COMMISSION D'ENQUÊTE relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intÉRÊts privés et ses conséquences
Jeudi 6 mai 2021
La séance est ouverte à dix-sept heures.
(Présidence de Mme Mathilde Panot, présidente de la commission)
La commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences procède à la table ronde sur le thème « l'agriculture et la ressource en eau » :
– M. Philippe Jougla, agriculteur, membre du conseil d'administration en charge du dossier Eau à la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), accompagné de Mme Nelly Le Corre, chef du service Environnement de la FNSEA et M. Guillaume Lidon, responsable des affaires publiques de la FNSEA
– M. Éric Frétillère, président d'Irrigants de France et vice-président de l'Association générale des producteurs de maïs (AGPM), accompagné de Mme Sabine Battegay, animatrice d'Irrigants de France et de Mme Alix d'Armaillé, responsable des actions régionales et institutionnelles de l'AGPM
– M. Stéphane Rozé, référent national Eau au sein de la Fédération nationale d'agriculture biologique des régions de France (FNAB)
Mes chers collègues, nous concluons les auditions de la commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences par une table ronde sur le thème de « l'agriculture et la ressource en eau ».
Mesdames, Messieurs, je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de prendre le temps de répondre à notre invitation. Je vais vous passer la parole pour une intervention liminaire de cinq minutes par organisation, qui précédera notre échange sous forme de questions et réponses. Vous pourrez compléter vos déclarations par écrit.
Je vous remercie de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations. Auparavant, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
Je vous invite donc, Mesdames, Messieurs, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
M. Philippe Jougla, Mme Nelly Le Corre, M. Guillaume Lidon, M. Éric Frétillère, Mme Sabine Battegay, Mme Alix d'Armaillé, et M. Stéphane Rozé prêtent serment.
Au préalable, je tenais à vous remercier de nous recevoir.
Premièrement, pour rappel, les pluies représentent, en France, 500 milliards de mètres cubes par an, dont la moitié tombe sur des surfaces agricoles. Selon les données publiées par le ministère de la Transition écologique, 32 milliards de mètres cubes d'eau sont utilisés par l'activité humaine, dont 3 milliards par l'agriculture.
Deuxièmement, l'irrigation est d'une activité très ancienne, qui a toujours été utilisée par l'agriculture. Bien évidemment, elle a connu un développement considérable dans les années soixante-dix et quatre-vingt. Il n'en demeure pas moins qu'elle existait bien avant cela. En France ainsi, les régions se sont développées par le truchement du défrichage et d'actions d'irrigation gravitaire.
Dans le domaine de l'agriculture troisièmement, l'utilisation de l'eau est souvent associée à un facteur d'intensification que je revendique. À l'inverse en effet, l'absence d'eau emporte une baisse du nombre d'agriculteurs et de fermes et, par extension, un appauvrissement des territoires. Par conséquent, l'apport d'eau doit, dans la plupart des cas, dégager de la valeur ajoutée et favoriser le développement d'un territoire.
Quatrièmement, l'agriculture est, en première ligne, confrontée au changement climatique. Dans ce contexte, l'eau constitue un outil indispensable. Selon les prévisionnistes, les précipitations devraient être relativement stables en France. En revanche, ces dernières devraient être beaucoup moins bien réparties dans le temps qu'aujourd'hui, avec des périodes de sécheresse plus longues, des périodes de canicule plus intenses et des périodes de pluies plus fortes, propices aux inondations. De fait, l'agriculture doit se préparer aux conséquences du changement climatique : en revanche, l'eau dont elle bénéficie ne doit pas jouer le rôle de variable d'ajustement.
L'eau, c'est tout simplement la vie. Je tenais à vous remercier de nous recevoir aujourd'hui : j'imagine en effet que vous avez bien pris la mesure de l'importance de l'eau dans les prochaines années.
L'eau est indispensable à la production agricole. Or, elle n'est pas toujours disponible au moment voulu. Il est donc primordial de gérer cette ressource de manière pragmatique, ne serait-ce que pour permettre au monde agricole de produire de l'alimentation, laquelle relève d'une activité d'un intérêt général majeur.
Actuellement, l'agriculture est confrontée au changement climatique. Ce dernier se caractérise par une élévation des températures et par une évolution de la répartition des précipitations, avec des excès d'eau en période hivernale et des épisodes de sécheresse l'été, ce qui complexifie la gestion de l'eau et nécessite de la stocker.
