La séance est ouverte à 16 heures 30.
Présidence de M. Éric Ciotti, président
Mes chers collègues, nous procédons maintenant à l'audition de M. Michel Delpuech, qui a exercé les fonctions de préfet de police, préfet de la zone de défense de Paris d'avril 2017 à mars 2019.
Monsieur le préfet de police, je vous remercie de votre présence parmi nous. Comme je l'ai fait pour votre successeur, M. Lallement, et l'un de vos prédécesseurs, M. Boucault, je vous informe que cette audition est publique, qu'elle est ouverte à la presse et diffusée en direct sur le canal de télévision interne de l'Assemblée nationale.
Je vais vous donner la parole pour une intervention liminaire qui précédera nos échanges, sachant que nous vous avons adressé un questionnaire – le même qu'à M. Boucault – auquel vous avez apporté rapidement des réponses écrites, ce dont je vous remercie. Vous pourrez en faire état, peut-être de façon succincte, dans votre propos liminaire. Puis nous procéderons à une série de questions.
Au préalable, je vous indique que, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je dois vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Michel Delpuech prête serment.)
Le 15 octobre dernier l'Assemblée nationale a créé votre commission d'enquête afin « de faire la lumière sur les dysfonctionnements ayant conduit aux attaques commises à la préfecture de police de Paris le jeudi 3 octobre 2019 ».
Votre commission, dont je salue chaque membre avec le respect dû à la Représentation nationale, a souhaité m'entendre en audition, en ma qualité d'ancien préfet de police. Je le comprends parfaitement et je m'efforcerai d'être à la hauteur de vos attentes.
Permettez-moi d'abord d'évoquer les faits terribles du 3 octobre que j'ai appris, comme tout un chacun, avec effroi et stupeur, et que j'ai immédiatement vécus, en tant qu'ancien préfet de police, comme un drame absolu : la préfecture de police frappée en plein cœur par un fonctionnaire issu de ses rangs.
J'ai immédiatement exprimé ma proximité, ma solidarité et mon soutien à l'institution que j'ai eu l'honneur de diriger du 20 avril 2017 au 20 mars 2019, et de servir comme préfet, secrétaire général pour l'administration de la police, puis préfet, directeur de cabinet du 4 novembre 1996 au 1er juin 2003. Huit ans et demi ne laissent pas indifférent.
Aujourd'hui, au moment où je m'adresse à vous, mes premières pensées vont aux quatre victimes : Damien Ernest, Anthony Lancelot, Brice Le Mescam et Aurélia Trifiro. Je salue leur mémoire, et en prenant part à leur douleur et à leur peine, j'adresse à leurs familles, à leurs proches, un message ému de soutien et de courage.
Je pense aussi à la fonctionnaire blessée à laquelle je souhaite de trouver les forces physiques et morales qui lui seront nécessaires pour surmonter cette épreuve. Je pense, dans les mêmes termes, au gardien stagiaire, en fonction depuis six jours au moment des faits, qui a neutralisé l'assaillant. Son sang-froid et son courage méritent respect et admiration ; je les lui exprime ici.
Après le choc du drame est venu, comme c'est normal, le temps des questions. Je suis devant vous à ce titre et espère contribuer utilement à vos travaux.
À la fin de la semaine passée, vous m'avez adressé un questionnaire. J'ai transmis hier, en fin d'après-midi, ce questionnaire renseigné. Il m'est en effet apparu important, en fonction de mon expérience et de ma mémoire, ainsi que des éléments que j'ai pu reconstituer ou dont j'ai pu disposer, de formaliser mes réponses par écrit. C'est un effort de méthode, mais aussi un facteur de rigueur. À moins que vous ne souhaitiez procéder autrement, je me propose donc de présenter rapidement l'ensemble de cette contribution écrite avant de répondre aux questions que vous poserez.
Le questionnaire que vous m'avez adressé comporte trois parties. La première s'intitule « L'auteur de l'attaque du 3 octobre 2019 », la deuxième « La prise en compte du risque de radicalisation des agents de la préfecture de police », et la troisième « La coordination des services de renseignement et la procédure d'habilitation permettant de connaître des informations classifiées ».
Sur le premier volet du questionnaire, les réponses que je puis faire sont extrêmement brèves, nettes et simples.
À la question « Avez-vous eu connaissance des propos de l'auteur de l'attentat relatifs à Charlie Hebdo ? », ma réponse est non. Je rappelle, et j'espère que M. le rapporteur s'en souvient, qu'en janvier 2015 j'étais préfet à Bordeaux.
À la question « Avez-vous eu connaissance de comportements inappropriés de l'auteur de l'attentat lorsque vous étiez préfet de police ? », la réponse est simple, nette, claire : non, jamais.
À la question « Comment expliquez-vous que le signalement des propos de l'auteur de l'attentat relatifs à Charlie Hebdo n'ait pas été transmis au niveau hiérarchique adéquat et n'ait laissé aucune trace ? », je réponds que je ne dispose d'aucun élément de réponse à cette question. Laissons à l'enquête judiciaire le soin d'apporter les explications après qu'auront été entendus tous ceux qui doivent l'être.
S'agissant du deuxième volet, à la question « Quelles mesures avez-vous prises au sein de la préfecture de police pour détecter des agents présentant des signes de radicalisation ? », je peux vous assurer que ce sujet était régulièrement évoqué par mes soins durant les réunions avec les directeurs en présence de mes plus proches collaborateurs, notamment le préfet, secrétaire général pour l'administration, chargé des ressources humaines. La ligne de conduite était la suivante : la détection sur la base de la vigilance doit se faire dans la proximité, service par service, voire unité par unité. En second lieu, la ligne hiérarchique doit fonctionner, y compris jusqu'au niveau du préfet de police pour prendre les initiatives que peuvent justifier les cas les plus caractérisés.
Mes instructions ont toujours été très fermes sur ce sujet, que j'évoquais aussi très régulièrement lors de réunions mensuelles avec la directrice de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN). Je reviendrai ultérieurement sur le rôle et l'action de l'IGPN auxquels la préfecture de police était pleinement associée.
Au-delà, je veux vous faire part de trois initiatives au moins qui avaient été engagées, visant à mieux sensibiliser les agents, à mieux les former. Ainsi, à compter de septembre 2018 ont été instaurées, à ma demande, des interventions sur la laïcité pour les nouvelles recrues issues des concours. Vous savez que la particularité du mode de gestion de la police nationale, c'est que chaque année le nombre de recrues, de jeunes sortis d'école qui arrivent sur le théâtre parisien au sens large est très important.
Dans le même état d'esprit, j'avais engagé la rédaction d'un guide de la laïcité à destination de l'ensemble des fonctionnaires de la préfecture de police. Il n'était pas encore achevé quand mes fonctions ont cessé, mais cette initiative était lancée.
Je reviendrai tout à l'heure sur les sessions de sensibilisation qui ont eu lieu en 2018, en lien avec l'IGPN, qui les a animées, en direction des cadres de la préfecture de police. 183 cadres ont bénéficié de ces actions.
À la question « Pourquoi ne pas avoir mis en place un référent radicalisation spécifiquement chargé de la détection des agents présentant des signes de radicalisation au sein de la préfecture de police ? », ma réponse est assez simple : pour une communauté de la taille de la préfecture de police – on parle de 40 000 agents en incluant les 8 500 sapeurs-pompiers de Paris –, la seule démarche qui peut être efficace c'est que la détection soit l'affaire de tous et que la remontée hiérarchique fonctionne. Cette remontée hiérarchique est essentielle pour que l'autorité compétente soit informée, et elle permet, au fur à mesure que l'on s'éloigne de la hiérarchie de proximité, de prendre des initiatives que la proximité immédiate rend peut-être plus difficiles à concevoir et plus encore à mettre en œuvre.
Au niveau central, la désignation d'un référent aurait-elle changé la donne ? Nul ne peut l'affirmer. En revanche, au niveau de mon cabinet, au niveau du secrétariat général de l'administration, j'étais parfaitement informé de la quinzaine de cas, dont je m'étais ouvert devant la mission d'information qui avait été créée par la commission des lois. Ces cas étaient connus, et les instructions que j'ai pu donner étaient extrêmement nettes et claires, comme en témoignent les résultats pour certains dossiers.
