La séance est ouverte à 14 heures 30.
Présidence de M. Éric Ciotti, président
Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête. Après avoir entendu plusieurs hauts responsables de la préfecture de police de Paris, nous entamons une série d'auditions visant à nous permettre d'avoir une vision la plus pertinente et la plus réelle possible des relations qu'a pu entretenir l'auteur de l'attentat de la préfecture de police de Paris, Mickaël Harpon, avec une mosquée de son département de résidence, à Gonesse, où il se rendait régulièrement.
C'est pourquoi nous entendrons aujourd'hui M. Jean-Yves Latournerie, que je remercie pour sa présence, qui a été préfet du Val-d'Oise d'avril 2016 à juin 2019.
Monsieur le préfet, vous êtes accompagné de M. Philippe Brugnot, qui a été, dans cette période, votre directeur de cabinet, et qui exerce toujours les mêmes fonctions auprès de votre successeur, M. Amaury de Saint-Quentin.
Mes chers collègues, contrairement à ce que nous avions initialement prévu, nous avons estimé plus opportun, compte tenu des éléments de réponse que doit nous apporter M. le préfet et après en avoir discuté avec lui, de procéder à cette audition à huis clos.
Je vais donner la parole à M. le préfet pour une intervention liminaire, afin notamment de retracer la relation qu'entretenait Mickaël Harpon avec les imams de la mosquée de Gonesse, dont un en particulier, et le lien entre les services de renseignement, aussi bien la sécurité intérieure que le renseignement territorial (RT) du Val-d'Oise, et la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP) dans laquelle Mickaël Harpon était agent. Ce lien est au cœur de nos travaux. La fréquentation de la mosquée par Mickaël Harpon a-t-elle été signalée ? Si oui, comment ? Dans quel cadre ? Si non, pourquoi ? Quelle est la relation entre ces différents services de renseignement ?
Au préalable, je vous indique que, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je dois vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Jean-Yves Latournerie et M. Philippe Brugnot prêtent successivement serment.)
Bien que nous soyons réunis à huis clos, je tiens tout d'abord à exprimer l'émotion qui est la nôtre après le drame qui s'est produit à la préfecture de police et dans lequel un ressortissant du Val-d'Oise est mis en cause. À cet égard, je me sens encore valdoisien, et je veux exprimer mon soutien aux membres des forces de l'ordre atteints, ainsi qu'à leurs familles.
(…)
Merci, M. le préfet, pour cet éclairage qui couvre une partie de nos questions. Vous avez décrit en détail le parcours de cet imam et nous vous en remercions. Une autre question importante est son lien avec Mickaël Harpon. Le parcours chaotique et préoccupant que vous venez de décrire doit naturellement être rattaché à celui de l'auteur de l'attaque à la préfecture de police. Quelle connaissance avez-vous de ce lien ? Quel a été le travail des services de renseignement, sécurité intérieure ou renseignement territorial, sur la relation entre cet imam et Mickaël Harpon ? Quelle suite a été donnée en matière de diffusion de l'information, notamment vers la direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP) ?
En ce qui me concerne, je n'avais jamais entendu parler de Mickaël Harpon avant l'attentat. C'était un fonctionnaire de la préfecture de police qui habitait le Val-d'Oise mais qui n'était pas connu dans le Val-d'Oise. Il ne faisait pas partie des personnes repérées. Nous savons qu'il faisait partie des 800 fidèles de la mosquée de Gonesse, mais il ne s'est pas spécialement fait remarquer. Si on avait eu des raisons de s'intéresser à lui, surtout sous l'angle dont on voit les choses aujourd'hui, on l'aurait spécifiquement ciblé dans les démarches de renseignement. Mais avant son passage à l'acte, on n'avait aucune raison de s'intéresser à Mickaël Harpon. S'il y en avait, elles nous ont échappé. Si l'imam X était clairement identifié et suivi par les deux services, aucune raison ne nous a conduit à suivre Mickaël Harpon, à ce moment-là. Et je ne crois pas – mais je ne peux m'aventurer sur ce terrain puisque je n'étais plus préfet du Val-d'Oise au moment de l'événement, – qu'il ait été identifié dans la brève période entre sa décision, s'il y en a eu une datable, de passer à l'acte et l'acte en question.
Pourriez-vous me rappeler votre deuxième question ?
Votre première réponse semble clore la seconde, qui concernait la transmission éventuelle d'éléments d'enquête ou de signalements sur Mickaël Harpon par les services de renseignement.