En parallèle, la problématique de l'eau est avant tout locale. Aucune solution n'est donc universelle. Au contraire, il convient d'élaborer des solutions à l'échelle des territoires, sans écarter la moindre option : transfert d'eau, réutilisation des eaux usées traitées ou stockage de l'eau.
Par ailleurs, la France a la chance d'avoir de l'eau. Irrigants de France s'appuie sur une structuration européenne, ce qui lui permet d'échanger avec les autres pays européens. La France est, sur le plan de l'abondance d'eau, le deuxième pays d'Europe derrière la Norvège. Elle dispose donc, en cela, d'un atout majeur qu'il importe de bien gérer.
Enfin, la situation pandémique a fait prendre conscience aux Français de l'importance de l'agriculture. En effet, le monde agricole a fait la démonstration de sa capacité à produire de l'alimentation, alors que l'activité économique était arrêtée. Pour regagner sa souveraineté alimentaire, la France se doit de produire. Or, elle a besoin, pour cela, d'eau.
Au préalable, je tenais à vous remercier de nous donner la possibilité de nous exprimer aujourd'hui. La FNAB est éminemment attentive à la mise en œuvre d'une bonne politique de gestion de l'eau, tant sur le plan quantitatif que sur le plan qualitatif.
L'agriculture se trouve aujourd'hui à un tournant de son histoire, compte tenu du changement climatique. Ainsi, la dépendance en eau n'a de cesse de croitre, alors que la ressource en eau devrait se réduire, comme le montrent les prévisions du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Aussi les systèmes alimentaires et agricoles devront-ils être adaptés à cette nouvelle donne.
Cette situation nous amène inévitablement à nous pencher sur la question du partage de l'eau, qui doit être assis sur un état des lieux des volumes d'eau disponibles. Ainsi, il convient de partir de la ressource en eau, et pas des besoins liés aux pratiques agricoles actuelles, aux fins de concourir à une véritable richesse alimentaire sur les territoires. Il est en effet important de dynamiser ces derniers.
Comment, à partir d'un mètre cube d'eau disponible, créer de la richesse ? Pour cela, il convient :
– de généraliser les pratiques agronomiques qui favorisent la capacité de rétention de l'eau : pour information, un point supplémentaire de matière organique dans les sols accroît de 20 % le taux de rétention d'eau, ce qui constitue, pour l'agronomie, un levier d'action non négligeable ;
– de promouvoir et de développer les systèmes herbagers autonomes et économes : ce point n'appelle pas de commentaires ;
– de mobiliser la recherche publique, autour des systèmes de cultures économes en eau : l'idée est ici de privilégier les cultures les moins consommatrices d'eau.
Par ailleurs, l'irrigation est parfois nécessaire pour produire. Pour la FNAB en revanche, les usages doivent être priorisés, en accordant la priorité à l'autonomie alimentaire et aux productions créatrices de valeur ajoutée.
La création de retenues d'eau collectives doit se faire sous un certain nombre de conditions. Elle doit être :
– précédée d'une étude d'impacts ambitieuse : l'idée est ici d'éviter de voir se multiplier les retenues d'eau, destinées à assurer la continuité de la production, sans faire évoluer les systèmes agronomiques ;
– fondée sur le partage de l'eau, avec une gouvernance ouverte : il ne faudrait pas que de nouveaux agriculteurs soient exclus de l'accès à la ressource en eau, au motif de quotas d'attribution octroyés pour une longue durée ;
– accompagnée d'une véritable animation territoriale, répondant aux enjeux de la transition agricole : dans ce cadre, l'évolution des systèmes agricoles et la préservation de la ressource en eau doivent être privilégiées. L'idée est de faire évoluer les systèmes agricoles pour qu'ils soient moins consommateurs d'eau. En effet, il n'est pas concevable de produire, demain, de la même manière qu'aujourd'hui. Il n'est pas non plus envisageable de poursuivre avec certaines cultures très fortement consommatrices d'eau.
La FNAB défend l'idée d'une gestion publique renforcée de l'eau. L'État se doit de jouer un rôle important dans la gouvernance de l'eau : aussi le poids de la police de l'eau doit-il être renforcé. De surcroît, il est indispensable de développer les connaissances relatives aux prélèvements d'eau, aux fins d'aboutir à une gestion quantitative juste.