Je me permettrai de faire deux petites remarques. D'une part, la détection est toujours plus facile pour les cas les plus voyants. Parfois, les cas les plus voyants sont le fait notamment de personnes récemment converties, ce qu'on appelle la foi du prosélyte. D'autre part, il est évident que cette action de vigilance partagée doit être contenue dans des limites pour éviter les dérives qui, par ailleurs, peuvent relever de sanctions.
À la question « Comment évaluez-vous l'importance de la radicalisation au sein de la préfecture de police ? », je répondrai que j'avais fourni par écrit, à la fin de l'année 2018, des éléments à la mission d'information de votre commission des lois conduite par les députés Éric Diard et Éric Poulliat, qui sont ici et que je salue. Je ne puis que rappeler ce que j'avais écrit : une quinzaine de signalements, dont une dizaine de suspicions de comportements radicalisés et quatre ou cinq cas de fonctionnaires en contact avec des milieux radicalisés, c'est-à-dire à un degré plus grave.
Qu'avons-nous fait ? Chaque fois que possible, il y a eu passage en conseil de discipline et demande de révocation. Je précise que le conseil de discipline est un organe déconcentré. Il y en a un, parfois deux, dans chaque secrétariat général pour l'administration du ministère de l'intérieur (SGAMI). Ils sont placés sous l'autorité des préfets de zone, le préfet de police étant préfet de zone. La décision de révocation reste du niveau central, du niveau ministériel.
Durant les deux années d'exercice de ma fonction, sont ainsi intervenus trois révocations, le licenciement d'une femme adjointe de sécurité, un refus de titularisation d'un stagiaire, une mutation, un refus d'agrément pour un candidat adjoint de sécurité. J'ai cité, sans mentionner les noms, les cas dans le document écrit que je vous ai transmis.
Je précise pour être complet que dans le cas d'une révocation, celle d'un fonctionnaire entendu dans le cadre d'une enquête terroriste conduite par la sous-direction antiterroriste (SDAT), connu pour des faits de prosélytisme en service, le conseil de discipline s'est tenu le 13 juin 2018 – ce conseil de discipline avait eu à connaître deux dossiers de l'espèce – puis la révocation a été suspendue en référé par le juge administratif en décembre 2018. Je précise aussi que la non-titularisation d'un fonctionnaire stagiaire a été motivée par le fait que l'intéressé avait eu une altercation violente dans la sphère privée avec un automobiliste.
Vous me demandez s'il y a eu réintégration d'agents. La réponse est oui, il y en a eu une, ordonnée par le juge en même temps qu'il avait suspendu la révocation que j'ai évoquée.
Vous m'interrogez sur la nouvelle procédure qui figure à l'article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure. J'y reviendrai peut-être ultérieurement.
S'agissant de la troisième partie du questionnaire, à la question « Quelle part l'IGPN prend-elle à la prévention et la lutte contre la radicalisation au sein des forces de police ? », je répondrai qu'elle a un positionnement stratégique et j'ai expliqué comment on travaillait avec elle. Je pourrai également revenir sur le rôle de la direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP), en rappelant qu'elle est adossée à la compétence de préfet de zone du préfet de police et qu'elle a la particularité, qui pour moi est un atout, de recouper la totalité du volet renseignement, ce qu'on appelle le renseignement territorial et le renseignement intérieur. Or le continuum est complet entre le repli, la radicalisation, ou pire parfois. Le continuum du renseignement me paraît donc indispensable.
Beaucoup de pistes de réforme apparaissent au travers de votre questionnaire : mobiliser tous les outils dont on dispose au moment des enquêtes de recrutement, insister sur ces sujets pendant la formation initiale – on ne fera jamais assez de formations sur ce sujet –, sensibiliser les uns et les autres à cette nécessité, veiller au fonctionnement de la chaîne hiérarchique. Tout cela méritera sans doute des propositions et je ne doute pas que vous en ferez. J'ajoute néanmoins une interrogation que j'avais déjà formulée devant la mission d'information créée par votre commission des lois : n'y a-t-il pas lieu d'affirmer plus fortement l'adhésion nécessaire à la devise et aux valeurs de la République ?
Je pourrais montrer comment on peut déjà s'appuyer sur le cadre général législatif de la fonction publique, sur certaines dispositions du code de déontologie, mais je me demande s'il ne faut pas renforcer notre outil juridique pour être mieux en mesure de mettre fin à ces comportements.
Tels sont les propos que je pouvais tenir en introduction, en vous priant de m'excuser d'avoir été peut-être un peu long. Je répondrai à toutes les questions.
Vous avez rappelé, à la fois dans votre réponse écrite et dans votre propos liminaire, que vous n'étiez pas en fonction à la préfecture de police lorsque les propos, qui ont été rappelés dans la note adressée au ministre de l'Intérieur par Mme Bilancini, constitutifs d'une apologie du terrorisme, ont été tenus par Mickaël Harpon en présence d'un de ses collègues. De tels faits ne seraient pas remontés à l'autorité hiérarchique, en tout cas c'est ce que vient de nous indiquer M. Boucault.
Vous avez rappelé également qu'avant d'être préfet de police, vous aviez occupé des fonctions stratégiques de directeur de cabinet et de secrétaire général à la préfecture de police. Vous paraît-il possible qu'un acte aussi grave, des propos aussi graves, des faits aussi graves, dans un service aussi stratégique et aussi sensible, dans une période de menace terroriste maximale ne soient pas remontés à la hiérarchie ?
S'agissant de l'événement lui-même tel que vous l'évoquez, je ne puis que renvoyer à ce que permettra d'établir l'enquête judiciaire. Les fonctionnaires concernés, en tout cas pour certains d'entre eux, sont là pour le dire. Deux d'entre eux auraient peut-être pu parler : ils ont été tués.
La question des remontées de la ligne hiérarchique est un sujet permanent dans toutes les institutions, a fortiori dans celles qui sont à la fois de grande taille et où cette exigence de remontée hiérarchique est absolument nécessaire et doit se combiner avec ce qu'il faut de déconcentration. Mais par construction, c'est en quelque sorte un système de cliquet, et lorsque celui-ci se bloque l'échelon au-dessus ne le sait pas. Et lorsqu'on découvre – je ne parle pas particulièrement de ces situations – qu'une affaire est mal remontée, c'est toujours pour l'autorité l'occasion de dire que ça ne va pas. C'est vraiment une préoccupation permanente.
Je ne peux pas, bien évidemment, en dire plus sur l'épisode de janvier 2015. Mais cela prouve la nécessité, une fois de plus, du fonctionnement des lignes hiérarchiques et met en garde contre des visions qui veulent par trop remettre en cause les systèmes hiérarchiques et commandés au profit de systèmes totalement éclatés.
J'avais eu l'occasion de présider une précédente commission d'enquête après les attentats qui ont frappé notre pays au début de l'année 2015 et qui ont commencé avec l'attaque contre Charlie Hebdo. Le rapport issu de cette commission d'enquête pointe un problème de coordination entre la DRPP et la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) dans le suivi d'un des frères Kouachi. Cela me conduira à vous poser une autre question sur la coordination des services de renseignement en Île-de-France, et de façon plus globale entre la DRPP, le renseignement territorial et la DGSI par rapport au suivi de la mosquée de Gonesse que fréquentait Mickaël Harpon.
Comment qualifieriez-vous le fonctionnement de la DRPP ? Y avait-il des dysfonctionnements, des problèmes particuliers ? Une nouvelle directrice a été nommée manifestement pour remettre un peu d'ordre dans cette maison.
Quand j'ai pris mes fonctions, Françoise Bilancini venait en effet d'être nommée. Quelque temps après que j'ai pris mes fonctions, et dans la ligne de ce que Mme Bilancini souhaitait, j'ai signé avec Patrick Calvar, que j'avais côtoyé dans des fonctions précédentes, une convention de travail en commun entre la DGSI et la DRPP pour mettre la DRPP aux normes de la DGSI en matière de sécurité, de traçabilité, etc., afin que la DGSI apporte sa contribution technique, en matière de formation, etc. Pendant les deux années où j'ai eu la responsabilité de préfet de police, ma ligne de conduite a toujours été celle-là, et je crois pouvoir dire que c'est bien cette ligne de conduite que Françoise Bilancini a appliquée.
