générales du ministère des finances.
En revanche, je suis naturellement sensible aux questions de transparence budgétaire que vous soulevez. Je m'attacherai à ce que l'information financière fournie au Parlement aussi bien en préparation de la loi de finances qu'en compte rendu d'exécution soit complétée en tant que de besoin pour permettre une présentation parfaitement sincère de la prévision et de l'exécution financière du programme de modernisation technique de la DSNA.
Comme vous l'indiquez fort justement, les objectifs adoptés par la Commission et les États pour la performance de la navigation aérienne au niveau de l'Union pour la période 2020-2024 sont très ambitieux, aussi bien du point de vue opérationnel que du point de vue économique. Pour les pays qui, comme la France, sont le plus soumis à une croissance du trafic importante alors que les baisses d'effectifs de contrôleurs ont été sensibles ces dernières années, ils paraissent effectivement difficiles à atteindre. Il a été obtenu au comité du ciel unique européen que la déclinaison nationale de ces objectifs globaux tienne compte des spécificités nationales lorsque des investissements importants sont indispensables pour restaurer une capacité de contrôle suffisante, aussi bien du point de vue des recrutements de contrôleurs aériens que du point de vue des investissements de modernisation technique. C'est le cas de la France ; nous le faisons valoir.
Pour ce qui concerne les nouvelles organisations du travail des contrôleurs aériens prévues par le protocole social 2016-2019, je vous confirme que les expérimentations menées dans les centres en route de Reims, Brest et Bordeaux ont été très favorables. Je regrette qu'il n'ait pas été possible de faire de même à Aix-en-Provence et Athis-Mons.
Je note cependant que l'esprit et la lettre du protocole social ont été respectés : les contrôleurs ont bénéficié de revalorisations salariales spécifiques dans les centres expérimentateurs, mais à la condition de trouver un accord social local performant et bénéficiaire pour le transport aérien. Dans le cadre de la négociation sociale qui s'engagera pour la période 2020-2024, je souhaite naturellement que puisse être négociée la généralisation à tous les centres de telles dispositions performantes. Je serai aussi attachée à ce que ce principe d'expérimentation « donnant-donnant » puisse de nouveau être appliqué, en réponse aux besoins les plus pressants de productivité et de réorganisation qui ne trouvent de solutions vraiment satisfaisantes et adaptées, centre de contrôle par centre de contrôle, que lorsque des accords locaux réellement ambitieux sont trouvés.
Vous m'interrogez sur les leviers à mobiliser dans le cadre de la formation des personnels pour la mise en place des nouveaux systèmes de navigation. Je vous confirme que la question de l'organisation des formations de contrôleurs, à l'ENAC comme dans les centres de contrôle aérien, est un enjeu crucial pour la DGAC, sachant que les recrutements et la modernisation technique ne porteront pleinement leurs fruits qu'à l'horizon 2023-2024, et donc que tous les leviers de productivité devront être recherchés pour la période de transition.
Il faudra à la fois qualifier plus vite les contrôleurs nouvellement recrutés, en optimisant les plans de formation de qualification initiale dans les centres formateurs, et rendre encore plus productive l'organisation du travail dans les centres de contrôle pour limiter l'impact opérationnel de la charge de formation au nouveau système 4-Flight sur l'offre de capacité de contrôle en pointe.
Quant aux conflits sociaux, je l'ai dit, l'ensemble du système a effectivement été perturbé par les grèves au centre de contrôle d'Aix-en-Provence. Nous devons évidemment respecter le droit de grève, qui a valeur constitutionnelle, mais aussi garantir la continuité du service et la qualité du transport aérien. Une proposition de loi a pu être débattue au Sénat ; je pense qu'elle a été transmise à l'Assemblée nationale. Il me semble effectivement souhaitable de poursuivre la discussion sur la prévisibilité du contrôle. Nous avons des obligations internationales à respecter et il est de l'intérêt de chacun de pouvoir anticiper sur le niveau de mobilisation à l'occasion des mouvements de grève.
Pour ce qui est de la débudgétisation du CAS TET...
.. l'intérêt du CAS, qu'il me paraît important de conserver, est de donner de la visibilité et de la traçabilité au financement des TET, qui jouent un rôle très important en termes d'aménagement du territoire ; j'y suis très attachée, même si nous pouvons discuter des modalités budgétaires : ces CAS sont, on le sait, soumis à un certain nombre de contraintes.
La régénération est également une priorité : les crédits de régénération routière ont augmenté de 100 millions d'euros dès 2018. Notre objectif est de continuer dans la même voie ; cela figure dans les objectifs de la loi de programmation, annexés au projet de loi d'orientation sur les mobilités dont nous débattrons dans l'hémicycle la semaine prochaine.
Le débat sur les 80 kilomètres heure a fait couler beaucoup d'encre et a entraîné des dégradations sur les radars estimées à 84 millions d'euros. L'effondrement des recettes tirées du CAS Contrôle de la circulation et du stationnement routiers, également appelé « CAS Radars », a fragilisé une des ressources de l'AFITF, dernière affectataire et la seule à subir une perte d'environ 200 millions d'euros. Ces difficultés se prolongent en 2019, creusant l'écart entre le budget initial 2019 de l'AFITF et la prévision de la loi de finances – pourtant maintenue dans la LOM. Madame la ministre, pourriez-vous indiquer vos intentions concernant le redéploiement de nouvelles recettes vers l'AFITF, à la hauteur de la programmation que nous avons approuvée ?