Enfin, l'État doit jouer un rôle majeur pour préserver ce bien commun qu'est l'eau, au même titre que l'air. En effet, il doit tout mettre en œuvre pour éviter que certains secteurs se l'accaparent et pour anticiper la diminution de la ressource en eau. Dans ce cadre, l'agriculture biologique a un rôle très important : je ne doute pas que les organisations agricoles travailleront de concert pour gérer raisonnablement la ressource en eau.
Ma première question s'adresse à l'association des producteurs de maïs. Quel est le pourcentage de la production française de maïs destinée à l'exportation ?
Je ne suis pour l'heure pas en mesure de répondre précisément à cette question. En pratique, l'Europe est le premier importateur mondial de maïs, avec 20 millions de tonnes. La France, pour sa part, exporte effectivement une partie de sa production.
J'y veillerai.
La FNAB a précédemment évoqué les retenues d'eau, et notamment les bassines. Certains opposants aux retenues collinaires et aux bassines estiment qu'elles ne sont pas viables sur le long terme et qu'elles créent l'illusion d'une disponibilité d'eau, emportant un accroissement des surfaces irriguées. Que leur répondez-vous ?
La réponse à cette question est d'ordre politique ou philosophique. Certes, la solution exposée peut entretenir un problème. Cela étant, il nous appartient de dépasser cette question.
La FNAB propose de partir de la ressource et d'adapter les besoins à cette dernière : pour ma part, je considère que les besoins sont en augmentation et qu'il convient, en conséquence, de créer de la ressource. Il a été indiqué que la création de bassines, en créant de la ressource, entretiendrait l'illusion d'une vraie facilité d'irrigation. Est-ce dire que ce sont les bassines qui posent problème ? À défaut, est-ce l'irrigation qui est, ici, pointée du doigt ?
Contrairement à ce qui a été indiqué par la FNAB, les données publiées par le GIEC ne font pas référence à une réduction du volume d'eau. Même si la planète se réchauffe en effet, ce dernier devrait être constant. En revanche, la répartition de l'eau dans le temps devrait évoluer, avec des excès en période hivernale et des déficits en été. À ce titre, la création de ressources va devenir, au sein de certaines zones, indispensable : à défaut, celles-ci se transformeront, faute d'eau, en désert.
Il n'est pas envisageable de faire perdurer, dans les 20 prochaines années, le système agricole des 20 dernières années. Certes, la répartition annuelle de l'eau est appelée à évoluer, avec un surplus d'eau en hiver et un peu moins d'eau en été. Il n'en demeure pas moins que la ressource globale en eau se contracte, comme l'illustre la situation d'un certain nombre de nappes et de retenues. Par conséquent, le monde agricole doit évoluer et développer des systèmes de cultures moins consommateurs d'eau.
Le rapport à l'humanité nous semble absolument incontournable. Il convient, avant toute chose, d'apporter de l'eau aux humains, à la société civile et aux individus. L'irrigation de cultures comme le maïs sur des surfaces conséquentes ne peut plus être, d'un point de vue sociétal, une priorité.
Encore une fois, la FNAB considère que le monde agricole doit évoluer vers un système plus économe en eau. Elle propose, pour cela, un certain nombre de solutions. À l'issue de la présente commission, elle pourra produire une contribution plus détaillée sur le sujet.
En 2020 pour information, la production française de maïs s'est établie à 13,5 millions de tonnes, dont 4,1 millions de tonnes à destination de l'exportation.
Selon les chiffres à ma disposition, la France exporte 45 % de sa production de maïs vers l'Union Européenne.
Ce n'est pas le cas. Elle n'en exporte que 30 %. Pour information, les principaux pays de destination sont l'Espagne et le Benelux.
J'en prends note. Comment envisagez-vous de concilier le besoin accru d'eau, avec des périodes de sécheresse appelées à croitre, et la réduction de la ressource en eau globale ? Etes-vous favorable à ce qu'une priorité soit accordée à l'autonomie alimentaire ? Etes-vous en faveur d'une évolution de l'agriculture vers des cultures moins consommatrices d'eau ? Enfin, le sol ne constitue-t-il pas le meilleur endroit pour retenir de l'eau ?
Comme le signalent les experts du GIEC encore une fois, la quantité d'eau devrait être stable. En revanche, la répartition de l'eau devrait évoluer, avec des excès en période hivernale.
Par ailleurs, la gestion de l'eau, en France, est assurée par les agences de l'eau, réparties sur les principaux cours d'eau. En effet, la problématique liée à l'eau doit être adressée localement. Ainsi, la Bretagne n'est pas confrontée aux mêmes enjeux que le Sud-Est. De la même manière, la pluviométrie peut être extrêmement différente entre le nord et le sud d'un même département. Par conséquent, aucune solution ne peut valoir sur l'ensemble du territoire.