Je souligne que les dispositifs qui ont été instaurés depuis 2017 m'ont semblé tout à fait efficaces : rôle de chef de file à la DGSI, positionnement nouveau du coordonnateur national du renseignement et de la lutte antiterroriste. La DRPP, qui est un service dit du deuxième cercle, au sens de la loi relative au renseignement de 2015, prend toute sa place, tient tout son rôle, mais rien que sa place, rien que son rôle. Je n'ai jamais observé le moindre dysfonctionnement de ce point de vue.
J'ajoute que sur les dossiers les plus sensibles se tenait à mon niveau, chaque vendredi matin, une réunion de travail à laquelle participaient la DRPP, la police judiciaire et les autres services de la préfecture de police – j'y tenais beaucoup – parce que nombre de signalements venaient des policiers du quotidien dans les commissariats. Lors de cette réunion étaient associés à un niveau très pertinent, et en toute confiance et efficacité, la DGSI et le service central du renseignement territorial. Par exemple, quand on apprend que tel individu suivi dans tel département de France vient de s'installer en Seine-Saint-Denis ou ailleurs, on s'interroge pour savoir qui s'en occupe et comment, etc. La DRPP est aussi pleinement associée à l'état-major qui se réunit hebdomadairement et auquel je participais au niveau ministériel. De ce point de vue, je n'ai pas détecté de dysfonctionnements. J'ajoute que l'outil est puissant. Dans l'épisode difficile de gestion de la crise des gilets jaunes, c'est grâce à la détection que la DRPP faisait sur les réseaux sociaux que j'ai pu, au moins à une trentaine de reprises, saisir l'autorité judiciaire, via le procureur de Paris, dans le cadre de l'article 40 du code de procédure pénale, sur des menaces, des choses extrêmement graves que ce service avait détectées.
Je vous remercie pour vos propos et pour la solennité de votre discours introductif. Ils sont à la hauteur des événements dont nous analysons les circonstances.
Ma première question est très simple : vous paraît-il crédible que la remontée d'informations ait été interrompue – vous avez parlé de cliquet qui ne fonctionne pas – au niveau du chef de section, comme le dit la note de Mme Bilancini ?
Deuxième question, Mme Bilancini nous a indiqué la semaine dernière qu'elle a reçu une lettre de mission dont la mise en application du contenu vous a échu, puisqu'elle a été nommée au printemps 2017 et vous-même quelques mois plus tard. Elle qualifie cette lettre de mission – je dévoile un propos tenu à huis clos – comme l'incitant à la professionnalisation de la DRPP et à sa réorganisation. Fallait-il professionnaliser la DRPP ? Si oui, comment qualifieriez-vous la situation antérieure à cette réorganisation ?
À la première question, je répondrai que seule la vérité compte. Moi, je ne la connais pas. J'espère et je pense que l'enquête judiciaire permettra de la conforter, mais je n'ai aucune raison de mettre en cause les personnes qui ont des responsabilités et qui vous disent que rien n'est remonté à leur niveau.
Est-ce fâcheux ? Oui. Est ce crédible ? Si c'est la vérité, hélas c'est la vérité.
Tout à l'heure, je vous ai dit à quel point, notamment quand on est dans la fonction de préfet de police et de manière générale dans la fonction de préfet, la question des remontées d'informations est cruciale. J'ai toujours dit à mes collaborateurs – je crois savoir me faire respecter, même si parfois on m'a reproché d'être plutôt gentil et bienveillant, ce que je revendique –, que ce qui n'est pas acceptable c'est le défaut d'information. Les seules fois où je manifestais un peu de mauvaise humeur, c'est lorsqu'une information ne remontait pas alors qu'elle devait remonter. C'est crucial. Mais si c'est le cas, c'est le cas, et la question de la crédibilité, c'est la question de la vérité. Que l'enquête l'établisse, je crois que tout le monde est en droit de le savoir.
Je précise ma question.
Nous sommes dans un service de taille relativement modeste, dont les locaux – les services intérieurs et les services informatiques – sont très imbriqués à d'autres fonctions support ou hiérarchique au sein de la direction du renseignement. Quand je parle de crédibilité, c'est qu'il semble que la DRPP est une sorte de petite famille – ce sont des mots employés par plusieurs interlocuteurs.
Compte tenu de l'émoi qu'ont pu provoquer les propos prêtés à Mickaël Harpon peu de temps après l'attentat de Charlie Hebdo, il nous paraît ahurissant, extravagant que cette information n'ait pas pu remonter au-delà du chef de section, d'où ma question liée à la taille du service concerné.
Je n'ajoute rien à ce que je vous ai indiqué. Je comprends parfaitement le sens de votre question. Seule la vérité apportera réponse. Si ce n'est pas la vérité, que l'enquête le démontre et que les conséquences en soient tirées. La question des remontées d'informations est d'une sensibilité extrême. Par construction, vous pouvez toujours l'exiger, mais si ça ne fonctionne pas, ça ne fonctionne pas. Après coup, on fait comprendre à ses collaborateurs que ça ne va pas. Mais parfois, si l'information n'est pas remontée, le mal a été fait.
Je crois avoir déjà un peu évoqué votre deuxième question. Effectivement, c'est l'orientation nécessaire pour cette direction. C'est le sens du protocole que j'avais signé avec Patrick Calvar, le directeur de la DGSI à l'époque. Je puis affirmer que Mme Bilancini s'est vraiment employée avec détermination à cette tâche. Je l'ai largement soutenue. On a modifié le schéma immobilier qui avait été antérieurement imaginé, notamment pour renforcer ces exigences de sécurité, pour éviter l'éclatement des services, etc.
Quant au jugement que je porte sur la collaboration que j'ai trouvée auprès de la DRPP, je crois y avoir répondu.
Lors de votre audition devant la mission d'information que j'ai menée avec mon collègue Éric Diard, vous avez été d'une transparence et d'une clarté totales. Aussi vais-je essayer de l'être à mon tour aujourd'hui en étant assez direct.
Vous avez réaffirmé la pertinence d'un renseignement qui remonte par la voie hiérarchique depuis l'échelon le plus proche, mais cela donne le sentiment d'une forme d'entre soi. Pensez-vous que cette méthode soit toujours pertinente aujourd'hui, en particulier dans des services de police, au vu des difficultés constatées ? J'ai cru comprendre en creux dans votre intervention – mais je vous fais peut-être dire ce que vous n'avez pas dit – que des solutions comme le rétrocriblage pourraient permettre de renforcer la détection d'agents radicalisés au sein des services de police.
Enfin, vous avez soulevé le cas d'agents qui ont été réintégrés. Quels ont été les effets, au sein de la préfecture de police, de cette réintégration – je suppose que l'agent a été muté – sur le renseignement lui-même ? Les policiers ne se sont-ils pas demandé à quoi cela servait de donner des renseignements si c'est pour que la personne soit ensuite réintégrée ?
. Je vais essayer d'être encore un peu plus clair.
La détection doit se faire dans la proximité, et elle ne peut se faire que dans la proximité. Les services de police sont une grande famille, c'est un collectif. C'est ce que l'on dit aussi souvent pour détecter le risque de suicide. C'est vraiment dans la proximité, l'attention aux autres que la détection doit se faire. Mais je n'ai pas dit du tout que les choses devaient se régler à cet échelon-là. Au contraire, on détecte et l'information remonte au niveau sommital, selon sa gravité, selon sa nature. Ensuite, le niveau sommital prend des initiatives – j'en ai cité quelques-unes. Je crois que les deux vont de pair. La détection doit et ne peut bien se faire que dans la proximité. Il faut vraiment que la hiérarchie de proximité y soit sensibilisée, et qu'elle comprenne aussi la nécessité de faire remonter l'information, de ne pas s'autocensurer ou de ne pas considérer qu'elle réglera le problème à son niveau. Voilà les deux axes que j'ai toujours essayé de recommander et qui me paraissent hautement recommandables.
C'est le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise qui a ordonné la réintégration pour le cas que j'ai évoqué tout à l'heure. La décision a été exécutée et le juge a demandé que l'intéressé soit réintégré dans son service. On a veillé à ce qu'il soit désarmé ; c'était nécessaire. Après, on peut le muter. Je ne sais pas où en est cette affaire, qui date de décembre 2018.