Ma question portera sur le fret. L'exécution 2018 de l'enveloppe des concours fret était censée compenser les coûts d'utilisation du réseau ferroviaire par le fret non couverts par les péages. En pratique, elle sert à supporter la quasi-totalité des annulations de crédits – 10 millions d'euros consommés en 2018, pour 127 millions d'euros inscrits.
L'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER) a proposé de remplacer le dispositif actuel de compensation et de concours fret versés à SNCF Réseau par des aides directes aux entreprises concernées. Au vu de votre implication dans le plan fret, pourriez-vous nous apporter des précisions ?
Lors du dernier Comité interministériel de la mer (CIMER), le Premier ministre l'a rappelé : nous devons construire une ambition maritime à la hauteur de notre temps et de notre monde. Pour moi, cette ambition passe par une économie bleue un peu plus verte. Le monde maritime doit réussir sa mue écologique. C'est une demande forte de nos concitoyens : sur les 300 000 contributions relatives à la mer recueillies dans le cadre du Grand débat national, plus de 90 % étaient à tonalité environnementale.
Bien sûr, rien ne se fera sans les armateurs. C'est pourquoi nous avons adopté à l'automne dernier une mesure de soutien à leurs investissements dans les technologies propres. Mais les grands ports maritimes ont aussi un rôle à jouer en s'équipant pour proposer du courant à quai et des solutions d'avitaillement des navires en gaz naturel liquéfié (GNL). C'est pourquoi j'ai souhaité évaluer la politique étatique en matière de soutien aux investissements portuaires – j'y reviendrai un peu plus tard.
Par ailleurs, dans le cadre de la mission de contrôle qui m'incombe, je me suis rendu en Martinique en février dernier afin de constater sur place l'utilisation conforme des crédits et d'évaluer la performance de la politique maritime dans ce territoire où se trouvent les services compétents pour toute la zone Antilles-Guyane. J'aurai l'occasion d'illustrer mes propos avec mes constats, mais je tiens d'ores et déjà à réaffirmer que nous ne pouvons penser la politique maritime sans l'outre-mer. La question maritime est incontournable pour ces territoires principalement insulaires. La Martinique en est un bon exemple : son économie repose en grande partie sur l'économie bleue et la pollution du milieu marin représente un enjeu économique de taille.
En loi de finances initiale, 161,82 millions d'euros avaient été ouverts au titre du programme 205. Fin 2018, 162,79 millions ont été consommés, ce qui représente un écart de 970 000 euros, qui s'explique notamment par une surexécution de 5 % des crédits dédiés à la compensation aux organismes sociaux des exonérations de charges patronales consenties aux armateurs. Pourquoi un tel dépassement ? Comme vous le savez, depuis la loi du 20 juin 2016 pour l'économie bleue, dite « loi Leroy », les armateurs employant des marins affiliés aux organismes sociaux français sont intégralement exonérés du paiement des charges sociales patronales, quelle que soit leur activité – transport de passagers ou fret. Un article du projet de loi de finances pour 2018 prévoyait de revenir à la situation antérieure à 2016, dans laquelle l'exonération intégrale ne bénéficiait pas à tous les armateurs. Or cet article a été supprimé au cours de la discussion budgétaire, ce qui a fait passer le montant des crédits dédiés de 64 à 81 millions d'euros. En fin d'année 2018, 85 millions d'euros ont été consommés, au lieu de 81 millions.
En fait, la mise en oeuvre du dispositif de 2016 avait été conditionnée à sa validation par la Commission européenne au regard de la réglementation sur les aides d'État. De 2016 à 2018, la Commission n'a pas fait connaître sa position ; elle a enfin rendu une décision favorable en décembre dernier. Dès lors, la direction des affaires maritimes a versé aux organismes sociaux les charges dont certains armateurs s'étaient exonérés sans attendre cette validation, entre 2016 et 2018, ce qui l'a conduit à dépasser le budget imparti. Un an auparavant – autrement dit en 2017 –, faute d'avoir été consommés, les crédits budgétés pour l'extension du dispositif d'exonération de charges avaient été annulés.
Ce « fait saillant » de l'exécution du budget 2018, comme le désigne la Cour des comptes, appelle deux remarques : il n'est pas à exclure que les armateurs qui ne s'étaient pas auto-exonérés entre 2016 et 2018 réclament a posteriori le remboursement de leurs charges. Ce risque budgétaire a été chiffré à 10 millions d'euros – non budgétés à ce jour. En outre, cet exemple pose la question du risque budgétaire associé au décalage entre le vote d'un dispositif et sa validation par la Commission européenne. En l'espèce, pendant deux ans, le responsable de programme n'a pas pu calibrer correctement les crédits, faute de connaître précisément la date d'entrée en vigueur de cette mesure. Madame la ministre, comment éviter une telle situation à l'avenir ?
Le dispositif de suramortissement pour l'achat de navires au GNL voté en loi de finances pour 2000 est lui aussi conditionné à cette validation. Dans quel délai pensez-vous que nous puissions raisonnablement l'obtenir ?
La surexécution des crédits de l'action 3 a été largement couverte par des fonds de concours et attributions de produits plus importants que prévu, de même que par des crédits non consommés sur d'autres actions. Ainsi, le budget dédié au fonctionnement des centres de sécurité des navires (CSN) n'a été consommé qu'à hauteur de 83 %. On peut regretter ce niveau d'exécution plutôt faible par rapport à la moyenne du programme, car ces crédits auraient précisément pu être employés à renforcer leurs interventions – j'ai moi-même constaté des disparités dans l'action des CSN sur le territoire.