Dans la droite ligne de ce que je viens de dire, nous n'avons pas ciblé Mickaël Harpon et nous n'avons pas été l'objet, au niveau valdoisien, de demande d'enquête à son sujet.
Ce n'est pas forcément une référence juridique ou factuelle, mais après l'attentat, un article du Canard enchaîné faisait état d'un signalement sur Mickaël Harpon par le renseignement territorial du Val-d'Oise, qui aurait transmis aux autres services de renseignement, DGSI et DRPP. À votre connaissance, cette information est fausse ?
Sous le contrôle du directeur de cabinet qui était encore en fonction dans le Val-d'Oise cette semaine-là, il n'y a eu aucune remontée.
Il n'y a eu aucune remontée à notre niveau. Ces remontées peuvent être le fruit des services spécialisés mais aussi de tout un chacun qui communique une information sur la plateforme nationale anonyme du centre national d'assistance et de prévention de la radicalisation (CNAPAR), laquelle traite toutes les demandes et les réaffecte dans les départements de résidence. À ce titre, nous n'avons localement reçu aucun signalement de qui que ce soit concernant Mickaël Harpon.
Ce dossier est douloureux pour moi, parce que j'y ai participé et l'ai vécu personnellement. Depuis le début, je me demandais pourquoi l'OQTF n'avait pas été exécutée. Vous avez fourni vos explications. Monsieur le président, il faudrait que nous auditionnions ceux qui ont pris la décision de ne pas expulser la première fois, malgré le fait qu'il était connu des services de renseignements et qu'il avait un casier judiciaire. Nous connaissons bien l'imam X et son parcours. Monsieur le préfet, vous l'avez dit vous-même à juste titre, lors des perquisitions, on n'a pas trouvé d'armes parce que son arme est idéologique. Sa capacité était de s'occuper de certains individus pour essayer de les amener vers une pratique de l'islam assez particulière.
À ce titre, j'ai cru comprendre lors d'une émission de télévision que Mickaël Harpon fréquentait la mosquée de Gonesse le matin et le soir, hors la grande prière du vendredi, c'est-à-dire lorsque M. X faisait le prêche. Mais ces jours-là, le matin et le soir, il n'y a pas grand monde à la mosquée de Gonesse, il n'y a pas 800 fidèles. Nous avons compris que vous n'aviez pas de raison objective de cibler Mickaël Harpon, mais est-ce que les services du renseignement territorial surveillaient les prêches de M. X et s'intéressaient aux fidèles qui les fréquentaient matin et soir ? Quand on sait qu'un imam tient un discours un peu particulier, on peut aller voir s'il ne fréquente pas des gens susceptibles d'être manipulés, puisque c'est un manipulateur. À cette occasion, les services de renseignement n'ont-ils pas constaté qu'un membre des services de renseignement de la préfecture de police était assidu à ses prêches ?
Beaucoup a été dit sur les pratiques de M. X. Le représentant du service du renseignement territorial et le directeur départemental de la sécurité intérieure pourront, lors de leur audition par votre commission d'enquête, vous dire précisément quelles informations ils avaient et à quel moment sur la pratique d'X et sur Mickaël Harpon. J'ai compris que la conversion de ce dernier datait de son mariage, sa femme, de religion musulmane, l'ayant convaincu d'embrasser cette religion.
(…)
il n'avait donné aucun signe d'une attitude de radicalisation, et encore moins à un stade extrême susceptible de conduire aux meurtres que vous connaissez.
Monsieur le préfet, vous avez dit qu'on n'avait aucune raison de s'intéresser à Harpon mais que M. X était suivi par vos services. Si on suit quelqu'un qui semble radicalisé, qui prêche à des moments où il y a peu de fidèles, à mon sens, on doit suivre aussi les fidèles concernés, en particulier lorsqu'un fonctionnaire de la préfecture de police chargé de la radicalisation en fait partie. Pour moi, c'est le b.a.-ba d'un service de renseignement.
Vous avez indiqué à plusieurs reprises qu'on n'avait relevé aucune attitude de radicalisation, et vous avez défini la radicalisation comme « un processus qui conduit au risque d'actes violents ». Mais avec une telle définition, on écarte 99 % des problèmes et des salafistes. S'il y a des signes d'actes violents, il faut mettre la personne en prison !