Je ne pense pas que cette réintégration ait modifié l'approche. La question qui se pose est celle des bons outils juridiques, et de savoir si on a commis des fautes juridiques dans la motivation de l'arrêté – d'autant plus que c'est un arrêté central, mais ce sont les services de la préfecture de police qui le préparent. La décision du juge administratif mêlait un peu de légalité externe – selon moi, c'était confus – et un peu de légalité interne. Il faudra regarder ce que dit le juge au fond.
Il ne faudrait pas que cette décision ait un effet d'inhibition, c'est-à-dire qu'on ne prenne plus l'initiative d'aller en conseil de discipline et de révoquer parce qu'on se fait ensuite censurer par le juge administratif. La vraie réponse, c'est la rigueur juridique. Il faut que les dossiers soient documentés, sans trop en mettre non plus par rapport aux personnes. La voie est étroite, mais il ne faut pas renoncer. Une telle décision ne me faisait pas renoncer. Au contraire, cela exige d'être encore plus performant. Il ne faut surtout pas en tirer la conclusion qu'on ne peut rien faire, d'abord parce qu'il y a des révocations qui ont été prononcées et n'ont pas donné lieu à censure du juge. S'agissant de l'affaire en question, attendons le jugement au fond. Il s'agissait d'une personne qui avait été entendue dans le cadre d'une enquête terroriste et qui était à la fois connue pour des faits et un comportement de prosélytisme en service, donc des faits faciles à détecter. C'était un converti.
Quel regard, à la fois juridique et pratique, portez-vous sur l'application de l'article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure ? On se souvient ici de la genèse de sa nouvelle version. Il s'agit d'un article ancien qui régissait les enquêtes administratives préalables au recrutement de fonctionnaires, notamment dans le domaine de la sécurité. La portée de cet article a été étendue par la loi de 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT) pour s'appliquer à des agents en fonction.
Monsieur Larrivé, vous avez bien rappelé le cadre juridique. Le ministère de l'Intérieur m'avait régulièrement associé à la préparation de la loi SILT, la loi de sortie de l'état d'urgence. Aux termes de cet article L. 114‑1, il est désormais possible de consulter les fichiers pour des fonctionnaires en activité, dès lors que leur comportement n'est plus idoine, en plus du criblage opéré au moment du recrutement. Cela représente un progrès incontestable.
Lorsque le criblage laisse apparaître des signaux particulièrement inquiétants, la procédure fait intervenir une commission paritaire, laquelle représente, de mon point de vue, une garantie juridique. Sa composition a été précisée par un décret de février 2018. Alors qu'elle a été installée le 3 juillet 2018, à ce jour, elle n'a été saisie d'aucun dossier. Même si je suis désormais loin de l'opérationnel, je ne peux que souhaiter qu'elle fonctionne.
Si le dispositif en soi constitue, à mon sens, un progrès, se pose toutefois la question de l'articulation avec le droit disciplinaire, qui doit garder toute sa place et tout son rôle, notamment pour ce qui est des révocations. Dans le cadre de l'application de l'article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure, la radiation des cadres suppose une menace grave pour la sécurité publique. En cas d'impossibilité de mise en œuvre de la mutation ou lorsque le comportement du fonctionnaire est incompatible avec l'exercice de toute autre fonction, eu égard à la menace grave qu'il fait peser sur la sécurité publique, il est procédé à sa radiation des cadres. Cette exigence ne figure pas dans le droit de la fonction publique.
Les révocations dont je vous parlais sont intervenues sans qu'il y ait eu besoin de démontrer l'existence d'une menace grave pour la sécurité publique, des fautes incompatibles avec les exigences de la fonction publique ayant été prouvées. L'article 25 de la loi portant droits et obligations des fonctionnaires, qui constitue le cadre juridique général de la fonction publique et a été modifié pour la dernière fois en avril 2016, dispose, s'agissant de tout fonctionnaire : « Dans l'exercice de ses fonctions, il est tenu à l'obligation de neutralité. Le fonctionnaire exerce ses fonctions dans le respect du principe de laïcité. À ce titre, il s'abstient notamment de manifester, dans l'exercice de ses fonctions, ses opinions religieuses. »
Le code de déontologie de la police et de la gendarmerie, qui relève du niveau réglementaire, impose le même devoir de neutralité : « Le policier est tenu à l'obligation de neutralité. Il s'abstient, dans l'exercice de ses fonctions, de toute expression ou manifestation de ses convictions religieuses, politiques ou philosophiques. » On y trouve également une formule, qui mériterait à mes yeux d'être enrichie, selon laquelle les policiers et les gendarmes exercent leur fonction avec loyauté, au service des institutions républicaines. Sans doute ne serait‑il pas inutile d'aller au‑delà pour affirmer le devoir de loyauté à la devise et aux valeurs de la République.
Pour revenir à votre question, monsieur Larrivé, le cadre juridique de la loi du 30 octobre 2017 représente une incontestable avancée, grâce à la possibilité de criblage offerte en cours de carrière. Désormais, il faut que la commission fonctionne et que les dossiers lui soient transmis.
Il faut également bien définir le rôle des instances disciplinaires, auxquelles on aurait tort de renoncer. J'ai présidé, il y a une vingtaine d'années, pendant deux ans et demi, le conseil de discipline du secrétariat général pour l'administration de la police (SGAP) de Paris : les soixante‑seize révocations étaient intervenues à l'unanimité. Dans de telles situations, les représentants des personnels savent prendre leurs responsabilités, parce qu'il y va de la défense de l'institution policière et qu'ils savent très bien faire la part entre certaines situations et les sujets les plus graves. Je pense et souhaite que le volet disciplinaire ne soit surtout pas perdu de vue.
J'aimerais rappeler ce qui nous réunit cet après‑midi. Un agent s'est converti, sans que cela déclenche la moindre interrogation au sein de son service. Il a commis une apologie du terrorisme, dont le signalement est resté bloqué au niveau de sa hiérarchie de proximité. Sa mission lui permettait d'avoir accès à des informations ultraconfidentielles, puisqu'il avait accès à l'intégralité des ordinateurs de ceux qui sont censés lutter contre le fondamentalisme islamiste et le terrorisme, ainsi qu'à la liste de tout le personnel infiltré dans les milieux radicalisés, les mosquées salafistes et autres joyeusetés. Elle était si importante qu'il bénéficiait d'une habilitation secret défense, renouvelée sans la moindre question, et qu'aujourd'hui cent vingt agents sont en train de travailler pour savoir ce qu'il y a sur la clé usb que l'on a retrouvée chez lui, si rien n'a été introduit dans les ordinateurs de la préfecture de police et si, accessoirement, aucune information essentielle n'a été diffusée à des réseaux terroristes. Il fréquentait, vous le savez, matin et soir, une mosquée dirigée par un fiché S, sans que, semble‑t‑il, les services de renseignement en aient informé la hiérarchie de la préfecture de police ou sans que sa hiérarchie ait pris la mesure de la situation.
Ne croyez‑vous pas que, compte tenu de tout cela et de ce que l'on a entendu jusqu'à présent, il y aurait besoin d'une structure extérieure à la préfecture de police, chargée de la détection ou des signalements des agents radicalisés ?
On a par ailleurs le sentiment qu'une forme d'omerta règne à l'intérieur de la préfecture de police. Certains policiers ont ainsi déclaré, notamment dans la presse, qu'ils n'osaient pas faire de signalements, de peur de se faire traiter d'islamophobes et que cela pèse sur leur carrière ou donne d'eux une mauvaise image auprès de leur hiérarchie. D'autres nous ont dit qu'ils avaient peur, depuis l'épisode terrible de Magnanville, qu'un signalement pouvait les mettre en danger, surtout quand la personne en question pouvait avoir connaissance de tous les éléments personnels des agents du renseignement de la préfecture de police – domicile, numéro de téléphone ou encore composition familiale. Ne faudrait‑il donc pas généraliser le signalement anonyme, qui aurait pu être déclenché à quatre reprises au moins durant la carrière de Mickaël Harpon ? Ne croyez‑vous pas que cette procédure devrait également être étendue aux prestataires de la préfecture de police ?