Les inspecteurs de ces centres sont chargés de contrôler le respect par les navires des normes de la convention internationale pour la prévention de la pollution marine par les navires, dite MARPOL – pour maritime pollution – en matière de taux de soufre dans les combustibles marins. Or, en Martinique, j'ai pu constater que ce contrôle n'était pas effectif, ce dont je vous ai informé par courrier, madame la ministre : la direction de la mer se limite à un contrôle documentaire, faute de laboratoire accrédité sur place pour analyser des échantillons, alors même que ces analyses doivent normalement permettre de confirmer une infraction. La direction de la mer a indiqué rechercher activement une solution ; je ne doute pas que vous veillerez à ce qu'elle soit trouvée. Mais qu'en est-il dans les autres territoires ultramarins ?
J'en arrive à l'exécution de l'action 43 du programme 203, qui regroupe des crédits budgétaires finançant les travaux de dragage des grands ports maritimes, et des crédits ouverts par voie de fonds de concours versés par l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) pour le financement des infrastructures portuaires. Fin 2018, plus de 150 % des crédits budgétés sur cette action ont été exécutés, hors fonds de concours. Ces crédits ont permis à l'État de prendre en charge la quasi-totalité des frais de dragage de neuf grands ports maritimes, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter. En outre, les crédits ouverts par voie de fonds de concours ont servi à cofinancer une vingtaine de projets portuaires. La prise en charge des frais de dragage est un élément déterminant de la capacité des grands ports maritimes à investir.
J'en viens à mon développement relatif à l'évaluation de la politique de l'État en matière de soutien aux investissements portuaires. Lors du CIMER de 2018, le Premier ministre a annoncé une nouvelle stratégie portuaire, dont la transition écologique devrait être un axe fort, qui coïncide avec le renouvellement des instances de gouvernance des grands ports. Les nouveaux projets stratégiques devraient donc reprendre cet objectif et le décliner dans leurs programmes d'investissement. C'est l'opportunité d'y inscrire des projets tels que l'achat de barges avitailleuses en GNL pour le soutage des navires en mer, la conversion de terminaux méthaniers ou encore le déploiement de bornes d'alimentation électrique à quai. Ces projets pourraient alors solliciter un financement étatique auprès de l'AFITF. Pour le moment, l'agence ne consacre que 50 millions d'euros par an au transport maritime, soit seulement 2 % de son budget...
L'amélioration de la capacité d'autofinancement des acteurs portuaires peut pallier en partie la faiblesse du financement de l'État par le biais de l'AFITF. La notion de port entrepreneur – les ports financent eux-mêmes leurs investissements – réaffirmée dans la nouvelle stratégie portuaire va dans le bon sens. Dans cette optique, la prise en charge à 100 % de leurs dépenses de dragage est un effort très apprécié. Il permet aux acteurs portuaires de conserver des marges de manoeuvre pour investir. Les ports attendent aussi que leur régime fiscal soit stabilisé, suite à leur assujettissement récent à l'impôt sur les sociétés et à la taxe foncière sur les propriétés bâties. Ce n'est pas encore le cas.
C'est l'engagement de tous les acteurs qui permettra au monde maritime d'opérer cette transition écologique. Mais je crois aussi qu'il est de la responsabilité de la France, et même de son intérêt, en tant que grande nation maritime, d'être à l'avant-garde sur ces questions.
Je conclurai sur la création d'une zone de réglementation des émissions de polluants (emission control area-ECA) en Méditerranée. Elle fait l'objet de négociations internationales. En attendant qu'elles aboutissent, la pollution atmosphérique perdure. La France ne pourrait-elle faire le pari de l'exemplarité, en fixant une teneur en soufre des carburants marins limitée à 0,1 % dans ses eaux territoriales ? Je sais bien que vous allez me répondre que cela aurait un impact négatif sur l'économie de nos ports. Mais quel serait-il exactement ? Pourriez-vous vous engager à commander une étude sur l'incidence pour la compétitivité de nos ports d'un durcissement des normes de teneur en soufre des carburants marins à la seule échelle nationale ?
Tout d'abord, s'agissant de l'AFITF, on pourrait qualifier d'« accident industriel » ce qui s'est produit pour les recettes d'amendes des radars en 2018. Nous avons pu absorber cette baisse de recettes sans dommage pour la programmation grâce à des économies sur le solde de la convention d'exploitation des TET, du fait du retard technique de quelques opérations. Pour 2019, nous prévoyons d'endiguer le manque de recettes des amendes par la mobilisation de recettes exceptionnelles et par un meilleur partage des amendes perçues – cela devrait vous être soumis lors de la discussion du projet de loi de finances rectificative.