Enfin, vous avez cité le fameux « ni, ni », ni expulsable, ni régularisable. À entendre le préfet de la République, j'ai l'impression que les outils entre vos mains sont inadéquats pour lutter contre l'immigration dangereuse et ordonner des expulsions. Pendant quinze minutes, vous avez décrit une situation dans laquelle vous aviez envie de le faire partir sans pouvoir le faire. En tant que législateur, le constat me paraît grave.
Monsieur le préfet, pourriez-vous détailler l'argumentaire de la DLPAJ pour s'opposer à l'exécution de cette OQTF qui avait déjà été décidée par vos services ? Je suppose que si la DLPAJ avait été favorable à l'expulsion, la commission du titre de séjour ne serait pas réunie, mais j'aimerais vous l'entendre dire. Si elle s'est réunie, c'est peut-être pour contester l'avis de la DLPAJ. Quels étaient les rapports entre le RT et la DRPP ? Des réunions régulières d'échange d'informations étaient-elles organisées ?
Vous avez signalé à différentes reprises que l'individu n'avait pas montré de signes de radicalisation. Estimez-vous que les agents des services publics de sécurité sont suffisamment formés à l'exercice de leur mission de prévention de la radicalisation ? Quelles pourraient être les pistes d'amélioration ?
Monsieur le préfet, je me suis renseigné sur mon département. À cette période, combien de dossiers de radicalisation étaient en cours dans le Val-d'Oise ? Combien de personnes suivies pour radicalisation avaient des liens avec la mosquée de Gonesse ? Combien étaient proches de cet imam et quels pouvaient être leurs liens avec Harpon ?
S'agissant de la radicalisation, je ne prétends pas me cacher derrière une définition. J'ai tenu à préciser en préambule ce qu'on définit par radicalisation afin de lever toute ambiguïté. Je sais par expérience qu'il existe beaucoup de degrés d'implication dans l'engagement radical, que tout ne se vaut pas, que des situations interprétées comme relevant d'une radicalisation intolérable ne le sont pas, voire l'inverse. J'ai voulu cadrer ce que l'on entend par ce terme. En clair, un individu peut être très sensible aux thèses salafistes les plus dures, s'il ne les met pas en pratique de manière criminelle ou même violente, il n'entre pas dans la même catégorie que celui qui les met en pratique.
On peut passer d'une catégorie à l'autre. Malheureusement, dans le cas dont on parle, on est passé de la catégorie la moins offensive à la catégorie la plus offensive. Il y a donc intérêt à détecter des prémices, des prédispositions ou des indices d'idéologies qui pourraient être radicales. Je redis ici que du point de vue des services de renseignement du Val-d'Oise, M. X était considéré comme sensible à l'idéologie radicale, mais qu'à ce stade, on ne pouvait pas parler d'une radicalisation effective au sens que j'ai indiqué, mais on peut contester cette définition. Le continuum entre l'idée et le passage à l'action est variable selon les individus mais il existe toujours dès lors qu'il y a un passage à l'acte. C'est une précision méthodologique. Cette personne professait une religion radicale mais elle n'était pas passée au stade de la mise en œuvre.
Mais il y a un risque. À partir du moment où quelqu'un est sensible, voire professe des thèses radicales, il y a lieu de le surveiller, et c'est ce que nous avons fait. C'est ce que les deux services ont fait. On ne s'est pas contenté du renseignement territorial, on l'a surveillé.
S'agissant des motivations de la DLPAJ, j'ai le document sous les yeux : « Les éléments ci-joints ne sont pas de nature à engager une procédure d'expulsion. La note du SDRT ne mentionne aucun extrait de prêche extrémiste incitant à la haine ou à la violence. Elle ne mentionne ni tentative de recrutement de djihadiste mais souligne surtout le conflit interne à la mosquée de Sarcelles. Donc, au vu de cette note, il n'est pas possible d'établir une menace grave pour l'ordre public ».
Je vous en laisse juge.
Le rôle du renseignement territorial est d'anticiper. S'il anticipe, il n'a pas forcément d'éléments permettant de passer à une décision administrative dont on peut dire en droit qu'elle fait grief, s'agissant d'une présence ou non sur le territoire. Il y a toujours un moment où les éléments accumulés permettent ou ne permettent pas encore d'aller plus loin.
Si j'ai bien compris, une OQTF a été prononcée. N'est-elle pas directement applicable ? Faut-il toujours passer par la DLPAJ pour qu'elle soit exécutée ?
Je ne l'ai pas mentionné, mais il y a eu entre-temps un recours sur l'OQTF et c'est à ce titre que la DLPAJ a été saisie. Ce n'est pas étonnant, car il y a presque systématiquement recours.