A été évoquée l'intégration de l'eau dans les nappes. En France, la nappe de Beauce sert souvent de référence sur ce plan : elle forme ainsi un grand réservoir d'eau, laquelle est répartie entre les irrigants. Malheureusement, ce dispositif ne peut pas être adapté partout en France. À proximité du Rhône, il est tout à fait possible d'envisager de recourir à de la substitution ou des transferts d'eau. À titre personnel, je n'ai pas accès, au sein de mon exploitation, à de grands cours d'eau. Aussi m'appuie-je sur des réserves d'eau, constituées en hiver. Celles-ci, parfaitement intégrées à l'environnement, me permettent de produire durant l'été.
Enfin, le maraîchage est la culture qui consomme, en valeur relative, le plus d'eau. Or l'agriculture relève d'une activité d'intérêt général et recouvre des productions alimentaires, de grandes cultures et des productions à destination de l'exportation.
Comme cela vient d'être signalé, le territoire métropolitain, selon les projections du GIEC, ne devrait pas connaître une baisse de la quantité des eaux de pluie : en revanche, celles-ci devraient se répartir différemment dans le temps.
Comme l'a mentionné la FNAB, un point supplémentaire de matière organique dans les sols accroît de 20 % le taux de rétention d'eau. En conséquence, l'agriculture a tout intérêt à s'engager dans cette voie : d'ailleurs, différentes techniques et évolutions réglementaires vont dans ce sens. Toutefois, les stockages superficiels ne sont ni réversibles, ni disponibles en dehors des parcelles où ils sont installés, à la différence des bassines par exemple. Ils ne bénéficieront donc qu'aux parcelles où ils ont été implantés, et pas aux parcelles environnantes.
J'entends cette intervention. Sur le terrain toutefois – et cela a été soulevé lors de la dernière réunion de SAGE à laquelle j'ai participé – le niveau des nappes phréatiques se réduit, ce qui assèche les têtes de bassin et pose des problèmes aux agriculteurs et aux habitants, du fait d'étiages plus rapides des cours d'eau. Pourtant, des irrigants procèdent à des prélèvements, à travers les quotas auxquels ils ont droit. En conséquence, il serait utile de reconsidérer la ressource en eau et de répartir, sur l'ensemble d'une saison, les droits de tirage. Au sein de la région Centre, l'irrigation, en début de saison, est relativement importante. Suivent des « blocages » durant la période estivale ou en début d'automne, parce que les ressources sont déjà épuisées.
Pour information, les chiffres publiés par les agences de l'eau précisent que le niveau des nappes pourrait se réduire de 10 à 25 % d'ici à 2050. Dans le même temps, celui des rivières pourrait diminuer de 50 %.
Cela va totalement dans notre sens. Les périodes d'étiage sont appelées à se renforcer, de même que les périodes de crues.
Les étiages seront plus sévères. En revanche, le volume global d'eau sera stable.
Je suis également en désaccord avec M. Frétillère. La ressource en eau, ainsi, devrait se contracter. Il suffit, pour s'en assurer, de consulter la manière dont elle a évolué au cours des dix dernières années. Au sein du bassin hydrographique Loire Bretagne et en Bretagne, qui est une région moins sensible sur ce plan, les périodes d'étiage sont de plus en plus importantes, ce qui pose de véritables problèmes d'approvisionnement. Aussi appelle-je de mes vœux l'ouverture de discussions sur la gestion quantitative de l'eau à 25 ou 30 ans.
Les conflits d'usage liés aux périodes risquent de progresser avec le temps. Selon une étude publiée par l'Union fédérale des consommateurs (UFC) – Que Choisir, les pesticides sont la première cause de dépassement des normes qualitatives associées à l'eau du robinet. Lors des assises de l'eau, le coût du traitement de l'eau contre les nitrates et les pesticides a été estimé comme compris entre 500 millions et un milliard d'euros par an, supportés par les usagers. Que proposez-vous pour y remédier et améliorer la qualité de l'eau ?