Mon intervention rejoindra celle de Mme Le Pen, dont je partage en effet plusieurs inquiétudes. Monsieur le préfet, vous nous avez dit, à juste titre, que la détection doit se faire dans la proximité, mais également que la ligne hiérarchique doit fonctionner. Or, manifestement, cela n'a pas été le cas. Il y a eu quatre morts. Je crois que cela n'a pas fonctionné, parce que les policiers avaient peur de témoigner, à cause de l'absence d'anonymat. Ils avaient peur qu'on les traite de « balances », alors que l'apologie du terrorisme constituait un élément à charge extrêmement grave. Il est assurément difficile de définir un radicalisé. On peut être pratiquant fervent sans être radicalisé. Où démarre la radicalisation ? On peut le savoir quand la personne est passée à l'acte, mais il est alors trop tard. Dans ce cas précis, il y avait tout de même un indice. Une cellule anonyme pour des signalements documentés – car il ne s'agit pas de délation en l'air – aiderait à prévenir de tels actes.
Comme je l'ai déjà fait remarquer, je m'entête à trouver que mettre plus de sept minutes à liquider le terroriste, au sein de la préfecture de police, où il y a des centaines de fonctionnaires armés, c'est beaucoup trop. Cette personne aurait pu arriver jusqu'au bureau du préfet !
Monsieur le préfet, permettez‑moi de vous dire que, lorsque vous citez l'article 25 du statut des fonctionnaires, vous parlez d'or pour tous ceux ici qui sont attachés au statut de la fonction publique, qui n'est pas un avantage pour les fonctionnaires, mais une protection pour la société tout entière.
Ma question est très simple. Mickaël Harpon travaillait au service informatique et était, de ce fait, habilité secret défense. Il semblerait que le service informatique de la DRPP, en plus de gérer l'informatique propre à cette direction, gérait le fichier Gestion du terrorisme et des extrémismes à potentialité violente (Gesterex), soit le fichier centralisant l'ensemble des données des différents services de renseignement. Est‑ce exact ?
M. Meyer Habib a évoqué la neutralisation du terroriste au sein de la préfecture de police. Je vous rappelle que nous sommes en audition publique et que certaines informations n'ont peut‑être pas vocation à être diffusées.
Madame Le Pen, tout le monde partage a posteriori votre constat sur la présence d'un personnage comme Mickaël Harpon au sein du service. Nous devons en effet nous poser la question d'une structure extérieure, même si aucune structure ne peut être absolument extérieure à toutes les autres. Je n'ai pas d'opposition de principe à ce sujet.
S'agissant du comportement des fonctionnaires, vous avez évoqué l'aspect familial du service, qui pourrait expliquer une forme d'omerta, mais aussi les craintes de poursuites pour islamophobie et discrimination. Ce sont, de mon point de vue, deux choses très différentes. La préfecture de police est une grande maison, à laquelle les fonctionnaires sont attachés. Il se peut qu'à certains niveaux hiérarchiques les changements ne se fassent pas suffisamment souvent, quand ils se font trop fréquemment à d'autres niveaux. La connaissance de proximité est utile, parce que c'est grâce à elle que l'on peut se rendre compte d'un changement de comportement. Ensuite, il ne faut pas s'inscrire dans une logique de silence et étouffer ce qui doit remonter. Comme dans toute structure, quand vous êtes plus loin de certaines réalités, vous pouvez prendre des initiatives ou dire des choses plus facilement que les membres de l'environnement immédiat.
Pour ce qui est des craintes de poursuites, je crois que beaucoup de gens peuvent en effet se poser la question. Ils ont d'ailleurs raison de le faire, dans la mesure où il faut respecter certaines règles de droit. Cela justifierait de disposer d'un corpus juridique qui mette les gens plus à l'aise, en quelque sorte. Pourquoi pas l'anonymat, en effet ? Nous devons protéger les personnes à l'origine d'un processus de signalement.
Concernant les prestataires, des contrôles sont déjà réalisés, pour l'accès à certaines zones protégées. Ce qui est vrai à la préfecture de police l'est aussi dans toutes les grandes institutions.
Monsieur Habib, sept minutes, c'est beaucoup et peu. Ne croyez pas que, dans la partie de la préfecture de police où le drame s'est déroulé, il y ait un policier armé toutes les dix marches ! Sur ce sujet, on est au cœur de ce que l'enquête doit établir.
Monsieur Peu, Gesterex est bien un fichier de la préfecture de police.
Monsieur le préfet, eu égard à la politique de prévention que vous avez instaurée, avez‑vous l'impression que, durant vos deux années à la préfecture de police, il y a eu une évolution ? Pourquoi aviez‑vous ressenti le besoin de les mettre en œuvre et d'insister sur la sensibilisation ? Par ailleurs, vous avez dit que vous seriez attentif aux propositions de la commission d'enquête sur le fonctionnement de la chaîne hiérarchique : si vous-même deviez suggérer des éléments d'amélioration, quels seraient‑ils ?
Comment se parlent les différents services territoriaux du renseignement entre eux ? J'entends bien qu'il y ait des zones de compétence. Mais comment se fait‑il que l'auteur de l'attaque ait pu fréquenter une mosquée surveillée sans que cela remonte jusqu'à vous ? Comment s'organisent les échanges pour croiser des informations qui émanent de différents services, qui ne sont pas éloignés de plus de vingt‑cinq kilomètres ?
Monsieur le préfet de police, vous avez dit tout à l'heure que la commission créée par la loi SILT n'a pas encore été saisie. Mais elle ne peut pas l'être ! Il manque une instruction ministérielle. Nous l'avons mentionné dans nos préconisations, à l'issue de notre mission d'information sur les services publics face à la radicalisation. Le 10 juillet dernier, nous avons rencontré le ministre de l'Intérieur pour lui dire que tant qu'il n'y aura pas cette instruction, rien ne pourra se faire. Deux ans après la loi SILT, comment expliquer qu'il ne soit pas possible d'effectuer de rétrocriblage ? Je souhaiterais que vous m'expliquiez ces méandres administratifs.
Deuxièmement, quand nous vous avions entendu en audition, dans le cadre de notre mission d'information, vous nous aviez dit qu'il existait un angle mort au niveau de la révocation pour radicalisation. On utilise souvent des motifs connexes, d'ordre disciplinaire : comme on n'arrive pas à révoquer un policier qui s'est radicalisé, on le révoque après une dispute avec un automobiliste. Vous nous aviez proposé d'inscrire dans la Constitution que le fonctionnaire adhère aux valeurs de la République. J'avais proposé une prestation de serment, afin de faciliter la révocation.
À vous entendre, nous avons l'impression d'un service familial travaillant sur le renseignement. Comment passer d'un service qui travaille sur le renseignement à un véritable service de renseignement, avec tout ce que cela nécessiterait de contrôles et de rétrocriblage, comme cela se fait ailleurs ?
À la suite de l'intervention de M. Diard, je tenais à préciser que l'absence d'instruction relative à la commission n'empêche pas sa saisine, puisque, d'après M. Didier Lallement, elle a été saisie d'un cas depuis le 3 octobre.
Madame Avia, j'espère que les choses se sont améliorées et que nous avons progressé. La radicalisation est un sujet majeur, en ce qu'il touche à la cohésion républicaine. Pour moi, c'est une entreprise idéologique qui veut substituer d'autres normes à la norme républicaine. C'est sur ce terrain qu'il faut trouver des réponses. Elle n'est pas qu'un problème de laïcité. Pour la cohésion républicaine, tout ne sera jamais assez. La priorité des priorités était de veiller à la détection des signaux de radicalisation, dans nos services certes, mais avant tout à l'extérieur. J'avais cité une quinzaine de cas, lors de mon audition par la mission en décembre 2018.