Pour les agents de la Police nationale et de la Gendarmerie nationale, il existe, en fonction de leur spécialité, des modules de formation régulière dans lesquels sont abordées les questions de radicalisation. Récemment ont été mis en œuvre de nouveaux modules de formation dédiés à cette question et dispensés localement. C'est le cas dans le Val-d'Oise. Ce n'est plus seulement une formation purement théorique, c'est une deuxième formation visant une contextualisation sur le terrain. Oui, il y a des formations, oui, on évolue vers des éléments plus opérationnels, notamment dans des départements comme le Val-d'Oise où la menace est plus forte que dans d'autres.
Nous parlons de l'imam X et d'un parcours malheureusement assez typique dont on ne peut évidemment pas se désintéresser. Mais la question centrale est celle posée par le député Pupponi. Ce qui intéresse notre commission d'enquête, c'est le lien entre l'imam et l'auteur de l'acte terroriste. Or, à votre connaissance et à votre niveau de responsabilité, monsieur le préfet, aucun lien n'est établi entre eux.
J'y insiste, ce qui compte, c'est de savoir si les fidèles de cet imam, dont faisait partie l'auteur de l'attaque, étaient ou non suivis. Mes collègues de la commission trouvent surprenant que les fidèles de cet imam, parmi lesquels il y avait un agent d'un service de renseignement de la préfecture de police de Paris, n'aient à aucun moment été suivis. En tant que préfet, aviez-vous connaissance de ce que le service du renseignement territorial et la DGSI aient été saisis ?
Je n'ai pas de réponse autre que celle que j'ai indiquée. La cible des deux services de renseignement, c'était X lui-même, mais je ne pense pas qu'à ce stade, il y ait eu ce que vous suggérez, c'est-à-dire une liste de ceux qui suivaient l'enseignement de l'intéressé qui, je le confirme, n'étaient pas si nombreux qu'il y aurait eu un problème de moyens. Je n'ai pas eu connaissance, y compris en préparant cette audition, de l'établissement d'une telle liste. Je pense que les représentants des services que vous recevrez vous éclaireront.
Monsieur le préfet, je sortirai du cas concret qui nous occupe pour me mettre dans la peau des élus locaux, parce que, la semaine dernière, ils étaient nombreux dans Paris, et aussi parce que nous avons voté, cette même semaine, un projet de loi sur l'engagement des élus locaux. La circulaire publiée par le ministère de l'intérieur, le 13 novembre 2018, prévoit que les maires soient informés régulièrement de l'état de menace terroriste sur leur commune, afin de les aider à la prise en charge sociale des individus du bas du spectre, et qu'ils reçoivent une information ponctuelle sur des situations individuelles, en particulier si ce sont des employés municipaux. Cette circulaire devait aussi permettre aux maires de mesurer les risques associés aux subventions qu'ils peuvent allouer à telle ou telle association ou à l'installation de tel ou tel commerce.
Dans votre pratique de préfet, avez-vous eu l'occasion de la mettre en œuvre ? Si oui, quels types d'informations avez-vous pu communiquer aux maires du Val-d'Oise sur les personnes présentant des risques de radicalisation ?
Enfin, il me semble que la DLPAJ est un organe interne de conseil juridique interne au ministère de l'Intérieur. Qui est habilité la saisir ?
Monsieur le préfet, vous avez dû lire sur certains visages l'expression d'une d'inquiétude, car à la suite de vos propos, nous avons le sentiment que tant qu'il n'y a pas de commencement d'exécution, aucune décision d'expulsion ne peut être prise. Nous avons le sentiment qu'on ne fait aucunement usage du principe de précaution. On s'en étonne quand on est confronté à un imam capable de recruter ou d'inciter des fidèles, qu'il rencontre par définition régulièrement, à une radicalisation ou à un acte terroriste. Partant de là, il est tout de même intéressant de s'attacher à ce M. X, car il a le profil d'un certain nombre de personnes qui, sur notre territoire, pourraient recruter.
Pouvez-vous confirmer que l'accusation clairement exprimée par sa femme d'avoir contracté un mariage blanc n'a pas fait l'objet d'une saisine automatique du parquet ? Si oui, pourquoi ?
La mère de son enfant est-elle française ?
Oui !