Par la suite, plusieurs pistes s'offrent à nous : vous l'aurez peut-être noté lors des discussions en commission sur le projet de loi sur les mobilités, le Gouvernement a donné un avis favorable à un amendement prévoyant d'affecter le solde de la taxe de solidarité sur les billets d'avion, dite « taxe Chirac », qui contribue actuellement au désendettement du budget annexe de l'aviation civile, à l'AFITF. Le Sénat a également voté une disposition – qui a été maintenue en commission à l'Assemblée – permettant d'affecter à l'AFITF la totalité des recettes décidées à la suite à l'abandon de l'écotaxe – 2 centimes sur les véhicules légers et 4 centimes pour les poids lourds. Enfin, même si cela relève du projet de loi de finances, il me paraît possible de viser le maintien de la part de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) affectée en 2019. Enfin, nous continuons à étudier des pistes complémentaires, en recherchant la contribution des activités ou des modes de transport les plus polluants et les plus impactants pour l'environnement afin d'alimenter l'effort d'investissement dans une mobilité plus propre et partagée, objectif que soutient l'AFITF.
Le fret fait l'objet de deux types de soutien : d'une part, une « compensation fret » qui couvre la différence entre le coût des circulations de fret pour SNCF Réseau et les redevances facturées aux entreprises ferroviaires ; d'autre part, le « concours fret » qui vise à financer la quote-part des coûts fixes de gestion de l'infrastructure imputable au fret. Cette dernière dépense n'a pas le statut de dépense obligatoire ; les montants effectivement versés chaque année tiennent compte des contraintes budgétaires. Ainsi, 10 millions d'euros ont été versés au titre de l'exercice 2018.
En réponse aux observations de l'ARAFER, des échanges techniques ont été engagés entre les services de mon ministère et la Commission européenne sur la façon de garantir au mieux la conformité de la compensation fret avec les règles applicables en matière d'aides d'État. On peut envisager de verser des aides aux entreprises, mais mon objectif premier est de sécuriser le dispositif, pour éviter ensuite des requalifications en aides d'État incompatibles.
S'agissant des sujets maritimes et portuaires, malgré les incertitudes liées à l'extension des exonérations de charges patronales pour les navires soumis à la concurrence internationale, vous aurez noté que le programme 205 a été exécuté à hauteur de 99 % en 2018. Vous avez raison, on a observé un retard répété, d'année en année, de la mise en oeuvre de ce régime d'exonération, qui s'explique notamment par le fait qu'en 2016, la Commission européenne a changé sa doctrine d'application des orientations communautaires existantes, exigeant que les marins embarqués sur des navires communautaires soient également exonérés. En outre, cette disposition a été adoptée dans le cadre d'un projet de loi sans qu'on ait préalablement notifié le régime d'aide à la Commission. Il a donc fallu le faire a posteriori. Nous devrions retenir la leçon : quand on souhaite inclure un dispositif d'aide dans un projet de loi, il est préférable de l'avoir préalablement notifié, ce qui évite les décalages qu'on a pu observer.
S'agissant du contrôle sur la conformité des carburants, vous avez raison, en Martinique, il est effectué sur la base d'un contrôle documentaire et physique, seul un laboratoire accrédité pouvant réaliser les analyses. La société de contrôle titulaire du marché actuel en Martinique pourrait ouvrir un laboratoire sur place. Un autre laboratoire vient également d'être identifié – son accréditation est en cours. C'est la bonne démarche : accréditer localement des laboratoires capables de faire ces contrôles. La piste alternative, qui consiste à rapatrier des échantillons vers la métropole, est une piste dégradée, non opérante dans la durée.
La mise en oeuvre de la zone ECA va nous permettre de franchir un seuil important : les nouvelles normes de l'Organisation maritime internationale vont permettre de diviser par sept les émissions de soufre, ce qui est assez substantiel. Appliquer des restrictions ou des règles plus exigeantes au niveau national risquerait d'être peu efficace : les navires auraient tout loisir de s'approvisionner dans les ports voisins et la pollution pourrait arriver sur nos côtes. Les bénéfices de santé publique – c'est bien cela que l'on recherche – ne seraient alors pas au rendez-vous. Nous agissons très fortement pour obtenir un accord et nous progressons, puisqu'après l'Espagne, l'Italie vient de nous rejoindre.
Un dernier point sur les investissements portuaires : ils sont réalisés dans le cadre des contrats de plan État-région (CPER). Améliorer la capacité d'autofinancement de nos ports est une bonne solution – c'est plus sain. C'est ce que nous visons avec la prise en charge intégrale des coûts de dragage, budgétée pour 2019. Nous sommes évidemment attentifs aux impacts fiscaux importants pour les ports de l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés. Nous avons procédé à une réévaluation comptable des actifs des ports : en conséquence, l'effet de leur entrée dans l'impôt sur les sociétés va être largement atténué. En outre, un cadrage a été réalisé pour tenir compte des actifs d'intérêt public, qui ne devraient pas être assujettis à la taxe foncière. Cette clarification du cadre fiscal permettra aux ports de conforter leur modèle économique, qui sera encore renforcé dans le cadre de la stratégie logistique et portuaire, en cours d'élaboration.
Mes questions concernent la prime à la conversion des véhicules, mise en place en 2018. C'est un dispositif assez consensuel car, bien calibré, il est susceptible de favoriser l'acquisition de véhicules plus propres – y compris d'occasion –, de contribuer à la baisse des émissions de polluants et à l'amélioration de la qualité de l'air. Je comprendrais que vous n'ayez que des éléments partiels et non stabilisés de réponse. En 2018, combien de véhicules ont été mis au rebut ? Quelle proportion de ménages non imposables a bénéficié de la prime ? Y a-t-il des spécificités de répartition régionale, certaines régions ont-elles davantage utilisé ce dispositif que d'autres ? La dynamique se poursuit-elle au cours du premier semestre 2019 et l'objectif du Gouvernement, qui est d'atteindre encore plus de ménages, vous semble-t-il réalisable ?