En Île‑de‑France, quand j'étais préfet de police, le fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) comptait environ 4 000 personnes. J'avais, en tant que préfet de zone, consacré une réunion zonale à ce sujet, en présence des trois recteurs d'Île‑de‑France, du directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) et de la direction générale de l'AP‑HP. J'ai tenu des réunions avec les élus parisiens, notamment les maires d'arrondissement, sur cette thématique. Je crois m'être beaucoup engagé sur ces sujets. Je l'avais également fait à Bordeaux, à Lyon ou à Amiens, où la situation n'était pas si simple que cela. C'est un sujet qui me tient à cœur, parce qu'il touche au cœur de la République. Tout ce que nous pouvons faire est bienvenu. C'est l'affirmation des valeurs républicaines, et cela seulement, qui permet d'apporter la réponse et de nous souder, au lieu de nous diviser, comme le souhaitent certains. Nous devons rester humbles et modestes, chacun apportant sa pierre. Celui qui a le sentiment d'avoir tout réglé là où il est passé, j'aurais toujours tendance à ne pas le croire.
Monsieur Vuilletet, je vous rappelle le système parisien. La police d'agglomération a été instaurée en 2009, en donnant au préfet de police la responsabilité, pour faire simple, de la sécurité publique et de l'ordre public à Paris et dans la petite couronne. Je n'ai pas forcément toujours été d'accord avec cette approche. Pour moi, la bonne approche est zonale. Le rôle du préfet de police doit être renforcé, comme institution à l'échelle de l'Île‑de‑France. Le territoire est en réalité très continu entre la petite couronne et les départements voisins. Une approche plus large, renforçant le pouvoir de coordination, aurait sans doute été plus pertinente. Les choses peuvent encore évoluer.
La fonction de préfet de zone du préfet de police doit être effective. Un préfet de zone a trois grandes attributions : la gestion des crises – épisodes neigeux ou inondations, par exemple ; la gestion des moyens de la police et un peu de la gendarmerie ; la coordination des politiques de sécurité intérieure – je m'appuyais à cette fin avec mon équipe sur les directions actives de la préfecture de police. Pour le renseignement, c'était la DRPP qui était mon outil zonal. Comme je le disais tout à l'heure, chacun doit jouer son rôle. Si l'on considère que, parce que la DRPP est sous l'autorité du préfet de police, on ne doit pas lui faire passer d'informations, et inversement, c'est la négation de ce que nous sommes. Je tenais chaque semaine une réunion avec un représentant de la DGSI et un représentant du renseignement territorial. Où sont allées les informations sur Mickaël Harpon ? Je ne les ai jamais eues, en deux ans.
J'étais préfet à Lyon, lorsque Hervé Cornara a été assassiné, dans des conditions affreuses, par l'un de ses salariés – M. Cazeneuve revient d'ailleurs sur ce drame dans le livre qu'il vient de publier. L'auteur de l'assassinat avait été suivi par le service du renseignement territorial, en Côte‑d'Or ou dans le Doubs, me semble-t-il. L'intéressé avait déménagé en banlieue lyonnaise, sans qu'aucun service nous prévienne. Ce n'était pas un problème lié à la préfecture de police, mais inhérent au renseignement territorial. C'est à ce moment que le ministre de l'Intérieur de l'époque a fait créer le FSPRT, afin de disposer d'un espace rassemblant l'ensemble des données. C'est le b.a.‑ba du service de renseignement de faire passer l'information à la hiérarchie ; or personne ne m'avait prévenu. J'insiste bien : c'est par la hiérarchie qu'il faut passer, et pas se contenter de téléphoner aux collègues – par le haut !
Monsieur Diard, il ne vaut mieux pas que je commence à vous détailler les méandres administratifs de l'application de la loi SILT, sans quoi nous en aurons jusqu'à demain matin.
Monsieur Fauvergue, la DRPP est bien un service de renseignement. Ce que j'ai mis en œuvre, la convention que j'ai signée avec Patrick Calvar, le mandat de Françoise Bilancini : c'est cela que j'appelais tout à l'heure « mettre aux normes », tout en restant dans le second cercle. L'unité du service de renseignement est une nécessité, surtout pour les sujets que nous traitons, parce qu'il faut voir et très loin et très près : très loin, en s'aidant des services de niveau central, qui sont en lien avec les services partenaires étrangers ; très près, c'est dans le quartier, en bas de l'immeuble, à l'école, avec les services territoriaux. Mieux on assure un tel continuum, plus on renforce l'efficacité de nos services de renseignement.
Je vous remercie, monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, de l'attention que vous avez accordée à mes modestes propos.
Je vous remercie, monsieur le préfet, pour les réponses que vous avez apportées à notre commission.
La séance est levée à 17 heures 50.
ANNEXE
Réponse écrite de M. Michel Delpuech, ancien préfet de police, au questionnaire transmis le 31 octobre 2019
(Document publié à la demande de M. Delpuech)
***
● L'auteur de l'attaque du 3 octobre 2019
1. Avez-vous eu connaissance des propos de l'auteur de l'attentat relatifs à Charlie Hebdo ?
Non, et je rappelle que j'étais en poste à Bordeaux en janvier 2015.
2. Avez-vous eu connaissance de comportements inappropriés de l'auteur de l'attentat lorsque vous étiez préfet de police ?
Non, jamais.
3. Comment expliquez-vous que le signalement des propos de l'auteur de l'attentat relatifs à Charlie Hebdo n'ait pas été transmis au niveau hiérarchique adéquat et n'ait laissé aucune trace ?
Je ne dispose d'aucun élément de réponse à cette question ; laissons à l'enquête judiciaire le soin d'apporter des explications .
● La prise en compte du risque de radicalisation des agents de la préfecture de police
4. Quelles mesures avez-vous prises au sein de la préfecture de police pour détecter des agents présentant des signes de radicalisation ?
Le sujet a très régulièrement été évoqué par mes soins durant les réunions des directeurs, en présence du préfet secrétaire général de l'administration, avec des orientations de travail simples : la détection doit se faire dans la proximité, service par service, voire unité par unité ; la ligne hiérarchique doit fonctionner y compris jusqu'à mon niveau pour prendre les initiatives que peuvent justifier les cas les plus caractérisés. Mes instructions ont toujours été très fermes sur ce sujet, que j'évoquais régulièrement aussi avec la directrice de l'IGPN lors de nos rencontres mensuelles. Je reviendrai plus loin sur le rôle et l'action de l'IGPN en ce domaine, rôle et action auxquels la PP s'est pleinement associée.
De façon plus large, je peux vous faire part de deux initiatives que j'avais engagées et qui visaient à conforter le principe de laïcité, comme principal fondamental devant prévaloir dans la police nationale :
• Des interventions sur la laïcité dans les services publics à compter de septembre 2018 pour les nouvelles recrues issues du concours de gardiens de la paix. Au-delà du bagage de base qui est donné aux nouveaux gardiens en matière de déontologie, j'ai souhaité que puissent leur être donnés des clés pour comprendre et agir lorsqu'ils seront éventuellement confrontés à des attitudes, principalement de la part des usagers de la police nationale, hostiles à la laïcité et mettant en cause la neutralité exigée de la police nationale.
• La rédaction d'un guide de la laïcité à destination de l'ensemble des fonctionnaires. Des développements y étaient consacrés aux comportements inadmissibles soit de la part d'usagers, soit de fonctionnaires, tels que ceux que vous évoquez plus loin dans votre questionnaire (prières lors du service, refus de serrer la main d'une femme, etc.). Cette initiative était en voie de finalisation au moment de mon départ de la préfecture de police en mars 2019.
5. Pourquoi ne pas avoir mis en place un référent radicalisation spécifiquement chargé de la détection des agents présentant de signes de radicalisation au sein de la préfecture de police ? La mise en place d'un tel référent n'aurait-elle pas pu favoriser une transmission des propos de l'auteur de l'attentat relatifs à Charlie Hebdo au niveau hiérarchique adéquat ?
La détection de la radicalisation doit être l'affaire de tous au sein d'une collectivité humaine forte de plus de 40 000 personnes comme la préfecture de police. Le signalement d'un comportement radicalisé doit remonter par la voie hiérarchique, à l'instar de tout autre signalement concernant un fonctionnaire rencontrant des difficultés ou posant un problème de comportement. Comme déjà affirmé la sensibilisation et la vigilance de tous me semblent les réponses les plus appropriées. Tout en prenant le soin d'éviter les risques de dérive.