La première question a trait à la circulaire du 13 novembre 2018 sur l'information régulière des maires. Dans le département du Val-d'Oise dont j'avais la charge, nous l'avons mise en œuvre dans la ville d'Argenteuil, troisième ville d'Ile-de-France avec 110 000 habitants et une densité importante de sujets de cette nature, ainsi que dans deux autres communes, qui n'ont pas du tout la même taille mais qui rencontrent ce genre de difficultés. Les maires et nous-mêmes l'avons souhaité, parce qu'il y avait des situations repérées que nous voulions porter de manière précise à leur connaissance. Cette démarche a aussi été mise en œuvre dans la commune de Montmagny, là où M. X a commencé sa carrière d'imam, commune qui continue à poser quelques difficultés, comme beaucoup de villes de ce département.
Au-delà de sa signature formelle, une convention doit présider à l'établissement d'une relation spécifique d'échanges personnels. Le préfet va voir le maire ou inversement. Il ne s'agit pas de réunions publiques mais d'échanges confidentiels ayant pour objet, dans une relation de confiance entre le maire et le préfet, d'apporter des informations au maire, voire au préfet d'en recevoir de la part du maire. Il s'agit aussi, et c'est ce que j'ai pratiqué avec le maire d'Argenteuil, d'avoir une discussion sur la manière de faire évoluer les choses, notamment les politiques mises en œuvre, afin de faire face aux conséquences éventuelles de ces situations. Je suis parti trop tôt après l'instauration de ce dispositif pour pouvoir vous livrer des impressions avec recul, mais s'agissant au moins de la commune d'Argenteuil, nous avions commencé, avant même la circulaire, à entretenir sur des points particuliers des relations étroites et confidentielles. J'insiste sur ce point, car l'intérêt du dispositif est de pouvoir se parler entre quatre yeux. Je considère le principe de ces échanges tout à fait positif et prometteur.
Madame Le Pen, tant qu'il n'y a pas de commencement d'exécution, aucune décision ne peut être prise.
Concernant l'accusation de mariage blanc par sa femme, je ne suis pas sûr d'avoir compris votre question. Cette accusation a été portée dans le cadre d'une procédure de divorce, à l'appui de sa procédure de divorce et non dans le cadre d'une procédure administrative. Cela fait partie des éléments de renseignement. Cela n'a pas été jugé, cela n'a pas été établi au terme d'une enquête ou d'un jugement.
Non. C'est un propos tenu dans le cadre d'une instance de divorce dans une ambiance tendue. On enregistre, on entend, on recoupe avec d'autres informations sur l'individu dans d'autres cadres. Cela fait partie d'éléments d'environnement du personnage. Le juge du divorce n'est pas le préfet. Cela se passe ailleurs. Des divorces qui se passent mal, il peut y en avoir partout, y compris avec toutes sortes de propos. Ce que j'ai indiqué ne veut pas dire autre chose.
Monsieur le préfet, veuillez m'excuser, car je dois quitter la présidence en raison d'une contrainte extérieure.
(M. Bruno Questel, vice-président de la commission, remplace M. Éric Ciotti. )
Monsieur le préfet, nous avons la chance de vivre dans un État de droit et nous n'allons pas vous reprocher d'avoir respecté le droit. En l'espèce, nous avons bien compris que, même si vous aviez envie de prendre certaines décisions, vous étiez un peu gêné aux entournures par les garanties offertes normalement aux gens auxquels vous êtes confronté. Même si nous ne sommes guère partisans des lois de circonstance, est-ce qu'il ne faudrait pas légèrement retoucher notre droit afin de permettre d'exécuter plus facilement une décision relative à quelqu'un présentant un danger ? Puisque tout cela s'effectue sous le contrôle de la Cour européenne des droits de l'homme, quelles retouches pourraient être apportées pour rendre l'administration plus efficace face à des personnes dangereuses ?
Nos précédentes auditions ont montré l'existence d'un chaînon manquant entre Mickaël Harpon et M. X. Je reprends la question de M. Fauvergue. À votre connaissance, lorsque vous étiez préfet du Val-d'Oise, comment s'opérait la transmission de l'information entre la direction du renseignement territorial et la direction du renseignement de la préfecture de police ? C'est peut-être là le chaînon manquant. Pourquoi les informations n'ont-elles jamais été croisées ?
Madame Pau-Langevin, il est difficile de répondre de but en blanc à votre question, s'agissant, comme vous l'avez dit, d'un sujet très sensible qui concerne à la fois le droit français et le droit européen. Je ne me suis pas mis en situation de faire des recommandations au législateur.