Le coût complet des politiques publiques portées par les missions qui nous occupent ce soir peut être évalué à 25,13 milliards d'euros en 2018. Pour la première fois en 2018, les dépenses des opérateurs – 43 % des dépenses totales de la mission – sont supérieures aux dépenses budgétaires de l'État – 39 %. Les dépenses fiscales représentent quant à elle 18 % des dépenses totales. Cela traduit une montée en puissance du rôle des opérateurs dans la mise en place des politiques publiques portées par la mission.
Dans ce contexte d'augmentation des dépenses des opérateurs – notamment celles de l'AFITF, celles de la Société du Grand Paris, celles des agences de l'eau ou celles de l'Agence française pour la biodiversité –, l'exercice de tutelle est essentiel pour bien contrôler la dépense publique, mais aussi piloter les politiques publiques de la mission. Pourtant, il est encore trop partiel pour vos trente-six opérateurs. Du reste, la Cour des comptes s'en est fait l'écho et déplore que seulement seize agences, soit moins de la moitié, aient signé un contrat d'objectifs et de performance. Pour les dix-sept autres, le contrat est en cours d'élaboration ou de renouvellement, pour certaines, « depuis fort longtemps » – je cite la Cour.
Deux des plus grands opérateurs ne sont toujours pas dotés d'un contrat d'objectifs et de performance : l'AFITF et la Société du Grand Paris. Alors que le rôle des opérateurs n'a jamais été aussi important, le Gouvernement va-t-il s'engager à renforcer leur tutelle, notamment en finalisant la signature de ces contrats ?
Les dépenses d'investissement du programme 203 financent très majoritairement des infrastructures routières. Au total, les dépenses d'investissement dans le domaine routier s'élèvent à 1,5 milliard d'euros en crédits de paiement, soit une augmentation de 16 % par rapport à 2017. Or les transports représentent 30 % des émissions de gaz à effet de serre en France. Les niches fiscales perdurent : ainsi le remboursement de TICPE attribué au transport routier pour lui offrir un avantage concurrentiel sur le rail a représenté un manque à gagner de plus de 1 milliard d'euros pour l'État en 2018.
Depuis 1990, en France, nous finançons la route sur fonds publics à hauteur de 66 %, contre seulement 17 % pour le rail. D'après l'indicateur 3.1 de la mission, la part modale du transport ferroviaire dans le transport intérieur terrestre de marchandises est toujours inférieure à 10 %, preuve une fois de plus du fiasco de son ouverture à la concurrence. L'annonce récente de la suppression de la ligne de fret entre Rungis et Perpignan et, en conséquence, le déploiement de quatre-vingts camions supplémentaires par jour sur les routes pour le transport de denrées alimentaires en est le dernier exemple. Où en sont les discussions censées régler cette ineptie ?
Le projet de loi sur les mobilités ouvre la possibilité de transférer la gestion des petites lignes aux collectivités. Mais, dans un contexte de pressions budgétaires accrues, ces lignes risquent de disparaître du fait du manque de moyens des collectivités. Cinquante-six lignes et cent vingt gares – soit un tiers du réseau – sont menacées de fermeture, à croire le rapport Spinetta sur l'avenir du transport ferroviaire. Je profite de l'occasion pour marteler que, bien qu'il augmente les investissements en faveur du ferroviaire, le projet de loi sur les mobilités dont nous débattons actuellement ne répond absolument pas à l'urgence et prévoit la réalisation de grands projets inutiles, tels que le Lyon-Turin ou d'autres lignes à grande vitesse en partenariat public-privé.
Enfin, j'aimerais savoir où nous en sommes de la fameuse dette de la SNCF. La Cour des comptes signale que les engagements de l'État de reprendre les 35 milliards d'euros de dette n'ont pas eu d'impact budgétaire en 2018, mais qu'à partir de 2020, les premiers remboursements à la charge de l'État devraient intervenir. Pourrions-nous avoir des détails ? Confirmez-vous les calculs de l'Institut national de la statistique et des études économiques qui prédisent une hausse de l'endettement français, liée à la prise en charge du remboursement de la dette de la SNCF ? Qu'en est-il de la santé du service public du rail en France ?
Dans votre rapport, vous n'avez pas évoqué la recommandation n° 1 de la Cour des comptes, qui préconise de transformer le budget annexe de l'aviation civile en un établissement public à caractère industriel et commercial, ne serait-ce qu'en prévision du futur ciel unique – on y arrivera peut-être un jour, madame la ministre ! Peut-être transférera-t-on à l'Agence européenne tous les services de l'Union compétents en matière de contrôle aérien... Quelle est votre position sur le sujet ? D'après la Cour des comptes, le Gouvernement n'est pas particulièrement favorable à cette idée.
Deuxième question – une petite question à 31,6 millions d'euros : la « taxe Chirac » était destinée à l'ONUSIDA. La direction du budget – vos prédécesseurs n'ont pas pu l'en empêcher – l'a plafonnée. L'excédent – 31,6 millions en 2018 d'après votre rapport annuel de performances – a été versé au budget annexe de la navigation aérienne... On est en plein vol intersidéral. Et voilà que vous nous annoncez que ces 31,6 millions vont désormais basculer vers l'AFITF ! Alors là, on est dans le super-super sidéral ! Pourquoi ne pas plutôt baisser le taux de la taxe pour le ramener au plafond ?