La désignation d'un référent, par définition au niveau central, aurait-elle pu changer la donne ? Aurait-elle évité le défaut de remontée hiérarchique ? Rien ne permet de l'affirmer. Au demeurant, pour la connaissance des phénomènes, mon cabinet et le SGA ont disposé des informations utiles et, sur le petit nombre de cas, le contact direct avec les directeurs, avec la DRH, a toujours été de mise. Mais, encore une fois, c'est la remontée d'informations qui est la clef. Si elle est défaillante « l'appareil central » n'est pas en mesure de jouer son rôle…
6. Pensez-vous que le risque d'avoir des agents radicalisés potentiellement dangereux au sein de la préfecture de police a été suffisamment pris en compte ?
Le drame du 3 octobre apporte à cette question un éclairage tragique en terme de réponse. Cependant, lorsqu'il y a eu des signalements des mesures de révocation, ou de licenciement, ou de mise à fin de stage sont intervenues. J'y reviendrai plus loin.
Ce qui montre que le sujet a été pris en compte. Il faut noter cependant que les cas les plus « voyants » sont toujours les plus faciles à détecter (cf deux cas de récemment convertis) mais que les stratégies de dissimulation peuvent être plus redoutables …
7. Comment évaluez-vous l'importance de la radicalisation au sein de la préfecture de police ? Comment cette radicalisation se manifeste-t-elle (attitude extérieure, discours, regroupements par affinités, exigences particulières en termes de congés, d'horaires, de prières ou d'alimentation, relations avec les collègues notamment féminins, etc.) ? De combien de cas avez-vous eu connaissance ?
J'avais fourni fin 2018, par écrit, des éléments à la mission d'information de votre commission des lois, animée par les députés Eric Diard et Eric Pouillat. Je ne puis que rappeler ce que j'avais écrit : une quinzaine de signalements dont une dizaine de suspicions de comportements radicalisés et quatre ou cinq cas de fonctionnaires en contact avec des milieux radicalisés.
8. Quelles mesures avez-vous prises ou demandées à l'égard des agents présentant des signes de radicalisation (sanctions disciplinaires, mutation, retrait d'arme…) ? Des agents radicalisés ont-ils fait l'objet d'une radiation ?
Chaque fois que possible passage en conseil de discipline (pour le troisième corps le CD se réunit au niveau déconcentré, i-e présidé par le PdeP ou son délégué) avec demande de révocation (les mesures de révocation demeurent de compétence centrale).
Dans cette ligne, ferme, sont ainsi intervenus, durant les deux années d'exercice de ma fonction, trois révocations, le licenciement d'une ADS, un refus de titularisation, une mutation, un refus d'agrément pour un candidat ADS. Chaque fois que l'administration en a eu connaissance de faits le justifiant elle a agi avec rapidité et sévérité. Ainsi :
Affaire N : fonctionnaire interpellé et mis en examen en juin 2017 pour association de malfaiteurs terroriste. CD en octobre 2017. Révoqué.
Affaire B. : fonctionnaire de police ayant tenu via YouTube, des propos complotistes et insultants envers le Gouvernement. CD le 13-06-18. Révocation .
Affaire D. : fonctionnaire entendu dans le cadre d'une enquête terroriste conduite par la SDAT, et connu pour des faits de prosélytisme au service. CD le 13-06-18. Il a été révoqué. Le 5 décembre 2018 cette révocation a été suspendue en référé par le juge administratif.
Affaire J. : fonctionnaire stagiaire, en contact avec son frère présent en Syrie, manifestant des demandes étranges pour pouvoir accès aux fichiers de police. Non titularisation… mais au motif d'une altercation violente dans la sphère privée avec un automobiliste. Je reviendrai sur ce point lors de la réponse à la dernière question.
Affaire C . ADS licenciée le 22 août 2018. Mise en cause pour le vol de deux armes du service afin de fournir deux islamo-délinquants.
Affaire O. : administratif détecté pour ses fréquentations salafistes pendant un congé de maladie . A été placé en congé longue maladie, ce qui rendait très complexe une procédure disciplinaire. A de fait été écarté du service pendant une longue durée.
9. La préfecture a-t-elle dû procéder à des réintégrations à la suite de l'annulation par le juge d'une décision de radiation ? Dans quels services ces agents ont-ils été réintégrés ? Le cas échéant, ont-ils gardé leur arme de service ?
Oui, à la suite de la mesure de suspension par le juge des référés dans le cas cité ci-dessus. Je ne connais pas la suite de ce contentieux.
10. L'article L. 114-1 du code de la sécurité prévoit la création d'une commission paritaire permettant la mutation ou la radiation d'un agent public « occupant des emplois participant à l'exercice de missions de souveraineté de l'État ou relevant du domaine de la sécurité ou de la défense » et dont le comportement serait devenu incompatible avec l'exercice de ses fonctions. Considérez-vous que cette procédure est adaptée ?
La loi du 30 octobre 2017 a constitué un énorme progrès, c'est une évidence. Une enquête peut désormais être diligentée, avec consultation des fichiers les plus sensibles, pour un fonctionnaire en activité.
La commission paritaire créée par le deuxième alinéa du IV de l'article L114-1 du CSI doit, en effet, être saisie pour avis, sauf en cas de simple changement d'affectation. Juridiquement ne pas prévoir l'intervention d'une telle instance aurait sans aucun doute fragilisé le dispositif. Durant mon « mandat » j'avais souhaité soumettre un cas à cette commission mais elle n'était pas encore installée, m'avaient alors indiqué mes collaborateurs. Le collègue du Conseil d'Etat qui préside cette instance, et que j'ai interrogé après le drame du 3 octobre, m'a indiqué que la commission était désormais en place, installée à l'été 2018, mais qu'à ce jour aucun dossier ne lui avait encore été soumis. Il faut donc souhaiter et tout faire pour que cette instance créée il y a deux ans puisse pleinement jouer son rôle.
Il faudra s'interroger cependant sur l'articulation avec les conseils de discipline, instances familières à l'institution policière et au sein desquelles les représentants du personnel savent prendre leurs responsabilités. Chaque fois qu'un comportement radicalisé aura un lien avec le service le recours à la procédure disciplinaire mériterait d'être maintenu : le code de déontologie n'est pas dépourvu de possibilités pour sanctionner ces comportements (cf art. R. 434-29). Les révocations intervenues le montrent mais les cas étaient très voyants ! La procédure nouvelle devra-t-elle privilégier les situations plus complexes, dans lesquelles la radicalisation est avérée, mais ne s'est pas traduite dans le service ?
Il faut noter enfin, s'agissant de la radiation des cadres, que la procédure de l'article L. 114-1 du CSI pose la condition d'une menace grave que le comportement du fonctionnaire fait peser sur la sécurité publique. Le dossier devra donc le démontrer. Et cette exigence est beaucoup plus forte que celle du droit disciplinaire.
11. Les vérifications et enquêtes opérées au moment de l'entrée dans la police vous paraissent-elles suffisantes ? Des progrès pourraient-ils être encore réalisés ? Des vérifications supplémentaires sont-elles effectuées en cas d'affectation sur un poste plus sensible ou d'accès à des fonctions à responsabilité ?
Les dispositions de l'article L. 114-1 du CSI offrent des possibilités qu'il faut exploiter systématiquement. Un criblage est effectué lors du recrutement : il présente un intérêt évident. Sur cette base, j'ai par exemple refusé l'agrément à un candidat adjoint de sécurité pour lequel les services de renseignement avaient rapporté que son père l'incitait à entrer dans la police nationale pour l'infiltrer. Plusieurs membres de la famille étaient de surcroît défavorablement connus.
Pour les postes à responsabilité ou les postes sensibles, ceux-ci nécessitent souvent une habilitation au « confidentiel défense » ou au « secret défense ». Ces habilitations ne sont délivrées qu'après une enquête assez poussée des services de renseignement.
Mais tout n'est pas dans les fichiers et il faut rappeler l'intérêt qui peut s'attacher à des enquêtes de proximité…En outre l'efficacité de la détection de la radicalisation ne peut être entière que si aux dispositifs juridiques vient s'ajouter le regard humain. Aucun fonctionnaire de police n'est isolé. Par nature le travail dans la police est une activité collective avec une hiérarchie, des collègues, des collaborateurs. Plus qu'ailleurs l'attention portée aux autres est essentielle.