Le préfet est là pour appliquer les lois de la République, dans les limites de ses pouvoirs. Dans le cas particulier, la décision appartenait non au préfet mais au ministre lui-même, donc à la direction des libertés publiques et des affaires juridiques. Dans les autres cas, elle a été saisie pour avis. À partir du moment où la DLPAJ estime que les conditions ne sont pas réunies, il y a deux solutions, non seulement de manière générale pour un décideur mais aussi, dans le cas particulier relevant du droit public, pour un préfet. Il peut considérer qu'en dépit du risque juridique, les circonstances militent en faveur de la décision envisagée et il la prend. Cela présente pour lui l'avantage d'agir conformément à l'objectif qu'il poursuit, mais cela présente un risque de contentieux perdu, parce que non gagnable. Dès lors le gain pour le mis en cause est doublé. La décision du préfet est « cassée » par le tribunal administratif ou par le Conseil d'État. Même si, par loyauté, on a tendance à écouter attentivement les avis émis par la direction des libertés publiques et des affaires juridiques, juridiquement très compétente et aguerrie, on y regarde à deux fois avant de fournir l'occasion de gagner devant le tribunal administratif à quelqu'un qu'on aura eu, pendant quelques semaines ou quelques mois, la satisfaction d'éloigner.
Je n'ai pas de retouche au droit actuel à proposer. J'ai volontairement cité la situation des « ni, ni » afin de souligner les limites, en l'état actuel de la logique du droit, des situations pour lesquelles il n'y a pas de solution. S'il y en avait une évidente, elle aurait été depuis longtemps trouvée. La question des « ni, ni » est très ancienne. Il est des situations qui ne s'apprécient qu'au regard des considérations de l'espèce et du droit.
Monsieur Vuilletet, j'ai cru comprendre que vous évoquiez un chaînon manquant entre Mickaël Harpon et M. X.
Je souhaite plutôt savoir comment s'effectue la coordination entre les services parisiens et les autres services ?
Vous parlez donc plutôt d'un chaînon manquant entre les services ! Vous aurez l'occasion de recueillir le témoignage des chefs de service concernés. Les choses sont assez simples et ne sont pas nouvelles. En Île-de-France, dans une grande agglomération, la situation est beaucoup moins claire que dans les autres départements que j'ai connus, où il existe une unité. Tout le monde est au chef-lieu, parfois même dans le même hôtel de police. Pour peu que les chefs et les subordonnés s'entendent, ce qui est de plus en plus le cas, des échanges peuvent avoir lieu au-delà des échanges informels que je viens de suggérer. Il en va différemment dans la région Île-de-France et c'est un problème. De fait, la direction du renseignement de la préfecture de police est compétente sur une partie du territoire de la région tandis que le préfet de police n'a qu'une compétence de coordination sur le reste du territoire où il existe une autonomie locale d'action pour les préfets et pour les services départementaux. Si vous voulez le fond de ma pensée, les échanges pourraient être plus systématiques.
Monsieur le préfet, au long de cette audition, vous avez évoqué le profil pour le moins inquiétant de cet imam. Dispose-t-on d'éléments précis sur la nature de ses prêches ? Dispose-t-on d'un verbatim ou d'une analyse ? Nous avons évoqué la ligne qui sépare le propos relevant d'un prêche classique de celui relevant d'un prêche dépassant les limites légales. Quelle est selon vous cette ligne ? Je pense à l'affaire de Marseille qui a donné lieu à l'expulsion d'un imam qui tenait des propos extrêmes, portant notamment atteinte à l'égalité entre les femmes et les hommes et entre les communautés.
Monsieur le préfet, vous nous avez indiqué que l'imam en question n'était pas inscrit au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). Au regard des éléments que vous avez exposés, il me semble qu'il aurait dû y figurer. Estimez-vous qu'il y a eu une défaillance de vos services ? Vous avez évoqué les réunions mensuelles des groupes de détection de la radicalisation. Comment a-t-il pu passer entre les mailles du filet ? Plus généralement, y avait-il dans la mosquée des personnes fichées ou suivies ?