Troisième question, sur la dégradation de l'indicateur 3.1 relatif au retard moyen par vol. Vous en avez parlé, et les rapporteurs ont longuement évoqué la dégradation de la qualité du service, liée à plusieurs phénomènes : les grèves en 2018, la météorologie, la saturation. Concernant ce dernier point, mon analyse est différente et je parlerai plutôt du caractère très archaïque des centres en route de la navigation aérienne. Pendant dix ans, j'ai été rapporteur spécial du budget du transport aérien, ainsi que du budget annexe. J'ai visité les cinq centres et ai toujours été étonné de voir gérer le trafic aérien de cette façon. Je m'étais interrogé : leurs brillants ingénieurs informaticiens ne pouvaient-ils basculer la gestion en automatique, beaucoup plus sûre qu'une gestion humaine – l'attention chute après un certain temps et on ne peut demander à un être humain d'être constamment à l'écoute, en particulier la nuit ? Vous avez évoqué différentes améliorations techniques ; mais un jour il faudra que le contrôle aérien devienne automatique, ce sera plus sûr ! Il y a encore peu, on disait que la voiture autonome était une utopie... De même, le pilotage automatique des avions serait-il beaucoup plus sûr que celui des pilotes. Pourriez-vous nous éclairer sur les mesures que vous comptez prendre pour améliorer la qualité ?
En 2018, le Gouvernement et la majorité ont mis en place la prime à la conversion, à savoir une aide de l'État afin de remplacer les véhicules les plus anciens par des moins polluants. Ce dispositif n'est pas anodin : le secteur des transports est responsable en moyenne en France de 64 % des émissions de dioxyde d'azote, de 19 % des particules PM2,5 et de 19 % des composés organiques volatils.
La lutte contre le réchauffement climatique tout comme la qualité de l'air doivent faire partie de nos priorités. Selon une étude de Santé publique France, la pollution de l'air est responsable de 48 000 décès par an en France et de nombreuses maladies cardiovasculaires, respiratoires et neurologiques. Dans la vallée de l'Arve, dans ma circonscription, nous mesurons l'urgence de la situation et la nécessité d'agir efficacement.
La majorité a mis l'accent sur l'évaluation et l'effectivité des dispositifs publics. Madame la ministre, je souhaitais donc vous interroger sur les résultats de la prime à la conversion. Pourriez-vous nous préciser le nombre de ménages bénéficiaires en 2018 et le montant global ? En outre, avez-vous fait des analyses permettant de quantifier la part des émissions polluantes évitées grâce à la modernisation des véhicules liée à cette prime ?
Mes questions portant sur le même sujet, je vais être très bref. Les recettes liées au malus sont en hausse. Comment faut-il l'interpréter ? Est-ce lié au nouveau mode de calcul fondé sur la procédure d'essai mondiale harmonisée pour les voitures particulières et véhicules utilitaires légers, dite WLTP (Worldwide harmonized light vehicles test procedures), ou y a-t-il une autre raison ? À l'inverse, les dépenses liées au bonus sont moins importantes que prévues. Est-ce lié à la prime à la conversion qui aurait « shunté » le bonus ?
Le marché du diesel s'effondre. Nous en connaissons quelques raisons. Il avait été question d'instaurer un malus lié aux oxydes d'azote (NOx). L'effondrement étant naturel, la question est quelque peu caduque. Quelle est votre analyse de la pertinence d'un tel système de bonus-malus ? Bien entendu, il fonctionne et s'est même développé grâce à la hausse concomitante du bonus et du malus. Mais comment appréciez-vous l'évolution exponentielle du système en 2018 ? Est-il toujours aussi pertinent ? Sera-t-on conduit à l'amplifier ?
L'an dernier, au sein de votre mission, on a beaucoup parlé de la Société du Grand Paris. En outre, en cours d'exécution, elle a fait objet de deux budgets rectificatifs. Pourriez-vous faire un point rapide sur les dépenses et l'état d'avancement du projet, qui a connu des évolutions financières très importantes en cours d'exécution en 2018 ?
En région, on attire régulièrement notre attention sur les difficultés récurrentes liées aux CPER 2015-2020, censés s'achever dans deux ans : à ce jour, seulement 40 % des autorisations d'engagement et 14 % des crédits de paiement ont été consommés. Dans quelle mesure la programmation des investissements de l'État, notamment prévue dans le projet de loi sur les mobilités, permettra de solder les engagements de l'État, qui atteignent 4,3 milliards d'euros ? Les interrogations sont récurrentes dans toutes les régions françaises.
S'agissant des primes à la conversion, 255 000 ménages ont été concernés en 2018, pour un montant global de 405 millions d'euros. Les ménages sont évidemment éligibles dans toutes les régions, mais Auvergne-Rhône-Alpes, la Nouvelle-Aquitaine et l'Occitanie en ont concentré le plus grand nombre : cela s'explique notamment par un taux de motorisation et un nombre de véhicules plus important dans ces régions. Globalement, les primes sont proportionnelles au nombre de véhicules, avec une exception notable pour l'Île-de-France, dont le parc automobile est le plus important, mais qui a le moins bénéficié de ce dispositif ; sans doute est-ce dû que les ménages y utilisent davantage les transports en commun – ils éprouvent donc moins le besoin d'acheter un véhicule consommant moins. 70 % de ménages qui ont bénéficié de cette prime en 2018 sont non imposables, et la part augmente encore en 2019 puisque nous sommes actuellement à 79 %. C'est sans doute lié au « super-bonus » – le doublement de la prime pour les ménages très modestes, ceux des deux premiers déciles, et pour les ménages « gros rouleurs » non imposables. Le dispositif répond donc bien à l'objectif visé : accompagner en priorité les personnes éprouvant des difficultés dans leurs déplacements du quotidien.