Je préconise de convertir l'ensemble des surfaces agricoles de France en surfaces cultivées en bio. En effet, l'agriculture biologique n'utilise pas d'intrants, de pesticides ou d'insecticides. Elle constitue le levier le plus efficace pour restaurer la qualité de l'eau : pour information, à peine 40 % des masses d'eau sont aujourd'hui en bon état écologique, ce qui est très éloigné des objectifs fixés par les agences de l'eau. De la même manière, le plan Ecophyto n'a pas atteint ses objectifs. Pour améliorer la qualité de l'eau au sein des points stratégiques (zones de captage, bassins versants), il est primordial de convertir un maximum de terres à l'agriculture biologique.
Actuellement, environ 15 % des surfaces ont été converties à l'agriculture biologique. L'Union européenne (UE) entend porter ce taux à 25 %. Par conséquent, les surfaces sont, dans leur grande majorité, utilisées par l'agriculture conventionnelle.
Par ailleurs, les analyses conduites font état de la présence de pesticides dans l'eau potable. Cela étant, les quantités trouvées sont, dans leur immense majorité, nettement inférieures aux seuils de potabilité. Entre 2008 et 2018 de surcroît, l'état des bassins versants du territoire national s'est amélioré, à l'exception de la Corse et de la vallée du Lot. Ces progrès ont résulté du développement de l'agriculture biologique, mais également de l'évolution des pratiques agricoles, désormais plus raisonnées et plus « proches » des besoins des plantes.
Je ne souhaite pas opposer agriculture traditionnelle et agriculture biologique. Cette dernière, si elle présente de vrais intérêts, ne permettra pas de répondre à l'ensemble des attentes de la société et de produire de l'alimentation pour l'ensemble de la population. La France a la chance d'accueillir une grande variété de production : c'est ce qui fait sa richesse et sa force.
Bien évidemment, le monde agricole est pleinement conscient de l'enjeu que représente la qualité de l'eau et de la nécessité de réduire l'usage d'insecticides et de pesticides. Ce travail est d'ailleurs engagé depuis de nombreuses années.
La qualité des eaux superficielles s'est nettement améliorée au cours de la dernière décennie : la directive 91/676/CEE du 12 décembre 1991 concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles y a notamment contribué. Dans les nappes plus profondes toutefois, les taux de nitrate sont plus constants, les réactions des eaux étant beaucoup plus lentes.
Enfin, il est important de donner aux agriculteurs les outils leur permettant de faire évoluer certaines pratiques : celles-ci, néanmoins, ne doivent pas être bannies en l'absence de solution de remplacement. L'azote est un aliment indispensable pour les plantes : l'irrigation permet d'en optimiser les apports, à travers les engrais azotés.
Le fait d'interdire l'usage de certaines molécules – pour des raisons tout à fait entendables de santé publique – ne doit pas nous conduire à importer des produits traités par des produits phytosanitaires. À titre d'exemple, le diméthoate permet de lutter contre un parasite qui limite fortement la production de cerises. Il a été interdit en France. En conséquence, les cerises aujourd'hui consommées viennent de Turquie, où il demeure autorisé.
La moitié de l'eau consommée en France sert à l'agriculture, dont 25 % pour la seule irrigation du maïs. Pourtant, on présente parfois le maïs comme l'une des plantes les plus économes en eau, comparé au blé, au soja et au riz. La culture du maïs vous semble-t-elle opportune pour la préservation de la ressource en eau ?
Selon les données communiquées par le ministère de la transition écologique, la ressource en eau issue des précipitations représente 500 milliards de mètres cubes par an. L'eau renouvelable, issue de l'infiltration et du ruissellement, représente un volume de 200 milliards de mètres cubes par an, ce qui place la France au 2e rang européen. En complément, l'agriculture et l'irrigation ne consomment que 3 de ces 200 milliards de mètres cubes, ce qui représente 1,7 % de la ressource totale. En Espagne à titre de comparaison, ce dernier taux s'établit, de mémoire, à 17 %. En complément, les prélèvements en eau représentent 32 milliards de mètres cubes. L'agriculture ne se situe qu'en 3e position sur ce plan, derrière le refroidissement des centrales nucléaires, qui consomme 50 % des volumes, et l'eau potable, qui en consomme 17 %.
En France, le maïs correspond à la culture la plus irriguée. Si elle représente 41 % des surfaces agricoles, elle n'est à l'origine que de 33 % des prélèvements d'eau. Aussi n'est-elle pas aussi consommatrice d'eau que cela.