Madame Louis, je vous invite à interroger de manière plus approfondie le directeur départemental du renseignement territorial qui viendra témoigner devant la commission d'enquête. Chronologiquement, la surveillance approfondie de cet imam a débuté lorsqu'il était dans la mosquée Foi et unicité à Sarcelles, alors qu'il avait commencé son activité à la mosquée Salam de Montmagny, plusieurs années auparavant, sans avoir été identifié pour aucune raison particulière. En enquêtant, on constate que ce n'est pas la première fois qu'il tient, de manière plus ou moins cachée, à un public relativement restreint, des propos plus durs. Son attitude se confirme à la mosquée Foi et unicité de Sarcelles, sans que ses propos ne fassent scandale. Sous réserve de ce que vous précisera le directeur du renseignement territorial, c'est une tonalité vindicative, de tendance salafiste, qui est assez fréquente mais qui ne permet pas de caractériser un propos de radicalisation active, d'appel au djihad ou antirépublicaine. Il fait partie des gens que le service du renseignement suit régulièrement. Ce suivi n'était pas si ancien, mais il était effectif.
Concernant la limite, vous avez évoqué l'expulsion de Marseille. En l'occurrence, c'est la limite du droit vis-à-vis d'un parent d'enfant français.
Avait-il des enfants français ? Si ses enfants n'avaient pas été français, il serait déjà reparti ! En tout cas, on aurait fait en sorte qu'il reparte.
Je vous rappelle la suspicion évoquée à haute voix par sa première épouse : le mariage et l'enfant ont-ils vraiment eu un autre objet que d'obtenir la garantie de ne pouvoir être expulsé de France ?
Votre réponse à la question d'Alexandra Louis éclaire la discussion que nous avions tout à l'heure au sujet de la radicalisation. Si l'imam en question avait tenu des propos d'incitation à la haine, à la discrimination et à la commission d'actes terroristes, il aurait été catalogué dans la catégorie des imams radicalisés.
Je ne sais pas si c'est aussi tranché.
J'ai indiqué d'entrée qu'il convenait de distinguer l'adhésion à des thèses radicales et le passage à l'acte violent, où l'on parle de radicalisation active. Tout le monde s'accorde à considérer, et pas seulement après le drame, que cet individu, qui a été successivement licencié de deux mosquées, ce qui n'est tout de même pas fréquent, ne convenait pas. Sur le plan du droit, les éléments dont nous disposions n'ont pas suffi pour l'empêcher de nuire.
Monsieur le préfet, concernant le mariage blanc, vous avez indiqué que cela se passait dans le cadre d'une procédure de divorce, procédure civile entre deux particuliers. Mais puisque vous en avez eu connaissance, il y avait aussi la possibilité de recours au signalement au titre de l'article 40 du code de procédure pénale, dont le parquet est toujours très preneur. Pour avoir eu à connaître des mariages blancs dans le passé, je sais que nous ne pouvons pas compter seulement sur ce qui se dit dans les procédures entre deux personnes privées que nous ne connaissons pas. Mais à partir du moment où le sujet est porté à votre connaissance, il peut conduire à l'utilisation de l'article 40.
Ma seconde observation est consécutive aux propos assez transparents que vous nous avez tenus. La spécificité de la situation de la région parisienne pose à nouveau le problème de l'organisation de certains services de la préfecture de police et de la difficulté d'établir des passerelles avec d'autres services.
Pardonnez-moi de revenir sur un sujet sur lequel ont déjà insisté mes collègues mais il est central. Vous m'avez ouvert des horizons inquiétants. Benoîtement, je pensais que les fidèles qui assistaient aux prêches d'imams dépassant une certaine norme étaient sinon fichés, du moins connus. Si c'était le cas, Mickaël Harpon aurait été identifié assez facilement. Il n'y a donc pas d'instructions délivrées au plan national visant au suivi, non seulement de l'imam – pour lui, cela me paraît être quasiment une évidence –, mais aussi de ceux qui assistent aux prêches ? L'imam étant connu, il est plus facile à cerner que les fidèles, et ce sont presque ceux-là qui nous intéressent le plus.
J'ai bien noté que les échanges entre DRPP et RT gagneraient à être systématisés, ainsi que vous-même l'avez dit. Comme le remarquait ma collègue, cela pose la problématique de l'organisation du renseignement au sein de la préfecture de police. Ce n'est pas la première fois que nous posons cette question au sein de la commission.
Je suis d'accord avec M. le rapporteur, sauf que, dès le départ, en 2015, une OQTF a été prise par l'administration et, à ce titre, elle était exécutoire. Or en 2015, l'imam n'était ni marié, ni père.
Pourquoi l'administration prend-elle une décision, si c'est pour ne pas l'appliquer à cause de possibles recours ? Les médias ne se sont pas contentés d'une telle réponse et se sont interrogés sur cette OQTF qui n'a pas été exécutée. En s'inquiétant de recours que l'on pourrait perdre, au niveau des préfectures ou de la DLPAJ, est-ce qu'on ne se prive pas d'une partie de nos moyens ?