Monsieur Roseren, nous disposons des premières évaluations de l'impact environnemental de la prime à la conversion, mais les résultats ne sont pas encore définitifs. Principal gain évalué par le Commissariat général au développement durable : la réduction importante des polluants atmosphériques – particules fines et oxydes d'azote. Vient en deuxième position, et c'est un gain également intéressant au regard de l'objectif de cette prime, l'aide apportée aux Français contraints dans leurs déplacements à réduire leurs dépenses : les économies de carburant sont évaluées à 75 millions d'euros par an et les économies en termes d'entretien à 60 millions. Arrivent en troisième position les gains de CO2 : 440 000 tonnes ont été économisées grâce à ces véhicules qui consomment et polluent moins.
Monsieur Alauzet, vous avez raison : le malus collecté est en augmentation, ce qui signifie que les Français persistent à acheter des véhicules qui consomment beaucoup. Ce n'est pas une très bonne nouvelle : cela laisse à penser que ces malus ne sont pas dissuasifs et ont moins d'effets que les publicités. S'agissant du bonus, les industriels plaident pour une meilleure visibilité, essentielle pour eux que compte tenu de l'ampleur du virage technologique auquel ils sont confrontés. Le Président de la République a annoncé qu'en 2019, la trajectoire serait tracée jusqu'à la fin du quinquennat, et c'est ce que nous allons faire cette année. Quoi qu'il en soit, compte tenu des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixés à 37,5 % en 2030, les constructeurs sont soumis à un impératif d'évolution technologique ; reste que ce dispositif garde toute son utilité en ce qu'il permet d'accélérer et de faciliter l'accès à ces véhicules électriques.
M. Christophe Bouillon a évoqué l'ensemble du programme de la transition écologique et solidaire. Rappelons que l'AFITF n'est pas un opérateur au sens où SNCF Réseau et SNCF Mobilités peuvent l'être, ce qui implique des objectifs stratégiques à décliner et des collaborateurs à mobiliser : c'est plutôt une structure qui met en oeuvre et gère le programme. Je ne vois donc pas le sens que pourrait avoir un contrat d'objectifs et de performance pour une agence dont on attend qu'elle pilote de façon transparente – et c'est l'intérêt de son conseil d'administration – la mise en oeuvre des décisions prises dans le cadre de la programmation des investissements dans les infrastructures de transport prévue par la loi d'orientation des mobilités.
De son côté, la Société du Grand Paris s'est vue assigner des objectifs parfaitement clairs, qui ont été recadrés au mois de février 2018 par le Premier ministre. Je peux vous assurer qu'ils font l'objet d'un suivi très précis, notamment pour le respect des coûts et délais prévus par le calendrier tel qu'il a été repris.
Sans entrer dans le détail des dépenses, je peux vous indiquer que la construction du Grand Paris Express monte en puissance : les dépenses se sont ainsi élevées à 2,7 milliards d'euros en 2018 contre 1,8 milliard d'euros en 2017, alors qu'une partie de ces budgets continue d'être affectée au plan de mobilisation pour les transports et n'est donc pas directement liée aux 200 kilomètres du nouveau métro : elle alimente aussi les investissements dans les infrastructures existantes en Île-de-France.
Monsieur Loïc Prud'homme, je ne peux pas laisser dire que plus d'argent serait consacré à la route qu'au ferroviaire. Dans la programmation des infrastructures, les trois quarts des investissements figurant dans la LOM sont réalisés en faveur du ferroviaire. Lorsque l'on dépense 800 millions d'euros...
Évidemment : je vous parle des dix ans présentés dans la programmation des infrastructures.
Lorsque l'on dépense 800 millions d'euros par an de régénération du réseau routier national, on en dépense 3,6 milliards d'euros pour la régénération du réseau ferroviaire. On peut donc soutenir que le Gouvernement ne ménage pas ses efforts en faveur du ferroviaire, dont nous avons souhaité remettre le modèle économique sur ses pieds avec une reprise de la dette de 35 milliards d'euros, soit 25 milliards d'euros en 2020 et 10 milliards d'euros en 2022, ce qui représente un effort très conséquent des contribuables français.
Je ne reviendrai pas sur la ligne Rungis-Perpignan, au sujet de laquelle j'ai fait un communiqué. Nous souhaitons en effet que ce transport de fret ferroviaire se poursuive, ce qui a été demandé à Fret SNCF. En ce qui concerne les petites lignes, il me semble souhaitable que les régions, si elles le veulent, puissent les gérer directement. C'est ce qu'elles demandent, et cela permettra d'accélérer les décisions sur la remise en état de ces lignes.
Je ne peux pas non plus laisser dire que la programmation des infrastructures serait faite de projets pharaoniques. Si l'occasion vous est donnée de consulter le projet de loi d'orientation des mobilités dont nous débattrons la semaine prochaine, vous constaterez une réorientation particulièrement marquée, avec une priorité très claire en faveur des transports du quotidien, de l'entretien et de la remise en état des réseaux, et de la désaturation des grands noeuds ferroviaires : 2,6 milliards d'euros y seront consacrés sur dix ans.