Enfin, les Landes, avec la nappe éponyme, et l'Alsace, avec la nappe d'accompagnement du Rhin, sont des secteurs qui concentrent beaucoup d'eau. Il n'est pas incohérent de produire du maïs dans des zones marécageuses, comme les marais des Landes. À titre d'exemple, mon exploitation agricole produit du maïs depuis 60 ans. Je m'appuie sur des retenues collinaires, qui retiennent l'eau en hiver, en vue de son utilisation durant l'été. Le maïs que je produis bénéficie à de nombreux produits du Périgord : foie gras, confits, cochons labellisés. Ai-je répondu à votre question ?
Non. La culture du maïs vous semble-t-elle opportune pour la préservation de la ressource en eau ?
Que souhaitez-vous me faire dire ? Comme je viens de vous l'expliquer, le maïs constitue une culture tout à fait pertinente au sein de certaines zones.
Comment faire au sein des autres zones ? Devons-nous faire perdurer les pratiques en vigueur durant des dizaines, voire des centaines d'années ?
L'irrigation est relativement récente : elle n'était donc pas utilisée il y a une centaine d'années. Elle s'est fortement développée durant quelques années. En complément, les zones de production de maïs sont limitées. En tout état de cause, cette culture s'est arrêtée là où il n'y avait pas d'eau ou d'irrigation.
Au sein de certaines zones, la ressource est fragile. Pourtant, la culture du maïs se poursuit. Que proposez-vous face à ce constat ?
Les petites exploitations, dans leur majorité, sont irriguées, ce qui permet de préserver la diversité des cultures. Encore une fois, le maïs a un rôle très important : il est par exemple indispensable dans l'alimentation des élevages de Bretagne.
Pour rappel, le maïs est une plante dont l'efficience est exceptionnelle. Quelle pourrait être l'alternative à cette culture ? Il s'agirait de basculer vers de la culture sèche, ce qui aboutirait mécaniquement à l'accroissement de la taille des exploitations. Le maïs s'est développé au sein des territoires ayant conservé une population agricole importante, comme les Pyrénées-Atlantiques, l'Alsace et la Dordogne. In fine, le recours à des alternatives à la culture du maïs emporterait la disparition de nombreuses exploitations.
Aujourd'hui, la culture du maïs irrigué repose sur des droits d'utilisation de l'eau actés et acquis. Le fait de revenir sur ces volumes aurait, une nouvelle fois, une double-conséquence : la réduction des surfaces irriguées ; la disparition de nombreuses exploitations, ce qui n'est pas l'objectif recherché.
M. Frétillère a précédemment souligné que le maïs était indispensable pour l'élevage en Bretagne. Néanmoins, les bovins sont avant tout des herbivores. Or l'herbe, qui consomme beaucoup moins d'eau que le maïs, pousse extrêmement bien en Bretagne et dans de nombreuses autres régions de France. Enfin, l'agriculture biologique développe un système basé sur l'herbe, qui respecte la biodiversité et s'assortit de rotations longues (7 à 8 ans). Dans ce cadre, le maïs utilisé – car il y en a – couvre des surfaces très faibles. L'herbe apporte aux animaux un peu d'énergie et des protéines. Le maïs, pour sa part, ne vient que combler le léger déficit énergétique de l'herbe.
Pour conclure, l'agriculture biologique permet de réduire la consommation d'eau et de préserver la ressource en eau dans le sol. En augmentant le taux de matière organique dans ce dernier, le système se retrouve moins vulnérable et moins dépendant.
Monsieur Rozé, la culture du maïs vous semble-t-elle opportune pour la préservation de la ressource en eau ?
Pour la FNAB, il est indispensable de réduire le poids de la culture du maïs en France et de développer, en parallèle, des cultures plus variées et moins consommatrices en eau. En tout état de cause, le maïs ne contribue clairement pas au maintien de la ressource en eau.
Certes, le recours aux surfaces herbagères peut être, pour l'élevage, une solution très intéressante. Au cours des deux dernières années néanmoins, de nombreuses surfaces françaises ont été, durant la sécheresse estivale, vierges d'herbe. En complément, quel est l'intérêt, au plan alimentaire, des plantes moins consommatrices d'eau ? Pour rappel en effet, le maïs joue un rôle nutritif très important. Il a ainsi une valeur nutritive nettement supérieure à celle du sorgo par exemple.
Le dernier recensement agricole de 2010 fait état d'une stabilité, voire d'une légère baisse, de l'irrigation en France, après un triplement dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. Comment expliquez-vous cette évolution ? L'irrigation est-elle amenée à devoir se développer dans l'avenir du fait de la récurrence de périodes de sécheresse ?