Je poserai enfin une question au nom de ma collègue Caroline Abadie, qui n'aura plus la parole, faute de temps. Dans cette affaire, qui a saisi la DLPAJ ?
Monsieur le préfet, pourriez-vous aussi répondre à la question préalablement posée par M. Gauvain ?
Monsieur Gauvain, l'intéressé a été inscrit au fichier des personnes recherchées. Cela suffisait à ce stade, on n'avait pas besoin de l'inscrire au FSPRT. Au moment du divorce, on n'avait pas le recul que nous avons aujourd'hui sur l'individu et son passé. À l'époque, il n'était même pas connu du renseignement territorial. Aujourd'hui, le tableau est beaucoup plus complet. Je n'étais pas alors préfet du Val-d'Oise et je n'ai pas personnellement le souvenir d'autres raisons qui auraient pu justifier plus de vigilance. Cela dit, nous regarderons s'il y a eu, à l'époque, d'autres éléments et, si l'on trouve quelque chose d'important, je vous le transmettrai.
Je vous laisse votre appréciation de l'organisation de la préfecture de police et du problème que cela constitue ou pas. Il est vrai, et les représentants des services que vous recevrez le diront aussi, qu'il n'est pas très bien adapté dans une grande conurbation comme la nôtre de distinguer en permanence les gens selon qu'ils sont à leur domicile ou au travail. Les mêmes personnes changent de zone deux fois par jour, d'un côté, au travail, de l'autre côté, dans leurs activités privées, et elles sont suivies, le cas échéant, par deux services différents. Il y a un problème qui n'est pas facile à résoudre, qui se double aussi d'un problème de moyens. Il faudrait un système de double surveillance permanent, à domicile et dans l'activité professionnelle. J'ai conscience que ma réponse est rapide et mériterait des développements.
Madame Vichnievsky, le nombre exclut une surveillance de tous les fidèles. Les services de renseignement approfondissent les cas qui leur sont signalés et qui apparaissent nécessiter une intervention active. On ne peut imaginer de mettre sous surveillance tous les musulmans d'un département comme le Val-d'Oise.
Pardon ! Plutôt tous les fidèles écoutant les prêches d'imam identifiés comme radicalisés.
Vous n'avez pas répondu à ma question. Sans doute n'avez-vous pas les chiffres, mais il serait intéressant qu'ils nous soient communiqués ultérieurement. Quel est le nombre de personnes radicalisées dans le Val-d'Oise ?
Pour compléter ma question, les personnes suivies qui auraient pu approcher Mickaël Harpon ne vous ont pas donné d'alerte ?
M. le préfet l'a dit en début de propos.
Monsieur le préfet, vous avez dit que vous aviez appris l'existence de cette personne après la commission des faits. Mais plus largement, dans l'exercice de vos fonctions, et ma question appelle une réponse par oui ou non, avez-vous eu connaissance de la présence de fonctionnaires, quelle que soit la nature de la fonction ou de l'emploi exercé, ayant un comportement religieux inapproprié dans une mosquée du département de votre responsabilité ou ailleurs ?
La réponse est non. Je n'ai pas ce genre de souvenir concernant des fonctionnaires à proprement parler. C'est différent pour les entreprises de transport.
Je précise au passage que l'aéroport de Paris, même partiellement situé dans le Val-d'Oise, ne dépend pas de la juridiction du département concerné mais du préfet de police.
Si M. le rapporteur en est d'accord, je peux fournir la précision attendue sur les chiffres.
Ces nombres sont : 150 pour la DDSI et 70 pour le SDRT dans le département.
La séance est levée à 16 heures 30.
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Florent Boudié, M. Éric Ciotti, M. Éric Diard, M. Jean-Michel Fauvergue, M. Raphaël Gauvain, Mme Séverine Gipson, Mme Marie Guévenoux, M. Meyer Habib, M. Guillaume Larrivé, Mme Marine Le Pen, Mme Alexandra Louis, Mme Naïma Moutchou, Mme George Pau-Langevin, M. François Pupponi, M. Bruno Questel, M. Guy Teissier, M. Stéphane Trompille, Mme Laurence Vichnievsky, M. Guillaume Vuilletet
Excusés. - M. David Habib, Mme Constance Le Grip, Mme Alexandra Valetta Ardisson