Le désenclavement du réseau routier n'est par ailleurs pas oublié, parce que certains de nos territoires sont mal desservis, et qu'il faut penser aux mobilités actives, notamment le vélo. Aussi, au cours du présent quinquennat, les seuls travaux réalisés sur des lignes à grande vitesse concerneront les premières phases telles qu'elles avaient été identifiées par le COI, dont je voudrais à nouveau saluer le travail, et qui vivront à la désaturation des noeuds ferroviaires dont Toulouse, Bordeaux, Marseille ou les travaux de la gare Saint-Lazare, qui bénéficieront aussi aux transports du quotidien.
Je peux donc comprendre que cela ne soit pas encore pleinement assimilé, mais je puis vous assurer que nous procédons à une réorientation massive et radicale de notre politique d'investissement dans les transports.
Je vous confirme, monsieur de Courson, que la demande d'abaissement du taux de la taxe de solidarité sur les billets d'avion était plutôt un souhait des compagnies aériennes. Je rappelle que nous étions engagés vis-à-vis d'UNITAID pour 200 millions d'euros ; nous connaissons effectivement un excédent, et un choix aurait pu consister à baisser la taxe, mais nous n'avons pas entendu lors du grand débat les Français appeler à augmenter les taxes sur les transports qu'ils empruntent tous les jours et les diminuer pour les transports aériens... C'est pourquoi le Gouvernement a préféré affecter l'excédent du produit de cette taxe de solidarité au financement des mobilités du quotidien, notamment des mobilités propres, particulièrement du mode ferroviaire qui bénéficiera de ces investissements.
Je regrette moi aussi le retard pris dans la modernisation des outils du contrôle aérien. Mais je voudrais rendre hommage aux contrôleurs aériens ; nos rapporteurs spéciaux ont pu visiter un centre de contrôle aérien et se rendre compte que le travail n'y est pas évident. On pourrait effectivement imaginer une assistance plus forte pour mener à bien ces tâches particulièrement compliquées, qui consistent à faire entrer des avions dans des « tuyaux », en toute sécurité. Je puis vous assurer que nous faisons régulièrement le point avec la DSNA et la DGAC pour tenir les délais et respecter calendrier du programme de modernisation Coflight et 4-Flight, dont nous avons parlé tout à l'heure.
Ces contrats de plan ne sont jamais respectés... C'est malheureusement une constante de la vie politique française.
La génération des CPER de la période 2015-2020 était particulièrement ambitieuse, et cette ambition n'a cessé de se renforcer à chaque fois qu'un avenant était signé à l'occasion d'une revoyure... À noter également – et en tant qu'ancienne préfète de région, j'y ai peut-être participé – que l'on a souvent inclus dans ces documents de programmation des opérations insuffisamment étudiées. Cela a notamment été le cas dans le domaine ferroviaire : beaucoup de régions ont découvert que les études n'étaient pas prêtes, que les coûts tels qu'évalués lors de la contractualisation n'étaient pas les bons, et l'on sait qu'ils évoluent rarement dans le sens de la diminution... Autant de facteurs qui ont pu effectivement perturber la mise en oeuvre de ces contrats de plan.
J'ajoute par ailleurs que nous souhaitons aussi avancer sur le programme de désenclavement routier, que j'ai eu l'occasion d'annoncer et qui figure également dans la programmation, en adoptant une approche très pragmatique : il ne s'agira pas nécessairement d'opérations de mise à deux fois deux voies systématique telles qu'elles avaient été prévues.
Je crois très important de poursuivre ces contrats de plan, en insistant sur la nécessité de fournir un effort régulier et continu pour mettre en oeuvre les priorités qui y ont été définies. Si, in fine, il fallait accepter un décalage de quelques mois, en accord avec collectivités concernées, afin de permettre la mise en oeuvre d'une contractualisation très ambitieuse, l'essentiel serait atteint : nous nous efforcerons évidemment de respecter autant que possible le calendrier, mais nous ne sommes pas forcément à quelques mois près, compte tenu de tous les aléas dont je viens de faire état.
Membres présents ou excusés
Réunion du mardi 28 mai à 21 heures
Présents. - M. Saïd Ahamada, M. Éric Alauzet, M. Jean-Louis Bricout, Mme Émilie Cariou, M. Michel Castellani, Mme Anne-Laure Cattelot, M. Philippe Chassaing, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, Mme Stella Dupont, M. Joël Giraud, M. Patrick Hetzel, M. Alexandre Holroyd, M. Christophe Jerretie, M. Michel Lauzzana, M. Fabrice Le Vigoureux, Mme Véronique Louwagie, Mme Cendra Motin, M. Hervé Pellois, Mme Bénédicte Peyrol, M. Xavier Roseren, M. Benoit Simian, Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas, M. Éric Woerth
Excusés. - M. M'jid El Guerrab, Mme Perrine Goulet, M. Daniel Labaronne, M. Marc Le Fur, M. François Pupponi, Mme Valérie Rabault, M. Olivier Serva, M. Philippe Vigier
Assistaient également à la réunion. - M. Ugo Bernalicis, M. Christophe Bouillon, M. Éric Ciotti, M. Alain David, M. Dimitri Houbron, M. Sébastien Jumel, Mme Catherine Kamowski, Mme Alexandra Louis, M. Damien Pichereau, M. Loïc Prud'homme, M. Michel Zumkeller
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