Pour rappel, les sécheresses de 1975 et 1976 ont emporté le développement de l'irrigation en France ; en effet, elles avaient eu des répercussions catastrophiques, notamment dans les sols superficiels, où le taux de matière organique est très faible et ne peut pas être relevé facilement.
Au cours des 30 dernières années, le taux d'efficience de l'eau s'est amélioré de 10 %, notamment du fait des progrès techniques. Initialement ainsi, les systèmes d'irrigation reposaient sur le principe de la gravité, avec de très gros volumes d'eau. Ils ont ensuite évolué vers l'aspersion, permettant de limiter ces derniers. Désormais, les techniques du « goutte-à-goutte » et de la micro-irrigation sont mises en œuvre lorsque c'est possible.
In fine, ces différents progrès techniques ont permis de limiter les volumes d'eau consommés par l'irrigation.
À mon sens toutefois, les volumes d'eau nécessaires ne devraient pas se réduire, mais progresser, pour répondre aux défis du changement climatique et de la démographie. Toutefois, il reste encore de véritables marges de progrès, sur le plan de l'efficience. À volume d'eau équivalent ainsi, il est possible de produire davantage, à travers :
– les progrès matériels, avec le développement des pivots par exemple, qui consomment moins d'eau et qui la régulent mieux ;
– le pilotage de l'irrigation, qui permet d'améliorer la connaissance des sols et, par extension, d'identifier les besoins réels des plantes.
Les chambres d'agriculture aident les agricultures à optimiser leurs pratiques d'irrigation. Par surcroît, la génétique des plantes s'est améliorée. Enfin, les différents progrès édictés vont permettre de produire plus, avec moins d'eau.
Vous venez d'évoquer les progrès permis par les évolutions techniques notamment. Les économies d'eau en résultant ont-elles été mesurées ? Quelles sont, sur ce plan, les projections ? Enfin, en quoi les progrès réalisés vous incitent-ils à réduire votre consommation d'eau ?
Les chambres d'agriculture et les agences de l'eau se sont mobilisées pour favoriser, à travers l'octroi de financements, la diffusion des nouveaux matériels d'irrigation. Au sein des zones de répartition des eaux, des organismes uniques collectent des volumes d'eau, ce qui permet d'en mesurer l'évolution. Cela étant, l'agriculture n'est pas une science exacte. Ainsi, la consommation d'eau dépend fortement des conditions climatiques. L'institut du végétal, appelé Arvalis, nous permet de mesurer les effets des progrès réalisés, à travers des tests réguliers sur les matériels. Pour conclure, l'amélioration de la connaissance des plantes et du sol va nous permettre d'adapter au mieux les volumes d'eau aux besoins.
Etes-vous en capacité de quantifier les économies qui pourraient résulter des progrès techniques réalisés ?
En la matière, des projections ont été réalisées. À mon sens, le taux d'efficience de l'eau peut encore s'améliorer de 10 % environ.
Je ne le crois pas. Cela étant, l'institut Arvalis conduit des expérimentations techniques importantes.
En pratique, l'irrigation n'est bien évidemment pas un plaisir. En effet, la gestion d'enrouleurs, en plein été, relève d'une tâche pénible. À mon sens, la baisse tendancielle des surfaces irriguées tient en partie à la baisse de la démographie du monde agricole.
Prenons l'exemple de deux agriculteurs voisins s'occupant de surfaces irriguées : si le premier n'a pas de successeur, le second peut être appelé à récupérer ses terres. Il n'aura alors pas le temps d'irriguer l'ensemble de ses nouvelles parcelles. Il aura peut-être même la tentation de basculer vers l'agriculture sèche ; la perte de valeur ajoutée en résultant, ici, est compensée par un effet volume.
Comment limiter les prélèvements lorsque les étiages sont au plus bas ? La mise en place de retenues collinaires et de retenues de substitution doit-elle être développée ? Faut-il diversifier les semences ?
Je suis favorable à ces deux options. Le changement climatique va emporter des périodes de sécheresse prolongées. Pour rééquilibrer le système, il conviendra de déployer des dispositifs de stockage, permettant de conserver l'eau issue des précipitations en période de crues. En parallèle, la diversification des semences et des cultures est aujourd'hui défendue par l'Union européenne dans le cadre de la prochaine politique agricole commune (PAC) : il me semble indispensable d'avancer sur le sujet, en veillant à ce que la diversification s'opère à l'échelle de petites régions agricoles.