12. Les agents de la préfecture de police sont-ils suffisamment sensibilisés et formés à la détection et à la prévention de la radicalisation ?
La réponse au questionnaire que m'avait transmis la mission d'information contenait beaucoup de précisions sur ce sujet et décrivait les actions mises en place. Je me permets d'y renvoyer .
Il est vrai que notre approche a d'abord privilégié la détection et la prévention « externes », en particulier pour mobiliser et former les « policiers du quotidien ». Mon propos introductif devant la mission contenait cependant les phrases suivantes :
« A juste titre, vous évoquez les deux aspects de la problématique : d'une part, l'action des services publics, parmi lesquels ceux de la Préfecture de Police, pour entraver le phénomène de radicalisation ; et d'autre part, cette même dérive radicale susceptible de toucher certains agents publics. Les services de l'Etat sont en effet à l'image de la société, c'est le cas des forces de l'ordre. Sans nul doute la foi dans les valeurs de la République, le patriotisme, le sens de l'Etat, sont-ils consubstantiels à notre engagement, avec une intensité peut-être un peu plus forte qu'ailleurs. Néanmoins, ne serait-ce que pour des raisons statistiques, nul ne peut exclure l'idée qu'il existe des agents publics malheureusement concernés par la radicalisation islamiste, au même titre que d'autres de nos concitoyens. C'est là une réalité qu'il nous faut regarder en face, bien qu'elle soit, et fort heureusement, ultra minoritaire – une réalité qu'il nous faut traiter, et le plus en amont possible ».
Dans cet esprit, et comme précisé plus haut, se sont inscrites plusieurs actions. Un module d'accueil portant sur la laïcité a été élaboré pour les jeunes GPx . En lien avec l'IGPN quatre sessions de sensibilisation de cadres à la radicalisation de fonctionnaires de police ont été organisées en 2018,. 183 personnes les ont suivies.
Sur ces sujets cruciaux pour la cohésion républicaine convenons cependant que tout ce qui sera fait ne sera jamais assez.
● La coordination des services de renseignement et la procédure d'habilitation permettant de connaître des informations classifiées
13. Quelle part l'IGPN prend-elle à la prévention et la lutte contre la radicalisation au sein des forces de police ?
L'IGPN a un positionnement stratégique pour une vision d'ensemble. Elle diligente les enquêtes disciplinaires sur les cas qui lui sont soumis. Cela lui donne une connaissance synthétique de la situation qu'elle est à même de faire partager par tous les services, au niveau du groupe de travail central qu'elle a mis en place, mais aussi dans son rôle de sensibilisation et de prévention des risques (cf exemple ci-dessus). L'IGPN peut également intervenir sur des situations particulières qui pourraient le justifier et qui se traduisent par des tensions ou de graves difficultés.
La préfecture de police est donc pleinement impliquée dans les dispositifs mis en place au niveau national par l'IGPN, les sessions de sensibilisation organisées en 2018 en étant une excellente illustration.
14. Comment sont assurés la coordination et le partage d'information entre la DRPP et les autres services de renseignement ? Des mécanismes particuliers existent-ils avec les services compétents dans les départements de la grande couronne parisienne ?
La particularité de la DRPP est d'exercer des missions qui, pour une part, correspondent à celles du renseignement territorial, pour une autre part à des missions de la DGSI. Ce continuum est particulièrement précieux dans le domaine de la lutte contre les dérives de l'islam radical et le terrorisme qu'elles engendrent. Car le fil est continu qui peut mener du repli identitaire à la radicalisation, de la radicalisation à la tentation voire au passage à l'acte.
La DRPP s'inscrit comme opérateur dans la lignée du chef de file qu'est le DGSI et participe aux instances mises en place par le coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme. En mai 2017 j'ai signé par ailleurs avec le DGSI une convention – classifiée - permettant à la DRPP de pouvoir s'appuyer sur le savoir-faire de la DGSI pour « se mettre aux normes » et j'ai toujours fait de cette orientation une priorité pour la DRPP.
Vis à vis de la grande couronne la DRPP est, dans son champ d'action, le service sur lequel s'appuie le préfet de police pour exercer ses compétences de préfet de zone. Elle reçoit les informations qui lui sont dues dans ce cadre, le sujet de la radicalisation étant prioritaire. Et mon cabinet a toujours veillé en outre à l'information étroite des préfets. J'ai donc toujours disposé de la vision « zonale » qui m'était nécessaire.
Mais les contacts entre la DRPP et le SCRT ne se limitent pas à cet aspect « zonal ». Très associée au travail de niveau central, par exemple avec la réunion hebdomadaire dite d'état-major, la DRPP dialogue en effet au quotidien avec les services centraux du SCRT.
J'ajoute enfin que chaque vendredi je tenais une réunion sur le suivi des dossiers les plus sensibles, réunion à laquelle étaient conviés et prenaient part, aux fins de coordination, la DGSI et le niveau central du SCRT.
15. Estimez-vous nécessaire de changer la durée des habilitations permettant de connaître des informations classifiées ? Compte tenu de l'évolution rapide du comportement de certains individus radicalisés, un retour à la durée de validité antérieure à 2011 vous paraitrait-elle opportune ? La procédure vous parait-elle devoir évoluer ? Estimez-vous nécessaire et possible d'intensifier les contrôles inopinés supplémentaires réalisés pendant la période de validité de l'habilitation ?
Toutes les orientations que suggèrent ces questions méritent qu'elles soient attentivement étudiées. Mais il ne suffit pas de changer les règles, il faut se donner les moyens de les appliquer ce qui nécessite sans doute le renforcement des moyens consacrés à cette mission.
16. Quelles pourraient être les pistes de réforme pour mieux lutter contre la radicalisation chez certains fonctionnaires de police ?
Il est sans doute des actions à améliorer, à approfondir. Au moment du recrutement et des enquêtes, pendant la formation initiale, durant l'exercice des fonctions : on l'a vu à travers votre questionnaire. Et votre commission fera sans nul doute de pertinentes propositions.
Au-delà de cela, le temps n'est-il pas venu de réfléchir à une meilleure affirmation juridique de l'adhésion nécessaire à la devise et aux valeurs de la République ?
L'obligation de neutralité et le respect du principe de laïcité sont bien affirmés par l'article 25 de la loi portant droits et obligations des fonctionnaires ; le code de déontologie de la police nationale explicite aussi ces exigences lorsqu'il évoque le devoir de réserve (R. 434-29) et la loyauté au service des institutions républicaines (R. 434-2). Cependant la radicalisation et les risques qu'elle fait peser sont des phénomènes nouveaux auxquels les cadres juridiques classiques doivent s'adapter. Les services peuvent donc avoir des hésitations. Exemple dans l'affaire J évoquée plus haut, pour le règlement de laquelle – non titularisation d'un stagiaire – les services se sont appuyés sur des faits autres que la radicalisation. Estimant le terrain à la fois plus simple et plus sûr.
Ne faut-il donc pas aller plus loin dans l'exigence de respect de la devise et des valeurs de la République ? Et cette affirmation, qui peut certes trouver place dans le code de déontologie, ne mériterait-elle pas d‘être élargie à d'autres champs du service public ? Le sujet est complexe et la voie juridique sans doute bien étroite et pleine d'embûches.
Il demeure que l'affirmation par la République – affirmation claire, nette, sans complexe - de sa devise et de ses valeurs est la réponse à ceux qui œuvrent en souterrain pour tenter d'imposer d'autres normes et qu'elle conforte toujours dans leur mission et leur détermination l'immense majorité des fonctionnaires et agents publics.
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Caroline Abadie, Mme Laetitia Avia, M. Florent Boudié, M. Éric Ciotti, M. Éric Diard, M. Jean-Michel Fauvergue, Mme Isabelle Florennes, Mme Séverine Gipson, Mme Marie Guévenoux, M. David Habib, M. Meyer Habib, M. Guillaume Larrivé, Mme Constance Le Grip, Mme Marine Le Pen, Mme Alexandra Louis, Mme George Pau-Langevin, M. Stéphane Peu, M. Éric Poulliat, M. François Pupponi, M. Bruno Questel, M. Guillaume Vuilletet
Excusé. - M. Stéphane Trompille