Bien évidemment, l'agriculture sert à nourrir la population mondiale. M. Frétillère a estimé que l'agriculture biologique ne permettrait pas de répondre à l'ensemble des besoins. En la matière, je tenais à rappeler que de 35 à 40 % de la production est aujourd'hui jetée, ce qui pose la question de la qualité des produits délivrés aux consommateurs. Dans la restauration collective, le recours aux produits bio fait qu'il n'y a ni déchets, ni pertes. En effet, ces derniers sont à la fois bons et de qualité. Par conséquent, il est primordial de fournir des produits de qualité, pour éviter de jeter de la nourriture produite en consommant une partie substantielle de l'eau disponible.
Enfin, la question de la gestion quantitative de l'eau va être centrale dans les prochaines années. Pour l'heure malheureusement, aucune structure de gouvernance n'y est aujourd'hui dédiée. Aussi la FNAB plaide-t-elle pour la mise en place d'une instance de gouvernance neutre et dédiée à la gestion quantitative de l'eau, se composant d'agriculteurs, de consommateurs et de représentants de l'administration et les consommateurs.
Plaidez-vous pour la mise en place d'une structure nationale ou de structures régionales ?
Le choix le plus pertinent serait de déployer une structure nationale, comprenant des déclinaisons locales. En effet, les problématiques varient selon les territoires.
Par ailleurs, la France compte de nombreux exemples de « substitution », laquelle permet d'éviter de prélever directement de l'eau dans un cours d'eau ou dans une nappe durant l'été. Sur le plan génétique enfin, il me semble encore possible d'améliorer les semences.
Quelle est votre position sur la mise en place des marchés de l'eau, en Australie ou en Californie ?
L'Australie, qui rencontre notamment des problèmes de stockage, est l'un des pays les plus arides au monde : aussi sa situation n'est-elle absolument pas comparable à celle de la France. Par ailleurs, le transport d'eau, en plus d'être très onéreux, est très difficile. L'énergie se déplace facilement : en revanche, elle est difficile à stocker. Pour sa part, l'eau est simple à stocker, mais difficile à déplacer. En conséquence, il est beaucoup plus pertinent, plutôt que d'essayer de la déplacer, de la stocker. Enfin, les expériences menées en Australie et en Californie ont été un échec, emportant de nombreuses faillites de petites exploitations agricoles. Aussi ne doivent-elles pas être menées en France.
La FNAB est totalement opposée à la financiarisation de l'eau, laquelle serait dramatique. En parallèle, elle plaide pour la création de structures de gouvernance plurielles.
Je m'associe aux deux précédentes interventions. La France s'inscrit, depuis 1992, dans un schéma de droit, qui a fait de l'eau un patrimoine commun de la nation. À mon sens, cela nous protège des tentatives de financiarisation du marché de l'eau. Pour éviter d'en arriver à de telles extrémités, il est indispensable de conserver une ressource en abondance et de la gérer correctement.
À qui l'eau prélevée dans les sous-sols et les cours d'eau non domaniaux appartient-elle ? Quid des modalités de détermination des redevances pour prélèvement ? Sont-elles cohérentes avec l'impact des prélèvements sur les milieux naturels ?
La gestion de l'eau est publique. Conformément à la loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 sur l'eau et à la directive 2000/60/CE du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau les agriculteurs s'acquittent d'une redevance : l'eau est en effet considérée comme un bien commun. Enfin, lorsqu'un agriculteur prélève de l'eau, il doit supporter les coûts afférents aux installations techniques qu'il utilise. À ce titre, la redevance précitée est nécessaire : elle ne saurait toutefois être comparée à la redevance liée à l'eau potable.
L'eau est avant tout un bien commun, qui doit être partagé équitablement et géré de manière judicieuse. Avant de s'emparer de la question de la redevance enfin, il me semble nécessaire de régler la question de la gestion de la ressource en eau.
L'eau est un flux. Les agriculteurs n'en sont pas les propriétaires, mais disposent de droits d'utilisation. Enfin, le niveau d'exigence qualitatif est, selon que l'on parle d'eau brute ou d'eau potable, différent : aussi les prix d'usage afférents ne peuvent-ils pas être les mêmes.
Je vous remercie d'avoir pris le temps de répondre à nos questions. Je vous invite, si vous en avez le temps, à répondre par écrit au questionnaire qui vous a été envoyé.
La réunion s'achève à dix-huit heures trente.